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Aberdam, Serge, et Tchoudinov, Alexandre (dir.)
Écrire l’histoire par temps de guerre froide. Soviétiques et Français autour de la crise de l’Ancien régime, Collection études révolutionnaires n° 15, Société des études robespierristes, diffusion Sodis, 25 €.
Version revue et augmentée des communications du colloque de Vizille (Isère), septembre 2006, Version russe dans l’Annuaire d’études françaises, Moscou, 2007 numéro publié avec le soutien de la Fondation maison des sciences de l’homme (Paris).
Le public russe a eu la chance de disposer dès 2007 des actes du passionnant colloque organisé à Vizille en 2006 ; ils sont édités aujourd’hui par la Société des études robespierristes.
Le livre sera disponible en librairies à l’automne 2014 (reportez-vous à l’offre de souscription à la fin du présent texte).
Pour la lectrice et le lecteur curieux d’historiographie, de la manière dont l’histoire s’écrit et dont l’écriture de l’histoire passée interfère — combien violemment parfois ! — avec l’histoire en train de se faire, comme pour celles et ceux qui s’intéressent particulièrement à l’histoire de l’Ancien régime et de la Révolution, cet ouvrage dense est une mine de renseignements, et je pense, pour beaucoup, de découvertes.
L’Union soviétique est sans doute, dans le monde, après la France elle-même, le pays dans lequel la Révolution française et ses enjeux politiques ont été le plus étroitement mêlés à la vie politique. On retrouvera ainsi au fil des interventions, non seulement les positions de Marx, celles de Kropotkine, la stratégie de Lénine (auquel je laisse mon correcteur mettre un accent aigu), mais encore la Perestroïka.
Donner une vision synthétique et complète d’un recueil aussi riche me paraît une gageure. J’indiquerai donc, après un extrait de l’introduction de Serge Aberdam, les passages qui ont particulièrement retenu mon attention — lecture subjective, s’il faut rappeler ce pléonasme. En effet, l’aspect politique de l’historiographie, qui est celui qui m’intéresse ici, n’est pas le seul traité et je renvoie pour les apports proprement historiques au sommaire complet, en fin d’article.
Je laisse d’abord la parole à Serge Aberdam :
« Les contributions présentées ci-après portent donc sur des transferts et des controverses, sur des chantiers majeurs de l’historiographie des XVIIe et XVIIIe siècles français, et elles ont été conçues dans le but de s’éclairer mutuellement. Ainsi les textes russes révèlent-ils les féroces polémiques internes au monde soviétique dont, à l’époque, rien ou presque ne filtrait. Les textes français qui leur font pendant informent les lecteurs russes des effets dynamiques qu’ont eus les ouvrages traduits en français, même s’ils étaient très critiqués en URSS. Dévoilements il y a donc, et d’ampleur, mais aussi périodisation et élucidation car les décennies successives ont vu évoluer les modes de contrôle et les buts poursuivis.
» L’asymétrie des points de vue, encore apparente lors de la rencontre de 2006, n’est pas récente. Depuis cent cinquante ans au moins, la crise de l’Ancien régime français et la Révolution qui y mit fin sont en débat dans les relations entre historiens des deux pays. Dès le milieu du XIXe siècle, les membres de ce qu’on a ensuite appelé l’école historique russe travaillent sur l’histoire agraire de la Révolution française — avec comme perspective évidente la comparaison avec les évolutions possibles en Russie : réforme ou révolution ? Le débat ainsi initié s’intègre ensuite dans les discussions théoriques des partis, en pleine expansion, de l’Internationale sociale- démocrate. Celle-ci est d’ailleurs fondée formellement en 1889, l’année du Centenaire d’une révolution qui avait marqué son siècle comme le nouvel internationalisme socialiste doit marquer celui qui s’annonce. Pour ceux qui commencent alors à se réclamer du marxisme, la Révolution française est le modèle d’une révolution bourgeoise qui a su radicalement régler la question agraire, tâche dite démocratique qui intéresse au premier chef les révolutionnaires d’Europe centrale et orientale. Autour du Centenaire, ces questions sont analysées par Karl Kautsky ou Piotr Kropotkine puis, dans un sens encore différent, par Jean Jaurès comme par une cohorte d’historiens et de publicistes désireux de contribuer à l’éducation politique des travailleurs. Jean-Numa Ducange[1] a récemment montré l’ampleur de ces actions de formation, particulièrement dans la social-démocratie allemande, cadre où, faut-il le rappeler, se formaient aussi de nombreux émigrés politiques russes. […]
» La mécanique des comparaisons concerne dès le départ, et jusqu’à nos jours, des domaines tellement variés qu’il est difficile d’en faire le tour : les parallèles entre les règnes de Louis XVI et de Nicolas II, leurs personnalités et leurs entourages, comme les comparaisons entre les actions de la contre-révolution aux deux époques en font partie intégrante, jusqu’à la banalité. Les rapprochements s’imposent également dans des domaines beaucoup plus techniques, comme la formation des armées, de l’an I ou bien Rouge, ou les politiques agraires, ou les façons de financer l’action de l’État révolutionnaire, avec les parallèles entre assignats et sovznaks qui culminent dans le recours à l’hyperinflation[2]. Mais, en URSS, et à chaque réorientation politique des années 20 et 30, comme l’a bien montré Tamara Kondratieva[3], les analogies avec l’épisode “thermidorien” de 1794-1795 se révèlent particulièrement évolutives — et meurtrières. La discussion sur la Thermidorchina ou même le simple emploi de la notion de Thermidor se transforment finalement en piège mortel pour ceux qui s’y laissent aller… Ces polémiques débouchent sur un véritable martyrologe d’historiens de la Révolution française, exécutés ou déportés dans les années 30. »
Après cette présentation, je vais entreprendre une lecture, forcément rapide, de quelques-unes des contributions (dans les citations, je n’ai pas replacé toutes les notes ; on se reportera au livre). Lire la suite