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Archives Journalières: 31 mai 2014

Taboureau de Montigny, l’Enragé d’Orléans, par Albert Mathiez (1ère partie)

31 samedi Mai 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Taboureau de Montigny, l’Enragé d’Orléans, par Albert Mathiez (1ère partie)

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Albert Mathiez, Éric Hazan, Communisme, Enragé·e·s, Georges Lefebvre, Jacques Roux, Taboureau de Montigny

 

Je m’étais jusqu’ici intéressé presque exclusivement aux Enragé(e)s agissant à Paris, avec une exception pour les Lyonnais qu’avait fréquentés Théophile Leclerc (les « Chalier »). La tâche entreprise ici de constituer progressivement une bibliothèque virtuelle de documents utilisables en mode texte (par copier/coller), et les moyens techniques sans commune mesure avec ceux disponibles il y a vingt ans me donnent l’occasion et le moyen de combler cette lacune.

Je commence par republier ci-après la première partie (sur deux) d’un article d’Albert Mathiez intitulé « Un enragé inconnu Taboureau de Montigny », publié initialement dans les Annales historiques de la Révolution française, en 1930 (t. VII, pp. 209-230). La seconde partie suivra, puis j’évoquerai les travaux de Georges Lefebvre (lesquels, n’étant pas dans le domaine public, ne peuvent être repris in extenso). Peut-être sera-t-il possible par la suite de compléter les informations disponibles, dues à ces deux auteurs sur l’avocat d’Orléans.

Mathiez, on le verra dès les premières lignes de son texte place très haut Taboureau de Montigny, plus haut que Roux, en tout cas. Il est vrai qu’il n’aime guère ce « curé rouge » (« Alors que Jacques Roux, le chef des Enragés parisiens, continuait à dire sa messe en pleine Terreur, Taboureau attaquait “l’autel de la supersti­tion” »).

Lefebvre, lui, pour justifier le classement de Taboureau parmi les Enragés, évalue sa doctrine par rapport à Jacques Roux. Commentant le texte de la Réponse des sections du Calvaire et de l’Hôpital réunies à l’adresse des corps administratifs relativement aux taxations de comestibles, rédigé par Taboureau, Lefebvre écrit : « Jacques Roux n’aurait pas désavoué le morceau. Taboureau mérite bien d’être classé parmi les Enragés1 ».

L’originalité de Taboureau, que Mathiez met en lumière, est d’avoir très tôt (dès 1789) théorisé un système de taxation des prix pour assurer le droit aux subsistances. Il postule également un droit naturel à la terre.

Mathiez voit dans l’action de Taboureau, qui ne s’est pas contenté d’écrire des libelles mais a agi avec les sections orléanaises, l’illustration qu’ « au dessous de la Révolution officielle et bourgeoise il y en eut pourtant une autre, toute populaire, qui est restée dans la pénombre ». Il ajoute, à propos des textes que l’avocat rédigea pour ses concitoyens ou qu’il leur fit adopter : « C’est en lisant de pareils documents qu’on se rend compte de l’erreur profonde des historiens qui persistent, malgré l’évidence, à nier que la lutte des classes a joué un rôle dans les crises politiques de la Révolution ». Erreur qui n’a cessé depuis de prendre des tournures nouvelles, jusqu’aux écrits récents d’Éric Hazan, décrivant — pour la mieux magnifier ! — une Révolution sans lutte des classes puisque sans classes.

Nota. J’ai créé plusieurs alinéas pour mieux mettre en valeur les citations de Taboureau. Les cotes de la BN et des AN ont été actualisées.

Les Enragés sont les agitateurs populaires qui proposaient comme remèdes au renchérissement excessif et à la rareté des subsistances et des denrées de première nécessité, la réquisition, la taxation ou fixation officielle des prix, et la répression de l’accaparement. On commence à connaître les Enragés parisiens : le prêtre Jacques Roux, le commis des postes Varlet, qui se faisait appeler Apôtre de l’Égalité, le volontaire et journaliste Théophile Leclerc d’Oze. On sait qu’ils acquirent une grande popularité parmi les masses souffrantes et que leurs manifestations inquiétèrent la Commune, le Comité de Salut public et la Convention elle-même pendant la plus grande partie de l’année 1793. La loi sur l’accaparement et le maximum furent leur œuvre. Ils forcèrent les gouvernants à renoncer malgré eux à la liberté économique et à remettre en vigueur les vieilles mesures d’intervention et de réglementation de l’ancien régime.

Ce qu’on connaît moins bien, ce sont les agitateurs qui opérèrent loin de Paris, dans les départements et qui se firent, eux aussi, les organes des classes déshéritées en proie à la disette et à la misère. L’histoire, qui ne s’attache qu’aux premiers rôles, a oublié jusqu’aux noms de ces hommes obscurs qui déployèrent cependant un courage réel, souvent récompensé par la prison et les persécutions. Au dessous de la Révolution officielle et bourgeoise il y en eut pourtant une autre, toute populaire, qui est restée dans la pénombre, parce qu’elle n’a pas réussi ou plutôt parce que ses brefs succès ont été arrachés de haute lutte et ont disparu avec les circonstances qui les avaient imposés.

Les principes des deux Révolutions, l’officielle et la populaire, s’opposaient. L’une reposait sur l’individualisme, l’autre sur le solidarisme. L’une déniait à l’État tout droit d’intervention dans le domaine économique. Elle faisait de la propriété individuelle un dogme. L’autre, toute imprégnée de la vieille conception de l’État-Providence et de la notion chrétienne du juste prix, plaçait au-dessus du droit de propriété le droit à la vie et sommait les gouvernants de venir au secours des pauvres dans leur lutte inégale contre les détenteurs des richesses et des biens.

La plupart du temps, les Enragés n’avaient pas raisonné leurs doctrines. Les mesures qu’ils proposaient ne sortaient pas de vues théoriques, mais des nécessités de la situation. Ils étaient de purs empiriques. Assez différent des autres est l’Enragé d’Orléans Taboureau de Montigny, sur lequel j’ai réuni quelques renseignements. Celui-ci n’a pas attendu 1793 pour demander la fixation des prix. Il est en possession d’un système qu’il formule dès 1789 et ce système n’a pas été conçu uniquement pour remédier à une crise temporaire. Dans la pensée de son auteur, il doit s’appliquer en permanence, car il est la condition de la société juste. C’est le statut économique de l’État nouveau que la Révolution qui commence doit mettre en construction.

Je ne sais pas grand chose malheureusement de la famille et des antécédents de ce réformateur inconnu. Il s’appelait François Pierre et, avant la Révolution, il ajoutait à son patronyme de Taboureau le nom de Montigny qui était sans doute un nom de terre, car il n’était pas noble2. Il était né à Orléans, à une date que j’ignore, et il y mourut en 1803. Sa profession était homme de loi. Il signe sa première brochure du titre d’avocat au Parlement, avocat au Parlement de Paris sans doute, car il nous apprend lui-même qu’il est rentré à Orléans, sa ville natale, depuis le 26 septembre 1788. Il ajoute dans ce document, qui est un mémoire adressé au Comité de Sûreté générale3, le 15 novembre 1793 :

« Il est notoire qu’en ma qualité d’homme de loi, bien loin d’avoir fait des spéculations de fortune, je me suis rendu odieux à tous les riches par le genre et la nature de mes opinions républicaines. Dans cette extrémité fâcheuse, au lieu de renoncer à mes principes, j’ai fait tourner mon infortune au proffit de l’humanité souffrante et je me suis constitué l’avocat des pauvres. La deffense gratuite de l’oprimé contre l’opresseur a toujours été le plus sacré de mes devoirs ».

Quand Taboureau sera persécuté et emprisonné sous la Terreur, la société révo­lutionnaire et républicaine d’Orléans, qui interviendra en sa faveur, attestera, en effet, que « Taboureau était l’ami de la Liberté avant la Révolution ; que depuis cet événement heu­reux, il s’est montré constamment le deffenseur du peuple et l’effroy des aristocrates et des contre-révolutionnaires, de quelque nature qu’ils soient, que ses mœurs, son extrême pauvreté, sa fermeté austère et républicaine auroient dû lui mériter l’estime du [représentant] Laplanche et non sa proscription4 ». Donc le cabinet d’avocat de Taboureau était déserté par la clientèle riche et il plaidait pour les pauvres. Le document de la Société populaire d’Orléans, que je viens de citer, ajoute encore que « sa famille indi­gente ne subsistait que de son travail ». Il aimait les pau­vres parce qu’il les connaissait, parce qu’il vivait de leur vie, parce que les siens en étaient. Lire la suite →

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