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Retrouvée dans les affaires de ma mère (née Claude Perrin), cette lithographie, un peu à la manière des images d’Épinal semble assez rare en couleurs. La Bibliothèque de Tarentaize (Saint-Étienne) en conserve un exemplaire en noir et blanc, ainsi qu’un portrait gravé et une autre image du type Épinal, où seule la légion d’honneur est indiquée en couleurs.

Dans l’exemplaire que j’ai acquis de Un Apôtre au XIXe siècle. M. l’abbé Perrin cette dernière gravure est insérée dans la reliure (elle n’apparaît pas sur l’exemplaire numérisé par Google livres). Je la reproduit ci-après (Il existe au moins une variante)

Qui était donc l’abbé André Perrin ?

Né à Feurs (Loire) le 24 juillet 1753, il sera vicaire de cette localité durant quatorze ans.

Il fait ses études à Lyon, au séminaire, dit à cette époque de Saint-Charles, qui dépendait de la paroisse Saint-Nizier.

Pendant la Révolution, il refuse de prêter le serment civique et s’exile en Suisse vers la fin 1792, sous le nom de Rimper[1], anagramme approximatif de Perrin (presque du verlan, en fait).

Revenu à Lyon après la chute de Robespierre, il continue d’exercer son ministère dans la clandestinité.

En 1798, il est nommé aumônier de la prison de Roanne (Loire).

Les anecdotes les plus édifiantes courent sur son désintéressement et son dévouement.

Favier écrit dans Lyon vu de Fourvières (Lyon, 1833, p. 259) :

Ses cheveux blancs vous disent son âge, ses traits vous révèlent son âme candide comme celle d’un enfant. Que de douceur ! Que de bonhomie ! Et avec cela que de dévouement ! que de force ! Que de caractère dans toute cette vie ! Que de courage dans les derniers soins qu’il donne au supplicié. C’est l’homme qui se fait Dieu[2] !

Le Journal du Commerce et des Théâtres de Lyon (n° 1890, 7 juin 1835) rend compte de l’exécution capitale d’un nommé Joseph Brunner, ouvrier indienneur (du tissu baptisé « indienne ») et licencié vindicatif, puisqu’il a assassiné le chef de la manufacture qui l’a renvoyé.

À onze heures le condamné a été extrait de la prison de Roanne, et il est monté sur la fatale charrette, jouissant de la plénitude de ses moyens et accompagné du vénérable abbé Perrin, de ce digne prêtre, surnommé à juste titre l’Ange des prisons. [souligné dans l’original]

Il est fait Chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur, le 8 juin 1839.

Il meurt le 4 mars 1844, à l’âge de 91 ans.

Le Courrier de Saône-et-Loire (6 mars) commente :

Né dans l’aisance, il est mort pauvre, mais riche de la considération et de l’estime universels. Il passait son existence à consoler les malheureux prisonniers […]. Les regrets de tous, de quel parti qu’ils soient, s’attacheront à cette honorable mémoire, et récompenseront ainsi ce caractère admirable dont toutes les vertus étaient des mouvements du cœur.

Après sa mort, on organisa la vente de sa bibliothèque, le 9 décembre 1844 (et jours suivants), comme en témoigne le catalogue publié à cette occasion (Lyon, 1844, Numelyo). Le contenu de la bibliothèque contredit un peu l’image d’un obscur (quoique célèbre pour ses vertus) aumônier. C’est la bibliothèque d’un érudit, qui comporte pas moins de 1 379 volumes. Beaucoup concernent bien sûr la théologie, mais aussi l’histoire religieuse et générale et les sciences. On y croise aussi les 39 volumes de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et métiers (Genève, 1777) et les Recherches physiques sur le feu (1780) d’un certain Marat ! Un pourcentage important de ces ouvrages sont en latin.

L’abbé Perrin était réputé avoir créé des bibliothèques dans plusieurs prisons, et l’on peut imaginer qu’il récoltait pour cela des ouvrages auprès de donateurs. Il est possible qu’une partie de ces volumes provienne de ces « quêtes » ; seuls les livres les plus accessibles ayant été mis à la disposition des prisonniers.

Hormis la brève mention dans l’ouvrage de Paul Chopelin et les brochures hagiographiques citées en bibliographie, je n’ai pas trouvé d’autres traces de l’abbé Perrin dans les ouvrages de ma bibliothèque traitant de la Révolution à Lyon (ni sur Internet).

Détail des légendes de la lithographie en couleurs

À droite

« Lorsqu’un criminel est condamné au dernier supplice, il l’exhorte à reporter ses pensées vers Dieu. Il lui prodigue tout ce qui peut contribuer à lui faire supporter la mort avec courage. »

« Par un hiver très rigoureux, on le vit sur le pont Tilsiit détacher sa chaussure pour la donner à un pauvre dont il prit les savates trouées en échanges. [sic]. »

« Le souverain lui fit remettre la croix d’honneur en hommage des secours qu’il prodigua à l’humanité sans cesse. »

« Il prie pour les pécheurs. »

À gauche

« Parmi les prisonniers, souvent exposé à se laisser prendre sa tabatière ; dès qu’il s’en apercevait il offrait 5 francs pour qu’elle lui fut rendue. Il la recevait le dos tourné pour ne pas connaître le coupable. »

« Il va chez les personnes aisées de la ville quêter pour ces malheureux prisonniers auxquels il distribue à son retour des vêtements, de l’argent, du tabac, des livres de piété et d’histoires édifiantes. »

« Quand l’heure de la justice humaine a sonné, il ne quitte point le patient ! Il monte sur l’échafaud, le ranime par son éloquence, et l’encourage à accomplir le dernier sacrifice. »

« Il distribue du pain aux pauvres. »

Bibliographie

L’abbé Perrin, aumônier de la prison de Roanne. Notice biographique, Lyon, 1836, 48 p.

Un apôtre au XIXe siècle, M. l’abbé Perrin, Lyon, 1837, 14 p. (rééditions en 1840, 1842, 1843)

Vie de l’abbé Perrin, aumônier des prisons de Lyon, Chalon-sur-Saône, 1838, 7 p.

Jury, Biographie de l’abbé Perrin, aumônier des prisons de Lyon, Paris, 1841, 7 p.

Catalogue de la bibliothèque de feu M. l’abbé Perrin, chapelain de l’Église primatiale de Lyon, aumônier de la prison de Roanne, chevalier de la Légion-d’Honneur ; dont la vente aura lieu le 9 décembre 1844, et jours suivants, à 5 heures et demie du soir dans la salle de MM. les commissaires-priseurs, Port-du-Temple, 42, au 1er, par le ministère de l’un d’eux, Lyon, 1844, 96 p.

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[1] Paul Chopelin mentionne le fait dans son ouvrage Ville patriote et ville martyre. Lyon, L’Église et la Révolution (1788-1805), 2010, p. 201.

[2] Je souligne.