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LA RÉVOLUTION ET NOUS

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Archives de Catégorie: «La parole à…»

Des textes courts ou des extraits de textes, d’auteurs du « domaine public ».

La Société des études robespierristes et les “AHRF” s’engagent contre le démantèlement des retraites et contre la future loi de programmation de la recherche

18 samedi Jan 2020

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

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Annales historiques de la Révolution française, «Conditions matérielles de la recherche», Société des études robespierristes

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Les sources révolutionnaires du Référendum d’initiative citoyenne ~ Un éclairage de Serge Aberdam

21 vendredi Déc 2018

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

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1793, Assemblées primaires, Constitutions, Convention nationale, Démocratie directe, Référendum, Robespierre, Serge Aberdam

Je reproduis ci-dessous un article de Serge Aberdam paru sur le site d’Europe solidaire sans frontières (ESSF) et maintenant sur celui de la Société des études robespierristes (SER).

 

Les sources révolutionnaires du Référendum d’initiative citoyenne

Les débats des gilets jaunes portent sur un projet de Referendum d’initiative citoyenne (RIC). Il est alors utile de signaler que le premier projet de ce genre a été élaboré il y a quelques 225 ans par la Convention nationale et adopté par le vote de millions de citoyens, avec la première Constitution républicaine, en juillet-août 1793.

Les députés à la Convention avaient décidé (septembre 1792) que la France serait désormais une République. Ensuite, écartant tout compromis, ils avaient jugé pour trahison et fait exécuter le roi (janvier 1793). Il était donc clair que le peuple était désormais le seul souverain admis. Au printemps 1793, un vaste débat a lieu pour définir la forme qu’aura le nouvel État républicain. Ce débat a lieu à la Convention mais aussi dans les sociétés populaires locales et les clubs, dans tout le pays. Des centaines de projets sont imprimés sur financement public et largement diffusés.

Le caractère massif et la durée exceptionnelle de la Révolution française, de 1789 à 1799, s’expliquent en bonne partie par la multiplicité et l’intensité de toutes les formes de vote et d’élection qui y ont été pratiquées[1]. Depuis les assemblées locales du tiers état de 1789 qui ont rédigé leurs cahiers de doléances, ce sont des assemblées régulières de citoyens qui ont, sous des formes très diverses, élu aussi bien toutes les administrations, les juges de tous niveaux, les directeurs des postes, les commissaires de police, les officiers de la garde nationale ou les syndics des gens de mer… et bien sûr les députés. Au total, peut-être un million de fonctionnaires publics.

La discussion sur la nouvelle Constitution brasse donc des expériences récentes. Les gens de l’époque considèrent très majoritairement que, pour décider, pour élire, pour se prononcer, le peuple doit s’assembler. En termes d’époque: Là où des hommes ne délibèrent pas ensemble, il n’y a point de vœu commun…[2]. C’est là une façon de raisonner que nous n’avons conservée que dans nos associations, mais elle était admise par des millions de gens. Parallèlement, à partir de l’adoption des cahiers de doléances, l’idée de mettre les revendications par écrit était restée très vivante: chaque fois que les citoyens s’assemblaient, ils avaient tendance à reprendre la parole et la plume et les assemblées de citoyens devenaient plus permanentes chaque fois qu’une crise de ravitaillement, une offensive militaire ou une rumeur menaçante les menaçaient.

L’élection de la Convention, en août septembre 1792, s’est faite dans un puissant mouvement collectif mais masque une contradiction fondamentale. L’immense majorité de cette assemblée se considère comme formée de représentants du peuple, investis des pleins pouvoirs. Ceux qui se considèrent comme des démocrates, chargés de mandats impératifs, révocables, sont très rares. Si la majorité veut construire un régime purement représentatif, où les représentants auront toute la responsabilité du pouvoir, les minoritaires cherchent au contraire, de la fin 1792 au printemps 1793 à inclure dans la Constitution des pouvoirs exercés directement par le peuple, puisque ce dernier est capable de se réunir dans ses propres assemblées. Une forme de recours à ce que nous appelons démocratie directe apparaît donc sous le terme d’époque de vote populaire, un vote qui est décisoire et direct. Toutes sortes de sujets sont concernés, jusqu’à la loi du 10 juin 1793 sur le partage des communaux qui est la première (et sera la seule) à donner le droit de vote (et ici de partage) aux femmes.

Ce débat sur le vote direct des citoyens reste politiquement marginal jusqu’à ce que vienne au premier plan un conflit bien plus brûlant, celui sur la façon de mener à bien la guerre qui s’est généralisée. Deux courants s’affrontent alors, Girondins et Montagnards, et les seconds n’ont pas d’autre choix que de s’appuyer sur les sans-culottes des sections de Paris. L’issue en est l’insurrection parisienne des 31 mai-2 juin 1793, qui marginalise les dirigeants Girondins; une nouvelle majorité se forme où le point de vue démocratique est mieux représenté. D’où un compromis sur la rédaction de la Constitution: le futur régime devra combiner la représentation avec la possibilité pour les citoyens de trancher directement les choix majeurs. C’est le sens du texte adopté par la Convention les 23 et 24 juin et qui sera ensuite soumis au vote populaire en juillet août – en pleine guerre étrangère et alors que la guerre civile menace de partout. Discuté et amendé par d’excellents juristes, ce texte de compromis entre gouvernement représentatif et ce qu’on appelle alors démocratie se veut un pas vers le gouvernement direct du peuple par lui même. Et c’est dans ce cadre que sont adoptées les modalités qui se rapprochent – ô combien – des projets de RIC.

L’Acte constitutionnel fixe les conditions requises pour exercer la citoyenneté, qui est ouverte à tous ceux qui résident sur le territoire et participent à la vie sociale, quelle que soit leur nationalité. Il adopte pour la première fois l’élection directe des députés dans des circonscriptions territoriales de 39 à 41.000 votants, procédure proche de notre «vote d’arrondissement», individuel et direct. Le travail des futurs parlementaires, élus pour un an seulement, sera cependant contrôlé par un mécanisme démocratique. À cet effet, il est précisé que les assemblées primaires (cantonales) ont une fonction délibérative. Dans la Déclaration des droits arrêtée le 23 juin, l’article 26 donne une définition essentielle: Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier; mais chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté. Dans l’Acte constitutionnel arrêté le 24 juin, il est parfaitement clair, dès l’article 2, que Le peuple français est distribué, pour l’exercice de sa souveraineté, en Assemblées primaires de canton, et que – par l’article 10 – Il délibère sur les lois.

De ce fait, si l’Assemblée nationale peut adopter des décrets sur des points ponctuels, particuliers ou urgents, ces décrets sont soigneusement distingués des projets de lois, de portée générale, qui, eux, seront soumis à l’approbation ou à l’improbation des assemblées primaires. Logiquement, ce système n’organise que leur improbation. En pratique, elles devront s’autoconvoquer, selon des modalités bien définies, avec des taux de participation exigés pour que leur convocation soit valable comme pour que la validité de leurs votes soit admise. Contre l’avis qui avait été formulé en séance par Robespierre, le texte final laisse donc aux assemblées primaires la possibilité de se réunir extraordinairement sur la demande d’un cinquième de leurs membres, quitte à ne pouvoir délibérer valablement que si la moitié plus un de leurs membres inscrits sont présents (art. 34 à 36). C’est là une méthode de quorum que la Convention avait déjà adoptée à d’autres occasions. L’improbation d’un projet de loi doit avoir lieu dans un délai de 40 jours après son adoption par le législateur, et ce dans la moitié plus un des départements, par un dixième des assemblées primaires de chacun d’entre eux. Au cas où un projet serait ainsi rejeté, c’est alors à l’ensemble de ces assemblées, dûment convoquées par la représentation nationale, qu’il reviendrait de trancher (art. 19-20, 56-60).

Mais les assemblées primaires peuvent également s’autoconvoquer, selon les mêmes modalités et aux mêmes conditions de quorum, pour proposer, à un moment quelconque et sans délai particulier, de modifier la Constitution, en réclamant la convocation extraordinaire d’une convention, à laquelle la Représentation nationale est alors tenue (art. 115-117). La fonction délibérative des assemblées primaires existe donc nettement, non pas seulement comme une forme restreinte à 40 jours, pour une difficile «censure populaire», mais aussi comme un mécanisme réel de révision qui supposerait lui-même la nécessité de mener une «campagne» dans le pays pour réunir le nombre nécessaire de votes d’assemblées primaires. On comprend que cette possibilité a polarisé des débats parmi les conventionnels, qui étaient de bon juristes et des praticiens du vote.

Le vote local des citoyens sur les lois a donc été pensé comme un compromis entre représentation et démocratie, aux sens de l’époque. Les termes en sont d’ailleurs remis en débat dans des centaines d’exemples lors du vote populaire sur l’adoption de cette Constitution, en juillet-août 1793, lorsque des assemblées primaires de toutes couleurs politiques affirment leur droit d’user de leur portion de souveraineté. L’Acte constitutionnel de 1793 représentait donc un sérieux élargissement des droits politiques, dont les femmes restaient cependant exclues; il n’allait pas non plus jusqu’à reconnaître des droits sociaux, comme celui au travail ou à l’assistance, le projet de Déclaration des droits élaboré par Robespierre n’ayant pas non plus été retenu, mais il conservait le référendum d’initiative citoyenne.

La Constitution ainsi adoptée par le vote populaire sera très largement diffusée pendant des années, sans jamais être mise en application, mais elle deviendra une référence majeure des républicains radicaux au XIXe siècle. Il est tout à fait normal qu’elle réapparaisse dans le débat démocratique sur le RIC.

Serge Aberdam

20 décembre 2018

__________________

[1] Aberdam, S., Bianchi S., Gainot, B. et autres (ouvrage collectif), Voter, élire pendant la Révolution française, 1789-1799. Guide pour la recherche, seconde éd. revue et augmentée, Paris, CTHS 2006, 494 p.

[2] Jean-Baptiste Salle, député girondin, Rapport pour la commission des six chargée de l’examen des projets de constitution, 15 mai 1793.

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Le point de vue de Dominique Godineau sur le film “Un peuple et son roi”

06 mardi Nov 2018

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

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Clubs de femmes, Dominique Godineau, Enragé·e·s, Féminisme, Femmes en armes, Pauline Léon, Pierre Schoeller, Républicaines révolutionnaires

On peut consulter l’intégralité de la critique de Dominique Godineau, dont je donne un extrait ci-dessous, sur le site Le Genre & l’écran.

La plupart des critiques insistent, non sans étonnement, sur le rôle des femmes. Une des réussites du film est de ne pas les présenter à part, comme un à-côté de l’histoire dont on pourrait se passer au montage. Au contraire, le film les traite « à parts égales », composante intrinsèque du peuple, présentes « tout simplement » parce qu’elles étaient là – ce qui a pendant longtemps été « oublié » par l’historiographie.

On peut également être reconnaissant·e à Pierre Schoeller de ne pas s’en être tenu aux stéréotypes habituels lorsqu’il est question des femmes en révolution. Elles ne sont ainsi pas représentées par les quelques figures connues qui, aujourd’hui, personnifient la demande d’égalité des droits politiques. Elles ne sont pas non plus représentées sous les traits de mégères assoiffées de sang, qui symboliseraient la cruauté d’une révolution populaire (voir les nombreux films anglo-saxons inspirés par Un conte de deux villes de Dickens). Femmes du peuple, elles ne sont pas pour autant réduites à des ménagères préoccupées et mues uniquement par les problèmes de subsistance. Elles sont, avec justesse, montrées discutant politique, donnant leur avis, signant des pétitions (17 juillet 1791), suivant les séances de l’Assemblée depuis les tribunes ouvertes au public, agissant, et il est heureusement rappelé que les manifestantes d’octobre 1789 (ou du moins une partie d’entre elles) demandaient du pain mais aussi que le roi signât les décrets sur l’abolition des privilèges et la Déclaration des Droits.

Le film présente de beaux personnages de femmes, incarnées avec force par les actrices, et qui ne sont pas sans évoquer certaines figures « anonymes » croisées dans les archives. Des femmes qui, dans le film, semblent jouir d’une assez grande liberté d’action et d’une relative égalité avec les hommes de leur entourage, tant dans les rapports privés que dans l’espace politique. Cela peut surprendre le/la spectateur/trice, mais, de fait, la lecture des archives de l’époque défait les images héritées du 19e siècle de femmes soumises, passives, silencieuses, et le film le montre bien.

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Le point de vue de Jean-Clément Martin sur le film “Un peuple et son roi”

10 mercredi Oct 2018

Posted by Claude Guillon in «Articles», «La parole à…»

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Charlotte Corday, Claire Lacombe, Hébert, Jean-Clément Martin, Louis XVI, Pauline Léon, Pierre Schoeller, Robespierre

Jean-Clément Martin, dont j’ai déjà publié des billets à plusieurs reprises donne ici une longue analyse du film Un peuple et son roi. Je suis fort éloigné de partager tous ses points de vue, mais son texte me paraît utile pour alimenter le débat sur un film dont on espère avec le réalisateur qu’il aura une suite.

Pour ma part, assez déconcerté après une première projection, j’ai décidé d’attendre que le film soit diffusé sous forme de DVD pour en faire une analyse précise (je me suis borné à annoncer la sortie du film en reproduisant l’affiche; la mise en scène publicitaire du lancement rendait superflue tout autre démarche).

NB. Les photos des panneaux exposés place de la République, à Paris, qui illustrent le texte ont été prises par moi. Comme d’habitude, vous pouvez les agrandir en cliquant dessus.

À propos du film de Pierre Schoeller, Un peuple et son roi.

Faire un film à propos de la Révolution française est toujours un exercice à haut risque. Non seulement les événements essentiels s’accumulent et se bousculent, mais leur représentation doit s’accommoder des traditions, toutes polémiques, qui les ont figés dans nos mémoires sous forme de tableaux. Il s’agit à vrai dire plus souvent images d’Épinal, tendance gore, qui ont été décrites, détaillées et discutées âprement depuis deux cents ans, si bien que l’intrigue indispensable au récit proposé, réduite logiquement à quelques protagonistes, se faufile entre les grandes scènes attendues.

Dans cette configuration mémorielle, le réalisateur doit avoir le souci du détail pour éviter les critiques, évoquer les connaissances établies, tout en affichant des positions originales, pour ne pas décevoir tous ceux qui, sachant beaucoup, espèrent un point de vue inédit ! Il faut donner du sens, poser des principes, bref marquer par une lecture personnelle l’image d’une période particulièrement compliquée et surchargée de significations et de symboles.

L’embarras est accru par le traitement nécessaire de la violence. Avec la prise de la Bastille, l’invention de la guillotine, la mort du roi, etc. etc., la schizophrénie nationale s’est nourrie, depuis 1794, de l’opposition entre condamnation des actions sanguinaires et commémoration des actes fondateurs. Faut-il rappeler que les premiers films (de quelques minutes) réalisés, en 1897, sur la période racontaient les morts de Marat et de Robespierre ?[1]

Il n’est pas étonnant que la filmographie de la Révolution française a été, pour sa plus grande partie, marquée par une sensibilité critique envers la Révolution, quand ce n’est pas carrément par des sentiments contre-révolutionnaires. Les travaux de Sylvie Dallet l’avaient montré au moment du bicentenaire[2], pendant lequel les élèves de collège et de lycée avaient été conduits par classes entières pour voir le film en deux parties Révolution de Robert Enrico et de Richard Heffron. Celui-ci s’achevait par l’exécution de Robespierre, hurlant après que le bourreau lui ait arraché le bandage qui tenait sa mâchoire fracassée. Qui a jamais su ce qui est resté dans les imaginations des jeunes spectateurs devant cette tête dévastée, vraie tête de méduse ? Plus que jamais la guillotine et « la terreur » semblaient inévitables. Elles avaient été centrales dans le Danton de Wajda quelques années plus tôt, film habilement organisé autour d’un antagonisme légendaire et caricatural qui donnait une unité de temps et de lieux et identifiait les personnages à des allégories et des principes. Un peu plus tard, le pas de côté avait été fait par Ettore Scola avec son magnifique La nuit de Varennes rendant compte autrement de la Révolution, de manière tout à la fois poétique et réaliste.

Pour toutes ces raisons j’ai toujours de l’indulgence pour Les Mariés de l’An II, de Rappeneau, pantalonnade guignolesque sur fond de guillotine, comme pour Chouans de Broca, clôturé avec l’envol du chouan et de son amante sur un ULM à vapeur, mais qui cassait tous les codes d’une façon réjouissante pour le plus grand plaisir de son auteur iconoclaste (voir l’image du prêtre réfractaire illuminé et dangereux !).

Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller, propose une interprétation favorable à la Révolution de 1789 à 1793 en revendiquant l’emploi de la violence politique. On peut et on doit en débattre, mais l’entreprise a le mérite de la clarté. La rupture avec le courant majoritaire des productions cinématographiques est ainsi revendiquée ; reste à savoir si la réalisation a répondu à l’intention et de quoi la revendication est productive.

Vertige de la véracité

Faute de compétences, je ne me hasarderai pas à discuter de l’esthétique du film, de sa mise en scène et du jeu des acteurs ; en revanche, le spectateur que je suis a été séduit par la beauté des images, les clairs obscurs autour des bougies et l’éclat des corps, le souci des costumes et des décors, comme de la restitution des gestes de la vie quotidienne, dont l’essorage du drap sous le pied de la lavandière (sans doute devait-elle, comme me le souffle ma déformation professionnelle, être sur un ponton avec ses collègues au milieu de la Seine, fleuve beaucoup plus sale que celui qu’on voit, mais passons). J’ai été retenu également par la présentation bien venue de quelques grands moments comme la transformation de la salle du Manège en salle de l’Assemblée constituante, en octobre 1789, la fusillade du Champ de Mars en juillet 1791, les Tuileries au soir du 10 août 1792.

Ces scènes emblématiques, parmi d’autres, correspondent à une attention didactique affirmée et louable mais qui n’est pas sans poser problème. Reconstituer, en 2018, la vie en 1789-1794 provoque le vertige. La quête de la véracité est sans fin et sans doute perdue d’avance. Les spécialistes des modes de vie remarquent que montrer des femmes « en cheveux », sans fichu ou mouchoir sur la poitrine, correspond sûrement à l’image que nous avons, nous au XXIe siècle, du « peuple » mais qu’en 1789 les classes populaires étaient désireuses de marquer leurs distances avec les mendiants et les miséreux et que les femmes n’étaient pas habillées de cette façon. L’exhibition des seins date davantage de 1795, quand elle est pratiquée par les « merveilleuses », tandis que, en 1789, les femmes « patriotes » affichaient des tenues plus strictes.

Les érudits ont certainement relevé les citations rapides, et peut-être sans vrai intérêt, de protagonistes qui ne passent que quelques secondes au premier plan, comme le boucher Desnot qui avait coupé le cou du gouverneur de la Bastille et qui avait eu une éphémère popularité. Mais pourquoi faire apparaître l’Enragé Varlet, avec un Cordelier dans un débit de vin, sans l’employer comme un des rares révolutionnaires désireux d’établir l’égalité entre hommes et femmes et sans mentionner, on en reparlera, que des militants authentiques travaillaient à organiser le peuple pour en faire une force politique véritable ?

Une mention doit être faite de l’ouverture : le lavement des pieds. J’avoue que j’ignorais le rituel et que de le voir ainsi présenté est troublant. On découvre ainsi le roi en grand habit se prosternant devant les pieds, déjà lavés, de quelques enfants pauvres, vêtus d’une chemise rouge, à la fois ébahis et révoltés devant le luxe du palais, tandis que la reine et ses amies pouffent en coulisse. Il suffit de faire appel à Wikipédia[3], providence cachée, pour apprendre que le lavement des pieds par le roi remonte au Moyen-Âge, qu’il se pratique selon des habitudes très codées, à Versailles dans la grande salle des gardes, qu’il concerne treize (et non douze comme dans d’autres pays) garçons portant une robe rouge, et que la reine lavait au même moment les pieds de filles – et ce encore jusqu’en 1789[4]. L’incertitude, que je n’ai pas levée, porte sur l’année 1787, le roi ayant été accusé de ne pas avoir respecté cette tradition.

Dans l’ignorance de tout cela, on retient bien entendu le choc visuel de ces enfants pieds nus – thème récurrent du film -, leur chemise rouge faisant écho à la chemise rouge de Charlotte Corday montant à l’échafaud, comme à la cinquantaine de condamnés à mort de juin 1794, habillés ainsi pour participer au complot contre Robespierre accusé de vouloir guillotiner tout Paris ! Le lien entre les enfants et les parricides, ou en l’occurrence les régicides, se fait d’autant mieux que l’un d’eux se déclare sans père ni mère, rejoint l’Oncle, s’impose parmi les insurgés du 10 août 1792 plus tard – est-ce une allusion au Gavroche des Misérables ? Le film ne commence pas par hasard par cette longue séquence annonçant la suite, mais en l’occurrence le réalisme affiché est biaisé par les lectures mémorielles qui s’y greffent, et qui entraînent le spectateur sur des pistes compliquées et contradictoires, quand on en déchiffre les multiples couches.

Plus anecdotiquement, on s’étonne de voir la marche sur Versailles s’opérer sur un aimable sentier campagnard quand on sait que la route Paris-Versailles était parcourue en permanence, jour et nuit, par des courriers et des voitures. Pourquoi, d’ailleurs, avoir installé très inconfortablement ces femmes dans les tribunes de l’Assemblée constituante le 5 octobre au milieu de députés, dont on sait qu’un certain nombre d’entre eux cherchèrent à les séduire, voire les lutiner, illustrant des pratiques remises en cause maintenant ? On s’étonne davantage de voir les femmes marcher avec des faux (et des faucilles si j’ai bien vu) emmanchées à l’envers. Elles avaient des piques, sur lesquelles elles portèrent, au retour à Paris les têtes coupées des gardes du corps tués le 6 octobre, mais elles n’avaient pas ces armes rurales qui identifient davantage les vendéens et les chouans plus tard. On peut se demander d’ailleurs, comment on peut en même temps faucher, avec une faux, et scier, avec une faucille, des céréales ou des herbes dans l’épisode de Varennes, mais ce détail marginal peut rester dans les marges.

Symboles et silences

Avec ces limites, sans doute inévitables, l’intention documentaire est, redisons-le, respectable et son résultat séduisant. Au risque, cela a été dit par d’autres, que la dimension didactique étouffe le film. L’intrigue principale bute en effet sur les tableaux consacrés par la mémoire. Le goût du réel, du concret, de la lumière des corps, s’effacent devant l’évocation des grands moments et des symboles dont ils sont porteurs. Les protagonistes tendent à n’être que des personnages allégoriques. Il est difficile d’être convaincu par l’itinéraire du voleur de poules, ou de montre, libéré par la main du roi sur le chemin du retour de Varennes, devenu insurgé par amour et verrier modèle. La démonstration fait perdre de son épaisseur à la représentation et à l’incarnation.

En découle aussi un autre inconvénient. En voulant suivre le déroulement de quatre années marquées par tant d’événements importants, il était impossible de ne pas faire des omissions, obligatoirement contestables, comme il était impossible de ne pas évoquer rapidement trop de faits, destinant le film à n’être totalement compris que par les bons connaisseurs de la période. Avait-on besoin de voir le roi, qui aurait dû porter la livrée de laquais avec laquelle il fuyait, aider son fils, habillé encore en fille – ce qui semble en revanche faux à ce moment-là – à uriner sur le chemin de Varennes à Paris ? La scène est authentique, elle est notamment relatée par un révolutionnaire important, Pétion, qui rapporte, si mes souvenirs sont justes, que le roi avait déboutonné le pantalon de son fils. Pétion a disparu du film alors qu’il était le délégué de gauche envoyé par l’Assemblée constituante avec deux autres députés pour représenter la Nation dans cette occasion. Paie-t-il, au nom d’une vieille vengeance posthume, le fait qu’il a été Girondin, ami proche de Robespierre avant d’être son ennemi ? J’avoue ne pas comprendre pourquoi cet épisode a été gardé dans le récit.

On peut admettre que le cours de la Révolution – soit pour le réalisateur, la prise de conscience politique par le peuple – aille de la prise et de la destruction immédiate de la Bastille jusqu’à la mise à mort du roi, en passant par la marche à Versailles en octobre 1789, la fusillade du Champ de Mars de juillet 1791, la chute de la monarchie le 10 août 1792, enfin le procès du roi de décembre à janvier 1793. Il manque curieusement les massacres de septembre 1792, résumés dans la formule de l’oncle, ce verrier porte-parole de sa communauté, qui se contente à propos des victimes d’un « paix à leur âme ». Outre que la phrase doit rester bien sibylline pour la majorité des spectateurs, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il aurait mieux valu passer ces massacres totalement sous silence, jeter un voile sur eux comme ce fut proposé par Pétion, plutôt que de les rappeler sous cette forme allusive.

Étaient-ils donc si inévitables et si dérangeants tout à la fois pour qu’ils ne puissent ni être oubliés, ni être traités ? Après tout, les gardes du corps tués le 6 octobre 1789 n’avaient pas été représentés du tout au moment de la marche sur Versailles, comme avait été occulté le sentiment de rejet qui avait réuni à ce moment les hommes de toutes tendances devant la violence féminine – ceci en contrepoint du film.

Pour revenir à septembre 1792, il est le plus important des angles morts qui se trouvent dans ce film ce qui choque d’autant plus que les conséquences de la prise des Tuileries le 10 août 1792 sont montrées avec une audace rare. On reviendra plus loin sur l’organisation de l’insurrection, mais après l’image pleine d’espérance de la petite fille dansant sous la pluie des plumes sorties des lits du château et jetées dans la cour, le choc vient des corps nus étalés sur le sol, rassemblés dans les charrettes et jetés au feu. L’image terrible correspond bien à ce qui s’est réellement passé. On peut passer sur les affrontements à bout portant entre Suisses et insurgés dans les marches des Tuileries, qui prolongent les légendes ressassées depuis 1792. Après une telle image d’Épinal, méchants Suisses contre peuple victime mais vainqueur, le spectateur ressent un haut le cœur devant les cadavres dénudés, qui, ordinairement, sont soigneusement enlevés des récits, au point où le bilan humain du 10 août 1792 n’a jamais été fait de façon précise et systématique ! On comprend que, dans le film, les atrocités, démembrements, émasculations… qui eurent lieu, et qui sont citées par les mémorialistes (dont un certain Napoléon Bonaparte témoin visuel) aient été passées à la trappe ; elles auraient été simplement insoutenables et elles auraient posé crument la question de la violence. Reste le silence de cette séquence inhabituelle.

Est-ce cet indicible qui est figuré dans le pas de deux entre l’héroïne principale, muette, et ce cheval noir, sans bride ni selle, échappé d’on ne sait où, qui se regardent, s’évitent et se cherchent dans un duo énigmatique ? Sauf erreur, ne retrouve-t-on pas ici le cheval noir qui galopait dans le Manège royal précisément quand celui-ci avait été transformé en salle des débats de l’Assemblée ? Faut-il penser alors que 1789, et ses réalisations, a débouché sur 1792, et ses contradictions ? La dimension symbolique du film s’impose ici au détriment du réalisme voulu et conduit à d’autres questionnements.

Les apories du peuple

Le titre du film est en soi un programme : un peuple et son roi postule donc que l’unité populaire se pose en face et au-dessus de « son » roi. Jusqu’en 1789, le roi s’adressait à « ses peuples » parce qu’il savait, avec tous les légistes, parlementaires, élus de toutes sortes des villes, des provinces, des cours souveraines…, que la France avait été composée au fil du temps par des rattachements et des pactes à la personne royale, celle-ci devant respecter les alliances anciennes, assorties de privilèges de toutes sortes. La phrase célèbre parlant des « peuples désunis » que la Révolution a réunis est toujours dans nos mémoires, sonnant comme une victoire éclatante.

Je dois avouer que je n’ai jamais compris que l’on puisse revendiquer la république une et indivisible quand on voit simplement les écarts existants, aujourd’hui encore en 2018, entre les différentes parties de la métropole (et on oublie l’outre-mer), quand on gomme que cette unité a été imposée par la force et la violence et qu’elle n’a été assurée qu’après 1870, enfin qu’elle a été liée au nationalisme le plus étroit, pendant les guerres napoléoniennes d’abord, avant de s’illustrer dans les tranchées de 1914-1918. J’ai toujours eu du mal à concevoir que la gauche intellectuelle justifie cette confusion entre république et nation, d’autant que tous les pays voisins, quand même en démocratie, vivent, plus ou moins bien certes, avec des régions autonomes, que ce soit en Espagne, en Allemagne, en Suisse, en Belgique ou au Royaume-Uni, la liste pourrait être prolongée. Il faudrait s’interroger sur notre crispation nationale à ne pas tolérer qu’une atteinte soit portée, dans les paroles, à cette unicité nationale proclamée qui fait que nous réclamons sans cesse une centralisation du pouvoir « régalien » pour garantir cette prétendue égalité uniforme[5]. Peut-on s’en contenter ?

Le peuple du film est réduit ici à la portion congrue : des familles d’artisans et de manœuvres, autour desquelles s’agrègent des enfants mendiants et un vagabond petit délinquant. Au sens strict, cela renvoie aux définitions courantes du sans-culotte personnage né peu à peu après 1791-1792 pour désigner le peuple parisien porteur de revendications révolutionnaires sociales. En face, si on peut dire, il n’y a guère que les députés, emperruqués (sauf Marat), parlant dans les assemblées, sans que rien ne soit montré de leurs vies, de leurs liens ou de leurs distances avec « le peuple » et plus loin, le roi, immuable, toutes décorations dehors, la reine poudrée, coquette et méprisante. Ici et là quelques belles dames sont aperçues dans les tribunes de l’assemblée, comme une ou deux sont visibles brièvement dans la marche sur Versailles.

Ce dispositif pose de redoutables problèmes. Que « le peuple » soit au cœur de la Révolution est une évidence, mais encore faut-il savoir de quoi on parle et pourquoi, accessoirement, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en 1789, n’évoque « le peuple » que pour rappeler qu’il s’exprime par ses représentants et qu’il existe en tant que « nation » ou « société » réglée par la « volonté générale » (articles trois, quatre et six notamment). En 1793, la Déclaration des Droits est ouverte et fermée au nom du « peuple » mais en liens étroits avec le « gouvernement ». Celui-ci est « institué » (article un) pour garantir les droits de l’homme, sans que l’on sache bien comment la délégation est organisée. Quant à l’article ultime (article XXXV) « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque fraction du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs », reste que le droit à l’insurrection, comme souvent dit, est suspendu à la reconnaissance du viol des droits par le gouvernement ! L’hypothèse est hautement improbable et d’autant moins envisageable que la constitution de 1793 fut suspendue après son acceptation et resta inappliquée par le gouvernement qui s’institua « révolutionnaire » en décembre 1793 supprimant toutes les élections et toutes les représentations !

La fracture entre « peuple » et représentants est marquée tout au long du film. Entre ceux qui parlent et ceux qui écoutent, ceux qui agissent et ceux qui discutent, le fossé semble irrémédiable, sauf à penser que Marat fait un lien, ce que l’outrance vestimentaire interdit. Les députés sont pratiquement tous, Robespierre sans doute moins que les autres, empêtrés dans leurs atours, accablés par leurs perruques. On voit mal comment peuple et députés se rapprocheraient.

Cette présentation est loin de ce qui s’est effectivement passé. Certes Robespierre vivait dans un certain retirement, ce qui ne l’empêcha pas d’être proche d’un grand meneur sans-culotte Lazowski, d’avoir des « gardes du corps » venus des sections, d’être, comme d’autres dont Hébert, sans-culotte notoire, l’idole du « peuple » parisien, dont les femmes. Danton était quant à lui immergé dans son quartier, lié au club des Cordeliers, il avait participé au 14 juillet 1789 avec ses proches, il avait été mêlé aux préparations du 10 août 1792, dont on reparlera, et il avait ses relais immédiats avec la « base » populaire. Le film présente, rapidement, l’imprimeur Momoro qui joua un grand rôle dans les Cordeliers sans que soient précisées autrement sa place et son importance.

Il était certainement délicat de rendre compte de la complexité des rapports sociaux. Comment penser que le riche brasseur Santerre a été un ardent sans-culotte, que le « menuisier » Duplay qui abrita Robespierre était un entrepreneur aisé ? Comment comprendre que les patrons sans-culottes se méfiaient de leurs ouvriers qui réclamaient des hausses de salaire et que, à côté des sans-culottes « canal historique » si l’on peut dire, les Enragés, dont Varlet, déjà évoqué, militaient pour une démocratie directe et pour l’égalité entre femmes et hommes ; contrairement aux députés donc, même si ceux qui sont ici sont couvés par les yeux doux du public. Comment comprendre aussi que le « peuple » parisien se pressait dans les réunions du Cercle social, animées par l’abbé Fauchet et par Condorcet, comme il s’était rendu, contre l’avis des députés, à l’appel des Cordeliers sur le Champ de Mars où il fut fusillé par des gardes nationaux, certes aux ordres de La Fayette, mais issus de la petite bourgeoisie parisienne ? L’oncle s’en désole, il aurait fallu avancer d’un pas.

Avancer d’un pas aussi pour voir qu’entre les gens ordinaires et les députés, un maillage incroyable d’assemblées, de délégations, de comités, d’élections vivifiait toute l’épaisseur de la société. Il n’y eut jamais une coupure entre petites gens et élites politiques, mais continuité compliquée et active. Cette prolifération d’institutions diverses et variées a été étudiée fort bien pour la rive gauche de la Seine par Haïm Burstin, montrant comment des groupes pouvaient s’opposer à leur section, à la commune de Paris et a fortiori aux députés jusqu’en 1794[6]. Des formes de démocratie directe ont été expérimentées suscitant des apprentissages politiques qui nourriront plus tard, entre 1795 et 1799, après 1815, encore en 1830 et 1848 les mouvements « populaires » préparant la république.

Il est ainsi historiquement faux de montrer le départ des insurgés du 10 août 1792 à la lumière d’une torche, partant dans le désordre, quand l’insurrection avait été préparée depuis plusieurs jours par le comité de l’Évêché, que les sections avaient délibéré depuis plusieurs semaines sur la déchéance du roi et que Danton, même Pétion, avaient été mêlés à cette préparation, comme Robespierre d’un peu plus loin. Le 20 juin 1792, l’envahissement de l’Assemblée puis des Tuileries, avait été le fait des sections et des sans-culottes, des femmes et des enfants y avaient participé. L’événement n’est pas cité ici, ce qu’on peut comprendre sans peine. Mais le 10 août est tout autre. On sait en outre que les femmes ne purent pas faire le coup de feu.

Il ne s’agit pas d’un détail érudit. Il s’agit bien de souligner que « le peuple » doit être organisé pour exister, autour de principes, de définitions, de règles, donc d’exclusions. Toute la Révolution a été préoccupée par cette question récurrente qui se traduisit concrètement par la condamnation des « ennemis du peuple » à de nombreuses reprises. La spontanéité révolutionnaire a été l’invention du romantisme.

Accepter les différences

On comprend alors que le réalisateur esquive la difficulté des différenciations sociales qui sont ramenées à l’élémentaire, petites gens/députés/Cour, oubliant l’énorme masse d’une classe « moyenne » et des domestiques et proches des nobles et des riches, participant tous de cette société « métropolitaine » qui marquait alors la capitale. Les étrangers et les provinciaux avaient relevé notamment qu’on ne distinguait guère les maîtresses de leurs servantes, celles-ci portant les robes que celles-là leur avaient données une fois la mode passée, après quelques mois !

On cherche en vain également la présence massive des croyants et du clergé. Une seule femme est montrée se signant frénétiquement. Elle est mise au ban du groupe, d’autant plus aisément que son air renfrogné et son allure compassée l’isolent physiquement des autres femmes aux formes et aux allures généreuses. Faut-il rappeler pourtant que les fameuses dames de la Halle, citée une fois rapidement pour octobre 1789, qui avaient mené la marche sur Versailles malgré la municipalité de Paris et l’opposition des hommes, avaient réclamé et obtenu que Noël 1793 soit fêté religieusement ? Or elles prirent aussi part à la répression conduite contre les femmes « enragées » (autour de Pauline Léon et Claire Lacombe) en septembre 1793, appuyant les motions misogynes des députés et des sans-culottes. Mais les dames de la Halle étaient précisément une force dans Paris, constituées en corporation puissante. Sont-elles du peuple ? de quel peuple ?

Il est ennuyeux de faire croire que le courant déchristianisateur (mot sujet à des réexamens historiographiques actuellement) ait dépassé un noyau réduit de personnes. Si comme René Rémond l’a montré il y a bien longtemps, la Révolution voit naître l’anticléricalisme, reste que Robespierre impose la liberté des cultes, comme l’immortalité de l’âme et mène une politique qui draine autour de l’Être suprême tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’athéisme. Négliger cette dimension ne permet pas de comprendre pourquoi une portion majoritaire de l’opinion se rallie après 1795 au retour du catholicisme romain avant de suivre le concordat voulu par Bonaparte.

Il est tout aussi dommage de montrer Louis XVI décidant d’aller à Paris en signant en tête-à-tête dans son bureau, au calme, sa décision devant le représentant de l’Assemblée constituante dans la nuit du 5 au 6 octobre 1789. Il avait dû recevoir dans la précipitation une délégation de femmes qui avait exigé d’être présentées au roi, qui avait obligé Mounier le président de l’Assemblée à les accompagner. Pendant l’entretien, une déléguée s’était évanouie d’émotion, le roi l’avait réconfortée, lui avait donné un peu d’argent, ce qui avait valu à cette toute jeune fille, au sortir de l’entretien, des accusations sur son honnêteté de la part des autres femmes restées au dehors, au point qu’elle avait dû être soustraite à leur colère !

En gommant toutes ces difficultés, le film assure que l’identité populaire est naturelle, consubstantielle, identifiée aux pauvres – sans doute pas les plus pauvres jamais présentés sauf sous l’image d’enfants isolés. C’est oublier les leçons de Rousseau rappelant que la volonté générale est fondatrice, c’est-à-dire qu’il y a décision d’union, engagement individuel pour faire du collectif et que sans cette assentiment il n’y a pas de peuple constitué. C’est sur ce principe que ceux qui refusent la volonté générale sont exclus et encourent des punitions.

Les débats ont été vifs, depuis deux siècles, sur cette définition du politique, les escamoter en n’abordant la constitution du peuple que sous une dimension instinctive, revient à sortir du « politique » pour bâtir une communauté émotionnelle, incapable de recourir à la représentativité laissée à une élite coupée du reste de la société, incapable sans doute de prendre le recul nécessaire pour que la justice prenne le pas sur la vengeance ?

Ce qui est posé ici est que si la médiation est inévitable, puisqu’il faut des représentants, elle demeure malgré tout illusoire, puisque dans la réalité du terrain, seule compte la proximité charnelle. Dans son précédent film, L’exercice de l’État, le réalisateur avait montré le ministre, torse nu, se livrer à des travaux manuels inattendus à côté de la caravane du chômeur avec lequel il venait de se livrer à des libations désinhibitrices. La confiance dans les vertus du politique n’en sort pas réconfortée.

La sanctification par le sang

Cette régression de la politique réduite à l’adhésion sentimentale s’accompagne enfin d’une légitimation dérangeante de la violence. La fin du film est tout à la fois attendue et surprenante. On connaissait bien entendu le dénouement : l’exécution du roi place de la Révolution, plus tard de la Concorde. Les choses sont en place, y compris le temps pris par le roi pour descendre de la voiture qui l’a conduit avec le confesseur au pied de l’échafaud. Cependant, détail non négligeable, manquent les deux gendarmes assis dans la voiture et dont on connaît l’identité. Leur présence aurait manifesté la force de l’État sur le roi, la crainte d’un enlèvement et l’enjeu considérable de cette mise à mort exceptionnelle, dont les échos durent encore dans toute notre société.

Pourquoi au passage fallait-il donner des chiffres erronés sur le vote des Conventionnels à l’issue du procès du roi ? La marge entre ceux qui votèrent la mort et ceux qui la refusèrent est proche de ce qui est dit, mais pourquoi donc cette approximation ? Alors que les pro et anti alternent à la tribune et sur l’écran, pourquoi gommer les insultes, les crachats et les menaces qui étaient adressés aux députés hostiles à la mort du roi et qui gardèrent, malgré tout, leurs convictions ?

A quelque chose près, les faits bien connus de ce matin du 21 janvier 1793, froid, humide, brumeux, sont respectés. Sauf sur un point essentiel : le public. Si l’on suit les comptes rendus de la journée, Paris avait été littéralement mis sous surveillance depuis la prison du Temple, dans le Marais, jusqu’à la place de la Révolution, une centaine de milliers d’hommes, gardes nationaux, canonniers, soldats, contrôlait toute la rive droite, la circulation était paralysée, le public interdit. Sur la place, quelques dizaines de milliers d’hommes armés avaient été mis en place dès la fin de la nuit. Il ne semble pas possible d’y voir des femmes, des enfants et des vieillards. On sait que des individus réussirent à se procurer des reliques provenant des habits du roi et que certains trempèrent des mouchoirs dans son sang, éventuellement en soudoyant un garde bien placé.

Reste que l’image du sang rejaillissant sur le visage des spectateurs, notamment d’enfants, est une image qui porte une terrible signification : la Révolution pouvait-elle s’accomplir sans cette sanctification par le sang, cette communion mystique dans la mort, la sienne et celle de l’autre, l’égorgement du martyr ? L’allégorie de la sphère en verre parfaite réussie après les tentatives inabouties auparavant, mise en parallèle avec la mort du roi, déconcerte par son simplisme.

Pareille lecture a été imposée par des courants très différents, voire opposés et on s’étonne que ce soit elle qui achève ce film – comme le film Révolution de 1989 cité en introduction se clôturait sur la mort de Robespierre. Relevons que le roi ici meurt avec une constance et une dignité qui avaient été remarquées à l’époque, et ajoutons qu’on ne sait pas si le fameux cri de bête blessée, de Robespierre eut lieu. Le détour est essentiel : les mémoires s’interposent entre les faits et ce que nous en savons.

Les premiers fabricants de la mémoire ont été les Tallien, Fouché, Barras, après août 1794 inventant la Terreur et imposant l’idée toujours partagée que 1789 allait conduire à 1793. Le sang de la Bastille (l’habit rouge des enfants aux pieds nus !) serait donc suivi du sang du roi et des révolutionnaires, tous sacrifiés. Pas de révolution sans sacrifice, ce serait cela aussi que les enfants aspergés du sang acceptent, avant d’aller sur les champs de bataille de Napoléon. C’est la lecture que Joseph de Maistre fait à partir de 1795, théorisant l’expiation de la nation par le sang versé et le rôle incontournable du bourreau. La mort, et le sacré qui s’y attache, donne le sens tragique de la vie, justifiant le peu d’attention porté au politique qui ne se pratique qu’avec ses négociations inévitables, ses compromis et ses compromissions. La guillotine a une évidence qui continue à nous sidérer.

J’ai relevé, à propos d’autres réalisations artistiques, cette sidération qui en est encore et toujours à la base. Le crescendo révolutionnaire qui part de juillet 1789 – merci encore aux républicains de 1880 pour avoir confondu les deux 14 juillet, 1789 et 1790, dans une commémoration habilement ambiguë – ne peut que s’achever les 9-10 thermidor dans l’arrêt de « la Terreur », après que la Révolution a mangé ses enfants, etc. etc. On ne saura jamais ce que Tallien a pu éprouver après avoir baptisé les années 1792-1794 du nom de Terreur. Qui aurait imaginé que le succès serait si complet que personne ne remettrait en cause son dire. Tout le monde y a trouvé son compte : beaucoup étaient excusés d’avoir été subjugués par le « monstre », encore plus nombreux étaient ceux dont la conscience était imprégnée par la notion de sacrifice, héritée du christianisme ainsi que du stoïcisme. Comment vivre sans se sacrifier, ni sans sacrifier ceux qui entravent la justice, le progrès, l’avenir… ? Tallien qui avait précisément su faire le pas de côté pour ne pas être embarqué dans la condamnation de la violence joua sur du velours. Quand cesserons-nous de prolonger sa parole ?

Pour rompre cet enfermement il aurait fallu montrer le roi sous un autre jour. Relevons que la prise de vue est remarquablement faite. Comme le dit l’enfant étonné : le roi est gros. L’acteur n’est sûrement pas le colosse que Louis XVI était – ce qui est rarement rappelé tant on préfère un roi bredouillant, indécis, impuissant (le mot est d’époque) – mais la prise de vue donne cette impression de majesté qui devait certainement naître de la personne du roi, sachant se taire à la Cour comme il savait parler quand il en éprouvait le besoin pour mener sa propre ligne de conduite à sa guise. Qu’il ait échoué dans ses entreprises n’enlève pas les manœuvres dans lesquelles il s’était lancé. Le film oublie ce côté manipulateur en le montrant toujours isolé, muet.

Plus largement, autour du roi, c’est le désert. La reine est coquette, futile, ce qui gomme sa détermination et son engagement proprement contre-révolutionnaires. Les Suisses n’ont eu que ce qu’ils méritaient et le peuple est contre la monarchie. Or la Contre-Révolution a bel et bien existé, les partisans de la royauté, aussi divisés et peu compétents qu’ils furent, pouvaient s’appuyer sur de larges couches de la population, élite et peuple. Ils sont ici, comme dans beaucoup d’autres récits, simplement invisibles, tout comme l’est l’effort monstrueux de mobilisation contre les ennemis présents sur les frontières.

La Révolution est ici réduite aux aspirations de groupes de travailleurs et aux discours des députés. Qui peut comprendre ce qui a eu lieu, qui peut comprendre que les élections de 1795 et 1797 donnèrent une majorité aux royalistes modérés certes, mais royalistes et catholiques ? Quand cessera-t-on de passer sous silence ce qui nous embarrasse dans un récit national qui continue à tourner autour des contre-révolutionnaires comme des ultra-révolutionnaires sans les prendre vraiment en considération ?

Je regrette toujours que l’emploi de la pensée magique pour éviter l’analyse des complexités politiques empêche la compréhension des temps passés comme du présent. Je le regrette encore plus, maintenant, en 2018, en ces temps d’inquiétude devant les terreurs, de commémoration des victimes récentes du terrorisme, d’acceptation de la guerre. Je n’arriverai jamais à accepter que le souvenir de la Révolution entretienne la croyance que l’esprit belliqueux et sacrificateur puisse être une solution politique, je n’y résumerai pas ce film pour autant.

 Jean-Clément Martin

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Dans le souvenir de l’Institut d’Histoire de la Révolution française

_______________

[1] https://catalogue-lumiere.com/mort-de-marat/

[2] Notamment La Révolution française et le cinéma, L’Herminier, 1988.

[3] Article « Mandé royal ».

[4] Je remercie Aurore Chéry pour m’avoir fait profiter de son savoir sur la Cour.

[5] Est-ce un signe de voir que France 2 a diffusé le 25 septembre 2018 « Histoires d’une nation » de F. Davisse et C. Aderhold qui insiste sur la mosaïque française en 1870 ? Coïncidence, titre en première page du Monde du 10 octobre 2018 « Santé : des disparités territoriales préoccupantes ».

[6] H. Burstin, La Révolution à l’œuvre, Champ Vallon, 2005.

 

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“D’Oradour à la Vendée, pour faire le deuil” (2013), par Jean-Clément Martin

01 mercredi Nov 2017

Posted by Claude Guillon in «Articles», «La parole à…»

≈ Commentaires fermés sur “D’Oradour à la Vendée, pour faire le deuil” (2013), par Jean-Clément Martin

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«Colonnes infernales», Jean-Clément Martin, Jean-Marc Ayrault, Oradour-sur-Glane, Religion, Vendée

Comment se fait-il que la mort de civils et d’enfants puisse être ainsi source de recueillement et de réflexion ici et pas ailleurs, au-delà des luttes idéologiques et des enracinements mémoriels comme cela vient d’être effectué à Oradour ? Car des villages français ont, en effet, subi en 1793-1794 de telles atrocités de la part des armées envoyées par la République, sans que la mémoire nationale ne se réunisse aujourd’hui pour accepter cette réalité, pour envisager une réconciliation et un pardon et pour passer au-dessus des enjeux communautaristes. Le cas exemplaire est représenté par les Lucs-sur-Boulogne, commune au nord de La Roche-sur-Yon. Pour ce qu’elle avait subi, elle avait été comparée dans l’immédiat après seconde guerre mondiale à Oradour, certes dans une volonté polémique, mais reconnaissons le, à juste titre, puisque elle avait perdu au moins 500 habitants dont une centaine d’enfants. Indépendamment des discussions érudites qui peuvent se mener sur le nombre exact des victimes et les conditions exactes de leur mort, le massacre du 28 février 1794 est incontestable. Or, ces faits sont, en 2013, rappelés et commémorés par des institutions liées au Conseil général du département dans un mémorial pour la Vendée. Mise en place au lendemain du bicentenaire de la Révolution, cette commémoration porte en elle- même accusation contre la Révolution française prolongeant ainsi deux cents ans de guerre mémorielle autour de la Vendée.

Prenons en acte, mais admettons surtout qu’il serait temps que la paix se fasse et que symboliquement des représentants de l’État français viennent faire le deuil de tous ces événements tragiques qui empoisonnent encore et toujours la mémoire nationale. Il ne s’agit [pas] d’accabler la République actuelle d’une responsabilité qu’elle ne peut pas endosser, ni de renier des principes qui fondent la société française dans sa totalité. Il s’agit simplement de prendre la mesure de ce qui a eu lieu, de reconnaître des drames et de les mettre à leur place dans la trame historique qui compose l’histoire nationale. Il s’agit pas ici d’invoquer un quelconque et hypothétique devoir de mémoire ou de céder à des pressions politiciennes, mais plutôt d’exercer le droit d’inventaire dont les historiens sont investis qui permet, quand il est bien appliqué, que des mémoires opposées puissent panser leurs plaies sans perdre leurs enracinements et leurs cohérences.

Il est grand temps, deux cents après les tueries, que la mémoire française cesse de se fracturer autour de la période révolutionnaire. Pour cela il ne convient pas de se contenter d’amalgames et d’idées simplistes et surtout il est souhaitable qu’on ne s’arrête pas à des déclarations fondées seulement sur l’émotion. Celle-ci est travaillée par le discours politique qui lui donne du sens par son inscription dans le symbolique. La mort des enfants des Lucs doit avoir la même portée que ceux d’Oradour et doit recevoir la même prise en considération par la nation.

En 1993, la ville de Nantes, dont le maire était Jean-Marc Ayrault, avait accordé une reconnaissance aux événements de la guerre de 1793. L’attaque des Vendéens stoppée sur la place Viarmes avait été rappelée au cours d’une cérémonie. Nantes avait également intégré dans sa mémoire les aspects les plus tragiques de la traite des Noirs, au travers d’un colloque et d’une exposition. Pourquoi ne pas penser que l’homme politique qui a su combiner l’articulation des mémoires affrontées, dans l’Ouest, n’engage pas, maintenant, le pays dans une autre approche mémorielle réconciliant les France antagonistes nées depuis 1792-1793, sans rien oublier et sans rien gommer ? A l’évidence nous sommes devant des moments difficiles où l’unité nationale sera mise à l’épreuve, affrontons notre passé et parlons en ensemble, les risques d’éclatement et les surenchères seront au moins limités.

Jean-Clément Martin.

Une des plaques apposées par l’association contre-révolutionnaire “Le Souvenir vendéen”.

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« “Nuit debout” De la prise de parole à la prise de décision : la revanche des femmes », par Christine Fauré

07 samedi Mai 2016

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

≈ Commentaires fermés sur « “Nuit debout” De la prise de parole à la prise de décision : la revanche des femmes », par Christine Fauré

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Éducation, Christine Fauré, Constitutions, Féminisme, Nuit debout, Républicaines révolutionnaires

Le site internet Nouvel Observateur le plus a publié, sur l’heureuse initiative de Rozenn Le Carboulec, à propos du rôle des femmes à “Nuit debout” un texte de l’historienne Christine Fauré, qui resitue les pratiques des féministes participant à cette mobilisation dans l’histoire du droit des femmes depuis la Révolution française.

Je le reprends ci-dessous (on retrouvera les liens, ici soulignés, dans l’original).

*  *  *

À Nuit debout, le 13 avril, le temps de parole décompté entre hommes et femmes est profondément inégalitaire : 86% d’hommes contre 14% de femmes.

Le 21 avril, à la commission féministe, bien sûr l’avantage va aux femmes dans les discussions mais le débat roule sur les questions de fonctionnement : comment articuler les commissions entre elles, quel rythme de réunion adopter, rien de personnel n’est dit, la critique de l’expertise n’est pas à l’ordre du jour et les thématiques retenues flirtent de très près avec la sociologie des mouvements sociaux : les femmes au travail, les femmes migrantes, les femmes rom.

À Nuit debout, on est bien loin
de l'anti-électoralisme de mai 68

Le sérieux de la recherche et le vote à satiété apparaissent comme une garantie démocratique, comme s’il y avait en matière de prise de décision, une revanche à prendre : c’est la révolution revue par le formalisme cognitiviste ; l’anti-électoralisme de mai 68 qui signifiait, outre la stigmatisation des classes politiques en place, le désinvestissement du vote comme processus démocratique, est très loin.

Si les femmes prennent peu la parole, c’est qu’elles ne décident pas ; qu’elles n’ont pas la maîtrise de leur cadre de vie. En l’occurrence, dans ladite commission, le débat prend la forme d’une prise de décision sans cesse réitérée, presque compulsive. Mais cet apprentissage de la démocratie directe n’empêche pas l’émergence de leaders : celles et ceux qui ont le plus parlé. Hier soir, les résistances violentes au séparatisme féministe – dont l’argument principal est : en l’absence de leur oppresseur, les femmes entre elles parlent plus facilement et c’est une des conditions de la libération de leur parole –, ne se sont pas fait sentir. Mais paraît-il, il n’en est pas toujours ainsi depuis le début du mouvement.

À travers ces quelques notations, on comprend que la formule «le personnel est politique», tel que les années 70 l’avait mis en pratique à travers les groupes de parole, tenus dans des appartements, dans des lieux confinés, pas dans l’espace public, est passé de mode ; que cette libération de la subjectivité et de l’histoire individuelle est devenue le signe de la société dominante égotiste et exhibitionniste ; aujourd’hui il suffit d’avoir un cancer pour faire un roman. On comprend aussi que l’écriture d’une nouvelle Constitution qui initiera de nouveaux comportements démocratiques avec la création de nouvelles institutions ne se fera pas sans les femmes, aguerries à la prise de décision.

La disqualification politique des femmes
est devenue irrecevable

La notion de droit des femmes avait vu le jour sous la Révolution française, à partir d’une déception : lorsque les femmes révolutionnaires avaient constaté qu’on ne parlait pas d’elles dans la première Constitution en 1791. Elles avaient pourtant investi à l’instar des hommes les formes consacrées de la parole publique ; elles avaient émis des doléances, signé des pétitions, proclamé des déclarations mais elles étaient certainement trop peu nombreuses à le faire. L’argument du déficit culturel et intellectuel des femmes fut ensuite mis en avant pour justifier leur exclusion de la sphère publique. Elles n’étaient pas capables ou, plus pervers, elles ne voulaient pas se distraire du soin de leur famille.

Aujourd’hui, ces arguments qui ramènent à l’homme tous les bénéfices de la collectivité apparaissent éventés, irrecevables. À l’heure où le niveau supérieur des femmes en matière de résultats scolaires, de diplômes, a souvent été chiffré, la disqualification sociale et politique dont elles restent victimes en fin de course, devient incompréhensible.

L’injustice de l’inégalité entre les sexes sera-t-elle l’objet d’une prochaine révolution ?

Les modèles historiques dont nous disposons, qu’ils soient populistes, socialistes ou libéraux n’ont jamais mis en œuvre un tel bouleversement et s’il y a une nouveauté dans le projet politique de Nuit debout, adossé à la Bourse du travail, c’est de mettre les femmes à la manœuvre dans l’espace public contre la précarité :

«…Féministes issues des luttes du syndicalisme de précaires ou des mouvements sociaux ; …il s’agit de mettre en avant le féminisme dans la lutte de classes et d’intensifier la lutte de classes dans les espaces féministes» (comme le dit le Glumf).

Christine Fauré

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Pour un «89 féminin», la parole à… Hubertine Auclert

07 vendredi Mar 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents», «La parole à…», «Textes de femmes»

≈ Commentaires fermés sur Pour un «89 féminin», la parole à… Hubertine Auclert

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Bastille, Centenaire de 1789, Chaumette, Claire Lacombe, Condorcet, Droit de vote des femmes, Enragé·e·s, Féminisme, Hubertine Auclert, Marat, Sieyès

C’est une métaphore banale des mouvements sociaux — aussi loin que remonte ma propre mémoire militante, et sans doute au-delà — de dire qu’ «il reste des Bastille à prendre !». Il est facile d’imaginer, en ce 8 mars 2014, à quel point ce constat programmatique pouvait être vrai, et singulièrement pour les femmes auxquelles étaient déniée la citoyenneté, il y a cent vingt-cinq ans, alors que la Révolution ne datait « que » de cent ans…

1889, c’était à la fois l’année du centenaire et celle de l’Exposition universelle, à l’occasion de laquelle un industriel eut l’idée saugrenue… de reconstruire la Bastille. Cette extravagante (et commerciale) fantaisie et les discours d’une misogynie bonhomme qu’elle suscitât nous serviront de contrepoint aux articles d’une militante féministe, Hubertine Auclert, qui se réclamait de l’Enragée Claire Lacombe, présidente de la société des Citoyennes républicaines révolutionnaires.

Hubertine_Auclert_1910_(02)

Hubertine Auclert en 1910.

Née en avril 1848, élevée au couvent jusqu’à l’adolescence, Hubertine Auclert sera éveillée à la cause des femmes d’abord par l’observation quotidienne de la brutale domination des hommes sur les femmes, puis par la propagande féministe de Léon Richer ou de Maria Deraismes. Cependant, contrairement à ces partisan(e)s de la réforme, elle fait découler les droits civils des femmes de leurs droits politiques. « J’ai compris, écrit-elle, la nécessité de ressusciter le programme des femmes de la Révolution et d’une partie de celle de 1848 ».

Elle fonde en 1876 la Société du Droit des Femmes. En 1878, elle est écartée, comme trop radicale, par Richer et Deraismes, de la tribune du Congrès international du droit des Femmes, bien qu’ayant fait partie de son comité d’organisation. Elle se rattrape l’année suivante en prononçant à la tribune du Congrès ouvrier socialiste de Marseille un discours sur l’égalité sociale et politique de la femme.

Elle fonde en 1881 le journal La Citoyenne, Journal pour la revendication du suffrage des femmes, dont je tire les articles publiés ci-après, où elle fait — à l’occasion du centenaire de la Révolution — de nombreuses références aux luttes des femmes de 1789 à 1793.

Elle prône la désobéissance civile, puisque « ce serait vainement que les femmes recourraient à l’illégalité masculine (dite légalité) pour conquérir leur place dans la société » (La Citoyenne, n° 19 19 juin 1881). Elle recommande notamment le refus du recensement. En effet…

Pour élire un député il faut cent mille habitants ; les femmes qui ne votent pas devraient naturellement être mises en dehors des habitants exigés pour conférer le mandat législatif. Eh bien ! on les compte, quoiqu’elles ne soient ni représentées, ni représentantes. On les fait servir passivement aux élections parce que leur nombre est utile pour multiplier les sièges législatifs.

(La Citoyenne, n° 44, 12 au 18 décembre 1881, p. 1.)

Après un long séjour en Algérie, dont elle tirera en 1903 un livre intitulé Les Femmes arabes en Algérie[1], elle poursuivra une campagne « suffragiste[2] », multipliant pétitions et opérations spectaculaires (brûlement du Code civil, par exemple). Elle meurt le 4 avril 1914.

Plusieurs années avant le centenaire de 1789, elle évoque l’action des femmes pendant la Révolution — notamment celle de Rose (sic) Lacombe —, et la manière méprisante dont « l’autocrate Chaumette » les renvoya dans leurs foyers :

C’est avec ces paroles injurieuses que l’on a tué chez nos mères l’amour de la liberté et, comme si cette faute n’avait pas été suffisamment expiée par un siècle de réaction, beaucoup de républicains d’aujourd’hui, suivant les races de Chaumette, ferment la porte de leurs réunions aux femmes pour s’épargner l’embarras de répondre à leurs réclamations.

(La Citoyenne, n° 95, avril 1885, p. 3.)

La préparation du centenaire donne à Hubertine Auclert l’occasion de moquer les politiciens de son temps et de réclamer une nouvelle déclaration des droits :

Pour que l’anniversaire de notre grande époque puisse réunir toute la nation dans les mêmes transports d’allégresse, il faut qu’avec la déclaration des droits de l’homme, la déclaration des droits de la femme soit célébrée en 1889.

(La Citoyenne, n° 123, août 1887, p. 1.) Je donne ci-dessous de larges extraits de cet article.

Enfin, l’année du centenaire, Hubertine publie un long article intitulé « Le Quatre-vingt-neuf des femmes » (La Citoyenne, n° 145, juin 1889, p. 1, dont je reproduis ci-après l’intégralité). Elle y dénonce « l’aristocratie de sexe qui s’est substituée à l’aristocratie de caste ». « Les femmes n’ont pas à fêter le 89 masculin, écrit-elle, elles ont à faire un 89 féminin. »

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La Fédération de 1889 et les femmes [extraits]

Des députés, sénateurs, conseillers généraux et municipaux ont adressé à tous les républicains de France (pas aux républicaines) un appel pour les engager à former des comités en vue d’organiser la Fédération de 1889. L’idée est en elle-même excellente ; mais comment cet appel peut-il affirmer — devant les dix-huit millions de Françaises esclaves — que la Révolution, “c’est la rupture de toutes les chaînes” ; que la révolution, “c’est la loi faite et consentie par tous”.

Non, non, non, la loi n’est ni faite ni consentie par tous pendant que les femmes qui forment plus de la moitié de la nation, ne sont ni électrices ni législatrices. Au lieu de vous mentir à vous-mêmes et de mentir aux autres, messieurs les législateurs, avouez donc que si la Révolution a émancipé l’homme et a fait œuvre de don-quichottisme à l’extérieur, elle a fait preuve à l’intérieur de despotisme maladroit, en conservant le servage pour les femmes. Vous, qui vous nommez “les fidèles à la révolution”, êtes-vous prêts à réparer cette faute qui entrave, depuis un siècle, la marche en avant de l’humanité ?

Les organisateurs de la Fédération qui se recommandent de Condorcet, qui a en 1789 réclamé les droits politiques pour la femme, ne se montrent pas, dans leur manifeste, meilleurs pour nous que le Code qui, au titre V, du Mariage, demande tout comme eux “la protection pour la femme”.

Nous savons ce que vaut la protection du maître pour l’esclave. Les femmes remplissent les devoirs, elles supportent les charges sociales ; ce qu’il leur faut, c’est le droit commun.

Les “fils de la Révolution” qui, après un siècle écoulé, n’osent pas même affirmer le principe d’égalité humaine proclamé par Condorcet, Sieyès, Marat, l’abbé Fauchet, etc. en 1789, sont des fils singulièrement dégénérés.

Pour obtenir le perfectionnement de la race chez les animaux, les hommes améliorent les conditions d’existence de la femelle ; mais, quand il s’agit de l’élévation morale de la race humaine, ils paraissent oublier que la femme entre en ligne de compte. Ils la laissent dans l’abaissement, et ils sont tout surpris que les fils de cette soumise demandent un maître. Comme si, pendant que la femme est assujettie, les enfants qu’elle met au monde pouvaient être des hommes libres. […]

Le plus sûr moyen de garantir la liberté de l’homme, la meilleure manière d’honorer nos pères de la révolution, c’est de faire des dix-huit millions de serves françaises dix-huit millions de citoyennes. […]

Pour que l’anniversaire de notre grande époque puisse réunir toute la nation dans les mêmes transports d’allégresse, il faut qu’avec la déclaration des droits de l’homme, la déclaration des droits de la femme soit célébrée en 1889.

* * *

Le Quatre-vingt-neuf des femmes

[in extenso]

Dans les fêtes multiples du Centenaire célébrant successivement les journées mémorables qui ont donné le droit et la liberté aux hommes, les femmes sont obligées d’avoir une singulière attitude. Peuvent-elles — elles encore assujetties — s’associer de cœur aux manifestations publiques faites pour honorer une Révolution qui est loin d’avoir, comme on le proclame, aboli les privilèges, rompu les chaînes, investi chacun de pouvoirs souverains, puisque la moitié de la nation — les femmes — est esclave et destituée de tous droits et avantages sociaux.

Les femmes n’ont pas à fêter le 89 masculin ; elles ont à faire un 89 féminin.

Il faut qu’elles mettent à profit les congrès pour se concerter, s’entendre, organiser le mou­vement féministe dans les départements en vue de poursuivre par tous les moyens l’émancipation de leur sexe.

Pendant que nous sommes hors du droit commun, qu’on ne nous parle pas de manifester ! L’ombre de nos aïeules qui ont, il y a un siècle, bataillé comme nous bataillons pour l’affranchissement des femmes, serait offensée si nous, leurs continuatrices, nous pouvions songer à célébrer une Révolution où les femmes furent, pour avoir réclamé leurs droits auprès du Conseil Général de la Commune, traitées par le procureur général Chaumette « d’êtres dégradées ».

Nous ne pouvons oublier que la Convention ferma les clubs des femmes et défendit insolemment aux femmes de se réunir pour s’occuper des affaires publiques.

Aux anniversaires d’une époque que les femmes ont contribué à faire grande, nous ne pouvons que protester contre l’aristocratie de sexe, qui s’est substituée à l’aristocratie de caste : aristocratie de sexe, qui a exclu la femme de l’organisation de cette Exposition[3], où son travail — dont les hommes s’attribueront le mérite — tiendra une si grande place.

Fêter la Révolution bâtarde, qui nous a mises, nous, moitié de l’humanité, hors l’humanité, serait un non-sens. A-t-on idée de Français patriotes s’unissant aux Prussiens pour célébrer l’anniversaire de Sedan ? Cette défaite matérielle a cependant eu sur la vie et la condition des Français bien moins d’influence que la défaite morale de notre sexe en 1789.

Si les femmes, qui demandaient avec tant d’insistance leur admission aux États Généraux, avaient été émancipées en même temps que l’homme, voit-on combien toute l’humanité, marchant de front, serait aujourd’hui plus avancée ?

L’homme n’a pu garder, en égoïste, pour lui seul, le bénéfice des conquêtes, faites de compte à demi avec la femme, sans se rendre impuissant à jouir de ces conquêtes. L’homme n’a pu exclure la femme des bienfaits de la Révolution sans stériliser l’œuvre de la Révolution.

La faute commise doit être réparée : nos gouvernants, qui n’ont eu ni le courage ni la générosité de compléter pour l’anniversaire de la Révolution l’œuvre de la Révolution, en faisant des dix-huit millions de Françaises esclaves dix-huit millions de Françaises citoyennes, doivent au moins manifester leur intention de réparer l’iniquité commise envers les femmes en leur donnant des gages de l’assurance qu’elles auront l’égalité légale prochainement.

Ainsi dans les fêtes du Centenaire, on va distribuer des croix à profusion. Nous n’attachons personnellement pas d’importance à ces hochets ; mais nous sommes obligés de reconnaître que, pour la généralité des humains, la décoration donne du prestige à qui l’obtient. La femme, ayant pour se faire sa place au soleil tant à lutter contre les préjugés, ne doit pas dédaigner de faire consacrer son mérite par une distinction honorifique.

Toutes nos femmes médecins qui ont dû surmonter des difficultés si grandes pour obtenir leur diplôme de docteur mériteraient d’être décorées, l’une d’elles au moins devrait l’être pour son dévouement aux pauvres, Mme Rosa Perrée.

Malgré sa nombreuse clientèle et ses soins gratuits aux malheureux, Mme Rosa Perrée étudie, cherche le moyen de soulager les maux humains ; ses efforts sont couronnés de succès ; elle a, à notre connaissance, ressuscité des malades condamnés par nos professeurs les plus distingués.

Beaucoup d’autres femmes méritent d’être décorées. Il sera de bonne politique, pendant cette année de fêtes pour l’homme affranchi, de donner aux femmes opprimées, avec quelques bribes de justice, la garantie qu’un soleil prochain éclairera une complète et véritable délivrance humaine : un quatre-vingt-neuf féminin !

* * *

Bibliographie

— Outre la biographie en anglais, et le livre sur les femmes algériennes, déjà cités, des recueils ont été publiés : Hubertine Auclert La Citoyenne 1848-1914, présentation d’Édith Taïeb, Syros, 1982 (certainement épuisé), et Hubertine Auclert pionnière du féminisme, préface de Geneviève Fraisse et présentation de Steven C. Hause (le biographe), Bleu autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule, 2007.

— Les curieuses, chercheuses et étudiantes « de tout les sexes », comme l’on disait durant la Révolution[4], trouveront à la Bibliothèque Marguerite Durand (voir lien dans la colonne de gauche) une riche documentation sur Hubertine Auclert, et le mouvement féministe en général.

— Il existe un Centre Hubertine Auclert, associé à la Région Ile-de-France. Il se définit comme un « espace d’information et d’expertise dont l’objectif est de promouvoir une culture de l’égalité entre femmes et hommes ».

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Une nouvelle Bastille

L’une des curiosités de l’Exposition universelle de 1889 est une reconstitution à l’identique de la forteresse de la Bastille et de la rue Saint-Antoine. Commencés le 5 avril 1887, les travaux durent deux ans. Il s’agit d’une construction en dur, et non d’un décor en bois. L’ensemble n’a pas trouvé place dans l’enceinte même de l’Expo, du fait de sa taille d’abord, et peut-être aussi à cause de difficultés « diplomatiques », la célèbre forteresse-prison rappelant fâcheusement aux yeux de certains exposants étrangers la concomitance entre l’Exposition et le centenaire de la Révolution. Pourtant, comme on en jugera par les détails donnés par la revue Les Chantiers de l’Exposition universelle de 1889 (n° 26, 15 au 31 mai 1888, p. 212), la coloration « sans-culotte », voire « patriote » est extrêmement ténue  : Lire la suite →

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Hommage à Clément Méric

06 jeudi Juin 2013

Posted by Claude Guillon in «Articles», «La parole à…»

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Daniel Guérin, Lutte des classes, Robespierre

Méric Blog

Je donne ici, en hommage à Clément Méric, jeune militant libertaire et antifasciste, assassiné à Paris le 5 juin 2013 par des néo-nazis, des extraits d’un article paru sur le blog « Pensée radicale en construction ». L’auteur de l’article avait rencontré Clément dans le cadre d’une recherche sociologique sur les étudiants de Sciences Po.

La vision de l’histoire de Clément Méric se focalisait essentiellement sur des dynamiques profondes, en termes de rapports de classes et de capitalisme. La Révolution française, par exemple, est pour lui une révolution bourgeoise (y compris dans sa phase robespierriste), freinée par un important mouvement prolétarien en gestation, finalement écrasé. La répression du mouvement prolétarien aurait débouché ensuite sur l’hégémonie de classe de la bourgeoisie et sur la mise en place de la société industrielle-capitaliste en France.

La vision de l’histoire de Clément Méric s’inspire de celle de son maître à penser dans ce domaine, Daniel Guérin, figure de proue de l’anarcho-communisme marxien. Il venait d’ailleurs de finir La Révolution et nous du même auteur au moment de notre entretien. Un courant auquel se rattache sans aucun doute Clément Méric, ancien militant anarcho-syndicaliste à Brest (CNT), qui manie des concepts anarchistes comme des concepts marxiens (« bourgeoisie », « rapports de classe ») tout en restant profondément anarchiste. Les lectures de Clément Méric, d’un abrégé du Capital de Marx à Daniel Guérin en passant par Orwell, témoignent de son rattachement au courant anarchiste marxien. […]

Clément Méric explique qu’en dépit d’une certaine tolérance libérale, Sciences Po formate quand même ses étudiants. Il prend l’exemple de l’histoire de l’épisode révolutionnaire de 1789-1795 en 1 ere année, et explique qu’elle n’est “pas du tout impartiale”, puisqu’il n’y a “rien sur les sans-culottes et les mouvements populaires, à peine deux mots sur l’an II et l’an III, et pas un mot critique sur Napoléon”. Pour Jean-François Chanet*, Robespierre, “c’est ce qu’il y a de plus à gauche. Il ne dit rien sur les mouvements de gauche pré-prolétariens”.

 * Professeur d’histoire contemporaine à Science Po.

Couv Guérin Révo & nous

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La parole à… Joseph Déjacque

20 lundi Mai 2013

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

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Anarchisme, Démocratie directe, Féminisme

Joseph Déjacque est né en 1822 à Paris. Il y exercera la profession de commis de vente de papiers peints, avec un intermède, si l’on ose dire, dans la marine de guerre, en Orient, entre 1841 et 1843. À partir de 1847, il est peintre en bâtiment et colleur de papiers peints.

Il prend part aux combats de février 1848, publie son premier texte politique (en vers) et fréquente les clubs dont le club féministe animé par Pauline Roland et Jeanne Deroin. Arrêté il est déporté sur les pontons de Cherbourg puis de Brest, où il reste environ un an.

Condamné à deux ans de prison en 1851, il gagne Londres, où il sera rejoint par Gustave Lefrançais (dont il faut lire les passionnants Souvenirs d’un révolutionnaire, réédités en 2009 aux Éditions Ressouvenances.

Au printemps 1854, il s’embarque pour New York, qu’il quitte l’année suivante pour la Nouvelle-Orléans. Il écrit en 1857 l’Humanisphère, utopie anarchique et publie une lettre à Proudhon dont je donnerai des extraits ci-après. En 1858, il entreprend la publication du Libertaire, journal du mouvement social, dans lequel il publie l’Humanisphère en feuilleton, et dont le dernier numéro paraît en février 1861.

Profitant de l’amnistie de 1860, Déjacque rentre en France. Selon Gustave Lefrançais, « Déjacque est mort fou de misère à Paris en 1864 » (note p. 185 de la réédition de 1972 des Souvenirs). Déjacque a 42 ans.

Libertaire — il est l’auteur du néologisme (voir plus loin) —, partisan d’une forme de démocratie directe, il est aussi très inspiré par l’œuvre de Fourier, et comme lui attaché à l’émancipation des femmes.

 Les éditions Champ Libre ont publié, dans les années 1970, sous le titre À bas les chefs ! au moins deux éditions successives d’un recueil de textes de Déjacque (en illustration, la couverture de la première édition). Les textes — dont l’intégralité de l’Humanisphère — sont établis et présentés par Valentin Pelosse. Les responsables des éditions Ivrea ont négligé de répondre au courriel par lequel je leur demandais s’ils prévoient une réédition de ce classique épuisé. Une édition intégrale des textes n’occuperait d’ailleurs pas un volume beaucoup plus important.

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Notons que l’on trouve sur Gallica et sur Archives.org une version — tronquée à l’origine — de l’Humanisphère, publiée à Bruxelles, en 1899, dans la « Bibliothèque des Temps Nouveaux » (le nom de l’auteur est orthographié «Dejacques»).

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Addenda

Un correspondant, plus au fait que moi de la diffusion des textes de Déjacque, me signale leur mise en ligne sur un site dédié, auquel je renvoie donc en priorité lectrices et lecteurs curieux.

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Sur la démocratie ou « législation directe »

Extrait de La Question révolutionnaire, New York, 1854, 64 p.

 Je crois donc qu’à la prochaine prise d’armes de la démocratie sociale, la législation directe pourra être et sera décrétée par le peuple de Paris sur ses barricades et acclamée ensuite par le peuple des départements. La voici formulée par articles, telle que je l’ai comprise. […]

ARTICLE PREMIER : La souveraineté réside dans l’universalité du peuple, sans distinction d’âge ni de sexe.

Elle est directe, imprescriptible, inaliénable. […]

Maintenant,  afin d’être plus clair et de mieux faire comprendre toute ma pensée, je vais donner quelques développements aux articles qui le comportent.

ARTICLE PREMIER : Voyons, raisonnons un peu : Fixerez-vous à vingt et un ans l’âge de majorité ? Mais est-ce que tel homme de vingt ans ne peut pas avoir les facultés aussi développées que tel autre de vingt et un ans ? Est-ce- qu’il n’est pas son égal, humainement parlant ? Le fixerez-vous à vingt ans ? Est-ce qu’il n’en est pas de même pour celui de dix-neuf et ainsi pour les autres ? Pour être conséquent, il nous faudrait aussi fixer l’âge où le vieillard, perdant de ses facultés et retombant en enfance, ne devra plus voter ; établir des catégories de capacités ; chasser des comices législatifs ceux qui ne savent pas lire ou ceux qui, sachant lire, ne savent pas ou savent peu discuter. Est-ce que par hasard les enfants à la mamelle réclameront un bulletin de vote ? Et — dans cette société, vieille de civilisation, où l’on rencontre encore, debout et galvanisée par la pile électrique du capital, l’institution fossile de la famille — eh bien, si, pour les enfants d’un autre âge, le père exerce une influence désastreuse, est-ce que, sur d’autres enfants, un autre père ne pourra pas exercer une influence contraire ? Est-ce qu’il n’y aura pas là une sorte de compensation ? Nierez-vous le droit de la femme ? Mais la femme est un être humain comme l’homme. Ah! si les bourgeois de 89 ont fait la Révolution à leur profit et à l’exclusion des prolétaires — prolétaires, voudriez-vous accomplir la même faute, commettre le même crime en faisant la révolution au profit des hommes et à l’exclusion des femmes ? Non, sans doute, car alors vous seriez, en aveuglement et en infamie, l’égal de vos maîtres. Et le voleur et l’assassin même, et le fou, leur ravirez-vous le droit au vote ? Mais au nom de quel principe ? Est-ce au nom de la liberté, au nom de l’égalité, au nom de la fraternité, dites ? — Éliminer des listes législatives le galérien, l’homme le plus autorisé à se plaindre de la société, n’est-ce pas appeler bientôt le tour du prolétaire, cet autre forçat du travail ? Éliminer le fou, n’est-ce pas appeler bientôt aussi le tour du libre penseur sous prétexte d’opinions subversives ? Eh ! qu’est-ce donc, après tout, que quelques bulletins de plus dans l’urne ? Que font quelques gouttes d’eau, un fleuve même au niveau de l’Océan ?… Fixer un âge, une condition quelconque à l’exercice de la souveraineté, c’est restaurer l’arbitraire sur ses affûts, c’est ouvrir la brèche à toutes les restrictions : ce sont les six mois de domicile de la Constituante qui ont amené fatalement la loi du 31 mai*.

Pas de milieu : Le principe de la souveraineté du peuple est bon ou il est mauvais ; s’il est mauvais, pourquoi en prendre le masque, alors que nous n’aurions plus qu’à le fouler aux pieds, à sortir le droit divin de son puits et à nous mirer dans sa légitimité ? Si, au contraire, il est bon, il faut l’affirmer dans son entier, ne pas l’estropier, le prendre avec tous ses membres, accepter ses conséquences logiques sous peine de nier le tout en niant une partie. L’amputer, c’est le tuer.

Et maintenant, parlera-t-on de l’impossibilité ? L’impossibilité… en 1847 ne le disait-on pas aussi du suffrage universel : 1848 est venu, et le suffrage universel a fonctionné ; il en sera de même de la législation directe.

[* La Constitution de 1848 excluait du suffrage «universel» les hommes résidant dans leur circonscription depuis moins de 6 mois. «Aux élections complémentaires du 10 mars 1850, à Paris, écrit V. Pelosse, l’électorat petit-bourgeois déçu s’allia au prolétariat pour élire des candidats social-démocrates.» La loi du 31 mai 1850, qu’évoque Déjacque, porta à trois ans l’exigence de résidence, ce qui permit d’exclure du suffrage plusieurs millions d’ouvriers, contraints à la mobilité et dépendants des attestations de leurs patrons.]

 

Extrait du Libertaire, 18 août 1859.

 À vrai dire, ce n’est pas positivement de la législation que fera le peuple, puisque ses décisions, ses votes ne seront qu’éphémères, et que l’idée de législation entraîne avec soi une certaine idée d’immuabilité, la loi naturelle, la loi innée — contrairement à la loi arbitraire, à la loi de fabrication humaine — étant immuable en son principe. La dénomination de dictature directe et universelle, sans être beaucoup plus correcte, eût peut-être mieux convenue. Car je n’entends pas que le peuple soit convié à faire une constitution, ni un Code civil, ni un Code pénal, mais à formuler trois ou quatre principes fondamentaux, qui serviraient de liens à toutes les communes fédérées et à décréter au fur et à mesure, dans chaque commune, les mesures de salut public exigées par les nécessités du moment.

 

Sur la libération des femmes, nécessaire à celle des hommes… et contre Proudhon

En mai 1857, à La Nouvelle-Orléans, Déjacque publie — sous la forme d’une brochure de 11 pages — une lettre à P.-J. Proudhon intitulé De l’Être Humain mâle et femelle. V. Pelosse en a publié de larges extraits en note du recueil À bas les chefs ! Le texte est également disponible dans le numéro 28 de la revue Agone (2003), « Lutte des sexes et lutte des classes » (ainsi que sur le site de la revue).

J’en profite pour signaler le texte de Pelosse « Joseph Déjacque et la création du néologisme « libertaire » (1857) » de Valentin Pelosse, également disponible sur le Net. 

« Du fond de la Louisiane où m’a déporté le flux et le reflux de l’exil, j’ai pu lire dans un journal des États-Unis, la Revue de l’Ouest, un fragment de correspondance entre vous, P.-J. Proudhon, et une dame d’Héricourt. Les quelques mots de Mme d’Héricourt cités par ce journal me font craindre que l’antagonisme féminin ne soit pas de force — polémiquement parlant —, à lutter avec son brutal et masculin adversaire. […]

J’aimerais à voir traiter cette question de l’émancipation de la femme, par une femme ayant beaucoup aimé, et diversement aimé, et qui, par sa vie passée, tînt de l’aristocratie et du prolétariat, du prolétariat surtout ; car la femme de la mansarde est plus à même de pénétrer par la vue et par la pensée au sein de la vie luxueuse, officielle ou secrète, de la grande dame, que la femme de salon n’est capable d’entrevoir la vie de privation, apparente ou cachée, de la fille du peuple.

Cependant, à défaut de cette autre Madeleine répandant les fécondes rosées de son cœur aux pieds de l’Humanité crucifiée et battant de l’âme vers un monde meilleur ;  à défaut de cette voix de civilisée repentie, croyante de l’Harmonie, fille anarchique ; à défaut de cette femme abjurant hautement et publiquement tous les préjugés de sexe et de race, de lois et de mœurs qui nous rattachent encore au monde antérieur ; eh bien ! moi, être humain du sexe mâle, je vais essayer de traiter envers vous et contre vous, Aliboron*-Proudhon, cette question de l’émancipation de l’être humain des deux sexes.

[*Aliboron : l’âne dans les fables de La Fontaine]

Est-il vraiment possible, célèbre publiciste, que sous votre peau de lion se trouvent tant d’âneries ? […]

Autre Jeanne d’Arc du genre masculin, qui, dit-on, avez pendant quarante ans gardé intacte votre virginité, les macérations de l’amour ont ulcéré votre cœur ; de jalouses rancunes en dégouttent ; vous criez : “Guerre aux femmes !” comme la Pucelle d’Orléans criait : “Guerre aux Anglais !” — Les Anglais l’ont brûlée vive… Les femmes ont fait de vous un mari, ô saint homme, longtemps vierge et toujours martyr !

Tenez, père Proudhon, voulez-vous que je vous le dise : quand vous parlez des femmes, vous me faites l’effet d’un collégien qui en cause bien haut et bien fort, à tort et à travers, et qui, comme ses adolescents auditeurs, n’en sait pas le plus petit mot. […]

Je cite vos paroles “Non, Madame, vous ne connaissez rien à votre sexe ; vous ne savez pas le premier mot de la question que vous et vos honorables ligueuses agitez avec tant de bruit et si peu de succès. Et si vous ne la comprenez point, cette question ; si, dans les huit pages de réponses que vous avez faites à ma lettre, il y a quarante paralogismes, cela tient précisément, comme je vous l’ai dit, à votre infirmité sexuelle. J’entends par ce mot, dont l’exactitude n’est peut-être pas irréprochable, la qualité de votre entendement, qui ne vous permet de saisir le rapport des choses qu’autant que nous, hommes, vous le faisons toucher du doigt. Il y a chez vous au cerveau comme dans le ventre, certain organe incapable par lui-même de vaincre son inertie native, et que l’esprit mâle est seul capable de faire fonctionner, ce à quoi il ne réussit même pas toujours. Tel est, madame, le résultat de mes observations directes et positives : je le livre à votre sagacité obstétricale, et vous laisse à en calculer, pour votre thèse, les conséquences incalculables”.

Mais  — vieux sanglier qui n’êtes qu’un porc — s’il est vrai, comme vous le dites, que la femme ne peut enfanter du cerveau comme du ventre sans le secours de l’homme — et cela est vrai — il est également vrai — la chose est réciproque — que l’homme ne peut produire par la chair comme par l’intelligence sans le secours de la femme. C’est de la logique et de la bonne logique, maître-Madelon-Proudhon, qu’un élève, qui a toujours été, lui aussi, un sujet désobéissant, peut bien vous arracher des mains et vous jeter à la figure.

L’émancipation ou la non-émancipation de la femme, l’émancipation ou la non-émancipation de l’homme : qu’est-ce à dire ? Est-ce que — naturellement — il peut y avoir des droits pour l’un qui ne soient pas des droits pour l’autre ? Est-ce que l’être-humain n’est pas l’être-humain au pluriel comme au singulier, au féminin comme au masculin ? Est-ce que c’est en changer la nature que d’en scinder les sexes ? Et les gouttes de pluie qui tombent du nuage en sont-elles moins des gouttes de pluie, que ces gouttes traversent l’air en petit nombre ou en grand nombre, que leur forme ait telle dimension ou telle autre, telle configuration mâle ou telle configuration femelle?

Mettre la question de l’émancipation de la femme en ligne avec la question de l’émancipation du prolétaire, cet homme-femme, ou pour dire la même chose différemment, cet homme-esclave — chair à sérail ou chair à atelier —, cela se comprend, et c’est révolutionnaire ; mais la mettre en regard et au bas du privilège-homme, oh ! alors, au point de vue du progrès social, c’est dépourvu de sens, c’est réactionnaire. Pour éviter toute équivoque, c’est l’émancipation de l’être-humain qu’il faudrait dire. Dans ces termes, la question est complète ; la poser ainsi c’est la résoudre : l’être-humain, dans ses rotations de chaque jour, gravite de révolution en révolution vers son idéal de perfectibilité, la Liberté. […]

Anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire, vous voulez le libre-échange pour le coton et la chandelle, et vous préconisez des systèmes protecteurs de l’homme contre la femme, dans la circulation des passions humaines ; vous criez contre les hauts barons du capital, et vous voulez réédifier la haute baronnie du mâle sur la vassale femelle ; logicien à besicles, vous voyez l’homme par la lunette qui grossit les objets, et la femme par le verre qui les diminue ; penseur affligé de myopie, vous ne savez distinguer que ce qui vous éborgne dans le présent ou le passé, et vous ne pouvez rien découvrir de ce qui est à hauteur et à distance, ce qui est perspective de l’avenir : vous êtes un infirme !

La femme, sachez-le, est le mobile de l’homme comme l’homme est le mobile de la femme. Il n’est pas une idée, dans votre difforme cervelle comme dans la cervelle des autres hommes qui n’ait été fécondée par la femme ; pas une action de votre bras ou de votre intelligence qui n’ait eu en vue de vous faire remarquer de la femme, de lui plaire, même ce qui en paraît le plus éloigné, même vos insultes. Tout ce que l’homme a fait de beau, tout ce que l’homme a produit de grand, tous les chefs-d’œuvre de l’art et de l’industrie, les découvertes de la science, les titanesques escalades de l’homme vers l’inconnu, toutes les conquêtes comme toutes les aspirations du génie mâle sont dues à la femme qui les lui a imposées, à lui, chevalier, comme reine du tournoi, en échange d’un bout de faveur ou d’un doux sourire. Tout l’héroïsme du mâle, toute sa valeur physique et morale lui vient de cet amour. Sans la femme, il ramperait encore à plat ventre ou à quatre pattes il brouterait encore l’herbe ou les racines ; il serait pareil en intelligence au bœuf, à la brute ; il n’est quelque chose de supérieur que parce que la femme lui a dit : soit ! c’est sa volonté à elle qui l’a créé, lui, ce qu’il est aujourd’hui, et c’est pour satisfaire aux sublimes exigences de l’âme féminine qu’il a tenté d’accomplir les plus sublimes choses ! […]

 Et cependant vous avez, vous, personnellement, je le reconnais, fourni de formidables coups de boutoir au service de la Révolution. Vous avez entaillé jusqu’à la moelle le tronc séculaire de la propriété et vous en avez fait voler au loin les éclats ; vous avez dépouillé la chose de son écorce et vous l’avez exposée dans sa nudité aux regards des prolétaires ; vous avez fait craquer et tomber sur votre passage, ainsi que des branches sèches ou des feuilles mortes, les impuissantes repousses autoritaires, les théories renouvelées des Grecs des socialistes constitutionnels, la vôtre comprise ; vous avez entraîné avec vous, dans une course à fond de train à travers les sinuosités de l’avenir, toute la meute des appétits physiques et moraux. Vous avez fait du chemin, vous en avez fait faire aux autres ; vous êtes las, vous voudriez vous reposer ; mais les voix de la logique sont là qui vous obligent à poursuivre vos déductions révolutionnaires, à marcher en avant, toujours en avant, sous peine, en dédaignant l’avertissement fatal, de sentir les crocs de ceux qui ont des jambes vous déchirer.

 Soyez donc franchement, entièrement anarchiste, et non pas quart d’anarchiste, huitième d’anarchiste, seizième d’anarchiste, comme on est quart, huitième, seizième, d’agent de change. Poussez jusqu’à l’abolition du contrat, l’abolition non seulement du glaive et du capital, mais de la propriété et de l’autorité sous toutes ses formes. Arrivez-en à la communauté-anarchique, c’est-à-dire l’état social où chacun serait libre de produire et de consommer à volonté et selon sa fantaisie, sans avoir de contrôle à exercer ou à subir de qui que ce soit ou sur qui que ce soit ; où la balance entre la production et la consommation s’établirait naturellement, non plus par la détention préventive et arbitraire aux mains des uns ou des autres, mais par la libre circulation des forces et des besoins de chacun. Les flots humains n’ont que faire de vos digues ; laissez passer les libres marées : chaque jour ne les ramènent-elles pas à leur niveau ?

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La parole à… Georges Darien

14 jeudi Mar 2013

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

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Féminisme

On lira ci-après des extraits du chapitre VI de l’un des plus beaux et des plus violents pamphlets qui ait été écrit en français — La Belle France — rédigé à Londres en 1900 par Georges Darien, et publié à Paris par Pierre-Victor Stock l’année suivante. L’auteur de Biribi, du Voleur et de Bas les cœurs ! accorde une place déterminante à la liberté des femmes dans sa critique d’une république gérant le honteux héritage misogyne de la Révolution de 1789 (voir la formule concernant la Déclaration des droits, que j’ai soulignée). Si les vitupérations contre l’Église romaine ont perdu de leur actualité — dans la seule Europe occidentale —, on notera la modernité (hélas !) de l’analyse du travail domestique féminin. La femme de l’avenir, telle que Darien en évoque les traits, ressemble beaucoup au modèle auquel les militantes de 92 et 93 ont voulu s’identifier : c’est une guerrière.

Périodiquement réédité (et épuisé) le texte se trouve sans trop de difficultés dans le circuit de l’occasion (également sur Gallica et wikisource). On évitera l’édition commise en son temps par M. Jean-François Revel dans la jolie collection « Libertés » qu’il dirigeait chez Jean-Jacques Pauvert, les « libertés » étant ici celles pris par l’éditeur avec le texte de Darien.

Darien Couv

« J’ai tort de dire que la femme est catholique. En dehors de celles qui ne sont point liées, même nominalement, aux dégoûtantes superstitions romaines, il y a en France un certain nombre de femmes intelligentes et courageuses qui rejettent les enseignements de l’Église et ont pour le prêtre tout le mépris qu’il mérite. Ces femmes s’efforcent de se soustraire à l’affreuse domination que l’homme, à la voix du scélérat en soutane, leur a imposée ; elles cherchent à conquérir les libertés qui leur sont nécessaires, ou plutôt à les reconquérir ; car la Française des dernières années du XIXe siècle est fort loin de jouir des franchises que possédait son aïeule du XVIIIe siècle, par exemple. La déclaration des Droits de l’Homme a été une pierre tombale posée sur l’existence de la femme. […]

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