• À PROPOS…

LA RÉVOLUTION ET NOUS

~ le blogue historien de Claude Guillon

LA  RÉVOLUTION  ET  NOUS

Archives de Tag: Alphonse Aulard

Quand Albert Mathiez félicitait Robert Desnos d’avoir donné une gifle à un journaliste («au nom de métèque» [sic]), qui avait insulté Marat et Robespierre (1923)

27 samedi Fév 2021

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Quand Albert Mathiez félicitait Robert Desnos d’avoir donné une gifle à un journaliste («au nom de métèque» [sic]), qui avait insulté Marat et Robespierre (1923)

Étiquettes

Albert Mathiez, Alphonse Aulard, André Breton, Georges de La Fouchardière, Marat, Paul Éluard, Robespierre, Wieland Mayr

D’abord l’article de Wieland Mayr, dans Le Gaulois du 3 mars 1923, qui a déclenché l’ire des surréalistes…

Puis les documents publiés par Georges de La Fouchardière dans L’Œuvre du 15 mars 1923, dont un «procès-verbal» signé par André Breton et Paul Éluard, et non Huard, comme indiqué par erreur (l’adresse indiquée, 3, rue Ordener est bien celle d’Éluard).

Voici maintenant la lettre d’Albert Mathiez, publiée dans la revue surréaliste Littérature (n° 10, mai 1923, p. 9). Le texte en a été republié dans les Annales historiques de la Révolution française (juillet-septembre 1981, n° 245, p. 460).

On notera la (plus que) déplaisante allusion faite par Mathiez au nom du giflé, «ce Mayr, au nom de métèque».

Dijon, 16 mars 1923.

36, Boulevard Carnot.

CITOYEN,

Voulez-vous transmettre à notre ami Desnos toutes nos félicitations pour la gifle dont il a cinglé le visage de l’insulteur de Robespierre. Sans doute ce Mayr, au nom de métèque, ne méritait pas cet honneur, mais il est bon, il est d’une haute moralité, il est d’un exemple à suivre que les lâches qui bafouent nos grands hommes reçoivent de temps en temps une correction publique.

J’espère que le geste de notre ami marquera le réveil de la jeunesse républicaine, la vraie jeunesse qui a le culte de la vérité, la passion de la justice et le saint amour de l’humanité.

Encouragés par notre trop longue patience les muscadins de la banque, de l’écritoire et de l’œillet blanc passent toute retenue. Défendons-nous et montrons à ces beaux-fils que les épiciers, les paysans, les travailleurs qu’ils méprisent en ont assez de leurs moqueries. Cognons dur.

À vous de tout cœur,

A. Mathiez

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Le prolétariat où on ne l’attendait peut-être pas: Écoutez Alphonse Aulard…

12 jeudi Nov 2020

Posted by Claude Guillon in « Sonothèque », «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Le prolétariat où on ne l’attendait peut-être pas: Écoutez Alphonse Aulard…

Étiquettes

Albert Mathiez, Alphonse Aulard, Hébert, Lutte des classes, Prolétariat, Robespierre

On peut écouter sur le site Gallica un court, mais passionnant enregistrement de la voix de l’historien Alphonse Aulard.

Aulard commence par déclarer obsolète l’histoire que je qualifierai «d’admiration» pour tel ou tel personnage (Robespierre, Hébert…), et conclut sur la constatation majeure à laquelle mène un travail sérieux sur les archives…

Il est assez piquant de le voir marcher ainsi sur les brisées de son rival (quoique ancien disciple) Mathiez, même si certaines formulations mériteraient d’être revues.

Ainsi, je ne pense pas que le prolétariat – ici confondu avec «le peuple», sans exigence marxienne de composition socio-professionnelle – se soit borné à «réaliser les idées démocratiques» conçues par d’autres, ce qui n’est déjà pas mal. Le prolétariat a participé, à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire à l’élaboration pratique d’une théorie de la démocratie directe, expression de la souveraineté populaire, que personne n’avait imaginée comme programme révolutionnaire.

Ce n’est pas une fantaisie. […]

Nous nous sommes aperçus que le véritable héros, le véritable acteur, le véritable conducteur de la Révolution française c’était en définitive le peuple français.

Et dans le peuple français, nous nous sommes aperçus également que c’était la classe pauvre, la classe laborieuse, les petits bourgeois, les ouvriers d’usine, le prolétariat en un mot, qui avait réalisé les idées démocratiques élaborées dans un autre milieu, dans un milieu aristocratique et bourgeois. […]

Une fois sur la page de Gallica, cliquez dans le cartouche qui se trouve en haut de page (et non dans celui qui figure juste au-dessus de l’image du disque).

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

«À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

23 vendredi Fév 2018

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur «À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

Étiquettes

Adolphe Willette, Albert Mathiez, Albert Soboul, Alphonse Aulard, Émile Littré, Billaud-Varenne, François Furet, Georges Lefebvre, Guillotine, Henri Wallon, Jacques Guilhaumou, Jean Jaurès, Jean-Clément Martin, Jean-Pierre Faye, Lutte des classes, Maurice Agulhon, Michel Mourre, Mona Ozouf, Mortimer-Ternaux, Robespierre, Terreur, Théophile Leclerc

Le «petit détour» qu’annonce modestement Jean-Clément Martin est en réalité un récapitulatif historiographique fort utile où se manifeste le don de synthèse de l’auteur d’une Nouvelle histoire de la Révolution française (Perrin, 2012).

Je suis seul responsable des illustrations (dont deux caricatures de Willette, et un tee-shirt imaginé par Gil).

 

À la recherche de «la Terreur».

Pour le philosophe Jean-Pierre Faye la formule : «Robespierre régna par la terreur» représente la «version standard de la terreur» opposée aux Droits de l’Homme et du Citoyen de façon mécanique[1]. Pour savoir comment et quand cette «version standard» a pu naître, nous proposons ici une brève excursion dans les traditions historiographiques en privilégiant celle qui se développa à la Sorbonne. L’approche est limitée à la définition et à la chronologie retenues pour parler de «la Terreur».

Commençons cependant par relever que l’imprécision des dates retenues pour parler de «la Terreur» s’est alliée sans peine avec la répétition du jugement. Quelques exemples tirés du passé suffisent pour illustrer le propos. Si l’historien Mortimer-Ternaux (1808-1872) hésite sur la date inaugurale de la terreur avant de la fixer au 20 juin 1792, jour où «l’anarchie» entra dans «l’asile inviolable de Louis XVI», il fait ensuite un récit détaillé des massacres successifs du «règne de la Terreur[2]». Quand l’historien et homme politique de droite Henri Wallon (1812-1904) publie en 1873 son «étude critique» sur la Terreur, il la fait commencer également le 20 juin, et établit d’emblée le lien entre 1793 et la Commune de 1871 [3]. Même le républicain Émile Littré (1801-1881) résume la période ainsi : «La terreur se dit absolument de l’époque de la Révolution française pendant laquelle le tribunal révolutionnaire et l’échafaud furent en permanence[4]», à quoi fait écho, au siècle suivant, le Dictionnaire de Michel Mourre (1928-1977) : «La terreur… était destinée à intimider les “ennemis de la nation”. Elle devait s’identifier au règne de la guillotine, mais elle se manifesta aussi par des mesures économiques draconiennes, telle que la loi du maximum… L’un des aspects les plus horribles de la Terreur fut le vaste système de délation organisé dans toute la France par la Convention elle-même[5]».

Considérons alors la tradition «universitaire» fondée, avec adresse, par le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, Alphonse Aulard (1849-1928). Distinguant entre institutions officielles et réalités empiriques, il estime que si le «gouvernement révolutionnaire» est officiellement installé par le décret du 10 octobre 1793, il a débuté le 10 août 1792 quand l’Assemblée législative a pris en main le gouvernement et nommé les ministres, proposant des distinctions qu’il faut citer. «Le gouvernement révolutionnaire, dans son ensemble, est souvent appelé gouvernement de la Terreur. On appelle aussi Terreur la période où ce gouvernement exista dans toute sa force, ou même on remonte plus haut et on fait commencer la Terreur à la journée du 10 août 1792. On entend aussi par Terreur un système politique qu’on croit découvrir dans la république démocratique. Nous avons vu cependant qu’il n’y a rien de systématique dans la création du gouvernement révolutionnaire […] qu’il se forma empiriquement, au jour le jour [imposé…] par les nécessités successives de la défense nationale […] Mais, s’il n’y eut pas un système de terreur, il y eut bien réellement un régime de terreur» dont la caractéristique serait la suspension des principes de 1789 et qui aurait débuté en août-septembre 1793. Il conclut ainsi que l’usage du mot terreur a été «usuel», notamment le 5 septembre, quand Barère parla de placer «la terreur à l’ordre du jour».

La conclusion qu’il en tire est double. D’une part, «le gouvernement prit une étiquette terroriste, non certes par préférence ou par système, mais pour rassurer les Parisiens […] Dans la pratique, il essaya de faire prévaloir une politique humaine et modérée, mais avec des paroles parfois violentes». Si bien que ces mesures ne sont qu’occasionnelles et opportunistes : dès le 2 Germinal, pour «montrer qu’elle répudiait la Terreur, même comme un système provisoire», la Convention mit «la justice et la probité à l’ordre du jour» et supprima l’armée révolutionnaire[6]». Mais d’autre part, Aulard convient qu’«il n’existait plus aucune liberté quand le gouvernement révolutionnaire fut à son apogée. La moindre opposition exposait un citoyen à l’échafaud, y exposait même une femme.» Ainsi «dans la politique gouvernementale, surtout dans les discours, la terreur fut bien à l’ordre du jour pendant quelque temps[7]».

En rassemblant dans une dizaine de pages les principales mesures répressives prises à partir du printemps 1793 Aulard brouille finalement les jugements. La Terreur fut «effet et moyen du gouvernement révolutionnaire», «gouvernement de circonstance, créé pour le présent, empiriquement et sans système et sans plan», en même temps qu’une institution essentielle pour défendre le pays et porteuse de «préoccupations d’avenir», dont les limites avaient été vues et dénoncées par Danton, Robespierre et Billaud. En postulant l’unité de la Révolution et en n’interrogeant pas l’application des décisions prises, Aulard réussit à faire oublier la question de la réalité de «la Terreur».

Dans cette présentation, les luttes entre factions sont évoquées discrètement pour expliquer comment le courant robespierriste réussit à éliminer les autres, girondins, hébertistes, dantonistes, avant que toutes les mesures prises ne débouchent sur la «dictature de Robespierre[8]». Il n’hésite pas à qualifier de «terroristes» des décrets du comité de Salut public, comme celui qui décide de l’arrestation de Danton et de ses amis et juge que les comités de surveillance furent les agents «les plus violents de la “Terreur”[9]». Quelques années plus tard, Aulard prend des positions plus simples qui lui permettent d’éloigner la révolution en France de celle qui a lieu alors en Russie. Il souligne que la Convention, «tout en prenant des positions terroristes» (adjectif étonnant, le mot n’apparaissant pas avant fin 1794) ne mit pas «formellement la Terreur “à l’ordre du jour”». Si bien que Robespierre «guillotiné comme violent, n’avait jamais voulu faire de la violence un système, ni même un régime[10]».

Jean Jaurès partage cette position. Mais s’il ne dissocie pas «la terreur» de la politique de la Convention, il récuse l’expression «système de terreur» qui, pour lui, relève des arguments des contre-révolutionnaires[11]. Sous cette réserve, il accepte la formule «la terreur à l’ordre du jour» qui rendrait compte de l’existence de l’unité entre le mouvement révolutionnaire et la Convention. Il en conclut que «l’excès de la Terreur devait conduire à l’abolition de la Terreur» quand «la terreur» fut au seul service du gouvernement. Comme Aulard, Jaurès n’identifie pas les principes de 1789 avec le sang répandu.

C’est avec plus de détermination politique, qu’Albert Mathiez (1874-1932), élève, rival et successeur de fait d’Aulard, analyse «la Terreur» comme une «dictature de détresse[12]». Dans une conférence donnée en 1920 intitulée : «Robespierre terroriste[13]» comme dans les fascicules publiés entre 1921 et 1927 qui composeront plus tard La Révolution française, il compare «la Terreur» avec la situation de la France entre 1914 et 1918, lorsqu’elle installe l’état de siège, censure la représentation nationale, la presse et les communications privées, enfin fait comparaître les suspects de trahison devant les cours martiales. En 1920, il relevait que la Cour de cassation aurait réhabilité plus de 2 700 personnes qui avaient été condamnées par erreur pendant la première guerre mondiale, en soulignant que ce chiffre est supérieur à celui des guillotinés à Paris pendant «la Terreur».

Pour lui, celle-ci a été imposée par les Hébertistes le 5 septembre au travers de mesures précises : mise sur pied de l’armée révolutionnaire, organisation de réquisitions dans les campagnes ; elle est devenue permanente après le 17 septembre et le vote de la loi des suspects qui a donné «une impulsion vigoureuse» au gouvernement révolutionnaire[14]. Elle aura duré jusqu’au 9 Thermidor, culminant dans la dictature du comité de Salut public après l’élimination successive des opposants hébertistes et indulgents. Mathiez insiste sur le programme politique du comité élaboré dans le printemps 1794, réunissant la nation sous sa férule et organisant l’éducation, ce qui donne, pour lui, le sens de «la Terreur».

Mais comme il le dit : «La France révolutionnaire n’aurait pas accepté la Terreur si elle n’avait pas été convaincue que la victoire était impossible sans la suppression des libertés[15]», si bien que la victoire de Fleurus, le 26 juin 1794, rend «la Terreur» inutile et insupportable. Elle était justifiée par l’union de tous ceux qui la dirigeaient. Elle est «déshonorée» quand cette union est rompue et qu’elle n’est plus «qu’un vulgaire poignard» saisi par des révolutionnaires «indignes» pour frapper «les meilleurs citoyens», en premier lieu, Robespierre, condamné par ses anciens alliés[16]. À l’évidence, l’expérience de la révolution bolchevique, avec laquelle Mathiez rompt pourtant rapidement, est passée par là[17].

Lorsque Georges Lefebvre (1874-1959) accède à la chaire de la Sorbonne, en 1936, il reprend l’histoire de la Révolution là où Mathiez l’avait laissée, tout en lui donnant une inflexion importante. Ainsi son livre Les Thermidoriens, publié en 1937, s’ouvre-t-il par le rappel de la situation au 9 thermidor. Pour lui, la France est alors sous «la dictature du Comité de salut public» qui, devant «le péril extrême», avait donné au «gouvernement révolutionnaire» «la force qui lui manquait depuis 1789». «La Terreur» était l’expression de la «force coactive» qui avait permis la stabilité, la centralisation et la mobilisation générale du pays. Le succès militaire à l’extérieur comme à l’intérieur du pays allait «détendre les ressorts de la défense révolutionnaire[18]».

La fin de «la Terreur» est inévitable puisque la Convention «répugnait secrètement» à cette dictature et qu’elle pouvait saisir la division survenue entre les membres du comité de Salut public pour s’en débarrasser. L’Assemblée avait supporté que «la Terreur» soit mise à l’ordre du jour en septembre 1793 et que « a grande Terreur» soit imposée en Prairial an II ; mais elle ne «pouvait [pas] pardonner» à Robespierre de «l’avoir décimée» et d’avoir frappé ou inquiété «presque tout le monde[19]».

Ainsi «la Terreur» est-elle comprise comme la réponse légitime et obligée du gouvernement à la demande de «volonté punitive» réclamée par le peuple à l’encontre des comploteurs et des opposants. Alors que de 1789 à 1793, les gouvernants n’avaient ni évité les «effervescences» ni supprimé les menaces qui pèsent sur la Révolution, c’est avec «la crise de 1793 […] qu’ils entreprirent d’organiser la Terreur» pour empêcher le retour des massacres de septembre[20]. Ces phrases, tirées du livre La Révolution française de G. Lefebvre dans l’édition révisée en 1962 par Albert Soboul [1914-1982] alors qu’il occupait la chaire de la Sorbonne, résument bien la ligne que ces deux historiens – le maître et l’élève – défendent dans les années 1950-1960. Pour eux l’urgence poussa à la simplification des procédures judiciaires, à la centralisation de la répression envers les adversaires comme à l’intimidation des récalcitrants, sans que les mesures puissent être toutefois contrôlées par le gouvernement, qui dut laisser beaucoup d’autonomie aux sans-culottes et à ses émissaires. «La Terreur» fut ainsi le moment où «la force coactive» permit la restauration de l’autorité de l’État et l’acceptation des sacrifices indispensables. Quand «la Terreur» devint un pur instrument de gouvernement et se retourna contre les sans-culottes eux-mêmes, que «la grande Terreur» fut instaurée en Prairial, alors que «la victoire révolutionnaire» devenait assurée, le 9 Thermidor mit fin à ce gouvernement d’exception[21].

Il faut peser le sens de l’expression «force coactive» qui, dans une tradition juridique et religieuse, signifie «qui a le droit ou le pouvoir de contraindre». Ainsi l’Église, force coactive, ne pouvant pas infliger de peines, édicte des lois que le Prince applique. En considérant que la Convention fait appliquer ses lois par les districts et les comités révolutionnaires, le «gouvernement révolutionnaire» termine donc «les crises de la Révolution[22]». Cette interprétation supprime les hésitations d’Aulard sur la réalité et l’effectivité de «la Terreur», elle simplifie, en la reprenant, la démonstration de Mathiez et justifie donc la répression tout en reconnaissant que «la passion répressive[23]» allait trop loin et qu’elle s’était appuyée sur des «éléments qui l’étendirent inconsidérément et qui la polluèrent[24]». Elle participe de l’effort que G. Lefebvre avait entamé dès les années 1930 pour donner une vision cohérente, époque par époque, du cours de la Révolution. Cherchant à expliquer la succession des conflits par le choc entre classes sociales ou au moins entre groupes sociaux identifiés, la Révolution était la suite des révolutions aristocratique, paysanne, bourgeoise et enfin sans-culotte.

La synthèse des travaux d’A. Soboul telle qu’elle fut établie en 1982, reprit pour l’essentiel la démonstration mais en durcissant le trait : «La Terreur retrancha de la nation les éléments socialement inassimilables ou ayant lié leur sort à celui de l’aristocratie», elle «contribua à développer le sentiment de la solidarité nationale» et «fut en ce sens un facteur de victoire» après avoir brossé à grands traits l’examen du bilan humain de la période[25].

Les choses seraient simples si dans sa thèse publiée en 1958, A. Soboul n’avait pas, avec un grand souci de précision, établi les faits d’une façon qui conduisaient à d’autres conclusions. En dépouillant de très près les archives et la presse, il montrait que le 5 septembre 1793, lorsque la délégation des sans-culottes et des jacobins était entrée dans la Convention en demandant, avec d’autres réclamations, que la terreur soit mise à l’ordre du jour, «la Convention et le peuple manifestèrent leur désapprobation : la loi devait présider la terreur». La terreur n’était pas évoquée davantage dans le compte rendu de la journée, permettant de conclure que «la terreur légale l’emporte sur l’action directe prônée par les feuilles extrémistes» et annonçant «l’opposition inéluctable entre le Gouvernement révolutionnaire et le mouvement populaire[26]».

Si la demande de terreur fut bien réelle parmi les sans-culottes, la politique menée par la Convention fut donc d’en limiter les effets, d’éliminer les meneurs et d’en récupérer l’élan. Soboul montre ainsi l’Assemblée «résignée[27]» à accélérer la terreur avant de la confisquer, ce qui renvoie bien à la signification ambiguë de la journée du 5 septembre 1793. Ce n’est alors que par volonté de magnifier le mouvement populaire, malgré les faibles effectifs qu’il mobilise, que l’historien parle de «La Terreur» ou du «système de la Terreur[28]» alors même que dès décembre 1793, l’Assemblée récuse les attentes des sans-culottes, avant de contrôler étroitement leurs activités[29]. La «grande Terreur» de Prairial n’est plus que la mise en forme d’une rhétorique qui n’a plus de réalité politique[30].

Un courant critique, illustré notamment par l’historien Jacques Guilhaumou, a réagi en voulant distinguer la formule et la signification de «la Terreur[31]». «La terreur à l’ordre du jour» devrait être comprise comme le principe du mouvement révolutionnaire, faisant de «la Terreur» le moment d’une suspension des droits. Ainsi «le caractère de la terreur, c’est alors un enchevêtrement – où se lient Terreur et droits de l’homme sans se confondre – de projets énonçables dans la perspective d’une république démocratique, de procès sourds entre factions, d’institutions civiles émancipatrices, d’affrontements de langage au sein de la Convention détentrice d’un pouvoir législatif tout puissant, de pratiques terroristes et sanglantes dans des luttes politiques localisées, etc.». Il conviendrait alors «de renoncer à désenchevêtrer sans cesse ces éléments caractéristiques de la terreur» pour en conserver la dynamique, au risque de s’affranchir des vérifications érudites.

Relevons que cette ligne explicative de «la Terreur» qui identifie violences populaires et violences d’État, amalgame massacres et idéologie et confond vengeances et système de «Terreur», et garde l’usage de catégories données comme sûres («Jacobin» étant l’exemple le plus remarquable) ne se différencie pas en définitive des autres lignes, contre-révolutionnaire illustrée par P. Chaunu et J. Tulard ou «critique» conduite par F. Furet et M. Ozouf[32]. Remarquons qu’aucune de ces interprétations ne retient comme pertinente l’exacte similitude entre les tueries commises au nom de la Révolution et au nom de la Contre-Révolution. Ces dernières sont certes bien moins nombreuses que les autres, mais elles sont aussi moins étudiées ; or de Machecoul en mars-avril 1793 à la «terreur blanche» dans la vallée du Rhône, les modalités des mises à mort ne furent guère différentes de celles qui avaient été à l’œuvre en juillet 1789 contre Bertier et Foulon, ou pendant les massacres de septembre 1792. Qu’elles aient été commises contre la Révolution n’empêche pas qu’elles ont été le fait du «peuple» mécontent des autorités qu’il n’avait pas choisies et qui réclamait le respect de ses convictions. Toutes ces émotions s’inscrivaient, aussi, logiquement – personne n’en doute, mais qui en tire toutes les conséquences ? – dans les habitudes de rébellion que les ruraux et les citadins pauvres possédaient et pratiquaient depuis des siècles dans le royaume. De ce point de vue, l’épisode révolutionnaire ne se différencie pas des guerres de religion, dont la mémoire hantait tous les acteurs des années 1790, qui invoquaient régulièrement la Saint Barthélemy[33].

Aucune de ces trois lignes d’interprétations n’adopte cette lecture des faits ; toutes les trois, au contraire, postulent l’unicité entre les deux types de violences, populaire et étatique, et refusent d’intégrer dans leurs raisonnements le jeu politicien et l’instrumentalisation des mouvements sans-culottes. Pour les historiens opposants à la Révolution, tout fait sens, de septembre 1792, voire du 14 juillet 1789, aux charrettes de l’été 1794, en passant par la guerre de Vendée, il n’y eut qu’un mouvement unique qui dévasta le pays, sous la direction des révolutionnaires et principalement de Robespierre. Pour les partisans, l’encadrement politique de «la Terreur» répondit aux vengeances réclamées légitimement par le «peuple» instituant une «justice populaire» nécessaire en temps de crise. Dans tous les cas, le lien entre violence et politique est posé comme irréfutable et fondamental.

Papier à en-tête de la Commission révolutionnaire de Metz

Ce que je propose, au contraire, est d’insister sur l’importance des luttes politiciennes et des calculs tactiques, dès juillet 1789, surtout en 1793, avant qu’en juillet-août 1794 Tallien ne se révèle comme le plus talentueux des manipulateurs. En introduisant cette dimension considérée comme médiocre, puisqu’elle montre que les discours d’assemblée et leurs grandes envolées doivent être lus au prisme des rivalités de groupes et des enjeux personnels, nous n’avons pas la volonté d’«abaisser» la Révolution ou de justifier des actes injustifiables, mais simplement de rappeler que l’épisode révolutionnaire doit être lu comme tous les épisodes historiques, sans a priori idéologiques, sans tabous, et qu’il convient de juger les projets politiques en fonction de leurs conditions réelles de mises en œuvre, sans postuler à l’avance qu’il y eut une quelconque immédiateté entre les mots et les actes, sans vouloir lire les événements dans une perspective téléologique[34].

Un point doit être ajouté à propos du «gouvernement révolutionnaire» installé de facto après le 4 décembre 1793 qui, pour le dire d’un mot, suspend les élections, met toutes les institutions sous le contrôle direct de la Convention et de ses comités, et supprime ainsi toute distinction entre pouvoirs législatif, exécutif et pour partie judiciaire. La nature du régime mis ainsi en place est délicate à interpréter. Il n’y a pas suppression du droit, il y a même affirmation de la force de la loi, contre les mésusages commis pendant les mois précédents et qui sont condamnés : l’analogie peut se faire avec l’installation d’un état de siège, correspondant aux besoins d’un État en guerre[35]. La comparaison historique pourrait s’établir avec l’absolutisme de Louis XIV à la fin de son règne, mobilisant son royaume pour résister à l’Europe et réprimant les sujets indociles, les protestants pourchassés et réprimés dans la guerre des Camisards, qui n’a pas grand chose à envier à la guerre de Vendée. Billaud-Varenne est un des principaux protagonistes de ce gouvernement révolutionnaire, qui ne sera pas véritablement pris en considération six mois plus tard dans la dénonciation lancée contre Robespierre et «la Terreur» qu’il aurait dirigée. La «réalité» de la Révolution ne peut pas être appréhendée hors de ces luttes factionnelles, voire personnelles._________________

[1] Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Paris, Gallimard, 1982. Jacques Guilhaumou, Discours et événement, l’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 20.

[2] Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Paris, Michel Lévy, 1863, t. I, p. 8-9.

[3] Henri Wallon, La Terreur. Étude critique de l’histoire de la Révolution française, Paris, Hachette, t. I, 1873.

[4] Émile Littré, Dictionnaire, Monaco, Éditions du Cap, 1966, p. 6276.

[5] Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1993, T. VIII, p. 4580. Relevons qu’après Thermidor, la guillotine ne fut jamais installée place de la Révolution (devenue de la Concorde).

[6] A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, Paris, A. Colin, 1909, pp. 357-359.

[7] Ibidem, p. 366.

[8] Études précises à propos de Robespierre dans Jean Ehrard, dir., Images de Robespierre, Naples, Vivarium, 1996.

[9] A. Aulard, Ibidem, p. 354.

[10] A. Aulard, «La théorie de la violence et la Révolution française», La Révolution française, 1924, pp. 97-117, ici pp. 112-113. Dans le même numéro, Boris Mirkine-Guetzévitch, «La littérature russe contemporaine», notamment pp. 333-355, parle de l’écho de l’article d’Aulard en Russie.

[11] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, t. VI, p. 1157.

[12] Albert Mathiez, La Révolution française, Paris, Club du meilleur Livre, 1959, p. 398.

[13] A. Mathiez, Études sur Robespierre, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1988, pp. 58-85.

[14] A. Mathiez, La Révolution… op. cit., pp. 424-425. Du même, «L’inauguration de la Terreur», Annales révolutionnaires, 1922, p. 477-496. Mathiez considère donc que la «Terreur légale» (p. 495) opposée «aux violences anarchiques rêvées par un Théophile Leclerc» (un Enragé) a été installée sans justifier davantage son point de vue. Il note aussi que l’élection à la présidence de la Convention de Billaud-Varenne atteste de l’entrée de l’hébertisme au gouvernement qui a imposé cette orientation, malgré Robespierre. L’article se poursuit en 1923, p. 89-111.

[15] Ibidem, p. 540.

[16] Ibidem, p. 551 et Études… op. cit., pp. 84-85.

[17] M. Vovelle, «La galerie des ancêtres», Combats pour la Révolution française, La Découverte, SER, Paris, 2001, pp.14-23.

[18] Georges Lefebvre, Les thermidoriens-Le Directoire, Paris, A. Colin, [1937] 2016, p. 17.

[19] Ibidem, pp. 18-19.

[20] G. Lefebvre [éd. révisée par A. Soboul], La Révolution française, Paris, PUF, 1968, pp. 414-415.

[21] Ibidem, pp. 415-422.

[22] J.-C. Martin, Nouvelle Histoire, op. cit., p. 407.

[23] G. Lefebvre, La Révolution…, op. cit., p. 421.

[24] Ibidem, p. 418.

[25] A. Soboul, La Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1982, pp. 358-362.

[26] Ibidem, pp. 172-175.

[27] Ibidem, pp. 258-259.

[28] Ibidem, pp. 212, 224, 226, 234.

[29] Ibidem, pp. 258-259.

[30] Ibidem, p. 930.

[31] J. Guilhaumou, «Alphonse Aulard, Jean Jaurès et l’historiographie républicaine de la terreur», Revolution.net, mis en ligne le 5 janvier 2007, consulté le 21 mars 2017.

[32] Voir l’usage fait par Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989.

[33] Exemples : la « Saint-Barthélemy » des patriotes en Italie, AP, t. 73, p. 580, le 9 septembre 1793 ; la religion cause de la Saint-Barthélemy, AP, t. 79, pp. 548, 557, 20 novembre 1793 ; le roi imbécile qui ordonna la Saint- Barthélémy, AP, t. 80, p. 8, 24 novembre 1793.

[34] Voir Maurice Agulhon, «Débats actuels sur la Révolution en France», AHRF, 1990, 279, pp. 1-13.

[35] Ce qui n’a rien à voir avec un «état de siège fictif».

 

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES, par René ROUX ~ suivi de sa critique par Albert SOBOUL

04 lundi Juil 2016

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES, par René ROUX ~ suivi de sa critique par Albert SOBOUL

Étiquettes

Albert Mathiez, Albert Soboul, Alphonse Aulard, Babeuf, Communisme, Daniel Guérin, Engels, Enragé·e·s, Georges Lefebvre, Grace M. Jaffé, Jacques Roux, Jean Jaurès, Jean-Jacques Rousseau, Karl Kautsky, Karl Marx, Lutte des classes, Mably, Marat, Morelly, Proudhon, René Roux, Robespierre

Cet article, d’un auteur dont je ne sais rien par ailleurs, René Roux, est paru dans la Revue d’histoire économique et sociale (vol. 29, n° 3, 1951, pp. 252-279). J’ai corrigé d’assez nombreuses fautes typographiques (et orthographiques), en essayant de ne pas en ajouter de mon cru.

J’ajoute, à la suite, la critique de cet article par Albert Soboul, parue dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations (7e année, n° 4, 1952, pp. 517-520).

Soboul reproche, à juste titre, à René Roux des erreurs factuelles et des raccourcis. Il lui reproche surtout de rallier le « parti » de Daniel Guérin à propos de l’existence d’un embryon de prolétariat en 1793. Le texte de Roux est une pièce à verser à l’historiographie de cette question (pièce dont j’ai découvert l’existence récemment, et que je vois rarement citée).

Cul de lampe Bonnet B

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES

par René Roux

 

Liberté, Égalité, Fraternité : dans cette devise idéale qu’elle nous a léguée, inscrite en tête de ses actes et gravée au fronton des monuments, rien n’incite à penser que la Révolution française ait pu connaître l’idée de lutte des classes. Tout tend, au contraire, à l’en éloigner : fraternité qui, plus intimement que la solidarité, réunit les hommes dans des sentiments mutuels, comme les enfants d’un seul père ; égalité qui les place sur le même plan, pareillement heureux et satisfaits d’un sort commun ; liberté enfin, triomphante de ce déterminisme si étroitement lié à l’idée de lutte des classes qu’il forme avec elle le couple d’idées-forces du matérialisme dialectique.

Et cependant, Proudhon croit que la Révolution a fondé en France la lutte des classes : en assurant à la bourgeoisie le pouvoir politique, elle a consacré sa domination économique sur « les bras nus », comme Michelet les appelle, et substitué aux rapports personnels de maître à compagnon l’antagonisme de classe entre capitalistes et travailleurs, désormais adversaires [1]. Doctrinaires et historiens marxistes partagent ce jugement. Marx n’a-t-il pas salué dans la conspiration de Babeuf « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant… dans le cadre de la révolution bourgeoise [2] » ? ; Kautsky a consacré un petit livre aux « luttes de classe en 1789 [3] » et Daniel Guérin, étudiant récemment « la lutte des classes sous la Première République, bourgeois et bras nus, 1793-1797 [4] », a pu écrire que « le marxisme authentique découvre, dissimulées dans l’arbre touffu de la Révolution bourgeoise, les jeunes pousses d’une autre lutte de classes, d’une autre révolution, prolongement et fin dernière de celle qui débuta en France en 1789 ».

Sans doute, selon la conception marxiste, « toute l’histoire a été une histoire de lutte des classes, de lutte entre classes exploitées et classes exploiteuses [5] ». Mathiez lui reproche de « rechercher partout dans le passé la lutte de classes, même quand cette lutte n’est révélée par aucun document, même si ceux qui la menèrent n’en eurent pas conscience [6] ». Mais le grand historien de la Révolution et son disciple G. Lefebvre [7], reconnaissent, dans les événements de cette période, les péripéties d’une lutte de classes que Jaurès avait déjà signalée [8]. La Révolution française a porté et réalisé les ambitions politiques de la bourgeoisie enrichie. Quand Louis XVI s’incline devant la prise de la Bastille et le témoigne par sa présence à l’Hôtel de Ville où il accepte du maire Bailly la nouvelle cocarde tricolore, « la bourgeoisie universelle, comprenant que son heure sonnait, tressaillit de joie et d’espérance[9] ». Toute l’œuvre de la Constituante vise à « assurer le règne paisible de la bourgeoisie victorieuse[10] ». Pourvue du pouvoir, elle veut conserver les institutions établies : elle innocente le roi de sa fuite, en juin 1791, et fait tirer, au Champ de Mars, sur les pétitionnaires qui réclamaient la déchéance. Barnave, le 15 juillet 1791, pose la question devant l’Assemblée et y répond pour elle : « Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ? Un pas de plus serait un acte funeste et coupable ». Présomption prématurée ! Feuillants et Jacobins s’affrontent à la Législative. La force populaire parisienne et provinciale l’emporte, au 10 août 1792, et la lutte de classes, reprise à la Convention entre Gironde et Montagne, prime les nécessités de la défense nationale et s’exaspère en guerre civile. Quand, le 2 juin 1793, les sections de Hanriot assiègent la Convention et y arrêtent les Girondins, c’est la haute bourgeoisie que les sans-culotte renversent, malgré le vain sursaut de la révolte fédéraliste. Cette nouvelle Révolution se marque par la proclamation de la Constitution montagnarde de l’an I, d’application différée jusqu’à la fin du Gouvernement révolutionnaire du Comité de Salut Public ; par la législation économique et sociale de l’été 1793 sur les subsistances et les terres — répression de l’accaparement et établissement du maximum général, partage des   communaux et abolition sans indemnité des droits féodaux même fondés en titre qui libère définitivement la terre paysanne — ; enfin, par le célèbre décret de ventôse (février 1794) qui attribue gratuitement aux indigents les biens confisqués aux suspects. C’est le bref apogée du gouvernement révolutionnaire. Inefficaces ou inappliquées, ces mesures sont rapportées par la réaction thermidorienne, qui abroge le maximum, retourne au libéralisme économique intégral et poursuit l’inflation monétaire jusqu’à la double banqueroute des assignats et des mandats territoriaux. La répression des émeutes de famine, en germinal et prairial (avril-mai 1795), restaure solidement la suprématie de la bourgeoisie organisée par la Constituante.

Ainsi se développe jusqu’au Directoire cette lutte de classes qui domine la Révolution française. Mais sa manifestation dans les faits n’en implique pas nécessairement la conscience. Celle qu’en ont pu avoir ses protagonistes, la doivent-ils à la Révolution, dont elle serait l’apport propre à l’idée de lutte des classes ? Pour essayer de répondre, il faut rechercher l’état de cette idée à la veille de 1789[11]. Peut-on en trouver les premières formes parmi les origines intellectuelles de la Révolution française [12] au XVIIIe siècle ?

Dès le début de sa seconde moitié, les philosophes ont découvert et dégagé l’opposition entre possédants et prolétaires, qu’ils font remonter à la propriété privée. Le marquis de Mirabeau n’attribue qu’à ses abus l’inégalité des conditions (L’Ami des Hommes ou Traité de la population 1756-58), mais dès 1755, son fondement même est simultanément contesté par Linguet : « La société est née de la violence et la propriété de l’usurpation » (Théorie des lois civiles ou Principes fondamentaux de la société) ; par Rousseau qui en proclame l’imposture et lui impute une longue suite « de crimes, de guerres, de meurtres, de misères et d’horreurs » (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes) ; par Morelly surtout, qui l’accuse de changer en antagonismes sociaux les harmonies naturelles et de corrompre l’humanité (Code de la Nature ou le véritable esprit de ses lois). Aussi voit-il le remède idéal dans la communauté des biens : « Rien dans la société n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne… Tout citoyen sera un homme public sustenté, entretenu, occupé aux dépens du public ». Dans ses Entretiens de Phocion sur le rapport de la morale avec la politique (1763) puis ses Doutes proposés aux philosophes économistes (1768) Mably reprend ces attaques contre la propriété, cause du partage de la société en deux classes, riches et pauvres, et source de tous les malheurs qui affligent les hommes. Les économistes montrent des vues plus profondes. La division, élaborée par les Physiocrates, entre la classe productive terrienne et la classe stérile des négociants et fabricants, ne fait guère encore que développer la distinction de d’Holbach (La Politique naturelle, ou Discours sur les vrais principes du Gouvernement, 1773 ; La Morale universelle ou les Devoirs de l’homme fondés sur la nature, 1776), qui l’a tirée de Bolingbrocke (Pensées, 1771), entre masse paysanne et marchands. Mais Adam Smith, « père de l’économie politique classique », dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, dont la troisième et dernière édition de son vivant paraît en 1789, montre comment la division du travail, qui suit le progrès technique, partage nécessairement la société en deux classes, l’une qui tire profit de sa fortune, l’autre qui subsiste de son travail. Dès 1776, Turgot, avec ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, a dépassé la conception purement foncière et physiciste des physiocrates : au lieu de séparer propriétaires et producteurs, il les place dans la catégorie sociale des possesseurs de capitaux, opposés aux travailleurs des champs et des manufactures, « qui ne possèdent aucun revenu et vivent également de salaire », en un conflit fatal et constant. Turgot atteint, par là, à l’idée moderne de lutte des classes, dont Necker, à sa suite, ébauche une théorie institutionnelle de l’organisation sociale au service des possédants.

Cette idée, aperçue et approfondie par les philosophes et les économistes, ne sort guère des salons et des écrits. Le siècle des lumières demeure un siècle aristocratique. Son rudiment de philosophie socialiste ne correspond à aucun sentiment populaire de lutte des classes. Les paysans, perdus parmi les campagnes, les ouvriers, peu nombreux et isolés, de la grande industrie qui se fonde, manquent également de sens social et ne se considèrent pas comme une classe distincte du Tiers État. Henri Sée, étudiant « la vie économique et les classes sociales en France au XVIIIe siècle [13] », constate qu’ouvriers et paysans ne se conçoivent pas d’intérêts collectifs propres. Werner Sombart leur refuse toute conscience de classe : « La Révolution française sera, même pour un myope, une Révolution purement bourgeoise, tout autre chose qu’un mouvement prolétarien », et toute la période antérieure à 1848 ne forme que « la préhistoire du mouvement social ». Marx reconnaît qu’au début de la Révolution française, « le prolétariat et les diverses couches du Tiers État, qui n’appartenaient pas à la bourgeoisie, n’avaient pas encore d’intérêts séparés de ceux de la bourgeoisie, ou ne formaient pas encore des classes, ou fractions de classes, ayant un développement indépendant [14]». Sur cinq mille brochures publiées à l’occasion de la réunion des États Généraux, vingt à peine protestent contre la sujétion et les maux des salariés, et elles n’émanent pas d’eux. C’est le journal l’Ami du Roi qui parle de « la classe des ouvriers[15] ». Les cahiers de doléances, en dehors de l’intérêt charitable du clergé pour « la classe des pauvres[16] », ignorent la question ouvrière[17]. Aussi paraît-il excessif d’affirmer qu’au XVIIIe siècle, « la classe ouvrière est née[18] ». Encore privée d’expression et de pensée propres, elle n’a pas encore pris d’elle-même une conscience qui va seulement commencer à se former, avec la conception jumelle de la lutte des classes. La Révolution hâtera leur lente gestation et en sera la véritable accoucheuse avant terme. Le prolétariat du Tiers ne se représentait d’autre lutte collective que contre les deux autres ordres, conduite dans le cadre de l’Ancien Régime, et toute imprégnée de pensée traditionnelle et des souvenirs légendaires des luttes communales médiévales. La Révolution forme le terme de cette idée ancienne de lutte des classes, en même temps que le creuset de sa conception moderne. L’accaparement de la Révolution par la bourgeoisie provoque la dissociation du Tiers qui se sépare et s’oppose : la classe des travailleurs, écartée des avantages politiques et matériels, s’entrouvre à l’idée réaliste de lutte des classes, qui ne parvient pas à s’imposer, mais reçoit dès lors son sens et l’essentiel de son contenu actuel. La Révolution apparaît ainsi comme le moment dominant de la formation, en France, de la conscience de lutte de classes, entre une forme périmée et sa forme décisive.

Certes, il s’en faut que cette mutation brusque, d’un état historique en un embryon complet de doctrine, ait présenté, aux yeux des contemporains et dans le détail vécu de l’histoire, cette simplicité et cette netteté. Elle nous est encore incomplètement connue. L’histoire de la pensée sociale de la Révolution française reste à écrire. L’étude en est à peine abordée pour la province, où elle semble d’ailleurs n’avoir entraîné que des manifestations sporadiques, sans portée générale ni sens collectif. Quand, aussitôt après le 14 juillet 789, les paysans brûlent les chartriers, bastilles des droits féodaux, chacun ne cherche qu’à s’affranchir de ses fermages et, en transformant une occupation séculaire en possession de fait, à accéder à la propriété individuelle, que lui ouvrent successivement la Nuit du 4 août, la vente des biens nationaux, enfin le partage des communaux et la suppression sans indemnité des-droits féodaux. Si, dès le 21 août 1789, les mineurs de Rancié, dans l’Ariège, présentent une requête, pour obtenir « la liberté de vendre leur mine au prix qui sera déterminé par une commission établie dans la société des minerons, sans qu’aucune municipalité ni juridiction puisse les y troubler, ainsi que cette liberté est accordée, pour tous autres objets de commerce », il paraît difficile de conclure, avec R. Garmy qui l’a rappelée, que cette affaire épisodique revendique, pour les travailleurs, « le droit de gestion directe, la possession des moyens de production — la terre aux paysans, l’usine aux ouvriers » et « annonce la conscience de classe du prolétariat moderne[19] ». Et cet éclair incertain s’éteint aussitôt devant le refus opposé par l’Intendant d’Auch à « la demande de ceux des mineurs de la vallée de Vicdenos qui résident à Sem, Goulier et Olbier, en ce qui concerne la liberté qu’ils réclament de fixer le prix de la mine et l’affranchissement de la surveillance et juridiction des officiers municipaux », et devant la radicale loi du 27 mars 1791, par quoi « les mines et minières, tant métalliques que non métalliques, ainsi que les bitumes, charbons de terre ou de pierres et pyrites sont à la disposition de la Nation ». À Paris, mouvements d’idées et de foules, mieux connus, apparaissent plus marqués, à la fois plus fréquents et plus importants, mais là encore, souvent, sans que ceux qui en furent les instruments comme ceux qui en furent les protagonistes aient eu une réelle compréhension de leur immense portée, ni une claire représentation de leur sens. Des états d’âme, en partie instinctifs, parfois contradictoires et débordants, se sont agités en un chaos tourbillonnant, où il se révèle ardu de discerner et de suivre de grands courants, plus ressentis qu’exposés en doctrines.

Mais, « peu importe que la plupart des révolutionnaires n’aient pas pensé consciemment les contradictions sociales du prolétariat et de la bourgeoisie[20] ». C’est vécues et agies, non figées en formules, qu’elles ont gagné la force qui les porte aujourd’hui. Par l’élan vital qu’elle leur a donné, la Révolution française justifie encore le mot prophétique de Goethe à Valmy : « De ce lieu et de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ».

L'APPARITION DE L'IDÉE
DE LA LUTTE DES CLASSES

Elle se dégage progressivement sous l’effet des conditions politiques, économiques et sociales.

En 1789, aucune hostilité n’existe dans le peuple contre la bourgeoisie ambitieuse en plein essor social et politique. « D’instinct, dit Jaurès, les ouvriers des manufactures étaient beaucoup plus avec la bourgeoisie révolutionnaire qui suscitait et élargissait le travail industriel, qu’avec les prétendus réformateurs qui, dans un intérêt de moralité et de simplicité, voulaient ramener au pâturage commun, trempé de matinale rosée, le troupeau paisible des hommes[21] ». Les premiers événements révolutionnaires provoquent un profond mouvement idéal de fraternité populaire enthousiaste, à son apogée dans les travaux et les réjouissances en commun de la Fête de la Fédération.

Illusion éphémère ! Dès que s’éveillent les frémissements d’agitation qui accompagnent la désignation des députés aux États Généraux, et avant même que ne vacille manifestement sur ses bases chancelantes l’édifice ébranlé de l’Ancien Régime, la bourgeoisie se détache du peuple à l’intérieur du Tiers État, où le Chevalier de Moret, en avril 1789, distingue deux classes aux intérêts différents, voire opposés. Des brochures écrites à l’occasion des élections désignent le Tiers État non plus comme un ordre homogène, mais comme réunissant sans les unir deux classes distinctes. Dans ses Premières observations au Peuple Français sur la quadruple aristocratie qui existe depuis deux siècles sous le nom de haut clergé, de possédants fiefs, de magistrats et de haut tiers, et vues générales sur la constitution et la félicité publique, 1789, J. B. Bremond oppose, au vrai peuple des plébéiens, l’aristocratie, où il range « le haut tiers » dont les ambitions nobiliaires ont fait « le fléau le plus redoutable des peuples en le rendant l’instrument de la haute aristocratie ».

Les Cahiers du Quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, infirmes, indigents, etc.. l’Ordre sacré des infortunés ou Correspondance philanthropique entre les infortunes, les hommes sensibles et les États Généraux, (25 avril 1789) de Dufourny de Villiers, dénoncent cette collusion et l’absence d’un sincère défenseur des vrais intérêts du peuple dans la représentation du Tiers, confisquée à son profit par la bourgeoisie. « Pourquoi cette classe immense de journaliers, de salariés, de gens non gagés… cette classe qui a tant de représentations à faire… est-elle rejetée du sein de la Nation ? » Gomment, se demande l’auteur, les bourgeois pourraient-ils protéger les intérêts des ouvriers, qui s’opposent aux leurs ? Et avec une remarquable prescience doctrinale, l’auteur voit dans la lutte contre le capital la voie de la démocratie, seule dispensatrice au corps social de la justice et du bonheur. Sans ouvrir d’aussi profondes perspectives, « Les doléances du pauvre peuple » expriment la déception du quatrième État de n’avoir pas été admis à faire entendre sa voix dans le concert de la Nation : « Nous appartenons à l’ordre du Tiers, mais aucun des représentants n’est de notre classe, et il semble que tout ait été fait en faveur des riches ».

Les craintes exprimées par quelques têtes populaires ne se justifient que trop avec l’attitude de la bourgeoisie. Dès juin 1789, par une allusion transparente, Camille Desmoulins approuve le législateur antique d’avoir « retranché du corps politique cette classe de gens qu’on appelait prolétaires ». L’Assemblée Constituante n’a garde de négliger le conseil du plus populaire des journalistes d’alors. Tout en proclamant dans une Déclaration solennelle que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », elle s’empresse d’instaurer un vote censitaire réservé aux citoyens actifs et d’écarter de la vie publique tous ceux qui ne paient pas une contribution directe d’au moins trois journées de travail. Par là, l’assemblée bourgeoise suit l’enseignement de ses maîtres à penser, qui identifient unanimement propriété et droits politiques : d’Holbach pour qui « le propriétaire seul est un vrai citoyen » (Ethocratie ou le Gouvernement fondé sur la morale, 1776) ; et les Encyclopédistes : « C’est la propriété qui fait le citoyen » (article Représentants) ; « le fondement du pacte social est la propriété » (article Économie politique). En leur proposant d’établir le suffrage universel, Robespierre scandalise tous ses collègues.

Cette discrimination politique prépare la dissociation du Tiers en deux groupes qui en viendront à s’affronter violemment.

De bons esprits s’en inquiètent pour l’avenir de la Révolution. Pétion, maire de Paris, cherche auprès de sa classe à ramener l’union. « Le Tiers État est divisé, écrit-il à Buzot le 6 février 1792 et voilà la vraie cause de nos maux. La bourgeoisie, cette classe nombreuse et aisée, Fait scission d’avec le peuple, elle se place au-dessus de lui ; elle se croit de niveau avec la noblesse qui la dédaigne et n’attend que le moment favorable pour l’humilier… Le peuple, de son côté, s’irrite contre la Bourgeoisie, il s’indigne de son ingratitude, il se rappelle les services qu’il a rendus, il se rappelle qu’ils étaient tous frères dans les beaux jours de la liberté… Il faut que la bourgeoisie soit bien aveugle et bien insensée pour ne pas faire cause commune avec le peuple. La bourgeoisie et le peuple réunis ont fait la révolution ; leur réunion seule peut la conserver. » Mais loin de réussir, Pétion se trouve lui-même ramené à ses intérêts de classe. Un an plus tard, sa Lettre aux Parisiens d’avril 1793 appelle les hommes d’ordre à défendre leurs biens : « Vos propriétés sont menacées, et vous fermez les yeux sur ce danger. On excite la guerre entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, et vous ne faites rien pour la prévenir. Faites rentrer ces insectes vénéneux dans leurs repaires ». Par cette volte-face totale, celui qui avait exhorté riches et pauvres du Tiers à rester unis face à la contre-révolution ne craignait maintenant que pour sa richesse et se trouvait aux côtés du grand propriétaire Barruel-Beauvert, dont l’apostrophe brutale est restée fameuse : « Propriétaires, qui que vous soyez, gardez-vous de soutenir une fausse doctrine ; les hommes qui n’ont rien ne sont pas vos égaux. Les véritables citoyens sont ceux qui ont des possessions ; les autres ne sont que des prolétaires ou faiseurs d’enfants. Depuis quand les frelons sont-ils regardés comme les frères des abeilles ? Au premier signal d’une révolte, courez, chassez cette nuée d’insectes qui veut partager sans effort et sans gloire votre fortune acquise ou celle qu’augmentera bientôt votre industrie ».

Ainsi, la bourgeoisie s’oppose à la masse prolétarienne et précipite l’antagonisme de classe. Marat depuis 1791 la dénonce en vain et essaie sans y parvenir de donner au peuple une conscience propre. Contre la bourgeoisie qui les exploite, il appelle les ouvriers et les pauvres à former une fédération uniquement populaire, au lieu de se laisser étouffer comme au 14 juillet 1790 dans la Fédération des Gardes nationales bourgeoises « aristocratie militaire où entraient des légions de vos ennemis. Ni fédération universelle, ni fusion, mais le peuple à part… la fédération que je vous avais proposée entre les seuls amis de la liberté ». Seule la classe ouvrière saura défendre les conquêtes révolutionnaires. « Il n’y a que les cultivateurs, les petits marchands, les artisans et les ouvriers, les manœuvres et les prolétaires, comme les appellent les aristocrates, qui pourront former un peuple libre. » Et l’Ami du Peuple rêve d’opposer une authentique classe prolétarienne aux aristocrates qui combattent la Révolution et aux bourgeois riches et opulents qu’il accuse de la compromettre avant de la trahir. « Nous ne nous laisserons plus endormir par les bourgeois comme nous l’avons fait jusqu’à présent » (25 mars 1791). Mais s’il dénonce dans l’inégalité politique et matérielle la source de la servitude plébéienne, Marat ne sait que vitupérer les accapareurs et attaquer les profiteurs de la misère. II n’a ni doctrine de lutte des classes, ni système précis de moyens et d’objectifs.

L’idée en est encore prématurée. Elle commence seulement à se répandre dans le peuple. Les difficultés économiques lui font ressentir sa solidarité et un véritable prolétariat prend naissance avec la conscience de sa force, de ses souffrances et de ses aspirations. Comme l’a souligné Marx, les conditions d’existence déterminent le comportement politique. Les revendications ouvrières en matière de salaires, puis l’agitation populaire provoquée par le prix et la rareté des subsistances assurent et marquent la diffusion de l’idée de lutte des classes.

Le bouleversement de la Révolution bourgeoise a encore aggravé la situation précaire des ouvriers. Les ateliers de charité, qui disparaissent en juin 1791, n’y ont en rien remédié et les premières difficultés se manifestent quand les ouvriers demandent des augmentations.

C’est encore Marat qui prend fait et cause pour les charpentiers de la nouvelle église Sainte-Geneviève en conflit avec leurs entrepreneurs[22]. Pour obtenir le salaire qu’ils réclament, ils ont présenté le 5 mai 1791 une pétition à la municipalité parisienne, puis le 2 juin à l’Assemblée constituante, au nom de « la classe la plus indigente, qui a été si longtemps le jouet du despotisme des entrepreneurs ». Le 12 juin, L’Ami du Peuple publie une lettre que Marat affirme avoir reçue d’eux et où l’on reconnaît facilement son inspiration grandiloquente. Adressée au « cher Prophète, vrai défenseur de la classe des indigents », elle rappelle que « la classe des infortunés avait fait seule la Révolution » et Marat s’indigne dramatiquement de l’exploitation dont elle est victime : « On rougit de honte et on gémit de douleur en voyant une classe d’infortunés aussi utiles, livrés à la merci d’une poignée de fripons… ; abus… qui tendent à détruire par la misère une classe nombreuse de citoyens recommandables ».

La réaction de la Constituante ne tarde pas. La suppression des corporations par le décret d’Allarde des 2-17 mars 1791 a privé de toute protection l’ouvrier laissé seul devant la puissance du patron, en lui interdisant d’y résister par l’union avec ses camarades de travail. Le respect des volontés individuelles fournira le prétexte et assurera à l’employeur la liberté d’exploiter sa main-d’œuvre. Le préambule de la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791 l’avoue sans détour : il s’agit de prévenir les coalitions pour faire monter ou baisser les salaires. Les droits respectifs des patrons et des ouvriers semblent ainsi impartialement respectés, et cet équilibre juridique couvre et légalise une « inégalité économique, source de l’inégalité politique et de la destruction de la liberté » (Robespierre, avril 1791). La situation dominante du patron n’en fait-elle pas une coalition à lui tout seul ? Isolé, l’ouvrier ne peut que subir ses conditions. La loi Le Chapelier prive la classe ouvrière de toute force contractuelle en interdisant de s’assembler « pour de prétendus intérêts communs » professionnels ; en annulant « toute adresse ou pétition au nom de l’état ou de la profession » ; en déclarant « perturbateurs du repos public » et justiciables des loi criminelles « ceux qui useraient de menaces ou de violences contre les ouvriers usant de la liberté accordée par les lois constitutionnelles au travail et à l’industrie » et en poursuivant comme séditieux « tous attroupements d’artisans, d’ouvriers, compagnons, journaliers ou excités par eux contre le libre exercice ». Tout cet appareil répressif vise et frappe la discussion des salaires à force égale entre capital et travail. « Si contre les principes de la liberté et de la Constitution, les citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers prenaient des délibérations ou faisaient des conventions tendant à refuser de concert ou à n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites délibérations ou conventions, accompagnées ou non de serments, seront déclarées inconstitutionnelles et attentatoires à la liberté et la Déclaration des Droits de l’Homme, et de nul effet… Si lesdites délibérations ou conventions, affiches apposées, lettres circulaires, contenaient quelques menaces contre les entrepreneurs, les artisans ouvriers ou journaliers étrangers qui viennent travailler dans le lieu, ou contre ceux qui se contenteraient d’un salaire inférieur, tous auteurs, instigateurs et signataires des actes ou écrits seront punis d’une amende de mille livres chacun et de trois mois de prison ».

Dans sa lettre comme dans son esprit, la loi Le Chapelier porte l’empreinte de son époque et des événements qui l’ont précédée. Mais on y verrait à tort une simple loi de circonstance. Marat, dès le lendemain de sa promulgation, en attaquait dans son journal le caractère de classe : « Pour prévenir les rassemblements nombreux du peuple qu’ils redoutent si fort, ils ont enlevé à la classe innombrable des manœuvriers et des ouvriers le droit de s’assembler pour délibérer en règle de leurs intérêts… Ils ne voulaient qu’isoler les citoyens et les empêcher de s’occuper en commun de la chose publique. » Mais, emporté par son sens politique aigu, Marat n’apercevait dans ce « coup d’État bourgeois » (Marx) qu’une manœuvre contre-révolutionnaire, et en négligeait l’immense portée économique et sociale. Les historiens de la Révolution et du mouvement ouvrier nos contemporains [23] ont bien montré son caractère de loi de principe, de « loi organique » de l’économie, puisqu’elle organisait les rapports professionnels en transformant en profit capitaliste l’exploitation du travail et en assurant aux industriels la main-d’œuvre bon marché qui contribuerait à leur fortune.

En même temps, là où l’ouvrier ne voyait que son patron, la loi Le Chapelier lui montrera le capitalisme : aux rapports personnels de travail en commun qu’il connaissait, elle substitue le sentiment nouveau de la lutte de deux classes, de plus en plus profond tandis que les revendications de salaires reprennent en 1793 avec la cherté croissante de la vie et s’appuient sur des grèves. Pour les arrêter, la loi du 29 septembre fixe le maximum des salaires au niveau de 1790 augmenté de la moitié et sanctionne les grèves, interdites par la loi Le Chapelier. Conflits du travail et répressions se multiplient pendant l’hiver 1793-1794. Le 17 février le Comité de Salut Public décide de traiter en suspects ceux qui exigent un salaire supérieur au maximum. Épurée des hébertistes, la Commune de Paris adopte la même attitude. Payan, qui a remplacé Chaumette à l’Hôtel de Ville, accuse le 5 mai les ouvriers d’un « esprit de révolte et d’insubordination que les lois révolutionnaires punissent de mort… Nous déclarons à tous les ouvriers… que nous ferons conduire sur-le-champ devant les tribunaux compétents tous ceux d’entre eux qui, au mépris des lois, abandonneraient des travaux qui doivent leur être d’autant plus chers qu’ils sont nécessaires à l’existence publique ». Mais le 5 thermidor (21 juillet) la Commune doit consentir un nouveau maximum des salaires. Les revendications ouvrières ne se limitent pas à Paris. Hanriot, dans son ordre général du 5 mai à la garde Nationale, vitupère les ouvriers des ports qui « exigent pour leur journée un salaire trop fort qui ne peut qu’occasionner la cherté des denrées ». Le Comité de Salut Public doit réquisitionner dans les départements les ouvriers des mines de houille, puis les ouvriers agricoles : « Tout refus de réquisition… toute coalition tendant à faire abandonner les travaux, à les suspendre, à exiger des prix arbitraires, sera poursuivie et punie, comme un crime de contre-révolution » (décret du 30 mai 1794). En même temps, l’agitation pour les subsistances renforce et étend au peuple entier l’idée de lutte des classes acquise par les ouvriers.

Ces nouvelles manifestations de la scission entre bourgeois et bras nus datent du début de 1792. « Le peuple s’irrite des fortunes subites des spéculateurs bourgeois, de l’audace des accapareurs » (Jaurès). Le premier mouvement contre la vie chère se produit le 15 septembre à Lyon, où la foule taxe et distribue d’office les marchandises, qui ne cessent de renchérir et de se raréfier. Hébert écrit dans son journal : « Tous les jours le prix des denrées augmente. Il y a quatre ans que nous souffrons. Qu’avons-nous gagné à la Révolution ? » et Jacques Roux pourra déclarer que l’Ancien Régime valait mieux ! « sous le régime des Sartine et des Flesselles, le gouvernement n’aurait pas toléré qu’on fit payer les denrées de première néces­sité trois fois au-dessus de leur valeur ». Le 25 juin 1793, il lit à la barre de la Convention une pétition particulièrement violente dans son expression de la lutte des classes : « La liberté n’est qu’une illusion si une classe d’hommes peut impunément en affamer une autre. L’égalité est un leurre aussi longtemps que les riches, par le monopole, exercent le droit de vie et de mort sur leurs semblables. »

Pamphlétaires et meneurs ne sont plus seuls à parler de lutte des classes. Parce qu’il doit avant tout penser à vivre, le peuple le ressent maintenant de plus en plus : ses difficultés d’existence la lui rendent tangible. Ce profond changement dans l’esprit des masses ne se comprend que trop devant les privations matérielles endurées, qui expliquent l’extension populaire de l’idée de lutte des classes. En janvier 1793, même le Girondin Rabaud Saint-Étienne peut constater « l’immense inégalité des fortunes… la Nation se trouve divisée en deux classes ». Le Conventionnel Levasseur écrira dans ses Mémoires sur cette période : « L’effervescence populaire avait été poussée à un assez haut degré pour que les classes sociales plus élevées commençassent à s’alarmer… Il y avait, en quelque sorte, une espèce de guerre sourde, organisée entre le riche et le pauvre ». Aussi, les ouvriers de Paris et de province eux-mêmes expriment-ils nettement l’opposition et l’exploitation sociales déterminées qu’ils rencontrent : parmi leurs derniers appels à la fraternité ancienne apparaît la détermination de répondre à l’irréductible hostilité bourgeoise par une déclaration de guerre des classes. Ceux du Faubourg Saint-Antoine demandent aux conventionnels le 1er mai 1793 : « Faites des sacrifices, que la majeure partie de vous oublie qu’il est propriétaire… La Révolution n’a encore pesé que sur la classe indigente, il est temps que le riche, que l’égoïste soit aussi, lui, républicain, et qu’il substitue son bien à son courage ». Le mois suivant, la menace se joint aux exhortations dans la lettre de la Société des Sans Culottes de Nogent-le-Rotrou aux Jacobins de Paris : « Le petit bourgeois est le plus cruel ennemi des sans-culottes parce qu’il est plus près d’eux… C’est donc aux bourgeois seuls que nous avons affaire en ce moment : eux seuls nous font ouvertement la guerre… Réunissons-nous donc contre la stupide et cruelle aristocratie bourgeoise ; éclairons-la si possible, et disons-lui que si l’empire de la raison, la force des principes, les insurrections morales ne suffisent pas pour la retirer de son erreur ou pour vaincre son apathie, il faudra bien que le peuple, que la classe terrible des sans-culottes, ait recours à d’autres moyens plus actifs, plus efficaces, plus prompts [24]».

C’est de même l’initiative populaire qui réclame des mesures contre la hausse et la disette aggravées par les profiteurs, et c’est son action oui les impose à la Convention. Lue à sa barre le 15 novembre 1792, la pétition de l’Assemblée électorale de Seine-et-Oise constate que « la République se compose d’un petit nombre de capitalistes et d’un grand nombre de pauvres » et propose vainement l’établissement du maximum des grains. Un meilleur succès attend la députation des quarante-huit sections parisiennes qui, en février 1793, demande à la Convention une loi sur les subsistances et le maximum du blé. Malgré l’opposition des Girondins au cours de la discussion ouverte le 25 avril, l’Assemblée fixe, le 3 mai, sous peine d’amende et de confiscation, un prix maximum aux grains. Leurs détenteurs sont tenus de les déclarer aux autorités, qui pourront les réquisitionner. Mais, laissée à des décisions locales, l’entrée en vigueur de la taxation ne s’effectue que successivement ; d’un département à l’autre, elle fait disparaître le blé qui reflue là où elle n’est pas établie. Paris manque de farine et dès juillet, la Convention se trouve obligée d’autoriser les achats aux particuliers dans les départements où les grains abondent et de lever toutes interdictions de sortie édictées par les administrations départementales.

Allait-elle abandonner le maximum ? Lindet lui montrait l’inévitable effet d’une abstention facile : « Si, l’on accorde la liberté indéfinie de vendre les grains de gré à gré, le prix en triplera avant trois mois ». Par ailleurs, l’agitation populaire n’avait cessé de grandir. Fin juin 1793, la population parisienne force de nouveau les commerçants à vendre moins cher. Les prix et la pénurie des subsistances l’indignent. Les pétitions affluent à la Convention et à la Commune. « L’excessive cherté des denrées de première nécessité… la difficulté d’avoir du pain chez les boulangers en est la cause ». La foule qui attend à la porte des boulangeries ne cesse « de crier au pain » (Hébert). De même, près de Paris, « on se plaint, et avec raison, de la cherté des denrées en général et spécialement du pain. L’ouvrier, le père de famille, l’homme de main peuvent à peine s’en procurer ». (Lettre de Saunier au ministre de l’Intérieur Garat du 15 août 1793). Indispensable, le maximum ne pouvait réussir que s’il était général et centralisé. « Il faut… tout taxer, si vous voulez taxer le prix du pain » (Ducos). La fixation d’un maximum aux grains « est-elle juste quand toutes les autres denrées et marchandises se vendent à un prix débattu et libre ? » (Garat [25]). Décrétant le 11 septembre le maintien de la taxation des grains, la Convention arrête pour toute la France un maximum unique, dont elle fixe le montant augmenté d’une indemnité de transport. Lors de l’émeute du 4 septembre, elle avait promis le maximum sur toutes les denrées de première nécessité, et elle vote le 29 la loi du maximum général. Quand le texte en parvient à Beaune, le club local des Jacobins écrit à la Convention que « les malheureux, les pauvres, le peuple, ont béni la loi du maximum ». Comme l’a remarqué G. Lefebvre [26], le maximum, en les opposant aux profiteurs, développait l’esprit de classe des prolétaires.

Cependant, ce maximum « général » ne s’applique qu’aux denrées essentielles et la fixation en est encore laissée à la discrétion des districts, renouvelant l’erreur du maximum des grains. Les produits disparaissent de même. Le 2 novembre 1793, Barère obtient enfin que la Convention taxe elle-même le prix de toutes les marchandises sans exception. Long à dresser, le tableau général des maxima n’entrera en vigueur que fin mars 1794. Le relèvement par le nouveau tarif de février s’est ajouté alors à l’autorisation accordée dès octobre de prendre un bénéfice de dix pour cent en sus de la taxe. Comme il est normal, ces relâchements appellent des infractions. Les marchands protestent contre les marges, cachent leurs marchandises qu’ils cèdent au prix fort et finissent par retirer les pancartes imposées. Le maximum n’est plus respecté ni sanctionné. Dans son dernier discours du 8 thermidor, Robespierre en attribuait l’établissement aux hébertistes, et lui imputait la disette. Sa chute et sa mort en précipitent la disparition. Les réquisitions nationales instituées par Lindet abandonnées, l’armée révolutionnaire de l’intérieur qui devait les appuyer dissoute, il a perdu toute efficacité. À la Convention, le 9 décembre, Girod accuse la taxation de miner l’industrie et le commerce. À sa suite, les thermidoriens condamnent le maximum comme inapplicable et responsable de la disette : ils l’abrogent.

La réaction politique s’accompagne d’un retour au laissez-faire : la liberté thermidorienne se ramène à l’absence d’intervention, et ne se soucie pas de l’absence d’oppression économique et sociale. Buonarroti définira ainsi cette conception : « La liberté n’est pas autre chose que la faculté illimitée d’acquérir… conserver l’opulence et la misère » (Conspiration pour l’égalité, 1828).

La politique sociale de la Montagne en faveur des classes pauvres ne dure et ne réussit pas plus que la politique économique qu’elle voulait développer et achever. Robespierre sentait bien qu’il ne suffit pas de faire « des lois bienfaisantes qui tendent à rapprocher le prix des denrées de celui de l’industrie du pauvre », mais qu’il « faut très impérieusement faire vivre le pauvre si vous voulez qu’il vous aide à achever la Révolution » (26 mars 1793). Comment assurer son droit à la vie ? Robespierre en indiquait les voies à la Convention le 2 décembre 1792. « Le premier objet de la société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? celui d’exister… Les aliments nécessaires à la vie de l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la   conserver est une propriété commune à la société entière… D’après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires et aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce ». Ces lignes montrent bien les illusions modérantistes de Robespierre. Il se range, certes, aux côtés des prolétaires : « Celui qui n’est pas pour le peuple, celui qui a des culottes dorées, est l’ennemi-né de tous les sans-culottes » (mai 1793). Mais le heurt des pauvres et des riches l’effraie. À l’idée réaliste de la lutte des classes, il préfère le rêve de leur égalité idyllique : « Législateurs, vous n’avez rien fait pour la liberté si vos lois ne tendent pas à diminuer graduellement, par des moyens doux et efficaces, l’extrême inégalité des fortunes ». Légalité, tendre à, diminution graduelle de l’excès d’inégalité, doux moyens : telle est l’utopie platonique de sa politique sociale. Niant toute possibilité d’opposition entre propriété individuelle et vie humaine, il rejette formellement la loi agraire, qu’il traite de projet brutal, dangereux et injuste.

Les Enragés et les Hébertistes qui la réclament veulent le partage universel des terres et la nationalisation générale des subsistances. Leurs partisans ne s’embarrassent pas d’une légalité contingente ou partiale. Le Comité révolutionnaire rédige en ces termes son Instruction adressée aux autorités du département du Rhône et de la Loire, le 16 novembre 1793 : « La Révolution a été faite par le peuple : son but est le bonheur du peuple… non la classe riche privilégiée, mais la classe nombreuse des pauvres ». Pour l’atteindre, ira-t-on jusqu’au collectivisme ? Le maximum en avait ouvert la carrière : « Les principes du maximum nous mènent à la communauté… Pour établir le maximum, il faudra établir des magasins nationaux pour recevoir l’excédent des consommations et des fabriques, pour être après cela réparti avec égalité, et alors on arrive à côté de la Communauté où chacun porte le produit de son industrie pour le répartir entre chacun [27] ». Le 5 octobre 1793, un congrès des Sociétés populaires du Midi, réuni à Marseille, adopte un projet selon lequel « pendant tout ce temps de crise, le sol productif et l’industrie productive de la France ne seront plus considérés que comme d’immenses manufactures nationales, dont la nation est usufruitière et dont les propriétaires ne sont que des agents [28] ». Par l’extension du droit de réquisition, Barère propose aussi à la Convention de rendre « la République propriétaire momentanée de tout ce que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont produit et apporté sur le sol de France. » Ces résolutions restent verbales. On n’assiste de même à aucune véritable redistribution des terres par la confiscation et la vente au profit de la nation de tous les biens mobiliers et immobiliers des émigrés. Mis aux enchères au chef-lieu du district, ils sont accaparés par des bandes, comme celle de Jourdan Coupe-tête dans le Vaucluse, qui en font un fructueux trafic, ou enlevés par la bourgeoisie paysanne [29], qui, en se partageant encore le meilleur des biens communaux (décret du 10 juin 1793) enlève au contraire à la propriété rurale le seul aspect marqué de collectivisme qu’elle ait présenté, celui de la féodalité.

C’est dans ces circonstances que le 8 ventôse (26 février 1794), Saint-Just prononce à la Convention, en faveur des sans-culottes, un fulgurant discours, programme d’une révolution sociale. République illusoire que celle où chacun entend par sa liberté l’indépendance de ses passions et de son avarice, où règne l’esprit de conquête et d’égoïsme, où la licence de l’intérêt personnel produit l’esclavage de tous ! « On s’est engraissé des dépouilles du peuple, on en regorge et on l’insulte. L’opulence est dans les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution. Les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis… Celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. Les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre. Ils ont le droit de parler en maîtres au gouvernement qui les néglige… Ne souffrez point qu’il y ait un malheureux ni un pauvre dans l’État ». Et il fait voter le 13 ventôse (3 mars) le célèbre décret qui doit leur apporter « le bonheur… une idée neuve en Europe ». La République confisque à son profit les biens des ennemis de la Révolution, sur décision du Comité de Sûreté Générale. Elles les partages aux pauvres : « Toutes les communes de la République dresseront un état des patriotes indigents ; lorsque le Comité de Salut Public l’aura reçu, il proposera d’indemniser tous les malheureux avec les biens de la République ». En adressant le décret aux représentants en mission, le Comité souligne le caractère de réparation et de restitution que ses auteurs ont voulu lui donner : « L’indigence malheureuse devait rentrer dans la propriété que le crime avait usurpé sur elle : la Convention a proclamé ses droits ». C’est pour la même raison que « les propriétés des patriotes sont sacrées » : quelle révolution de classe depuis la fameuse Déclaration bourgeoise que la propriété est un droit inviolable et sacré ! C’était le transfert radical et la propriété d’une classe à une autre : une immense expropriation publique. Le peuple ne s’y trompait pas, comme en témoigne ce rapport de police daté du lendemain du décret : « Dans tous les groupes et les cafés, on parle du décret qui ordonne la distribution des propriétés des aristocrates aux sans-culottes. Cette loi populaire a soulevé une joie universelle [30]. »

Cet enthousiasme devait vite s’éteindre. La lenteur du double recensement communal des suspects et des indigents allait retarder l’application du décret jusqu’à son abandon. L’échec était en germe dans une tentative qui, en pleine Révolution, excluait la violence et pensait résoudre la lutte des classes autrement que par cette lutte même. Extrêmement avancée, la réforme sociale de ventôse n’était pas subversive ; révolutionnaire, elle demeurait légale et pacifique. Par là, elle était inévitablement condamnée dans une période d’agitation brutale. Ses protagonistes répudiaient l’insurrection et poursuivaient ceux qui y poussaient. Le chef des Enragés, Jacques Roux, arrêté et envoyé au Tribunal Révolutionnaire, n’avait échappé à la guillotine qu’en se suicidant dans sa prison le 10 février 1794. Les Hébertistes le suivent : ils sont jugés et condamnés à mort. Leur exécution, le 24 mars, frappe les meneurs de la lutte des classes et disperse leurs troupes, dont le moral ne se soutient pas. Au passage de Robespierre conduit à l’échafaud, les ouvriers se moquent du « foutu maximum ». Après le sursaut qui l’a créé, leur conscience de classe s’est éteinte. Les insurrections de 1795 ne seront plus, malgré leurs revendications politiques apparentes, que des émeutes de la faim. Aucun écho populaire n’amplifiera la grande voix de Babeuf [31].

L'EXPRESSION DE LA DOCTRINE 
DE LA LUTTE DES CLASSES

Babeuf élabore, seul, « le communisme dans la Révolution [32]», et cherche à le réaliser par la lutte des classes.

Sa doctrine s’enracine dans la paysannerie picarde, parmi les communautés rurales où il a travaillé comme commissaire à terriers. C’est par un Traité d’archiviste terriste ou traité méthodique des archives et des titres seigneuriaux que commencent ses écrits. Il se définit ainsi lui-même : « Avant la Révolution, archiviste et géomètre. Depuis la Révolution, propagandaire de la liberté et défenseur des opprimés ». Agitateur et journaliste dans la Somme et dans l’Oise, en 1790 et 1791, deux fois arrêté et relâché, il vient à Paris en 1794. Il y travaille à l’Administration des subsistances, et par son expérience de la misère ouvrière des villes, découvre le prolétariat urbain et la lutte des classes. Emprisonné de nouveau, libéré peu avant le 9 thermidor, il fonde un Journal de la liberté de la presse, bientôt remplacé par le Tribun du Peuple où il s’adresse aux masses qu’il cherchera à soulever. Mais son organisation clandestine, le Directoire secret, est livrée à la police par un traître, et Babeuf, condamné à mort, se poignarde sur l’échafaud, sans avoir pu affranchir une classe populaire encore mal préparée à sa propre conscience militante et à sa libération.

Babeuf souligne l’oppression de classe partout dans ses écrits. Il voit d’un côté « la classe riche » « cette classe des dévorants de la société », « classe prédestinée qui ne doit pas entendre même le moindre murmure, alors qu’il lui plaît de prendre tous les moyens de rayer bientôt, du rang des vivants, les trois quarts de la multitude [33] », de l’autre, « la classe ouvrière », « classe judicieuse et clairvoyante », « les classes utiles », « les classes pauvres », « l’innombrable classe des malheureux », « la classe des nécessiteux, classe sans contredit immensément majeure dans l’État… Cette classe intéressante, qui a réellement fait cette réflexion, qui peut devenir fatale au succès de notre cause, qu’on ne l’a fait se débattre et s’échauffer jusqu’à présent que pour ces béatitudes, puisque les mots de Révolution, de Liberté, d’Égalité, de République, de Patrie, n’ont pas changé en mieux sa manière d’être » (Lettre à Chaumette, datée du 7 mai de l’an II). Entre elles, c’est la lutte du riche et du pauvre, l’exploitation du travail par le capital. Et Babeuf dénonce « le complot à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retire le fruit destiné, dès le principe, à s’entasser en grande masse sous la main de criminels spéculateurs, lesquels après s’être entendus pour réduire sans cesse le salaire du travailleur, se concertent, soit entre eux, soit avec les distributeurs de ce qu’ils ont entassé, les marchands, leurs co-voleurs, pour fixer le taux de toutes choses… Dès lors, ces innombrables mains desquelles tout est sorti ne peuvent plus atteindre à rien, toucher à rien, et les vrais producteurs sont voués au dénuement ou, du moins, le peu qu’on leur laisse n’est que la grosse écume ou le très maigre gratin… Travaille beaucoup, mange peu, ou tu n’auras plus de travail et tu ne mangeras pas du tout. Voilà la loi barbare dictée par les capitaux » (Lettre à Charles Germain, 10 thermidor an III, 28 juillet 1795).

L’origine de cette lutte remonte à l’abandon de l’état naturel. Tous les hommes y étaient égaux, mais « les lois sociales ont fourni à l’intrigue, à l’astuce et à la souplesse, les moyens de s’emparer adroitement des propriétés communes… C’est donc par usurpation que des hommes possèdent individuellement plusieurs parts de l’héritage commun » (Cadastre Perpétuel). Ceux qu’ils ont dépouillés se sont dressés contre eux. La lutte ouverte dure depuis lors et la Révolution française n’en constitue qu’un épisode. « Qu’est-ce qu’une révolution politique en général ? Qu’est-ce, en particulier, que la Révolution française ? Une guerre déclarée entre les patriciens et les plébéiens, entre les riches et les pauvres… Quand l’existence de la majorité est devenue tellement pénible qu’elle ne peut plus y tenir, c’est ordinairement alors qu’éclate une insurrection des opprimés contre les oppresseurs… Il est deux choses contre lesquelles il faut se révolter, contre les lois qui ont consacré la violation du pacte originel, et contre les effets de la même violation » (Tribun du Peuple, n° 34). En se levant ainsi contre les riches, les pauvres n’en portent pas la responsabilité : ils répondent à ceux qui l’ont voulu. « Cette guerre des plébéiens et des patriciens, ou des pauvres et des riches, n’existe pas seulement du moment où elle est déclarée. Elle est perpétuelle, elle commence dès que les institutions tendent à ce que les uns prennent tout et à ce qu’il ne reste rien aux autres » (Id.). C’est ainsi qu’en dépit de son aspect offensif, la lutte des pauvres contre les riches n’est pas une guerre d’agression. C’est une voie d’exécution forcée, un acte de puissance qui ne vise qu’au rétablissement des droits violés, à la restitution des spoliations primitives, au retour à l’état de nature, avec le caractère d’une réparation régulière. « Elle a donc légitimé notre guerre des pauvres contre les riches, des plébéiens contre les patriciens, de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont tout… Il a été reconnu que la justice du principe de l’Égalité réelle n’est pas contestable » (Tribun du Peuple, n° 40). Aussi la légalité de l’insurrection ne saurait-elle faire de doute dans ses buts. Elle forme même le « plus indispensable des devoirs… Je dis donc aussi tout bonnement que vous avez violé et que vous violez tous les jours les droits du peuple et que, dans ce cas, le Code des Nations dit qu’il est, pour le peuple et pour chaque fraction du peuple, un devoir à remplir, qui est le plus indispensable des devoirs et que ce devoir est l’insurrection… J’ai avec moi le peuple en majorité, qui est d’avis que ce serait aujourd’hui le cas, ou jamais, d’appliquer la conséquence du plus indispensable des devoirs, puisque le principe, la violation des droits du peuple, n’est aucunement douteux » (Tribun du Peuple, n° 31).

Babeuf, d’ailleurs, a cru un temps aux moyens légaux. Il a pensé à « faire cette insurrection… pacifiquement » et proposait alors un « projet d’adresse du peuple français à ses délégués, pour leur exposer, dans un tableau vif et vrai, l’état douloureux de la Nation, celui qu’elle devait attendre, ce qui a été fait pour le lui procurer, ce qui a arrêté et en arrête encore le succès, et ce qu’il convient de faire, et ce que le peuple entend qu’il soit fait pour le faire arriver au ternie des droits de tous les hommes et au bonheur commun, pour lesquels il a fait la révolution. » (Tribun du Peuple, n° 31). Dans sa détermination ultérieure à la violence nécessaire, il se justifie par le moindre mal. Au pis, la situation serait-elle pire ? « La guerre civile ! Je te demanderai s’il en est une plus horrible que celle qui existe perpétuellement depuis l’établissement de la propriété, par le moyen de laquelle chaque famille est une république à part, qui, par la crainte d’être dépouillée, et l’inquiétude constante de manquer elle ou les siens, conspire sans cesse pour dépouiller les autres » (Haute Cour de Justice, copie des pièces, tome I). « Vous parlez de guerre civile… comme si nous ne l’avions pas ! Comme si la guerre des riches contre les pauvres n’était point la plus cruelle des guerres civiles, surtout quand les uns sont armés de toutes pièces, et que les autres sont sans défense. Vous ne voulez pas de guerre civile et pour cela, vous voulez que le peuple meure patiemment de faim, de froid, de nudité… Ah ! donnez-lui plutôt toutes les guerres possibles… qu’il aille, à armes égales, se mesurer avec ceux qui l’assassinent. Cette guerre aura bientôt une issue en sa faveur, et elle terminera les maux du grand nombre » (Tribun du Peuple, n° 35). Mais s’il en accepte le risque, Babeuf ne croit pas au danger d’une guerre civile. « Il n’y a point à craindre, en marchant à l’égalité, de guerre civile comparable aux guerres d’hommes à hommes, et de peuple à peuple, qu’entretient sans interruption notre état présent. Eh, Nature ! Puisqu’on n’a pas hésité devant les guerres sans nombre et continuelles qui ont été ouvertes pour maintenir la violation de tes lois, comment pourrait-on balancer devant la guerre sainte et vénérable qui aurait pour objet leur rétablissement ? Encore est-il bien certain qu’il y aura une guerre au moment où nous serons assez sages pour vouloir instituer l’égalité ? Je n’en crois rien ». La tactique appliquée, — longue préparation d’une insurrection brutale et brève—, ne doit pas lui laisser le temps d’éclater.

Cette tactique préfigure celle de la lutte des classes d’aujourd’hui. Babeuf en a élaboré les éléments, tandis qu’il agitait les masses paysannes picardes en 1790 et 1791. Il les expose dans le numéro 29 du Tribun du Peuple. « Des circonstances font varier la force du parti plébéien ou de celui patricien et c’est là exclusivement ce qui explique les avantages alternatifs que chacun d’eux remporte… Tout le secret pour parvenir encore à faire le bien du grand nombre consiste à faire retrouver au parti plébéien la tactique de supériorité de force qu’il a perdue en la laissant conquérir par le parti adverse. »

Comment ? Le même numéro montre Babeuf convaincu de l’importance essentielle des forces morales, qui se confondent avec la propagande : « Il est constant, de plus, qu’avec des forces minimes, le parti du peuple devant être, comme je l’ai dit, immanquablement soutenu par le peuple, et par l’ascendant puissant de la vérité et de la raison, triomphera toujours ». La préparation des masses par la propagande permettra au mouvement de réussir. « Éternellement persuadé qu’on ne peut rien faire de grand qu’avec tout le peuple, je crois qu’il faut encore, pour faire quelque chose avec lui, lui tout dire, lui montrer sans cesse ce qu’il faut faire, et moins craindre les inconvénients de la publicité dont la politique profite, que compter sur les avantages de la force colossale qui déjoue toujours bien la politique… Il faut calculer tout ce qu’on perd de force en laissant l’opinion dans l’apathie, sans aliment et sans objet, et tout ce qu’on gagne en l’activant, en l’éclairant et en lui montrant un but » (Prospectus du Tribun du Peuple, B. N. Tome I en tête). Cette propagande ouverte se propose un double objet « pour miner l’édifice du crime, et pour jeter les fondements de la vraie justice. Faire détester les pouvoirs régnants en découvrant toujours à nu leur continuel forfait ; et faire adorer le système de la réelle égalité, en en développant de plus en plus les charmes. Nous avons à joindre à cela, le moyen de l’encouragement, par l’exposition ravissante du tableau des prosélytes nombreux et ardents qui viennent se ranger successivement autour de nos bannières sacrées » (Tribun du Peuple, n° 40). Persuasion et conviction forment les moyens essentiels, que Babeuf tient de Diderot, et qu’il emploie en particulier pour gagner l’armée : « Le soldat n’ira qu’avec nous et pour nous. Tant mieux que les scélérats qui nous vexent nous aient fait venir une grosse armée. Mieux encore ils feront s’ils l’augmentent, nous en serons plus forts. C’en est fait, l’endoctrinement a jeté ses racines parmi nos frères enrégimentés, qui sont comme nous du Peuple et qui n’ont avec nous qu’une même cause… Il n’est plus au pouvoir de l’inquisition ni civile ni militaire d’en empêcher la lecture à nos soldats et à nos ouvriers » (Tribun du Peuple, n° 42).

Ce serait l’idéal de diriger le mouvement aveugle et incohérent de la masse afin de profiter de cette force en l’organisant. S’il était possible de le réaliser, rien ne pourrait résister à cette puissance. On pourrait rejeter l’appareil de la clandestinité et effectuer brusquement les transformations fondamentales nécessaires. « Ah ! S’il y avait chance d’être compris de la masse, si elle pouvait tout à coup s’illuminer et sentir qu’à transiger sans cesse, elle ne fait qu’ajourner indéfiniment son bonheur, si elle pouvait se pénétrer de cette vérité que pour que l’égalité soit fondée définitivement, il ne doit pas rester vestige de tout ce qui a constitué le matériel des abus, elle se précipiterait d’elle-même à la destruction de toutes les arrogantes créations de l’inégalité ». Une telle action ne peut pas s’exécuter parce que la masse est encore trop ignorante de ses véritables intérêts, parce que sa conscience de classe ne s’est pas encore dégagée. « La minorité des égoïstes oppresseurs mène encore une majorité qui s’abuse et se croirait perdue si elle cessait d’être servile… La foule consternée, terrifiée, parce qu’aucun enseignement, aucun avertissement, ne l’aurait édifiée sur l’avantage d’employer le moyen le plus expéditif pour assurer d’emblée et à toujours le succès de la réforme qui doit ouvrir pour elle l’ère du bien-être, la foule incapable de saisir à l’instant même les heureuses et prochaines conséquences de ce soudain et rapide déblaiement, servirait certainement à souhait les ennemis de l’Égalité ». Cette situation défavorable oblige à renoncer au début aux « apôtres armés de torches », et Babeuf donne à Charles Germain, dans sa lettre du 10 Thermidor an III, des directives d’action préalable partielle et patiente : « Mon cher Général, gardons-nous d’aller trop vite et de vouloir tout emporter d’assaut. En suivant ton plan, si l’on réussit, on a remporté une immense et décisive victoire, par contre, si l’on éprouve un échec, il est irréparable, il est mortel. Sans doute, le moyen que je t’ai proposé n’est pas aussi héroïque, puisqu’il consiste à ne gagner d’abord à nos principes qu’une faible étendue de pays, mais il a pour lui un bien grand avantage, celui de ne rien compromettre. Autant que possible, nous cherchons à nous placer dans un centre de population où les dispositions des esprits nous soient généralement favorables. Une fois établis dans ce foyer, …les habitants des territoires limitrophes, entraînés par l’exemple, ne tardent pas à venir à nous ». On agira donc d’abord par noyautage, progressivement et clandestinement, pour saper l’organisation sociale et en préparer l’explosion. C’est la Vendée plébéienne, qu’annonce le « Manifeste des plébéiens : nécessité pour tous les malheureux français d’une retraite au Mont Sacré ou de la formation d’une Vendée plébéienne » (Tribun du Peuple, n° 35), et qui constitue le centre moteur du mouvement. « Que les partis en viennent aux prises, que la rébellion, partielle, générale, instante, reculée, se détermine ; nous sommes toujours satisfaits ! que le Mont Sacré ou la Vendée plébéienne se forment sur un seul point ou dans chacun des 86 départements ! que l’on conspire contre l’oppression, soit en grand, soit en petit, secrètement ou à découvert, dans cent mille conciliabules ou dans un seul, peu nous importe, pourvu que l’on conspire » (id.). Le noyautage met en marche le mécanisme de la contagion, moyen actuel important de la lutte des classes [34]. Son influence place le corps social en état de réceptivité à l’insurrection qui peut alors éclater dans tout son déchaînement.

Sa violence finalement inévitable découle du caractère impératif et nécessairement extrême du changement complet à apporter. Babeuf se refuse définitivement à toute réforme et à toute amélioration du système existant. Il adjure son ami Antonelle de renoncer à des demi-mesures qui pourraient tout perdre, de se débarrasser d’une modération fatale et il l’exhorte à la détermination farouche de faire table rase pour instaurer sûrement l’ordre fondamental nouveau. « Quoi ! citoyen ! des palliatifs… que le grand jour du peuple arrive, qu’on le fasse transiger avec les scélérats, que le peuple ne leur demande qu’une demi-justice, le peuple est presque sûr qu’il ne l’obtiendra point ; la caste friponne du million le marchandera ; elle temporisera et elle tâchera de ne rien finir. Qu’au contraire, le peuple exige une justice entière, il est obligé alors d’exprimer majestueusement sa volonté souveraine, de se montrer dans toute sa puissance ; et au ton dont il se prononce, aux forces qu’il déploie, tout cède nécessairement, rien ne lui résiste, il obtient tout ce qu’il veut et tout ce qu’il doit avoir… Les lois qui n’ont apporté que des remèdes palliatifs aux maux de l’Humanité peuvent être regardées comme cause première des suites fâcheuses de leur mauvaise cure… Laisse, Antonelle, laisse les malheureux jetés hors de la société par les monstres de la caverne, laisse-les faciliter son prompt écroulement ; ne viens pas avec des étançons, des contre-poids ; ne viens pas aussi pour REGLER, PERFECTIONNER L’IMPERFECTION ; laisse 24 millions d’Erostrate [35] renverser à tes yeux le temple infâme où l’on sacrifie au démon de la misère et de l’assassinat de presque tous les hommes ».

Ainsi condamnée dans les résultats, la mesure est enfin écartée des méthodes, qui appellent le recours à la violence. « Le salut de 25 millions d’hommes ne doit point être balancé contre le ménagement de quelques individus équivoques. Un régénérateur doit voir en grand. Il doit faucher tout ce qui le gêne, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa prompte arrivée au terme qu’il s’est prescrit ». (Haute Cour de Justice, suite de la copie des pièces, tome II).

C’est que la Révolution de Babeuf justifie les moyens qu’elle emploie par les fins qu’elle poursuit. « Nous n’avons voulu révolutionner que pour réparer les maux qui désolent le monde, …que pour remplir le but de la société, qui est le bonheur commun » (Tribun du Peuple, n° 34). L’humanité reviendra à l’état de nature originel, dans l’égalité réelle et universelle. C’est l’état d’un peuple tel « que le sol ne fut à personne, mais appartint à tous ; qu’enfin tout fut commun jusqu’aux produits de tous les genres d’industries » (Lettre du 21 mars 1787 citée dans Advielle : Correspondance). Dès ses premières lettres, Babeuf a insisté sur cet idéal de la communauté des biens. « Vers 1787, il semble bien que, déjà, l’idée du communisme hante la pensée de Babeuf [36]». Il en esquisse un programme dans le « Manifeste des Plébéiens » (Tribun du Peuple, n° 35) : « Le seul moyen d’en arriver là est d’établir l’administration commune ; de supprimer la propriété particulière, d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun ; et d’établir une simple administration de distribution ». Mais sa pensée finale apparaît singulièrement enrichie et précisée dans la lettre, parmi les dernières, du 10 thermidor an III à Charles Germain, ou il expose, avec la géniale prescience d’une planification collective intégrale, sa conception de l’État socialiste. C’est une société sans classe, égalitaire et frugale, réalisée par une économie fermée et autarcique, communautaire et distributive, technique et mécanisée, ou n’existent ni propriété particulière, ni concurrence, ni monnaie. La satisfaction des besoins de chacun est largement assurée en nature, selon les services fournis, par la production de tous multipliée par les machines. Le travail est obligatoire et l’oisiveté punie comme un crime Capital. « Un des principaux fondements de l’association étant la rigoureuse obligation de coopérer pour avoir droit à recueillir, aucun oisif volontaire ne pourra exister dans son sein… Plus d’exploitants, plus d’exploités… quand tous les agents de production et de fabrication travaillent pour le magasin commun et que chacun d’eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle et que des agents de distribution non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l’association, en retour de ce qu’il aura pu faire soit pour les augmenter, soit pour les améliorer… Au lieu que je sois obligé d’échanger comme par le passé le travail de mes mains contre des signes représentatifs qui, tantôt sont à peine au niveau des besoins de tous les jours et tantôt sont de beaucoup en dessous, j’échan­gerai ce travail contre tous les objets réels qui me sont nécessaires et je serai sûr qu’il me vaudra constamment tout ce qu’il me faudra… L’association sera constamment au courant de ce que chacun fait afin qu’il ne se produise ni trop ni trop peu des mêmes objets ; c’est elle qui déterminera pour chaque spécialité le nombre des citoyens qui devront y être employés et des jeunes gens qui s’y destineront. Tout sera approprié et proportionné aux besoins présents et aux besoins prévus selon l’accroissement probable et facilement supputable de la société. Tous les besoins réels seront exactement étudiés et pleinement satisfaits par une rapide transmission dans toutes les localités et à toutes les distances. »

Là se trouve fondée la République de Babeuf, là seulement s’achève sa vraie Révolution du peuple, que la Révolution française n’a pas réalisée, mais dont elle a été l’avant-coureuse, comme l’annonçait le manifeste des Égaux. Babeuf mort, sa pensée passe, par son ami et biographe Buonarroti, aux sociétés secrètes parisiennes, qui s’inspirent de ses principes pour leurs programmes et de ses méthodes pour leurs conspirations. Karl Marx les fréquente à sa venue à Paris en 1843, et retrouve l’influence de Babeuf présente au Parti Ouvrier Français de 1848, à la Fédération des Justes et à la Ligue des Communistes où s’élabore le célèbre Manifeste qu’il signe avec Engels. Par là, Babeuf inspire à la fois les doctrinaires des socialistes français et de la révolution russe, et les idéologies politiques qui s’en réclament aujourd’hui [37].

Exemple mémorable qu’aucune trahison humaine ne saurait attenter à la pensée inviolable et qu’ainsi il n’est pas de sacrifice inutile quand on lutte pour l’idée.

 

Cul de lampe Bonnet A

À PROPOS D’UN ARTICLE SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

par Albert Soboul

 

Encore une fois, ne confondons pas les époques, hier et aujourd’hui, le métier d’historien est à ce prix, les Annales ne cessent de le répéter. L’article de René Roux sur La Révolution française et Vidée de lutte des classes suscite d’utiles réflexions, niais révèle une fâcheuse confusion et, à mon avis, une méconnaissance singulière des perspectives générales de l’évolution historique [38]. Qu’on m’excuse de le dire avec une certaine vivacité.

C’est un lieu commun que d’affirmer le caractère bourgeois de la Révolution française : vérité d’évidence, mais bonne à répéter. S’y fût-il tenu, l’auteur eût évité de s’engager dans une voie sans issue. Révolution bourgeoise : elle a détruit la primauté politique et la puissance économique de l’aristocratie féodale ; s’il y eut lutte de classes — et, qui plus est, conscience de cette lutte — c’est entre cette bourgeoisie et cette aristocratie. René Roux le signale à peine et se fonde sur des cautions aussi peu sûres — dans ce domaine renouvelé depuis lors — que Proudhon et Michelet, responsable pour désigner les Sans-culottes, de cette fâcheuse expression de bras nus, source de tant d’incertitudes et à laquelle Daniel Guérin [39] donna un regain de célébrité. S’il se réfère à Marx dont il interprète mal, à notre sens, une citation fameuse [40], et à Kautsky dont le livre demeure valable [41], René Roux, au delà de ces politesses, semble estimer qu’en ce qui concerne la théorie de la lutte de classes Raymond Aron [42], Daniel Guérin et Jules Monnerot [43] sont bien meilleurs juges que Marx lui-même ou Engels. Si l’on veut ! Sur la trace de ses guides, René Roux ne voit dans la Révolution française que l’opposition Bourgeoisie—Sans-culottes. L’imprécision des termes le sert, qui contribue à aggraver le malentendu : ordres, écrit-il, dans le cadre de l’Ancien Régime, quand il aurait fallu dire classes (p. 258) ; et surtout pour désigner les classes populaires, il dira tantôt bras nus, tantôt ouvriers, ou prolétariat, ou encore plébéiens… René Roux en vient à soutenir à peu près la thèse de Daniel Guérin, controuvée pourtant, selon laquelle il aurait existé, pendant la Révolution un embryon de révolution prolétarienne : c’est prendre les Sans-culottes pour des prolétaires sans plus. Voire…

« La manifestation de la lutte de classes dans les faits n’en implique pas nécessairement la conscience », continue René Roux (p. 254) qui s’efforce après tant d’autres de retrouver à travers les philosophes du XVIIIe siècle les premières traces de cette conscience, puis d’en noter les manifestations après 1789. Il s’attarde ainsi sur la loi Le Chapelier, dont il souligne le caractère de « loi organique » du capitalisme (p. 262), sur les incidences sociales du maximum qui contribua à développer l’antagonisme entre possédants et non possédants (p. 263) [44].

Les décrets de ventôse fournissent à René Roux un argument de poids. À leur propos, il parle de « programme d’une révolution sociale » (p. 269), et plus loin : « Quelle révolution de classe depuis la fameuse Déclaration bourgeoise que la propriété est un droit inviolable et sacré ! C’est le transfert radical de la propriété d’une classe à une autre : une immense expropriation publique» (p. 270). Le point de vue n’est pas nouveau. Albert Mathiez avait déjà vanté cette « révolution nouvelle [45]». La réalité paraît plus modeste. Tous deux prennent pour un nouveau mouvement social une simple mesure politique dans le cadre de la lutte toujours poursuivie entre la bourgeoisie et l’aristocratie. Il ne s’agit pas tant d’élever les Sans-culottes à la propriété que de détruire radicalement la société de l’Ancien Régime. « Ce qui constitue la République, proclame Saint-Just, c’est la destruction de tout ce qui lui est opposé » : entendons, les aristocrates. Et encore : « Toute la sagesse du gouvernement consiste à réduire le parti opposé à la Révolution » (13 ventôse an II). Saint-Just ne s’attaque pas à la propriété : celle des patriotes est inviolable et sacrée, ce qui — quoi qu’en pense René Roux  — rejoint étrangement la Déclaration des droits de 1789. On séquestre les biens des adversaires du régime nouveau, et l’on s’en sert pour indemniser ceux qui le soutiennent : les patriotes indigents. Mesure essentiellement politique : pour vaincre, à l’intérieur, comme aux frontières, au milieu des circonstances mouvantes de ventôse an II et de la propagande hébertiste, le Gouvernement révolutionnaire veut s’attacher les Sans-culottes. Comment le mieux faire qu’en les élevant, sur les ruines de l’aristocratie, à la dignité de propriétaires ? Sans insister davantage sur l’imprécision de ces décrets dans lesquels il n’est nullement question de cession gratuite de terres, remarquons qu’ils s’apparentent aux confiscations de biens privés motivées par la rébellion et la trahison, ou par toute autre cause révolutionnaire.

Sous ce jour, les décrets de ventôse perdent leur caractère d’exception. Les témoignages abondent — et tous n’émanent pas des Sans-culottes — de cette volonté de détruire l’aristocratie et d’en distribuer les dépouilles à ceux qui en auront triomphé. Le député Baudot, qui bientôt suivra Danton, demande aux Jacobins, le 21 juillet 1793, que l’on excite les Sans-culottes à frapper les aristocrates et les riches (dans la mesure où les seconds se font les soutiens des premiers) : « Il faut assurer aux Sans-culottes la propriété de tout ce qu’ils prendront sur eux de vive force. [46]» Jacques Roux, dans le n° 203 de son Publiciste, en août 1793, propose « qu’au retour de la campagne, on distribue aux Sans-culottes vainqueurs et à leurs veuves, une partie des biens des émigrés, des fédéralistes et des députés qui ont abandonné leur poste et trahi la nation ». Aux Jacobins encore, le 16 septembre 1793, d’après l’observateur Rousseville, il est donné lecture d’une lettre d’un bataillon de l’Hérault, demandant « qu’on partage aux soldats après la guerre les terres des émigrés et des traîtres [47]». Aux Jacobins toujours, Hanriot déclare le 7 brumaire an II : « Il faut que tout ce que perdent les aristocrates soit donné aux patriotes ; maisons, terres, tout doit être partagé entre ceux qui conquirent sur les scélérats [48]. » Quelques jours auparavant, à la société populaire de la section Le Peletier, « un membre [avait] représenté qu’il serait intéressant de stimuler l’ardeur de nos défenseurs, vrais Sans-culottes, qui combattent contre les ennemis de l’intérieur, en leur donnant une portion des biens qui seraient confisqués aux contre-révolutionnaires [49]». Nous n’avons cité ces quelques textes préfigurant, à des titres-divers, les décrets de ventôse, que dans la mesure où ils illustrent l’opposition des Sans-culottes, non à la bourgeoisie, comme s’est efforcé de le montrer René Roux, mais bien à l’aristocratie.

D’ailleurs, comment en aurait-il été autrement ? Les Sans-culottes ne forment pas une classe, encore moins un parti. Si l’on trouve parmi eux une minorité de prolétaires, on y rencontre surtout une majorité de boutiquiers et d’artisans qui ont accédé à la propriété, et des petits bourgeois des professions libérales. La haine de l’aristocratie unit tous ces hommes ; elle les entraîne, à la suite de la bourgeoisie, à l’assaut de l’Ancien Régime. Mais, intégrés dans l’économie traditionnelle de cette France du XVIIIe siècle essentiellement paysanne, artisanale et boutiquière, ils participent d’une mentalité précapitaliste et redoutent de se voir réduits par les progrès du capitalisme au rang de simples prolétaires. De là leurs déclamations contre les riches et les « gros », qui ont fait illusion à Daniel Guérin et, après lui, à René Roux, au point qu’ils ont pris les Sans-culottes pour une avant-garde prolétarienne, alors que sur le plan économique ils se rattachent au système traditionnel de production.

Sur Babeuf, nous serons, comme l’auteur, plus bref. L’essentiel est dit. Mais je ne pense pas que Babeuf ait eu une aussi claire conscience de la lutte des classes que l’affirme M. René Roux, pour cette seule raison qu’il n’avait pas une idée distincte des classes elles-mêmes. Il voit « la classe riche », « cette classe des dévorants de la société » : les patriciens d’un côté, de l’autre : les plébéiens, « la classe ouvrière », « les classes utiles », « les classes pauvres », « l’innombrable classe des malheureux ». C’est bien la lutte du riche et du pauvre, mais l’imprécision même de cette terminologie empêche d’affirmer que Babeuf ait clairement conçu ce qu’est « l’exploitation du travail par le capital », comme semble l’admettre René Roux (p. 271). Comment l’aurait-il pu, alors que le prolétariat ne se différenciait pas nettement de la sans-culotterie et que se dessinait à peine l’antagonisme qui allait l’opposer à la bourgeoisie ? Ce n’est pas diminuer la grandeur de Babeuf que de marquer les limites que la structure sociale de l’époque mettait à sa doctrine et à sa pensée.

Pour s’être fondé sur une insuffisante analyse de cette structure, René Roux fausse la perspective et donne des luttes de classes sous la Révolution une image déformée. Les réalités sociales sont complexes, leurs contradictions multiples ne se laissent pas enfermer dans des schémas préfabriqués. Ce serait beaucoup trop simple.

______________________

Notes article R. Roux

[1] Proudhon : Capacité politique des classes ouvrières. Cité par J. Lhomme : Le Problème des classes, doctrines et faits, Paris, Sirey, 1988.

[2] Œuvres philosophiques, trad. Molitor, Paris, 1927.

[3] Die Klassengegensätze von 1789, Stuttgart, 1889, trad. fr. Berih, 1901.

[4] Deux volumes, Paris, 1946.

[5] ENGELS : Préface au Manifeste Communiste, éd. Molitor, 1934.

[6] Annales historiques de la Révolution Française, 1930.

[7] Cf. G. Lefebvre : La Révolution Française (avec R. Guyot et Ph. Sagnac), Paris, 1930, Les Thermidoriens, Paris, 1937.

[8] Jean Jaurès : Histoire socialiste de la Révolution Française, Paris, 1922. Histoire socialiste (1789-1900), Paris, publiée sous la direction de Jean Jaurès qui a écrit les quatre premiers tomes (jusqu’au 9 thermidor).

[9] A. Mathiez : La Révolution Française. Tome 1 : La chute de la royauté, Paris, 1930.

[10] Ibidem.

[11] Cf. A. Espinas : La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution, Paris, 1898. R. Picard : « La Théorie de la lutte des classes à la veille de la Révolution Française », Revue d’économie politique, 1911.

[12] Titre du livre de Daniel Mornet, Paris, 1935.

[13] Id. La France économique et sociale au XVIIIe siècle, Paris, 1935.

[14] Karl Marx : Neue Rheinische Zeitung, Cologne, 11 décembre 1848, in Aus dem literarischen Nachlass von K. Marx und F. Engels, 1841 bis 1850, herausgegeben von F. Mehring, Berlin 1923.

[15] Cité par Ch. L. Chassin : Les Élections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, 1889.

[16] Cahier du Clergé de Paris : Cahiers des États Généraux, tome V, Paris, 1868.

[17] Cf. R. Picard : Les Cahiers de 1789 au point de vue industriel et commercial, Thèse Droit, Paris, 1910.

[18] Grace M. Jaffé : Le Mouvement ouvrier à Paris pendant la Révolution Française, 1789-1791, Thèse Lettres, Paris, 1921.

[19] R. Garmy : La Mine aux Mineurs de Rancié (Ariège), 1789-1799. Commission de Recherche et de Publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution : Assemblée générale de la Commission centrale et des comités départementaux, 1939, tome I, Besançon, 1942.

[20] R. Aron : Introduction à la philosophie de l’Histoire, essai sur les limites de l’objectivité historique, Paris, 1938.

[21] Jean. Jaurès : op. cit.

[22] Cf. Grace M. Jaffé : op. cit.

[23] Cf. Edmond SOREAU : « La loi le Chapelier », Annales historiques de la Révolution Française, 1931 et Edouard DOLLÉANS : Histoire du mouvement ouvrier, Paris, Colin.

[24] Dans D. Guérin : op. cit.

[25] Dans D. Guérin : Op. cit.

[26] Op. cit.

[27] Lettre de Grenus, député du Mont-Blanc, en novembre 1793. Publiée par F. Vermale : Mémoires de la Société savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, tome LXV et citée par A. Mathiez : Le Directoire, Paris, 1934.

[28] Cité par D. Guérin : op. cit.

[29] Cf. pour la vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord, la thèse de L. Dubreuil sur : La Bretagne et les pays celtiques. La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord (études et documents), Paris, 1909 ; et pour la Savoie, F. Vermale (Annales révolutionnaires, V, 1912).

[30] Cité par R. Garaudy : Les Sources françaises du socialisme scientifiaue Paris 1948.

[31] Dont A. Mathiez : Le Directoire, op. cit., méconnaît singulièrement l’importance et l’originalité.

[32] Babeuf : La doctrine des Égaux. Extraits des Œuvres complètes publiés par Albert Thomas, Paris, 1906.

[33] Tribun du Peuple, n° 35. Les citations sont faites d’après : Journal de la liberté de la presse, Tribun du Peuple, Paris, 2 vol.

[34] Cf. J. Monnerot : Sociologie du Communisme, Paris, Gallimard, 1948.

[35] Hérostrate ou Érostrate qui, selon Valère Maxime, incendia le temple d’Artémis, à Éphèse (côte ouest de l’Asie mineure ; en 356 av. J.-C.) « pour rendre son nom immortel ». Il fut condamné à mourir brûlé et toute mention de son nom fut interdite sous peine de mort. [Note C. G.]

[36] Albert THOMAS : « La pensée socialiste de Babeuf avant la Conspiration des Égaux », Revue socialiste, 1904-1905.

[37] Cf. G. Sencier : Sociétés secrètes et conspirations communistes, 1830-1848, Paris, 1912 ; A. Espinas : op. cit. ; A. Mathiez : compte rendu de Maurice Dommanget, Histoire des doctrines socialistes : « Babeuf et la conjuration des Égaux », dans Annales révolutionnaires, 1923. R. Garaudy : op. cit.

_______________

Notes texte A. Soboul

[38] Nous ne relèverons pas les erreurs matérielles. Redisons cependant que Georges Lefebvre n’est pas le « disciple » de Mathiez comme l’affirme M. René Roux (p. 253). G. Lefebvre s’en est lui-même expliqué dans les Annales historiques de la Révolution française (1947, n° 2, p. 188). Les Enragés ni les Hébertistes ne réclamèrent jamais « le partage universel des terres » (p. 268) : l’auteur confond le partage des terres (« la loi agraire », contre laquelle se sont élevés tous les révolutionnaires, sauf Babeuf) et le partage des grandes fermes (il s’agit du partage de l’exploitation, non de la propriété). Ce partage des grandes fermes, les Sans-culottes des campagnes ne cessèrent de le réclamer. Saint-Just et Robespierre en avaient reconnu le bien-fondé, au point de l’inscrire, celui-ci dans son carnet, celui-là dans ses notes sur les Institutions républicaines : ils ne le proposèrent jamais à l’Assemblée bourgeoise qu’était la Convention. — Peut-on parler d’un « Parti ouvrier français de 1848 » (p. 279) ?

[39] Daniel Guérin, La lutte de classes sous la première République. Bourgeois et « Bras nus» (1793-1797), 1946.

[40] La conspiration de Babeuf fut selon Marx « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant… dans le cadre de la révolution bourgeoise » (citation de M. René Roux, p. 252). On ne saurait trop souligner l’importance du dernier membre de phrase, « dans le cadre de la révolution bourgeoise ».

[41] Karl Kautsky, La Lutte des classes en France en 1789, 1901 (traduction du livre paru en allemand, en 1889).

[42] Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, 1938.

[43] Jules Monnerot, Sociologie du communisme, 1948.

[44] S’il cite Jean Jaurès et son Histoire socialiste (p. 273), René Roux ne le suit pas pour autant lorsqu’il se réfère à l’Introduction à la Révolution française de Barnave qui écrit : « Une nouvelle distribution de la richesse produit une nouvelle distribution du pouvoir. De même que la possession de la terre a élevé l’aristocratie, la propriété industrielle élève le pouvoir du peuple. » Et Jaurès commente : « La bourgeoisie du Dauphiné, dont Barnave a merveilleusement dégagé et interprété la pensée, a proclamé nettement l’antagonisme de la classe industrielle et de la classe foncière » (I, p. 104). De la conscience de cet antagonisme, les preuves abondent. Faut-il citer la brochure de Siéyès : Qu’est-ce que le Tiers État ?

[45] Albert Mathiez, La Révolution française, III, pp. 147-149.

[46] A. Aulard, La Société des Jacobins, V, p. 308.

[47] P. Caron, Paris pendant la Terreur, I, p. 120.

[48] Journal de la Montagne, n° 150, 9 brumaire an II.

[49] B. N., ms, F. fs., nouv. acq. 2662, fol. 25, 21 du premier mois an II.

 

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

La citoyenne Montgery, institutrice, pétitionne pour l’éducation des filles (1792~1793)

09 lundi Fév 2015

Posted by Claude Guillon in «Documents», «Textes de femmes»

≈ Commentaires fermés sur La citoyenne Montgery, institutrice, pétitionne pour l’éducation des filles (1792~1793)

Étiquettes

Alphonse Aulard, Éducation, Citoyenne Montgery, Elke & Hans-Christian Harten, James Guillaume, Jean-Baptiste Massieu, Jean-Jacques Rousseau, Laurie Laplanche, Louis Michel Le Peletier

La pétition de la citoyenne Montgery, rédigée vers fin 1792, dont je vais reproduire la version imprimée en brochure, a échappé à l’attention de — ou a été négligée par — Elke et Hans-Christian Harten, qui ne la mentionnent pas dans leur recueil Femmes, culture et Révolution (Des Femmes, 1989).

Mon attention a été attirée sur elle par Laurie Laplanche, qui signale l’exemplaire de la BN (aujourd’hui sur microfiche) dans son mémoire de 2007 : Le Discours sur l’éducation des femmes pendant la Révolution française La représentation de la citoyenneté féminine entre 1789 et 1794 (téléchargeable sur le site de l’Université de Montréal).

Les Archives nationales conservent un autre exemplaire (à Paris) sous la cote AD/VIII/29.

Une première recherche m’a permis de vérifier que cette pétition n’était pas inconnue, puisqu’elle est signalée dans Tourneux, Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution française (tome III, n° 17387, p. 586) et dans Fosseyeux, Marcel, Les Écoles de charité à Paris sous l’ancien régime et dans la première partie du XIXe siècle (1912, p. 233 Archive.org).

Or si la pétition individuelle de la citoyenne Montgery est de facture assez classique, elle mérite certainement d’être mentionnée au chapitre des démarches féminines en faveur de l’éducation des filles, du fait de la grande pugnacité avec laquelle son auteure l’a présentée d’abord devant trois institutions : le club des Jacobins, la Convention & la Commune[1]. On notera que ce « parcours » ne respecte pas la hiérarchie des pouvoirs, qui aurait voulu qu’elle fût présenté d’abord devant la Commune. La pétitionnaire entend se tourner ensuite vers les sections parisiennes, afin qu’elles appuient sa demande auprès du rapporteur nommé à la Convention (en fait au Comité d’Instruction publique de celle-ci), qu’elle désigne sous le nom de « Massieux ». Il s’agit du député Jean-Baptiste Massieu, ancien évêque constitutionnel de l’Oise, abdicataire et marié le 23 novembre 1793, membre du Comité d’Instruction publique.

Nous verrons plus loin que dans la famille Montgery, un maître de pension, probablement l’époux de la citoyenne institutrice, défend ses intérêts de « prolétaire » de l’enseignement, sans que, à ma connaissance l’une mentionne l’autre, et réciproquement.

La citoyenne Montgery vient donc d’abord aux Jacobins, le 19 décembre 1792, prononcer une allocution qui forme le début de la pétition qu’elle entend présenter devant la Convention[2]. Le Journal des débats la reproduit (ou un extrait) dans son n° 323, du 21 décembre 1792.

Elle présente sa pétition à la Convention un peu plus d’un mois plus tard, le 27 janvier 1793. Elle est admise à la séance et lit elle-même son texte. Je n’ai pas trouvé mention de son intervention dans les Archives parlementaires. Par contre, elle est signalée dans le Procès-verbal de la Convention (t. V, p. 452) sous l’appellation « citoyenne Bonnet, femme Montgéry ».

Capture d’écran 2015-02-09 à 15.42.47Elle ne mentionnera pas son nom de jeune fille dans la brochure.

La pétition est renvoyée au Comité d’Instruction publique de la Convention (voir P.-V.). Bonnet-Montgery assure avoir obtenu la mention honorable à l’unanimité des voix (ce dont le P.-V. ne dit rien) et prétend que « le Citoyen Rabaud de Saint-Etienne, qui étoit Président, [lui] a promis, au nom de la Convention, d’accepter [s]es offres pour l’Education publique », ce qui est évidemment faux.

En l’état de mes courtes recherches, je n’ai pas de traces des démarches éventuelles faites par la citoyenne pour contacter les 48 sections de Paris.

Ce que nous savons, en revanche, c’est qu’elle a été entendue le lundi 11 février 1793 par le Comité d’instruction publique, devant lequel elle a pu développer à nouveau ses arguments[3]. Cependant, Massieu propose dans son rapport, quinze jours plus tard, le 26 février, de passer à l’ordre du jour, c’est à dire de ne donner aucune suite à la pétition[4]. Sa position est adoptée. Deux mois d’efforts en vain.

Le citoyen Montgery, maître de pension

J’ai trouvé deux lettres manuscrites aux Archives nationales, la première de la main du « citoyen Merigon Montgery, rue et isle St Louis n° 8 ». La présence du patronyme « Merigon » reste mystérieuse à mes yeux, mais celle de « Montgery » ainsi que l’identité de l’adresse avec celle de la citoyenne Bonnet-Montgery ne laisse que peu de doute sur le lien entre le maître de pension et l’institutrice.

Cette première lettre (F/17/1002 d. 153 plaq. 2) n’est pas datée, mais elle a été écrite avant le 20 janvier 1793, date de l’assassinat de Louis Michel Le Peletier, dont Montgery a été le précepteur, et qui « recommande instamment à ses collegues » la pétition de ce dernier.

Le citoyen Montgery assure que l’enseignement est « une carrière qu’il remplit depuis l’âge de seize ans ». Il se plaint amèrement de la concurrence déloyale des prêtres et décrit longuement la condition malheureuse des maîtres de pension.

Un Me de pension est un citoyen obscur, dédaigné, dont tous les instans sont consacrés à l’utilité publique, dont le travail suffit à peine à sa pénible existence, dont la vie prolongée dans les soucis et les inquiétudes s’éteint dans l’amertume, laissant des filles condamnées au célibat, parcequ’il n’a pu les doter ; ou s’il en etablit une, c’est en la donnant à un gendre aussi indigent, qui succede à ses peines et à ses travaux. […]

Vous n’ignorez pas, citoyens, la progression effrayante du prix des vivres, qui fait gemir les vrais Républicains, et qui, sans doute, éveillera votre attention, par les suites incalculables qui peuvent en resulter : les maitres de pension, au milieu de ce fléau général, ont été contraints de baisser le prix de pensions, qui etoient à peine en proportion avec des tems meilleurs. Il en doit être très peu qui n’eprouvent les angoisses d’une ruine prochaine, dont la perspective ne soit d’être jetté dans les cachots avec les coupables, par une suite du droit affreux du créancier impitoyable sur son débiteur infortuné, monstre qui deshonore un état policé, et que vous nous empresserez de bannir de la terre de la liberté.

Citoyens, si en plaidant ma cause devant vous, j’ai plaidé celle d’une classe de citoyens, aussi laborieux qu’ignorés, j’ai cru servir la Republique, en indiquant à votre choix des citoyens dignes de votre attention par leurs peines autant que par leurs vertus.

C’est dans la deuxième lettre (F/17/1354 d. 6), du 23 thermidor an 2 [10 août 1794], que Montgery raconte avoir été précepteur de Le Peletier. Dans la description de ses démarches pour trouver l’emploi qu’il occupe alors à la Commission de l’Instruction publique, on comprend qu’il s’y est présenté en floréal an 2, soit au plus tôt fin avril 1794, ce qui semble contradictoire avec la mention du soutien de Le Peletier portée sur la lettre précédente. Mais rien ne dit que toutes ses lettres ont été conservées.

N’ayant d’autre moyen d’existence que mon travail, j’ai éprouvé pendant six mois toute l’horreur des besoins. J’ai sollicité inutilement de l’emploi à la trésorerie nationale, aux Bureaux de la guerre. Enfin au mois de floreal je me suis présenté à la commission de l’Instruction publique. Il n’y avoit encore que trois commis venus des Bureaux de l’Intérieur. J’y fus admis en qualité de chef de la 1e division, on me chargea en même tems des registres, en attendant, et ils me sont toujours restés. Avec ce double emploi j’y ai des appointemens médiocres.

Voilà, citoyen, toute l’histoire de ma malheureuse vie. Je n’ai pour recommandation que le desir du bien, l’amour du travail, et vous voyez que cela ne peut vous procurer une situation assortie aux premiers besoins de l’existence

Capture d’écran 2015-02-09 à 15.44.17

Cette dernière lettre(*), au moins, est postérieure aux démarches infructueuses de la citoyenne Montgery, sa probable épouse, pour se faire attribuer un bâtiment religieux pour y ouvrir une école gratuite pour les filles. Les difficultés — à se faire entendre et soutenir — que rencontrent ces deux personnes, également convaincues de l’importance de l’instruction publique, et disposant à la fois d’une bonne expérience professionnelle et d’un certain entregent, montrent qu’il y a parfois loin des plans et déclarations d’intention de l’exécutif à la pratique quotidienne de la piétaille enseignante. Les choses sont-elles différentes aujourd’hui ?

Capture d’écran 2015-02-09 à 15.02.29

Photo d’une microfiche, colorisée par mes soins.

PÉTITION PRÉSENTÉE À LA CONVENTION NATIONALE, LE 27 JANVIER 1793, PAR LA CITOYENNE MONTGERY.

Citoyens Législateurs,

Depuis que j’ai atteint l’âge de raison, j’ai desiré d’être utile à ma Patrie. J’ai réfléchi avec attention sur nos Etablissemens, dits de charité ; les Ecoles qui portent ce nom, m’ont paru avoir un grand inconvénient, celui de ne garder les Enfans que quatre heures par jour. Or, les Peres et Meres à qui la fortune ne permet pas de payer pour l’éducation de leurs Enfans, n’ont pas le tems de les surveiller le reste de la journée. Il arrive de là que les Enfans de l’un et l’autre sexe, passent une partie du jour dans les rues, exposés à tous les accidens inséparables de l’étourderie de cet âge et du tumulte des grandes villes. Chaque jour en offre de tristes exemples. Mais ce qui m’a toujours affligée le plus sensiblement, c’est le danger que courent leurs mœurs, en jouissant de la liberté avant l’âge de pouvoir connoître le bien d’avec le mal. Je suis même persuadée que bien des criminels, que la Loi condamne, auroient été vertueux, si leur éducation n’avoit pas été négligée. Sages LÉGISLATEURS, à qui je m’adresse, qui de nous ne doit pas employer ses soins et son travail, pour éviter de semblables malheurs à la Patrie. Le Citoyen Taillairand[5] a présenté un travail sur l’Education des hommes. Les femmes seront-elles toujours oubliées ? Je pense que l’on pourroit destiner, dans une partie des Sections, une Maison, ci-devant Couvent, où les jeunes filles ne viendroient pas seulement apprendre à lire et à écrire, mais aussi à devenir de bonnes Ouvrieres et sur-tout de bonnes Meres de familles, qui feroient honneur à la Patrie, des talens et des vertus qu’elles auroient reçus d’elle.

Le desir que j’ai de voir un pareil Etablissement, en faveur de mon sexe, ne m’empêche pas de sentir, Citoyens LÉGISLATEURS, que dans le moment actuel vous ne pouvez faire tout le bien que vos cœurs desirent ; aussi pour commencer ne fais-je que vous demander une Maison, ci-devant religieuse, qui ait un grand Jardin. Le moyen d’en tirer parti, pour que les enfans y trouvent une partie de leur nourriture, en même-tems que leur instruction, seront le fruit de mes soins et de mes combinaisons. Si j’avois de la fortune, j’en emploirois une grande partie à un Etablissement qui me paroit devoir amener les plus heureux effets : au défaut de fortune, j’offre à la Patrie le desir réfléchi de lui être utile, une santé ferme, une expérience de douze ans, dans l’éducation de la jeunesse, un courage et une activité que rien ne peut ralentir. Lire la suite →

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Un club de femmes dans les tribunes des Jacobins de Paris (1791)

12 lundi Mai 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents», «Textes de femmes»

≈ Commentaires fermés sur Un club de femmes dans les tribunes des Jacobins de Paris (1791)

Étiquettes

Alphonse Aulard, Clubs de femmes, Collot d’Herbois, Couthon, Dominique Godineau, Gérard Walter, Michael Lee Kennedy, Michel Biard, Tricoteuses

Travaillant sur les clubs de femmes, c’est logiquement que je me suis intéressé aux femmes dans les clubs, ou sociétés populaires. Le moins que l’on puisse dire est que les rapports entre membres masculins des clubs et femmes révolutionnaires, dans le public ou en tant que membres, ne sont pas toujours apaisés. Je n’entrerai pas ici dans la diversité des conflits suscités par la présence féminine, me contentant pour l’heure de citer la métaphore surprenante dont use à ce propos l’historien américain Michael Lee Kennedy, auteur d’une trilogie sur les clubs Jacobins dans la Révolution (1982, 1988, 2000) : « La relation entre l’assemblée des membres et les tribunes peut être comparée à celle d’amants querelleurs se retournant malaisément dans un lit étroit[1]. »

La relecture des documents concernant les sociétés populaires, même si certains d’entre eux sont bien connus, édités, et pour partie désormais disponibles sous forme numérisée, montre que la combinaison entre l’initiative collective des femmes révolutionnaires et la ségrégation même dont elles étaient l’objet ont conduit, dans certains lieux et occasions (peut-être rares, mais non exceptionnels) à la constitution de « clubs de femmes » à l’intérieur d’une société populaire, ou appuyés sur elle. À commencer, comme nous allons le voir, par la plus célèbre (et étudiée) d’entre elles : la Société des Jacobins de Paris. C’est sur cet exemple, parmi d’autres rencontrés dans mes recherches, que je vais m’attarder ici.

Les femmes sont accueillies comme membres — pas toujours à part entière ; elles n’ont pas automatiquement le droit à la parole — dans une minorité de société populaires. Elles sont admises à assister aux séances dans beaucoup d’autres. Dans les deux cas de figure, c’est pourrait-on dire au premier coup d’œil qu’elles apparaissent comme un groupe, ne serait-ce qu’en raison de la pratique de la ségrégation traditionnelle des genres, presque toujours reconduite, et d’autant plus facilement que les réunions se tiennent souvent à l’église ou dans la chapelle du couvent.

Cette visibilité collective a une conséquence positive, ou si l’on préfère dynamique : séparées physiquement des hommes (sociétaires ou non), « les femmes » peuvent certes susciter des rappels à l’ordre (ils ne manquent pas !), mais aussi des demandes, des consultations (outre celles qu’elles formulent elles-mêmes) et des félicitations. Il y a certes des femmes qui prennent part individuellement à la vie sociétaire, mais le groupe des femmes est consulté et admis en tant que tel, avec plus ou moins de réticences.

Ce phénomène a son revers : les femmes demeurent identifiées comme des êtres à part. Cependant, puisque la situation générale qui leur est faite dans la société révolutionnaire est d’infériorité par rapport aux hommes, la pratique sociétaire collective est indéniablement un moyen d’affirmation d’une citoyenneté féminine.

Cette constatation, parmi d’autres, permet de réviser à la hausse l’appréciation de la participation des femmes aux sociétés populaires, et à la Révolution en général.

 

Les femmes aux Jacobins de Paris

 

Un rappel général tout d’abord. Ce n’est que le 12 octobre 1791 qu’est décidée par les Jacobins la publicité des séances, au sens de l’admission du public (le principe, lui, figure dans le Règlement voté le 8 février 1790, mais renvoie à l’écho des débats et décisions dans la presse). Gérard Walter relève le paradoxe de cette mesure, grosse de conséquences révolutionnaires, adoptée sur la proposition d’un banquier genevois, Clavière, futur ministre des Contributions publiques[2] (décrété d’arrestation avec les Girondins, il se suicidera le 8 septembre 1793).

Avant octobre 1791, des personnalités peuvent être invitées à assister aux séances, et parmi elles des femmes. La fille du duc d’Orléans est présente dans une tribune avec sa gouvernante, le 29 avril 1791, pour l’inauguration de la nouvelle salle. Le 13 juillet, c’est Mme Roland dont nous disposons du témoignage[3]. Certaines invitées participent à la séance en faisant connaître leurs souhaits. Ainsi, le 6 septembre 1791, comme l’on discute d’une collecte en faveur d’un journal patriote, Rœderer, qui préside, annonce que « les dames des tribunes, parmi lesquelles Mme Pétion [son mari participe à la séance], demandent à être admises à la souscription. » Leur offre est acceptée et la Société leur vote des remerciements[4].

Cependant, cette tolérance, quoique visant ici déjà un groupe (« les dames des tribunes »), ne se manifeste ni tôt — les exemples dont j’ai connaissance sont de 1791 — ni surtout à l’égard des femmes « ordinaires ». Ainsi, fin novembre 1790, lorsque Claude Dansard, fondateur de la Société fraternelle de patriotes, de l’un et de l’autre sexe, de tous âges et de tous états, société très proche des Jacobins, politiquement et géographiquement (les deux se réunissent dans le même bâtiment), sollicite de ces derniers la réception d’une députation, on lui répond par l’affirmative… « pourvu qu’elle soit entièrement composée d’hommes » :
Lire la suite →

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Un député à la Convention pour la citoyenneté des femmes (1793-1795)

13 dimanche Oct 2013

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Un député à la Convention pour la citoyenneté des femmes (1793-1795)

Étiquettes

1793, Alphonse Aulard, Anne Verjus, Christine Fauré, Claire Lacombe, Clubs de femmes, David Williams, Droit de vote des femmes, Féminisme, Olympe de Gouges

Ce conventionnel qui prend clairement et à plusieurs reprises parti pour le droit de citoyenneté des femmes, et dont le nom commence par la lettre « R », comme je l’avais précédemment signalé, non sans quelque malice, dans un article consacré à David Williams, se nomme Rouzet, Jacques-Marie (23 mai 1743 à Toulouse — 25 octobre 1820 à Paris).

 Il ne s’agit pas d’une découverte. Dans une lettre du 20 janvier 1900, rédigée sur papier à en-tête de la revue La Révolution française, qu’il dirige, l’historien Alphonse Aulard écrit à Léopold Lacour, auteur entre autres d’une biographie de Claire Lacombe[1] : « Savez-vous que le conventionnel Rouzet (de la Haute-Garonne) fut un féministe décidé ? En avril 1793 et en messidor an III, il réclame le droit de vote pour les femmes. Voir ses Vues civiques sur la Constitution. »

Cette correspondance a été publiée par Christine Fauré en annexe d’un article sur l’origine du terme « féminisme »[2] ; elle se trouve dans les papiers de Lacour, à la Bibliothèque Marguerite Durand (voir lien dans la colonne de gauche), où je les ai consultés.

 Rouzet est élu en septembre 1792, député de la Haute-Garonne à la Convention, où il siège avec les Girondins. Lors du vote sur le sort de Louis XVI, il se prononce pour l’appel au peuple et la réclusion, c’est-à-dire contre la mort. Il sera incarcéré à la prison du Luxembourg après l’insurrection anti-girondine du 31 mai 1793, contre lequel il a signé une protestation. Devenu l’amant de la duchesse d’Orléans, rencontrée lors de leur commune détention[3], il la suit à Barcelone, avant de revenir à Paris avec elle sous la Restauration.

 Le titre complet de la brochure dont Aulard recommande la lecture à Lacour est le suivant : Vues civiques sur la constitution que les Français sont intéressés à se donner, présentées par J. M. ROUZET, député de Haute-Garonne à la Convention nationale, en messidor, l’an 3 de la République [juin 1795]. Imprimées par ordre de la Convention nationale.

Rouzet y publie sur deux colonnes, en vis-à-vis, à gauche le texte d’une première brochure sur le sujet, Projet de constitution française, présenté au mois d’avril 1793, par J. M. ROUZET, député de Haute-Garonne, et à droite ses Réflexions imprimées en messidor, l’an 3 de la République.

rouzet-j-m-projet-de-constitution-francaise-convention-nationale-livre-ancien-875919810_ML

La première brochure de Rouzet se situe donc en plein débat sur la Constitution de 93, et avant l’insurrection anti-girondine ; la seconde à peu près un an après la chute de Robespierre.

 Les titres, ou articles, du Projet de constitution concernant la citoyenneté des femmes sont les titres II & III (pp. 16 et 18 des Vues civiques). Le titre II consiste en une énumération des femmes ayant droit au titre de « citoyenne » et au plein exercice des droits y afférant, soit entre autres « à participer aux délibérations & élections dans les assemblées élémentaires… ; à pouvoir être appelé à la représentation nationale, & à disposer dans les mesures & les formes prescrites par la loi, tant par des actes entre vifs qu’à cause de mort, de ses propriétés, tant mobiliaires qu’immobiliaires. »

 Je reproduis ces titres II et III, en signalant immédiatement deux ajouts fait en 1795 par rapport à la première version de 1793 : les termes les majeures et depuis trois ans au moins (indiqués d’une couleur différente) :

Titre II

Jouissent des droits de citoyen, les mères qui ont ou auront eu des enfans citoyens… celles qui auront eu cinq enfans, ou qui en auront élévé trois jusques à l’âge de quatorze ans au moins… celles [les majeures] qui exercent [depuis trois ans au moins] des professions avouées*… celles depuis l’âge de 21 ans qui vivent avec leurs maris citoyens… celles qui auront eu des enfans d’un mari citoyen, & qui auront vécu au moins dix ans avec leurs maris… celles qui, sans avoir eu des enfans, auront au moins 20 ans de mariage avec un citoyen.

Titre III

Pour jouir de ces droits, les citoyennes en feront la déclaration aux dépôts civiques des communes, un an avant qu’elles puissent les exercer si elles sont Françaises, & trois ans avant si elles sont étrangères.

Deux remarques :

a) Sur la relative obscurité du terme « avouées », marqué par moi d’une astérisque. Il signifie « reconnues » ou « déclarées », avec probablement ici le sens supplémentaire d’« enregistrées », autrement dit : donnant lieu au versement d’une patente.

b) Sur l’emploi surprenant des points de suite. Ils ne marquent pas de coupures dans le texte, comme le montre le document photographique ci-dessous : le même passage dans la brochure de 1793.

 Rouzet titre II & III BLOG

On remarque que Rouzet considère les femmes « éligibles » au statut de citoyennes en fonction de leur statut de mères et d’épouses. C’est certainement déduire la citoyenneté féminine d’une supposée fonction « naturelle » de la femme (la reproduction[4]) et en faire une espèce d’annexe de la citoyenneté masculine, elle seule étant strictement individuelle. Cependant, si l’on reprend en détail la liste des femmes concernées, on constate que les femmes qui échappent à la définition sont relativement peu nombreuses.

Ne peuvent être citoyennes, en effet, les filles mineures, mais c’est un point commun avec les garçons mineurs ; et surtout les femmes célibataires, sans enfant, qui n’exercent pas une profession avouée, ou qui l’exercent depuis moins de trois ans (version 1795).

On notera que la citoyenneté est ouverte aux étrangères vivant en France.

La version de 1795 est donc légèrement plus restrictive que celle de 1793, sans que les restrictions soient signalées aux lecteurs et lectrices de 95, mais il me semble que le plus remarquable est bien que Rouzet persiste et signe en 1795. Il s’en explique dans les « réflexions » qu’il imprime en regard du texte initial :

Quelques personnes très raisonnables, mais en même temps trop peu attentives à rechercher les motifs de certaines propositions qui au premier apperçu peuvent prêter à la censure, ont trouvé très-extraordinaire, même assez bizarre, que j’aie voulu donner aux femmes les droits de citoyen. Cependant, dans le nombre des motifs qui m’y ont déterminé, j’en indiquerai un qui, suivant toutes les apparences, suffiroit pour me faire trouver grace auprès de mes censeurs.

Pour neutraliser les passions que la variété des opinions religieuses pourroit faire fermenter, j’aurois voulu établir, ainsi qu’on le verra plus bas, un culte politique auquel tous les Français de toutes les sectes se fussent réunis. La dangereuse influence des prêtres dans les affaires publiques, m’ayant porté d’ailleurs à leur interdire toutes fonctions politiques, je me persuade que j’aurois manqué mon but, si en éloignant les femmes des assemblées des citoyens, je les avois laissées exposées pendant les cérémonies civiques à se livrer au fanatisme religieux, & j’aurois également craint les manœuvres des prêtres auprès des femmes, si en les appelant aux assemblées publiques comme simples expectatrices, je ne les y avois pas attachées par un intérêt bien marqué. Sans doute que le lecteur judicieux n’exigera pas un plus grand développement de cette première idée pour en sentir l’importance. Du reste, on se persuadera sans peine que je ne tiendrai pas bien opiniâtrément à laisser aux femmes l’éligibilité aux fonctions publiques de quelques puissantes considérations que j’eusse à soutenir ce système, en même temps que je persisterai à regarder comme très impolitique de ne pas les faire participer à la faculté d’élire.

Il s’agit donc bien — n’en déplaise à Anne Verjus — d’ « inclure » les femmes, ou au moins la majeure partie d’entre elles, dans le corps social, afin, entre autres, de les soustraire à l’influence des prêtres.

Pas question d’en faire, dans les assemblées, comme le souhaitent tant de révolutionnaires mâles, de simples « expectatrices ».

Malgré ses allures de « mot-valise », le terme existe. Au XIXe siècle, Littré ne le connaît déjà plus qu’au masculin : expectateur, celui qui est en expectation. Nous dirions « en attente » ou « dans l’expectative ». Le terme est usité dans le langage religieux. Un prolixe prédicateur capucin du XVIIe siècle, Augustin de Narbonne, intitule le huitième de ses sermons[5] sur le personnage de la mère du Christ dans la légende chrétienne : « Marie expectatrice ».

Si elle n’est pas occupée à « pécher », la femme est spectatrice de sa propre vie ; elle attend que son destin lui soit octroyé d’en haut, au nom du père, du mari, ou du « Saint-Esprit ».

Le girondin Rouzet est en 1793, et demeure en 1795, préoccupé de substituer dans la société française un lien politique au lien religieux (religere). La société s’entend, selon lui, comme l’ensemble des êtres humains adultes des deux sexes. L’admission des femmes à la citoyenneté est un moyen et une étape de ce grand projet. C’est pourquoi elle figure en tête du projet de Constitution qu’il propose en 1793, imprimé par la Convention nationale, comme le sera la seconde version, en 1795.

Il n’est nul besoin, pour comprendre sa pensée, de se livrer aux acrobaties et contorsions auxquelles Florence Gauthier s’astreint pour faire ressortir du silence de Robespierre la légende selon laquelle il ne pouvait être que favorable au vote des femmes…

Certes Rouzet est moins brillant que Maximilien ; il écrit moins bien aussi. Il se situe, sur le plan social, à la « droite » de la Révolution. Insistons sur ce qui est aujourd’hui difficile à concevoir, tant les termes nous paraissent contradictoires : Rouzet est un révolutionnaire « de droite ». Il participe à la Révolution ; il n’en est pas « expectateur ». Fils d’un artisan, il devient avocat et enseignera le droit. En 1789, il a 46 ans. C’est un homme fait, qui exerce rapidement des fonctions officielles (procureur-syndic). C’est, comme beaucoup de députés, Girondins et Montagnards, un bourgeois qui souhaite mettre au plus vite un terme à la révolution sociale. Mais contrairement à bien des Montagnards, dont Robespierre, il souhaite — en 1795 au moins, c’est-à-dire deux ans après l’interdiction des clubs de femmes —poursuivre et prolonger la révolution politique.

Parce qu’il tient pour décisive la question de la citoyenneté des femmes, il s’en explique aussi clairement qu’il le peut. L’Assemblée à laquelle il appartient fait imprimer ses textes. Ses contemporains des deux sexes peuvent en prendre connaissance.

Par la suite, Rouzet ne se fera plus (à ma connaissance) remarquer par un « féminisme » particulier. Il se contente de vivre (vieux) et de prospérer. Rien chez ce bourgeois parvenu qui puisse alimenter une légende romantique. Il n’en demeure pas moins l’un des rares conventionnels à avoir pris explicitement et publiquement position, en tant qu’homme, en tant qu’élu du peuple, et en tant que juriste, pour la citoyenneté des femmes.

Cela s’est produit. C’était donc possible.


[1] Les Origines du féminisme contemporain. Trois femmes de la Révolution : Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Rose Lacombe, 1900. L. Lacour était connu comme « féministe », écrivain et conférencier.

[2] Fauré, Christine, « La naissance d’un anachronisme : “le féminisme pendant la Révolution française” », AHRF, n° 344, 2006, p. 193-198.

[3] Dans un plaidoyer pro domo, quoique anonyme, intitulé Analyse de la conduite d’un des membres de la célèbre Convention nationale (A Paris, de l’Imprimerie de Pillet, rue Christine, N° 5, 1814. 12 p.), Rouzet évoque sa liaison avec la dame dans des termes qui méritent de passer à la postérité : « M. de Folmon n’avait eu aucune sorte de relation avec cette princesse ; mais c’était le seul individu de l’auguste famille à laquelle il s’était voué d’une manière si éclatante, qui fût abordable à Paris. Il concentra sur cette intéressante victime les sentimens dont il était  pénétré, et auxquels il s’était livré avec tant de courage dans les circonstances les plus périlleuses. » C’est la duchesse d’Orléans qui nomme Rouzet son chancelier et obtient pour lui le titre de comte de Folmon.

[4] Bien que le rôle du sperme dans la reproduction soit déjà connu à l’époque, c’est aux femmes qu’est dévolu le rôle, et la charge, de « reproductrice ».

[5] Marie ou les mystères de sa vie, 2e éd., Toulouse,1694.

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

« CITOYEN » ET « CITOYENNE », DES MOTS DE PAR LA LOI ?

28 jeudi Fév 2013

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Alphonse Aulard, Annie Geffroy, Antoine de Baecque, Féminisme, Philippe Wolff, Vocabulaire

Il existe, semble-t-il, une « légende historienne » selon laquelle la Convention aurait décrété obligatoires les termes citoyen et citoyenne. Annie Geffroy y fait allusion dans le Dictionnaire des usages socio-politiques : « Je ne trouve pas trace de tels décrets ; ce qui s’en rapprocherait le plus est l’arrêté de la Commune insurrectionnelle du 22 août 1792 (1). »

Il sera écrit aux ministres pour les inviter à ne plus se servir du mot monsieur dans les lettres qu’ils adressent aux membres du conseil [de la Commune] et à y substituer celui de citoyen. (Procès-verbaux de la Commune de Paris, édités par M. Tourneux, p. 53.)

Dans un ouvrage collectif de 2012, Jean-Luc Chappey parle de « la décision de la Convention de bannir (31 octobre 1793) les termes de madame et de monsieur pour les remplacer par citoyenne et citoyen (2). » La date indiquée ici a de quoi retenir notre attention : il eût été piquant, en effet, que fût institutionnalisé le terme citoyenne le lendemain de l’interdiction des clubs féminins…

À défaut de la mention d’une source, la date du 31 octobre permet de se reporter aux Archives parlementaires, et de trouver peut-être une seconde origine de la rumeur. En effet, la Convention entend ce jour la pétition du citoyen Malbec (Aulard dira — voir ci-après — Nalbec), approuvée par « toutes les sociétés populaires » de Paris, qui réclame l’interdiction de « la seconde personne du pluriel lorsque nous parlons à un seul », bref le tutoiement obligatoire. Basire propose que la Convention prenne un décret en conséquence, mais on se contente, sur l’avis de Philippeaux, de décréter la mention honorable et l’insertion au Bulletin(3). Nulle mention des termes citoyenne et citoyen.

Aulard avait traité de cette question, estimant qu’elle « mérite autre chose que les dédains de l’histoire (4) » :

Basire aurait voulu un décret qui rendit le tutoiement obligatoire. Mais la Convention s’y refusa, et, se rangeant à l’avis de Philippeaux, décréta “que la pétition du citoyen Nalbec serait insérée au Bulletin avec invitation à tous les citoyens à n’user dans leur langage que d’expressions propres à pénétrer tous les esprits des principes immuables de l’égalité” (Procès-verbal, t. XXIV, p. 226).

Le 21 brumaire, Basire revint à la rescousse [sic] et redemanda un décret impératif. Mais Thuriot objecta que la réforme n’était pas encore assez mûre dans l’opinion, et qu’il fallait attendre que la raison eût fait plus de progrès. La Convention passa à l’ordre du jour.

 Il faut noter cependant que certaines sociétés populaires attachaient une réelle importance à cette question. Ainsi, la société de Ville-sur-Tourbe (Marne) décide-t-elle, d’ailleurs tardivement (20 ventôse an II—10 mars 1794), d’une amende de vingt cinq sols, au bénéfice des défenseurs de la patrie, pour qui prononcerait des mots « tenant encore de l’ancien régime ». À l’origine de cette décision, la bévue du citoyen Gigault qui, « oubliant le langage d’un vrai républicain, s’éta[it] permis de donner aux citoyennes le titre de dames en pleine société (5). »

 Annie Geffroy, dans l’article déjà cité, souligne le « scandale » que constitue l’appellation citoyenne :

L’appellatif citoyenne, par la non-spécification maritale, et par sa discordance avec le statut légal des femmes, constituait un double scandale : ce scandale cesse avec le Consulat. […] La généralisation de citoyenne marque donc un changement plus important que pour citoyen : le nouvel appellatif remplace bien sûr le système ancien, mais il fait beaucoup plus, puisqu’il supprime toute spécificité du statut marital ! Jeune ou vieille, mariée, célibataire ou veuve, toute femme reçoit un appellatif propre, citoyenne, qui la rattache à la collectivité politique sans passer par l’intermédiaire d’un homme. C’est là que je vois la véritable nouveauté qui s’installe en 1792, qui disparaît vers 1800, et dont le français d’aujourd’hui n’a pas retrouvé l’équivalent.

Les termes Monsieur et Madame, à la connotation aristocratique difficile à percevoir aujourd’hui, seront également bannis des noms de rues et de villes. Baume-les-Messieurs (Jura) devient Baume-le-Jura, et Vanault-les-Dames (Marne), Vano-les-Frères (6). La « révision » ne s’opère pas toujours au détriment du genre féminin : à Paris, la rue Madame (section Mutius-Scaevola, aujourd’hui 6e arr.) est rebaptisée en 1793 rue des Citoyennes, nom qu’elle conservera jusqu’en 1800 (7).

Notes

(1) Geffroy, Annie (dir.), Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815), fasc. 4, Désignants socio-politiques, 2, 1990, p. 73.

 (2) Chappey, Jean-Luc ; Gainot, Bernard ; Mazeau, Guillaume ; Régent, Frédéric ; Serna, Pierre, Pour quoi faire la Révolution, p. 129, Marseille, 2012. Même «information» (toujours sans source) à l’article «Tutoiement» du Dictionnaire des curiosités La France de la Révolution, d’Antoine de Baecque, Tallandier, 2011.

 (3) Voir différents comptes rendus dans AP, t. 78, p. 84-85 et 91-93.

 (4) Aulard, François-Alphonse, « Le tutoiement pendant la Révolution », La Revue bleue, janvier-juin 1898, pp. 626-628.

 (5) Berland, Just, « Appellations révolutionnaires et changements de noms de communes, particulièrement dans le département de la Marne, de 1790 à l’an VI », Mémoires de la société d’agriculture, Commerce, Sciences et Arts du département de la Marne, 2e série, t. XI, 1907-1908, p. 373.

 (6) Ibidem.

 (7) Hillairet Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, 1960, t. 2.

_________________________

Un lecteur me suggère d’indiquer la référence d’un article de Philippe Wolff, sur un sujet voisin, paru en 1990 dans les Annales historiques de la Révolution française : «Le tu révolutionnaire».

_________________________

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Lettre de Joseph Chalier à Théroigne de Méricourt (janvier 1790)

22 vendredi Fév 2013

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents»

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

Alphonse Aulard, Élisabeth Roudinesco, Joseph Chalier, Théroigne de Méricourt

Fin janvier 1790, Chalier (1747-1793), révolutionnaire confirmé qui a participé à la prise de la Bastille, est de retour à Lyon où il a passé sa jeunesse, élève des Dominicains. De là, il écrit beaucoup. À Prudhomme, par exemple, le 27, qui publie un large extrait de sa lettre dans ses Révolutions de Paris (n° 30). De manière plus étonnante, quatre jours plus tôt, il rend compte de son voyage à Théroigne de Méricourt, dans une lettre dont Élisabeth Roudinesco cite quelques lignes dans sa biographie de Théroigne (p. 52 ; voir Bibliographie ci-après). Roudinesco indique, de manière erronée, que le document est inédit. Il a été publié dans la revue d’Alphonse Aulard La Révolution française, en 1931 (t. 84, p. 157-159).

 Ne manquant pas d’admirateurs attirés à la fois par la beauté que les contemporains lui reconnaissent et par sa fougue révolutionnaire et féministe, Théroigne de Méricourt joue un rôle politique réel. C’est elle qui suggère au député Gilbert Romme de créer un club réunissant certains habitués de la Tribune des Feuillants à l’Assemblée (Romme est à l’origine du règlement du 1er février 1790 qui prévoit que le public élit lui-même un «inspecteur», chargé de l’accueil et de la police de la tribune*).

Le nouveau club prend pour nom Société des Amis de la loi et se réunit, en janvier et février 1790, chez Théroigne, dans l’hôtel de Grenoble, rue du Bouloi (Paris 1er). La première séance date du 10 janvier (1). Rétrospectivement, et faute d’une étude particulière qui, à ma connaissance, n’a jamais été menée, la relation plus que cordiale dont atteste cette lettre entre le jacobin Chalier et Théroigne peut surprendre. Sans doute, outre la personnalité originale de Théroigne, la période est-elle un facteur d’explication. À la fin janvier 1790, les clivages politiques sont tout juste en train de se dessiner ; le règlement de la nouvelle Société des Amis de la Constitution (les Jacobins) est voté le 8 février.

 Comme l’indique la présentation de La Révolution française, que je reproduis en introduction au document, le texte en dit davantage sur son auteur que sur sa destinataire : son appréciation de l’esprit aristocratique des Lyonnais, son aimable intention de faire recevoir Théroigne comme « membre honoraire » de la société patriotique et la manière toute « fraternelle » dont il l’appelle « chère sœur ».

Je dis « fraternelle », au sens où les premières sociétés mixtes populaires (ce ne sont pas les premières sociétés mixtes) s’intituleront en 1791 « sociétés fraternelles ». La fraternité, à priori très masculin « régime des frères », se définissant ici elle-même du fait qu’elle accueille — en tant qu’égales — les « sœurs », ce qui n’est pas rien, et ne me paraît pas avoir été suffisamment considéré.

On notera encore que si l’expression « humble et obéissant serviteur » appartient au registre classique de la politesse et de la galanterie, « votre digne émule » semble marquer une véritable admiration politique.

 Présentation dans La Révolution française

« Voici le dernier envoi que nous ait fait notre collaborateur de Vienne, M. Léon Ruzicka, dont nous avons eu le regret d’annoncer le décès dans notre dernier numéro (p. 77, note 1). Il s’agit d’une lettre de Chalier, le révolutionnaire lyonnais, à Théroigne de Méricourt. Cette lettre se trouvait parmi les papiers de la destinataire, saisis lors de son arrestation à La Boverie (Luxembourg), en février 1791, et elle est aujourd’hui, en original signé, dans le dossier du procès subi par Théroigne à Kufstein (Œsterreichisches Staatsarchiv de Vienne, Varia Frankreich, vol. LV, fol. 17). Elle révèle un fait jusqu’ici ignoré, les relations de Chalier et de Théroigne. De plus, elle contribue à éclairer la psychologie de son auteur. En voici le texte »

 

Lettre de Joseph Chalier à Théroigne de Méricourt

 

À Mademoiselle

 Mademoiselle Théroigne,

Rue de Bouloy, hôtel de Grenoble.

 Lyon, 23 janvier 1790.

 Mademoiselle,

 Je vous avois bien promis de vous écrire le 20 ou 21 courant au plus tard ; mais je n’avois prévu le chapitre des événements, page Charenton, où il a fallu, par l’étourderie du postillon, y faire raccomoder une branche du ressort de ma voiture, verset Rouvrai (2), où encore Les roux ont eu besoin de queque secour pour me conduire sûrement à Lyon. Ce qui m’a fait perdre près de douze heures de temps. J’ai encore été obligé de rester une journée à Mâcon pour complaire au désire de mes amis. Je m’y suis déterminé d’autant plus volontiers que jai trouvé les uns aristocrates, les autres à demi. J’avois trop de belles choses à leur annoncer pour leur conversion pour ne pas être presque sûr d’y réussir. Je la douce joye de vous apprendre que je les ai laissés les uns dans de bonnes dispositions à devenir patriotes, les autres dans l’admiration et le respect qui est justement dû aux sages décrets de notre auguste Assemblée nationale.

 Je suis enfin arrivé hier à soir chés moi en bonne santé, à un rhume près qui séchera. J’ai eu bien du chagrin d’entendre dire que, sans attendre les décrets pour l’organisation des officiers de la garde nationale (3), les anciens avoyent donné leur démission sans vouloir prêter serment entre les mains des officiers municipaux, effrayés par une assemblée prématurée convoquée dans l’église des Jacobins par des patriotes mal organisés et emportés par un zèle indiscret. Je n’approuve point du tout leur conduite ; elle est illégale, puisqu’elle devance les ordres de l’Assemblée nationale qui auroyent prescrit la forme des assemblées et la manière d’y procéder à la nomination des dits officiers commandant la garde nationale. J’apprends qu’ils sont déjà tous nommés ou par gabale ou par acclamation ; mais ne dois-je pas tonner hautement contre une telle démarche ? Je regarde tous ces gens là comme des amphibies, des batards, et s’ils ne protestent pas eux-mêmes contr’une telle nomination, qui pouroit avoir des suites les plus fàcheuses jusques à ce qu’en fin les décret de l’Assemblée nationale paroissent en cette ville pour que cela s’opère conformément à l’esprit de notre sublime et étonnante Révolution. Vous ent entendrés sûrement parler par les papiers publics. Je pense que les bons patriotes seront de mon avis. Car Dieu nous préserve de Janus et des impatriotes ! Je préférerais un aristocrate découvert mille fois à un patriote froid et hypocrite.

 Demain il y a assemblée à notre Société patriotique. Je my rendrés pour y faire la motion d’admettre des membres honoraires. Je me ferai un plaisir infini de vous annoncer pour être la première, et on se réjouira sans doute [de] vous posséder et agréger dans la dite Société.

 Mes suivantes vous en instruiront. En attendant, le motif de la présente e[s]t pour vous annoncer que la confédération dont je vous avois parlé aura son effet le 31 de ce mois. C’est-à-dire que les gardes nationales de Dauphiné et du Vivarais se rendront aux pleines de Valence aussi, mais dans leur province respective à un lieu déterminés que j’ignore, après que la susdite sera opérée ; et successivement cela s’exécutera dans tout l’empire, excepté, malheureusement, à Lyon. O Grand Dieu ! combien cette ville est aristocrate ! Mais comptés sur ma fermeté, sur ma constance et mon dévouement le plus pur pour le bonheur de la Révolution qui nous rend tous frères et des hommes.

 Aussi, ma chère sœur, restés à Paris. Votre présence y est on ne peut plus nécessaire. Quand la Constitution sera achevée, vous me comblerés de joye et de contentement de vouloir bien me procurer alors le doux plaisir de vous témoigner en cette ville mon vif et inaltérable attachement, comme le haut degré de considération, de respect et d’amour le plus pur.

 Votre très humble et obéissant serviteur,

 Votre digne émule,

 CHALIER

Notes

(1) Sur les débuts de ce club et le rôle de Théroigne, je suis l’article d’Alessandro Galante Garrone « Gilbert Romme et les débuts de la Société des “Amis de la loi” », in Gilbert Romme (1750-1795) et son temps, Actes du colloque tenu à Riom et Clermont les 10 et 11 juin 1965, PUF, 1966 [disponible sur Google Books].

(2) Note de La Révolution française : Rouvray. Côte-d’Or, sur la route de poste entre Avallon et Autun.

(3) Note de La Révolution française : Sur cette affaire et sur le rôle qu’y a joué Chalier, voir Maurice Wahl, Les Premières années de la Révolution à Lyon, Paris, 1894, p. 125 sqq.

*S’il s’agit donc bien en quelque sorte d’un «club des Feuillants», comme une rédaction maladroite me l’a fait suggérer dans la  version initiale de cette note, il ne doit pas être confondu avec ce qu’il est convenu d’appeler le Club des Feuillants, c’est-à-dire la Société des Amis de la Constitution séante aux Feuillants, laquelle est une scission du club des Jacobins qui n’aura lieu qu’en juillet 1791.

Bibliographie

Roudinesco, Élisabeth, Théroigne de Méricourt. Une femme mélancolique sous la Révolution Seuil, 1989.

Eynard, Georges, Joseph Chalier bourreau ou martyr 1747-1793, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1987.

Sur les rapports entre Romme et Théroigne: Gilbert Romme, histoire d’un révolutionnaire 1750-1795, Flammarion, 1971.

____________________

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

“L’Explosion”, par Jean-François Varlet : «Gouvernement et révolution sont incompatibles» (1794)

11 lundi Fév 2013

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents»

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

Alphonse Aulard, Démocratie directe, Jean-François Varlet, Robespierre, Yves Blavier

C’est dans ce texte que figure la célèbre formule : « Pour tout être qui raisonne, gouvernement & révolution sont incompatibles, à moins que le peuple ne veuille constituer ses fondés de pouvoirs en permanence d’insurrection contre lui-même, ce qu’il est absurde de croire. »

L’Enragé Varlet fait paraître une première version de cette brochure de quinze pages le 1er octobre 1794 (10 vendémiaire an III) et une seconde, presque identique (les rares variantes seront indiquées en note), le 6 octobre. Elle s’intitule alors Gare l’explosion. C’est cette dernière version que le biographe de Varlet, Yves Blavier, avait rééditée en brochure avec le groupe Partage noir de la Fédération anarchiste dans les années 1980. J’ai saisi le texte de la première (B. N. Lb41 4090 ; pour la seconde : B. N. Lb41 1330).

Robespierre est tombé le 9 thermidor (27 juillet 1794) ; Varlet est arrêté et enfermé à la prison du Plessis le 5 septembre. Le 8 octobre, une semaine après la publication de la première version de L’Explosion, le Courrier républicain rend compte de la séance du 5 octobre (ou du 6, il y a un problème de concordance des dates avec l’achevé d’imprimer de la brochure) du Club électoral, au sein duquel Varlet a milité et qu’il cite dans son texte : « Le Club électoral continue à grossir le nombre de ses partisans. À la séance qu’il a tenu hier on a donné lecture d’un écrit intitulé : Gare l’explosion ! avec cette épigraphe : « Périsse le gouvernement révolutionnaire plutôt qu’un principe ! ». Son auteur, le jeune Varlet [sic il a tout de même 30 ans, ce qui n’est plus si jeune à l’époque, mais le trait vise l’« exagération » de ses idées, évoquée plus loin], actuellement détenu dans la maison d’arrêt dite du Plessis, attaque directement le gouvernement révolutionnaire qu’il appelle une dictature. C’est le premier écrivain qui ait osé montrer tant d’audace. Ce pamphlet est la production d’une tête extrêmement violente, qui ne consulte ni le temps ni les lieux. » (Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le directoire, A. Aulard, 1898, t. 1, p. 149). Lire la suite →

Share this:

  • Imprimer
  • E-mail
  • Twitter
  • WhatsApp
  • LinkedIn
  • Plus
  • Pinterest
  • Tumblr
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…
← Articles Précédents

Entrez votre adresse mail pour être averti(e) des nouvelles publications

Rejoignez 1 973 autres abonnés

Robespierre, les femmes et la Révolution (Éditions IMHO)

Un recueil de textes des Enragé·e·s (Éditions IMHO)

Gazouillons ! « La Révolution et nous » & « Lignes de force » sur le même fil Twitter

Follow @LignesDeForce

Blogroll

  • Annales historiques de la Révolution française
  • Archives du féminisme
  • Archives en libre accès
  • Éditions IMHO
  • Éditions L'Insomniaque
  • Éditions La Digitale
  • Éditions Libertalia
  • « A literary Tour de France »
  • «La Révolution française»
  • Bibliothèque Marguerite Durand
  • CIRA Lausanne
  • CIRA Marseille
  • Corps et politique
  • Genre et Classes populaires
  • Institut d'histoire de la Révolution française
  • Institut international d'histoire sociale
  • Jean Paul MARAT
  • Liberty, Equality, Fraternity
  • LIGNES DE FORCE
  • Mnémosyne
  • Musée de la Révolution (Vizille)
  • Noire métropole
  • Paris luttes info
  • Réflexivités
  • Révolution française
  • Révolution française et lutte des classes
  • Sentiers révolutionnaires
  • Société des études robespierristes (le carnet)
  • Société des études robespierristes (le site)

Les biographies de Théophile Leclerc & Pauline Léon (Éditions La Digitale)

Nuage

1793 Albert Mathiez Albert Soboul Amazones Anarchisme Annales historiques de la Révolution française Annie Duprat Annie Geffroy Babeuf Bonnet phrygien Charlotte Corday Christine Fauré Claire Lacombe Clubs de femmes Colonies Commune de 1871 Communisme Convention nationale Daniel Guérin Dominique Godineau Démocratie directe Emmanuel Macron Enragé·e·s Esclavage Femmes en armes Féminisme Guillaume Mazeau Guillotine Hervé Leuwers Hébert Jacobins Jacques Guilhaumou Jacques Roux Jean-Clément Martin Jean-François Varlet Jean-Jacques Rousseau Littérature Louis XVI Lumières Lutte des classes Marat Marc Belissa Marie-Antoinette Michel Biard Michel Onfray Méthodologie Olympe de Gouges Paul Chopelin Pauline Léon Peinture Philippe Bourdin Pierre Serna Piques Prise de la Bastille Robespierre Républicaines révolutionnaires Révolution espagnole Sade Sans-culottes Serge Aberdam Société des études robespierristes Stéphanie Roza Terreur Théophile Leclerc Théroigne de Méricourt Théâtre Tricoteuses Utopie Vocabulaire Walter Markov «Conditions matérielles de la recherche» «Gilets jaunes» « Théorie du genre » Éditions Libertalia Éducation

Rubriques

  • «Annonces» (359)
  • «Articles» (215)
  • « Sonothèque » (7)
  • «Bêtisier» (71)
  • «Bibliothèque» (231)
  • «Billets» (26)
  • «Conditions matérielles de la recherche» (26)
  • «D'une révolution l'autre» (35)
  • «Démocratie directe XVIIIe-XXIe siècle» (12)
  • «De la révolution» (1)
  • «Documents» (232)
  • «Faites comme chez vous !» (14)
  • «La parole à…» (10)
  • «La propagande misogyne» (4)
  • «Mémo» (1)
  • «Sonothèque» (2)
  • «Textes de femmes» (29)
  • «Usages militants de la Révolution» (75)
  • Cartes postales (24)
  • Concordance guerrière (3)
  • La Révolution dans la publicité (2)
  • Littérature “grise” (11)
  • Vidéothèque (42)

Récent

  • “14 juillet. Destins d’une Révolution” ~ par Hervé Pauvert & Cécile Chicault 17 mai 2022
  • Carte postale “éducative” bilingue, éditée à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution 16 mai 2022
  • “Dictionnaire des Conventionnels 1792-1795”~ un monument à la pointe de la recherche 15 mai 2022
  • “Loix du 17 septembre 1792” 15 mai 2022
  • Les pierres gravées de la Bastille dans l’espace public 14 mai 2022
  • “Quelle souveraineté pour la nation (1789)” ~ Colloque international organisé par le Centre de recherche du château de Versailles et les AHRF ~ 20 & 21 juin 2022 12 mai 2022
  • Étui révolutionnaire en maroquin & flacons à parfums en verre taillé ~ Je suis Janot. Année heureuse – 1789 6 mai 2022
  • Transmettre l’histoire de la Révolution française… 6 mai 2022
  • Une lettre du «Dr. Marat» (janvier 1788) 5 mai 2022
  • “Lénine a marché sur la lune” ~ Et Robespierre ? 5 mai 2022

Archives

Ça compte !

  • 299 511 : C'est le nombre de fois que des textes de ce blogue ont été consultés.

Un jour, un article

mai 2022
L M M J V S D
 1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
3031  
« Avr    

De la Révolution

Suivez-moi sur Twitter

Mes Tweets

Coup d’œil

Lignes de force

Bulletin de santé (destiné à celles et ceux que ça intéresse)

L’Éradication du service public de la santé (suite)

Les “Œuvres” de Louise Labé

Une décision importante: un vétérinaire est relaxé après avoir fourni à un ami une ordonnance pour un produit létal

TU ES EN FUGUE ?

Les candidats se ramassent à la pelle…

Liberté d’avorter ~ Aux États-Unis, et partout ailleurs

Nouvelles de Colombie…

Un militant britannique menacé d’expulsion

Et maintenant il faut des limonadiers !

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné
    • LA RÉVOLUTION ET NOUS
    • Rejoignez 1 973 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • LA RÉVOLUTION ET NOUS
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…
 

    loading Annuler
    L'article n'a pas été envoyé - Vérifiez vos adresses e-mail !
    La vérification e-mail a échoué, veuillez réessayer
    Impossible de partager les articles de votre blog par e-mail.
    %d blogueurs aiment cette page :