Un jeune engagé, blessé à 15 ans; un impétrant de douze ans et demi… On peut être «patriote» et soldat fort jeune à la fin du XVIIIe siècle, dans les armées de la République, comme le rappellent les deux documents ci-après reproduits.
Premier document
Le 13 janvier 1794, le «jeune sans-culotte volontaire» Dangoustures écrit à la Convention nationale.
Ayant quitté ses études de mathématique pour s’engager à quatorze ans (sans en aviser son père), il est épuisé par six mois de campagne et les suites d’une blessure. Il sollicite un secours afin de reprendre des études qui lui permettraient d’entrer dans une école du génie.
La forme Dangoustures semble avoir quasiment disparu, en France au moins. En revanche, le nom de famille Angoustures subsiste.
La lettre manuscrite se trouve aux Archives nationales sous la cote F/17/1009/A/BIS.
Arreau le 24 nivose 3e decade du 4e mois de l’an 2e de la republique française, une et indivisible.
Supplique d’un jeune sans-culotte volontaire au bataillon des chasseurs vengeurs aux deputés à la Convention nationale formant le Comité d’instruction publique, à Paris.
Citoyens
C’est toujours dans les malheurss que les infortunés ont recours aux ames sensibles genereuses et en place, et c’est alors qu’on connaît ses vrais freres et concitoyens, en voici un qui vient vous prier de lui accorder vos bontés et vôtre protection, vous seriez sans doute surpris de ma demarche, si un zèle vraiment patriotique ne me guidait.
Il me semble, citoyens, qu’avant de vous entretenir du sujet de ma demande, qu’il est a propos que je vous fasse un narré succint, qui pourra vous faire juger si je merite vos attentions, voici de quoi il est question, mon père qui me chérit, m’a dès mon enfance inspiré des principes de vertu et de sagesse, il semblait en quelque façon présager la nécessité de ces vertus pour former en moi un vrai et bon républicain, ayant commencé de me donner une éducation honnête, même au délà de ses forces, il me mit en pension l’année derniere a Tarbes pour y apprendre les mathematiques, le dessein, ÿ expliquer, et approfondir les droits de l’homme, il eût quelque temps après la peine et le désagrément, de se voir privé de son fils unique, et d’ignorer environ quatre mois, ce qu’il etait devenu, mais a la peine succéda la joÿe, lorsqu’il apprit que son fils n’avait sans doute quitté sa pension et ses etudes que pour voler au secours de la patrie, et venger les droits de l’homme oppressés, en effet l’amour de la liberté inné chez moi, le desir que j’avais de participer à la gloire de mes freres d’armes, m’engagérent a prendre ce parti, sans consulter ni la faiblesse naturelle de mon temperamment, ni ma petite taille, ni mon âge de quatorze ans seulement, j’ai essuyé des peines et des fatigues inexprimables pendant six mois que j’ai resté dans le bataillon des chasseurs vengeurs a l’armée des pyrennées orientales, toujours campé a l’avant garde, et obligé de faire le coup de fusil avec l’ennemi chaque jour et chaque nuit, mais cela à toujours été une fête pour moi que de combattre ces vils et pouilleux espagnols, dont jaurais desiré pouvoir exterminer le dernier avec leur imbecille tyran, enfin aprés maints et maints combats, j’ai eû le malheur d’être blessé d’une bâle a la jambe, et ensuite assailli d’une fievre des plus violentes, je ne pourrais vous exprimer mes souffrances, mais ce n’etait rien en comparaison de la peine que je ressentois de voir ma patrie privée de mon secours, bien petit a la verité, et de ne pouvoir pas venger avec mes camarades les insultes faites a nôtre liberté par des abjectes esclaves, et des fanatiques, après tant de peines j’ai été evacué d’hôpital en hôpital jusqu’a Montpellier où j’ai été trez bien soigné, et ÿ ayant resté environ cinq semaines, le medecin jugea vü la foiblesse de mon temperamment que j’avais forcé et ma santé entierrement delabrée que j’etais dans l’impossibilité d’entreprendre une seconde campagne, et me donner un congé de convalescence pour aller joindre mon pere ici, où je suis arrivé depuis quelques jours, et qui m’a reçu avec plaisir, mais comme je ne me sens pas en état de porter les armes et qu’il n’y a rien qui me tienne tant a cœur que d’être un jour de quelque utilité a ma patrie, je l’ai prié de m’envoÿer dans quelque temps d’ici en quelque part pour y apprendre les mathématiques et le dessein, il m’a repondu qu’il se trouvait dans l’impossibilité de pouvoir rien faire pour moi, que sa place de receveur des douanes lui donnait a peine de quoy vivre, vu la cherté, et la rareté des denrées, et que dailleurs il ne lui restait que trez peu de bien ayant été obligé de proceder a un partage égal avec ses freres et sœurs d’après les dispositions du decret du cinquieme jour du 2e mois de l’an 2e de la republique. Voila donc, citoyens ce que j’avais a vous dire et ce qui m’oblige de recourir a vos bontés guidé par le seul desir de me rendre utile a ma patrie, pour vous supplier de m’accorder quelque secours pour aller rester quelque temps a Tarbes ou a Toulouse pour y apprendre les mathématiques et le dessein, ou bien de me faire entrer dans quelqu’une des ecoles du genie, que j’ai oui dire qu’on devait établir, science pour la qu’elle je me sens des dispositions particulieres et où je ferais l’impossible pour m’ÿ distinguer, si j’avais le bonheur d’ÿ être admis, daignez je vous prie avoir égard a ma demande, et d’etre bien persuadés de ma vive reconnaissance.
Je vous salüe bien fraternellement.
Dangoustures fils
a Arreau vallée d’Aure, departement des hautes pyrennées.
Second document
Pierre Carrié, âgé de douze ans et demi, habitant de Lyon (dont le nom est, encore pour sept mois, «Commune Affranchie»), veut s’engager dans les armées de la République.
Sa section lui délivre donc, le 20 février 1794, un certificat attestant de sa bonne réputation.
(Document: Coll. La Révolution et nous.)
LIBERTÉ ÉGALITÉ
COMMUNE-AFFRANCHIE
Nous membres du Comité de Surveillance et Révolutionnaire de l’arrondissement de Saône, S’est présenté pardevant nous le nommé Pierre Carrié natif de Commune affranchie, de cette Section, agé de douze ans et demi. S’est présenté pour servir dans les armées de la republique et nous n’avons eu aucune denonciation contre ledit en foi de quoi nous lui avons delivré le present certificat.
Fait à Commune-Affranchie, au Bureau du Comité, le 2 ventose l’an 2 de la République Française, une et indivisible.
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