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“Robespierre, les femmes et la Révolution” ~ Introduction

06 mercredi Oct 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

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Albert Mathiez, Anne Simonin, Annie Geffroy, Antoine Barnave, Éric Hazan, « Théorie du genre », Bernard Nabonne, Caroline Fayolle, Cesare Vetter, Christine Fauré, Claire Lacombe, Claude Mazauric, Dominique Godineau, Edward P. Thompson, Enragé·e·s, Florence Gauthier, Gérard Noiriel, Georges Lefebvre, Guillaume Mazeau, Hector Fleischmann, Hervé Leuwers, Howard Zinn, Jacques Roux, James Friguglietti, Jean Artarit, Jean-Charles Buttier, Jean-Clément Martin, Jean-Luc Chappey, Jean-Numa Ducange, Jean-Pierre Melville, Jeanine Stievenard, Karen Offen, Laurence De Cock, Laurent Dingli, Lucien Febvre, Lutte des classes, Marcel Gauchet, Marcus Rediker, Mathilde Larrère, Michelle Zancarini-Fournel, Misogynie, Noah C. Shusterman, Norbert Bartkowiak, Pauline Léon, Pierre Serna, Psychanalyse, René Laforgue, Robespierre, Serge Reggiani, Société des études robespierristes, Stéphanie Roza, Suzanne Desan, Terreur, Timothy Tackett, Walter Benjamin, Walter Markov, Yannick Bosc

Je donne ci-dessous – à destination des personnes qui n’ont pas encore eu la curiosité ou l’occasion d’ouvrir le livre – l’introduction de Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).

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Le présent ouvrage s’inscrit dans la suite de mon travail sur le courant des Enragé·e·s pendant la Révolution française, amorcé au début des années 1990 par la publication de Deux Enragés de la Révolution, Théophile Leclerc & Pauline Léon (La Digitale, 1993). L’invitation par les historiennes Christine Fauré et Annie Geffroy à participer à la journée d’études sur la «Prise de parole des femmes pendant la Révolution» qui s’est tenue en Sorbonne le 11 décembre 2004 à l’initiative de la Société des études robespierristes (SER) et de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) – et dont les actes ont été publiés dans les Annales historiques de la Révolution française (AHRF) en 2006 – a été l’occasion de compléter mes recherches sur Pauline Léon. J’ai par la suite publié un recueil des écrits des Enragé·e·s intitulé Notre patience est à bout (IMHO, 2009 ; deux nouvelles éditions largement augmentées, notamment sur l’activité de Leclerc après 1794, sont parues chez le même éditeur en 2016 et 2021). Je me suis ensuite consacré, aux côtés de Stéphanie Roza et de Jean-Numa Ducange, à l’entreprise d’établissement et de traduction de la biographie de Jacques Roux Curé rouge par Walter Markov, coédité par la SER et les éditions Libertalia[1] (2017).

Mon intérêt pour la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, cofondée par la chocolatière Pauline Léon et qu’elle rallia – avec l’aide de l’actrice Claire Lacombe – au courant des Enragé·e·s m’a amené à vouloir comprendre la formation et la radicalisation des groupes de femmes révolutionnaires. J’ai donc entrepris des recherches sur ce sujet, peu traité dans l’historiographie, si l’on excepte quelques travaux pionniers déjà anciens et souvent mal connus, et de rares publications récentes (Dominique Godineau pour Paris ; Christine Fauré ; et Suzanne Desan en anglais).

Un «blogue historien» créé en 2013, La Révolution et nous, me sert de carnet de recherches et me permet de mettre à disposition le travail de veille effectué sur ces questions.

Ce volume constitue également la première partie d’un diptyque consacré aux femmes pendant la Révolution. Le second volume – Le club et la pique. Femmes révolutionnaires 1789-1793 – traitera de la politisation collective des femmes dans les groupes et sociétés qu’elles ont formées dès l’automne 1789.

Plusieurs raisons m’amènent à étudier le rapport entre Robespierre et les femmes. Une raison historique d’abord : tout indique que le leader Jacobin a joué un rôle déterminant dans l’interdiction des clubs de femmes, en octobre 1793, qui vint sceller pour longtemps – avant le Code Napoléon – la sujétion des femmes dans la société française[2]. Qu’il ne se soit pas agi d’un objectif – conscient, au moins – de Robespierre est un point que nous examinerons en temps utile.

Une double raison historiographique ensuite : ce sujet apparaît comme l’angle mort de toutes les biographies, anciennes et récentes, y compris lorsqu’elles sont l’œuvre d’historiens sérieux et critiques [3] comme Hervé Leuwers et Jean-Clément Martin. Notons en outre que le principal ouvrage qui s’en est proposé l’étude date de 1909. Encore Hector Fleischmann, son auteur, entendait-il livrer «pour la première fois [4] dans tous ses détails, la vie sentimentale et amoureuse» de Robespierre, ce qui n’est pas mon principal centre d’intérêt. Il y eut, en 1938, une autre tentative – plus romancée encore – d’un écrivain dont on a tout oublié, y compris qu’il fut lauréat du prix Renaudot [5]. Et, plus récemment, un opuscule de Mme Jeanine Stievenard, dont la présentation par l’éditeur m’a dispensé de la lecture[6].

Une raison de commodité méthodologique enfin : ayant donné dans ce premier ouvrage toute sa place à Robespierre – et aux femmes (plus ou moins) révolutionnaires qu’il appréciait et·ou utilisait – il me sera loisible de donner la parole aux citoyennes révolutionnaires, et non à leurs ennemis, dans le second.

J’ajoute que, si Robespierre est le personnage central de cet ouvrage, les termes du titre – Robespierre, les femmes, la Révolution – doivent aussi être considérés à égalité dans les rapports complexes qu’ils entretiennent. Ainsi par exemple, l’attitude de Robespierre lors de la marche des femmes à Versailles des 5 et 6 octobre m’intéresse, comme son instrumentalisation des «Dames de la Halle» qui y ont participé – ou de certaines d’entre elles. Mais pour cerner l’attitude d’un homme et ses conséquences, j’ai besoin de décrire le contexte révolutionnaire autrement qu’en quelques lignes convenues. Autrement dit, il arrivera non seulement que nous empruntions les bésicles de Robespierre, mais qu’il nous serve de regard sur les événements et sur les mentalités – au sens d’une ouverture pratiquée dans une canalisation, une chaudière, ou une cuve pour en faciliter la visite[7]. De sorte que si lectrices et lecteurs en sauront, je l’espère, davantage sur Maximilien Robespierre après avoir refermé ce livre, cette lecture leur aura appris au moins autant sur la manière dont les femmes ont été considérées durant la Révolution.

Histoire des femmes, histoire engagée [8]

Je retiens de prime abord un principe que je considère caractéristique d’une méthode scientifique – ce terme s’oppose ici à idéologique et à moraliste ainsi qu’à la succession dans la recherche de modes conceptuelles: sauf s’il a été démontré qu’un concept est erroné et qu’il a conduit à des interprétations fausses, et à moins qu’un concept plus récent (ou redécouvert) ait montré une efficience plus grande (tout en étant exclusif du premier), il est absurde d’y renoncer.

C’est pourquoi j’utilise, entre autres, le concept de «lutte des classes». La plupart des historiennes et des historiens s’en gardent aujourd’hui, affectant de considérer comme scientifiquement acquis son caractère obsolète, au point qu’ils se dispensent même d’en faire mention. Oh ! bien sûr, l’histoire actuelle n’ignore pas toutes les classes sociales, surtout si l’on entend par là des catégories sociologiques dont les rapports conflictuels s’expliquent davantage par une allant-de-soi «nature humaine» – et la bonne vieille psychologie (à feuillage persistant) qui en rend compte – que par des intérêts matériels et historiques antinomiques.

Au XXIe siècle, la vision de classe souffre, comme elle en a souffert au XVIIIe siècle, d’un problème d’accommodement : on n’y distingue plus le prolétariat (— En Chine ! dites-vous) tandis qu’on affirme qu’il était impossible à discerner en 1793. Naguère pas encore tiré du néant, déjà disparu… Ça n’est pas la bourgeoisie qui se laisserait réduire ainsi au rôle d’ectoplasme ! elle, dont la présence toute naturelle se laisse constater, réconfortante, telle la rosée du matin…

Pour réfuter une «explication» par la lutte des classes, rompant ainsi avec la discrétion de ses collègues, Timothy Tackett écrit dans son essai sur «la Terreur» – en réalité une énième histoire de la Révolution, à laquelle l’étude de la «terreur» sert de fil rouge [9] :

 Il semble maintenant clair que le déclencheur [litt. : l’impulsion directe] des événements de 1789 ne vint pas d’une lutte idéologique ou d’une lutte de classes, mais d’une crise financière et fiscale de la monarchie française, et que cette crise était avant tout le produit d’une lutte géopolitique dans laquelle la monarchie s’était engagée elle-même.

J’ignore si quelque auteur a cru voir dans la lutte des classes le déclencheur, l’impulsion, l’étincelle (comme on voudra) de la Révolution française. Je me contente de l’analyser comme un de ses moteurs, ce qui ne me gêne aucunement pour prendre en compte les éléments de contexte que Tackett énumère.

L’étonnant succès de librairie d’Une histoire de la Révolution française (2012), dont l’auteur Éric Hazan a joui d’une réputation flatteuse (et surfaite) de spécialiste des insurrections passés et à venir [10], a montré qu’une interprétation de la Révolution allégée du concept de lutte des classes (comme on retire le sucre ou le gluten d’un aliment industriel) – et même des classes en général, puisqu’il n’aurait existé en 1789 ni bourgeoisie ni prolétariat! – peut séduire un public « de gauche » en mal de références historiques et émotionnelles. L’auteur a surtout affiché le grand dénuement théorique dans lequel l’a plongé cette opération, dont ses conseillers historiens « robespierristes » ne l’avaient sans doute avisé ni des motivations ni des conséquences [11]. Empêché d’analyser le robespierrisme comme maximum de la politique sociale bourgeoise, Hazan se trouve incapable d’expliquer l’élimination de l’extrême gauche cordelière et enragée, dont il ne peut que déconseiller la réitération (ou son équivalent) aux révolutionnaires du futur, leur laissant un pense-bête à la Saint-Just sur la porte du congélateur : «Ne laissez pas glacer la Révolution!».

C’est encore pourquoi j’utilise le concept d’«inconscient» et certains outils forgés dans la pratique analytique. Reconnaissons aux spécialistes de l’histoire davantage d’ostentation à ce propos : ils et elles ne manquent jamais de préciser qu’ils y sont hostiles, qu’ils en sont revenu·e·s, pour autant qu’ils s’y soient jamais égaré·e·s [12]! Le même conférencier qui s’excuse d’avoir oublié le texte de son intervention dans sa voiture (dont il a égaré les clefs) qualifie de ridicule l’idée que les clubistes Jacobins ont pu accumuler des actes manqués, voire développer des névroses. Telle historienne – d’ailleurs talentueuse – récuse le freudisme dans un sourire, avant d’insister longuement sur l’importance en histoire de «l’estime de soi», concept qu’elle juge apparemment mieux établi et plus précis que celui d’inconscient.

Il faut reconnaitre que certains ouvrages biographiques sur Robespierre inspirés par la psychanalyse ont donné une image mécaniciste et assez infantile (un comble!) de la psychanalyse appliquée à l’histoire[13]. Cela ne signifie pas que toutes les hypothèses de leurs auteurs soient sans fondement, mais que la recherche univoque « dans les blessures de l’enfance et de prétendues humiliations parisiennes ou arrageoises [des] raisons d’une colère et de certains choix politiques[14]» donne d’aussi piètres résultats que l’application du marxisme par une police politique.

Je vais être aussi précis que possible : lorsque Robespierre entreprend, à l’automne 1793, de déconsidérer les Enragé·e·s et de saper leur influence sur la sans-culotterie parisienne – ce qui passe par la fermeture de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, laquelle mènera, je l’ai dit, à l’interdiction de tous les clubs de femmes – il choisit une conduite politique, certes critiquable, mais apparemment rationnelle. Lorsqu’il écrit dans ses carnets, et dans le calme de son cabinet, à propos des mêmes militantes Républicaines révolutionnaires «Elles sont stériles comme le vice», il exprime non plus un point de vue politique mais une angoisse haineuse et archaïque devant des femmes qui, à ses yeux, refusent d’être mères et se signalent par là – et par leur insubordination à sa politique – comme «vicieuses». Ce cri du cœur ne peut être compris autrement que comme manifestation d’un caractère et d’un inconscient blessés, et symptôme d’un rapport pathologique au sexe et au féminin. De ce fait, il relève évidemment de la psychanalyse et éclaire la politique de genre de celui qui le jette sur le papier.

Nous voici au clair sur des matériels intellectuels que je n’entends pas abandonner aux poubelles de l’historiographie. Faut-il alors, ces outils en mains[15], retenir le fameux concept d’« histoire par en bas », traduction (insatisfaisante) de l’anglais from below ? Georges Lefebvre, à qui on en attribue parfois – à tort – la paternité, a décrit ce «point de vue» comme une condition de «l’histoire sociale», dans un hommage à Albert Mathiez, rédigé à l’occasion de son décès (25 février 1932).

Si comme il me paraît probable, les historiens de l’avenir donnent une place de plus en plus grande à l’étude économique et sociale de la Révolution, s’ils se décident à regarder les événements d’en bas et non plus seulement d’en haut, ce qui est la condition même de l’histoire sociale[16], Mathiez leur apparaîtra [etc.].

La même année, et à la même occasion, après avoir lu – comme il le précise – l’article de Georges Lefebvre, son quasi-homonyme Lucien Febvre en appelle à ceux qui poursuivront l’œuvre de Mathiez et «donneront cette histoire révolutionnaire qui nous manque toujours : histoire de masses et non de vedettes ; histoire vue d’en bas et non d’en haut ; histoire logée, surtout, dans le cadre indispensable, dans le cadre primordial des réalités économiques [17].»

C’est beaucoup plus récemment qu’Edward P. Thompson a théorisé le concept dans un article éponyme – « History from below » – publié en avril 1966 dans le supplément littéraire du Times (son maître-livre, The Making of the English Working Class date de fin 1963).

L’inconvénient de ce point de vue est que si l’on regarde «d’en bas», il semble bien que l’on regarde vers le haut, ce qui est encore une vision biaisée. Ce paradoxe n’a pas échappé à l’historienne du genre Karen Offen qui propose une autre formule :

Étudier l’histoire des féminismes signifie mettre le passé à l’épreuve, non pas du haut en bas, non pas de bas en haut, mais sens dessus dessous ; s’attaquer sans détour […] au noyau sociopolitique des sociétés humaines – les relations entre les sexes ; examiner ces moments où des fissures s’ouvrent dans l’écorce des arrangements patriarcaux [18] […].

Sens dessus dessous. Ne risque-t-on pas à adopter cette consigne, qui a quelque chose de stimulant, pour ne pas dire de subtilement érotique, de susciter un léger vertige dans le public éclairé ? La référence sexuelle n’est pas – hélas ! – hors de propos : les historiens mâles – longtemps un pléonasme – pour peu qu’ils se soient préoccupés des femmes dans l’histoire se sont souvent bornés (hormis pour telle impératrice philosophe) à regarder sous leurs robes [19].

Il existe cependant d’autres équivalents de l’«histoire par en bas», qui ne présentent pas le même défaut de perspective et n’encourent pas de reproche sexiste. J’en trouve deux, mentionnées par Marcus Rediker, historien de la piraterie, dans un entretien précisément consacré à cette question [20]: «histoire populaire» et «histoire radicale». L’expression «histoire populaire» a sans doute été pour beaucoup dans l’énorme succès d’Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn (Agone, 2003) puis dans celui d’Une histoire populaire de la France de Gérard Noiriel (Agone, 2018). On la retrouve en sous-titre du passionnant livre de Michelle Zancarini-Fournel : Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (Zones, 2016). Histoire populaire donc, pourquoi pas ? C’est assez dire que l’on ne s’intéresse pas qu’aux batailles, aux alliances de cours et aux vicissitudes de l’exercice du pouvoir, mais aussi, voire d’abord, à la vie du plus grand nombre et à ses aspirations. Cependant, si l’expression peut être adéquate à tel ouvrage, et contribuer légitimement à assurer sa diffusion, elle me semble paradoxalement un peu étroite d’un point de vue méthodologique. L’«histoire sociale» qu’évoquait Georges Lefèvre me conviendrait mieux. Quant à l’«histoire radicale», je craindrais qu’elle n’évoque davantage dans l’esprit des lectrices et des lecteurs un point de vue idéologique qu’une étude des phénomènes «à la racine». Je m’en rapprocherai toutefois, au risque de paraître abandonner toute prétention au sérieux et à la hauteur de vue, en précisant que la recherche historique que je pratique est une recherche «au ras des pâquerettes», expression d’ailleurs poétique, dont j’ôte tout ce qu’elle peut avoir en français de péjoratif.

La belle formule de Walter Benjamin sur «le saut du tigre dans le passé», félin qui sait – comme la mode ! – «flairer l’actuel niché dans les fourrés du passé» ne doit pas faire illusion. Tigre de papier, l’historien révolutionnaire est omnivore (il ne se borne pas à retenir ce qui peut «servir» sa thèse) et sujet aux métamorphoses modestes : plus souvent rat de bibliothèque que fauve en liberté «sous le ciel libre de l’histoire[21]».

En effet, qui écrit l’histoire des femmes se doit de prendre en compte les archives les plus minuscules, les plus anodines, éparpillées, ignorées jusqu’ici ou au contraire invisibles à force d’avoir été mille fois dépouillées. Ce qui devrait être, semble-t-il, une précaution scientifique ordinaire pour les chercheuses et les chercheurs s’impose comme une contrainte concernant l’histoire des femmes [22].

Il n’est pas inopportun de signaler un contre-exemple époustouflant : je veux parler de l’avant-propos de l’essai précisément consacré à Robespierre par M. Marcel Gauchet [23]. L’auteur y annonce que «le matériau principal de l’enquête est fourni par le discours robespierriste lui-même. Toutes les références vont aux Œuvres complètes […]. Les dates permettent de se reporter aisément à la source. […] Les débats des assemblées sont cités, selon l’usage, d’après les comptes rendus du Moniteur ou des Archives parlementaires.»

Se référer aux volumes des Œuvres complètes de Maximilien Robespierre publiés par la SER est impeccable[24]. C’est même, on le verra, un argument paradoxal contre certains robespierristes. En revanche, faire comme si ces volumes étaient publiés par ordre chronologique – et non par catégories : «discours[25]», «journaux», «œuvres judiciaires», «correspondance», etc. – ce qui rendrait «aisé» de se reporter aux sources, voilà qui est d’un professeur peu soucieux de soumettre son travail à la vérification critique et non d’un scientifique. Quant à l’«usage» qui voudrait que l’on reproduise les débats d’après le Moniteur et les Archives parlementaires sans jamais citer dates, pages et numéros (et sans comparer les deux sources), qu’aucun·e étudiant·e ne s’en autorise pour l’imiter : c’est une invention opportuniste. Nous avons affaire ici non à une «monté en généralité», privilège accordée par entente tacite aux historiens vieillissants, éloignés de leur soutenance de thèse (ce sont leurs étudiant·e·s qu’ils envoient aux archives), mais à une montée en désinvolture, par rapport au public et par rapport aux sources.

Dans les sciences humaines, une analyse doit toujours s’entendre «jusqu’à preuve du contraire» et «en attendant mieux». C’est donc en attendant mieux que dans le débat sur le type d’histoire – ci-dessus rapidement esquissé – je m’en tiendrai à une expression qui peut paraître désuète: une «histoire engagée[26]». Je veux dire une histoire qui assume sa destination politique et sociale, sans se laisser instrumentaliser par quelque idéologie que ce soit – par un·e historien·ne qui assume ses propres engagements.

Quant aux miens et pour m’en tenir d’abord à la Révolution française, il me paraît irrecevable de la décréter «terminée». En effet, inviter à penser cela c’est reprendre à son compte le programme de la contre-révolution, maintes fois exprimé dans le cours même de la Révolution, et ce dès l’automne 1789, et plus nettement encore par Antoine Barnave, à la mi-juillet 1791. Ensuite parce que la Révolution, à l’échelle de la vie d’une société, pour ne rien dire de celle d’une espèce est extrêmement proche de nous dans le temps, à rebours du sentiment subjectif fondé sur la durée de vie individuelle. Enfin, et sa proximité n’y est pas pour rien, parce qu’elle n’a pas produit tous ses effets: la qualité et l’inventivité des écrits théoriques et des pratiques d’exercice de la souveraineté populaire, est en soi un exemple roboratif pour notre présent (et celui des générations à venir). Il n’est que de voir les nombreuses références «d’inspiration», voire d’autorité [27] qui lui sont faites dans les mouvements sociaux des dernières décennies, notamment le mouvement dit des « Gilets jaunes » (2018-2019).

Sans m’attarder ici sur ce que pourra être la prochaine révolution [28], je veux dire qu’elle sera à mon sens – en France au moins – une «révolution sans bagages», ayant pris ses distances avec l’héritage idéologique des XIXe et XXe siècles et retrouvant plus ou moins «spontanément [29]» l’expérience originaire de 1789-1793.

Étudier la Révolution française, après plus de deux cent trente ans, sans se borner à la satisfaction de compléter une histoire érudite, c’est aussi refaire une lecture critique – avec les outils et les perspectives du présent – des fondamentaux de l’aspiration à l’égalité (y compris entre les genres et les âges) et à la liberté dans l’organisation des sociétés humaines.

Avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais faire mienne la sage résolution de Claude Mazauric présentant la réédition des Œuvres :

Il nous faut demeurer modeste et savoir que nous ne savons que peu de choses. Du moins tiendra-t-on pour nécessaire de ne négliger aucun témoignage, aucune donnée, aucun énoncé de la part de Robespierre qui puisse nous permettre de construire un récit approché et crédible[30].

J’ajouterai à ce qui retiendra mon attention ce que Robespierre n’a pas dit et ce qu’il s’est dispensé de faire, puisqu’aussi bien la vérité d’une politique et d’un homme se lit au moins autant dans ses lacunes et ses abstentions que dans ses actes et ses écrits.

Robespierre et les femmes

Il y a dans cet énoncé comme une promesse égrillarde que seuls, à ma connaissance, Fleishmann et Nabonne – évoqués ci-dessus – ont plus ou moins assumée comme telle. Si je n’entends pas les suivre sur ce terrain, il me faut affirmer d’emblée que, contrairement à ce que pensent aujourd’hui la plupart des historiens des deux sexes, dans leur rejet de la psychanalyse, ce que j’appelle la « politique de genre » de Robespierre, par analogie avec sa politique de classe est évidemment aussi le reflet de sa relation aux femmes.

Certes, un homme peut considérer les femmes comme des égales en droit sans les désirer, c’est même une qualité communément attribuée à de nombreux homosexuels. Par contre, un homme qui envisage le sexe féminin, en tant qu’organe génital et·ou zone érogène, comme une source de danger et de malpropreté, physique et·ou morale, a peu de chances de considérer autrement qu’avec méfiance le sexe féminin comme groupe social (ceci est un euphémisme).

Politique de genre, ou autrement dit : Quelle place Robespierre reconnaît-il aux femmes dans la société ? Quelle attitude manifeste-t-il à leur égard dans des situations précises ? Comment ses positions – scripta et acta – peuvent-elle être évaluées par comparaison avec celles d’autres écrivains, d’autres publicistes (les journalistes d’alors), d’autres révolutionnaires de son époque – femmes comprises ?

Ernest Hamel, hagiographe de Maximilien s’offre le luxe de juger, à demi-mots, quasi exagérée l’estime de son héros pour les femmes. À propos du discours de réception de Mlle de Kéralio à l’Académie d’Arras, qu’il a rédigé et lu, et dans lequel – nous allons en reparler dans le premier chapitre – il prône une complémentarité intellectuelle des deux sexes, Hamel écrit :

Nous n’avons pas à examiner ici jusqu’à quel point il pouvait avoir raison, mais, par l’analyse de son curieux discours [sic], on comprend mieux le prestige qu’il exerça toujours sur les femmes, et l’on se rend suffisamment compte de son chaste penchant pour elles. (Hamel, 1865, t. I, p. 61)

Il existe deux arguments de plus ou moins bonne foi – et articulés entre eux – pour justifier de ne traiter ni des rapports érotiques éventuels de Robespierre avec les femmes ni de sa politique de genre. Le premier, essentiel, consiste à déplorer une documentation lacunaire. Or autant celle-ci peut excuser de passer rapidement sur la vie ou l’absence de vie «amoureuse» du personnage, autant elle ne saurait dispenser d’étudier son attitude politique vis-à-vis des femmes, puisque pas moins de douze volumes de textes de sa main (ou à lui attribués) sont à notre disposition. User de cet argument suppose de considérer que le sujet « Robespierre et les femmes » renvoie uniquement à «l’homme privé», selon la malheureuse formule endossée par Hervé Leuwers (2014, p. 59 [31]), dans une biographie qui apporte par ailleurs des documents précieux sur son activité d’avocat à Arras. Une page suffira donc à évoquer cet aspect de la vie de Robespierre, dans un livre qui en compte plus de quatre cent cinquante. Le second argument, subsidiaire, le plus souvent informulé, c’est que l’on reconnaît la bonne éducation et le sérieux des historiens à l’extrême pudeur et à la modestie que leur inspire la «vie privée» de leurs personnages. «Ne cherchons donc pas à sonder les reins et les cœurs», écrit encore Leuwers en affectant de se morigéner lui-même (2014, p. 56). La connotation d’euphémisation sodomitique prise – de nos jours au moins – par la demi-formule «sonder les reins» dit assez le côté peu ragoutant de l’exercice. Voilà pour la pudeur. Quant à l’expression entière, elle sert – excusez du peu! – à caractériser Yahvé «le Seigneur», dans la Bible [32] et dans son omnipotence divine. Voilà pour la modestie.

D’ailleurs, quelle peut être la validité en histoire d’un concept comme celui de «vie privée»? Écrire la biographie d’un personnage, n’est-ce pas tenter de comprendre l’entièreté de sa vie : politique, professionnelle, amoureuse, intellectuelle, sociale…

Je pense d’ailleurs que Robespierre, même s’il lui est arrivé d’employer l’expression «vie privée» ne tenait pas en grande estime la séparation entre le «public» et le «privé». Il considérait, semble-t-il, la vertu comme une et indivisible, celle de l’individu comme celle de la nation. Chez lui, comme l’écrit Cesare Vetter, «vertus publiques et vertus privées sont étroitement reliées et sont axées sur la vertu publique : [et de citer Robespierre qui parle de Necker] “Un homme qui manque de vertus publiques ne peut avoir des vertus privées[33]”». On devine que l’inverse est également vrai. En outre, la morale révolutionnaire d’époque abhorre le secret, ce qui est caché, à huis clos, et peut donc abriter le complot et la malveillance. La vie familiale, le foyer (sinon l’alcôve) sont autant de «maisons de verre», et lorsque les femmes y sont renvoyées – avec plus moins d’égards – comme éducatrices des futurs citoyens, c’est aussi parce que leur rôle est écrit d’avance et soumis au contrôle de toutes et de tous. 


Écriture non-sexiste et particularités typographiques

 

Non-sexiste, c’est la manière – préférée à «inclusiv» – de présenter un texte que je m’efforce de mettre en œuvre ici.

Je me rallie à la règle de l’«accord de proximité», longtemps en usage en français, en accordant l’adjectif avec le sujet le plus proche. Exemple : « Les hommes et les femmes doivent être égales ».

— Et tant pis si j’me trompe ! aurait ajouté Serge Reggiani[34].

En matière d’antisexisme typographique, le point médian est devenu l’indispensable sextant pour naviguer dans la «carte du tendre» de l’égalité. Du verbe tendre [à ou vers].

On n’hésitera pas à se dispenser de son usage s’il risque d’égarer lectrices et lecteurs, plutôt que de les aider à se repérer. On préfèrera, comme dans la phrase qui précède, une formule plus gourmande en signes – « lectrices et lecteurs (22 s.)» – aux constructions et compressions du type «lecteurs·trices (15 s.)». Idem pour «celles et ceux», préférée à «celleux», pourtant deux fois moins long, etc.

Par surcroît, le point médian me paraît pouvoir heureusement remplacer la barre oblique dans des expressions dont il est parfois difficile de se passer comme le duo «et» et «ou». Je préfère donc «et·ou» à «et/ou».

Par ailleurs, dans les citations – nécessairement nombreuses dans un tel livre – les points de suite indiqués entre crochets – […] – signalent, comme c’est l’usage, une coupe dans le texte, pratiquée entre deux phrases, deux paragraphes ou deux alinéas. Lorsque la coupe est pratiquée à l’intérieur même d’une phrase, je préfère l’indiquer de la manière suivante: [etc.].

Notes

[1] On a compris que je ne mentionne ici que mes publications en rapport avec la Révolution française.

[2] Je n’entends pas suggérer que la sujétion des femmes a été créée par la Révolution, mais sa prorogation ressort d’autant plus dans un contexte d’émancipation (suffrage masculin adulte universel, abolition de l’esclavage, etc.).

[3] Des articles ont été publiés sur le rapport de Robespierre au genre féminin : Florence Gauthier (2014) ; Noah C. Shusterman (2014, en anglais).

[4] Mentionnons par acquis de conscience le pamphlet publié à Berlin en 1794 : Maximilian Robespierre in seinem Privatleben (La Vie privée de Maximilien Robespierre), «par un détenu au Palais du Luxembourg».

[5] Nabonne Bernard, La Vie privée de Robespierre, Hachette, 1938. En 1927, l’auteur avait reçu le prix Renaudot, pour Maïténa.

[6] Stievenard Jeanine, Robespierre et les femmes, 2009, 68 p., édité à compte d’auteur chez Édilivre : «Robespierre, ce n’est pas seulement la transformation du Comité de Salut Public en organisation terroriste, c’est également les balades dans les jardins parisiens, c’est aussi l’élevage d’oiseaux destinés à être offerts à son entourage, et même peut-être un fils issu d’une liaison avec Mlle Duplay.»

[7] On utilise aussi l’expression trou d’homme.

[8] J’utilise ici les éléments d’un exposé fait à la Sorbonne le 15 mars 2017, dans le cadre du Séminaire doctoral de l’IHRF «Publier les sources de la Révolution», à l’invitation de Pierre Serna, son codirecteur avec Jean-Luc Chappey et Anne Simonin: «Pourquoi et comment publier les Enragé·e·s ?».

[9] «It now seems clear that the direct impulse to the events of 1789 came not from an ideological struggle or a class struggle, but from a financial and fiscal crisis of the French monarchy, and that this crisis was above all the product of a geopolitical struggle in wich that monarchy found itself engaged.» Je considère la phrase dans l’édition originale afin de la traduire moi-même : The Coming of the Terror in the French Revolution, Harvard University Press, 2015, pp. 39-40. Traduction française de Serge Chassagne : Anatomie de la Terreur, Le Seuil, 2018. La citation se trouve pp. 51-52.

[10] Hazan Éric, Une histoire de la Révolution française, La Fabrique éditions, 2012.

[11] Remerciements (p. 10) : «Ma gratitude va d’abord à Florence Gauthier et Yannick Bosc, mes savants amis, qui ont eu la patience de lire et d’annoter le manuscrit. Leurs critiques de fond et leurs suggestions ont beaucoup contribué à lui donner sa forme définitive.»

Nota : Je qualifie de «robespierristes» les historiennes et les historiens qui, par admiration pour le personnage ou par intérêt de faction idéologique se font ses thuriféraires. Leur robespierrisme peut être discret, modéré ou fanatique ; il peut être franc ou procéder par omissions, voire manipulations. Par ailleurs, contrairement à ce que sa dénomination sociale – conservée pour des raisons complexes – peut laisser entendre, la Société des études robespierristes n’abrite pas que des robespierristes, loin s’en faut ! (Elle n’agrège même pas tous les robespierristes.) J’ai moi-même été membre de son conseil d’administration ; j’ai créé – grâce au talent du graphiste Norbert Bartkowiak – et lancé la première version de son site Internet.

[12] Celles et ceux qui, au contraire, se taisent ont été ou sont en analyse : ils craignent de se trahir!

[13] Le prototype étant le chapitre consacré à Robespierre par le Dr René Laforgue dans sa Psychopathologie de l’échec (1944).

[14] Évocation critique par Hervé Leuwers des livres de Jean Artarit (2003) et Laurent Dingli (2004) dans «Robespierre, une figure revisitée», in «1789-2019. L’Égalité, une passion française», hors-série de L’Humanité, juin 2019, pp. 76-77.

[15] Ces outils, plus légers et moins nombreux ils sont, plus le travail de recherche est accessible et vérifiable. Les «concepts», surtout prétendument nouveaux servent trop souvent de signes de reconnaissance sociale et universitaire, donc d’exclusion. Exception récente, le concept de «genre» a fonctionné comme une autorisation à revisiter tous les sujets de toutes les époques «au prisme» d’icelui. Son objet d’étude, les «rapports sociaux de sexe» n’étaient pas inconnus des sciences sociales, mais genre a – si j’ose dire – plus de style. Il est paradoxal que la majorité de ses introductrices en France aient gaspillé leur énergie – croyant devoir répondre par là aux extrémistes catholiques – en répétant qu’il n’existe pas de «théorie du genre». Si réellement les «études de genre» se révélaient n’avoir produit aucune théorie, c’est que l’autorisation évoquée ci-dessus aurait été délivrée en pure perte.

[16] AHRF, 1932, pp. 193 et suiv., repris dans Études sur la Révolution française, 1954. Je souligne.

[17] Febvre Lucien, «Albert Mathiez: un tempérament, une éducation», Annales d’histoire économique et sociale, 1932, 4e année, n° 18, pp. 573-576. Je souligne. Febvre rapporte que Mathiez lui avait promis, pour les AHES, «un article d’ensemble sur le prolétariat en France au temps de la Révolution», dont sa mort brutale à la suite d’une hémorragie cérébrale nous a privé (comme aussi d’une biographie de Robespierre, pour laquelle il avait signé un contrat avec un éditeur américain). Voir Friguglietti James, Albert Mathiez historien révolutionnaire (1874-1932), SER, Paris, 1974.

[18] «“Flux et éruptions” : réflexions sur l’écriture d’une histoire comparée des féminismes européens, 1700-1950», in Cova Anne (dir.), Histoire comparée des femmes, 2009, pp. 45-65. Je souligne. Notons qu’une revue féministe italienne publiée en 1973-1974 s’est intitulée Sottosopra (Sens dessus dessous).

[19] Illustration caricaturale dans une émission de télévision baptisée «Sous les jupons de l’histoire» (chaîne Chérie 25).

[20] Dans le journal CQFD, n° 117, décembre 2013. Plusieurs livres de Rediker ont été traduits en français ; par ex. Les Forçats de la mer (Libertalia, 2010), Pirates de tous les pays (Libertalia poche, 2017), L’Hydre aux milles têtes (avec Peter Linebaugh, Amsterdam, 2008).

[21] «Sur le concept d’histoire» (1940) ; quatorzième thèse, in Œuvres, III, Folio, p. 439.

[22] J’y reviendrai plus longuement en présentant le second volume de mon diptyque.

[23] Robespierre. L’homme qui nous divise le plus, Gallimard, 2018.

[24] Le douzième (et dernier?) devait être publié la même année que le présent ouvrage. [Note actualisée: Il sera finalement publié en 2022.]

[25] À supposer même que l’on ne considère que les cinq volumes de discours, en quoi le retour à la source à partir d’une date est-il «aisé»?

[26] Je partage avec Guillaume Mazeau, Laurence De Cock et Mathilde Larrère, auteur et autrices de L’histoire comme émancipation (Agone, 2019, p. 108) la certitude que : «L’expression “histoire engagée” devrait être un pléonasme.» Il·et elles ne se donnent pas la peine de situer leur position parmi celles que j’énumère ici. Voir mes remarques critiques, sur l’ouvrage (et sur les vulgarismes de M. Larrère) sur mon blogue La Révolution et nous. Sur le même thème, voir le n° 144 des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique (2020) et sa présentation par Jean-Charles Buttier et Caroline Fayolle : «Écrire l’histoire des révolutions : un engagement».

[27] J’en ai recensé un grand nombre (slogans, tracts, pancartes, graffitis) sur La Révolution et nous.

[28] J’ai abordé la question de la filiation, plausible et souhaitable, entre la Révolution française et la prochaine révolution dans le premier chapitre de Notre patience est à bout : «Écrire l’histoire, continuer la révolution».

[29] Spontanéité relative puisqu’elle tient en partie aux références scolaires connues de toutes et tous (ou presque). Cet aspect était très perceptible dans le mouvement des «Gilets jaunes».

[30] OMR, t. I, p. XXV.

[31] Les références ainsi indiquées – date, n° de page – renvoient à la Bibliographie en fin de volume.

[32] Psaume 7, 10 : «Mets fin à la malice des impies, affermis le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste!» Livre de Jérémie 11, 20: «Yahvé Sabaot, qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les cœurs, je verrai ta vengeance contre eux [les gens d’Anatot, qui persécutent le prophète], car c’est à toi que j’ai exposé ma cause.» La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, pp. 927 et 1405.

[33] Discours aux Jacobins le 9 juillet 1794 ; OMR, t. X, p. 520. Vetter Cesare, «Bonheur public, bonheur privé et bonheur individuel dans le lexique de Robespierre», in Vetter C., Marin M., Gon E., Dictionnaire Robespierre, t. I, 2015, p. 44. Saint-Just, au contraire, tient à la notion de «vie privée» : «Si vous ordonnez aux tribunaux de faire régner la justice, ne souffrez point que l’on tourmente la vie privée du peuple.» (Rapport au nom des Comités de Salut public et de Sûreté générale, 26 germinal an II-15 avril 1794). Et dans le préambule au chap. premier des Fragments d’institutions républicaines: pour lier les hommes par des rapports harmonieux, soumettre «le moins possible aux lois de l’autorité les rapports domestiques et la vie privée du peuple.» Citations in Œuvres complètes, établies par Michèle Duval, 2003, pp. 819, 967-968.

[34] «Salut les hommes ! Et tant pis si j’me trompe», lui fait dire Jean-Pierre Melville dans Le Doulos (1962).

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“D’histoire & d’historiens” ~ recueil de textes de Claude Mazauric

12 dimanche Sep 2021

Posted by Claude Guillon in «Annonces», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “D’histoire & d’historiens” ~ recueil de textes de Claude Mazauric

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Albert Manfred, Albert Soboul, Claude Mazauric, Denis Crouzet, Eric Hobsbawn, François Guizot, Georges Lefebvre, Isabelle Laboulais, Jean Calvin, Jean Nicolas, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Lynn Hunt, Michel Vovelle, Michel Zylberberg, Pascal Dupuy, Patrick Cabanel, Pierre Vilar, Robespierre, Société des études robespierristes

Images de la table des matières empruntées au fil Twitter de Côme Simien.

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Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

29 mercredi Juil 2020

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

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1793, Albert Mathiez, Albert Soboul, Claire Lacombe, Féminisme, Georges Lefebvre, Hébert, Jacques Pierre Brissot, Jacques Roux, Jean-Baptiste Louvet, Jean-François Varlet, Jonathan Israël, Kåre Dorenfeldt Tønnesson, Lutte des classes, Marat, Olivier Blanc, Pauline Léon, Républicaines révolutionnaires, Robespierre, Théophile Leclerc, Walter Markov

Une «histoire intellectuelle de la Révolution», et pourquoi pas?

Encore que l’affirmation suivante a de quoi éveiller la méfiance:

Conduire un nouvel examen des leaders révolutionnaires semble nécessaire afin de poursuivre l’effort initié par l’approche socioculturelle et, plus spécifiquement, pour mieux intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle. [p. 21]

Ici (et ailleurs aussi probablement) se pose le problème de la traduction (je n’ai pas pris la peine d’aller vérifier l’édition originale). En effet, «Intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle» n’a guère de sens en français. Les combiner, oui; intégrer l’une à l’autre aussi. Faisons avec…

Plusieurs affirmations accrochent le regard. Un exemple:

En plusieurs endroits, on vit des comités de “Patriotes” rivalisant d’éloquence tant les hommes de lettres, éditeurs et membres des sociétés y étaient nombreux; ils purent ainsi peser lourdement sur les élections des députés du Tiers état. [p. 53, avec référence au livre de Galante Garrone].

C’est bien possible; cependant, il aurait été honnête de signaler que lors de l’étape précédente, à savoir la rédaction des Cahiers de doléances, l’hypothèse d’une influence décisive des notables a été sévèrement critiquée[1].

Parlant du Cercle social et des tendances philosophiques qu’il oppose au « populisme autoritaire » de Marat et Robespierre, l’auteur évoque l’action du marquis de Villette en faveur des enfants naturels (p. 149), comme exemple de l’action humaniste et réformiste de certains révolutionnaires. Il est bien regrettable qu’il ignore le long et beau texte de Robespierre sur le même sujet[2].

Voici maintenant une formulation sur laquelle le lecteur butte, lequel une fois relevé de sa chute, se demande s’il va poursuivre la lecture entreprise…

Marat et Hébert s’adressaient aux moins éduqués et cultivaient un chauvinisme populiste, une espèce de protofascisme. » [p. 189; je souligne]

Il est tout d’abord extrêmement discutable de mettre ainsi «dans le même sac» Marat, dont les journaux sont rédigés dans une langue simple et compréhensible, mais correcte quant à la grammaire et sans vulgarité, avec Hébert qui pastiche la verdeur populaire à grands renforts de jurons obscènes. De là à les qualifier uniment de protofascistes, c’est-à-dire de premiers fascistes ou de fascistes rudimentaires, pour la seule raison véritable qu’ils sont lus l’un et l’autre par la sans-culotterie, c’est préférer l’idéologie grossière à l’analyse historienne.

Massant ses genoux endoloris, le lecteur se dit qu’il a tout de même payé le livre la bagatelle de 36 € (en francs, c’eut été le prix d’un très beau livre d’art) et, pour calmer sa colère, il s’en va lire la postface à l’édition française.

Or, voici des propos mesurés, mêmes si discutables – dont lectrices et lecteurs anglophones ont donc été privé·e·s:

Ainsi mon approche diverge à certains égards de l’école jacobino-marxiste d’Albert Mathiez, Georges Lefebvre et Albert Soboul ; mais reconnaît également que leurs travaux ont encore beaucoup à offrir et doivent toujours faire l’objet du plus grand respect. Que la Révolution française ait été en partie mue par une guerre de classes est pour moi indéniable puisqu’elle a d’abord pris pour cible, sans jamais cesser l’assaut, le système social aristocratico-ecclésiastique qu’elle cherchait explicitement à détruire. [p. 742]

Ainsi donc, les «moins éduqués» ont tout de même – nonobstant l’influence délétère des protofascistes – joué un certain rôle dans la Révolution… On aurait tort, toutefois, de se rassurer trop vite; en effet:

Ce livre place les mouvements populaires au second plan, en partie parce que je ne pense pas que la recherche ait démontré que leur rôle a été déterminant dans l’élaboration de l’idéologie dominante de la Révolution. Une autre raison explique ce choix: je ne crois pas non plus que les mouvements sociaux et les manifestations de mécontentement populaire, peu importe leur force et leur ampleur, puissent disposer d’une cohésion suffisante et d’une énergie suffisamment durable pour devenir un fondement d’autorité ou inspirer des réformes institutionnelles, susceptibles de provoquer des transformations révolutionnaires significatives de quelque forme que ce soit. [p. 742]

Ici se trouve sans doute le fondement même de la démarche de Jonathan Israel, et le point central de désaccord avec lui. S’il s’agit de constater la «défaite des sans culottes», pour reprendre le titre du livre de Kåre Dorenfeldt Tønnesson, nous pouvons tomber d’accord, mais cet accord est une illusion car J. Israel pense que les sans-culottes ne pouvaient qu’être défaits, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment éduqués pour élaborer une idéologie assez forte pour dominer celle de la bourgeoisie. Mais Israel ne s’en tient pas là. Sa position concernant les sans-culottes est après tout proche du simple constat, mais il ajoute qu’aucun mouvement social n’a et ne peut avoir les capacités de fonder un nouvel ordre social.

Voici ce que j’appelle un préjugé de classe, lequel se manifeste d’ailleurs en d’autres occasions dans le livre. L’auteur est prompt à reprendre sans distances des informations chargées de jugements moraux. Ainsi les manifestants qui attaquent l’imprimerie de Gorsas en mars 93 ne sont-ils rien qu’«un groupe de 2 000 à 3 000 voyous » (p. 343). Lors d’une manifestation de femmes à Bordeaux à la même époque: « Ces troubles avaient été préparés avec soin ; des témoins attestèrent avoir vu des jacobins déguisés en femmes dirigeant le cortège » (p. 344). La présence d’hommes déguisés en femmes est un topos d’époque, utilisés par toutes les tendances politiques pour discréditer les manifestations de femmes.

On pourrait discuter encore beaucoup le choix des sources, comme leur utilisation. J. Israel adore Louvet, parce que celui-ci est entré en conflit avec Robespierre. Je comprends que l’on lise et même que l’on utilise les Mémoires du député Jean-Baptiste Louvet de Couvray, mais de là à les prendre pour un évangile où tout n’est que vérité du détail, il y a le même chemin que de la lecture critique à la naïveté.

Parfois, on se perd en conjectures sur ce que l’auteur peut bien trouver d’utile à telles «révélations». Ainsi:

Robespierre devint de plus en plus froid. Jusqu’en février 1794, il avait gardé ses distances, sans paraître replié sur lui-même. Il se montrait régulièrement dans Paris, élégamment vêtu de soie et de lin, bien coiffé. En public, il jouait les observateurs tout en prenant soin d’entretenir des relations, de converser avec d’autres personnalités influentes. Il profitait aussi de ces échanges pour noircir son cahier de notes. [p. 581]

La note indique : Laure d’Abrantès, Salons révolutionnaires, p. 105. Je trouve à la page 6 du texte d’origine (Histoire des salons de Paris, vol. III) de la duchesse d’Abrantès, le passage-source:

Dans le même moment, Robespierre marchait dans Paris élégamment habillé, coiffé avec la plus grande recherche, employant pour sa toilette les essences les plus suaves, les pommades les plus odorantes… son linge était d’une extrême beauté; son jabot, fait d’une dentelle précieuse, était toujours à côté d’un gilet rose, bleu ou blanc, en soie glacée, et légèrement brodé en argent ou en or, et à sa main il portait un bouquet de roses, même en hiver…

Robespierre soignait sa mise. C’est entendu, tout le monde le dit. Mais tant qu’à nous abreuver des niaiseries d’Abrantesques, pourquoi nous priver du parfum, des pommades et des roses. …Même en hiver!

Reprenons pied sur le terrain des idées, puisque c’est celui que revendique notre auteur. En voici une bien bonne (oui, je suis un peu las, je le reconnais, et mon style s’en ressent), censée établir le fait que les brissotins sont la gauche (ce qui n’est pas entièrement dépourvu de logique si Marat est un fasciste):

Pratiquement tous les intellectuels sérieux de l’Assemblée, Levasseur et les montagnards un peu honnêtes admettaient que les brissotins et les philosophistes représentaient bien la gauche. [p. 305]

Certes, je pourrais faire valoir ici qu’au contraire tous les gens «un peu honnêtes» sont de mon avis… mais j’aurais le sentiment d’entrer dans un jeu tout juste bon pour la cour de récréation.

Les Enragé·e·s

D’ailleurs, il est un point qui m’intéresse doublement – parce qu’il concerne l’un de mes sujets de recherches[3] et parce qu’il met en valeur la difficulté de J. Israel à tenir la ligne qu’il a lui-même choisie: la question de l’action des Enragé·e·s.

En effet, Israel manifeste une évidente sympathie pour ces militant·e·s, ce qui ne laisse pas d’étonner.

Voyons ce qu’il écrit de Jacques Roux, avec certes une restriction morale (elle-même plutôt surprenante):

Violemment opposé aux brissotins autant qu’aux montagnards, Roux n’était certes pas un combattant de la liberté [sic]. À certains égards, toutefois, ce zélé prêtre jacobin (et ancien professeur de sciences au séminaire) occupait une vraie position à gauche du robespierrisme : il voulait ardemment défendre les pauvres de la cupidité des capitalistes, des banquiers, des grands marchands. Il dénonçait avec flamme l’exploitation et l’absence de toute aide pour les moins nantis[4]. [p. 505]

Si Brissot incarne la gauche, et Robespierre un «populisme autoritaire», comment situer quelqu’un qui se trouve «à gauche» de Robespierre, mais pas vraiment «à gauche» puisque cette position est monopolisée par les Brissotins? Israel a – parmi les Enragé·e·s – une préférence marquée pour « l’honnête et bienveillant Varlet » (p. 755), «qui pratiquait lui un tout autre type de populisme, plus intègre, et plus proche des Lumières radicales.» (p. 759)

Je ne discuterai pas des fleurs envoyées à Varlet; après tout, il est bien probable qu’il les a méritées. Pour autant, je ne crois pas que Robespierre a été ni moins honnête ni moins intègre que Roux, Varlet, Leclerc, et les Républicaines révolutionnaires.

De toute façon, cela ne nous aide pas à nous retrouver dans notre nuancier politique. À la fin des fins, où situer les Enragé·e·s? Plus près de Brissot que de Robespierre? Une hypothèse qu’ils eussent jugée insultante.

Il est assez évident que, outre leur enthousiasme et la sincérité de leur engagement, ce qui séduit Israel chez les Enragé·e·s… c’est qu’ils deviennent les cibles de Robespierre.

Après les 31 mai – 2 juin 93, « Robespierre écarta tout de suite Varlet, Roux et Jean Leclerc, meneurs sans-culottes véritablement engagés en faveur des prolétaires. Ils pouvaient se réclamer de la rue bien mieux que lui. Les Enragés avaient d’ailleurs immédiatement compris quelle dictature s’annonçait. Ils n’ignoraient rien de la mégalomanie de Robespierre, de sa paranoïa et de son caractère vindicatif. » (p. 484)

Ce dernier hommage rendu à la clairvoyance des Enragé·e·s à propos des risque d’un régime terroriste autoritaire me semble pour le moins exagéré ; ils n’ont mesuré les risques de la concentration des pouvoirs qu’au fur et à mesure qu’elle les atteignait directement (et je ne songe pas à les en blâmer). Quant aux indicateurs qui eussent dû les alerter, le caractère de l’individu Robespierre ne mérite sans doute pas la première place…

En guise de conclusion

Jonathan Israel a-t-il atteint l’objectif qu’il s’était fixé ? La réponse est étroitement liée à la position de chacun·e par rapport aux parti-pris de l’auteur. Qui est convaincu que le peuple ne saurait écrire sa propre histoire – faute d’une orthographe suffisante – se verra confirmé dans ses préjugés par une érudition pléthorique. L’adhésion aux thèses du livre ne peut être qu’idéologique.

Ironie de l’histoire, c’est – nous l’avons vu – l’aimable sympathie de l’auteur pour un courant radical de la Révolution qui vient ôter toute cohérence à sa tentative de redistribuer les rôles politiques, en attribuant aux Brissotins et non plus aux Montagnards celui de la « gauche ».

Israel identifie correctement la question des droits des femmes comme le talon d’Achille de Robespierre (et d’un certain nombre de ses amis), mais – une fois encore – le reproche ne peut être adressé ni à Roux ni à Leclerc (ni à Varlet, dont le «proféminisme» est pourtant plus mesuré), et encore moins aux Républicaines révolutionnaires. L’action militante de ces dernières fait voler en éclats les tentatives d’identifier la Gironde comme le « parti féministe » de la période, comme l’ont tenté ces dernières années Michel Onfray et Olivier Blanc (d’où les attaques venimeuses de ce dernier contre les Républicaines).

Neuf cent trente pages, c’est beaucoup d’arbres coupés pour un si piètre résultat.

Israel Jonathan, Idées révolutionnaires. Une histoire intellectuelle de la Révolution française, Alma/Buchet-Chastel, 2019 (EO : Princeton University Press, 2014), 930 p., 36 €.

Statut de l’ouvrage : acheté en librairie.

_________________

[1] Shapiro (G.), Markoff (J.), « L’authenticité des cahiers de doléances », Bulletin du Comité d’histoire économique de la Révolution française, 1990-1991, p. 19-70.

[2] Robespierre Maximilien, Observations sur cette partie de la législation qui règle les droits et l’état des bâtards, dans Œuvres de Maximilien Robespierre, t. XI, Compléments (1784-1794), Société des études robespierristes, 2007, p. 137-183.

[3] Mon livre Notre patience est à bout est cité comme source à plusieurs reprises.

[4] Je place ici le signalement et la correction d’une erreur, probablement due à une faute de traduction (peut-être de l’auteur lui-même). Il est indiqué p. 505 : « Roux [visé par une campagne de dénigrement] fut exclu des Jacobins et perdit la direction des colleurs d’affiches – fonction importante. » (je souligne). Il s’agit d’une référence au groupe de colleurs d’affiches que la municipalité parisienne payait pour placarder les annonces publiques (ils auraient été 300 ; voir p. 280). J’ignore si Roux eut jamais la responsabilité de ces employés (Markov n’y fait aucune allusion), mais ce que l’on sait c’est qu’il était corédacteur des Affiches de la Commune, et c’est ce poste – en effet important – qui lui fut retiré.

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«À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

23 vendredi Fév 2018

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur «À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

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Adolphe Willette, Albert Mathiez, Albert Soboul, Alphonse Aulard, Émile Littré, Billaud-Varenne, François Furet, Georges Lefebvre, Guillotine, Henri Wallon, Jacques Guilhaumou, Jean Jaurès, Jean-Clément Martin, Jean-Pierre Faye, Lutte des classes, Maurice Agulhon, Michel Mourre, Mona Ozouf, Mortimer-Ternaux, Robespierre, Terreur, Théophile Leclerc

Le «petit détour» qu’annonce modestement Jean-Clément Martin est en réalité un récapitulatif historiographique fort utile où se manifeste le don de synthèse de l’auteur d’une Nouvelle histoire de la Révolution française (Perrin, 2012).

Je suis seul responsable des illustrations (dont deux caricatures de Willette, et un tee-shirt imaginé par Gil).

 

À la recherche de «la Terreur».

Pour le philosophe Jean-Pierre Faye la formule : «Robespierre régna par la terreur» représente la «version standard de la terreur» opposée aux Droits de l’Homme et du Citoyen de façon mécanique[1]. Pour savoir comment et quand cette «version standard» a pu naître, nous proposons ici une brève excursion dans les traditions historiographiques en privilégiant celle qui se développa à la Sorbonne. L’approche est limitée à la définition et à la chronologie retenues pour parler de «la Terreur».

Commençons cependant par relever que l’imprécision des dates retenues pour parler de «la Terreur» s’est alliée sans peine avec la répétition du jugement. Quelques exemples tirés du passé suffisent pour illustrer le propos. Si l’historien Mortimer-Ternaux (1808-1872) hésite sur la date inaugurale de la terreur avant de la fixer au 20 juin 1792, jour où «l’anarchie» entra dans «l’asile inviolable de Louis XVI», il fait ensuite un récit détaillé des massacres successifs du «règne de la Terreur[2]». Quand l’historien et homme politique de droite Henri Wallon (1812-1904) publie en 1873 son «étude critique» sur la Terreur, il la fait commencer également le 20 juin, et établit d’emblée le lien entre 1793 et la Commune de 1871 [3]. Même le républicain Émile Littré (1801-1881) résume la période ainsi : «La terreur se dit absolument de l’époque de la Révolution française pendant laquelle le tribunal révolutionnaire et l’échafaud furent en permanence[4]», à quoi fait écho, au siècle suivant, le Dictionnaire de Michel Mourre (1928-1977) : «La terreur… était destinée à intimider les “ennemis de la nation”. Elle devait s’identifier au règne de la guillotine, mais elle se manifesta aussi par des mesures économiques draconiennes, telle que la loi du maximum… L’un des aspects les plus horribles de la Terreur fut le vaste système de délation organisé dans toute la France par la Convention elle-même[5]».

Considérons alors la tradition «universitaire» fondée, avec adresse, par le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, Alphonse Aulard (1849-1928). Distinguant entre institutions officielles et réalités empiriques, il estime que si le «gouvernement révolutionnaire» est officiellement installé par le décret du 10 octobre 1793, il a débuté le 10 août 1792 quand l’Assemblée législative a pris en main le gouvernement et nommé les ministres, proposant des distinctions qu’il faut citer. «Le gouvernement révolutionnaire, dans son ensemble, est souvent appelé gouvernement de la Terreur. On appelle aussi Terreur la période où ce gouvernement exista dans toute sa force, ou même on remonte plus haut et on fait commencer la Terreur à la journée du 10 août 1792. On entend aussi par Terreur un système politique qu’on croit découvrir dans la république démocratique. Nous avons vu cependant qu’il n’y a rien de systématique dans la création du gouvernement révolutionnaire […] qu’il se forma empiriquement, au jour le jour [imposé…] par les nécessités successives de la défense nationale […] Mais, s’il n’y eut pas un système de terreur, il y eut bien réellement un régime de terreur» dont la caractéristique serait la suspension des principes de 1789 et qui aurait débuté en août-septembre 1793. Il conclut ainsi que l’usage du mot terreur a été «usuel», notamment le 5 septembre, quand Barère parla de placer «la terreur à l’ordre du jour».

La conclusion qu’il en tire est double. D’une part, «le gouvernement prit une étiquette terroriste, non certes par préférence ou par système, mais pour rassurer les Parisiens […] Dans la pratique, il essaya de faire prévaloir une politique humaine et modérée, mais avec des paroles parfois violentes». Si bien que ces mesures ne sont qu’occasionnelles et opportunistes : dès le 2 Germinal, pour «montrer qu’elle répudiait la Terreur, même comme un système provisoire», la Convention mit «la justice et la probité à l’ordre du jour» et supprima l’armée révolutionnaire[6]». Mais d’autre part, Aulard convient qu’«il n’existait plus aucune liberté quand le gouvernement révolutionnaire fut à son apogée. La moindre opposition exposait un citoyen à l’échafaud, y exposait même une femme.» Ainsi «dans la politique gouvernementale, surtout dans les discours, la terreur fut bien à l’ordre du jour pendant quelque temps[7]».

En rassemblant dans une dizaine de pages les principales mesures répressives prises à partir du printemps 1793 Aulard brouille finalement les jugements. La Terreur fut «effet et moyen du gouvernement révolutionnaire», «gouvernement de circonstance, créé pour le présent, empiriquement et sans système et sans plan», en même temps qu’une institution essentielle pour défendre le pays et porteuse de «préoccupations d’avenir», dont les limites avaient été vues et dénoncées par Danton, Robespierre et Billaud. En postulant l’unité de la Révolution et en n’interrogeant pas l’application des décisions prises, Aulard réussit à faire oublier la question de la réalité de «la Terreur».

Dans cette présentation, les luttes entre factions sont évoquées discrètement pour expliquer comment le courant robespierriste réussit à éliminer les autres, girondins, hébertistes, dantonistes, avant que toutes les mesures prises ne débouchent sur la «dictature de Robespierre[8]». Il n’hésite pas à qualifier de «terroristes» des décrets du comité de Salut public, comme celui qui décide de l’arrestation de Danton et de ses amis et juge que les comités de surveillance furent les agents «les plus violents de la “Terreur”[9]». Quelques années plus tard, Aulard prend des positions plus simples qui lui permettent d’éloigner la révolution en France de celle qui a lieu alors en Russie. Il souligne que la Convention, «tout en prenant des positions terroristes» (adjectif étonnant, le mot n’apparaissant pas avant fin 1794) ne mit pas «formellement la Terreur “à l’ordre du jour”». Si bien que Robespierre «guillotiné comme violent, n’avait jamais voulu faire de la violence un système, ni même un régime[10]».

Jean Jaurès partage cette position. Mais s’il ne dissocie pas «la terreur» de la politique de la Convention, il récuse l’expression «système de terreur» qui, pour lui, relève des arguments des contre-révolutionnaires[11]. Sous cette réserve, il accepte la formule «la terreur à l’ordre du jour» qui rendrait compte de l’existence de l’unité entre le mouvement révolutionnaire et la Convention. Il en conclut que «l’excès de la Terreur devait conduire à l’abolition de la Terreur» quand «la terreur» fut au seul service du gouvernement. Comme Aulard, Jaurès n’identifie pas les principes de 1789 avec le sang répandu.

C’est avec plus de détermination politique, qu’Albert Mathiez (1874-1932), élève, rival et successeur de fait d’Aulard, analyse «la Terreur» comme une «dictature de détresse[12]». Dans une conférence donnée en 1920 intitulée : «Robespierre terroriste[13]» comme dans les fascicules publiés entre 1921 et 1927 qui composeront plus tard La Révolution française, il compare «la Terreur» avec la situation de la France entre 1914 et 1918, lorsqu’elle installe l’état de siège, censure la représentation nationale, la presse et les communications privées, enfin fait comparaître les suspects de trahison devant les cours martiales. En 1920, il relevait que la Cour de cassation aurait réhabilité plus de 2 700 personnes qui avaient été condamnées par erreur pendant la première guerre mondiale, en soulignant que ce chiffre est supérieur à celui des guillotinés à Paris pendant «la Terreur».

Pour lui, celle-ci a été imposée par les Hébertistes le 5 septembre au travers de mesures précises : mise sur pied de l’armée révolutionnaire, organisation de réquisitions dans les campagnes ; elle est devenue permanente après le 17 septembre et le vote de la loi des suspects qui a donné «une impulsion vigoureuse» au gouvernement révolutionnaire[14]. Elle aura duré jusqu’au 9 Thermidor, culminant dans la dictature du comité de Salut public après l’élimination successive des opposants hébertistes et indulgents. Mathiez insiste sur le programme politique du comité élaboré dans le printemps 1794, réunissant la nation sous sa férule et organisant l’éducation, ce qui donne, pour lui, le sens de «la Terreur».

Mais comme il le dit : «La France révolutionnaire n’aurait pas accepté la Terreur si elle n’avait pas été convaincue que la victoire était impossible sans la suppression des libertés[15]», si bien que la victoire de Fleurus, le 26 juin 1794, rend «la Terreur» inutile et insupportable. Elle était justifiée par l’union de tous ceux qui la dirigeaient. Elle est «déshonorée» quand cette union est rompue et qu’elle n’est plus «qu’un vulgaire poignard» saisi par des révolutionnaires «indignes» pour frapper «les meilleurs citoyens», en premier lieu, Robespierre, condamné par ses anciens alliés[16]. À l’évidence, l’expérience de la révolution bolchevique, avec laquelle Mathiez rompt pourtant rapidement, est passée par là[17].

Lorsque Georges Lefebvre (1874-1959) accède à la chaire de la Sorbonne, en 1936, il reprend l’histoire de la Révolution là où Mathiez l’avait laissée, tout en lui donnant une inflexion importante. Ainsi son livre Les Thermidoriens, publié en 1937, s’ouvre-t-il par le rappel de la situation au 9 thermidor. Pour lui, la France est alors sous «la dictature du Comité de salut public» qui, devant «le péril extrême», avait donné au «gouvernement révolutionnaire» «la force qui lui manquait depuis 1789». «La Terreur» était l’expression de la «force coactive» qui avait permis la stabilité, la centralisation et la mobilisation générale du pays. Le succès militaire à l’extérieur comme à l’intérieur du pays allait «détendre les ressorts de la défense révolutionnaire[18]».

La fin de «la Terreur» est inévitable puisque la Convention «répugnait secrètement» à cette dictature et qu’elle pouvait saisir la division survenue entre les membres du comité de Salut public pour s’en débarrasser. L’Assemblée avait supporté que «la Terreur» soit mise à l’ordre du jour en septembre 1793 et que « a grande Terreur» soit imposée en Prairial an II ; mais elle ne «pouvait [pas] pardonner» à Robespierre de «l’avoir décimée» et d’avoir frappé ou inquiété «presque tout le monde[19]».

Ainsi «la Terreur» est-elle comprise comme la réponse légitime et obligée du gouvernement à la demande de «volonté punitive» réclamée par le peuple à l’encontre des comploteurs et des opposants. Alors que de 1789 à 1793, les gouvernants n’avaient ni évité les «effervescences» ni supprimé les menaces qui pèsent sur la Révolution, c’est avec «la crise de 1793 […] qu’ils entreprirent d’organiser la Terreur» pour empêcher le retour des massacres de septembre[20]. Ces phrases, tirées du livre La Révolution française de G. Lefebvre dans l’édition révisée en 1962 par Albert Soboul [1914-1982] alors qu’il occupait la chaire de la Sorbonne, résument bien la ligne que ces deux historiens – le maître et l’élève – défendent dans les années 1950-1960. Pour eux l’urgence poussa à la simplification des procédures judiciaires, à la centralisation de la répression envers les adversaires comme à l’intimidation des récalcitrants, sans que les mesures puissent être toutefois contrôlées par le gouvernement, qui dut laisser beaucoup d’autonomie aux sans-culottes et à ses émissaires. «La Terreur» fut ainsi le moment où «la force coactive» permit la restauration de l’autorité de l’État et l’acceptation des sacrifices indispensables. Quand «la Terreur» devint un pur instrument de gouvernement et se retourna contre les sans-culottes eux-mêmes, que «la grande Terreur» fut instaurée en Prairial, alors que «la victoire révolutionnaire» devenait assurée, le 9 Thermidor mit fin à ce gouvernement d’exception[21].

Il faut peser le sens de l’expression «force coactive» qui, dans une tradition juridique et religieuse, signifie «qui a le droit ou le pouvoir de contraindre». Ainsi l’Église, force coactive, ne pouvant pas infliger de peines, édicte des lois que le Prince applique. En considérant que la Convention fait appliquer ses lois par les districts et les comités révolutionnaires, le «gouvernement révolutionnaire» termine donc «les crises de la Révolution[22]». Cette interprétation supprime les hésitations d’Aulard sur la réalité et l’effectivité de «la Terreur», elle simplifie, en la reprenant, la démonstration de Mathiez et justifie donc la répression tout en reconnaissant que «la passion répressive[23]» allait trop loin et qu’elle s’était appuyée sur des «éléments qui l’étendirent inconsidérément et qui la polluèrent[24]». Elle participe de l’effort que G. Lefebvre avait entamé dès les années 1930 pour donner une vision cohérente, époque par époque, du cours de la Révolution. Cherchant à expliquer la succession des conflits par le choc entre classes sociales ou au moins entre groupes sociaux identifiés, la Révolution était la suite des révolutions aristocratique, paysanne, bourgeoise et enfin sans-culotte.

La synthèse des travaux d’A. Soboul telle qu’elle fut établie en 1982, reprit pour l’essentiel la démonstration mais en durcissant le trait : «La Terreur retrancha de la nation les éléments socialement inassimilables ou ayant lié leur sort à celui de l’aristocratie», elle «contribua à développer le sentiment de la solidarité nationale» et «fut en ce sens un facteur de victoire» après avoir brossé à grands traits l’examen du bilan humain de la période[25].

Les choses seraient simples si dans sa thèse publiée en 1958, A. Soboul n’avait pas, avec un grand souci de précision, établi les faits d’une façon qui conduisaient à d’autres conclusions. En dépouillant de très près les archives et la presse, il montrait que le 5 septembre 1793, lorsque la délégation des sans-culottes et des jacobins était entrée dans la Convention en demandant, avec d’autres réclamations, que la terreur soit mise à l’ordre du jour, «la Convention et le peuple manifestèrent leur désapprobation : la loi devait présider la terreur». La terreur n’était pas évoquée davantage dans le compte rendu de la journée, permettant de conclure que «la terreur légale l’emporte sur l’action directe prônée par les feuilles extrémistes» et annonçant «l’opposition inéluctable entre le Gouvernement révolutionnaire et le mouvement populaire[26]».

Si la demande de terreur fut bien réelle parmi les sans-culottes, la politique menée par la Convention fut donc d’en limiter les effets, d’éliminer les meneurs et d’en récupérer l’élan. Soboul montre ainsi l’Assemblée «résignée[27]» à accélérer la terreur avant de la confisquer, ce qui renvoie bien à la signification ambiguë de la journée du 5 septembre 1793. Ce n’est alors que par volonté de magnifier le mouvement populaire, malgré les faibles effectifs qu’il mobilise, que l’historien parle de «La Terreur» ou du «système de la Terreur[28]» alors même que dès décembre 1793, l’Assemblée récuse les attentes des sans-culottes, avant de contrôler étroitement leurs activités[29]. La «grande Terreur» de Prairial n’est plus que la mise en forme d’une rhétorique qui n’a plus de réalité politique[30].

Un courant critique, illustré notamment par l’historien Jacques Guilhaumou, a réagi en voulant distinguer la formule et la signification de «la Terreur[31]». «La terreur à l’ordre du jour» devrait être comprise comme le principe du mouvement révolutionnaire, faisant de «la Terreur» le moment d’une suspension des droits. Ainsi «le caractère de la terreur, c’est alors un enchevêtrement – où se lient Terreur et droits de l’homme sans se confondre – de projets énonçables dans la perspective d’une république démocratique, de procès sourds entre factions, d’institutions civiles émancipatrices, d’affrontements de langage au sein de la Convention détentrice d’un pouvoir législatif tout puissant, de pratiques terroristes et sanglantes dans des luttes politiques localisées, etc.». Il conviendrait alors «de renoncer à désenchevêtrer sans cesse ces éléments caractéristiques de la terreur» pour en conserver la dynamique, au risque de s’affranchir des vérifications érudites.

Relevons que cette ligne explicative de «la Terreur» qui identifie violences populaires et violences d’État, amalgame massacres et idéologie et confond vengeances et système de «Terreur», et garde l’usage de catégories données comme sûres («Jacobin» étant l’exemple le plus remarquable) ne se différencie pas en définitive des autres lignes, contre-révolutionnaire illustrée par P. Chaunu et J. Tulard ou «critique» conduite par F. Furet et M. Ozouf[32]. Remarquons qu’aucune de ces interprétations ne retient comme pertinente l’exacte similitude entre les tueries commises au nom de la Révolution et au nom de la Contre-Révolution. Ces dernières sont certes bien moins nombreuses que les autres, mais elles sont aussi moins étudiées ; or de Machecoul en mars-avril 1793 à la «terreur blanche» dans la vallée du Rhône, les modalités des mises à mort ne furent guère différentes de celles qui avaient été à l’œuvre en juillet 1789 contre Bertier et Foulon, ou pendant les massacres de septembre 1792. Qu’elles aient été commises contre la Révolution n’empêche pas qu’elles ont été le fait du «peuple» mécontent des autorités qu’il n’avait pas choisies et qui réclamait le respect de ses convictions. Toutes ces émotions s’inscrivaient, aussi, logiquement – personne n’en doute, mais qui en tire toutes les conséquences ? – dans les habitudes de rébellion que les ruraux et les citadins pauvres possédaient et pratiquaient depuis des siècles dans le royaume. De ce point de vue, l’épisode révolutionnaire ne se différencie pas des guerres de religion, dont la mémoire hantait tous les acteurs des années 1790, qui invoquaient régulièrement la Saint Barthélemy[33].

Aucune de ces trois lignes d’interprétations n’adopte cette lecture des faits ; toutes les trois, au contraire, postulent l’unicité entre les deux types de violences, populaire et étatique, et refusent d’intégrer dans leurs raisonnements le jeu politicien et l’instrumentalisation des mouvements sans-culottes. Pour les historiens opposants à la Révolution, tout fait sens, de septembre 1792, voire du 14 juillet 1789, aux charrettes de l’été 1794, en passant par la guerre de Vendée, il n’y eut qu’un mouvement unique qui dévasta le pays, sous la direction des révolutionnaires et principalement de Robespierre. Pour les partisans, l’encadrement politique de «la Terreur» répondit aux vengeances réclamées légitimement par le «peuple» instituant une «justice populaire» nécessaire en temps de crise. Dans tous les cas, le lien entre violence et politique est posé comme irréfutable et fondamental.

Papier à en-tête de la Commission révolutionnaire de Metz

Ce que je propose, au contraire, est d’insister sur l’importance des luttes politiciennes et des calculs tactiques, dès juillet 1789, surtout en 1793, avant qu’en juillet-août 1794 Tallien ne se révèle comme le plus talentueux des manipulateurs. En introduisant cette dimension considérée comme médiocre, puisqu’elle montre que les discours d’assemblée et leurs grandes envolées doivent être lus au prisme des rivalités de groupes et des enjeux personnels, nous n’avons pas la volonté d’«abaisser» la Révolution ou de justifier des actes injustifiables, mais simplement de rappeler que l’épisode révolutionnaire doit être lu comme tous les épisodes historiques, sans a priori idéologiques, sans tabous, et qu’il convient de juger les projets politiques en fonction de leurs conditions réelles de mises en œuvre, sans postuler à l’avance qu’il y eut une quelconque immédiateté entre les mots et les actes, sans vouloir lire les événements dans une perspective téléologique[34].

Un point doit être ajouté à propos du «gouvernement révolutionnaire» installé de facto après le 4 décembre 1793 qui, pour le dire d’un mot, suspend les élections, met toutes les institutions sous le contrôle direct de la Convention et de ses comités, et supprime ainsi toute distinction entre pouvoirs législatif, exécutif et pour partie judiciaire. La nature du régime mis ainsi en place est délicate à interpréter. Il n’y a pas suppression du droit, il y a même affirmation de la force de la loi, contre les mésusages commis pendant les mois précédents et qui sont condamnés : l’analogie peut se faire avec l’installation d’un état de siège, correspondant aux besoins d’un État en guerre[35]. La comparaison historique pourrait s’établir avec l’absolutisme de Louis XIV à la fin de son règne, mobilisant son royaume pour résister à l’Europe et réprimant les sujets indociles, les protestants pourchassés et réprimés dans la guerre des Camisards, qui n’a pas grand chose à envier à la guerre de Vendée. Billaud-Varenne est un des principaux protagonistes de ce gouvernement révolutionnaire, qui ne sera pas véritablement pris en considération six mois plus tard dans la dénonciation lancée contre Robespierre et «la Terreur» qu’il aurait dirigée. La «réalité» de la Révolution ne peut pas être appréhendée hors de ces luttes factionnelles, voire personnelles._________________

[1] Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Paris, Gallimard, 1982. Jacques Guilhaumou, Discours et événement, l’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 20.

[2] Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Paris, Michel Lévy, 1863, t. I, p. 8-9.

[3] Henri Wallon, La Terreur. Étude critique de l’histoire de la Révolution française, Paris, Hachette, t. I, 1873.

[4] Émile Littré, Dictionnaire, Monaco, Éditions du Cap, 1966, p. 6276.

[5] Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1993, T. VIII, p. 4580. Relevons qu’après Thermidor, la guillotine ne fut jamais installée place de la Révolution (devenue de la Concorde).

[6] A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, Paris, A. Colin, 1909, pp. 357-359.

[7] Ibidem, p. 366.

[8] Études précises à propos de Robespierre dans Jean Ehrard, dir., Images de Robespierre, Naples, Vivarium, 1996.

[9] A. Aulard, Ibidem, p. 354.

[10] A. Aulard, «La théorie de la violence et la Révolution française», La Révolution française, 1924, pp. 97-117, ici pp. 112-113. Dans le même numéro, Boris Mirkine-Guetzévitch, «La littérature russe contemporaine», notamment pp. 333-355, parle de l’écho de l’article d’Aulard en Russie.

[11] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, t. VI, p. 1157.

[12] Albert Mathiez, La Révolution française, Paris, Club du meilleur Livre, 1959, p. 398.

[13] A. Mathiez, Études sur Robespierre, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1988, pp. 58-85.

[14] A. Mathiez, La Révolution… op. cit., pp. 424-425. Du même, «L’inauguration de la Terreur», Annales révolutionnaires, 1922, p. 477-496. Mathiez considère donc que la «Terreur légale» (p. 495) opposée «aux violences anarchiques rêvées par un Théophile Leclerc» (un Enragé) a été installée sans justifier davantage son point de vue. Il note aussi que l’élection à la présidence de la Convention de Billaud-Varenne atteste de l’entrée de l’hébertisme au gouvernement qui a imposé cette orientation, malgré Robespierre. L’article se poursuit en 1923, p. 89-111.

[15] Ibidem, p. 540.

[16] Ibidem, p. 551 et Études… op. cit., pp. 84-85.

[17] M. Vovelle, «La galerie des ancêtres», Combats pour la Révolution française, La Découverte, SER, Paris, 2001, pp.14-23.

[18] Georges Lefebvre, Les thermidoriens-Le Directoire, Paris, A. Colin, [1937] 2016, p. 17.

[19] Ibidem, pp. 18-19.

[20] G. Lefebvre [éd. révisée par A. Soboul], La Révolution française, Paris, PUF, 1968, pp. 414-415.

[21] Ibidem, pp. 415-422.

[22] J.-C. Martin, Nouvelle Histoire, op. cit., p. 407.

[23] G. Lefebvre, La Révolution…, op. cit., p. 421.

[24] Ibidem, p. 418.

[25] A. Soboul, La Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1982, pp. 358-362.

[26] Ibidem, pp. 172-175.

[27] Ibidem, pp. 258-259.

[28] Ibidem, pp. 212, 224, 226, 234.

[29] Ibidem, pp. 258-259.

[30] Ibidem, p. 930.

[31] J. Guilhaumou, «Alphonse Aulard, Jean Jaurès et l’historiographie républicaine de la terreur», Revolution.net, mis en ligne le 5 janvier 2007, consulté le 21 mars 2017.

[32] Voir l’usage fait par Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989.

[33] Exemples : la « Saint-Barthélemy » des patriotes en Italie, AP, t. 73, p. 580, le 9 septembre 1793 ; la religion cause de la Saint-Barthélemy, AP, t. 79, pp. 548, 557, 20 novembre 1793 ; le roi imbécile qui ordonna la Saint- Barthélémy, AP, t. 80, p. 8, 24 novembre 1793.

[34] Voir Maurice Agulhon, «Débats actuels sur la Révolution en France», AHRF, 1990, 279, pp. 1-13.

[35] Ce qui n’a rien à voir avec un «état de siège fictif».

 

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LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES, par René ROUX ~ suivi de sa critique par Albert SOBOUL

04 lundi Juil 2016

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES, par René ROUX ~ suivi de sa critique par Albert SOBOUL

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Cet article, d’un auteur dont je ne sais rien par ailleurs, René Roux, est paru dans la Revue d’histoire économique et sociale (vol. 29, n° 3, 1951, pp. 252-279). J’ai corrigé d’assez nombreuses fautes typographiques (et orthographiques), en essayant de ne pas en ajouter de mon cru.

J’ajoute, à la suite, la critique de cet article par Albert Soboul, parue dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations (7e année, n° 4, 1952, pp. 517-520).

Soboul reproche, à juste titre, à René Roux des erreurs factuelles et des raccourcis. Il lui reproche surtout de rallier le « parti » de Daniel Guérin à propos de l’existence d’un embryon de prolétariat en 1793. Le texte de Roux est une pièce à verser à l’historiographie de cette question (pièce dont j’ai découvert l’existence récemment, et que je vois rarement citée).

Cul de lampe Bonnet B

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’IDÉE DE LUTTE DES CLASSES

par René Roux

 

Liberté, Égalité, Fraternité : dans cette devise idéale qu’elle nous a léguée, inscrite en tête de ses actes et gravée au fronton des monuments, rien n’incite à penser que la Révolution française ait pu connaître l’idée de lutte des classes. Tout tend, au contraire, à l’en éloigner : fraternité qui, plus intimement que la solidarité, réunit les hommes dans des sentiments mutuels, comme les enfants d’un seul père ; égalité qui les place sur le même plan, pareillement heureux et satisfaits d’un sort commun ; liberté enfin, triomphante de ce déterminisme si étroitement lié à l’idée de lutte des classes qu’il forme avec elle le couple d’idées-forces du matérialisme dialectique.

Et cependant, Proudhon croit que la Révolution a fondé en France la lutte des classes : en assurant à la bourgeoisie le pouvoir politique, elle a consacré sa domination économique sur « les bras nus », comme Michelet les appelle, et substitué aux rapports personnels de maître à compagnon l’antagonisme de classe entre capitalistes et travailleurs, désormais adversaires [1]. Doctrinaires et historiens marxistes partagent ce jugement. Marx n’a-t-il pas salué dans la conspiration de Babeuf « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant… dans le cadre de la révolution bourgeoise [2] » ? ; Kautsky a consacré un petit livre aux « luttes de classe en 1789 [3] » et Daniel Guérin, étudiant récemment « la lutte des classes sous la Première République, bourgeois et bras nus, 1793-1797 [4] », a pu écrire que « le marxisme authentique découvre, dissimulées dans l’arbre touffu de la Révolution bourgeoise, les jeunes pousses d’une autre lutte de classes, d’une autre révolution, prolongement et fin dernière de celle qui débuta en France en 1789 ».

Sans doute, selon la conception marxiste, « toute l’histoire a été une histoire de lutte des classes, de lutte entre classes exploitées et classes exploiteuses [5] ». Mathiez lui reproche de « rechercher partout dans le passé la lutte de classes, même quand cette lutte n’est révélée par aucun document, même si ceux qui la menèrent n’en eurent pas conscience [6] ». Mais le grand historien de la Révolution et son disciple G. Lefebvre [7], reconnaissent, dans les événements de cette période, les péripéties d’une lutte de classes que Jaurès avait déjà signalée [8]. La Révolution française a porté et réalisé les ambitions politiques de la bourgeoisie enrichie. Quand Louis XVI s’incline devant la prise de la Bastille et le témoigne par sa présence à l’Hôtel de Ville où il accepte du maire Bailly la nouvelle cocarde tricolore, « la bourgeoisie universelle, comprenant que son heure sonnait, tressaillit de joie et d’espérance[9] ». Toute l’œuvre de la Constituante vise à « assurer le règne paisible de la bourgeoisie victorieuse[10] ». Pourvue du pouvoir, elle veut conserver les institutions établies : elle innocente le roi de sa fuite, en juin 1791, et fait tirer, au Champ de Mars, sur les pétitionnaires qui réclamaient la déchéance. Barnave, le 15 juillet 1791, pose la question devant l’Assemblée et y répond pour elle : « Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ? Un pas de plus serait un acte funeste et coupable ». Présomption prématurée ! Feuillants et Jacobins s’affrontent à la Législative. La force populaire parisienne et provinciale l’emporte, au 10 août 1792, et la lutte de classes, reprise à la Convention entre Gironde et Montagne, prime les nécessités de la défense nationale et s’exaspère en guerre civile. Quand, le 2 juin 1793, les sections de Hanriot assiègent la Convention et y arrêtent les Girondins, c’est la haute bourgeoisie que les sans-culotte renversent, malgré le vain sursaut de la révolte fédéraliste. Cette nouvelle Révolution se marque par la proclamation de la Constitution montagnarde de l’an I, d’application différée jusqu’à la fin du Gouvernement révolutionnaire du Comité de Salut Public ; par la législation économique et sociale de l’été 1793 sur les subsistances et les terres — répression de l’accaparement et établissement du maximum général, partage des   communaux et abolition sans indemnité des droits féodaux même fondés en titre qui libère définitivement la terre paysanne — ; enfin, par le célèbre décret de ventôse (février 1794) qui attribue gratuitement aux indigents les biens confisqués aux suspects. C’est le bref apogée du gouvernement révolutionnaire. Inefficaces ou inappliquées, ces mesures sont rapportées par la réaction thermidorienne, qui abroge le maximum, retourne au libéralisme économique intégral et poursuit l’inflation monétaire jusqu’à la double banqueroute des assignats et des mandats territoriaux. La répression des émeutes de famine, en germinal et prairial (avril-mai 1795), restaure solidement la suprématie de la bourgeoisie organisée par la Constituante.

Ainsi se développe jusqu’au Directoire cette lutte de classes qui domine la Révolution française. Mais sa manifestation dans les faits n’en implique pas nécessairement la conscience. Celle qu’en ont pu avoir ses protagonistes, la doivent-ils à la Révolution, dont elle serait l’apport propre à l’idée de lutte des classes ? Pour essayer de répondre, il faut rechercher l’état de cette idée à la veille de 1789[11]. Peut-on en trouver les premières formes parmi les origines intellectuelles de la Révolution française [12] au XVIIIe siècle ?

Dès le début de sa seconde moitié, les philosophes ont découvert et dégagé l’opposition entre possédants et prolétaires, qu’ils font remonter à la propriété privée. Le marquis de Mirabeau n’attribue qu’à ses abus l’inégalité des conditions (L’Ami des Hommes ou Traité de la population 1756-58), mais dès 1755, son fondement même est simultanément contesté par Linguet : « La société est née de la violence et la propriété de l’usurpation » (Théorie des lois civiles ou Principes fondamentaux de la société) ; par Rousseau qui en proclame l’imposture et lui impute une longue suite « de crimes, de guerres, de meurtres, de misères et d’horreurs » (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes) ; par Morelly surtout, qui l’accuse de changer en antagonismes sociaux les harmonies naturelles et de corrompre l’humanité (Code de la Nature ou le véritable esprit de ses lois). Aussi voit-il le remède idéal dans la communauté des biens : « Rien dans la société n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne… Tout citoyen sera un homme public sustenté, entretenu, occupé aux dépens du public ». Dans ses Entretiens de Phocion sur le rapport de la morale avec la politique (1763) puis ses Doutes proposés aux philosophes économistes (1768) Mably reprend ces attaques contre la propriété, cause du partage de la société en deux classes, riches et pauvres, et source de tous les malheurs qui affligent les hommes. Les économistes montrent des vues plus profondes. La division, élaborée par les Physiocrates, entre la classe productive terrienne et la classe stérile des négociants et fabricants, ne fait guère encore que développer la distinction de d’Holbach (La Politique naturelle, ou Discours sur les vrais principes du Gouvernement, 1773 ; La Morale universelle ou les Devoirs de l’homme fondés sur la nature, 1776), qui l’a tirée de Bolingbrocke (Pensées, 1771), entre masse paysanne et marchands. Mais Adam Smith, « père de l’économie politique classique », dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, dont la troisième et dernière édition de son vivant paraît en 1789, montre comment la division du travail, qui suit le progrès technique, partage nécessairement la société en deux classes, l’une qui tire profit de sa fortune, l’autre qui subsiste de son travail. Dès 1776, Turgot, avec ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, a dépassé la conception purement foncière et physiciste des physiocrates : au lieu de séparer propriétaires et producteurs, il les place dans la catégorie sociale des possesseurs de capitaux, opposés aux travailleurs des champs et des manufactures, « qui ne possèdent aucun revenu et vivent également de salaire », en un conflit fatal et constant. Turgot atteint, par là, à l’idée moderne de lutte des classes, dont Necker, à sa suite, ébauche une théorie institutionnelle de l’organisation sociale au service des possédants.

Cette idée, aperçue et approfondie par les philosophes et les économistes, ne sort guère des salons et des écrits. Le siècle des lumières demeure un siècle aristocratique. Son rudiment de philosophie socialiste ne correspond à aucun sentiment populaire de lutte des classes. Les paysans, perdus parmi les campagnes, les ouvriers, peu nombreux et isolés, de la grande industrie qui se fonde, manquent également de sens social et ne se considèrent pas comme une classe distincte du Tiers État. Henri Sée, étudiant « la vie économique et les classes sociales en France au XVIIIe siècle [13] », constate qu’ouvriers et paysans ne se conçoivent pas d’intérêts collectifs propres. Werner Sombart leur refuse toute conscience de classe : « La Révolution française sera, même pour un myope, une Révolution purement bourgeoise, tout autre chose qu’un mouvement prolétarien », et toute la période antérieure à 1848 ne forme que « la préhistoire du mouvement social ». Marx reconnaît qu’au début de la Révolution française, « le prolétariat et les diverses couches du Tiers État, qui n’appartenaient pas à la bourgeoisie, n’avaient pas encore d’intérêts séparés de ceux de la bourgeoisie, ou ne formaient pas encore des classes, ou fractions de classes, ayant un développement indépendant [14]». Sur cinq mille brochures publiées à l’occasion de la réunion des États Généraux, vingt à peine protestent contre la sujétion et les maux des salariés, et elles n’émanent pas d’eux. C’est le journal l’Ami du Roi qui parle de « la classe des ouvriers[15] ». Les cahiers de doléances, en dehors de l’intérêt charitable du clergé pour « la classe des pauvres[16] », ignorent la question ouvrière[17]. Aussi paraît-il excessif d’affirmer qu’au XVIIIe siècle, « la classe ouvrière est née[18] ». Encore privée d’expression et de pensée propres, elle n’a pas encore pris d’elle-même une conscience qui va seulement commencer à se former, avec la conception jumelle de la lutte des classes. La Révolution hâtera leur lente gestation et en sera la véritable accoucheuse avant terme. Le prolétariat du Tiers ne se représentait d’autre lutte collective que contre les deux autres ordres, conduite dans le cadre de l’Ancien Régime, et toute imprégnée de pensée traditionnelle et des souvenirs légendaires des luttes communales médiévales. La Révolution forme le terme de cette idée ancienne de lutte des classes, en même temps que le creuset de sa conception moderne. L’accaparement de la Révolution par la bourgeoisie provoque la dissociation du Tiers qui se sépare et s’oppose : la classe des travailleurs, écartée des avantages politiques et matériels, s’entrouvre à l’idée réaliste de lutte des classes, qui ne parvient pas à s’imposer, mais reçoit dès lors son sens et l’essentiel de son contenu actuel. La Révolution apparaît ainsi comme le moment dominant de la formation, en France, de la conscience de lutte de classes, entre une forme périmée et sa forme décisive.

Certes, il s’en faut que cette mutation brusque, d’un état historique en un embryon complet de doctrine, ait présenté, aux yeux des contemporains et dans le détail vécu de l’histoire, cette simplicité et cette netteté. Elle nous est encore incomplètement connue. L’histoire de la pensée sociale de la Révolution française reste à écrire. L’étude en est à peine abordée pour la province, où elle semble d’ailleurs n’avoir entraîné que des manifestations sporadiques, sans portée générale ni sens collectif. Quand, aussitôt après le 14 juillet 789, les paysans brûlent les chartriers, bastilles des droits féodaux, chacun ne cherche qu’à s’affranchir de ses fermages et, en transformant une occupation séculaire en possession de fait, à accéder à la propriété individuelle, que lui ouvrent successivement la Nuit du 4 août, la vente des biens nationaux, enfin le partage des communaux et la suppression sans indemnité des-droits féodaux. Si, dès le 21 août 1789, les mineurs de Rancié, dans l’Ariège, présentent une requête, pour obtenir « la liberté de vendre leur mine au prix qui sera déterminé par une commission établie dans la société des minerons, sans qu’aucune municipalité ni juridiction puisse les y troubler, ainsi que cette liberté est accordée, pour tous autres objets de commerce », il paraît difficile de conclure, avec R. Garmy qui l’a rappelée, que cette affaire épisodique revendique, pour les travailleurs, « le droit de gestion directe, la possession des moyens de production — la terre aux paysans, l’usine aux ouvriers » et « annonce la conscience de classe du prolétariat moderne[19] ». Et cet éclair incertain s’éteint aussitôt devant le refus opposé par l’Intendant d’Auch à « la demande de ceux des mineurs de la vallée de Vicdenos qui résident à Sem, Goulier et Olbier, en ce qui concerne la liberté qu’ils réclament de fixer le prix de la mine et l’affranchissement de la surveillance et juridiction des officiers municipaux », et devant la radicale loi du 27 mars 1791, par quoi « les mines et minières, tant métalliques que non métalliques, ainsi que les bitumes, charbons de terre ou de pierres et pyrites sont à la disposition de la Nation ». À Paris, mouvements d’idées et de foules, mieux connus, apparaissent plus marqués, à la fois plus fréquents et plus importants, mais là encore, souvent, sans que ceux qui en furent les instruments comme ceux qui en furent les protagonistes aient eu une réelle compréhension de leur immense portée, ni une claire représentation de leur sens. Des états d’âme, en partie instinctifs, parfois contradictoires et débordants, se sont agités en un chaos tourbillonnant, où il se révèle ardu de discerner et de suivre de grands courants, plus ressentis qu’exposés en doctrines.

Mais, « peu importe que la plupart des révolutionnaires n’aient pas pensé consciemment les contradictions sociales du prolétariat et de la bourgeoisie[20] ». C’est vécues et agies, non figées en formules, qu’elles ont gagné la force qui les porte aujourd’hui. Par l’élan vital qu’elle leur a donné, la Révolution française justifie encore le mot prophétique de Goethe à Valmy : « De ce lieu et de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ».

L'APPARITION DE L'IDÉE
DE LA LUTTE DES CLASSES

Elle se dégage progressivement sous l’effet des conditions politiques, économiques et sociales.

En 1789, aucune hostilité n’existe dans le peuple contre la bourgeoisie ambitieuse en plein essor social et politique. « D’instinct, dit Jaurès, les ouvriers des manufactures étaient beaucoup plus avec la bourgeoisie révolutionnaire qui suscitait et élargissait le travail industriel, qu’avec les prétendus réformateurs qui, dans un intérêt de moralité et de simplicité, voulaient ramener au pâturage commun, trempé de matinale rosée, le troupeau paisible des hommes[21] ». Les premiers événements révolutionnaires provoquent un profond mouvement idéal de fraternité populaire enthousiaste, à son apogée dans les travaux et les réjouissances en commun de la Fête de la Fédération.

Illusion éphémère ! Dès que s’éveillent les frémissements d’agitation qui accompagnent la désignation des députés aux États Généraux, et avant même que ne vacille manifestement sur ses bases chancelantes l’édifice ébranlé de l’Ancien Régime, la bourgeoisie se détache du peuple à l’intérieur du Tiers État, où le Chevalier de Moret, en avril 1789, distingue deux classes aux intérêts différents, voire opposés. Des brochures écrites à l’occasion des élections désignent le Tiers État non plus comme un ordre homogène, mais comme réunissant sans les unir deux classes distinctes. Dans ses Premières observations au Peuple Français sur la quadruple aristocratie qui existe depuis deux siècles sous le nom de haut clergé, de possédants fiefs, de magistrats et de haut tiers, et vues générales sur la constitution et la félicité publique, 1789, J. B. Bremond oppose, au vrai peuple des plébéiens, l’aristocratie, où il range « le haut tiers » dont les ambitions nobiliaires ont fait « le fléau le plus redoutable des peuples en le rendant l’instrument de la haute aristocratie ».

Les Cahiers du Quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, infirmes, indigents, etc.. l’Ordre sacré des infortunés ou Correspondance philanthropique entre les infortunes, les hommes sensibles et les États Généraux, (25 avril 1789) de Dufourny de Villiers, dénoncent cette collusion et l’absence d’un sincère défenseur des vrais intérêts du peuple dans la représentation du Tiers, confisquée à son profit par la bourgeoisie. « Pourquoi cette classe immense de journaliers, de salariés, de gens non gagés… cette classe qui a tant de représentations à faire… est-elle rejetée du sein de la Nation ? » Gomment, se demande l’auteur, les bourgeois pourraient-ils protéger les intérêts des ouvriers, qui s’opposent aux leurs ? Et avec une remarquable prescience doctrinale, l’auteur voit dans la lutte contre le capital la voie de la démocratie, seule dispensatrice au corps social de la justice et du bonheur. Sans ouvrir d’aussi profondes perspectives, « Les doléances du pauvre peuple » expriment la déception du quatrième État de n’avoir pas été admis à faire entendre sa voix dans le concert de la Nation : « Nous appartenons à l’ordre du Tiers, mais aucun des représentants n’est de notre classe, et il semble que tout ait été fait en faveur des riches ».

Les craintes exprimées par quelques têtes populaires ne se justifient que trop avec l’attitude de la bourgeoisie. Dès juin 1789, par une allusion transparente, Camille Desmoulins approuve le législateur antique d’avoir « retranché du corps politique cette classe de gens qu’on appelait prolétaires ». L’Assemblée Constituante n’a garde de négliger le conseil du plus populaire des journalistes d’alors. Tout en proclamant dans une Déclaration solennelle que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », elle s’empresse d’instaurer un vote censitaire réservé aux citoyens actifs et d’écarter de la vie publique tous ceux qui ne paient pas une contribution directe d’au moins trois journées de travail. Par là, l’assemblée bourgeoise suit l’enseignement de ses maîtres à penser, qui identifient unanimement propriété et droits politiques : d’Holbach pour qui « le propriétaire seul est un vrai citoyen » (Ethocratie ou le Gouvernement fondé sur la morale, 1776) ; et les Encyclopédistes : « C’est la propriété qui fait le citoyen » (article Représentants) ; « le fondement du pacte social est la propriété » (article Économie politique). En leur proposant d’établir le suffrage universel, Robespierre scandalise tous ses collègues.

Cette discrimination politique prépare la dissociation du Tiers en deux groupes qui en viendront à s’affronter violemment.

De bons esprits s’en inquiètent pour l’avenir de la Révolution. Pétion, maire de Paris, cherche auprès de sa classe à ramener l’union. « Le Tiers État est divisé, écrit-il à Buzot le 6 février 1792 et voilà la vraie cause de nos maux. La bourgeoisie, cette classe nombreuse et aisée, Fait scission d’avec le peuple, elle se place au-dessus de lui ; elle se croit de niveau avec la noblesse qui la dédaigne et n’attend que le moment favorable pour l’humilier… Le peuple, de son côté, s’irrite contre la Bourgeoisie, il s’indigne de son ingratitude, il se rappelle les services qu’il a rendus, il se rappelle qu’ils étaient tous frères dans les beaux jours de la liberté… Il faut que la bourgeoisie soit bien aveugle et bien insensée pour ne pas faire cause commune avec le peuple. La bourgeoisie et le peuple réunis ont fait la révolution ; leur réunion seule peut la conserver. » Mais loin de réussir, Pétion se trouve lui-même ramené à ses intérêts de classe. Un an plus tard, sa Lettre aux Parisiens d’avril 1793 appelle les hommes d’ordre à défendre leurs biens : « Vos propriétés sont menacées, et vous fermez les yeux sur ce danger. On excite la guerre entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, et vous ne faites rien pour la prévenir. Faites rentrer ces insectes vénéneux dans leurs repaires ». Par cette volte-face totale, celui qui avait exhorté riches et pauvres du Tiers à rester unis face à la contre-révolution ne craignait maintenant que pour sa richesse et se trouvait aux côtés du grand propriétaire Barruel-Beauvert, dont l’apostrophe brutale est restée fameuse : « Propriétaires, qui que vous soyez, gardez-vous de soutenir une fausse doctrine ; les hommes qui n’ont rien ne sont pas vos égaux. Les véritables citoyens sont ceux qui ont des possessions ; les autres ne sont que des prolétaires ou faiseurs d’enfants. Depuis quand les frelons sont-ils regardés comme les frères des abeilles ? Au premier signal d’une révolte, courez, chassez cette nuée d’insectes qui veut partager sans effort et sans gloire votre fortune acquise ou celle qu’augmentera bientôt votre industrie ».

Ainsi, la bourgeoisie s’oppose à la masse prolétarienne et précipite l’antagonisme de classe. Marat depuis 1791 la dénonce en vain et essaie sans y parvenir de donner au peuple une conscience propre. Contre la bourgeoisie qui les exploite, il appelle les ouvriers et les pauvres à former une fédération uniquement populaire, au lieu de se laisser étouffer comme au 14 juillet 1790 dans la Fédération des Gardes nationales bourgeoises « aristocratie militaire où entraient des légions de vos ennemis. Ni fédération universelle, ni fusion, mais le peuple à part… la fédération que je vous avais proposée entre les seuls amis de la liberté ». Seule la classe ouvrière saura défendre les conquêtes révolutionnaires. « Il n’y a que les cultivateurs, les petits marchands, les artisans et les ouvriers, les manœuvres et les prolétaires, comme les appellent les aristocrates, qui pourront former un peuple libre. » Et l’Ami du Peuple rêve d’opposer une authentique classe prolétarienne aux aristocrates qui combattent la Révolution et aux bourgeois riches et opulents qu’il accuse de la compromettre avant de la trahir. « Nous ne nous laisserons plus endormir par les bourgeois comme nous l’avons fait jusqu’à présent » (25 mars 1791). Mais s’il dénonce dans l’inégalité politique et matérielle la source de la servitude plébéienne, Marat ne sait que vitupérer les accapareurs et attaquer les profiteurs de la misère. II n’a ni doctrine de lutte des classes, ni système précis de moyens et d’objectifs.

L’idée en est encore prématurée. Elle commence seulement à se répandre dans le peuple. Les difficultés économiques lui font ressentir sa solidarité et un véritable prolétariat prend naissance avec la conscience de sa force, de ses souffrances et de ses aspirations. Comme l’a souligné Marx, les conditions d’existence déterminent le comportement politique. Les revendications ouvrières en matière de salaires, puis l’agitation populaire provoquée par le prix et la rareté des subsistances assurent et marquent la diffusion de l’idée de lutte des classes.

Le bouleversement de la Révolution bourgeoise a encore aggravé la situation précaire des ouvriers. Les ateliers de charité, qui disparaissent en juin 1791, n’y ont en rien remédié et les premières difficultés se manifestent quand les ouvriers demandent des augmentations.

C’est encore Marat qui prend fait et cause pour les charpentiers de la nouvelle église Sainte-Geneviève en conflit avec leurs entrepreneurs[22]. Pour obtenir le salaire qu’ils réclament, ils ont présenté le 5 mai 1791 une pétition à la municipalité parisienne, puis le 2 juin à l’Assemblée constituante, au nom de « la classe la plus indigente, qui a été si longtemps le jouet du despotisme des entrepreneurs ». Le 12 juin, L’Ami du Peuple publie une lettre que Marat affirme avoir reçue d’eux et où l’on reconnaît facilement son inspiration grandiloquente. Adressée au « cher Prophète, vrai défenseur de la classe des indigents », elle rappelle que « la classe des infortunés avait fait seule la Révolution » et Marat s’indigne dramatiquement de l’exploitation dont elle est victime : « On rougit de honte et on gémit de douleur en voyant une classe d’infortunés aussi utiles, livrés à la merci d’une poignée de fripons… ; abus… qui tendent à détruire par la misère une classe nombreuse de citoyens recommandables ».

La réaction de la Constituante ne tarde pas. La suppression des corporations par le décret d’Allarde des 2-17 mars 1791 a privé de toute protection l’ouvrier laissé seul devant la puissance du patron, en lui interdisant d’y résister par l’union avec ses camarades de travail. Le respect des volontés individuelles fournira le prétexte et assurera à l’employeur la liberté d’exploiter sa main-d’œuvre. Le préambule de la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791 l’avoue sans détour : il s’agit de prévenir les coalitions pour faire monter ou baisser les salaires. Les droits respectifs des patrons et des ouvriers semblent ainsi impartialement respectés, et cet équilibre juridique couvre et légalise une « inégalité économique, source de l’inégalité politique et de la destruction de la liberté » (Robespierre, avril 1791). La situation dominante du patron n’en fait-elle pas une coalition à lui tout seul ? Isolé, l’ouvrier ne peut que subir ses conditions. La loi Le Chapelier prive la classe ouvrière de toute force contractuelle en interdisant de s’assembler « pour de prétendus intérêts communs » professionnels ; en annulant « toute adresse ou pétition au nom de l’état ou de la profession » ; en déclarant « perturbateurs du repos public » et justiciables des loi criminelles « ceux qui useraient de menaces ou de violences contre les ouvriers usant de la liberté accordée par les lois constitutionnelles au travail et à l’industrie » et en poursuivant comme séditieux « tous attroupements d’artisans, d’ouvriers, compagnons, journaliers ou excités par eux contre le libre exercice ». Tout cet appareil répressif vise et frappe la discussion des salaires à force égale entre capital et travail. « Si contre les principes de la liberté et de la Constitution, les citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers prenaient des délibérations ou faisaient des conventions tendant à refuser de concert ou à n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites délibérations ou conventions, accompagnées ou non de serments, seront déclarées inconstitutionnelles et attentatoires à la liberté et la Déclaration des Droits de l’Homme, et de nul effet… Si lesdites délibérations ou conventions, affiches apposées, lettres circulaires, contenaient quelques menaces contre les entrepreneurs, les artisans ouvriers ou journaliers étrangers qui viennent travailler dans le lieu, ou contre ceux qui se contenteraient d’un salaire inférieur, tous auteurs, instigateurs et signataires des actes ou écrits seront punis d’une amende de mille livres chacun et de trois mois de prison ».

Dans sa lettre comme dans son esprit, la loi Le Chapelier porte l’empreinte de son époque et des événements qui l’ont précédée. Mais on y verrait à tort une simple loi de circonstance. Marat, dès le lendemain de sa promulgation, en attaquait dans son journal le caractère de classe : « Pour prévenir les rassemblements nombreux du peuple qu’ils redoutent si fort, ils ont enlevé à la classe innombrable des manœuvriers et des ouvriers le droit de s’assembler pour délibérer en règle de leurs intérêts… Ils ne voulaient qu’isoler les citoyens et les empêcher de s’occuper en commun de la chose publique. » Mais, emporté par son sens politique aigu, Marat n’apercevait dans ce « coup d’État bourgeois » (Marx) qu’une manœuvre contre-révolutionnaire, et en négligeait l’immense portée économique et sociale. Les historiens de la Révolution et du mouvement ouvrier nos contemporains [23] ont bien montré son caractère de loi de principe, de « loi organique » de l’économie, puisqu’elle organisait les rapports professionnels en transformant en profit capitaliste l’exploitation du travail et en assurant aux industriels la main-d’œuvre bon marché qui contribuerait à leur fortune.

En même temps, là où l’ouvrier ne voyait que son patron, la loi Le Chapelier lui montrera le capitalisme : aux rapports personnels de travail en commun qu’il connaissait, elle substitue le sentiment nouveau de la lutte de deux classes, de plus en plus profond tandis que les revendications de salaires reprennent en 1793 avec la cherté croissante de la vie et s’appuient sur des grèves. Pour les arrêter, la loi du 29 septembre fixe le maximum des salaires au niveau de 1790 augmenté de la moitié et sanctionne les grèves, interdites par la loi Le Chapelier. Conflits du travail et répressions se multiplient pendant l’hiver 1793-1794. Le 17 février le Comité de Salut Public décide de traiter en suspects ceux qui exigent un salaire supérieur au maximum. Épurée des hébertistes, la Commune de Paris adopte la même attitude. Payan, qui a remplacé Chaumette à l’Hôtel de Ville, accuse le 5 mai les ouvriers d’un « esprit de révolte et d’insubordination que les lois révolutionnaires punissent de mort… Nous déclarons à tous les ouvriers… que nous ferons conduire sur-le-champ devant les tribunaux compétents tous ceux d’entre eux qui, au mépris des lois, abandonneraient des travaux qui doivent leur être d’autant plus chers qu’ils sont nécessaires à l’existence publique ». Mais le 5 thermidor (21 juillet) la Commune doit consentir un nouveau maximum des salaires. Les revendications ouvrières ne se limitent pas à Paris. Hanriot, dans son ordre général du 5 mai à la garde Nationale, vitupère les ouvriers des ports qui « exigent pour leur journée un salaire trop fort qui ne peut qu’occasionner la cherté des denrées ». Le Comité de Salut Public doit réquisitionner dans les départements les ouvriers des mines de houille, puis les ouvriers agricoles : « Tout refus de réquisition… toute coalition tendant à faire abandonner les travaux, à les suspendre, à exiger des prix arbitraires, sera poursuivie et punie, comme un crime de contre-révolution » (décret du 30 mai 1794). En même temps, l’agitation pour les subsistances renforce et étend au peuple entier l’idée de lutte des classes acquise par les ouvriers.

Ces nouvelles manifestations de la scission entre bourgeois et bras nus datent du début de 1792. « Le peuple s’irrite des fortunes subites des spéculateurs bourgeois, de l’audace des accapareurs » (Jaurès). Le premier mouvement contre la vie chère se produit le 15 septembre à Lyon, où la foule taxe et distribue d’office les marchandises, qui ne cessent de renchérir et de se raréfier. Hébert écrit dans son journal : « Tous les jours le prix des denrées augmente. Il y a quatre ans que nous souffrons. Qu’avons-nous gagné à la Révolution ? » et Jacques Roux pourra déclarer que l’Ancien Régime valait mieux ! « sous le régime des Sartine et des Flesselles, le gouvernement n’aurait pas toléré qu’on fit payer les denrées de première néces­sité trois fois au-dessus de leur valeur ». Le 25 juin 1793, il lit à la barre de la Convention une pétition particulièrement violente dans son expression de la lutte des classes : « La liberté n’est qu’une illusion si une classe d’hommes peut impunément en affamer une autre. L’égalité est un leurre aussi longtemps que les riches, par le monopole, exercent le droit de vie et de mort sur leurs semblables. »

Pamphlétaires et meneurs ne sont plus seuls à parler de lutte des classes. Parce qu’il doit avant tout penser à vivre, le peuple le ressent maintenant de plus en plus : ses difficultés d’existence la lui rendent tangible. Ce profond changement dans l’esprit des masses ne se comprend que trop devant les privations matérielles endurées, qui expliquent l’extension populaire de l’idée de lutte des classes. En janvier 1793, même le Girondin Rabaud Saint-Étienne peut constater « l’immense inégalité des fortunes… la Nation se trouve divisée en deux classes ». Le Conventionnel Levasseur écrira dans ses Mémoires sur cette période : « L’effervescence populaire avait été poussée à un assez haut degré pour que les classes sociales plus élevées commençassent à s’alarmer… Il y avait, en quelque sorte, une espèce de guerre sourde, organisée entre le riche et le pauvre ». Aussi, les ouvriers de Paris et de province eux-mêmes expriment-ils nettement l’opposition et l’exploitation sociales déterminées qu’ils rencontrent : parmi leurs derniers appels à la fraternité ancienne apparaît la détermination de répondre à l’irréductible hostilité bourgeoise par une déclaration de guerre des classes. Ceux du Faubourg Saint-Antoine demandent aux conventionnels le 1er mai 1793 : « Faites des sacrifices, que la majeure partie de vous oublie qu’il est propriétaire… La Révolution n’a encore pesé que sur la classe indigente, il est temps que le riche, que l’égoïste soit aussi, lui, républicain, et qu’il substitue son bien à son courage ». Le mois suivant, la menace se joint aux exhortations dans la lettre de la Société des Sans Culottes de Nogent-le-Rotrou aux Jacobins de Paris : « Le petit bourgeois est le plus cruel ennemi des sans-culottes parce qu’il est plus près d’eux… C’est donc aux bourgeois seuls que nous avons affaire en ce moment : eux seuls nous font ouvertement la guerre… Réunissons-nous donc contre la stupide et cruelle aristocratie bourgeoise ; éclairons-la si possible, et disons-lui que si l’empire de la raison, la force des principes, les insurrections morales ne suffisent pas pour la retirer de son erreur ou pour vaincre son apathie, il faudra bien que le peuple, que la classe terrible des sans-culottes, ait recours à d’autres moyens plus actifs, plus efficaces, plus prompts [24]».

C’est de même l’initiative populaire qui réclame des mesures contre la hausse et la disette aggravées par les profiteurs, et c’est son action oui les impose à la Convention. Lue à sa barre le 15 novembre 1792, la pétition de l’Assemblée électorale de Seine-et-Oise constate que « la République se compose d’un petit nombre de capitalistes et d’un grand nombre de pauvres » et propose vainement l’établissement du maximum des grains. Un meilleur succès attend la députation des quarante-huit sections parisiennes qui, en février 1793, demande à la Convention une loi sur les subsistances et le maximum du blé. Malgré l’opposition des Girondins au cours de la discussion ouverte le 25 avril, l’Assemblée fixe, le 3 mai, sous peine d’amende et de confiscation, un prix maximum aux grains. Leurs détenteurs sont tenus de les déclarer aux autorités, qui pourront les réquisitionner. Mais, laissée à des décisions locales, l’entrée en vigueur de la taxation ne s’effectue que successivement ; d’un département à l’autre, elle fait disparaître le blé qui reflue là où elle n’est pas établie. Paris manque de farine et dès juillet, la Convention se trouve obligée d’autoriser les achats aux particuliers dans les départements où les grains abondent et de lever toutes interdictions de sortie édictées par les administrations départementales.

Allait-elle abandonner le maximum ? Lindet lui montrait l’inévitable effet d’une abstention facile : « Si, l’on accorde la liberté indéfinie de vendre les grains de gré à gré, le prix en triplera avant trois mois ». Par ailleurs, l’agitation populaire n’avait cessé de grandir. Fin juin 1793, la population parisienne force de nouveau les commerçants à vendre moins cher. Les prix et la pénurie des subsistances l’indignent. Les pétitions affluent à la Convention et à la Commune. « L’excessive cherté des denrées de première nécessité… la difficulté d’avoir du pain chez les boulangers en est la cause ». La foule qui attend à la porte des boulangeries ne cesse « de crier au pain » (Hébert). De même, près de Paris, « on se plaint, et avec raison, de la cherté des denrées en général et spécialement du pain. L’ouvrier, le père de famille, l’homme de main peuvent à peine s’en procurer ». (Lettre de Saunier au ministre de l’Intérieur Garat du 15 août 1793). Indispensable, le maximum ne pouvait réussir que s’il était général et centralisé. « Il faut… tout taxer, si vous voulez taxer le prix du pain » (Ducos). La fixation d’un maximum aux grains « est-elle juste quand toutes les autres denrées et marchandises se vendent à un prix débattu et libre ? » (Garat [25]). Décrétant le 11 septembre le maintien de la taxation des grains, la Convention arrête pour toute la France un maximum unique, dont elle fixe le montant augmenté d’une indemnité de transport. Lors de l’émeute du 4 septembre, elle avait promis le maximum sur toutes les denrées de première nécessité, et elle vote le 29 la loi du maximum général. Quand le texte en parvient à Beaune, le club local des Jacobins écrit à la Convention que « les malheureux, les pauvres, le peuple, ont béni la loi du maximum ». Comme l’a remarqué G. Lefebvre [26], le maximum, en les opposant aux profiteurs, développait l’esprit de classe des prolétaires.

Cependant, ce maximum « général » ne s’applique qu’aux denrées essentielles et la fixation en est encore laissée à la discrétion des districts, renouvelant l’erreur du maximum des grains. Les produits disparaissent de même. Le 2 novembre 1793, Barère obtient enfin que la Convention taxe elle-même le prix de toutes les marchandises sans exception. Long à dresser, le tableau général des maxima n’entrera en vigueur que fin mars 1794. Le relèvement par le nouveau tarif de février s’est ajouté alors à l’autorisation accordée dès octobre de prendre un bénéfice de dix pour cent en sus de la taxe. Comme il est normal, ces relâchements appellent des infractions. Les marchands protestent contre les marges, cachent leurs marchandises qu’ils cèdent au prix fort et finissent par retirer les pancartes imposées. Le maximum n’est plus respecté ni sanctionné. Dans son dernier discours du 8 thermidor, Robespierre en attribuait l’établissement aux hébertistes, et lui imputait la disette. Sa chute et sa mort en précipitent la disparition. Les réquisitions nationales instituées par Lindet abandonnées, l’armée révolutionnaire de l’intérieur qui devait les appuyer dissoute, il a perdu toute efficacité. À la Convention, le 9 décembre, Girod accuse la taxation de miner l’industrie et le commerce. À sa suite, les thermidoriens condamnent le maximum comme inapplicable et responsable de la disette : ils l’abrogent.

La réaction politique s’accompagne d’un retour au laissez-faire : la liberté thermidorienne se ramène à l’absence d’intervention, et ne se soucie pas de l’absence d’oppression économique et sociale. Buonarroti définira ainsi cette conception : « La liberté n’est pas autre chose que la faculté illimitée d’acquérir… conserver l’opulence et la misère » (Conspiration pour l’égalité, 1828).

La politique sociale de la Montagne en faveur des classes pauvres ne dure et ne réussit pas plus que la politique économique qu’elle voulait développer et achever. Robespierre sentait bien qu’il ne suffit pas de faire « des lois bienfaisantes qui tendent à rapprocher le prix des denrées de celui de l’industrie du pauvre », mais qu’il « faut très impérieusement faire vivre le pauvre si vous voulez qu’il vous aide à achever la Révolution » (26 mars 1793). Comment assurer son droit à la vie ? Robespierre en indiquait les voies à la Convention le 2 décembre 1792. « Le premier objet de la société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? celui d’exister… Les aliments nécessaires à la vie de l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la   conserver est une propriété commune à la société entière… D’après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires et aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce ». Ces lignes montrent bien les illusions modérantistes de Robespierre. Il se range, certes, aux côtés des prolétaires : « Celui qui n’est pas pour le peuple, celui qui a des culottes dorées, est l’ennemi-né de tous les sans-culottes » (mai 1793). Mais le heurt des pauvres et des riches l’effraie. À l’idée réaliste de la lutte des classes, il préfère le rêve de leur égalité idyllique : « Législateurs, vous n’avez rien fait pour la liberté si vos lois ne tendent pas à diminuer graduellement, par des moyens doux et efficaces, l’extrême inégalité des fortunes ». Légalité, tendre à, diminution graduelle de l’excès d’inégalité, doux moyens : telle est l’utopie platonique de sa politique sociale. Niant toute possibilité d’opposition entre propriété individuelle et vie humaine, il rejette formellement la loi agraire, qu’il traite de projet brutal, dangereux et injuste.

Les Enragés et les Hébertistes qui la réclament veulent le partage universel des terres et la nationalisation générale des subsistances. Leurs partisans ne s’embarrassent pas d’une légalité contingente ou partiale. Le Comité révolutionnaire rédige en ces termes son Instruction adressée aux autorités du département du Rhône et de la Loire, le 16 novembre 1793 : « La Révolution a été faite par le peuple : son but est le bonheur du peuple… non la classe riche privilégiée, mais la classe nombreuse des pauvres ». Pour l’atteindre, ira-t-on jusqu’au collectivisme ? Le maximum en avait ouvert la carrière : « Les principes du maximum nous mènent à la communauté… Pour établir le maximum, il faudra établir des magasins nationaux pour recevoir l’excédent des consommations et des fabriques, pour être après cela réparti avec égalité, et alors on arrive à côté de la Communauté où chacun porte le produit de son industrie pour le répartir entre chacun [27] ». Le 5 octobre 1793, un congrès des Sociétés populaires du Midi, réuni à Marseille, adopte un projet selon lequel « pendant tout ce temps de crise, le sol productif et l’industrie productive de la France ne seront plus considérés que comme d’immenses manufactures nationales, dont la nation est usufruitière et dont les propriétaires ne sont que des agents [28] ». Par l’extension du droit de réquisition, Barère propose aussi à la Convention de rendre « la République propriétaire momentanée de tout ce que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont produit et apporté sur le sol de France. » Ces résolutions restent verbales. On n’assiste de même à aucune véritable redistribution des terres par la confiscation et la vente au profit de la nation de tous les biens mobiliers et immobiliers des émigrés. Mis aux enchères au chef-lieu du district, ils sont accaparés par des bandes, comme celle de Jourdan Coupe-tête dans le Vaucluse, qui en font un fructueux trafic, ou enlevés par la bourgeoisie paysanne [29], qui, en se partageant encore le meilleur des biens communaux (décret du 10 juin 1793) enlève au contraire à la propriété rurale le seul aspect marqué de collectivisme qu’elle ait présenté, celui de la féodalité.

C’est dans ces circonstances que le 8 ventôse (26 février 1794), Saint-Just prononce à la Convention, en faveur des sans-culottes, un fulgurant discours, programme d’une révolution sociale. République illusoire que celle où chacun entend par sa liberté l’indépendance de ses passions et de son avarice, où règne l’esprit de conquête et d’égoïsme, où la licence de l’intérêt personnel produit l’esclavage de tous ! « On s’est engraissé des dépouilles du peuple, on en regorge et on l’insulte. L’opulence est dans les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution. Les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis… Celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. Les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre. Ils ont le droit de parler en maîtres au gouvernement qui les néglige… Ne souffrez point qu’il y ait un malheureux ni un pauvre dans l’État ». Et il fait voter le 13 ventôse (3 mars) le célèbre décret qui doit leur apporter « le bonheur… une idée neuve en Europe ». La République confisque à son profit les biens des ennemis de la Révolution, sur décision du Comité de Sûreté Générale. Elles les partages aux pauvres : « Toutes les communes de la République dresseront un état des patriotes indigents ; lorsque le Comité de Salut Public l’aura reçu, il proposera d’indemniser tous les malheureux avec les biens de la République ». En adressant le décret aux représentants en mission, le Comité souligne le caractère de réparation et de restitution que ses auteurs ont voulu lui donner : « L’indigence malheureuse devait rentrer dans la propriété que le crime avait usurpé sur elle : la Convention a proclamé ses droits ». C’est pour la même raison que « les propriétés des patriotes sont sacrées » : quelle révolution de classe depuis la fameuse Déclaration bourgeoise que la propriété est un droit inviolable et sacré ! C’était le transfert radical et la propriété d’une classe à une autre : une immense expropriation publique. Le peuple ne s’y trompait pas, comme en témoigne ce rapport de police daté du lendemain du décret : « Dans tous les groupes et les cafés, on parle du décret qui ordonne la distribution des propriétés des aristocrates aux sans-culottes. Cette loi populaire a soulevé une joie universelle [30]. »

Cet enthousiasme devait vite s’éteindre. La lenteur du double recensement communal des suspects et des indigents allait retarder l’application du décret jusqu’à son abandon. L’échec était en germe dans une tentative qui, en pleine Révolution, excluait la violence et pensait résoudre la lutte des classes autrement que par cette lutte même. Extrêmement avancée, la réforme sociale de ventôse n’était pas subversive ; révolutionnaire, elle demeurait légale et pacifique. Par là, elle était inévitablement condamnée dans une période d’agitation brutale. Ses protagonistes répudiaient l’insurrection et poursuivaient ceux qui y poussaient. Le chef des Enragés, Jacques Roux, arrêté et envoyé au Tribunal Révolutionnaire, n’avait échappé à la guillotine qu’en se suicidant dans sa prison le 10 février 1794. Les Hébertistes le suivent : ils sont jugés et condamnés à mort. Leur exécution, le 24 mars, frappe les meneurs de la lutte des classes et disperse leurs troupes, dont le moral ne se soutient pas. Au passage de Robespierre conduit à l’échafaud, les ouvriers se moquent du « foutu maximum ». Après le sursaut qui l’a créé, leur conscience de classe s’est éteinte. Les insurrections de 1795 ne seront plus, malgré leurs revendications politiques apparentes, que des émeutes de la faim. Aucun écho populaire n’amplifiera la grande voix de Babeuf [31].

L'EXPRESSION DE LA DOCTRINE 
DE LA LUTTE DES CLASSES

Babeuf élabore, seul, « le communisme dans la Révolution [32]», et cherche à le réaliser par la lutte des classes.

Sa doctrine s’enracine dans la paysannerie picarde, parmi les communautés rurales où il a travaillé comme commissaire à terriers. C’est par un Traité d’archiviste terriste ou traité méthodique des archives et des titres seigneuriaux que commencent ses écrits. Il se définit ainsi lui-même : « Avant la Révolution, archiviste et géomètre. Depuis la Révolution, propagandaire de la liberté et défenseur des opprimés ». Agitateur et journaliste dans la Somme et dans l’Oise, en 1790 et 1791, deux fois arrêté et relâché, il vient à Paris en 1794. Il y travaille à l’Administration des subsistances, et par son expérience de la misère ouvrière des villes, découvre le prolétariat urbain et la lutte des classes. Emprisonné de nouveau, libéré peu avant le 9 thermidor, il fonde un Journal de la liberté de la presse, bientôt remplacé par le Tribun du Peuple où il s’adresse aux masses qu’il cherchera à soulever. Mais son organisation clandestine, le Directoire secret, est livrée à la police par un traître, et Babeuf, condamné à mort, se poignarde sur l’échafaud, sans avoir pu affranchir une classe populaire encore mal préparée à sa propre conscience militante et à sa libération.

Babeuf souligne l’oppression de classe partout dans ses écrits. Il voit d’un côté « la classe riche » « cette classe des dévorants de la société », « classe prédestinée qui ne doit pas entendre même le moindre murmure, alors qu’il lui plaît de prendre tous les moyens de rayer bientôt, du rang des vivants, les trois quarts de la multitude [33] », de l’autre, « la classe ouvrière », « classe judicieuse et clairvoyante », « les classes utiles », « les classes pauvres », « l’innombrable classe des malheureux », « la classe des nécessiteux, classe sans contredit immensément majeure dans l’État… Cette classe intéressante, qui a réellement fait cette réflexion, qui peut devenir fatale au succès de notre cause, qu’on ne l’a fait se débattre et s’échauffer jusqu’à présent que pour ces béatitudes, puisque les mots de Révolution, de Liberté, d’Égalité, de République, de Patrie, n’ont pas changé en mieux sa manière d’être » (Lettre à Chaumette, datée du 7 mai de l’an II). Entre elles, c’est la lutte du riche et du pauvre, l’exploitation du travail par le capital. Et Babeuf dénonce « le complot à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retire le fruit destiné, dès le principe, à s’entasser en grande masse sous la main de criminels spéculateurs, lesquels après s’être entendus pour réduire sans cesse le salaire du travailleur, se concertent, soit entre eux, soit avec les distributeurs de ce qu’ils ont entassé, les marchands, leurs co-voleurs, pour fixer le taux de toutes choses… Dès lors, ces innombrables mains desquelles tout est sorti ne peuvent plus atteindre à rien, toucher à rien, et les vrais producteurs sont voués au dénuement ou, du moins, le peu qu’on leur laisse n’est que la grosse écume ou le très maigre gratin… Travaille beaucoup, mange peu, ou tu n’auras plus de travail et tu ne mangeras pas du tout. Voilà la loi barbare dictée par les capitaux » (Lettre à Charles Germain, 10 thermidor an III, 28 juillet 1795).

L’origine de cette lutte remonte à l’abandon de l’état naturel. Tous les hommes y étaient égaux, mais « les lois sociales ont fourni à l’intrigue, à l’astuce et à la souplesse, les moyens de s’emparer adroitement des propriétés communes… C’est donc par usurpation que des hommes possèdent individuellement plusieurs parts de l’héritage commun » (Cadastre Perpétuel). Ceux qu’ils ont dépouillés se sont dressés contre eux. La lutte ouverte dure depuis lors et la Révolution française n’en constitue qu’un épisode. « Qu’est-ce qu’une révolution politique en général ? Qu’est-ce, en particulier, que la Révolution française ? Une guerre déclarée entre les patriciens et les plébéiens, entre les riches et les pauvres… Quand l’existence de la majorité est devenue tellement pénible qu’elle ne peut plus y tenir, c’est ordinairement alors qu’éclate une insurrection des opprimés contre les oppresseurs… Il est deux choses contre lesquelles il faut se révolter, contre les lois qui ont consacré la violation du pacte originel, et contre les effets de la même violation » (Tribun du Peuple, n° 34). En se levant ainsi contre les riches, les pauvres n’en portent pas la responsabilité : ils répondent à ceux qui l’ont voulu. « Cette guerre des plébéiens et des patriciens, ou des pauvres et des riches, n’existe pas seulement du moment où elle est déclarée. Elle est perpétuelle, elle commence dès que les institutions tendent à ce que les uns prennent tout et à ce qu’il ne reste rien aux autres » (Id.). C’est ainsi qu’en dépit de son aspect offensif, la lutte des pauvres contre les riches n’est pas une guerre d’agression. C’est une voie d’exécution forcée, un acte de puissance qui ne vise qu’au rétablissement des droits violés, à la restitution des spoliations primitives, au retour à l’état de nature, avec le caractère d’une réparation régulière. « Elle a donc légitimé notre guerre des pauvres contre les riches, des plébéiens contre les patriciens, de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont tout… Il a été reconnu que la justice du principe de l’Égalité réelle n’est pas contestable » (Tribun du Peuple, n° 40). Aussi la légalité de l’insurrection ne saurait-elle faire de doute dans ses buts. Elle forme même le « plus indispensable des devoirs… Je dis donc aussi tout bonnement que vous avez violé et que vous violez tous les jours les droits du peuple et que, dans ce cas, le Code des Nations dit qu’il est, pour le peuple et pour chaque fraction du peuple, un devoir à remplir, qui est le plus indispensable des devoirs et que ce devoir est l’insurrection… J’ai avec moi le peuple en majorité, qui est d’avis que ce serait aujourd’hui le cas, ou jamais, d’appliquer la conséquence du plus indispensable des devoirs, puisque le principe, la violation des droits du peuple, n’est aucunement douteux » (Tribun du Peuple, n° 31).

Babeuf, d’ailleurs, a cru un temps aux moyens légaux. Il a pensé à « faire cette insurrection… pacifiquement » et proposait alors un « projet d’adresse du peuple français à ses délégués, pour leur exposer, dans un tableau vif et vrai, l’état douloureux de la Nation, celui qu’elle devait attendre, ce qui a été fait pour le lui procurer, ce qui a arrêté et en arrête encore le succès, et ce qu’il convient de faire, et ce que le peuple entend qu’il soit fait pour le faire arriver au ternie des droits de tous les hommes et au bonheur commun, pour lesquels il a fait la révolution. » (Tribun du Peuple, n° 31). Dans sa détermination ultérieure à la violence nécessaire, il se justifie par le moindre mal. Au pis, la situation serait-elle pire ? « La guerre civile ! Je te demanderai s’il en est une plus horrible que celle qui existe perpétuellement depuis l’établissement de la propriété, par le moyen de laquelle chaque famille est une république à part, qui, par la crainte d’être dépouillée, et l’inquiétude constante de manquer elle ou les siens, conspire sans cesse pour dépouiller les autres » (Haute Cour de Justice, copie des pièces, tome I). « Vous parlez de guerre civile… comme si nous ne l’avions pas ! Comme si la guerre des riches contre les pauvres n’était point la plus cruelle des guerres civiles, surtout quand les uns sont armés de toutes pièces, et que les autres sont sans défense. Vous ne voulez pas de guerre civile et pour cela, vous voulez que le peuple meure patiemment de faim, de froid, de nudité… Ah ! donnez-lui plutôt toutes les guerres possibles… qu’il aille, à armes égales, se mesurer avec ceux qui l’assassinent. Cette guerre aura bientôt une issue en sa faveur, et elle terminera les maux du grand nombre » (Tribun du Peuple, n° 35). Mais s’il en accepte le risque, Babeuf ne croit pas au danger d’une guerre civile. « Il n’y a point à craindre, en marchant à l’égalité, de guerre civile comparable aux guerres d’hommes à hommes, et de peuple à peuple, qu’entretient sans interruption notre état présent. Eh, Nature ! Puisqu’on n’a pas hésité devant les guerres sans nombre et continuelles qui ont été ouvertes pour maintenir la violation de tes lois, comment pourrait-on balancer devant la guerre sainte et vénérable qui aurait pour objet leur rétablissement ? Encore est-il bien certain qu’il y aura une guerre au moment où nous serons assez sages pour vouloir instituer l’égalité ? Je n’en crois rien ». La tactique appliquée, — longue préparation d’une insurrection brutale et brève—, ne doit pas lui laisser le temps d’éclater.

Cette tactique préfigure celle de la lutte des classes d’aujourd’hui. Babeuf en a élaboré les éléments, tandis qu’il agitait les masses paysannes picardes en 1790 et 1791. Il les expose dans le numéro 29 du Tribun du Peuple. « Des circonstances font varier la force du parti plébéien ou de celui patricien et c’est là exclusivement ce qui explique les avantages alternatifs que chacun d’eux remporte… Tout le secret pour parvenir encore à faire le bien du grand nombre consiste à faire retrouver au parti plébéien la tactique de supériorité de force qu’il a perdue en la laissant conquérir par le parti adverse. »

Comment ? Le même numéro montre Babeuf convaincu de l’importance essentielle des forces morales, qui se confondent avec la propagande : « Il est constant, de plus, qu’avec des forces minimes, le parti du peuple devant être, comme je l’ai dit, immanquablement soutenu par le peuple, et par l’ascendant puissant de la vérité et de la raison, triomphera toujours ». La préparation des masses par la propagande permettra au mouvement de réussir. « Éternellement persuadé qu’on ne peut rien faire de grand qu’avec tout le peuple, je crois qu’il faut encore, pour faire quelque chose avec lui, lui tout dire, lui montrer sans cesse ce qu’il faut faire, et moins craindre les inconvénients de la publicité dont la politique profite, que compter sur les avantages de la force colossale qui déjoue toujours bien la politique… Il faut calculer tout ce qu’on perd de force en laissant l’opinion dans l’apathie, sans aliment et sans objet, et tout ce qu’on gagne en l’activant, en l’éclairant et en lui montrant un but » (Prospectus du Tribun du Peuple, B. N. Tome I en tête). Cette propagande ouverte se propose un double objet « pour miner l’édifice du crime, et pour jeter les fondements de la vraie justice. Faire détester les pouvoirs régnants en découvrant toujours à nu leur continuel forfait ; et faire adorer le système de la réelle égalité, en en développant de plus en plus les charmes. Nous avons à joindre à cela, le moyen de l’encouragement, par l’exposition ravissante du tableau des prosélytes nombreux et ardents qui viennent se ranger successivement autour de nos bannières sacrées » (Tribun du Peuple, n° 40). Persuasion et conviction forment les moyens essentiels, que Babeuf tient de Diderot, et qu’il emploie en particulier pour gagner l’armée : « Le soldat n’ira qu’avec nous et pour nous. Tant mieux que les scélérats qui nous vexent nous aient fait venir une grosse armée. Mieux encore ils feront s’ils l’augmentent, nous en serons plus forts. C’en est fait, l’endoctrinement a jeté ses racines parmi nos frères enrégimentés, qui sont comme nous du Peuple et qui n’ont avec nous qu’une même cause… Il n’est plus au pouvoir de l’inquisition ni civile ni militaire d’en empêcher la lecture à nos soldats et à nos ouvriers » (Tribun du Peuple, n° 42).

Ce serait l’idéal de diriger le mouvement aveugle et incohérent de la masse afin de profiter de cette force en l’organisant. S’il était possible de le réaliser, rien ne pourrait résister à cette puissance. On pourrait rejeter l’appareil de la clandestinité et effectuer brusquement les transformations fondamentales nécessaires. « Ah ! S’il y avait chance d’être compris de la masse, si elle pouvait tout à coup s’illuminer et sentir qu’à transiger sans cesse, elle ne fait qu’ajourner indéfiniment son bonheur, si elle pouvait se pénétrer de cette vérité que pour que l’égalité soit fondée définitivement, il ne doit pas rester vestige de tout ce qui a constitué le matériel des abus, elle se précipiterait d’elle-même à la destruction de toutes les arrogantes créations de l’inégalité ». Une telle action ne peut pas s’exécuter parce que la masse est encore trop ignorante de ses véritables intérêts, parce que sa conscience de classe ne s’est pas encore dégagée. « La minorité des égoïstes oppresseurs mène encore une majorité qui s’abuse et se croirait perdue si elle cessait d’être servile… La foule consternée, terrifiée, parce qu’aucun enseignement, aucun avertissement, ne l’aurait édifiée sur l’avantage d’employer le moyen le plus expéditif pour assurer d’emblée et à toujours le succès de la réforme qui doit ouvrir pour elle l’ère du bien-être, la foule incapable de saisir à l’instant même les heureuses et prochaines conséquences de ce soudain et rapide déblaiement, servirait certainement à souhait les ennemis de l’Égalité ». Cette situation défavorable oblige à renoncer au début aux « apôtres armés de torches », et Babeuf donne à Charles Germain, dans sa lettre du 10 Thermidor an III, des directives d’action préalable partielle et patiente : « Mon cher Général, gardons-nous d’aller trop vite et de vouloir tout emporter d’assaut. En suivant ton plan, si l’on réussit, on a remporté une immense et décisive victoire, par contre, si l’on éprouve un échec, il est irréparable, il est mortel. Sans doute, le moyen que je t’ai proposé n’est pas aussi héroïque, puisqu’il consiste à ne gagner d’abord à nos principes qu’une faible étendue de pays, mais il a pour lui un bien grand avantage, celui de ne rien compromettre. Autant que possible, nous cherchons à nous placer dans un centre de population où les dispositions des esprits nous soient généralement favorables. Une fois établis dans ce foyer, …les habitants des territoires limitrophes, entraînés par l’exemple, ne tardent pas à venir à nous ». On agira donc d’abord par noyautage, progressivement et clandestinement, pour saper l’organisation sociale et en préparer l’explosion. C’est la Vendée plébéienne, qu’annonce le « Manifeste des plébéiens : nécessité pour tous les malheureux français d’une retraite au Mont Sacré ou de la formation d’une Vendée plébéienne » (Tribun du Peuple, n° 35), et qui constitue le centre moteur du mouvement. « Que les partis en viennent aux prises, que la rébellion, partielle, générale, instante, reculée, se détermine ; nous sommes toujours satisfaits ! que le Mont Sacré ou la Vendée plébéienne se forment sur un seul point ou dans chacun des 86 départements ! que l’on conspire contre l’oppression, soit en grand, soit en petit, secrètement ou à découvert, dans cent mille conciliabules ou dans un seul, peu nous importe, pourvu que l’on conspire » (id.). Le noyautage met en marche le mécanisme de la contagion, moyen actuel important de la lutte des classes [34]. Son influence place le corps social en état de réceptivité à l’insurrection qui peut alors éclater dans tout son déchaînement.

Sa violence finalement inévitable découle du caractère impératif et nécessairement extrême du changement complet à apporter. Babeuf se refuse définitivement à toute réforme et à toute amélioration du système existant. Il adjure son ami Antonelle de renoncer à des demi-mesures qui pourraient tout perdre, de se débarrasser d’une modération fatale et il l’exhorte à la détermination farouche de faire table rase pour instaurer sûrement l’ordre fondamental nouveau. « Quoi ! citoyen ! des palliatifs… que le grand jour du peuple arrive, qu’on le fasse transiger avec les scélérats, que le peuple ne leur demande qu’une demi-justice, le peuple est presque sûr qu’il ne l’obtiendra point ; la caste friponne du million le marchandera ; elle temporisera et elle tâchera de ne rien finir. Qu’au contraire, le peuple exige une justice entière, il est obligé alors d’exprimer majestueusement sa volonté souveraine, de se montrer dans toute sa puissance ; et au ton dont il se prononce, aux forces qu’il déploie, tout cède nécessairement, rien ne lui résiste, il obtient tout ce qu’il veut et tout ce qu’il doit avoir… Les lois qui n’ont apporté que des remèdes palliatifs aux maux de l’Humanité peuvent être regardées comme cause première des suites fâcheuses de leur mauvaise cure… Laisse, Antonelle, laisse les malheureux jetés hors de la société par les monstres de la caverne, laisse-les faciliter son prompt écroulement ; ne viens pas avec des étançons, des contre-poids ; ne viens pas aussi pour REGLER, PERFECTIONNER L’IMPERFECTION ; laisse 24 millions d’Erostrate [35] renverser à tes yeux le temple infâme où l’on sacrifie au démon de la misère et de l’assassinat de presque tous les hommes ».

Ainsi condamnée dans les résultats, la mesure est enfin écartée des méthodes, qui appellent le recours à la violence. « Le salut de 25 millions d’hommes ne doit point être balancé contre le ménagement de quelques individus équivoques. Un régénérateur doit voir en grand. Il doit faucher tout ce qui le gêne, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa prompte arrivée au terme qu’il s’est prescrit ». (Haute Cour de Justice, suite de la copie des pièces, tome II).

C’est que la Révolution de Babeuf justifie les moyens qu’elle emploie par les fins qu’elle poursuit. « Nous n’avons voulu révolutionner que pour réparer les maux qui désolent le monde, …que pour remplir le but de la société, qui est le bonheur commun » (Tribun du Peuple, n° 34). L’humanité reviendra à l’état de nature originel, dans l’égalité réelle et universelle. C’est l’état d’un peuple tel « que le sol ne fut à personne, mais appartint à tous ; qu’enfin tout fut commun jusqu’aux produits de tous les genres d’industries » (Lettre du 21 mars 1787 citée dans Advielle : Correspondance). Dès ses premières lettres, Babeuf a insisté sur cet idéal de la communauté des biens. « Vers 1787, il semble bien que, déjà, l’idée du communisme hante la pensée de Babeuf [36]». Il en esquisse un programme dans le « Manifeste des Plébéiens » (Tribun du Peuple, n° 35) : « Le seul moyen d’en arriver là est d’établir l’administration commune ; de supprimer la propriété particulière, d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun ; et d’établir une simple administration de distribution ». Mais sa pensée finale apparaît singulièrement enrichie et précisée dans la lettre, parmi les dernières, du 10 thermidor an III à Charles Germain, ou il expose, avec la géniale prescience d’une planification collective intégrale, sa conception de l’État socialiste. C’est une société sans classe, égalitaire et frugale, réalisée par une économie fermée et autarcique, communautaire et distributive, technique et mécanisée, ou n’existent ni propriété particulière, ni concurrence, ni monnaie. La satisfaction des besoins de chacun est largement assurée en nature, selon les services fournis, par la production de tous multipliée par les machines. Le travail est obligatoire et l’oisiveté punie comme un crime Capital. « Un des principaux fondements de l’association étant la rigoureuse obligation de coopérer pour avoir droit à recueillir, aucun oisif volontaire ne pourra exister dans son sein… Plus d’exploitants, plus d’exploités… quand tous les agents de production et de fabrication travaillent pour le magasin commun et que chacun d’eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle et que des agents de distribution non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l’association, en retour de ce qu’il aura pu faire soit pour les augmenter, soit pour les améliorer… Au lieu que je sois obligé d’échanger comme par le passé le travail de mes mains contre des signes représentatifs qui, tantôt sont à peine au niveau des besoins de tous les jours et tantôt sont de beaucoup en dessous, j’échan­gerai ce travail contre tous les objets réels qui me sont nécessaires et je serai sûr qu’il me vaudra constamment tout ce qu’il me faudra… L’association sera constamment au courant de ce que chacun fait afin qu’il ne se produise ni trop ni trop peu des mêmes objets ; c’est elle qui déterminera pour chaque spécialité le nombre des citoyens qui devront y être employés et des jeunes gens qui s’y destineront. Tout sera approprié et proportionné aux besoins présents et aux besoins prévus selon l’accroissement probable et facilement supputable de la société. Tous les besoins réels seront exactement étudiés et pleinement satisfaits par une rapide transmission dans toutes les localités et à toutes les distances. »

Là se trouve fondée la République de Babeuf, là seulement s’achève sa vraie Révolution du peuple, que la Révolution française n’a pas réalisée, mais dont elle a été l’avant-coureuse, comme l’annonçait le manifeste des Égaux. Babeuf mort, sa pensée passe, par son ami et biographe Buonarroti, aux sociétés secrètes parisiennes, qui s’inspirent de ses principes pour leurs programmes et de ses méthodes pour leurs conspirations. Karl Marx les fréquente à sa venue à Paris en 1843, et retrouve l’influence de Babeuf présente au Parti Ouvrier Français de 1848, à la Fédération des Justes et à la Ligue des Communistes où s’élabore le célèbre Manifeste qu’il signe avec Engels. Par là, Babeuf inspire à la fois les doctrinaires des socialistes français et de la révolution russe, et les idéologies politiques qui s’en réclament aujourd’hui [37].

Exemple mémorable qu’aucune trahison humaine ne saurait attenter à la pensée inviolable et qu’ainsi il n’est pas de sacrifice inutile quand on lutte pour l’idée.

 

Cul de lampe Bonnet A

À PROPOS D’UN ARTICLE SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

par Albert Soboul

 

Encore une fois, ne confondons pas les époques, hier et aujourd’hui, le métier d’historien est à ce prix, les Annales ne cessent de le répéter. L’article de René Roux sur La Révolution française et Vidée de lutte des classes suscite d’utiles réflexions, niais révèle une fâcheuse confusion et, à mon avis, une méconnaissance singulière des perspectives générales de l’évolution historique [38]. Qu’on m’excuse de le dire avec une certaine vivacité.

C’est un lieu commun que d’affirmer le caractère bourgeois de la Révolution française : vérité d’évidence, mais bonne à répéter. S’y fût-il tenu, l’auteur eût évité de s’engager dans une voie sans issue. Révolution bourgeoise : elle a détruit la primauté politique et la puissance économique de l’aristocratie féodale ; s’il y eut lutte de classes — et, qui plus est, conscience de cette lutte — c’est entre cette bourgeoisie et cette aristocratie. René Roux le signale à peine et se fonde sur des cautions aussi peu sûres — dans ce domaine renouvelé depuis lors — que Proudhon et Michelet, responsable pour désigner les Sans-culottes, de cette fâcheuse expression de bras nus, source de tant d’incertitudes et à laquelle Daniel Guérin [39] donna un regain de célébrité. S’il se réfère à Marx dont il interprète mal, à notre sens, une citation fameuse [40], et à Kautsky dont le livre demeure valable [41], René Roux, au delà de ces politesses, semble estimer qu’en ce qui concerne la théorie de la lutte de classes Raymond Aron [42], Daniel Guérin et Jules Monnerot [43] sont bien meilleurs juges que Marx lui-même ou Engels. Si l’on veut ! Sur la trace de ses guides, René Roux ne voit dans la Révolution française que l’opposition Bourgeoisie—Sans-culottes. L’imprécision des termes le sert, qui contribue à aggraver le malentendu : ordres, écrit-il, dans le cadre de l’Ancien Régime, quand il aurait fallu dire classes (p. 258) ; et surtout pour désigner les classes populaires, il dira tantôt bras nus, tantôt ouvriers, ou prolétariat, ou encore plébéiens… René Roux en vient à soutenir à peu près la thèse de Daniel Guérin, controuvée pourtant, selon laquelle il aurait existé, pendant la Révolution un embryon de révolution prolétarienne : c’est prendre les Sans-culottes pour des prolétaires sans plus. Voire…

« La manifestation de la lutte de classes dans les faits n’en implique pas nécessairement la conscience », continue René Roux (p. 254) qui s’efforce après tant d’autres de retrouver à travers les philosophes du XVIIIe siècle les premières traces de cette conscience, puis d’en noter les manifestations après 1789. Il s’attarde ainsi sur la loi Le Chapelier, dont il souligne le caractère de « loi organique » du capitalisme (p. 262), sur les incidences sociales du maximum qui contribua à développer l’antagonisme entre possédants et non possédants (p. 263) [44].

Les décrets de ventôse fournissent à René Roux un argument de poids. À leur propos, il parle de « programme d’une révolution sociale » (p. 269), et plus loin : « Quelle révolution de classe depuis la fameuse Déclaration bourgeoise que la propriété est un droit inviolable et sacré ! C’est le transfert radical de la propriété d’une classe à une autre : une immense expropriation publique» (p. 270). Le point de vue n’est pas nouveau. Albert Mathiez avait déjà vanté cette « révolution nouvelle [45]». La réalité paraît plus modeste. Tous deux prennent pour un nouveau mouvement social une simple mesure politique dans le cadre de la lutte toujours poursuivie entre la bourgeoisie et l’aristocratie. Il ne s’agit pas tant d’élever les Sans-culottes à la propriété que de détruire radicalement la société de l’Ancien Régime. « Ce qui constitue la République, proclame Saint-Just, c’est la destruction de tout ce qui lui est opposé » : entendons, les aristocrates. Et encore : « Toute la sagesse du gouvernement consiste à réduire le parti opposé à la Révolution » (13 ventôse an II). Saint-Just ne s’attaque pas à la propriété : celle des patriotes est inviolable et sacrée, ce qui — quoi qu’en pense René Roux  — rejoint étrangement la Déclaration des droits de 1789. On séquestre les biens des adversaires du régime nouveau, et l’on s’en sert pour indemniser ceux qui le soutiennent : les patriotes indigents. Mesure essentiellement politique : pour vaincre, à l’intérieur, comme aux frontières, au milieu des circonstances mouvantes de ventôse an II et de la propagande hébertiste, le Gouvernement révolutionnaire veut s’attacher les Sans-culottes. Comment le mieux faire qu’en les élevant, sur les ruines de l’aristocratie, à la dignité de propriétaires ? Sans insister davantage sur l’imprécision de ces décrets dans lesquels il n’est nullement question de cession gratuite de terres, remarquons qu’ils s’apparentent aux confiscations de biens privés motivées par la rébellion et la trahison, ou par toute autre cause révolutionnaire.

Sous ce jour, les décrets de ventôse perdent leur caractère d’exception. Les témoignages abondent — et tous n’émanent pas des Sans-culottes — de cette volonté de détruire l’aristocratie et d’en distribuer les dépouilles à ceux qui en auront triomphé. Le député Baudot, qui bientôt suivra Danton, demande aux Jacobins, le 21 juillet 1793, que l’on excite les Sans-culottes à frapper les aristocrates et les riches (dans la mesure où les seconds se font les soutiens des premiers) : « Il faut assurer aux Sans-culottes la propriété de tout ce qu’ils prendront sur eux de vive force. [46]» Jacques Roux, dans le n° 203 de son Publiciste, en août 1793, propose « qu’au retour de la campagne, on distribue aux Sans-culottes vainqueurs et à leurs veuves, une partie des biens des émigrés, des fédéralistes et des députés qui ont abandonné leur poste et trahi la nation ». Aux Jacobins encore, le 16 septembre 1793, d’après l’observateur Rousseville, il est donné lecture d’une lettre d’un bataillon de l’Hérault, demandant « qu’on partage aux soldats après la guerre les terres des émigrés et des traîtres [47]». Aux Jacobins toujours, Hanriot déclare le 7 brumaire an II : « Il faut que tout ce que perdent les aristocrates soit donné aux patriotes ; maisons, terres, tout doit être partagé entre ceux qui conquirent sur les scélérats [48]. » Quelques jours auparavant, à la société populaire de la section Le Peletier, « un membre [avait] représenté qu’il serait intéressant de stimuler l’ardeur de nos défenseurs, vrais Sans-culottes, qui combattent contre les ennemis de l’intérieur, en leur donnant une portion des biens qui seraient confisqués aux contre-révolutionnaires [49]». Nous n’avons cité ces quelques textes préfigurant, à des titres-divers, les décrets de ventôse, que dans la mesure où ils illustrent l’opposition des Sans-culottes, non à la bourgeoisie, comme s’est efforcé de le montrer René Roux, mais bien à l’aristocratie.

D’ailleurs, comment en aurait-il été autrement ? Les Sans-culottes ne forment pas une classe, encore moins un parti. Si l’on trouve parmi eux une minorité de prolétaires, on y rencontre surtout une majorité de boutiquiers et d’artisans qui ont accédé à la propriété, et des petits bourgeois des professions libérales. La haine de l’aristocratie unit tous ces hommes ; elle les entraîne, à la suite de la bourgeoisie, à l’assaut de l’Ancien Régime. Mais, intégrés dans l’économie traditionnelle de cette France du XVIIIe siècle essentiellement paysanne, artisanale et boutiquière, ils participent d’une mentalité précapitaliste et redoutent de se voir réduits par les progrès du capitalisme au rang de simples prolétaires. De là leurs déclamations contre les riches et les « gros », qui ont fait illusion à Daniel Guérin et, après lui, à René Roux, au point qu’ils ont pris les Sans-culottes pour une avant-garde prolétarienne, alors que sur le plan économique ils se rattachent au système traditionnel de production.

Sur Babeuf, nous serons, comme l’auteur, plus bref. L’essentiel est dit. Mais je ne pense pas que Babeuf ait eu une aussi claire conscience de la lutte des classes que l’affirme M. René Roux, pour cette seule raison qu’il n’avait pas une idée distincte des classes elles-mêmes. Il voit « la classe riche », « cette classe des dévorants de la société » : les patriciens d’un côté, de l’autre : les plébéiens, « la classe ouvrière », « les classes utiles », « les classes pauvres », « l’innombrable classe des malheureux ». C’est bien la lutte du riche et du pauvre, mais l’imprécision même de cette terminologie empêche d’affirmer que Babeuf ait clairement conçu ce qu’est « l’exploitation du travail par le capital », comme semble l’admettre René Roux (p. 271). Comment l’aurait-il pu, alors que le prolétariat ne se différenciait pas nettement de la sans-culotterie et que se dessinait à peine l’antagonisme qui allait l’opposer à la bourgeoisie ? Ce n’est pas diminuer la grandeur de Babeuf que de marquer les limites que la structure sociale de l’époque mettait à sa doctrine et à sa pensée.

Pour s’être fondé sur une insuffisante analyse de cette structure, René Roux fausse la perspective et donne des luttes de classes sous la Révolution une image déformée. Les réalités sociales sont complexes, leurs contradictions multiples ne se laissent pas enfermer dans des schémas préfabriqués. Ce serait beaucoup trop simple.

______________________

Notes article R. Roux

[1] Proudhon : Capacité politique des classes ouvrières. Cité par J. Lhomme : Le Problème des classes, doctrines et faits, Paris, Sirey, 1988.

[2] Œuvres philosophiques, trad. Molitor, Paris, 1927.

[3] Die Klassengegensätze von 1789, Stuttgart, 1889, trad. fr. Berih, 1901.

[4] Deux volumes, Paris, 1946.

[5] ENGELS : Préface au Manifeste Communiste, éd. Molitor, 1934.

[6] Annales historiques de la Révolution Française, 1930.

[7] Cf. G. Lefebvre : La Révolution Française (avec R. Guyot et Ph. Sagnac), Paris, 1930, Les Thermidoriens, Paris, 1937.

[8] Jean Jaurès : Histoire socialiste de la Révolution Française, Paris, 1922. Histoire socialiste (1789-1900), Paris, publiée sous la direction de Jean Jaurès qui a écrit les quatre premiers tomes (jusqu’au 9 thermidor).

[9] A. Mathiez : La Révolution Française. Tome 1 : La chute de la royauté, Paris, 1930.

[10] Ibidem.

[11] Cf. A. Espinas : La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution, Paris, 1898. R. Picard : « La Théorie de la lutte des classes à la veille de la Révolution Française », Revue d’économie politique, 1911.

[12] Titre du livre de Daniel Mornet, Paris, 1935.

[13] Id. La France économique et sociale au XVIIIe siècle, Paris, 1935.

[14] Karl Marx : Neue Rheinische Zeitung, Cologne, 11 décembre 1848, in Aus dem literarischen Nachlass von K. Marx und F. Engels, 1841 bis 1850, herausgegeben von F. Mehring, Berlin 1923.

[15] Cité par Ch. L. Chassin : Les Élections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, 1889.

[16] Cahier du Clergé de Paris : Cahiers des États Généraux, tome V, Paris, 1868.

[17] Cf. R. Picard : Les Cahiers de 1789 au point de vue industriel et commercial, Thèse Droit, Paris, 1910.

[18] Grace M. Jaffé : Le Mouvement ouvrier à Paris pendant la Révolution Française, 1789-1791, Thèse Lettres, Paris, 1921.

[19] R. Garmy : La Mine aux Mineurs de Rancié (Ariège), 1789-1799. Commission de Recherche et de Publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution : Assemblée générale de la Commission centrale et des comités départementaux, 1939, tome I, Besançon, 1942.

[20] R. Aron : Introduction à la philosophie de l’Histoire, essai sur les limites de l’objectivité historique, Paris, 1938.

[21] Jean. Jaurès : op. cit.

[22] Cf. Grace M. Jaffé : op. cit.

[23] Cf. Edmond SOREAU : « La loi le Chapelier », Annales historiques de la Révolution Française, 1931 et Edouard DOLLÉANS : Histoire du mouvement ouvrier, Paris, Colin.

[24] Dans D. Guérin : op. cit.

[25] Dans D. Guérin : Op. cit.

[26] Op. cit.

[27] Lettre de Grenus, député du Mont-Blanc, en novembre 1793. Publiée par F. Vermale : Mémoires de la Société savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, tome LXV et citée par A. Mathiez : Le Directoire, Paris, 1934.

[28] Cité par D. Guérin : op. cit.

[29] Cf. pour la vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord, la thèse de L. Dubreuil sur : La Bretagne et les pays celtiques. La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord (études et documents), Paris, 1909 ; et pour la Savoie, F. Vermale (Annales révolutionnaires, V, 1912).

[30] Cité par R. Garaudy : Les Sources françaises du socialisme scientifiaue Paris 1948.

[31] Dont A. Mathiez : Le Directoire, op. cit., méconnaît singulièrement l’importance et l’originalité.

[32] Babeuf : La doctrine des Égaux. Extraits des Œuvres complètes publiés par Albert Thomas, Paris, 1906.

[33] Tribun du Peuple, n° 35. Les citations sont faites d’après : Journal de la liberté de la presse, Tribun du Peuple, Paris, 2 vol.

[34] Cf. J. Monnerot : Sociologie du Communisme, Paris, Gallimard, 1948.

[35] Hérostrate ou Érostrate qui, selon Valère Maxime, incendia le temple d’Artémis, à Éphèse (côte ouest de l’Asie mineure ; en 356 av. J.-C.) « pour rendre son nom immortel ». Il fut condamné à mourir brûlé et toute mention de son nom fut interdite sous peine de mort. [Note C. G.]

[36] Albert THOMAS : « La pensée socialiste de Babeuf avant la Conspiration des Égaux », Revue socialiste, 1904-1905.

[37] Cf. G. Sencier : Sociétés secrètes et conspirations communistes, 1830-1848, Paris, 1912 ; A. Espinas : op. cit. ; A. Mathiez : compte rendu de Maurice Dommanget, Histoire des doctrines socialistes : « Babeuf et la conjuration des Égaux », dans Annales révolutionnaires, 1923. R. Garaudy : op. cit.

_______________

Notes texte A. Soboul

[38] Nous ne relèverons pas les erreurs matérielles. Redisons cependant que Georges Lefebvre n’est pas le « disciple » de Mathiez comme l’affirme M. René Roux (p. 253). G. Lefebvre s’en est lui-même expliqué dans les Annales historiques de la Révolution française (1947, n° 2, p. 188). Les Enragés ni les Hébertistes ne réclamèrent jamais « le partage universel des terres » (p. 268) : l’auteur confond le partage des terres (« la loi agraire », contre laquelle se sont élevés tous les révolutionnaires, sauf Babeuf) et le partage des grandes fermes (il s’agit du partage de l’exploitation, non de la propriété). Ce partage des grandes fermes, les Sans-culottes des campagnes ne cessèrent de le réclamer. Saint-Just et Robespierre en avaient reconnu le bien-fondé, au point de l’inscrire, celui-ci dans son carnet, celui-là dans ses notes sur les Institutions républicaines : ils ne le proposèrent jamais à l’Assemblée bourgeoise qu’était la Convention. — Peut-on parler d’un « Parti ouvrier français de 1848 » (p. 279) ?

[39] Daniel Guérin, La lutte de classes sous la première République. Bourgeois et « Bras nus» (1793-1797), 1946.

[40] La conspiration de Babeuf fut selon Marx « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant… dans le cadre de la révolution bourgeoise » (citation de M. René Roux, p. 252). On ne saurait trop souligner l’importance du dernier membre de phrase, « dans le cadre de la révolution bourgeoise ».

[41] Karl Kautsky, La Lutte des classes en France en 1789, 1901 (traduction du livre paru en allemand, en 1889).

[42] Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, 1938.

[43] Jules Monnerot, Sociologie du communisme, 1948.

[44] S’il cite Jean Jaurès et son Histoire socialiste (p. 273), René Roux ne le suit pas pour autant lorsqu’il se réfère à l’Introduction à la Révolution française de Barnave qui écrit : « Une nouvelle distribution de la richesse produit une nouvelle distribution du pouvoir. De même que la possession de la terre a élevé l’aristocratie, la propriété industrielle élève le pouvoir du peuple. » Et Jaurès commente : « La bourgeoisie du Dauphiné, dont Barnave a merveilleusement dégagé et interprété la pensée, a proclamé nettement l’antagonisme de la classe industrielle et de la classe foncière » (I, p. 104). De la conscience de cet antagonisme, les preuves abondent. Faut-il citer la brochure de Siéyès : Qu’est-ce que le Tiers État ?

[45] Albert Mathiez, La Révolution française, III, pp. 147-149.

[46] A. Aulard, La Société des Jacobins, V, p. 308.

[47] P. Caron, Paris pendant la Terreur, I, p. 120.

[48] Journal de la Montagne, n° 150, 9 brumaire an II.

[49] B. N., ms, F. fs., nouv. acq. 2662, fol. 25, 21 du premier mois an II.

 

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“Bourgeois et bras-nus” de Daniel Guérin (éd. Libertalia): recension dans les Annales historiques de la Révolution française

05 jeudi Mai 2016

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “Bourgeois et bras-nus” de Daniel Guérin (éd. Libertalia): recension dans les Annales historiques de la Révolution française

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Albert Soboul, Annales historiques de la Révolution française, Éditions Libertalia, Babeuf, Daniel Guérin, François Hincker, Georges Lefebvre, Maxime Kaci, Tamara Kondratieva

Je reproduis ci-dessous la recension par Maxime Kaci de l’ouvrage de Daniel GUÉRIN, Bourgois et bras-nus : guerre sociale durant la Révolution française 1793- 1795, Paris, Libertalia, 2013 (443 p., ISBN 978-2-9180-5929-5, 18 €), paru dans les Annales historiques de la Révolution française, n° 381, «Les Conventionnels» (juillet-septembre 2015).

Capture d’écran 2016-05-05 à 11.49.36La réédition de l’ouvrage de Daniel Guérin paru pour la première fois en 1973, et désormais épuisé dans sa seconde édition de 1998, vient combler un vide et rendre de nouveau accessible ce que l’auteur définissait lui-même comme un condensé censé mettre en évidence le «mécanisme dialectique» de son œuvre majeure : La lutte de classes sous la Première République. Cette synthèse à destination d’un large lectorat aborde des questions qui continuent d’alimenter les débats historiographiques sur la Révolution française. L’approche dialectique de Daniel Guérin porte, en premier lieu, sur le lien et les médiations entre un personnel politique de premier plan considéré comme bourgeois et des bras-nus assimilés principalement aux militants populaires des sections parisiennes. Cette perspective le conduit à analyser le rôle de porte-parole tenu par les Enragés, mais aussi l’attitude des Montagnards qui, selon lui, transigent avec les bras-nus via des intermédiaires moins connus comme Dobsen, président du Comité insurrectionnel le 31 mai 1793, et via des mesures de compromis telles que le maximum, l’armée révolutionnaire ou la Constitution de l’an I. L’encadrement et l’orientation de l’action des militants des sections sont, sans surprise, considérés comme un enjeu fondamental de la période qui induit des débats sur l’ordre et la violence. Daniel Guérin estime qu’à partir d’août 1793 s’opère un passage progressif de la «terreur par le bas» à «la terreur par le haut». Mais les modalités de cette reprise en main divisent les membres du Comité de salut public et deviennent, selon l’auteur, une des clés de compréhension de la coalition hétérogène qui se forme le 9 Thermidor.

Cette lecture dialectique des années 1793-1795 n’est pas exempte de critiques ponctuelles au regard des apports historiographiques récents comme le reconnaît Claude Guillon dans sa préface, à propos de l’imputation par Daniel Guérin du rôle de «chef» des Enragés à Jacques Roux, ou encore à propos de la réduction de la société des femmes révolutionnaires aux positionnements politiques les plus avancés. Mais ce qui peut surtout dérouter le lecteur d’aujourd’hui, c’est l’usage des grandes catégories sociopolitiques, telles que celles de «bourgeois», «bras-nus» ou «populaires» qui sont le socle de la réflexion de Daniel Guérin sans pour autant faire l’objet d’une définition ou d’une réflexion approfondie. Ce choix crée une incertitude dès lors que l’auteur change d’échelles d’analyse : sur la scène parisienne, la Commune est assimilée au «pouvoir des masses» face aux députés des assemblées successives incarnant les intérêts d’une minorité bourgeoise ; mais, au niveau national, après les élections au suffrage universel masculin de 1792, la Convention est le «reflet de la majorité retardataire de la nation» face à une avant-garde parisienne. Dans le sillage de travaux tels que celui de Déborah Cohen sur la nature du peuple ou tels que le colloque Vers un ordre bourgeois ?, toute une production historiographique récente a mis en exergue les enjeux fondamentaux de la construction des catégories sociopolitiques. Peu après la parution de La Lutte de classes sous la Première République, en 1946, Georges Lefebvre, dans un compte rendu, soulignait déjà les problèmes de vocabulaire et, en particulier, la référence aux «prolétaires», «équivoque qui domine et déforme la perspective». Le maintien de ces catégories, dans cette synthèse publiée bien après, indique que les choix lexicaux étaient assumés par Daniel Guérin en raison, notamment, de ses convictions.

En effet, ce que nous donne à redécouvrir cette nouvelle édition, c’est également l’engagement d’un homme qui estime que l’analyse du passé révolutionnaire doit contribuer à «refaire notre bagage d’idées», à repenser «la nécessaire synthèse des idées d’égalité et de liberté» face «aux incapacités de la démocratie bourgeoise». Dans cette perspective, le récit ne s’achève pas avec l’échec du mouvement populaire parisien après les journées de Germinal et Prairial an III, mais bel et bien avec la découverte d’«une plate-forme économique et sociale qui dépassât la révolution bourgeoise» par Babeuf et ses compagnons. L’ouvrage est, pour ainsi dire, conçu comme une archéologie du communisme libertaire défendu par Daniel Guérin. Le mérite de cette nouvelle édition est de permettre au plus grand nombre de relire ses analyses au prisme de ses engagements. La préface, revue et augmentée par Claude Guillon, réinsère très précisément l’œuvre de l’historien dans les débats idéologiques et historiographiques du XXe siècle, en mobilisant aussi bien les travaux de Tamara Kondratieva sur bolcheviks et jacobins que ceux de François Hincker sur Albert Soboul et les Cahiers du communisme. Cette édition est, en outre, augmentée d’un article de Daniel Guérin intitulé «La Révolution déjacobinisée», article dans lequel l’auteur présente et assume les objectifs politiques qui sous-tendent son interprétation. Le livre réédité offre donc la possibilité de (re)découvrir les analyses devenues classiques de Daniel Guérin et de nourrir une réflexion, qui reste d’une actualité brûlante, sur les engagements des historiens et sur les apports des recherches consacrées à la Révolution pour nos sociétés contemporaines.

Maxime Kaci

Couv Guérin Blog

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Quel devenir pour l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) & sa bibliothèque?

04 lundi Jan 2016

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur Quel devenir pour l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) & sa bibliothèque?

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Albert Mathiez, Archives Parlementaires, Bruno Belhoste, Georges Lefebvre, IHMC, IHRF, Jacques Godechot, Jean-Clément Martin, Marc Bouloiseau

En tant qu’institution, l’IHRF a cessé d’exister le 1er janvier dernier. La question est notamment de savoir ce qui va advenir de la très riche (et encore récemment enrichie par plusieurs milliers d’ouvrages offerts par Michel Vovelle) bibliothèque du défunt institut.

Je publie ci-dessous les propos rassurants de Bruno Belhoste, directeur de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, auquel est désormais «intégré» l’IHRF, et la tribune inquiète de l’historien Jean-Clément Martin, parue sur le blog d’Alexis Corbière, du Parti de gauche.

Pigeons

Le mot du Directeur de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine

Depuis le 1er janvier 2016, l’Institut d’Histoire de la Révolution Française – IHRF est pleinement intégré dans l’IHMC. Cette intégration est un moment important dans l’histoire de l’IHRF. Elle ne constitue cependant ni une surprise, puisque cette opération était programmée, ni un bouleversement, puisque tous les enseignants-chercheurs de l’IHRF étaient déjà membres de l’IHMC. Seules les missions de service de l’IHRF, en particulier la bibliothèque et les Archives parlementaires, étaient jusqu’à présent réunis dans un pôle autonome, sous forme d’une UMS. C’est ce pôle qui vient rejoindre aujourd’hui l’IHMC, en sorte que l’IHRF se trouve désormais réunifié au point de vue administratif au sein d’un plus grand laboratoire.

Je tiens à bien préciser que, pour l’IHMC comme pour ses tutelles, l’intégration complète de l’Institut d’histoire de la Révolution française ne signifie pas sa disparition. La bibliothèque existe toujours et voit même sa dotation augmentée cette année, et le travail sur les Archives parlementaires continue. En étroite collaboration avec l’équipe, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, en tant que directeur de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine et responsable à ce titre de l’Institut d’histoire de la Révolution française, pour que les études révolutionnaires vivent toujours à la Sorbonne, dans la continuité de ce qui a été accomplie sous la direction des directeurs successifs de l’IHRF, et en particulier de Pierre Serna, son dernier directeur.

J’adresse à tous mes meilleurs voeux pour l’année 2016, qui sera pour l’Institut d’histoire de la Révolution française Paris I Panthéon Sorbonne l’occasion d’un nouveau départ.

Bruno Belhoste
Directeur de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine.

Faisceau Pique & Bonnet

La tribune de Jean-Clément Martin

L’année 2016 commence avec la disparition, en tant qu’institution, de l’Institut d’Histoire de la Révolution française au sein des organismes de recherches nationaux. L’événement peut passer inaperçu, il n’en est pas moins important pour l’école historique française, plus largement pour la communauté internationale des historiens de la période révolutionnaire, enfin, et aussi, pour évaluer l’intérêt porté par notre pays à son patrimoine historique et mémoriel. Très concrètement, l’IHRF possédait des missions, qui sont de facto, remises en cause ; il est donc nécessaire de mettre en évidence les enjeux que cette situation comporte, en laissant de côté, faute de compétences, les questions liées à l’administration et à la gestion de l’IHRF.

Depuis 1937, quand Georges Lefebvre l’avait créé à la suite du Centre d’études de la Révolution française, né cinq ans plus tôt sous la direction de Sagnac et d’un historien du droit, le réfugié russe Mirkine-Guetzevitch, l’IHRF avait été un lieu de rencontres, d’échanges et de publications. Pendant les années de guerre,entre 1940 et 1944, Lefebvre avait maintenu en son sein la vie de la recherche protégeant ainsi de son mieux des étudiants-chercheurs. J’avais eu la chance de rencontrer l’une de ses élèves, Olga Ilovaïsky, peu de temps avant son décès en 2009. Cette descendante directe d’un officier Russe blanc et qui n’avait jamais renié ses attachements familiaux avait été alors accueillie par Lefebvre dans l’Institut, avant d’y faire toute sa carrière. L’Institut vivait, souvent mal faute d’allocations suffisantes, mais attirait des personnalités du monde entier, assurait la publication des Archives Parlementaires et augmentait sa bibliothèque, recevant par exemple l’exceptionnel fonds Siderski, le tout faisant de ce lieu, au fil des années, un site unique pour travailler sur l’histoire de la Révolution.

La collection de livres imprimés, de mémoires de thèses ou de diplômes universitaires consacrés à la période révolutionnaire est, avec autour de 20 000 ouvrages, sans rivale, mais fragile. Aux achats indispensables, il faut ajouter un budget conséquent pour assurer la reliure d’ouvrages anciens et exercer une mise à disposition prudente d’œuvres rares. La question de la pérennité de cette entreprise se pose et ne doit pas être esquivée. Toute délocalisation et pire tout éclatement du fonds seraient une régression considérable et une perte pour la communauté internationale. Je me souviens du plaisir des historiens chinois pouvant feuilleter, librement, les exemplaires du Moniteur sur les tables de l’Institut. Comment garantir cette chance de circuler au milieu d’une documentation spécialisée, irremplaçable et riche ? Les travaux « de sécurité »réalisés au début des années 2000 en augmentant la surface et rénovant les rayonnages ont rendu cette collection véritablement accessible à tous les lecteurs. Qu’en sera-t-il demain ?

Que sera-t-il aussi de cette lente et interminable édition des sources de la série C rassemblées dans les volumes des Archives Parlementaires qui a toujours été effectuée au sein de l’IHRF par un personnel très formé, encadré par un ou plusieurs enseignants-chercheurs ? La tâche peut paraître désuète à l’heure des numérisations à tout va et des mises en ligne. Mais qui pourra dire qu’il n’est pas essentiel à notre démocratie d’établir scientifiquement les textes des discours et des lois qui la firent naître ? Ce fut au sein de l’IHRF, sous la direction de Lefebvre et de Marcel Reinhard aidés notamment par Marc Bouloiseau, que la publication des Archives Parlementaires put être reprise avec des normes garantissant l’authenticité des textes. La toute première série, désormais accessible sur Internet, n’avait pas bénéficié de cette attention érudite, qui ne cessa pas de s’approfondir ensuite jusqu’à maintenant, au fil d’un passage de témoin entre les générations. Que deviendront cet apprentissage et ce savoir faire ? Quelle fiabilité auront les publications à venir ? Faut-il rappeler l’importance que revêtent encore les débats parlementaires de cette période dans notre vie quotidienne?

Ce rappel des missions et des enjeux liés à l’Institut serait, malgré tout, incomplet s’il ne mentionnait pas les querelles parfois fort vives qui affectèrent l’Institut, à commencer par celle qui éclata dans les années 1950 à propos de la Révolution atlantique et de Jacques Godechot, qui y avait préparé sa thèse sous la direction de Mathiez puis de Lefebvre. Celles qui éclatèrent plus tard avant et après le bicentenaire de la Révolution sont connues, même s’il conviendrait de les étudier avec le recul dorénavant possible. Elles contribuèrent certainement à modifier l’image de l’Institut au moment où l’histoire de la Révolution redevenait une passion française, où les points de vue s’affrontaient avec virulence. Je garde pourtant en mémoire la diversité des présentations faites au cours des séminaires dans la salle Marc Bloch de la Sorbonne, y compris quand le choc des idées amena à ajouter une séance supplémentaire imprévue pour que les différences s’expriment, pour l’intérêt de tous. Il serait dommageable d’identifier l’Institut à une ligne de pensée uniforme.

Cette vitalité ne doit pas faire sous-estimer la fragilité de l’Institut, comme on le vit quand l’Unité de Recherche associée (URA) qui était son statut jusqu’au bicentenaire fut remplacée, en 1997, par une Unité mixte de Services (UMS 622), au statut moins noble, mais certainement plus pratique, autour de la bibliothèque et des Archives Parlementaires – correspondant exactement aux missions qui viennent d’être évoquées. Cette situation était certainement de peu d’envergure, voire incongrue au sein de la constellation institutionnelle du CNRS. Elle permettait cependant de rayonner, d’attirer des étudiants – me conduisant, par exemple, à diriger une vingtaine de thèses et habilitations, et plus de soixante-dix maîtrises, DEA, masters – sans que l’Institut ne menace personne, ne réclamant aucune exclusivité. Ce qui pourtant n’empêcha pas que des projets de recherche, inaboutis par ailleurs, puissent se monter sans l’inclure. Ce qui se passe en 2016 est tout à la fois brutal tout en étant annoncé, puisque les points forts de l’Institut, l’accueil et l’échange, la bibliothèque et les publications, entraient mal dans les critères d’évaluation.

Pour conclure, il faut demander si ce véritable « lieu de mémoire », et d’histoire, peut disparaître sans préjudice ? Comment penser qu’un centre connu du monde entier puisse être anéanti au moment où l’on cherche à développer des sites universitaires d’excellence en France ? Des années 1780-1810 qui virent la France entrer dans la modernité politique, ne va-t-il rester que l’époque napoléonienne à posséder un Institut épaulé par l’Université ? Pourquoi, d’ailleurs, ne pas s’inspirer de l’exemple de l’Institut Napoléon, dont un des présidents Marcel Dunan fut titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française, après Lefebvre, pour recréer un IHRF sur de nouvelles bases ? Je veux croire qu’une initiative « citoyenne », appuyée par les pouvoirs publics, comme ce fut le cas en 1937, mais aussi par les chercheurs français et internationaux, pourra inventer un cadre au sein des pyramides institutionnelles, permettant que les chercheurs intéressés par la Révolution, aujourd’hui plus nombreux hors de France que dans notre pays, puissent continuer à se retrouver autour d’un pôle de référence, appuyé sur une tradition forte, faisant en sorte que les efforts des générations passées ne soient pas perdus.

Jean-Clément Martin

Directeur de l’IHRF 2000-2008

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Sur l’historiographie contre-révolutionnaire au début du XXe siècle, par Guillaume Mazeau.

12 mardi Août 2014

Posted by Claude Guillon in «Documents»

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Charlotte Corday, Drieu La Rochelle, Georges Lefebvre, Guillaume Mazeau, Marc Bloch, Société des études robespierristes

Dans notre série — ce pourrait être une rubrique ! — « Il n’est jamais trop tard pour bien faire », au fil de mes vagabondages sur le Net à partir d’une polémique sur les Rencontres de Blois de l’automne 2014, consacrées aux « rébellions », et le choix discutable d’un Marcel Gauchet pour les introduire (lui qui s’emploie plutôt à les réduire), je tombe sur un texte passionnant de Guillaume Mazeau (un multirécidiviste !), publié — dans une version semble-t-il fautive — dans le livre dirigé par Sophie Wahnich : Transmettre la Révolution française, histoire d’un trésor perdu, Les Prairies ordinaires, 2013.

 

Je ne donne ici, pour inciter à sa lecture, que les quatre derniers alinéas de ce long texte, qui permettra à beaucoup de lecteurs et de lectrices d’identifier politiquement les auteurs d’ouvrages sur lesquels ils/elles tombent nécessairement (et souvent !) dans leurs flâneries sur la toile ou chez les libraires d’ancien, par exemple Lenôtre ou Gaxotte.

 

Le texte de Mazeau a été publié en juin 2013 sur le blog Aggiornamento hist-geo, que consulteront avec profit celles et ceux qui s’intéressent à l’enseignement de l’histoire et de la géographie et au sort façon peau de chagrin réservé à ces deux disciplines par les gouvernements successifs, droitiers ou gauchers.

 

Comme à mon habitude, je n’ai pas repris les notes. On se reportera avec d’autant plus de curiosité à l’original.

 

La Bataille du public. Les droites contre-révolutionnaires et la Révolution française dans la première moitié du XXe siècle.

 

En 1933, un pamphlet intitulé Dictature, Extrémistes contre extrémistes est publié chez Maurice D’Hartoy, le fondateur des Croix de Feu. Le livre est l’œuvre d’un certain comité Corday qui se revendique antiparlementaire, belliciste, xénophobe, anticommuniste. Il s’inspire de Mussolini et Hitler pour prôner l’avènement d’une dictature. Dès le 28 novembre 1940, au Palais-Bourbon, le théoricien du parti nazi Alfred Rosenberg prononce une conférence très médiatisée qui sera ensuite publiée sous le titre Sang et or ou l’or vaincu par le sang. Règlement de compte avec la Révolution de 1789. En 1941, Drieu La Rochelle fait jouer en zone libre sa pièce intitulée Charlotte Corday, présentée comme un remède au déclin d’une société française rongée par la « juiverie » : avec la presse, le théâtre est un des lieux de diffusion de la pensée contre-révolutionnaire. Le 21 janvier 1943, le journal L’Action française consacre son numéro à la mort de Louis XVI. Si la Révolution est honnie, les fascistes ultras l’instrumentalisent en vantant, à d’autres fins, les mérites des épurations de la Terreur.

 

Dans les manuels scolaires, la Révolution française est présentée comme une période de décadence. Afin d’effacer ce qu’il considère comme de la propagande, le régime de Vichy commande huit mille exemplaires de 89, le livre de Georges Lefebvre, afin de le mettre au pilon. Muselés, les historiens universitaires républicains n’en demeurent pas moins actifs. Dès 1940, la Société des Etudes Robespierristes doit interrompre la publication des Annales historiques de la Révolution française, et sera affaiblie par l’engagement collaborationniste de certains membres de son Comité directeur. Après avoir cherché à défendre l’actualité de la Révolution en 1939 (« Les principes de 1789 dans le monde actuel », conférence donnée le 22 février 1939 au Cercle Descartes), resté à son poste pendant l’Occupation, Lefebvre continue quant à lui à faire de l’histoire sociale et à donner des cours publics sur la Révolution. Le 14 juillet 1945, la Révolution redevient, dans une atmosphère provisoire de liesse collective, l’événement fondateur de la République retrouvée. Rédigées en prison, les dernières pensées de Robert Brasillach (1945), ainsi que les Réflexions sur la Révolution de 1789 (1948) de Charles Maurras témoignent pourtant de la survie souterraine de la pensée contre-révolutionnaire.

 

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, tentant de comprendre la faillite intellectuelle et morale qui a plongé la France dans une dictature collaborationniste, prenant les accents d’Henri-Irénée Marrou (« Tristesse de l’historien », Esprit, avril 1939) ou de Marc Bloch qui, dans L’Etrange défaite (1940), avait regretté le manque d’engagement des « savants de laboratoire », Georges Lefebvre dénonce à son tour les « professeurs qui n’ont pas su [faire aimer la République] en la réduisant à un effort apparemment vain de la mémoire, sans éveiller l’imagination par le spectacle pittoresque, fourmillant et bariolé du passé, sans intéresser la raison par la recherche des causes, sans la mettre en rapport avec la vie ».

La prise de conscience est amère : les « maîtres d’école » ont en partie échoué à concurrencer la diffusion massive de l’histoire contre-révolutionnaire dans les années 1920 et 1930 et n’ont rien pu faire pour défendre les idées qui avaient participé à construire la IIIe République. Fort de ses vingt-cinq années d’expérience dans l’enseignement secondaire, Lefebvre n’ignore pourtant pas que pour les pédagogues à la fois tenus par la nécessité de séduire, voire de conquérir un public et contraints par une éthique scientifique, le défi de la transmission est bien plus lourd à relever que pour les historiens qui se contentent de raconter tout en faisant, au mieux, semblant d’observer des règles méthodologiques  : « Il nous faudrait non seulement le talent de ressusciter la couleur et le pittoresque du passé que l’homme de lettres revendique comme les siens,  mais aussi le mérite original de projeter la lumière dans le chaos des faits et dans le lacis complexe des explications ».

On ne saurait mieux résumer les apories face auxquelles les historiens universitaires seront de plus en plus confrontées dans la seconde moitié du XXe siècle, alors que de nouveaux médias de masse comme la radio, la télévision, le livre de poche, le cinéma puis internet s’imposeront comme les vecteurs principaux de la transmission du passé révolutionnaire et donneront une place disproportionnée aux thèses contre-révolutionnaires, au point de les banaliser et de nourrir, discrètement, les actuelles recompositions idéologiques et politiques de l’extrême-droite française.

 

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“La Révolution française à Lyon – liberté ou égalité” ~ un livre de Takashi Koï, présenté par lui-même

01 vendredi Août 2014

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque», «Documents»

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Albert Soboul, Édouard Herriot, Collot d’Herbois, Commune-Affranchie, Couthon, Fouché, Georges Lefebvre, Japon, Joseph Chalier, La Révolution à Lyon, Maurice Garden, Michel Vovelle, Raymonde Monnier, Takashi Koï

 

En prélude au colloque franco-japonais de septembre prochain, annoncé ici-même, et auquel il doit participer, j’ai le privilège de donner le résumé du livre que M. Takashi Koï a publié au Japon en 2006 : La Révolution française à Lyon―liberté ou égalité (Rikkyo University Press, 727 p.), résumé qu’il a bien voulu me confier pour publication.

L’ouvrage de M. Koï a été recensé dans les Annales historiques de la Révolution française (n° 355, janvier-mars 2009), par Raymonde Monnier et Riho Hayakawa.

Comme il le rappelle, M. Koï — que j’avais eu le plaisir de rencontrer à Tokyo en 1990 — a travaillé de longue date sur la Révolution à Lyon, ayant rédigé sa thèse, au milieu des années 1970, sur les partisans de Chalier, que l’on désigne sous l’appellation de « Chaliers ».

Cette présentation a été rédigée en français par M. Koï lui-même. Il doit être remercié pour l’effort fourni pour s’exprimer dans une langue aussi difficile que la nôtre, qu’il pratique à l’écrit et à l’oral. On comprendra que ce texte n’a pas de prétention littéraire et vise simplement à offrir au public francophone un premier accès à l’énorme travail de M. Koï, dont il faut souhaiter, après Raymonde Monnier et Riho Hayakawa, qu’il puisse être prochainement traduit et publié en français.

En l’état, le livre peut d’ailleurs être utilisé (il l’a déjà été) par des historiens ou des étudiants francophones puisque les légendes des nombreux tableaux sont indiquées à la fois en français et en japonais (voir illustration ci-après).

L’auteur a eu la générosité d’accepter quelques suggestions de mise en forme de son texte (les discussions ont eu lieu par échange de courriels). Si d’aventure telle correction a pu altérer sa pensée, je dois en être tenu pour seul responsable. On pardonnera facilement à l’auteur (et, je l’espère, au relecteur) quelques maladresses d’expression que seul un travail de traduction intégrale à partir du texte original japonais permettra de pallier.

Quant au fond, l’ouvrage de M. Koï est une somme qui fait date dans l’historiographie de la Révolution à Lyon. Cela n’empêchera pas, au contraire, d’examiner de manière critique certaines de ses appréciations, qu’il s’agisse du dilemme « liberté ou égalité », ou de ce qui me paraît être une sous-estimation (d’ailleurs banale) du rôle des femmes, question qu’il aborde rapidement dans la conclusion du présent résumé.

Raison de plus — je me répète à dessein — pour souhaiter une traduction rapide !

 

Capture d’écran 2014-08-01 à 10.18.06

Couverture de «La Révolution française à Lyon» (Cliquez sur l’image pour l’AGRANDIR).

 

 

Réflexion sur la Révolution française à Lyon, par Takashi Koï

 

Mots-clés : peur du jacobinisme, analyse quantitative de la Terreur, révolte à Lyon, représentation nationale.

1

Je m’intéressais au mouvement populaire urbain et régional sous la Révolution française et — il y a 35 ans, en 1975 —, j’ai soutenu ma thèse intitulée « Les sans-culottes lyonnais et les Chaliers » sous la direction du professeur Maurice Garden (l’un des membres du jury était Albert Soboul). Par ailleurs, à travers cette étude je me suis rendu compte de l’importance de la révolte de Lyon en 1793 et de la Terreur jacobine qui lui a fait suite une fois que la ville a été rebaptisée Commune-Affranchie, dans lesquelles on peut trouver les phénomènes caractéristiques de la Révolution française à Lyon. Par l’étude de la révolte et de la Terreur à Lyon, on peut reconsidérer quelques conceptions habituelles relatives à l’histoire de la Révolution française, non limitées d’ailleurs au cadre régional. La révolte de Lyon est typique de ces mouvements non seulement « contre-révolutionnaires » mais « antijacobins », mais on y retrouve aussi des sentiments de peur du jacobinisme. D’autre part la Terreur à Commune-Affranchie est aussi typique des terreurs jacobines trouvées à Paris et dans diverses régions de France. Dans le cas de Commune-Affranchie, on peut mesurer quantitativement le poids de la Terreur qui n’est pas encore précisément connu, grâce aux archives importantes de la période révolutionnaire. J’ai récemment publié en japonais un livre intitulé La Révolution française à Lyon―liberté ou égalité, qui suit le processus de la Révolution à Lyon depuis sa veille jusqu’à la réaction thermidorienne, en centralisant mes analyses sur la révolte de Lyon et la Terreur. Je voudrais résumer ici les conclusions principales de ce livre qui concerne la révolte et la Terreur à Lyon, en omettant la première partie (qui va de la veille de la Révolution à la chute des Chaliers le 29 mai 1793) ainsi que les détails de mes recherches présentés dans ce livre.

2

Le 29 mai 1793, la Municipalité des Chaliers qui avait tenté d’installer la Terreur à Lyon, a été battue par une insurrection de la majorité des sections. Les Chaliers ont été arrêtés et le Comité de salut public du département de Rhône-et-Loire, le Club des Jacobins et les Clubs de sections à Lyon ont été dissous par la Municipalité provisoire composée des présidents et des secrétaires de l’assemblée de section. Au contraire, le 2 juin 1793, quatre jours après l’insurrection de Lyon, les sans-culottes parisiens des sections insurrectionnelles ont obligé la Convention nationale à arrêter les députés girondins. Après cette affaire, commence l’étape la plus radicale de la Révolution, la Terreur jacobine. Par conséquent, Lyon qui a pris une direction différente de celle de la Révolution française à Paris, passe pour être contre-révolutionnaire. C’est la révolte de Lyon. Cette révolte est définitivement réprimée par la force armée conventionnelle, après que les négociations ont été rompues entre Lyon insurgée et la Convention montagnarde. Les représentants du peuple en mission entrent dans la ville de Lyon avec les troupes assiégeantes le 9 octobre 1793. Ils mettent en application la Terreur jacobine qui continuera jusqu’à thermidor de l’an II. Environ deux mille accusés sont condamnés à mort, guillotinés ou fusillés.

On peut alors se demander quels sujets de recherche apparaissent dans cette révolte de Lyon sur laquelle les études ont peu avancé depuis le Lyon n’est plus d’Édouard Herriot publié en 1934-1940. D’après un grand nombre de documents de la période révolutionnaire qui sont heureusement conservés aux Archives à Lyon, se reportant aux grandes études sur l’histoire de la Révolution française des années 1930 jusqu’à ce jour (par exemple, dans l’œuvre de George Lefebvre, Albert Soboul et Michel Vovelle), on peut faire revivre l’image de la révolte de Lyon et reconnaître sa situation significative dans la Révolution française. On peut, en outre, mesurer quantitativement le nombre et la composition socioprofessionnelle des insurgés, et l’étendue géographique de la révolte par l’utilisation de la méthode analytique de l’histoire sociale et démographique.

3

La Révolution française à Lyon suit le cours de la révolte, examinant les diverses questions découlant de son processus. On peut ainsi savoir comment l’antagonisme entre Lyon insurgée et la Convention montagnarde a commencé, en raison de quelles causes le siège s’est prolongé jusqu’en octobre, ou encore quelles étaient les organisations principales qui avaient dirigé la révolte à Lyon. De plus, on doit envisager : l’accueil des Conventionnels girondins en fuite à Lyon, le procès des Chaliers, l’acceptation d’actes constitutionnels jacobins à Lyon, le recrutement de l’armée départementale et la souscription pour les frais de guerre, la formation de la Commission populaire républicaine et de salut public de Rhône-et-Loire, l’établissement du Secrétariat général des sections, ainsi que leurs activités pendant la révolte, etc. Pourtant nous n’évoquerons pas ici ces thèmes, mais nous allons montrer les caractères essentiels de la révolte à Lyon.

* * *

Premièrement, la révolte de Lyon est caractérisée par la mentalité de peur du jacobinisme ou des jacobins. De même que Riffaterre a tenu l’insurrection du 29 mai 1793 pour un mouvement de peur sociale, on peut considérer que la révolte de Lyon est, depuis son déclenchement jusqu’à la fin, emplie de cette peur du jacobinisme, peur qu’il n’est pas nécessaire cependant de qualifier comme particulièrement « sociale ». Nous ne redirons pas ici la grande inquiétude ou la grande peur qu’ont provoquée les discours des Chaliers exigeant l’application de la Terreur, parmi les habitants des quartiers avant l’insurrection du 29 mai. De plus, les habitants n’oublient pas cette peur du jacobinisme après le 29 mai et en parlent toujours. Elle a plutôt été amplifiée par les rapports des commissaires de Lyon envoyés à Paris, les propos des Conventionnels girondins en fuite à Lyon, l’arrivée des envoyés de Marseille et des autres villes fédéralistes et les menaces des représentants du peuple et de la Convention montagnarde. Elle contraint les insurgés à une résistance totale. Pour citer un bref exemple, les citoyens de la section de Porte-Froc expriment ainsi leurs sentiments de peur envers la Terreur des Chaliers dans leur proclamation du 11 juin 1793 : « Si nous avions été vaincus […] père, époux, femmes, enfans [sic], tous devoient être égorgés [1]. »

Les commissaires de Lyon envoyés à Paris au début de juin ont rapporté, avec la peur du jacobinisme, l’idée que la situation à Paris depuis le 31 mai était pareille à celle de Lyon sous la Municipalité des Chaliers avant le 29 mai. Les Conventionnels girondins en fuite à Lyon ont alimenté la peur du jacobinisme en mentionnant les forfaits des montagnards. Les insurgés lyonnais ont considéré que la subordination aux jacobins permettait le despotisme, l’anarchie, le meurtre et le pillage. Leur résistance totale pendant deux mois prouve-t-elle alors la force de cette peur du jacobinisme ? Les insurgés lyonnais n’acceptent absolument pas, jusqu’à la fin du siège, les décrets particuliers de la Convention montagnarde concernant le département de Rhône-et-Loire et ses habitants, ce qui n’est pas sans rapport avec la peur du jacobinisme. Car s’ils avaient accepté ces décrets particuliers, ils auraient reconnu le caractère illégal de leur insurrection ; Lyon alors aurait été occupé par les assiégeants, et les insurgés auraient été arrêtés, condamnés à mort et tous leurs biens auraient été confisqués. Il était possible que les désastres dont ils avaient peur avant l’insurrection du 29 mai soient devenus une réalité. Le massacre de Sautemouche (l’un des Chaliers), mis en liberté sous caution, le 27 juin 1793, est aussi un témoignage de la haine et de la peur envers les Chaliers. C’est une affaire qui se situe à l’inverse des septembrisades de Paris. Elle prouve qu’il n’existe pas seulement la peur d’un complot de l’aristocratie, mais aussi la peur de la gauche, des Chaliers ou des jacobins. Au commencement et dans le courant de la Révolution française, la peur du complot de l’aristocratie et la peur du despotisme et de la Terreur des jacobins apparaissent. Cette dernière pousse le reste de la nation à s’unir contre les jacobins, les enragés et les militants sans-culottes radicaux, et ainsi que l’autre fait se lever la masse populaire et pousse le Tiers d’état à s’unir contre l’aristocratie. La peur des jacobins a empêché le maintien et le rétablissement de la politique révolutionnaire jacobine, de même que la peur du complot de l’aristocratie a empêché la Contre-Révolution. En conséquence la Révolution française s’est installée dans la mesure où ces deux peurs n’ont pas été effacées.

Deuxièmement, l’importance des sections est une caractéristique de la révolte à Lyon. Les sections ont toujours soutenu la révolte depuis son commencement jusqu’à sa fin, bien que cette révolte ait été dirigée par la Municipalité provisoire de la ville de Lyon et la Commission populaire républicaine et de salut public de Rhône-et Loire. La révolte a été lancée et terminée par l’Assemblée ou le Comité des commissaires de sections. C’est un symbole de l’importance des sections dans cette révolte. Les sections de Lyon ont été dirigées par les citoyens modérés, qui ont eu, sans cesse, soin d’administrer démocratiquement leur section et qui ont appuyé d’en bas les organisations dirigeantes de la révolte. Ce qui est sûrement l’un des ressorts de la révolte durant ces quatre mois. Leur pratique est si démocratique qu’il n’est pas facile de la distinguer de la démocratie sans-culotte de Paris. Les militants sectionnaires à Lyon ont tendance à l’individualisme, tandis que les sans-culottes parisiens tendent à une vision collective. Les insurgés lyonnais préfèrent le scrutin secret et individuel au vote en masse, tandis que les sans-culottes parisiens adoptent un vote à haute voix ou par applaudissement. Si les militants sectionnaires à Lyon préfèrent la perfection de la démocratie représentative à la démocratie directe, leur pratique sectionnaire a une tendance rousseauiste, parce qu’ils permettent à tous les adultes masculins d’assister à l’assemblée de section et montrent la volonté générale dans l’assemblée de section [2].

De plus les sections de Lyon échangent leurs opinions et constituent un réseau étroit, dont le pivot est le Secrétariat général des sections. Il n’est pas devenu un organisme autonome comme le Club central des Chaliers qui a dépassé la limite de son pouvoir par son règlement. Il fonctionne pour exprimer la volonté générale des sections, se consacrant sans cesse aux communications entre les sections de Lyon. On peut se référer aux Tableaux 67~73 dans mon livre pour savoir dans quelle mesure fonctionnait ce réseau sectionnaire.

Troisièmement, les insurgés ont exclu les partisans des Chaliers des organisations dirigeantes de la révolte et des activités sectionnaires. La répression contre les Chaliers et leurs partisans n’en a pas moins été limitée par rapport à celle de la Terreur jacobine après le siège de Lyon.

Quatrièmement, non seulement la révolte de Lyon représente une lutte contre la Municipalité des Chaliers (c’est-à-dire que c’est une affaire régionale), mais encore elle s’est transformée en contestation de la légitimité de la Convention montagnarde, dix jours après son commencement, puisque les insurgés lyonnais ont allégué le défaut de l’intégralité de la représentation nationale pour résister à la Convention montagnarde [3].

Les arrestations des Conventionnels girondins sont-elles légales ? Si les députés ne représentent pas l’intérêt régional de leur circonscription électorale, mais l’intérêt de la nation, la Convention qui a exclu une partie de ses députés, représente-elle encore la nation ? Peut-on dire qu’on a jusqu’ici étudié le jacobinisme en négligeant cette problématique ? Sans doute, et en d’autres termes on peut dire que la révolution sociale ou l’égalité sociale (les ultra-jacobins comme Fouché et Collot d’Herbois ont essayé de l’accomplir par la Terreur) a nui à la démocratie politique ou à la liberté politique. On conçoit alors que la démocratie politique ou la démarche démocratique ne sont pas des questions importantes par rapport à l’idéal de la démocratie sociale et de la révolution sociale. Si l’on a suivi le processus de la Révolution française à Lyon, on pourra comprendre l’incompatibilité de ces deux formes de démocraties : la liberté et l’égalité. « La liberté et l’égalité » se transforment de fait en « la liberté ou l’égalité » au cours de la Révolution française. En considérant la Révolution socialiste en Russie et la chute de l’U.R.S.S., la problématique de la compatibilité de deux démocraties nous est encore familière aujourd’hui. Il n’est donc pas inutile de relativiser le jacobinisme du point de vue d’un mouvement « contre-révolutionnaire » ou antijacobin dans la révolte de Lyon. À cet égard, l’étude de cette révolte et de la Terreur jacobine à Lyon contribue à une révision même de la Révolution française qui était surtout expliquée par le discours des jacobins, et à la reconsidération de l’interprétation sociale de la Révolution française qui a aussi son origine dans le jacobinisme.

Cinquièmement, la tendance modérée de la révolte à Lyon est exprimée par le mode de perception des frais de guerre. Les insurgés dirigeants ont d’abord proposé des nouveaux « sous additionnels » sur les contributions foncières et mobilières de la majorité des citoyens, en évitant la taxe forcée sur les riches et en ouvrant la souscription patriotique. Ils ont laissé cette souscription patriotique à la volonté des riches. En conséquence la Commission populaire a prévu une souscription patriotique d’un montant total de 6 millions de livres pendant la révolte. C’est la même somme que la taxe forcée sur les riches imposée par les Chaliers avant l’insurrection du 29 mai. La Municipalité des Chaliers a en effet exigé 1 million 285 milles livres aux riches de la section Égalité [4]. Cette souscription patriotique n’a pas dépassé 6 millions de livres et n’était pas suffisante pour payer les frais de guerre pendant le siège. (Par exemple, un seul salaire annuel de l’armée départementale représente 6 millions 570 mille livres.)

Sixièmement, on a considéré, jusqu’à présent, que les girondins fuyant Paris ont fomenté des mouvements fédéralistes dans les régions, et la révolte à Lyon fait partie de ce mouvement. À mon avis, la révolte de Lyon n’a pas été exclusivement causée par le fédéralisme. Lyon n’a pas tardé pourtant à s’associer avec les villes et départements fédéralistes pour résister à la Convention montagnarde. Mais après que les forces fédéralistes du Sud et de l’Ouest ont subi des défaites militaires provoqués par les troupes de la Convention montagnarde, Lyon n’a ni l’intention ni la capacité de continuer le mouvement fédéraliste sans l’aide des autres départements. Les insurgés lyonnais devaient s’occuper de la défense de la ville. Autrement dit, le mouvement fédéraliste auquel Lyon a pris part, n’a pas été assez fort pour prétendre substituer l’État fédéraliste et décentralisé au régime centralisateur de la Convention montagnarde. Il a, semble-t-il, insisté sur le ralliement des forces des départements antimontagnards. Pourtant il a été écrasé par les troupes militaires envoyées par la Convention montagnarde. Considérant la fragilité de ce mouvement fédéraliste, la menace de fédéralistes contre-révolutionnaires aurait été exagérée, exprès ou inconsciemment, par le discours des jacobins. On n’en reconnaît pas moins l’idée de l’État décentralisé des insurgés lyonnais dans leurs critiques concernant les actes constitutionnels de la Convention montagnarde.

Lyon n’a donc presque jamais expédié de troupes hors du département du Rhône-et-Loire, sans même parler de marcher sur Paris. Le comportement des troupes lyonnaises a eu pour but de saisir la manufacture des armes de Saint-Etienne et il s’est presque limité au département de la Loire. Ce qui est en accord avec le caractère défensif de la révolte.

Septièmement, alors la révolte à Lyon n’a-t-elle pas eu une tendance à soutenir le royalisme et les contre-révolutionnaires ? Il est bien évident qu’elle n’est pas essentiellement « contre-révolutionnaire », si l’on entend que la « contre-révolution » a pour but le rétablissement de l’Ancien Régime. Les insurgés lyonnais ont prêté le serment « Liberté, Égalité et la République une et indivisible » dans les cérémonies et la formule figure sur les papiers officiels pendant le siège. La plupart des insurgés n’ont jamais eu de doutes sur ce serment. Néanmoins, il se peut que la révolte ait rallié tous les contre-révolutionnaires, seulement pour résister à l’autorité gouvernementale de l’époque. Les dirigeants insurgés ont proposé à Perrin-Précy (émigré royaliste) un poste de général en chef d’armée départementale et ont approuvé tacitement la décision de Précy de nommer 7 ex-nobles comme ses aides de camp dans son quartier général. Il y avait 43 ex-nobles dans l’armée départementale.

Les nobles et les notables sous l’Ancien Régime sont aussi compris parmi les membres principaux de la Commission populaire. Les ex-nobles et les (ex-)prêtres représentent 17,4 % des membres dont nous pouvons identifier les professions (Tableau 46, p. 521). Quelques insurgés dirigeants sont, semble-t-il, royalistes. On trouve au moins une tendance potentielle contre-révolutionnaire ou royaliste dans le quartier général de l’armée départementale et la Commission populaire et chez les militants de la section de Porte-Froc (Tableaux 56 et 56 bis, pp. 563-4). Les jacobins ont surtout souligné ce caractère royaliste de la révolte.

Huitièmement, Lyon a sanctionné le projet de la Constitution montagnarde à la majorité de voix de 99 %. Cela signifie que Lyon a reconnu la République démocratique établie par la Révolution du 10 août 1792 et que la révolte à Lyon n’est pas essentiellement contre-révolutionnaire. Lyon a plutôt souhaité la mise en vigueur de cette Constitution le plus tôt possible. Malgré tout, l’attitude critique de Lyon à l’égard de la Constitution jacobine est représentée par le nombre de voix d’approbation conditionnelle (45% des suffrages). Par leurs amendements, les insurgés lyonnais désirent voir établir un gouvernement représentatif démocratique et la décentralisation administrative. Ils s’opposent ainsi à un corps législatif unique et puissant, et affirment la nécessité d’un équilibre des pouvoirs entre le corps législatif, d’une part les corps judiciaires et administratifs, d’autre part, surtout les autorités locales comme on peut le voir dans la Réflexion d’un véritable républicain, sur les intérêts du Peuple Français adressée aux citoyens du département de Rhône-et-Loire, dans leurs assemblées primaires [5]. En conséquence l’affaire de la sanction de la Constitution montagnarde a permis de mieux comprendre les tendances politiques des insurgés lyonnais, qui sont différentes de celles de la Montagne, et en même temps de saisir que leur opinion critique sur la Constitution de 1793 met en relief ses lacunes, par exemple son impossibilité de faire sanctionner tous les projets de loi par le peuple.

Capture d’écran 2014-08-01 à 10.18.39

Les légendes de tous les tableaux de l’ouvrage sont indiquées à la fois en japonais et en français (cliquez sur l’image pour l’AGRANDIR).

4

La deuxième partie de La Révolution française à Lyon est consacrée à l’analyse de l’organisation de la révolte et de l’attitude des révoltés pour éclairer la structure interne de la révolte. Lire la suite →

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Taboureau de Montigny, l’Enragé d’Orléans, par Albert Mathiez (1ère partie)

31 samedi Mai 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Taboureau de Montigny, l’Enragé d’Orléans, par Albert Mathiez (1ère partie)

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Albert Mathiez, Éric Hazan, Communisme, Enragé·e·s, Georges Lefebvre, Jacques Roux, Taboureau de Montigny

 

Je m’étais jusqu’ici intéressé presque exclusivement aux Enragé(e)s agissant à Paris, avec une exception pour les Lyonnais qu’avait fréquentés Théophile Leclerc (les « Chalier »). La tâche entreprise ici de constituer progressivement une bibliothèque virtuelle de documents utilisables en mode texte (par copier/coller), et les moyens techniques sans commune mesure avec ceux disponibles il y a vingt ans me donnent l’occasion et le moyen de combler cette lacune.

Je commence par republier ci-après la première partie (sur deux) d’un article d’Albert Mathiez intitulé « Un enragé inconnu Taboureau de Montigny », publié initialement dans les Annales historiques de la Révolution française, en 1930 (t. VII, pp. 209-230). La seconde partie suivra, puis j’évoquerai les travaux de Georges Lefebvre (lesquels, n’étant pas dans le domaine public, ne peuvent être repris in extenso). Peut-être sera-t-il possible par la suite de compléter les informations disponibles, dues à ces deux auteurs sur l’avocat d’Orléans.

Mathiez, on le verra dès les premières lignes de son texte place très haut Taboureau de Montigny, plus haut que Roux, en tout cas. Il est vrai qu’il n’aime guère ce « curé rouge » (« Alors que Jacques Roux, le chef des Enragés parisiens, continuait à dire sa messe en pleine Terreur, Taboureau attaquait “l’autel de la supersti­tion” »).

Lefebvre, lui, pour justifier le classement de Taboureau parmi les Enragés, évalue sa doctrine par rapport à Jacques Roux. Commentant le texte de la Réponse des sections du Calvaire et de l’Hôpital réunies à l’adresse des corps administratifs relativement aux taxations de comestibles, rédigé par Taboureau, Lefebvre écrit : « Jacques Roux n’aurait pas désavoué le morceau. Taboureau mérite bien d’être classé parmi les Enragés1 ».

L’originalité de Taboureau, que Mathiez met en lumière, est d’avoir très tôt (dès 1789) théorisé un système de taxation des prix pour assurer le droit aux subsistances. Il postule également un droit naturel à la terre.

Mathiez voit dans l’action de Taboureau, qui ne s’est pas contenté d’écrire des libelles mais a agi avec les sections orléanaises, l’illustration qu’ « au dessous de la Révolution officielle et bourgeoise il y en eut pourtant une autre, toute populaire, qui est restée dans la pénombre ». Il ajoute, à propos des textes que l’avocat rédigea pour ses concitoyens ou qu’il leur fit adopter : « C’est en lisant de pareils documents qu’on se rend compte de l’erreur profonde des historiens qui persistent, malgré l’évidence, à nier que la lutte des classes a joué un rôle dans les crises politiques de la Révolution ». Erreur qui n’a cessé depuis de prendre des tournures nouvelles, jusqu’aux écrits récents d’Éric Hazan, décrivant — pour la mieux magnifier ! — une Révolution sans lutte des classes puisque sans classes.

Nota. J’ai créé plusieurs alinéas pour mieux mettre en valeur les citations de Taboureau. Les cotes de la BN et des AN ont été actualisées.

Les Enragés sont les agitateurs populaires qui proposaient comme remèdes au renchérissement excessif et à la rareté des subsistances et des denrées de première nécessité, la réquisition, la taxation ou fixation officielle des prix, et la répression de l’accaparement. On commence à connaître les Enragés parisiens : le prêtre Jacques Roux, le commis des postes Varlet, qui se faisait appeler Apôtre de l’Égalité, le volontaire et journaliste Théophile Leclerc d’Oze. On sait qu’ils acquirent une grande popularité parmi les masses souffrantes et que leurs manifestations inquiétèrent la Commune, le Comité de Salut public et la Convention elle-même pendant la plus grande partie de l’année 1793. La loi sur l’accaparement et le maximum furent leur œuvre. Ils forcèrent les gouvernants à renoncer malgré eux à la liberté économique et à remettre en vigueur les vieilles mesures d’intervention et de réglementation de l’ancien régime.

Ce qu’on connaît moins bien, ce sont les agitateurs qui opérèrent loin de Paris, dans les départements et qui se firent, eux aussi, les organes des classes déshéritées en proie à la disette et à la misère. L’histoire, qui ne s’attache qu’aux premiers rôles, a oublié jusqu’aux noms de ces hommes obscurs qui déployèrent cependant un courage réel, souvent récompensé par la prison et les persécutions. Au dessous de la Révolution officielle et bourgeoise il y en eut pourtant une autre, toute populaire, qui est restée dans la pénombre, parce qu’elle n’a pas réussi ou plutôt parce que ses brefs succès ont été arrachés de haute lutte et ont disparu avec les circonstances qui les avaient imposés.

Les principes des deux Révolutions, l’officielle et la populaire, s’opposaient. L’une reposait sur l’individualisme, l’autre sur le solidarisme. L’une déniait à l’État tout droit d’intervention dans le domaine économique. Elle faisait de la propriété individuelle un dogme. L’autre, toute imprégnée de la vieille conception de l’État-Providence et de la notion chrétienne du juste prix, plaçait au-dessus du droit de propriété le droit à la vie et sommait les gouvernants de venir au secours des pauvres dans leur lutte inégale contre les détenteurs des richesses et des biens.

La plupart du temps, les Enragés n’avaient pas raisonné leurs doctrines. Les mesures qu’ils proposaient ne sortaient pas de vues théoriques, mais des nécessités de la situation. Ils étaient de purs empiriques. Assez différent des autres est l’Enragé d’Orléans Taboureau de Montigny, sur lequel j’ai réuni quelques renseignements. Celui-ci n’a pas attendu 1793 pour demander la fixation des prix. Il est en possession d’un système qu’il formule dès 1789 et ce système n’a pas été conçu uniquement pour remédier à une crise temporaire. Dans la pensée de son auteur, il doit s’appliquer en permanence, car il est la condition de la société juste. C’est le statut économique de l’État nouveau que la Révolution qui commence doit mettre en construction.

Je ne sais pas grand chose malheureusement de la famille et des antécédents de ce réformateur inconnu. Il s’appelait François Pierre et, avant la Révolution, il ajoutait à son patronyme de Taboureau le nom de Montigny qui était sans doute un nom de terre, car il n’était pas noble2. Il était né à Orléans, à une date que j’ignore, et il y mourut en 1803. Sa profession était homme de loi. Il signe sa première brochure du titre d’avocat au Parlement, avocat au Parlement de Paris sans doute, car il nous apprend lui-même qu’il est rentré à Orléans, sa ville natale, depuis le 26 septembre 1788. Il ajoute dans ce document, qui est un mémoire adressé au Comité de Sûreté générale3, le 15 novembre 1793 :

« Il est notoire qu’en ma qualité d’homme de loi, bien loin d’avoir fait des spéculations de fortune, je me suis rendu odieux à tous les riches par le genre et la nature de mes opinions républicaines. Dans cette extrémité fâcheuse, au lieu de renoncer à mes principes, j’ai fait tourner mon infortune au proffit de l’humanité souffrante et je me suis constitué l’avocat des pauvres. La deffense gratuite de l’oprimé contre l’opresseur a toujours été le plus sacré de mes devoirs ».

Quand Taboureau sera persécuté et emprisonné sous la Terreur, la société révo­lutionnaire et républicaine d’Orléans, qui interviendra en sa faveur, attestera, en effet, que « Taboureau était l’ami de la Liberté avant la Révolution ; que depuis cet événement heu­reux, il s’est montré constamment le deffenseur du peuple et l’effroy des aristocrates et des contre-révolutionnaires, de quelque nature qu’ils soient, que ses mœurs, son extrême pauvreté, sa fermeté austère et républicaine auroient dû lui mériter l’estime du [représentant] Laplanche et non sa proscription4 ». Donc le cabinet d’avocat de Taboureau était déserté par la clientèle riche et il plaidait pour les pauvres. Le document de la Société populaire d’Orléans, que je viens de citer, ajoute encore que « sa famille indi­gente ne subsistait que de son travail ». Il aimait les pau­vres parce qu’il les connaissait, parce qu’il vivait de leur vie, parce que les siens en étaient. Lire la suite →

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