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LA RÉVOLUTION ET NOUS

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“Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

20 mardi Juil 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

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Albert Soboul, Antonio Gramsci, Denise Maldidier, Félix Guattari, Florence Weber, François Furet, Gilles Deleuze, Hanriot, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jürgen Habermas, Jean Jaurès, Jean-François Lyotard, Kant, Karl Marx, Le Père Duchesne, Lucien Calvié, Michel Vovelle, Philippe Dujardin, Prise de la Bastille, Sieyès, Vincent Descombes

Depuis une quinzaine d’années, j’ai pris l’habitude de tenir, en matière de recherche, un journal de terrain. J’y consigne, de manière plus ou moins régulière, l’état de mes enquêtes archivistiques, des considérations méthodologiques liées à mes chantiers en cours, des réflexions problématiques, des considérations sur les événements, des annotations sur la lecture quotidienne de la presse, des emprunts à la littérature, des vues prospectives, etc [1].

L’ethnologue Florence Weber signale l’intérêt d’une telle source dans les termes suivants: « Ce journal montre, à chaque étape de la réflexion, les liens entre les hypothèses et les moments de la recherche où elles ont été formulées. C’est lui qui permettra, dans la mesure du possible, une auto-analyse[2]. »

Dans la voie ainsi tracée, et profitant de l’opportunité de mon habilitation en 1992, j’ai commencé à réfléchir, à l’aide de tels matériaux personnels, sur ma propre subjectivité de chercheur. Je prends donc appui pour une grande part sur ces matériaux, cités en notes, pour décrire les enjeux majeurs de mon itinéraire intellectuel.

 De toutes les redites, de toutes les constantes de ce journal de bord, les plus explicites consistent dans ma prise de position en faveur de la tradition marxiste [3] d’une part, et dans ma  prise de distance vis-à-vis de l’historiographie [4] d’autre part. Ma présente réflexion cherche à analyser le lien intime entre ses deux parti-pris dans la quête d’une démocratie actualisée au prisme d’une Révolution française toujours présente.

 

I- Au plus près du jeune Marx.

Je suis très certainement un historien marxiste, ou plus exactement un historien de tradition marxiste. Mon problème majeur, c’est de distinguer tradition marxiste et tradition historiographique. Le cas du jeune Marx est le plus clair, dans la mesure où François Furet a fait la moitié du travail, en exagérant le côté historiographique de Marx. Il s’agit donc de relativiser le rapport du jeune Marx à l’historiographie en insistant à la fois sur son insertion dans l’histoire intellectuelle allemande  et sa capacité de traductibilité du langage jacobin (Note sur mon inscription dans le marxisme, août 1989)

Mes efforts réguliers pour faire le point de mon ancrage dans la tradition marxiste se sont concrétisés par la publication depuis 1975 d’une dizaine d’articles et de notes de lecture à ce sujet[5]. Ces écrits constituent des jalons essentiels pour la compréhension de l’horizon théorique de ma démarche d’historien du discours[6]. Ils marquent des moments réflexifs essentiels dans mes enquêtes archivistiques: ils situent en effet l’enjeu de mes recherches concrètes du côté d’une interrogation sur les voies de la démocratie révolutionnaire.

Cependant un tel ancrage a lui-même une histoire. Il s’est opéré en plusieurs étapes:

1- Après un premier contact avec le marxisme par le biais du léninisme, dans le contexte d’activités militantes au sein de la mouvance communiste, j’ai été fortement marqué, pendant les années 1966-1971 et plus particulièrement dans la conjoncture des événements de 1968, par les travaux d’Althusser, dont l’originalité résidait dans sa manière « symptômale » de lire Le Capital de Marx et d’appréhender, au nom d’une « coupure épistémologique », les textes du jeune Marx[7]. Dressant le bilan quelques années plus tard, avec Régine Robin (1976), de l’influence d’Althusser sur mes travaux d’historien, j’ai pu y identifier un accès spécifique à une « identité retrouvée » au sein même du continent histoire, dans la mesure où elle prenait appui sur une lecture « ouverte » de la tradition marxiste.

2- Mais le point fort des années 70 a été, pour moi, la lecture de Gramsci, d’abord de manière sommaire à travers les Œuvres choisies en français publiées aux Éditions sociales, puis de façon approfondie avec la parution de l’édition italienne intégrale des Cahiers de prison  en 1975. Et depuis lors, je n’ai pas quitté le texte de Gramsci; je n’ai jamais cessé d’en approfondir ma connaissance au fil des longues années qui jalonnent la  publication, encore inachevée, de la traduction française aux Éditions Gallimard.

L’apport de la lecture de Gramsci à mes recherches s’articule d’abord sur les multiples critères méthodologiques qu’il nous propose dans ses Cahiers de prison. autour du thème de « l’humanité agissante et souffrante ». Notre ouvrage sur Marseille au cours des premières années de la Révolution française en témoigne de façon éloquente[8]. Mais  le texte de Gramsci a été aussi une voie royale pour la lecture des ouvrages du jeune Marx, en particulier dans leur rapport à la Révolution française.

C’est ainsi que j’ai effectué, au cours des années 80, une lecture récurrente des écrits de Marx de la période 1841-1845. Un tel retour aux textes fondateurs de la tradition marxiste, à ce moment privilégié de traduction réciproque entre la politique française, l’économie anglaise et la philosophie allemande dans un nouveau lieu de la politique, était formulé dans mon journal de terrain, dès 1980, à partir d’un mot d’ordre qui résonnait étrangement: « convoquer la tradition marxiste au plan textuel ». Mais il s’agissait simplement de marquer que mon approche du marxisme s’inscrit en premier lieu dans une perspective herméneutique où les ressources des textes du jeune Marx, situées par rapport au processus de traductibilité réciproque des langages et des cultures (selon la formule célèbre de Gramsci), importent plus que les constructions marxologiques postérieures, aussi justifiées soient-elles[9].

3- Enfin, soucieux de comprendre le choix révolutionnaire de Marx, à distance de tout essai de construire les éléments d’un matérialisme historique dit marxiste par ses continuateurs, je suis remonté, si l’on peut dire, jusqu’à l’idéalisme pratique contemporain de la Révolution française [10], en particulier Kant et Fichte [11].

Les études novatrices de Lucien Calvié devaient me permettre, par la suite, de mieux comprendre le pari du jeune Marx sur l’avenir de l’humanité, son optimisme révolutionnaire au-delà de tout pessimisme sur l’état des choses[12], alors qu’il élabore, dans les années 1841-1844, une série de catégories explicatives de l’histoire de la Révolution française.

Il convenait donc de révoquer l’idée de construire une interprétation « marxiste » de la Révolution française à l’aide des concepts d’un matérialisme historique découvert plus tardivement, en 1845. Il fallait plutôt revenir au texte du jeune Marx, là où il parle la langue politique (française). C’est ce que j’ai fait à plusieurs reprises, tant dans des présentations encyclopédiques que dans des articles érudits (voir la bibliographie en fin d’article). Je pense ainsi avoir mis en évidence l’importance des catégories explicatives de l’histoire de France, formulées par le Jeune Marx, puis retravaillées par Gramsci. L’existence de ces catégories au sein même de la tradition marxiste naissante a orienté de façon décisive, mais non de manière mécaniste, ma problématique d’approche des langages de la Révolution française, ainsi que mes choix thématiques.

Je me suis efforcé de montrer, à plusieurs reprises (1983, 1988, 1989a), que le jeune Marx lit et traduit « la langue de la politique et de la pensée intuitive » propre aux jacobins français en deux temps [13]:

D’abord il s’intéresse, à travers la question de l’intuition d’une subjectivité en acte qui construit le réel, au sujet critique de la révolution, le peuple français. Il insiste ainsi, dans la Critique du droit politique hégélien (1843) sur le fait que « C’est le peuple qui crée la constitution », donc qui fait la loi.

Mais la posture critique est immédiatement associée à la capacité de traductibilité de la nouvelle culture politique révolutionnaire. L’énoncé fondateur du sujet réel de l’histoire, porteur de la « vraie démocratie », est d’abord la traduction de l’agir du peuple dans la forme de la loi: « Le pouvoir législatif a fait la Révolution française », précise Marx, étant entendu que « le pouvoir législatif ne fait pas la loi: il la découvre et la formule seulement. »

Ainsi nous retrouvons, dans les termes même de la lecture « marxiste », les énoncés fondateurs du discours robespierriste: « Le peuple fait la révolution / Les législateurs font la révolution pour le peuple ». Une telle problématique de l’agir du peuple, de ses effets discursifs, imprègne mes premiers travaux sur les discours jacobins[14]. Mais nous savons que le jeune Marx se démarque, après sa lecture critique d’Hegel au nom de la démocratie révolutionnaire, de « la révolution partielle, uniquement politique » au titre de la « révolution radicale ».

Dans un second temps, et tout particulièrement dans La Sainte Famille (1844), Marx ironise sur les hégéliens qui veulent abolir ‘la langue populaire (française) de la masse » par sa transformation en « langue critique de la Critique critique »! Il restitue les éléments essentiels de la « grammaire non-critique française » issue du réel de la politique, des qualités de la Masse. La « révolution de la langue française » est un leurre, dans la mesure où cette « langue populaire » possède en elle-même ses propres ressources interprétatives.

La traductibilité réciproque entre « l’égalité française » et « la conscience de soi allemande », entre les significations de « la langue de la  politique et de la pensée intuitive », telle qu’elle s’exprime dans le discours jacobin, et les expressions de la « pensée abstraite » si spécifique de l’idéalisme pratique allemand met donc en évidence les ressources des catégories descriptives de l’histoire de la Révolution française, tout en leur conférant, par la distinction entre la dimension organique et la réalité conjoncturelle des mouvements historiques, une dimension explicative constituant la Révolution française sur la longue durée.

À la lecture des textes du jeune Marx, Il ne m’était donc pas apparu nécessaire d’élaborer une théorie critique abstraite pour appréhender la valeur conceptuelle de la Révolution française, mais il convenait plutôt de conférer une valeur organique à l’intelligibilité propre des événements révolutionnaires, à leurs ressources attestées.

Ainsi, de mon point de vue, la tradition marxiste naissante procède à une traduction du langage jacobin dans des catégories explicatives. Ces catégories s’organisent autour de trois couples: langue populaire/porte-parole, révolution permanente/Terreur, mouvement révolutionnaire/mouvement populaire. Chaque couple différencie le conjoncturel de l’organicité, distinction très présente dans les analyses de Gramsci sur les rapports de force au sein du moment révolutionnaire [15].

Par exemple la valeur organique du concept de « révolution à l’état permanent », référé par Gramsci aux « principes de stratégie et de tactique politiques nés pratiquement en 1789 et qui se sont développés idéologiquement autour de 1848 » limite l’intelligibilité de la notion de Terreur rapportée à une conjoncture, et ses contradictions.

Parallèlement à cette lecture du jeune Marx, j’ai essayé, dans mes recherches sur les pratiques discursives pendant la Révolution française, de conférer à ces catégories explicatives une dimension descriptive aussi précise que possible. En quelque sorte, je les ai prises à rebours, remontant du concept à l’agir [16], et à sa dimension réflexive, considérant donc que leur intelligibilité propre importait autant si ce n’est plus que leur traduction ultérieure dans l’histoire organique des révolutions [17].

Il n’a donc jamais été question d’appliquer une grille conceptuelle à une description archivistique. C’est le geste de lecture opéré par le jeune Marx, à la fois lecteur des textes de la Révolution française et traducteur de diverses traditions interprétatives dans le but d’élaborer une conception autre de la politique, qui a retenu mon attention.

J’identifie ainsi la motivation profonde de mes recherches sur les pratiques discursives de la Révolution française à partir de l’interrogation suivante: si la Révolution française a joué un rôle aussi important dans la mise en place des fondements de la tradition marxiste, n’est-il pas possible de faire rejouer ce geste inaugural avec l’objectif de refonder la Révolution française dans la tradition marxiste, en deçà des sédimentations marxologiques et historiographiques?

L’entassement incessant des couches interprétatives sur ce nœud initial, redoublé par l’apparition au XXe siècle d’une historiographie dite « marxiste » de la Révolution française, de Jaurès à Soboul, justifiait d’autant plus mon entreprise de refondation. Mon parti-pris antihistoriographique, affirmé avec vigueur pendant le bicentenaire de la Révolution française (1989c), trouve ici sa raison d’être[18].

Un telle relation forte à la posture initiale de Marx face au langage politique jacobin est visible à tout moment de ma recherche sur la Révolution française. Par ailleurs, elle s’est enrichie au contact d’une manière propre de décrire les énoncés d’archive, de les configurer autour d’un événement, d’un thème, d’un concept, d’un sujet dans la lignée des travaux de Michel Foucault[19].

D’emblée mon intérêt s’est porté, d’abord à travers la figure du Père Duchesne d’Hébert[20], puis avec l’événement « mort de Marat », sur le mouvement révolutionnaire au moment de la mise à l’ordre du jour de la terreur [21].

Dans le même temps, j’ai parcouru un trajet thématique, de la langue du droit à la langue du peuple, avec le souci de mesurer la portée conceptuelle de la notion robespierriste de mouvement populaire [22].

Depuis nos analyses discursives du Père Duchesne d’Hébert jusqu’à l’exploration minutieuse des courses civiques des « missionnaires patriotes », il s’est agi aussi de décrire, sous la catégorie d’événement discursif et le thème de la langue du droit, des itinéraires de porte-parole [23].

 Par la suite, c’est autour des notions  de « démocratie pure » et de « rapports populaires » que j’ai tenté de redonner, avec d’autres chercheurs, aux fédéralismes, et de surcroît au fédéralisme jacobin, une pleine dimension interprétative à l’horizon de la révolution permanente [24] .

Enfin, mes recherches en cours sur l’itinéraire intellectuel de Sieyès [25],qui me mène de la caractérisation métaphysique d’une « science des quantités », dans ses écrits philosophiques manuscrits de jeunesse, à la définition d’une « science de la politique », sous la catégorie de « langue politique », dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat? recoupent l’importance accordée par le Jeune Marx, dans La Sainte Famille,  à cet ouvrage de Sieyès emblématique de la radicalité de 1789 [26], en tant que lieu théorique constitutif de la politique moderne.

Voilà sans doute un résumé quelque peu hardi et bien trop sommaire de vingt ans de recherches, mais qui vise seulement à souligner le rapport consubstantiel de mes recherches sur les langages révolutionnaires à la  lecture « marxiste » inaugurale de la Révolution française. Lire la suite →

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“Les Enragés et la Révolution française” ~ par Morris Slavin

12 vendredi Mar 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

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Cahiers Léon Trotsky, Claire Lacombe, Club des Cordeliers, Enragé·e·s, Hébert, Jacobins, Jacques Roux, Jean-François Varlet, Joseph Chalier, Marat, Maximum, Morris Slavin, Pauline Léon, Robespierre, Théophile Leclerc

Ce texte de l’historien américain Morris Slavin (1913-2006) est l’un des (trop) rares qui constituent l’historiographie (de synthèse surtout) sur les Enragé·e·s.

Certes, beaucoup de détails demandent à être revus et corrigés. Ainsi, on voit mal comment qualifier (note 1) le Cercle social de «loge maçonnique» (problème de traduction?). Leclerc se prénommait Jean Théophile Victoire (et non Victor), etc.

Il n’en demeure pas moins que ce texte rare méritait d’être mis à la portée de toutes et tous.

Cliquez sur les images pour les AGRANDIR

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Le prolétariat où on ne l’attendait peut-être pas: Écoutez Alphonse Aulard…

12 jeudi Nov 2020

Posted by Claude Guillon in « Sonothèque », «Documents»

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Albert Mathiez, Alphonse Aulard, Hébert, Lutte des classes, Prolétariat, Robespierre

On peut écouter sur le site Gallica un court, mais passionnant enregistrement de la voix de l’historien Alphonse Aulard.

Aulard commence par déclarer obsolète l’histoire que je qualifierai «d’admiration» pour tel ou tel personnage (Robespierre, Hébert…), et conclut sur la constatation majeure à laquelle mène un travail sérieux sur les archives…

Il est assez piquant de le voir marcher ainsi sur les brisées de son rival (quoique ancien disciple) Mathiez, même si certaines formulations mériteraient d’être revues.

Ainsi, je ne pense pas que le prolétariat – ici confondu avec «le peuple», sans exigence marxienne de composition socio-professionnelle – se soit borné à «réaliser les idées démocratiques» conçues par d’autres, ce qui n’est déjà pas mal. Le prolétariat a participé, à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire à l’élaboration pratique d’une théorie de la démocratie directe, expression de la souveraineté populaire, que personne n’avait imaginée comme programme révolutionnaire.

Ce n’est pas une fantaisie. […]

Nous nous sommes aperçus que le véritable héros, le véritable acteur, le véritable conducteur de la Révolution française c’était en définitive le peuple français.

Et dans le peuple français, nous nous sommes aperçus également que c’était la classe pauvre, la classe laborieuse, les petits bourgeois, les ouvriers d’usine, le prolétariat en un mot, qui avait réalisé les idées démocratiques élaborées dans un autre milieu, dans un milieu aristocratique et bourgeois. […]

Une fois sur la page de Gallica, cliquez dans le cartouche qui se trouve en haut de page (et non dans celui qui figure juste au-dessus de l’image du disque).

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Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

13 jeudi Août 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles»

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Albert Soboul, André Salem, Annie Geffroy, Bernard Conein, Boissy-d'Anglas, Cesare Vetter, Damon Mayaffre, Denise Maldidier, Ferdinand Brunot, Florence Gauthier, Françoise Brunel, Hans Erich Bödeker, Hans-Jürgen Lüsebrink, Hayden White, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jacques Roux, Jürgen Habermas, Jürgen Link, Jean-Baptiste Marcellesi, Jean-Pierre Faye, John A. G. Pocock, Keiht Baker, Le Père Duchesne, Louis Althusser, Luc Boltanski, Lucien Febvre, Marc Belissa, Marc Deleplace, Marco Marin, Maurice Tournier, Michel Foucault, Michel Pêcheux, Paul Ricoeur, Peter Schöttler, Pierre Fiala, Quentin Skinner, Raymonde Monnier, Régine Robin, Reinhart Koselleck, Robert Mandrou, Rolf Reichardt, Sophie Wahnich, Thomas Paine, Yannick Bosc

J’ai voulu, avec son accord, mettre à disposition cet article de Jacques Guilhaumou, malgré son aspect «technique» qui pourra rebuter certaines et certains. Il est cohérent avec les buts que je me suis fixé dans ce blogue de publier des textes aux «niveaux de lecture» très différents. Chacun·e trouvera, je l’espère, de quoi faire son propre miel.

Je suis responsable des culs-de-lampe, qui utilisent la vignette figurant sur la couverture du journal d’Hébert (dont il est très souvent question dans ce texte, comme dans tous ceux qui traitent du langage pendant la Révolution).

C. G.

 

Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française[1]

 

Version française de Jacques Guilhaumou «Geschichte und Sprachwissenschaft: Wege und Stationen in der “analyse du discours”», Handbuch Sozial-wissenschaftliche Diskursanalyse, R. Keller und alii hrsg., Band 2, Opladen, Leske+Budrich, 2003, traduction et présentation de Reiner Keller, 2003, p. 19-65.  Avec une annexe complémentaire de 2016.

Résumé

La présence de l’analyse de discours en histoire est restée modeste, mais  ne s’est pas démentie depuis la mise en place de la relation entre histoire et linguistique au cours des années 1970. Elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et plus récemment sur l’importance de la réflexivité et de l’intentionnalité historique chez les acteurs de l’histoire. L’objectif présent est de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Ce texte bilan écrit au début des années 2000 a été complété par une annexe, rédigée en 2016, qui resitue les moments de l’histoire du discours en Révolution française au croisement des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, et enfin la fonctionnalité principale.

Introduction

Au début des années 1970, Régine Robin, dans son ouvrage pionnier sur Histoire et linguistique (1973) accompagné d’une publication collective (Guilhaumou et alii, 1974) auxquels nous avons collaboré, pose frontalement le problème de l’absence de reconnaissance, au sein de la communauté historienne, des recherches ayant trait au langage, en dépit des avancées antérieures de l’école des Annales, autour de Lucien Febvre et Robert Mandrou. La réticence des historiens français face à tout étude qui touche de près ou de loin les pratiques langagières dans un contexte historique précis a perduré jusqu’à nos jours, d’autant plus qu’elle a été ravivée par la querelle récente à propos du «linguistic turn» (Noiriel, 1996; Schöttler, 1997). L’historien Gérard Noiriel (1998) notait encore récemment la position marginale de l’approche langagière au sein de la discipline historienne, en dépit de son rapprochement, déjà ancien mais amplifié, avec l’histoire langagière des concepts en Allemagne et plus récent avec les recherches équivalentes dans  le monde anglophone (Guilhaumou, 2000).

Pourtant la présence de l’analyse de discours en histoire ne s’est pas démentie au cours de ses trente dernières années. De fait, elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et leur valeur interprétative, sans pour autant entamer la domination de l’explication narrative associée au débat sur le caractère fictionnel ou non de l’écriture historique (Prost, 1996)

Il convient donc de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons préféré nous en tenir, hormis de rares incursions dans le discours politique contemporain, à des exemples pris dans le 18ème siècle français, majoritairement présents dans les travaux des historiens du discours, tout en l’ouvrant à la période du Sattelzeit (1750-1850) mis en valeur par les perspectives pionnières de l’historien allemand Reinhart Koselleck.

Au départ, c’est-à-dire pendant les années 1970, la relation entre histoire et linguistique se limitait à permettre enfin l’accès du discours au champ historiograhique. Une configuration méthodologique, centrée sur la construction du corpus, dominait l’approche du discours comme objet d’histoire. Les années 1980 marquent un tournant décisif dans la mesure où ce qu’il convenu d’appeler désormais l’analyse du discours du côté de l’histoire, par le fait du recours à une démarche non plus structurale, mais configurationnelle, devient une discipline interprétative à part entière. Enfin, en multipliant les contacts tant en France qu’à l’étranger, en les amplifiant dans les années 1990. l’historien linguistique se rapproche de l’histoire langagière des concepts, tout en systématisant sa démarche au sein d’une histoire linguistique des usages conceptuels et en ouvrant une nouvelle perspective sur l’histoire des événements linguistiques.

1- Le discours comme objet de l’histoire: les années 1970

Dès son origine l’analyse de discours en France[2], dont la manifestation la plus spectaculaire est le colloque de lexicologie politique[3] tenu à l’Université de Paris X-Nanterre quelque temps avant les événements de mai 1968, se veut, dans son ensemble, une discipline restreinte, mais rigoureuse sur la base d’un modèle de scientificité emprunté à la linguistique distributionnelle américaine (Harris): analyse formelle, exhaustivité et systématicité s’efforcent d’aller de pair.

De fait il s’agit d’abord d’une démarche que nous qualifierions aujourd’hui de sociolinguistique en ce sens qu’elle associe un modèle linguistique, essentiellement l’analyse d’énoncé,  à un modèle sociologique, défini à travers la notion de conditions de production, autre désignation du contexte dans lequel on puise les éléments du corpus étudié. A la démarche du linguiste qui décrit les propriétés formelles des énoncés, en y cernant des variations, s’associe celle du sociologue qui cherche à comprendre la part de la variation des langages dans les pratiques sociales. Tout est ici affaire de correspondances, de co-variance entre des structures linguistiques et des modèles sociaux en cherchant parfois à établir une relation de cause à effet, même si le simple parallélisme est l’attitude la plus courante en la matière (Drigeard, Fiala, Tournier, 1989). Ainsi, une conjoncture historique peut engendrer des effets discursifs, comment nous l’avions montré (1975b) à propos des effets discursifs de l’hégémonie jacobine en 1793, dans le trajet de l’interdiscours jacobin aux effets de l’événement, et plus largement à l’effet de conjoncture.

De même la recherche de Régine Robin (1970) sur une ville sous l’Ancien Régime, Semur-en-Auxois, comportait d’une part une analyse des structures sociales d’un bailliage bourguignon à la veille de la Révolution française, et d’autre part une analyse du contenu des Cahiers de doléances de la bourgeoisie et de la paysannerie à partir d’un certain nombre de mots-pivots, selon une approche linguistique combinant analyse d’énoncé et étude du vocabulaire socio-politique. Les premiers travaux des linguistes analystes de discours s’inscrivaient aussi dans la même perspective, qu’il s’agisse de l’étude de Jean-Baptiste Marcellesi (1971) sur le Congrès de Tours de 1920 ou de celle de Denise Maldidier (1970) sur le vocabulaire politique de la Guerre d’Algérie.

Cependant la version « faible » de l’analyse de discours était la plus courante chez les jeunes historiens du discours qui abordaient alors leurs premières recherches: elle revenait à étudier les champs sémantiques de notions jugées centrales dans le corpus pris en compte. Ainsi en est-il de notre premier travail sur le discours du Père Duchesne (1974), issu de la presse pamphlétaire de 1793, et qui tend à mettre en valeur une forme dissimulée du discours jacobin autour des usages de la notion de sans-culotte. Cette approche du champ sémantique présente toujours l’avantage de s’inscrire dans une tradition lexicologique, incarnée par Ferdinand Brunot et qui côtoie tout au long du XXe siècle les avancées des historiens, en particulier au sein de  l’école des Annales. Tout en abandonnant le critère implicite de nombreux historiens de la transparence du sens des textes, et de rompre dans le même temps avec la citation illustrative, elle s’avère d’un abord simple, sans connaissance technique autre qu’une bonne connaissance  des parties de la grammaire.

Il revenait plutôt au linguiste travaillant sur des matériaux historiques d’élaborer une version «forte» de l’analyse de discours dans une optique essentiellement syntaxique.  Cela équivalait à ne retenir, au sein d’un corpus de textes imprimés, qu’une série d’énoncés autour de mots-pivots auxquels le linguiste applique des règles d’équivalence grammaticale permettant d’obtenir, sous une forme paradigmatique, un ensemble de phrases transformées qui constitue en quelque sorte la série des prédicats des mots-pivots. Cependant cette approche syntaxique reste toujours l’apanage du linguiste, ou tout au plus de l’historien linguiste, dans la mesure où l’historien ordinaire trouve trop lourd l’investissement linguistique nécessaire à sa mise en œuvre. Pour autant elle donne une image exemplaire de collaboration interdisciplinaire. Ainsi dans le travail conjoint de la linguiste Denise Maldidier et de l’historienne Régine Robin (1974), sur les remontrances parlementaires face aux Edits de Turgot de 1776, le corpus des phrases régularisées par la linguiste autour des mots-pivots liberté et règlement est reproduit intégralement. La sélection des termes repose ici sur un savoir historique préalable: il est supposé d’évidence que c’est autour des notions de liberté et de règlement que se joue alors l’affrontement entre noblesse et bourgeoisie dans la conjoncture de la tentative réformatrice de Turgot qui échouera.

Au contact de la linguistique structurale, l’historien du discours a donc pu se constituer un outillage méthodologique toujours d’actualité, mais qui a largement débordé sur l’analyse de contenu (Bardin, 1989). Ainsi s’est instauré, dans la relation entre histoire et linguistique, un rapport stable à des outils lexicaux et grammaticaux d’analyse répondant aux besoins de description systématique de l’usage des mots et des énoncés.

Dans cette perspective, la lexicométrie s’est imposée comme le principal moyen de quantifier les faits langagiers et sert ainsi désormais de support à toutes sortes d’analyses linguistiques (Lebart, Salem, 1994), au sein de ce que nous appelons aujourd’hui la linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997). L’historien du discours peut faire appel à la lexicométrie lorsqu’il veut démêler, en première approche, l’intrication des phénomènes énonciatifs et rhétoriques qui constituent la surface discursive d’un texte, par contraste avec les énoncés qui le structurent sémantiquement autour de mots-pivots étudiés en analyse harissienne. Nous pouvons ainsi aborder, comme le montre les travaux pionniers de Maurice Tournier (1975), le vif des usages d’un ou plusieurs mots dans le contexte même d’un corpus. Mais là encore, la procédure d’analyse porte sur un corpus réduit, non plus un corpus d’énoncés, mais le tableau lexical à double entrée des formes recensées automatiquement du corpus qui sont ventilées sur la base de leur fréquence absolue et relative dans les diverses parties du discours. L’analyse factorielle des correspondances est la méthode quantitative la plus spectaculaire en la matière au terme d’une démarche lexicométrique unitaire, comme le montre le travail récent de Damon Mayaffre (2000) sur le discours politique d’entre-deux-guerres, qui s’inscrit cependant dans une autre configuration méthodologique comme nous le verrons dans la troisième partie. Cette méthode à la fois quantitative et synthétique permet en effet d’appréhender d’un seul coup d’œil, sur l’écran de son ordinateur ou sur la feuille de papier, les clivages les plus importants du corpus, soit entre les auteurs, soit entre des ensembles de vocabulaire, soit les deux ensemble.

La procédure initiale de l’analyse de discours du côté de l’histoire a donc permis, sur la base des méthodes linguistiques et lexicométriques, d’introduire des critères d’exhaustivité et de systématicité à l’intérieur de corpus comparatifs, sélectionnés sur leurs conditions de production. Ainsi l’historien du discours se démarque dès le départ de l’historien classique  en contestant l’idée que la lecture d’un texte n’est qu’un moyen d’atteindre un sens caché, de cerner un référent pris dans l’évidence du sens.

Cependant l’analyse du discours comme objet de l’histoire présentait un triple écueil. En premier lieu, elle introduisait une coupure nette entre le corpus choisi, à vrai dire fort restreint au terme de la procédure d’analyse, et le hors-corpus défini de façon référentielle et générale par la notion de conditions de production. En second lieu, le choix des mots-pivots reposait sur le jugement de savoir de l’historien, pris lui-même dans le champ des débats historiographiques du moment. Enfin, elle constituait, sur des bases idéologiques et historiographiques, des entités discursives séparées telles que le discours noble, le discours bourgeois, le discours jacobin, le discours sans-culotte, etc.

Il ne faut pas cependant sous-estimer les résultats de ses premiers travaux en matière de connaissance des stratégies discursives. Ainsi en est-il de notre étude comparative de la presse pamphlétaire en 1793 (1975) qui met en évidence le contraste entre un «authentique» discours sans-culotte, celui de Jacques Roux, et le discours jacobin d’Hébert, auteur du Père Duchesne, basé sur des effets populaires estompant ses contenus jacobins. C’est dire aussi que l’analyse de discours relevait, à un niveau plus fondamental, d’une théorie du discours doublement issu du marxisme et de l’apport alors récent de Michel Foucault, en particulier dans L’archéologie du savoir (1969).

Si Michel Pêcheux suivait volontiers Michel Foucault dans sa critique de l’humanisme, et son corollaire la mise en avant de la subjectivité de l’individu, il s’en séparait nettement par le refus d’un geste interprétatif qui récusait, avec Michel Foucault,  l’existence d’une formation sociale préconstruite, à l’identique des concepts du matérialisme historique. Il s’agissait alors, toujours pour Michel Foucault, de substituer au mouvement dialectique un « mouvement de l’interprétation » (1994, I, 564 et suivantes). Ce refus initial, chez les « linguistes marxistes », de la démarche interprétative devait fortement contribué à limiter la portée de l’analyse de discours au cours des années 1970, et par là même de l’appréhension de l’historicité des textes. Les années 1980 ouvriront, certes tardivement, l’analyse de discours au questionnement herméneutique.

Cependant, deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), étaient  centraux, ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permettait de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le risque était là, nous l’avons déjà souligné, de classer les diverses formations discursives d’une formation sociale, à l’exemple de l’opposition noblesse/bourgeoisie sous l’Ancien Régime. Le concept d’interdiscours introduisait alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il était permis de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un «tout complexe à dominante» selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation «forte» rencontrait alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste[4]. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois/discours féodal; discours jacobin/discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il était question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. C’est d’ailleurs sur cette voie que s’est  opérée la rencontre de Michel Pêcheux avec des chercheurs allemands soucieux des phénomènes langagiers, en particulier Jürgen Link et Peter Schöttler (Pêcheux, 1984, Schöttler, 1988). Le bilan de l’analyse de discours comme objet de l’histoire, telle qu’elle a été pratiquée par un petit groupe d’historiens au cours des années 1970,  n’a donc rien de négatif, en dépit de ses évidentes impasses. C’est par la multiplication des contacts avec diverses interrogations langagières de chercheurs français et étrangers et une attention nouvelle à l’archive que s’opère, dans les années 1980, la sortie vers ce que nous pouvons appeler désormais l’analyse de discours du côté de l’histoire.

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Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

29 mercredi Juil 2020

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

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1793, Albert Mathiez, Albert Soboul, Claire Lacombe, Féminisme, Georges Lefebvre, Hébert, Jacques Pierre Brissot, Jacques Roux, Jean-Baptiste Louvet, Jean-François Varlet, Jonathan Israël, Kåre Dorenfeldt Tønnesson, Lutte des classes, Marat, Olivier Blanc, Pauline Léon, Républicaines révolutionnaires, Robespierre, Théophile Leclerc, Walter Markov

Une «histoire intellectuelle de la Révolution», et pourquoi pas?

Encore que l’affirmation suivante a de quoi éveiller la méfiance:

Conduire un nouvel examen des leaders révolutionnaires semble nécessaire afin de poursuivre l’effort initié par l’approche socioculturelle et, plus spécifiquement, pour mieux intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle. [p. 21]

Ici (et ailleurs aussi probablement) se pose le problème de la traduction (je n’ai pas pris la peine d’aller vérifier l’édition originale). En effet, «Intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle» n’a guère de sens en français. Les combiner, oui; intégrer l’une à l’autre aussi. Faisons avec…

Plusieurs affirmations accrochent le regard. Un exemple:

En plusieurs endroits, on vit des comités de “Patriotes” rivalisant d’éloquence tant les hommes de lettres, éditeurs et membres des sociétés y étaient nombreux; ils purent ainsi peser lourdement sur les élections des députés du Tiers état. [p. 53, avec référence au livre de Galante Garrone].

C’est bien possible; cependant, il aurait été honnête de signaler que lors de l’étape précédente, à savoir la rédaction des Cahiers de doléances, l’hypothèse d’une influence décisive des notables a été sévèrement critiquée[1].

Parlant du Cercle social et des tendances philosophiques qu’il oppose au « populisme autoritaire » de Marat et Robespierre, l’auteur évoque l’action du marquis de Villette en faveur des enfants naturels (p. 149), comme exemple de l’action humaniste et réformiste de certains révolutionnaires. Il est bien regrettable qu’il ignore le long et beau texte de Robespierre sur le même sujet[2].

Voici maintenant une formulation sur laquelle le lecteur butte, lequel une fois relevé de sa chute, se demande s’il va poursuivre la lecture entreprise…

Marat et Hébert s’adressaient aux moins éduqués et cultivaient un chauvinisme populiste, une espèce de protofascisme. » [p. 189; je souligne]

Il est tout d’abord extrêmement discutable de mettre ainsi «dans le même sac» Marat, dont les journaux sont rédigés dans une langue simple et compréhensible, mais correcte quant à la grammaire et sans vulgarité, avec Hébert qui pastiche la verdeur populaire à grands renforts de jurons obscènes. De là à les qualifier uniment de protofascistes, c’est-à-dire de premiers fascistes ou de fascistes rudimentaires, pour la seule raison véritable qu’ils sont lus l’un et l’autre par la sans-culotterie, c’est préférer l’idéologie grossière à l’analyse historienne.

Massant ses genoux endoloris, le lecteur se dit qu’il a tout de même payé le livre la bagatelle de 36 € (en francs, c’eut été le prix d’un très beau livre d’art) et, pour calmer sa colère, il s’en va lire la postface à l’édition française.

Or, voici des propos mesurés, mêmes si discutables – dont lectrices et lecteurs anglophones ont donc été privé·e·s:

Ainsi mon approche diverge à certains égards de l’école jacobino-marxiste d’Albert Mathiez, Georges Lefebvre et Albert Soboul ; mais reconnaît également que leurs travaux ont encore beaucoup à offrir et doivent toujours faire l’objet du plus grand respect. Que la Révolution française ait été en partie mue par une guerre de classes est pour moi indéniable puisqu’elle a d’abord pris pour cible, sans jamais cesser l’assaut, le système social aristocratico-ecclésiastique qu’elle cherchait explicitement à détruire. [p. 742]

Ainsi donc, les «moins éduqués» ont tout de même – nonobstant l’influence délétère des protofascistes – joué un certain rôle dans la Révolution… On aurait tort, toutefois, de se rassurer trop vite; en effet:

Ce livre place les mouvements populaires au second plan, en partie parce que je ne pense pas que la recherche ait démontré que leur rôle a été déterminant dans l’élaboration de l’idéologie dominante de la Révolution. Une autre raison explique ce choix: je ne crois pas non plus que les mouvements sociaux et les manifestations de mécontentement populaire, peu importe leur force et leur ampleur, puissent disposer d’une cohésion suffisante et d’une énergie suffisamment durable pour devenir un fondement d’autorité ou inspirer des réformes institutionnelles, susceptibles de provoquer des transformations révolutionnaires significatives de quelque forme que ce soit. [p. 742]

Ici se trouve sans doute le fondement même de la démarche de Jonathan Israel, et le point central de désaccord avec lui. S’il s’agit de constater la «défaite des sans culottes», pour reprendre le titre du livre de Kåre Dorenfeldt Tønnesson, nous pouvons tomber d’accord, mais cet accord est une illusion car J. Israel pense que les sans-culottes ne pouvaient qu’être défaits, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment éduqués pour élaborer une idéologie assez forte pour dominer celle de la bourgeoisie. Mais Israel ne s’en tient pas là. Sa position concernant les sans-culottes est après tout proche du simple constat, mais il ajoute qu’aucun mouvement social n’a et ne peut avoir les capacités de fonder un nouvel ordre social.

Voici ce que j’appelle un préjugé de classe, lequel se manifeste d’ailleurs en d’autres occasions dans le livre. L’auteur est prompt à reprendre sans distances des informations chargées de jugements moraux. Ainsi les manifestants qui attaquent l’imprimerie de Gorsas en mars 93 ne sont-ils rien qu’«un groupe de 2 000 à 3 000 voyous » (p. 343). Lors d’une manifestation de femmes à Bordeaux à la même époque: « Ces troubles avaient été préparés avec soin ; des témoins attestèrent avoir vu des jacobins déguisés en femmes dirigeant le cortège » (p. 344). La présence d’hommes déguisés en femmes est un topos d’époque, utilisés par toutes les tendances politiques pour discréditer les manifestations de femmes.

On pourrait discuter encore beaucoup le choix des sources, comme leur utilisation. J. Israel adore Louvet, parce que celui-ci est entré en conflit avec Robespierre. Je comprends que l’on lise et même que l’on utilise les Mémoires du député Jean-Baptiste Louvet de Couvray, mais de là à les prendre pour un évangile où tout n’est que vérité du détail, il y a le même chemin que de la lecture critique à la naïveté.

Parfois, on se perd en conjectures sur ce que l’auteur peut bien trouver d’utile à telles «révélations». Ainsi:

Robespierre devint de plus en plus froid. Jusqu’en février 1794, il avait gardé ses distances, sans paraître replié sur lui-même. Il se montrait régulièrement dans Paris, élégamment vêtu de soie et de lin, bien coiffé. En public, il jouait les observateurs tout en prenant soin d’entretenir des relations, de converser avec d’autres personnalités influentes. Il profitait aussi de ces échanges pour noircir son cahier de notes. [p. 581]

La note indique : Laure d’Abrantès, Salons révolutionnaires, p. 105. Je trouve à la page 6 du texte d’origine (Histoire des salons de Paris, vol. III) de la duchesse d’Abrantès, le passage-source:

Dans le même moment, Robespierre marchait dans Paris élégamment habillé, coiffé avec la plus grande recherche, employant pour sa toilette les essences les plus suaves, les pommades les plus odorantes… son linge était d’une extrême beauté; son jabot, fait d’une dentelle précieuse, était toujours à côté d’un gilet rose, bleu ou blanc, en soie glacée, et légèrement brodé en argent ou en or, et à sa main il portait un bouquet de roses, même en hiver…

Robespierre soignait sa mise. C’est entendu, tout le monde le dit. Mais tant qu’à nous abreuver des niaiseries d’Abrantesques, pourquoi nous priver du parfum, des pommades et des roses. …Même en hiver!

Reprenons pied sur le terrain des idées, puisque c’est celui que revendique notre auteur. En voici une bien bonne (oui, je suis un peu las, je le reconnais, et mon style s’en ressent), censée établir le fait que les brissotins sont la gauche (ce qui n’est pas entièrement dépourvu de logique si Marat est un fasciste):

Pratiquement tous les intellectuels sérieux de l’Assemblée, Levasseur et les montagnards un peu honnêtes admettaient que les brissotins et les philosophistes représentaient bien la gauche. [p. 305]

Certes, je pourrais faire valoir ici qu’au contraire tous les gens «un peu honnêtes» sont de mon avis… mais j’aurais le sentiment d’entrer dans un jeu tout juste bon pour la cour de récréation.

Les Enragé·e·s

D’ailleurs, il est un point qui m’intéresse doublement – parce qu’il concerne l’un de mes sujets de recherches[3] et parce qu’il met en valeur la difficulté de J. Israel à tenir la ligne qu’il a lui-même choisie: la question de l’action des Enragé·e·s.

En effet, Israel manifeste une évidente sympathie pour ces militant·e·s, ce qui ne laisse pas d’étonner.

Voyons ce qu’il écrit de Jacques Roux, avec certes une restriction morale (elle-même plutôt surprenante):

Violemment opposé aux brissotins autant qu’aux montagnards, Roux n’était certes pas un combattant de la liberté [sic]. À certains égards, toutefois, ce zélé prêtre jacobin (et ancien professeur de sciences au séminaire) occupait une vraie position à gauche du robespierrisme : il voulait ardemment défendre les pauvres de la cupidité des capitalistes, des banquiers, des grands marchands. Il dénonçait avec flamme l’exploitation et l’absence de toute aide pour les moins nantis[4]. [p. 505]

Si Brissot incarne la gauche, et Robespierre un «populisme autoritaire», comment situer quelqu’un qui se trouve «à gauche» de Robespierre, mais pas vraiment «à gauche» puisque cette position est monopolisée par les Brissotins? Israel a – parmi les Enragé·e·s – une préférence marquée pour « l’honnête et bienveillant Varlet » (p. 755), «qui pratiquait lui un tout autre type de populisme, plus intègre, et plus proche des Lumières radicales.» (p. 759)

Je ne discuterai pas des fleurs envoyées à Varlet; après tout, il est bien probable qu’il les a méritées. Pour autant, je ne crois pas que Robespierre a été ni moins honnête ni moins intègre que Roux, Varlet, Leclerc, et les Républicaines révolutionnaires.

De toute façon, cela ne nous aide pas à nous retrouver dans notre nuancier politique. À la fin des fins, où situer les Enragé·e·s? Plus près de Brissot que de Robespierre? Une hypothèse qu’ils eussent jugée insultante.

Il est assez évident que, outre leur enthousiasme et la sincérité de leur engagement, ce qui séduit Israel chez les Enragé·e·s… c’est qu’ils deviennent les cibles de Robespierre.

Après les 31 mai – 2 juin 93, « Robespierre écarta tout de suite Varlet, Roux et Jean Leclerc, meneurs sans-culottes véritablement engagés en faveur des prolétaires. Ils pouvaient se réclamer de la rue bien mieux que lui. Les Enragés avaient d’ailleurs immédiatement compris quelle dictature s’annonçait. Ils n’ignoraient rien de la mégalomanie de Robespierre, de sa paranoïa et de son caractère vindicatif. » (p. 484)

Ce dernier hommage rendu à la clairvoyance des Enragé·e·s à propos des risque d’un régime terroriste autoritaire me semble pour le moins exagéré ; ils n’ont mesuré les risques de la concentration des pouvoirs qu’au fur et à mesure qu’elle les atteignait directement (et je ne songe pas à les en blâmer). Quant aux indicateurs qui eussent dû les alerter, le caractère de l’individu Robespierre ne mérite sans doute pas la première place…

En guise de conclusion

Jonathan Israel a-t-il atteint l’objectif qu’il s’était fixé ? La réponse est étroitement liée à la position de chacun·e par rapport aux parti-pris de l’auteur. Qui est convaincu que le peuple ne saurait écrire sa propre histoire – faute d’une orthographe suffisante – se verra confirmé dans ses préjugés par une érudition pléthorique. L’adhésion aux thèses du livre ne peut être qu’idéologique.

Ironie de l’histoire, c’est – nous l’avons vu – l’aimable sympathie de l’auteur pour un courant radical de la Révolution qui vient ôter toute cohérence à sa tentative de redistribuer les rôles politiques, en attribuant aux Brissotins et non plus aux Montagnards celui de la « gauche ».

Israel identifie correctement la question des droits des femmes comme le talon d’Achille de Robespierre (et d’un certain nombre de ses amis), mais – une fois encore – le reproche ne peut être adressé ni à Roux ni à Leclerc (ni à Varlet, dont le «proféminisme» est pourtant plus mesuré), et encore moins aux Républicaines révolutionnaires. L’action militante de ces dernières fait voler en éclats les tentatives d’identifier la Gironde comme le « parti féministe » de la période, comme l’ont tenté ces dernières années Michel Onfray et Olivier Blanc (d’où les attaques venimeuses de ce dernier contre les Républicaines).

Neuf cent trente pages, c’est beaucoup d’arbres coupés pour un si piètre résultat.

Israel Jonathan, Idées révolutionnaires. Une histoire intellectuelle de la Révolution française, Alma/Buchet-Chastel, 2019 (EO : Princeton University Press, 2014), 930 p., 36 €.

Statut de l’ouvrage : acheté en librairie.

_________________

[1] Shapiro (G.), Markoff (J.), « L’authenticité des cahiers de doléances », Bulletin du Comité d’histoire économique de la Révolution française, 1990-1991, p. 19-70.

[2] Robespierre Maximilien, Observations sur cette partie de la législation qui règle les droits et l’état des bâtards, dans Œuvres de Maximilien Robespierre, t. XI, Compléments (1784-1794), Société des études robespierristes, 2007, p. 137-183.

[3] Mon livre Notre patience est à bout est cité comme source à plusieurs reprises.

[4] Je place ici le signalement et la correction d’une erreur, probablement due à une faute de traduction (peut-être de l’auteur lui-même). Il est indiqué p. 505 : « Roux [visé par une campagne de dénigrement] fut exclu des Jacobins et perdit la direction des colleurs d’affiches – fonction importante. » (je souligne). Il s’agit d’une référence au groupe de colleurs d’affiches que la municipalité parisienne payait pour placarder les annonces publiques (ils auraient été 300 ; voir p. 280). J’ignore si Roux eut jamais la responsabilité de ces employés (Markov n’y fait aucune allusion), mais ce que l’on sait c’est qu’il était corédacteur des Affiches de la Commune, et c’est ce poste – en effet important – qui lui fut retiré.

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Collusion entre Enragé·e·s et «Hébertistes» ~ Origine de la rumeur historienne

16 samedi Mai 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bêtisier»

≈ Commentaires fermés sur Collusion entre Enragé·e·s et «Hébertistes» ~ Origine de la rumeur historienne

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«Hébertistes», Chaumette, Enragé·e·s, Fouquier-Tinville, Gérard Walter, Hébert, Jacques Roux, Théophile Leclerc

Je me suis plains ici-même à de nombreuses reprises des manifestations récurrentes de la rumeur historienne selon laquelle Enragés et «Hébertistes» auraient entretenu des liens étroits, voire auraient formé un courant unique. Tantôt on désigne Hébert comme son chef, tantôt on assure qu’il a repris les revendications des Enragés. Le tout ne reposant jamais sur la moindre pièce justificative, comme l’on disait autrefois pour désigner les documents qui étayent une affirmation ou un raisonnement. Internet ayant fait atteindre à des sommets vertigineux l’art de constituer une doxa par recopiages (tel quel) et paraphrases (introduisant des modifications, c’est-à-dire en l’espèce des broderies imaginaires), l’épidémie n’est pas près d’être circonscrite.

Je m’étais bien sûr demandé quelle est l’origine de cette rumeur, sans jamais tomber au cours de mes lectures sur un texte dont l’auteur pourrait être considéré comme le «patient zéro», si l’on veut filer la métaphore épidémique. C’est que je pensais que l’origine se situerait quelque part dans l’historiographie du dix-neuvième. Or c’est en consultant, un peu par hasard, les pièces publiées du procès dit  des Hébertistes» que l’origine probable m’est apparue, et ce de manière d’autant plus plausible qu’elle précède tout espèce d’historiographie.

En présentant le chapitre VII de ses Actes du Tribunal révolutionnaires consacré au procès des « Hébertistes » (1-4 germinal an II – 21-24 mars 1794), Gérard Walter a soin  de rappeler qu’il s’est agi d’«une opération politique montée par le gouvernement pour se débarrasser d’un groupe d’agitateurs trop encombrants […]. L’affaire avait été jugée d’avance. On ne demandait à la justice que de la couvrir de son autorité[1]. »

Il s’agit donc d’une mise en scène politique, dont le texte a une fonction de propagande en soi, autant que de justification de l’«opération ».

Mentionnons d’abord la présence parmi les vingt accusés d’un Leclerc (Armand-Hubert), qui n’a rien à voir avec Théophile Leclerc l’Enragé, mais certains n’y regardent pas de si près et Théophile a déjà été confondu avec des homonymes (lyonnais, en particulier).

Et venons-en à l’essentiel : la thèse de l’identité de vue entre Enragés et «Hébertistes» fait partie de la mise en scène initiale. Dans le rôle-titre, l’accusateur Fouquier-Tinville prétend convaincre Jacques-René Hébert de collusion avec Jacques Roux. Il n’y a qu’à comparer leurs journaux respectifs !

Pourquoi prendre Roux comme étalon de la radicalité coupable ? Parce qu’au moment où l’on entreprend de «juger» Hébert, Roux s’est déjà suicidé (en février) pour échapper à la condamnation du Tribunal révolutionnaire. Il s’est donc déclaré lui-même coupable, et le dossier (vide) de son accusation peut accroître le poids du dossier (vide) d’Hébert.

Audience du 3 germinal (23 mars). Hébert se plaint que l’on tire de son journal des citations que l’on interprète:

L’Accusateur public répond que le journal d’Hébert passera sous les yeux des jurés; qu’ils se convaincront que l’on n’a pas décousu, à dessein, les paragraphes cités; qu’ils verront Hébert tour à tour royaliste et constitutionnel de circonstance, puis républicain précoce; qu’enfin, en comparant Le Père Duchesne, par Hébert, et le Publiciste [de la République française], par Jacques Roux, l’on reconnaîtra les mêmes principes dans ces deux folliculaires immoraux: ou plutôt l’on se convaincra qu’ils n’en avaient aucun; que l’égoïsme était leur caractère bien distinct, et que toujours ils ont sonné l’alarme, lorsqu’ils ont vu ajouter une nouvelle pierre à la base de la tranquillité publique[2].

On retrouvera le même usage de Roux dans le procès de Chaumette en avril suivant. Le témoin Chardin charge l’accusé, en élargissant jusqu’à Dumouriez le spectre du courant Exagéré·Enragé : « [Il] autorisoit journellement Jacques Roux et bien d’autres, à insulter et calomnier le conseil-général de la commune ; de concert avec le prêtre Roux et Dumouriez, il avoit prévu les manœuvres de pillage, et s’étoit bien gardé de prendre aucunes mesures pour réprimer ces brigandages dans les boutiques. » Chaumette réplique d’abord assez crânement que ces accusations sont « trop au-dessous de [lui] pour qu’[il] entreprenne d’y répondre[3]», avant de s’y employer néanmoins, comme on le voit dans ce passage du n° 37 du Bulletin du Tribunal révolutionnaire.

On voit que le Tribunal révolutionnaire a constamment employé la figure de Jacques Roux, après sa disparition, pour discréditer y compris ses adversaires en leur associant son nom. C’est aussi la source «officielle» de l’amalgame entre Enragés et «Hébertistes», l’amalgame étant une manipulation visant à faire avaliser par l’institution judiciaire une stratégie d’élimination des oppositions.

Sauf découverte à venir de documents qui, dans la précipitation, auraient échappé à l’attention du Tribunal révolutionnaire – et depuis à tous les chercheurs – il faut conclure que l’amalgame entre Enragé·e·s et « Hébertistes » est un mensonge policier avant d’être une rumeur.

Historiennes et historiens s’honoreraient en cessant de le propager.

___________________

[1] Actes du tribunal révolutionnaire, 1968, p. 321.

[2] Actes du tribunal révolutionnaire, 1968, p. 370.

[3] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, n° 36, p. 144.

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Lettre d’outre-tombe de Marat au père Duchesne (1848)

18 mercredi Mar 2020

Posted by Claude Guillon in «D'une révolution l'autre», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Lettre d’outre-tombe de Marat au père Duchesne (1848)

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1848, Armand Barbès, Gustave Lefrançais, Hébert, Jules Favre, Le Père Duchesne, Marat, Marc Caussidière

Je donne ci-dessous un article qui, pour être fort sérieux par son objectif politique et la période où il est publié emprunte au spiritisme – l’auteur de la lettre et le destinataire sont morts tous les deux – et à la gaudriole sexiste : Marat a épousé sa meurtrière Charlotte Corday dans l’au-delà, et lui a fait (c’est la punition de son crime) trois filles…

J’espère que lectrices et lecteurs [confiné·e·s] apprécieront cette «curiosité» documentaire, comme elles·ils me pardonneront la concision inévitable de l’appareil de notes (toutes de moi) : je suis, en 1848, très loin de ma période de (relative) compétence.

Je ne saurais trop recommander à toutes et à chacun la lecture du maître-livre de Gustave Lefrançais réédité à la Fabrique : Souvenirs d’un révolutionnaire. De juin 1848 à la Commune,

Tel, le texte reproduit est l’occasion de rappeler la persistance dans l’imaginaire et la pratique politiques de figures de la Révolution française, comme le Père Duchesne et Marat, qui ont fourni des titres de journaux jusque dans l’Espagne révolutionnaire de 1937 (El Amigo del pueblo, organe des «Amis de Durruti» [voir le billet précédent à propos du livre sur ce groupe, à publier en français]).

Cher vieux,

Oublions nos vieilles haines, et serrons nos rangs. Mille tonnerres, je suis content de te revoir. Tu essuies les verres de tes lunettes, tu frottes tes yeux : hé bien ! oui, c’est moi, Marat : O Viedase[1] ! ne me reconnais-tu pas?

Que te dirai-je? on m’a envoyé des sombres bords (comme disait ce pauvre M. Chénier) pour savoir au juste ce que l’on fait ici. Quant à moi, tu te rappelles mon histoire: envoyé ad patres par les plus jolies mains du monde, je me suis marié là-bas. Oui, vraiment, et tu ne devinerais jamais contre [sic] qui?… — Avec Charlotte Corday… — Oui, mon vieux, avec celle qui… enfin, suffit : cela a été sa punition et ma récompense. Je lui ai fait trois filles; elles sont parmi vous: ils [sic] s’appellent Liberté, Égalité, Fraternité. Nous nous aimons comme deux tourtereaux… Nous jouissons d’un bonheur inaltérable. Enfin, nous faisons voir à ce pauvre M. de Florian[2] que tout ce qu’il a écrit sur le tendre amour, c’est de la gnognotte.

Corbleu ! cela va mal. Comment diable avez-vous été chercher des républicains à l’eau de rose : des hommes froids comme le souvenir du dernier roi des Français ? Et toi, Viedase ! j’ai peine à te reconnaître: tu es devenu doux comme les mesures du gouvernement provisoire. Allons, un peu d’énergie, aux grands maux les grands remèdes. As-tu peur de la censure? Elle n’existe plus. Dis-leur donc ce que tu penses, à tous ces gaillards-là. Dis à celui-ci: «Vous êtes un républicain pâle et froid comme votre figure.» À celui-là: «Ton journal remplace admirablement celui du gros Bertin[3]… Aurais-tu aussi une subvention pour être aussi conservateur?» À cet autre: «Tu n’es pas à la hauteur des grands événements qui vont se dérouler devant nous. — Toi, tu avais promis d’appuyer la régence. — Toi, tu as refusé ton concours à de bonnes et grandes actions. — Toi, ministre de l’intérieur, est-il vrai que tu distribues avec une grande profusion des fonds secrets à de vils agens? Tu es bon républicain, pourtant : pourquoi as-tu laissé surprendre ton patriotisme si éclairé? D’où vient le choix malheureux que tu as fait, en envoyant dans les provinces tant de misérables agens? On ne peut cependant suspecter ton ardent républicanisme… Tu es pour moi l’homme et la personnification de la nouvelle et glorieuse République française!… Sois plus circonspect à l’avenir; ne laisse pas surprendre ta bonne foi. Tous les bons citoyens sont pour toi; mérité toujours de la patrie, et tu auras rempli une sublime mission. Dis donc à Garnier-Pagès[4] qu’il est un très mauvais financier. Ses décrets sont stupides: ils détruisent la confiance et portent à faux. Il a cependant un beau nom à défendre, et je le crois bon républicain; mais il se trompe, où [sic] il est trompé… Qu’il veille, etc. etc. etc. Enfin, tous vous roulez carrosse, vous touchez des appointemens énormes; vous vivez dans les somptueux palais… Chevet[5] bourre vos estomacs; tandis que nous, nous étions pauvres. Les taudis nous abritaient, et, mille diables, nous vous valions bien.

Quoi! C’est du 93, dites-vous? La terrible machine de notre ami Guillotin se dresse déjà devant vos yeux effrayés? Rassurez-vous: nous ne voulons la mort de personne. De notre temps, le sang était nécessaire, il en fallait. Aujourd’hui, ce serait une sottise, ce serait infâme et lâche!… Mais pour Dieu! ne compromettez pas cette magnifique République, enfant de la nôtre. Songez-y, la réaction travaille, elle ne daigne même pas se cache : elle se promène la tête découverte; si vous la laissez faire, vous plongerez la France dans le plus terrible de tous les maux la guerre civile. — Allons, citoyens, de l’énergie, soyez désormais à la hauteur de votre grande mission. — Le moment est arrivé. — Vous avez les sympathies de toute l’Europe. Peuples, soyez grands, soyez unis, et vous serez forts… pensez à tous ces opprimés qui tendent leurs bras vers la France. — De notre sublime Paris est sortie l’étincelle qui a porté dans la vieille Europe la flamme de la sainte liberté… Les tromper serait un crime horrible; et l’on punit sévèrement les infâmes… mais non, père Duchesne, jetons un voile sur le passé. — Le géant parisien oublie vos demi-mesures et vos inutiles proclamations; le grand peuple qui a faim attend avec une résignation jusqu’à ce jour inconnue… Groupez vos forces, vos intelligences; que votre patriotisme soit inattaquable; ne faites plus rire nos ennemis, soyez énergiques (je ne saurais trop le répéter) ; vider les écuries d’Augias… rappelez-vous cette ancienne devise: l’union fait la force. La France, l’Europe, le monde attendent. Si vous ne réalisez pas ce qu’on a le droit d’attendre de vous, nous prendrons le fouet de l’infamie, et nous vous en stigmatiserons le visage.

Quant à toi, vieux, sois incorruptible; laisse-là les bains de pied et le bonnet de coton; mérite les approbations des vrais républicains, et tu auras notre concours. Envoye quelques membres du gouvernement provisoire à l’Assemblée nationale: donne ta voix à Jules Favre[6], Caussidière[7], Barbès[8], républicains éprouvés; et puis choisis des ouvriers… beaucoup d’ouvriers… S’ils ne sont pas orateurs, ils le deviendront; ils ont du cœur, du patriotisme et de l’honneur, c’est tout ce qu’il faut.

Adieu Viedase, je ne sais pourquoi, mais j’espère. Mon cœur s’épanouit; je porterai là-bas de bonnes nouvelles, je leur dirai que le Français n’a pas dégénéré; que si nous avons succombé en leur traçant la route, notre sang n’a pas été stérile. Si cela ne va pas (ce qu’à Dieu ne plaise), je serai à tes côtés, et gare dessous!

Salut et fraternité !

Marat.

 

[1] Équivalent plus obscène de couillon. D’après Rabelais (Pantagruel): de viet d’aze, «vit d’âne» (pour cette raison: nom provencal de l’aubergine).

[2] Sans doute Jean-Pierre Claris de Florian, né en 1755. Il est emprisonné en 1794; libéré après la chute de Robespierre il décède en septembre des suites d’une tuberculose aggravée par sa détention.

[3] Les frères Bertin, Armand et Édouard ont été directeurs du Journal des débats.

[4] Louis-Antoine Pagès dit Garnier-Pagès, (1803 1878) fut membre du gouvernement provisoire de 1848, ministre des Finances et maire de Paris (1848) et plus tard membre du gouvernement de la Défense nationale (1870-1871).

[5] La maison Chevet était un célèbre traiteur du Palais-Royal chez qui l’on se fournissait en vins et comestibles et où l’on pouvait manger.

[6] Jules Gabriel Claude Favre (1809-1880), avocat, républicain bourgeois.

[7] Marc Caussidière (1808-1861); il participe à l’émeute lyonnaise de 1834 et aux barricades de février 1848, avant de se bombarder préfet de police, se vantant de «faire de l’ordre avec du désordre».

[8] Armand Barbès (1809-1870). «À la suite des événements du 12 mai 1839, journée d’insurrection durant laquelle les républicains de la Société des saisons tentent de renverser Louis-Philippe, il est condamné à la détention perpétuelle, puis libéré par la révolution de 1848.»

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Une lettre d’Hébert, du 27 mars 1793, sur une saisie de riz

24 mardi Déc 2019

Posted by Claude Guillon in «Documents»

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Commune, Hébert, Jacques Guilhaumou, Subsistances

En vente sur ebay, une lettre aux 48 sections parisiennes de la main de Jacques René Hébert (15 novembre 1757 – 24 mars 1794), militant du club des Cordeliers, véritable «entrepreneur de presse», selon l’expression de Jacques Guilhaumou, qui a rédigé sa notice dans le Dictionnaire historique de la Révolution française (le bien connu Père Duchesne & le Journal du soir sans réflexions, où il publie les comptes rendus des débats à l’Assemblée législative), enfin substitut du procureur de la Commune de Paris à partir de janvier 1793.

«Son implication dans le procès des “hébertistes” où il est présenté comme le chef d’une faction des “agents de l’étranger” ne repose sur aucune donnée véritable. C’est en fait le procès du rôle des Cordeliers pendant l’été 1793 qui se déroule sous ses yeux, alors qu’il a perdu la plus grande part de son influence politique. À travers Hébert, le Père Duchesne, Albert Soboul l’a montré, les Montagnards cherchent à atteindre le mouvement populaire dont il vient de se rapprocher.» (J. Guilhaumou).

Arrêté le 14 mars 1794, à peu près un an après avoir rédigé la lettre ci-dessous, Hébert est assassiné légalement dix jours plus tard.

Commune de Paris

Paris, le 27 mars 1793

L’an 2e de la République Française, une et indivisible

Procureur de la Commune

La section du finistère, citoyens, a saisi plusieurs sacs de Riz que des particuliers ont été surpris acheter à vil prix des pauvres de cette section [.] Sur la dénonciation qui me fût faite du procès verbal constatant ce commerce illicite, j’ai fait citer à ma requète au tribunal de police Municipal les acheteurs, il a été ordonné que le Riz saisi seroit distribué aux pauvres de la même section : par une disposition [?] particulière, le tribunal m’a chargé de faire part aux comités des 48 sections de ce genre de commerce  afin qu’ils puissent y mettre ordre. [P]our remplir le vœu de cette décision, je m’empresse, citoyens, de vous donner connoissance du Résultat de cette affaire, et vous engage à exercer sur cet objet toute votre surveillance.

Hebert

substitut

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“La langue du peuple pendant la Révolution française” ~ par Jacques Guilhaumou

24 mardi Sep 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “La langue du peuple pendant la Révolution française” ~ par Jacques Guilhaumou

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Hébert, Jacques Guilhaumou, Michel Biard, Raymonde Monnier

Je reproduis ci-après, avec son accord un article de Jacques Guilhaumou (UMR «Triangle», Université de Lyon, CNRS/ENS-LSH), « Parler la langue du peuple pendant la Révolution», tiré de l’ouvrage La Révolution française. Une histoire toujours vivante, sous la direction de Michel Biard, Paris, Taillandier, 2009, pp. 317-331. réédition: Paris, CNRSeditions, 2014, pp. 317-331.

La langue du peuple

pendant la Révolution française

La formation d’une «nouvelle langue politique», selon l’expression de Sieyès, est la quête obligée d’une génération de révolutionnaires qui se trouve confrontée à un  immense changement[1]. Certes cette invention d’une nouvelle langue politique est précédée, dès les années 1750, d’un souci de constituer une langue analytique bien faite, donc au plus près de la raison, avec les Encyclopédistes, mais en restant à distance des préjugés du peuple. C’est donc seulement au cours des années 1770-1780, avec l’émergence d’une façon d’observer la société, qui prend déjà nom de sociologie là encore sous la plume de Sieyès[2], que se précise un intérêt pour le «peuple malheureux» en s’appuyant sur la connaissance des mœurs et des besoins sociaux[3]. Ce qui revient d’emblée à donner une base sociale large et déterminée à la nouvelle langue politique. Ainsi, le peuple n’est plus exclu de l’observation sociale, comme dans les périodes antérieures. Bien au contraire. Il est alors possible, comme l’ont fait Arlette Farge et Déborah Cohen[4], de donner vie, à partir d’archives, à la parole populaire en cette fin de l’Ancien Régime par la prise en compte de ses revendications, et de leur légitimation propre.

Ainsi le Robespierre avocat dans les années 1780[5] considère que le peuple doit «être compté pour quelque chose», en se présentant, d’une affaire judiciaire à l’autre, comme le témoin  oculaire qui atteste du malheur de tel ou tel homme du peuple. Il témoigne ainsi de l’injustice faite au peuple, et en fait un argument pour l’action. Dans le même temps, il met en place avec d’autres penseurs des Lumières tardives (Condillac, Helvétius, D’Holbach, Condorcet) les bases de l’art social qui vont permettre le déploiement de la figure sublime du législateur bientôt légitimée par le déploiement souveraineté du peuple. Il institue ainsi la présence, au sein même de la nouvelle langue politique, d’un tiers légitimant, la parole du peuple. Toute analyse de la langue politique pendant la Révolution française est donc indissociable de la question de la langue du peuple telle qu’elle se présente sous diverses formes au cours de la période démocratique de la Révolution française.

Déjà Rousseau s’était efforcé, dans le Contrat Social, «d’examiner l’acte par lequel le peuple est peuple» et de le situer au fondement de toute société juste. Il en conclut que le peuple prend nom de peuple dans chaque événement qui le légitime, posant ainsi, avec l’événement révolutionnaire à venir, un terrain d’expérimentation sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Cependant, adepte des paradoxes, il écrit aussi vite qu’«Il y a mille sorte d’idées qu’il est impossible de traduire dans la langue du peuple», ce qui nous renvoie, avec la Révolution française, à l’effort constant du porte-parole, et qui plus est du législateur, pour traduire la langue du peuple, tout particulièrement dans les moments de crise politique.

Faire l’histoire de la langue du peuple au cours  de la Révolution Française, c’est donc situer les temps forts d’un tel processus de traduction, et ses diverses mises en œuvre au cours du processus révolutionnaire. Nous nous contentons présentement de poser quelques jalons d’une année de la Révolution à l’autre, tout en consacrant un développement plus substantiel à une expérience de la langue du peuple particulièrement originale, et qui vient de faire l’objet d’une minutieuse étude de Michel Biard, le style Père Duchesne en particulier sous le plume d’Hébert, un des principaux dirigeants cordeliers en 1793.

Le trajet de la langue du peuple[6]

L’année 89, année sans pareille, débute avec la célèbre interpellation de Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-État ? où il est question du Tiers-État qui n’a été rien dans l’ordre politique jusqu’à présent, et qui demande à «devenir quelque chose» dans le nouvel ordre social. Elle se déroule alors au plus près d’une institution nouvelle, l’Assemblée Nationale. C’est du langage du peuple-nation dont il est question tout au long des événements, dans une dissociation encore fortement présente avec un langage du peuple qui peut se manifester dans des propos et des attitudes violentes, voire dans des gestes punitifs. La parole du peuple exprime certes une demande, mais dans une forme punitive, ainsi le massacre de De Launay, le gouverneur de la Bastille, 14 juillet 1789, est présenté dans les termes suivants par l’un de ses assassins: «Quand de Launay fut mort, le peuple dit : la Nation demande sa tête pour la montrer au public». Ce mélange de demande publique et de violence émeutière procède pour les contemporains, et en particulier les députés de l’Assemblée Nationale, d’un alliage «impur». Il constitue cependant, par la multiplication des scènes punitives – voir de même les massacres de Foulon, conseiller d’Etat et de Bertier de Sauvigny, Intendant de Paris –, l’une des manifestations de la violence du peuple jusque dans des formes langagières spécifiques.

Il importe ainsi pour l’histoire de suivre, d’événement en événement, la diffusion d’un tel langage populaire situé au plus près de la quotidienneté, avec son point culminant au moment des massacres de septembre 1792 à Paris.

L’exemple du faubourg Saint-Marcel[7], caractérisé par la présence de nombreux sans-culottes d’un tumulte à l’autre, est ici particulièrement parlant si l’on peut dire. Renfermant dans ses prisons plus de 800 suspects, ces derniers subissent toutes sortes d’«actes de férocité» précise un officier municipal qui témoigne par ailleurs de son échec à les empêcher dans  les termes suivants: «Je leur parlai le langage austère de la loi… Je les fis tous sortir devant moi; j’étais à peine moi-même sorti qu’ils rentrèrent.» Il assiste alors impuissant au massacre de plusieurs dizaines de prisonniers, contraint de même à entendre les propos punitifs des septembriseurs repris des actes du quotidien, ainsi du type «Je hacherai cette viande par morceaux et la fricasserai pour les faire manger aux aristocrates» ou «Vous, Monsieur à la peau fine, je vais me régaler d’un verre de ton sang». L’acte punitif s’arrête souvent avant, par le seul fait du sabrage du prisonnier. Mais l’horreur du geste et du propos traumatisent les contemporains.

Cependant des juges improvisés tentent, dans certaines prisons, de faire la part entre l’innocent et le coupable : s’ils arrivent à sauver quelques vies, ils n’empêchent pas le massacre de la majeure part des prisonniers. Précisons cependant qu’ils utilisent un langage politique marquant une volonté de traduire la demande légitime du peuple tout en excluant le contexte punitif, ainsi de formules utilisées face aux septembriseurs qui vont avoir un succès certain par la suite comme «Guerre ouverte aux ennemis du bien public», «C’est un combat à mort».

L’effort ainsi attesté de traduire la demande du peuple dans une langue politique légitime, donc de faire droit aux besoins du peuple au titre de la Déclaration des droits et du citoyen qui ouvre la possibilité de réaliser les droits naturels de chaque individu, devient l’une des préoccupations majeures des républicains en 1791-1792, puis des Jacobins en 1793-1794.

Raymonde Monnier a décrit avec minutie le langage républicain en acte des années 1790-1792 qui se déploie au sein d’«une sphère démocratique de discussion où chacun s’autorise à donner son opinion sur la politique est les sujets d’intérêt général»[8], en appui sur une presse quotidienne qui informe le peuple parisien de la révolution au jour le jour. L’engagement des gens de lettres auprès du peuple est ici fortement marqué et concerne aussi des écrivaines patriotes, à l’exemple de Louise de Keralio, l’épouse de François Robert qui animent, à eux deux, le cercle démocratique du Mercure National. Non seulement, ils défendent la cause du peuple français, mais aussi celle des peuples, au titre de «l’union fraternelle des nations d’Europe». Qui plus est, «la prise de parole publique des femmes»[9] est l’une des composantes importantes du langage républicain dans sa proximité à la langue du peuple.

En énonçant, dans sa profession de foi, «Je hais les rois et j’abhorre la royauté», en considérant qu’il faut effacer de notre mémoire jusqu’au nom de roi, et introduire le mot république qui «fait reculer d’effroi» les ennemis du peuple, le républicain Robert constitue, avec d’autres écrivains patriotes, un espace de traduction de la souveraineté du peuple occupé désormais par un langage républicain, dissociant royauté et liberté, et faisant de tout patriote un démocrate. Dans la mesure où la démocratie est «le gouvernement de tous», et «ne suppose qu’une chose: l’égalité», elle est aussi le langage de tous, du «peuple-roi», et non seulement le langage d’un tout social, comme en 1789, souvent dissocié des manifestations légitimes du peuple, parce que «dévoyées» dans une parole encore punitive. En disant que «citoyen, patriote, ami de la liberté et démocrate sont de parfaits synonymes», Robert pointe ainsi la désignation du peuple par lui-même, sa manière de dire sa puissance dans un langage républicain. Il instaure, avec d’autres, une énonciation légitime du peuple, une manière «populaire» de parler.

Les adresses présentées à l’Assemblée législative et émanant de diverses autorités constituées ne disent pas autre chose, tout en réservant, en cas de refus de leur demande, au peuple la possibilité de «faire justice lui-même» par la reprise de l’exercice de ses droits. Une telle tension, au risque de la dissociation pour les républicains les plus modérés entre un «peuple éclairé» et un «peuple ignorant», donc sensible à l’anarchie, est omniprésente dans cette manière de traduire la demande du peuple dans un langage lui-même désigné comme «populaire». C’est aussi à ce titre que les républicains ne sont pas tous Jacobins, ou tout du moins n’adhèrent pas tous à la radicalisation progressive du mouvement jacobin, à l’exemple d’Antoine Tournon[10].

C’est pourquoi nous avons toujours accordé, depuis nos premiers travaux sur la langue politique, une place centrale à la manière dont Robespierre et les Jacobins inventent un savoir parler «populaire» en situant les expressions légitimes du «mouvement populaire», au cours de l’année 1792 et plus particulièrement à l’occasion de la chute de la royauté, le 10 août 1792. Partant du constat que faire le récit du 10 août, c’est prendre en compte «un spectacle qu’aucune langue ne peut rendre», Robespierre s’efforce de délimiter les nouvelles expressions légitimes d’un «peuple entier» usant de ses droits en s’appuyant sur «le langage de vérité des délégués immédiats du peuple» dont lui-même en tant que délégué de la Commune de Paris. En considérant « ce que le peuple a fait» et la manière sont ses délégués l’ont traduit dans «un langage de vérité», Robespierre institue une langue politique en «communication directe avec le peuple».

Qui plus est, il peut alors affirmer, une fois élu à la Convention, et à propos des massacres de septembre que «c’était un mouvement populaire» dans le fait même que des juges improvisés y étaient présents pour énoncer «le langage de vérité» du peuple. Désormais le rôle qui est dévolu par les Montagnards aux législateurs est de traduire les besoins et les passions du peuple dans «une langue du peuple» face à un peuple qui ne détient pas encore la science de la politique. À chaque usage de «populaire» («mouvement populaire, force populaire, délégué populaire.»), le discours jacobin s’autolégitime comme «langue du peuple».

Reconnaître alors le peuple comme incarnant le tout de la communauté politique à travers le qualificatif de populaire ne se réduit pas alors à rendre compte de la nécessité de la voix du peuple, et de son écoute dans le concert législatif [11]. De surcroît, l’insurrection du 10 août confronte certes les patriotes à l’expérience de l’inhumanité, manifestée dans la souffrance issue de l’insensibilité royale, ce qui les incite, en réaction, à l’appel à la vengeance au nom de la sauvegarde du  corps du peuple. Mais le plus important réside alors dans la nouvelle façon de communiquer entre le peuple et ses représentants au lendemain du 10 août qui met certes un terme à « la confusion des langages républicains », mais surtout ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont le peuple prend nom de peuple dans chaque événement où il manifeste sa présence révolutionnaire, donc parle sa propre langue.

Il importe en effet que la dynamique langagière du moment 1792 soit fortement soulignée. Il importe tout autant qu’elle ne soit pas perçue comme purement émotive, au titre d’un cri légitime de souffrance, et qu’elle ne se traduise pas par le seul  argument de la demande de droit présent dans le discours de ses porte-parole. Elle est tout autant conceptuelle, au sens où le savoir politique devient langue du peuple, langue de la Masse écrira Marx lecteur de la Révolution française, donc constitue un jalon essentiel de la tradition progressiste[12].

D’ailleurs un des aspects de cette nouvelle économie politique populaire qui se met en place, au niveau langagier, est une position antirhétorique qui s’exprime bien dans la phrase «Discourir laconiquement est le propre du jacobin». À distance de la profusion oratoire issue du sentiment redoublé par un argument, l’affirmation de l’identité entre la langue et les droits permet de formuler la langue du peuple dans toutes sortes de déploiements de la parole naturelle des individus, et lui confère une valeur de reconnaissance bien marquée par la référence à une science de la politique. D’analogie en analogie sur le terrain de la simple nature humaine, d’une expression populaire à l’autre, une telle langue du peuple prend une consistance que nul autre qu’Hébert dans le Père Duchesne a su si bien mettre en valeur.

Le parler peuple

Hébert, l’un des principaux dirigeants de la Commune de Paris et du club des Cordeliers, occupe en effet, grâce à son Père Duchesne publié dès 1790 et interrompu par son exécution en 1794, une place singulière dans l’histoire de l’opinion populaire pendant la Révolution française.

L’apogée du Père Duchesne d’Hébert se situe durant l’été-automne 1793 au moment où le mouvement populaire connaît sa pleine puissance dans le contexte du lien qui s’établit à Paris entre les Cordeliers et le mouvement révolutionnaire impulsé par les sectionnaires jacobins radicaux, les femmes révolutionnaires et les envoyés des départements pour la fête du 10 août  Au cours de l’automne, ce journal se diffuse à près de 50.000 exemplaires, ce qui est considérable pour l’époque.

Pour en comprendre le succès, il convient d’en préciser le style. C’est ainsi que le journaliste des Annales de la République française note au début du mois de septembre 1793 que «C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Ce proverbe connu peut-être appliqué au Père Duchesne. Depuis qu’il a quitté ses fourneaux pour prendre la plume, ses joies et ses colères ne sont pas seulement le thermomètre des événements, mais le vieux forgeron se perfectionne chaque jour dans l’art d’écrire avec méthode et de jurer avec grâce». De fait Hébert, capable de «s’exprimer en style différent et dans une forme plus accablante alors» lorsqu’il quitte la tribune de la Commune de Paris et donne à lire son Père Duchesne par les colporteurs, connaît, en ce début de mise à l’ordre du jour de la Terreur, un immense succès. Il est considéré comme le porte-parole des «orateurs des groupes», donc du «peuple des groupes» et ses opinions, depuis le début de 1793, sont «le thermomètre du jour» selon le journaliste de la Gazette française. Par son journal, il n’a de cesse d’«éclairer le peuple», de «faire des motions patriotiques».

En quoi le style du Père Duchesne est-il si bien adapté à un public populaire? D’abord par l’usage des ressources les plus diverses de la narration imagée, par exemple le dialogue fictif sous divers costumes, des récits de promenade – au Palais-Royal, à la Courtille et ailleurs –, des récits de songe, des narrations allégoriques. Mais aussi et surtout par l’usage massif de jurons et d’expressions populaires dont le Dictionnaire historique de Michel Biard propose un recensement et une analyse précis[13]. De cette performativité du langage populaire du Père Duchesne, on peut déjà en prendre conscience dans les lectures d’archive, par exemple lorsque que dépouillant, aux Archives Nationales, le dossier de police d’un sectionnaire parisien, j’y trouvai, dans un billet de dénonciation, le propos suivant que lui attribuait son dénonciateur: «Foutre, je vais jurer comme le Père Duchesne». Il convenait donc que l’historien en mesure toute l’ampleur en retraçant, d’une expression à l’autre, la multiplicité des parcours thématiques proposées par Hébert au cœur même de l’action révolutionnaire dans sa dimension performative.

Cependant bien des expressions populaires du Père Duchesne nous sont devenues inaudibles, faute d’en saisir le sens, et «gênent» donc sa lecture sans commentaires. En nous proposant ainsi un imposant Dictionnaire du Père Duchesne, qui comprend pas moins de 550 pages d’expressions présentées, commentées, contextualisées, Michel Biard nous ouvre un vaste horizon de compréhension sur la façon dont se greffe la langue populaire sur la langue politique de la Révolution française, pour en redoubler les effets [14].

Le journaliste patriote Cérutti, dans son Prospectus d’un Dictionnaire d’exagération, s’intéresse à «l’idiome exagérateur» qui se veut proportionné à l’accroissement subit des idées, véritable «langue des effets»[15]. Le Père Duchesne procède d’une telle exagération proportionnée aux circonstances, ce qui nous écarte du langage ordurier.

Compte tenu du fait qu’une grande part du journal d’Hébert relève de la dénonciation publique des «coups de chien» adversaires de la République, l’usage pléthorique et diversifié à l’extrême des expressions populaires sur ce registre en redouble les effets, et contribue donc tout particulièrement à la visibilité du Père Duchesne dans l’opinion publique.

Il s’agit par exemple de rire des  rois et des reines lorsqu’il est dit qu’ils vont «avoir le bec jaune» au prise avec les braves sans-culottes, donc de s’en moquer en considérant telle ou telle tête couronnée et/ou mitrée d’Europe comme «un blanc-bec», et de les qualifier, à l’exemple de Louis XVI, de «bamboche couronnée». Il s’agit aussi de  dénoncer leur «margouillis», leur art de «jeter de la poudre aux yeux», et de les accuser de «graisser la patte» aux députés de l’Assemblée, à l’exemple de Marie-Antoinette, donc de «se foutre comme Jean de Vert» des dangers qui pèsent sur la République. Et bien sûr de les combattre en leur faisant «danser le rigodon», en leur «foutant la danse», tout en leur faisant aussi «payer les violons»!

Ce n’est donc que «jean-foutre», «viédase» – c’est du vocabulaire rabelaisien – «valetaille» pris à parti par le Hébert, mais parfois avec des mots comme «jeantrillâtre» «parfaitement compris des lecteurs du Père Duchesne, eux-mêmes prompts à saisir les jeux sur les mots dont la presse et les pamphlets multiplient chaque jour les exemples», mais dont l’historien se doit, ici avec succès, de préciser l’origine et la composition pour nos contemporains qui les ont oubliés. Ici «jean-foutre» associé au verbe «étriller» et au suffixe «âtre» à connotation fortement péjorative comme dans «bellâtre». Le mot rare, disons oublié, et dévalorisant peut aussi servir à s’adresser aux femmes, ainsi  «ajustorion», pour se moquer de l’ornementation des muscadines.

En contextualisant telle ou telle expression, l’historien nous fait aussi découvrir l’impact historique de la dénonciation des ennemis en nombre de la République jusqu’aux Girondins inclus qui ne cessent de «mener à la lisière» les patriotes en leur donnant «un os à ronger». De même les mots d’ordre hébertistes prennent ici un relief particulier, par exemple avec la destitution des nobles pendant l’été 1793 lorsqu’il est question des «ci-devants talons rouges».

Tout un univers de la comédie, du théâtre des boulevards, de la parade de rue, du Carnaval, du cabaret de la Courtille, déjà évoqué, se précise ainsi que à la lecture de ces expressions populaires. Arlequin est bien présent «cousu de pièces et de morceaux» comme le veut la tradition burlesque. Le «foutu Dandin» de Molière côtoie le «Brid’Oison» – ici le juge qui veut arrêter Hébert –, de Beaumarchais. Nous retrouvons aussi au fil des expressions Gilles, Arlequin, Crispin, Pasquin et ses pasquinades. La comédie italienne est ainsi présente, qui plus est avec l’expression «mener au coin du roi». Le Carnaval s’y retrouve de même dans les usages de «cul» et leur valeur d’inversion burlesque: «aller (remuer) de cul et de tête, aller le cul nu, baiser le cul, foutre la pelle au cul, montrer son cul, sortir d’un cul», etc. De même, dans le registre carnavalesque, «pousser par haut et par bas». Quant à la parade, bien des Girondins sont désignés comme des «bateleurs», étant entendu qu’«après la parade arrivera la tragédie»…

Enfin le Père Duchesne, considérant, comme Vadée, que voir Paris sans voir la Courtille, ce n’est pas voir Paris, n’hésite pas à faire le récit de sa «grande ribotte» à la Courtille là où il casse sa pipe à «découvrir le pot aux roses» des jean-foutres. La veine littéraire d’Hébert, dans le Père Duchesne, se nourrit alors aussi bien de Rabelais, Molière, Beaumarchais que de Montaigne qui «aimait à lier des idées par la queue d’un poil» et Hébert d’ajouter «c’est son terme, je suis de même». On y trouve enfin des mots latin, ainsi dans «être à quia», qui côtoie, dans l’ordre du dictionnaire un mot «bas et populaire» (Féraud) comme quibus.

Notons aussi le vaste univers de la parole populaire dite exagérée, qui nous rappelle que le Père Duchesne est un journal crié, à travers son sommaire, dans les rues de Paris, lu dans les assemblées et les clubs, parfois même affiché sur les murs. Il est bien question ici d’en finir avec «le gouailleur» qui joue sur «la badauderie» du peuple, tout «ébaubi» par leurs propos. À ceux qui veulent nous faire «croire que des vessies sont des lanternes», en particulier «les bougres d’enfonceurs de portes ouvertes» qui nous ont «engueusé», à l’encontre des «aboyeurs de la royauté» qui empêchent les bons citoyens de faire leurs motions patriotiques, «les aboyeurs du peuple» répondent avec force. De même s’agit-il d’en finir avec tous «les marchands de phrase», véritables «moulins à parole» avec leur «bagou», qui nous «jettent de la poudre aux yeux», à force d’«argoté», et «s’amusent à la moutarde» en cachant leur «margouillis». Leur façon de «nager entre deux eaux», de «conter fleurette» bref leur art de «brouiller les cartes» s’entendent dans leur «baragouin» et leurs «balivernes» de «braillards de palais». Leurs «bons mots» les qualifie de «calembourdins». «Enfonceurs de portes ouvertes», «politiqueurs à perte de vue», avec leur « rgotag », leur «joberie», leur «babil» et leur «galimatias», ils tiennent un discours auquel on ne comprend rien, ou tout du moins profite du fait d’avoir «la langue dorée», ou «la langue sucrée», manière de «verguigner» (« barguigner » sans vergogne) pour nous «mener à la lisière». Ces «mâtins rendoublés» veulent nous faire croire qu’ils ont de l’esprit et de l’éloquence, mais leurs «rapsodies» ne sont que des «grands mots» pour les sans-culottes.

Et de «dégoiser» et «jaser», «river leur clou», ici le privilège du Père Duchesne et du Père Duchesne, pour faire  pièce à «parluiser» (une expression de la Normandie natale d’Hébert) «avoir du bagou» et autres expressions citées ci-dessus. Et Hébert d’en conclure sur la nécessité de revenir sur l’analogie entre les mots et les choses, si souvent soulignée par les journalistes remarqueurs des nouveaux usages de la langue politique: «Laissons-là tout cet amphigouri, il faut nommer les choses par leur nom», «C’est trop baliverner sur les mots, revenons sur les faits». Et dit de façon encore plus populaire: «moins de rodomontades, bougres d’engueuseurs et plus d’effet» Ainsi le peuple est-il enfin «débadaudé», en se foutant du «Qu’en dira-t-on» et en «rembarrant de la bonne manière» ses ennemis par le simple effet de son action, de la force de son discours.

Le lecteur du Père Duchesne est tout aussi frappé par la fréquence du vocabulaire autour de la guillotine avec l’omniprésence de Charles Samson dit Charlot, là où il est question du «vis-à-vis de Maître Samson», de «la cravate de Samson» (ou «cravate du docteur Guillotin»), du fait de «faire danser la danse de Samso». Quant au verbe «raccourcir», il apparaît 18 fois en 1793-1794! Une de ses victimes, Charlotte Corday, assassin de Marat, est ainsi désigné par l’expression «collier de Charlotte Corday», allusion donc à son exécution le 17 juillet 1793. L’usage fréquent de l’expression, plutôt ancienne comme le montre Pierre Enckell[16], «faire perdre le goût du pain», pour dire tuer, expression étendue ici au fait de guillotiner, mérite aussi d’être souligné. Un mot enfin sur la formule «Laissons à Charlot ce qui est à Charlot» qui nous renvoie, comme le note Michel Biard, au fait qu’«Hébert appelle les citoyens à ne pas vouloir se faire justice eux-mêmes […] mais à avoir confiance en la justice pour que les coupables soient condamnés»[17]. Nous comprenons ainsi la rareté du vocabulaire de la pendaison, tout aussi soulignée par une expression quelque peu énigmatique, mais qui mérite toute l’attention de l’historien, «faire la grimace au pont rouge». Ce qui situe donc bien le jacobin Hébert du côté du refus de toute action punitive populaire, et de la volonté d’user de la forme légale de la guillotine, au point d’ailleurs de les associer en parlant de «brave lanterne et guillotine» ce qui est une manière d’euphémiser la redoutable lanterne dressée par un peuple punitif. Nulle présence de «à bas», «à bas la tête», donc du vocabulaire punitif du peuple. Une fois plus, parler la langue du peuple consiste à contrecarrer toute vision d’une peuple massacreur, punitif, soumis aux préjugés donc jugé mineur politiquement.

Bien sûr, tout le parler peuple n’est pas dans le Père Duchesne d’Hébert. Les autres Père Duchesne en usent. Dans Le Lendemain, en novembre 1790, il est question d’un Père Duchesne qui «a eu raison de se réjouir par bécasse, et par bémol de la défaite des fermiers généraux». «Le lundi gras du Père Duchêne» en 1791 «arrache la cataracte aux Français» alors que «la guerre civile nous pend au nez». Dans la même veine, «Le grand carnaval du Père Duchêne» précise d’emblée que «Notre badauderie est en cause. Tant qu’on laissera la pépie et la crête aux aristocrates, le temps fera la grimace, et nous aurons toujours une figure de carême». D’autres journaux font  aussi des jeux de mots dans le même sens. Ainsi du Rougiff ou Le Franc en vedette, concurrent «dantoniste» pendant l’été 1793, qui, jouant sur le mot badaud, écrit: «Oui, parisien sans-culotte, tu redeviendrais bas-dos-royal».

Avec la chute de Robespierre et la fin du gouvernement révolutionnaire de l’an II, le processus de formation de la langue du peuple s’interrompt brutalement, et ne reprendra vie qu’avec la Révolution de 1830 et les première manifestations du mouvement ouvrier, en particulier avec les canuts lyonnais. L’image qu’il en reste pour les contemporains horrifiés est un déchaînement de bas-langage qui renvoie à une figure plaisante mais devenue malsaine, le sans-culotte[18] et à une figure encore plus terrifiante, celle du massacreur, des événements parisiens de septembre 1792 aux diverses scènes punitives en Province[19]. C’est là une autre histoire, celle d’un imaginaire politique toujours prégnant dans nos consciences.

___________________

[1] Voir notre ouvrage La langue politique et la Révolution française, Paris, Meridiens/ Klincksieck, 1989.  

[2] «Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose». Revue d’histoire des sciences humaines, Naissance de la science sociale (1750-1850), 2006, 15, p. 117-134.

[3] Voir notre article, en complément de l’ouvrage précité, sur «La langue politique et la Révolution française», Langage & Société,  N°113, septembre 2005, p. 63-92.

[4] Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au 18ème siècle, Paris, Seuil, 1992. Déborah Cohen, Nature du peuple: formes de l’imaginaire social, XVIIIe/XXIe siècles, Seyssel. Champ Vallon, 2009.

[5]  Voir notre article «Robespierre et la formation de l’esprit politique au cours des années 1780. Pour une ontologie historique du discours robespierriste», Mots, n°89, mars 2009, p. 125-137.

[6] Nous avons contextualisé chaque étape du trajet ainsi décrit dans notre ouvrage L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Presses Universitaires du Septentrion, 1992.

[7] Haïm Burstin, Une révolution à l’œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Paris, Champvallon, 2005.  

[8] Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 155.

[9] Titre d’un numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française, n°344, avril-juin 2006, sous la direction de Christine Fauté, qui ajoute une telle dimension langagière au travail pionnier de Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple pendant la Révolution française, Paris, Perrin 2004 (Première édition, 1988).

[10] Voir notre étude, « Antoine Tournon, un journaliste patriote à l’épreuve des principes », Annales Historiques de la Révolution Française, N°1, 2008, p. 3-27.

[11] Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la république, Paris, Payot, 2008.

[12] Nous avons Claude Mazauric, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, 2009, et la présentation qu’il fait, dans cet ouvrage, de nos travaux sur le jeune Marx et le langage jacobin.

[13] Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Tallandier, 2009. Voir également la présentation qu’il fait de nos analyses discursives du Père Duchesne.

[L’appel pour cette note supprimée a été laissé dans le corps du texte pour ne pas avoir a refaire toute la mise en page.]

[15] Voir notre article, « Modérer la langue politique à l’extrême. Les journalistes remarqueurs au début de la Révolution française », Annales Historiques de la Révolution française, N°3, 2009, p. 21-46.

[16]  Dans le volume 19 des Datations et Documents lexicographiques, Paris, Klincksieck, 1981.

[17] Parlez-vous sans-culotte ?, op. cit., p. 124.

[18] Michael Sonenscher, Sans-Culottes. An Eightennth-Century Emblem in the French Revolution, Princeton University Press, 2008.

[19] À l’exemple de la petite ville d’Aubagne près de Marseille, étudié par D.M.G. Sutherland dans Lynching, Law and Justice during the French Revolution, Murder ei Aubagne, Cambridge University Press, 2009.

 

Bibliographie

Biard Michel, Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Tallandier, 2009.

Burstin Haïm, Une révolution à l’œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Paris, Champvallon, 2005.

Cohen Déborah, Nature du peuple: formes de l’imaginaire social, XVIIIe/XXIe siècles, Seyssel. Champ Vallon, 2009.

Farge, Arlette, Dire et mal dire. L’opinion publique au 18ème siècle, Paris, Seuil, 1992.

Godineau Dominique, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple pendant la Révolution française, Paris, Perrin 2004 (Première édition, 1988)

Guilhaumou Jacques, La langue politique et la Révolution française, Paris, Meridiens/ Klincksieck, 1989

Guilhaumou Jacques, L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Presses Universitaires du Septentrion, 1992.

Guilhaumou, Sieyès et l’ordre de la langue, Paris, Kimé, 2002.

Guilhaumou Jacques, « La langue politique et la Révolution française », Langage & Société,  N°113, septembre 2005, p. 63-92.

Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français. Français familier, populaire et argotique du 16ème au 19ème siècles, réunis par Pierre Enckell,  deuxième série des Datations et Documents lexicographiques, ILF, Paris, Klincksieck, 1981.

Monnier Raymonde, Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2005.

Mazauric Claude, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, 2009.

Sonenscher Michael, Sans-Culottes. An Eightennth-Century Emblem in the French Revolution, Princeton University Press, 2008.

Sutherland D.M.G,  Lynching, Law and Justice during the French Revolution, Murder ei Aubagne, Cambridge University Press, 2009.

Wahnich Sophie, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la république, Paris, Payot, 2008.

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“Les femmes et la Révolution. 1770-1830” ~ de Christine Le Bozec

13 samedi Avr 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “Les femmes et la Révolution. 1770-1830” ~ de Christine Le Bozec

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1793, Christine Le Bozec, Claire Lacombe, Clubs de femmes, Dominique Godineau, Enragé·e·s, Féminisme, Femmes en armes, Hébert, Jean-François Varlet, Pauline Léon, Robespierre, Théophile Leclerc

Nouvel ouvrage, nouvelle synthèse, mauvaises nouvelles.

(N’était l’apparition d’une nouvelle maison d’édition spécialisée en histoire.)

L’autrice annonce, dès son introduction, vouloir battre en brèche le «lieu commun» selon lequel «libres» avant la Révolution, les femmes du XVIIIe siècle auraient été par elle privées de leurs droits… Pour que cette affirmation puisse passer pour un «lieu commun» et non pour un paradoxe de peu d’intérêt, il aurait fallu citer celles et ceux qui le défendent, ce dont Le Bozec – hélas! – se dispense. Comme elle se dispense souvent – hélas encore ! – d’indiquer la source de telle citation qui a retenu votre attention.

La vogue de l’amalgame inexplicable – et surtout inexpliquée ! – entre Enragé·e·s d’une part et «hébertistes» de l’autre trouve dans cet ouvrage une nouvelle illustration. Plus les affirmations sont détaillées en apparence, moins on juge utile de nous en expliquer l’origine.

[…] Claire Lacombe, considérée comme une dangereuse extrémiste, parce qu’entre autres, elle soutenait le plus que radical journal Le Père Duchesne, de Hébert. [p. 70 ; voir également p. 92]

Quand ? Comment ? Par quoi ? Mais où est donc Ornicar ?… Mystère.

L’autrice l’aura lu quelque part, probablement un peu vite (et peut-être sans prendre de notes). C’est certainement le même genre d’improbable genèse qui amène l’affirmation incongrue que voici, à propos de la pétition présentée en 1792 à l’Assemblée par Pauline Léon, en faveur de l’armement des femmes :

Le jour de la lecture de cette pétition est historiquement considéré comme l’acte de naissance des « Tricoteuses ». [p. 73]

Il semble en effet – mais comment en être certain·e à la lecture de formulations souvent confuses[1] ? – que Christine Le Bozec considère que «Tricoteuses» désigne, dès 1792 donc, la sans-culotterie féminine radicale, au lieu que le terme est une construction a posteriori à partir des élucubrations de masculinistes montagnards. On se reportera à ce propos aux travaux de Dominique Godineau, dûment citée en référence par Le Bozec, mais peut-être pas lue…

Christine Le Bozec est si peu avare de références de qualité qu’elle connaît même, et renvoie à mon article des AHRF sur Pauline Léon. Quelqu’un·e qui me cite ne saurait être tout à fait mauvais·e… Cependant, ayant noté que Pauline a cotoyé Jean-François Varlet («proche d’Hébert»: ben voyons!) à la Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe, pourquoi ne pas signaler qu’elle y a également rencontré Théophile Leclerc, autre figure du courant des Enragé·e·s, avec lequel elle aura une relation plus longue et plus intense, puisqu’il deviendra son époux?

Parfois, notre autrice se décide à innover et lance une hypothèse ébouriffante :

La tension entre les factions s’accrut en janvier 1794 et, à l’occasion de manifestations et de protestations de rue, des militants partisanes des Ultras furent arrêtées puis emprisonnées. Les événements s’accélérant et le mouvement s’amplifiant, les Montagnards au pouvoir recherchèrent l’apaisement en proposant leur médiations aux deux factions [?]. Toutefois, le 10 février 1794, le suicide dans sa cellule de Jacques Roux, l’un des chefs [sic] des Enragés, changea la donne. Ce geste de l’ex-soutien des Citoyennes républicains révolutionnaires conduisit les autorités à faire voter, le 26 février 1794, les lois de Ventôse qui ordonnaient la mise sous séquestre des biens des suspects «reconnus ennemis de la République» avant de les distribuer aux indigents.

Dors en paix mon vieux Jacques! Ton sacrifice n’aura pas été inutile puisqu’aussi bien les décrets de Ventôse, c’est à toi que nous les devons…

Cette hypothèse que je qualifierai volontiers de boufonne – Roux se poignarde à mort pour éviter de subir le sort (un déshonneur à ses yeux) des contre-révolutionnaires ; il est persuadé, à juste raison, qu’il sera guillotiné ; son suicide n’a d’effet que sur l’image qu’il veut laisser de lui – je ne l’ai jamais vue formuler nulle part. Faute de référence contraire, force est donc de l’attribuer à Christine Le Bozec elle-même. Ne lui jetons pas la pierre! Il est tentant, en effet, pour le repos de l’esprit, de considérer qu’un événement T est mécaniquement à l’origine d’un événement T+16 j…

Ne s’égare-t-on pas aisément, d’ailleurs, lorsqu’on s’écarte de la rassurante téléo-chrono-logie. Ainsi Christine Le Bozec voit-elle dans le fait que les Enragées ont échappé au rasoir national la preuve qu’elles ont été réprimées comme « exagérés » et non comme femmes.…

Si l’antiféminisme avait été la première motivation des Montagnards, Pauline Léon, Claire Lacombe et d’autres militantes des Citoyennes républicaines révolutionnaires n’auraient pas échappé à la guillotine. [pp. 118-119]

Pour le coup, la chronologie est d’un grand secours. Lectrices et lecteurs peu au fait d’icelle pourraient induire de cette phrase que Pauline Léon et Claire Lacombe n’ont pas fait l’objet d’une répression qui aurait pu les mener à l’échafaud.

Or, si elles ont en effet «échappé à la guillotine» c’est que le 9 Thermidor les a fait passer du statut d’«exagérées» à celui de «victimes de la Terreur robespierriste» et leur a permis de sortir des prisons où elles croupissaient en attendant d’être condamnées.

Quant à l’antiféminisme, il est également réparti entre Robespierre et une bonne partie du personnel révolutionnaire, y compris ceux que Robespierre a contribué à éliminer physiquement. Il est vain, me semble-t-il, de chercher à faire le départ, chez les ennemis montagnards des Républicaines entre ce qui ressortit de leur phobie des femmes, ou de la volonté d’éradiquer les organes de la sans-culotterie radicale, ou encore (chez Chaumette, par ex.) ce qui relève des jalousies de «factions». Les trois facteurs se combinent évidemment, par deux ou par trois, selon les acteurs considérés.

Ici fin abrupte de cette recension désabusée. L’auteur en a plein le dos de faire le prof sur des copies de docteurs et doctoresses qui auraient mieux fait de faire du jogging plutôt que de publier un livre. Commande d’un nouvel éditeur à la recherche de manuscrits? Volonté mercantile de mettre sur le marché la «synthèse de saison» sur telle ou telle question? (L’expression «fruits [ou légumes] de saison» évoque la fraîcheur. Là…) Tentation de l’auteur ou de l’autrice de «laisser son nom» dans la bibliographie d’un sujet? On s’en moque! Ça ne nous concerne pas. Ça ne nous met pas plus d’oxygène dans le cerveau et ça en prive la planète du fait des arbres tronçonnés. Arrêtez le massacre!

______________________

[1] Exemple : «De guerre lasse [sic], le 14 mars 1794, Robspierre déclarait devant la Convention : “Toutes les factions doivent périr du même coup”.» [pp. 126-127]

Le Bozec Christine, Les femmes et la Révolution. 1770-1830, Passés composés, 219 pages, 19 €.

Statut de l’ouvrage: acheté en librairie.

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