Antoine Blondin publie en 1952 Les enfants du Bon Dieu, constamment réédité depuis au format poche. N’ayant jamais lu le livre, j’ai d’abord été heureusement surpris – et pris – par sa joyeuse indifférence aux conventions. Pas de véritable récit, mais plutôt un patchwork de saynètes prétextes à moult plaisanteries et coq-à-l’âne. Est-ce le texte qui a vieilli (ou moi? je crains que cette hypothèse doive être retenue): cette «fantaisie» débridée m’a rapidement lassé.
Reste qu’au milieu de ce presque non-récit, le personnage principal qui a entrepris de subvertir son travail de prof d’histoire – au sens strict, il réécrit l’histoire à l’intention de ses élèves – fait un exposé sur les origines de la Révolution française. La coutume de danser certains jours, un orage inopiné et le fait que la plupart des protagonistes habitaient le quartier de la Bastille allaient donc changer la face du monde…
C’est léger, et – de la part d’un écrivain de droite – d’un monarchisme finalement bon enfant.
La coutume, disais-je, s’était instaurée sans qu’on sût exactement pourquoi de danser aux carrefours, certains jours de l’année. Louis XVI et Marie-Antoinette n’étaient pas les derniers à donner l’exemple. Le bon peuple les imitait. Ces soirs-là, d’ailleurs, on eût dit que les barrières entre les conditions tombaient d’elles-mêmes. Les charretiers se hasardaient à inviter les marquises, les duchesses aguichaient les forgerons ou les sapeurs de la Garde suisse, qui leur ouvraient leurs cantonnements ornés de guirlandes de lampions. Personne n’y trouvait à redire. Cela tenait sans doute à ce que les anniversaires d’une longue suite ininterrompue de victoires tombaient vers ces époques, les maréchaux choisissant de faire la guerre au seuil de l’été pour ne pas gâter leurs rubans, les soldats d’en finir avant le mois d’août pour pouvoir partir en vacances. Il faut compter aussi, naturellement, avec la proximité des distribution de prix, la lassitude heureuse qui succède à un dernier trimestre bien rempli et une certaine allégresse dont l’air se charge au mois de juillet. Telles furent les causes profondes de la Révolution française.
La cause immédiate fut qu’en 1789, il plut à verse pour le 14 juillet. Un peuple moins réfléchi que le peuple français n’en eût pas profité pour s’interroger sur les raisons obscures qui le poussaient depuis si longtemps à danser à cette date. Un siècle de lumières nous avait heureusement incités à chercher à voir clair en nous-mêmes. Les danseurs et les buveurs, dont les meilleurs s’étaient malgré tout rassemblés dans la Salle du Jeu de Paume pour marquer le coup, regardaient tomber la pluie et trompaient leur impatience des violons en s’abîmant dans d’interminables méditations. Un sentiment, assez répandu dans le pays, leur dictait qu’ils avaient quelque chose à faire ce jour-là. Mais les contours en demeuraient vagues et ils ne savaient pas au juste quoi. Vers l’heure de l’apéritif, profitant d’une petite éclaircie, un jeune feuilletoniste du nom de Camille Desmoulins grimpa sur une table, résolu coûte que coûte à sauver la soirée : “Si nous ne fêtons pas le 14 juillet aujourd’hui, ce n’est pas demain qu’il faudra s’y mettre. Moi, je travaille, demain, je dois me lever tôt. Passe encore de ne pas danser, mais on peut toujours aller prendre quelque chose…” Les autres, qui ne cherchaient qu’un prétexte pour ne pas rentrer chez eux, souscrivirent au projet de ce célibataire. Après avoir hésité entre le Palais-Royal, où les galeries vous maintenaient les pieds au sec, et le Châtelet, où foisonnaient des Merveilleuses avant la lettre, on sait qu’ils se décidèrent finalement pour la Bastille, la majorité habitant dans les environs.
Les enfants semblaient joyeux à l’évocation de cette farce si lourde de conséquences. Je ne voulus pas gâcher leur enchantement par la mort du roi, qui s’expliquait mal en dehors d’un mouvement d’humeur de ces foules versatiles : elles vous coiffent d’une toque de boulanger la veille pour vous guillotiner le lendemain. Je laissai néanmoins incarcérer au Temple ce malheureux monarque avec sa famille, le tableau en était trop célèbre, mais…
« Que le peuple soit sauvé, et je fais volontiers le sacrifice de ma vie ». Cette phrase de Dartigoeyte, représentant du peuple montagnard, insérée dans son Opinion (…) sur la défense de Louis Capet, présentée devant la Convention le 3 janvier 1793, combien d’autres révolutionnaires l’ont alors faite leur ? Deux semaines plus tard, l’assassinat de Le Peletier de Saint-Fargeau ouvrait une sinistre liste, celle des membres de cette Assemblée décédés d’une mort non naturelle, exécutés, suicidés, assassinés, morts en mission, morts en prison ou en déportation, tous tombés en raison de leurs engagements politiques.
Des révolutions de 1830, 1848 et 1871 aux révolutions du XXe siècle, l’idée qu’un révolutionnaire doit par avance accepter de tout sacrifier à son engagement militant, y compris sa vie s’il le faut, s’est largement diffusée et a été l’objet de mythes dont le corps de Che Guevara assassiné en Bolivie peut apparaître comme une icône planétaire, y compris via ses détournements commerciaux.
« Qu’eût valu une vie pour laquelle il n’eût pas accepté de mourir ? Il est facile de mourir quand on ne meurt pas seul », écrit André Malraux dans La Condition humaine. Cette autre phrase, de même combien de révolutionnaires l’auraient-ils reniée, dès lors qu’ils étaient justement imprégnés par toute une culture du sacrifice de soi au service d’une cause ?
Le présent ouvrage n’entend ni servir à une sorte de martyrologe, ni suivre un déroulement chronologique. Le centre de ses thématiques sera consacré à l’importance de cette question dans les mythologies révolutionnaires et aux transferts entre révolutions par-delà les frontières.
Sur le groupe Contre-Attaque, animé par Bataille, avec lequel André Breton va bientôt rompre, on peut consulterl’article de Michel Suryadans la revue Lignes.
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Benjamin Péret, Jacqueline et André Breton aux Îles Canaries, en décembre 1935.
École française vers 1820 : Portrait de Pierre-Joseph Desault, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Paris.
Huile sur panneau à vue ovale. 28 x 22 cm. Cadre en bois et stuc doré à décor de palmettes, coquilles et perles. Dimensions totales du cadre: 44 x 38 cm. (usures et petits manques de stuc).
Chirurgien en chef de l’Hôpital de la Charité en 1782 puis de l’Hôtel-Dieu en 1788, Pierre-Joseph Desault enseigna l’anatomie sur des cadavres et non plus sur les planches murales ou sur des pièces de cire. Pendant la Révolution française, il se dévoua aux malades et aux blessés. Il fut élu en 1792 membre du comité de santé des armées et devint professeur de clinique chirurgicale à la nouvelle école de santé. Malgré cela, il fut arrêté comme suspect en 1793 et ne dût sa libération qu’à une pétition d’une cinquantaine de médecins. Il fut chargé en 1795 de donner des soins au jeune fils de Louis XVI: Louis XVII. Il mourut lui-même pendant ce traitement.
La chirurgie lui doit un grand nombre d’inventions ou de perfectionnements importants, parmi lesquels on remarque ses appareils pour les fractures en particulier de la clavicule et pour les maladies des voies urinaires, dans lesquelles il fut le premier à utiliser les sondes en gomme. En 2004, à Cassino (Italie), un colloque lui a été consacré comme l’inventeur de la néphrologie. Il fut aussi l’un des premiers à pratiquer la trachéotomie.
Le 21 janvier 1793, à Paris, Louis XVI est guillotiné publiquement. L’événement est considérable par sa radicalité. Henri III et Henri IV avaient été assassinés ; Louis XVI est exécuté au terme d’un jugement rendu au nom de la nation et de la République. La Révolution est victorieuse. Elle s’était réalisée peu à peu depuis 1789, quand le roi avait dû réunir les États généraux. D’affrontements en crises, elle s’était affirmée contre le monarque jusqu’à le chasser du trône le 10 août. Le 21 janvier marque une nouvelle ère pour le pays, ainsi que pour les pays européens : ce qui s’accomplit ce jour-là se veut exemplaire pour les peuples désireux de se libérer des princes et des rois. Conséquence inattendue, la guerre se généralise à tout le continent. La détermination nécessaire pour en arriver là explique le titre de ce livre : outre le fait que le mot « exécution » désigne une peine capitale appliquée après sentence d’un tribunal et évoque une destruction délibérée, il désigne plus largement une opération effectuée en appliquant des règles et des procédures, réalisée au terme d’un projet mûri. Pendant plusieurs mois, en effet, les Français hésitèrent à fixer le sort du souverain déchu et se déchirèrent d’abord pour définir les modalités du procès, ensuite pour savoir s’ils allaient le tuer. L’exécution légale a été un choix extrêmement difficile à faire, qui a laissé plus de traces mémorielles que l’acte lui-même. C’est pourquoi, l’ouvrage s’intéresse plus aux querelles et aux rapports de forces entre groupes révolutionnaires, qu’à l’examen de la responsabilité du roi et à sa personnalité. À côté du destin tragique de Louis XVI et de la rupture du lien du pays avec la monarchie en janvier 1793, la France se cherche entre Révolution et République dans ces mois d’automne-hiver 1792-1793 : c’est là que se trouve le cœur du livre.
Contrairement à ce que son titre (modeste) pourrait laisser entendre, le nouvel ouvrage de Jean-Clément Martin n’est pas le récit d’un événement, aussi décisif soit-il dans la Révolution, mais bien plutôt une relecture de celle-ci à la lumière de cette «charnière». Pour comprendre sa nature (et nous l’expliquer), il faut à l’auteur analyser les rapports de forces tels qu’ils s’établissent – toujours mouvants et fragiles – au début de l’année 1793. L’auteur y emploie son sens de la nuance et ses capacités de synthèse, déjà patentes dans sa (presque monumentale) Nouvelle histoire de la Révolution française (Perrin, 2012), que le présent ouvrage vient doubler (comme on double une poutre porteuse) plutôt que le préciser sur un point particulier.
Seuls regrets de détails: quant à la forme, qui concerne sans doute davantage l’éditeur, le choix de repousser les notes en fin d’ouvrage; et – sauf inattention de ma part – l’absence de mention de la tradition persistante dans des milieux militants – libertaires et libre-penseurs – et historiens du partage de la tête de veau lors d’un repas de célébration de l’exécution du roi.
«La signification du 21 janvier ne peut pas se réduire à une explication univoque, et sûrement pas à une mutation de la sacralité. Il est plus raisonnable, et plus près de la vérité livrée par les débats, de voir que l’exécution du roi n’a ni aboli la distance du pouvoir au souverain, ni sacralisé le pouvoir du “peuple”. La quasi-totalité des députés s’est engagée dans le procès du roi pour empêcher que les formations “populaires” puissent accéder à la direction du pays. Le 24 janvier, quand les députés s’unissent autour de la dépouille de Le Peltier, alors qu’ils étaient absents place de la Révolution trois jours plus tôt, ils affirment la prééminence de l’Assemblée, incarnation et représentation du “peuple”. Cette journée marque leur victoire, même s’il leur faudra attendre un an, en mars 1794, pour éliminer les sans-culottes de la compétition, et deux ans, au printemps 1795, pour les écarter totalement de la vie politique légale. Mais dès janvier 1793 la République s’affirme contre la Révolution tout en s’en réclamant. [pp. 349-350]»
Martin Jean-Clément, L’exécution du roi. 21 janvier 1793, Perrin, 412 p. 21 €.
Le Manuscrit françaismet en vente une belle lettre autographe, signée «Louis» et adressée à un destinataire inconnu.
Je donne ci-dessous sa transcription et sa présentation par le vendeur.
Je vous envoie Monsieur un beau Griffonnage. J’espère que vous pourrez le lire et qu’il ne troublera pas votre repos à la campagne. C’est le résultat de mes réflexions sur le règlement du service de la bouche et vous verrez que j’ai taché d’allier une commodité personnelle avec la stricte règle en évitant les doubles emplois, et ne voulant pas créer une charge de Commissaire de plus. Il y a à la fin plusieurs questions sur des cas de service que je n’ai pas trouvé réglé (sic) dans le règlement. Si vous croyez que la chose puisse s’exercer comme je la propose, écrivez à Chouzyd’estre Jeudy ici. Vous en conférerez avec lui et il pourra refaire tout de suite le règlement ; alors je pourrais donner les derniers ordres dimanche à M. Amelotet à M. Neckercar je voudrais que la chose ne trainât pas, tout le monde en étant informé. Adieu Monsieur j’espère que l’air de la campagne vous fait du bien vous devez y avoir bien chaud. Louis.
Plaidant ardemment pour une politique de réduction des coûts, la politique de Jacques Necker (ministre et directeur général des Finances de la Maison du Roi) vise d’emblée les privilèges de la Cour: les pensions versées par le roi, et les dépenses de la Maison du Roi, diminution des grands offices… Il rationalise ainsi le département de la Maison du Roi, en créant en 1780 le Bureau général des dépenses de la Maison du Roi. Cette lettre fut rédigée en 1781, avant le mois de mai, seule année durant laquelle Amelot, Necker et Chouzy collaborent aux plus hautes charges de la nouvelle Maison du Roi au sein du tout nouveau «Bureau général des dépenses de la Maison du Roi» (qui apparait dans l’Almanach royal en 1781).
Ministre des Finances depuis 1776, Necker n’occupe la charge de directeur général des Finances de la Maison du Roi que cette année 1781, peu avant sa première démission. À cette série de réformes «républicaines» et à l’expérimentation malheureuse des assemblées de provinces va s’ajouter une erreur politique du ministre qui lui sera fatale. En février 1781, certainement peu de temps après l’envoi de cette lettre, il adresse au roi un Compte rendu de l’état des finances destiné à être publié. Il révèle pour la première fois au grand public l’usage détaillé des dépenses publiques et dévoile, dans un souci de transparence, tous les avantages dont bénéficient les privilégiés de la cour. Ces derniers désavouent le ministre et dénoncent en retour, avec l’appui d’experts en finances, le bilan en trompe-l’œil que le ministre fait de son action, masquant la dette de 46 millions de livres laissée par les dépenses de guerre, et soulignant au contraire un excédent de 10 millions.
«La guerre qui avait si bien réussi contre Turgot recommença sous son successeur», explique Victor Duruy.
«Je ne regrette que le bien que j’avais à faire et que j’aurais fait si l’on m’en eût laissé le temps.» C’est sur ce regret vertueux que Necker, directeur général des Finances, prend congé de Louis XVI, le 19 mai 1781.
Ce mug anglais, qui a besoin d’être restauré, est en vente sur ebay.
Le British Museum, qui possède un exemplaire donne les précisions suivantes:
Peut-être la poterie cambrienne, Swansea, 1793 (note manuscrite dans Hobson 1903). La même scène apparaît sur une plus grande tasse Swansea (11,2 cm) dans une collection privée, mais elle provient d’une autre plaque de cuivre. Bindman : La conception dérive de la gravure sur bois populaire de William Lane (1856,0712.1101).
La sympathie anglaise pour la Révolution française s’est transformée en répulsion avec l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793. Trois versions de la décapitation du roi sont imprimées sur de la poterie, l’image sur cette tasse en est une. Il est écrit «La Guillotine ou la machine à décapiter moderne à Paris par laquelle Louis XVI défunt roi de France a souffert sur l’échafaud» et est tiré d’un grand format (voir P&D 1856,0712.1101). La même image, mais plus grande, est connue sur des cruches.
De telles images agissaient comme de la propagande, suggérant ce qui pourrait arriver si les idéaux anti-monarchistes de la Révolution française étaient jamais importés en Angleterre.