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“Robespierre, les femmes et la Révolution” ~ Introduction

06 mercredi Oct 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

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Albert Mathiez, Anne Simonin, Annie Geffroy, Antoine Barnave, Éric Hazan, « Théorie du genre », Bernard Nabonne, Caroline Fayolle, Cesare Vetter, Christine Fauré, Claire Lacombe, Claude Mazauric, Dominique Godineau, Edward P. Thompson, Enragé·e·s, Florence Gauthier, Gérard Noiriel, Georges Lefebvre, Guillaume Mazeau, Hector Fleischmann, Hervé Leuwers, Howard Zinn, Jacques Roux, James Friguglietti, Jean Artarit, Jean-Charles Buttier, Jean-Clément Martin, Jean-Luc Chappey, Jean-Numa Ducange, Jean-Pierre Melville, Jeanine Stievenard, Karen Offen, Laurence De Cock, Laurent Dingli, Lucien Febvre, Lutte des classes, Marcel Gauchet, Marcus Rediker, Mathilde Larrère, Michelle Zancarini-Fournel, Misogynie, Noah C. Shusterman, Norbert Bartkowiak, Pauline Léon, Pierre Serna, Psychanalyse, René Laforgue, Robespierre, Serge Reggiani, Société des études robespierristes, Stéphanie Roza, Suzanne Desan, Terreur, Timothy Tackett, Walter Benjamin, Walter Markov, Yannick Bosc

Je donne ci-dessous – à destination des personnes qui n’ont pas encore eu la curiosité ou l’occasion d’ouvrir le livre – l’introduction de Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).

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Le présent ouvrage s’inscrit dans la suite de mon travail sur le courant des Enragé·e·s pendant la Révolution française, amorcé au début des années 1990 par la publication de Deux Enragés de la Révolution, Théophile Leclerc & Pauline Léon (La Digitale, 1993). L’invitation par les historiennes Christine Fauré et Annie Geffroy à participer à la journée d’études sur la «Prise de parole des femmes pendant la Révolution» qui s’est tenue en Sorbonne le 11 décembre 2004 à l’initiative de la Société des études robespierristes (SER) et de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) – et dont les actes ont été publiés dans les Annales historiques de la Révolution française (AHRF) en 2006 – a été l’occasion de compléter mes recherches sur Pauline Léon. J’ai par la suite publié un recueil des écrits des Enragé·e·s intitulé Notre patience est à bout (IMHO, 2009 ; deux nouvelles éditions largement augmentées, notamment sur l’activité de Leclerc après 1794, sont parues chez le même éditeur en 2016 et 2021). Je me suis ensuite consacré, aux côtés de Stéphanie Roza et de Jean-Numa Ducange, à l’entreprise d’établissement et de traduction de la biographie de Jacques Roux Curé rouge par Walter Markov, coédité par la SER et les éditions Libertalia[1] (2017).

Mon intérêt pour la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, cofondée par la chocolatière Pauline Léon et qu’elle rallia – avec l’aide de l’actrice Claire Lacombe – au courant des Enragé·e·s m’a amené à vouloir comprendre la formation et la radicalisation des groupes de femmes révolutionnaires. J’ai donc entrepris des recherches sur ce sujet, peu traité dans l’historiographie, si l’on excepte quelques travaux pionniers déjà anciens et souvent mal connus, et de rares publications récentes (Dominique Godineau pour Paris ; Christine Fauré ; et Suzanne Desan en anglais).

Un «blogue historien» créé en 2013, La Révolution et nous, me sert de carnet de recherches et me permet de mettre à disposition le travail de veille effectué sur ces questions.

Ce volume constitue également la première partie d’un diptyque consacré aux femmes pendant la Révolution. Le second volume – Le club et la pique. Femmes révolutionnaires 1789-1793 – traitera de la politisation collective des femmes dans les groupes et sociétés qu’elles ont formées dès l’automne 1789.

Plusieurs raisons m’amènent à étudier le rapport entre Robespierre et les femmes. Une raison historique d’abord : tout indique que le leader Jacobin a joué un rôle déterminant dans l’interdiction des clubs de femmes, en octobre 1793, qui vint sceller pour longtemps – avant le Code Napoléon – la sujétion des femmes dans la société française[2]. Qu’il ne se soit pas agi d’un objectif – conscient, au moins – de Robespierre est un point que nous examinerons en temps utile.

Une double raison historiographique ensuite : ce sujet apparaît comme l’angle mort de toutes les biographies, anciennes et récentes, y compris lorsqu’elles sont l’œuvre d’historiens sérieux et critiques [3] comme Hervé Leuwers et Jean-Clément Martin. Notons en outre que le principal ouvrage qui s’en est proposé l’étude date de 1909. Encore Hector Fleischmann, son auteur, entendait-il livrer «pour la première fois [4] dans tous ses détails, la vie sentimentale et amoureuse» de Robespierre, ce qui n’est pas mon principal centre d’intérêt. Il y eut, en 1938, une autre tentative – plus romancée encore – d’un écrivain dont on a tout oublié, y compris qu’il fut lauréat du prix Renaudot [5]. Et, plus récemment, un opuscule de Mme Jeanine Stievenard, dont la présentation par l’éditeur m’a dispensé de la lecture[6].

Une raison de commodité méthodologique enfin : ayant donné dans ce premier ouvrage toute sa place à Robespierre – et aux femmes (plus ou moins) révolutionnaires qu’il appréciait et·ou utilisait – il me sera loisible de donner la parole aux citoyennes révolutionnaires, et non à leurs ennemis, dans le second.

J’ajoute que, si Robespierre est le personnage central de cet ouvrage, les termes du titre – Robespierre, les femmes, la Révolution – doivent aussi être considérés à égalité dans les rapports complexes qu’ils entretiennent. Ainsi par exemple, l’attitude de Robespierre lors de la marche des femmes à Versailles des 5 et 6 octobre m’intéresse, comme son instrumentalisation des «Dames de la Halle» qui y ont participé – ou de certaines d’entre elles. Mais pour cerner l’attitude d’un homme et ses conséquences, j’ai besoin de décrire le contexte révolutionnaire autrement qu’en quelques lignes convenues. Autrement dit, il arrivera non seulement que nous empruntions les bésicles de Robespierre, mais qu’il nous serve de regard sur les événements et sur les mentalités – au sens d’une ouverture pratiquée dans une canalisation, une chaudière, ou une cuve pour en faciliter la visite[7]. De sorte que si lectrices et lecteurs en sauront, je l’espère, davantage sur Maximilien Robespierre après avoir refermé ce livre, cette lecture leur aura appris au moins autant sur la manière dont les femmes ont été considérées durant la Révolution.

Histoire des femmes, histoire engagée [8]

Je retiens de prime abord un principe que je considère caractéristique d’une méthode scientifique – ce terme s’oppose ici à idéologique et à moraliste ainsi qu’à la succession dans la recherche de modes conceptuelles: sauf s’il a été démontré qu’un concept est erroné et qu’il a conduit à des interprétations fausses, et à moins qu’un concept plus récent (ou redécouvert) ait montré une efficience plus grande (tout en étant exclusif du premier), il est absurde d’y renoncer.

C’est pourquoi j’utilise, entre autres, le concept de «lutte des classes». La plupart des historiennes et des historiens s’en gardent aujourd’hui, affectant de considérer comme scientifiquement acquis son caractère obsolète, au point qu’ils se dispensent même d’en faire mention. Oh ! bien sûr, l’histoire actuelle n’ignore pas toutes les classes sociales, surtout si l’on entend par là des catégories sociologiques dont les rapports conflictuels s’expliquent davantage par une allant-de-soi «nature humaine» – et la bonne vieille psychologie (à feuillage persistant) qui en rend compte – que par des intérêts matériels et historiques antinomiques.

Au XXIe siècle, la vision de classe souffre, comme elle en a souffert au XVIIIe siècle, d’un problème d’accommodement : on n’y distingue plus le prolétariat (— En Chine ! dites-vous) tandis qu’on affirme qu’il était impossible à discerner en 1793. Naguère pas encore tiré du néant, déjà disparu… Ça n’est pas la bourgeoisie qui se laisserait réduire ainsi au rôle d’ectoplasme ! elle, dont la présence toute naturelle se laisse constater, réconfortante, telle la rosée du matin…

Pour réfuter une «explication» par la lutte des classes, rompant ainsi avec la discrétion de ses collègues, Timothy Tackett écrit dans son essai sur «la Terreur» – en réalité une énième histoire de la Révolution, à laquelle l’étude de la «terreur» sert de fil rouge [9] :

 Il semble maintenant clair que le déclencheur [litt. : l’impulsion directe] des événements de 1789 ne vint pas d’une lutte idéologique ou d’une lutte de classes, mais d’une crise financière et fiscale de la monarchie française, et que cette crise était avant tout le produit d’une lutte géopolitique dans laquelle la monarchie s’était engagée elle-même.

J’ignore si quelque auteur a cru voir dans la lutte des classes le déclencheur, l’impulsion, l’étincelle (comme on voudra) de la Révolution française. Je me contente de l’analyser comme un de ses moteurs, ce qui ne me gêne aucunement pour prendre en compte les éléments de contexte que Tackett énumère.

L’étonnant succès de librairie d’Une histoire de la Révolution française (2012), dont l’auteur Éric Hazan a joui d’une réputation flatteuse (et surfaite) de spécialiste des insurrections passés et à venir [10], a montré qu’une interprétation de la Révolution allégée du concept de lutte des classes (comme on retire le sucre ou le gluten d’un aliment industriel) – et même des classes en général, puisqu’il n’aurait existé en 1789 ni bourgeoisie ni prolétariat! – peut séduire un public « de gauche » en mal de références historiques et émotionnelles. L’auteur a surtout affiché le grand dénuement théorique dans lequel l’a plongé cette opération, dont ses conseillers historiens « robespierristes » ne l’avaient sans doute avisé ni des motivations ni des conséquences [11]. Empêché d’analyser le robespierrisme comme maximum de la politique sociale bourgeoise, Hazan se trouve incapable d’expliquer l’élimination de l’extrême gauche cordelière et enragée, dont il ne peut que déconseiller la réitération (ou son équivalent) aux révolutionnaires du futur, leur laissant un pense-bête à la Saint-Just sur la porte du congélateur : «Ne laissez pas glacer la Révolution!».

C’est encore pourquoi j’utilise le concept d’«inconscient» et certains outils forgés dans la pratique analytique. Reconnaissons aux spécialistes de l’histoire davantage d’ostentation à ce propos : ils et elles ne manquent jamais de préciser qu’ils y sont hostiles, qu’ils en sont revenu·e·s, pour autant qu’ils s’y soient jamais égaré·e·s [12]! Le même conférencier qui s’excuse d’avoir oublié le texte de son intervention dans sa voiture (dont il a égaré les clefs) qualifie de ridicule l’idée que les clubistes Jacobins ont pu accumuler des actes manqués, voire développer des névroses. Telle historienne – d’ailleurs talentueuse – récuse le freudisme dans un sourire, avant d’insister longuement sur l’importance en histoire de «l’estime de soi», concept qu’elle juge apparemment mieux établi et plus précis que celui d’inconscient.

Il faut reconnaitre que certains ouvrages biographiques sur Robespierre inspirés par la psychanalyse ont donné une image mécaniciste et assez infantile (un comble!) de la psychanalyse appliquée à l’histoire[13]. Cela ne signifie pas que toutes les hypothèses de leurs auteurs soient sans fondement, mais que la recherche univoque « dans les blessures de l’enfance et de prétendues humiliations parisiennes ou arrageoises [des] raisons d’une colère et de certains choix politiques[14]» donne d’aussi piètres résultats que l’application du marxisme par une police politique.

Je vais être aussi précis que possible : lorsque Robespierre entreprend, à l’automne 1793, de déconsidérer les Enragé·e·s et de saper leur influence sur la sans-culotterie parisienne – ce qui passe par la fermeture de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, laquelle mènera, je l’ai dit, à l’interdiction de tous les clubs de femmes – il choisit une conduite politique, certes critiquable, mais apparemment rationnelle. Lorsqu’il écrit dans ses carnets, et dans le calme de son cabinet, à propos des mêmes militantes Républicaines révolutionnaires «Elles sont stériles comme le vice», il exprime non plus un point de vue politique mais une angoisse haineuse et archaïque devant des femmes qui, à ses yeux, refusent d’être mères et se signalent par là – et par leur insubordination à sa politique – comme «vicieuses». Ce cri du cœur ne peut être compris autrement que comme manifestation d’un caractère et d’un inconscient blessés, et symptôme d’un rapport pathologique au sexe et au féminin. De ce fait, il relève évidemment de la psychanalyse et éclaire la politique de genre de celui qui le jette sur le papier.

Nous voici au clair sur des matériels intellectuels que je n’entends pas abandonner aux poubelles de l’historiographie. Faut-il alors, ces outils en mains[15], retenir le fameux concept d’« histoire par en bas », traduction (insatisfaisante) de l’anglais from below ? Georges Lefebvre, à qui on en attribue parfois – à tort – la paternité, a décrit ce «point de vue» comme une condition de «l’histoire sociale», dans un hommage à Albert Mathiez, rédigé à l’occasion de son décès (25 février 1932).

Si comme il me paraît probable, les historiens de l’avenir donnent une place de plus en plus grande à l’étude économique et sociale de la Révolution, s’ils se décident à regarder les événements d’en bas et non plus seulement d’en haut, ce qui est la condition même de l’histoire sociale[16], Mathiez leur apparaîtra [etc.].

La même année, et à la même occasion, après avoir lu – comme il le précise – l’article de Georges Lefebvre, son quasi-homonyme Lucien Febvre en appelle à ceux qui poursuivront l’œuvre de Mathiez et «donneront cette histoire révolutionnaire qui nous manque toujours : histoire de masses et non de vedettes ; histoire vue d’en bas et non d’en haut ; histoire logée, surtout, dans le cadre indispensable, dans le cadre primordial des réalités économiques [17].»

C’est beaucoup plus récemment qu’Edward P. Thompson a théorisé le concept dans un article éponyme – « History from below » – publié en avril 1966 dans le supplément littéraire du Times (son maître-livre, The Making of the English Working Class date de fin 1963).

L’inconvénient de ce point de vue est que si l’on regarde «d’en bas», il semble bien que l’on regarde vers le haut, ce qui est encore une vision biaisée. Ce paradoxe n’a pas échappé à l’historienne du genre Karen Offen qui propose une autre formule :

Étudier l’histoire des féminismes signifie mettre le passé à l’épreuve, non pas du haut en bas, non pas de bas en haut, mais sens dessus dessous ; s’attaquer sans détour […] au noyau sociopolitique des sociétés humaines – les relations entre les sexes ; examiner ces moments où des fissures s’ouvrent dans l’écorce des arrangements patriarcaux [18] […].

Sens dessus dessous. Ne risque-t-on pas à adopter cette consigne, qui a quelque chose de stimulant, pour ne pas dire de subtilement érotique, de susciter un léger vertige dans le public éclairé ? La référence sexuelle n’est pas – hélas ! – hors de propos : les historiens mâles – longtemps un pléonasme – pour peu qu’ils se soient préoccupés des femmes dans l’histoire se sont souvent bornés (hormis pour telle impératrice philosophe) à regarder sous leurs robes [19].

Il existe cependant d’autres équivalents de l’«histoire par en bas», qui ne présentent pas le même défaut de perspective et n’encourent pas de reproche sexiste. J’en trouve deux, mentionnées par Marcus Rediker, historien de la piraterie, dans un entretien précisément consacré à cette question [20]: «histoire populaire» et «histoire radicale». L’expression «histoire populaire» a sans doute été pour beaucoup dans l’énorme succès d’Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn (Agone, 2003) puis dans celui d’Une histoire populaire de la France de Gérard Noiriel (Agone, 2018). On la retrouve en sous-titre du passionnant livre de Michelle Zancarini-Fournel : Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (Zones, 2016). Histoire populaire donc, pourquoi pas ? C’est assez dire que l’on ne s’intéresse pas qu’aux batailles, aux alliances de cours et aux vicissitudes de l’exercice du pouvoir, mais aussi, voire d’abord, à la vie du plus grand nombre et à ses aspirations. Cependant, si l’expression peut être adéquate à tel ouvrage, et contribuer légitimement à assurer sa diffusion, elle me semble paradoxalement un peu étroite d’un point de vue méthodologique. L’«histoire sociale» qu’évoquait Georges Lefèvre me conviendrait mieux. Quant à l’«histoire radicale», je craindrais qu’elle n’évoque davantage dans l’esprit des lectrices et des lecteurs un point de vue idéologique qu’une étude des phénomènes «à la racine». Je m’en rapprocherai toutefois, au risque de paraître abandonner toute prétention au sérieux et à la hauteur de vue, en précisant que la recherche historique que je pratique est une recherche «au ras des pâquerettes», expression d’ailleurs poétique, dont j’ôte tout ce qu’elle peut avoir en français de péjoratif.

La belle formule de Walter Benjamin sur «le saut du tigre dans le passé», félin qui sait – comme la mode ! – «flairer l’actuel niché dans les fourrés du passé» ne doit pas faire illusion. Tigre de papier, l’historien révolutionnaire est omnivore (il ne se borne pas à retenir ce qui peut «servir» sa thèse) et sujet aux métamorphoses modestes : plus souvent rat de bibliothèque que fauve en liberté «sous le ciel libre de l’histoire[21]».

En effet, qui écrit l’histoire des femmes se doit de prendre en compte les archives les plus minuscules, les plus anodines, éparpillées, ignorées jusqu’ici ou au contraire invisibles à force d’avoir été mille fois dépouillées. Ce qui devrait être, semble-t-il, une précaution scientifique ordinaire pour les chercheuses et les chercheurs s’impose comme une contrainte concernant l’histoire des femmes [22].

Il n’est pas inopportun de signaler un contre-exemple époustouflant : je veux parler de l’avant-propos de l’essai précisément consacré à Robespierre par M. Marcel Gauchet [23]. L’auteur y annonce que «le matériau principal de l’enquête est fourni par le discours robespierriste lui-même. Toutes les références vont aux Œuvres complètes […]. Les dates permettent de se reporter aisément à la source. […] Les débats des assemblées sont cités, selon l’usage, d’après les comptes rendus du Moniteur ou des Archives parlementaires.»

Se référer aux volumes des Œuvres complètes de Maximilien Robespierre publiés par la SER est impeccable[24]. C’est même, on le verra, un argument paradoxal contre certains robespierristes. En revanche, faire comme si ces volumes étaient publiés par ordre chronologique – et non par catégories : «discours[25]», «journaux», «œuvres judiciaires», «correspondance», etc. – ce qui rendrait «aisé» de se reporter aux sources, voilà qui est d’un professeur peu soucieux de soumettre son travail à la vérification critique et non d’un scientifique. Quant à l’«usage» qui voudrait que l’on reproduise les débats d’après le Moniteur et les Archives parlementaires sans jamais citer dates, pages et numéros (et sans comparer les deux sources), qu’aucun·e étudiant·e ne s’en autorise pour l’imiter : c’est une invention opportuniste. Nous avons affaire ici non à une «monté en généralité», privilège accordée par entente tacite aux historiens vieillissants, éloignés de leur soutenance de thèse (ce sont leurs étudiant·e·s qu’ils envoient aux archives), mais à une montée en désinvolture, par rapport au public et par rapport aux sources.

Dans les sciences humaines, une analyse doit toujours s’entendre «jusqu’à preuve du contraire» et «en attendant mieux». C’est donc en attendant mieux que dans le débat sur le type d’histoire – ci-dessus rapidement esquissé – je m’en tiendrai à une expression qui peut paraître désuète: une «histoire engagée[26]». Je veux dire une histoire qui assume sa destination politique et sociale, sans se laisser instrumentaliser par quelque idéologie que ce soit – par un·e historien·ne qui assume ses propres engagements.

Quant aux miens et pour m’en tenir d’abord à la Révolution française, il me paraît irrecevable de la décréter «terminée». En effet, inviter à penser cela c’est reprendre à son compte le programme de la contre-révolution, maintes fois exprimé dans le cours même de la Révolution, et ce dès l’automne 1789, et plus nettement encore par Antoine Barnave, à la mi-juillet 1791. Ensuite parce que la Révolution, à l’échelle de la vie d’une société, pour ne rien dire de celle d’une espèce est extrêmement proche de nous dans le temps, à rebours du sentiment subjectif fondé sur la durée de vie individuelle. Enfin, et sa proximité n’y est pas pour rien, parce qu’elle n’a pas produit tous ses effets: la qualité et l’inventivité des écrits théoriques et des pratiques d’exercice de la souveraineté populaire, est en soi un exemple roboratif pour notre présent (et celui des générations à venir). Il n’est que de voir les nombreuses références «d’inspiration», voire d’autorité [27] qui lui sont faites dans les mouvements sociaux des dernières décennies, notamment le mouvement dit des « Gilets jaunes » (2018-2019).

Sans m’attarder ici sur ce que pourra être la prochaine révolution [28], je veux dire qu’elle sera à mon sens – en France au moins – une «révolution sans bagages», ayant pris ses distances avec l’héritage idéologique des XIXe et XXe siècles et retrouvant plus ou moins «spontanément [29]» l’expérience originaire de 1789-1793.

Étudier la Révolution française, après plus de deux cent trente ans, sans se borner à la satisfaction de compléter une histoire érudite, c’est aussi refaire une lecture critique – avec les outils et les perspectives du présent – des fondamentaux de l’aspiration à l’égalité (y compris entre les genres et les âges) et à la liberté dans l’organisation des sociétés humaines.

Avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais faire mienne la sage résolution de Claude Mazauric présentant la réédition des Œuvres :

Il nous faut demeurer modeste et savoir que nous ne savons que peu de choses. Du moins tiendra-t-on pour nécessaire de ne négliger aucun témoignage, aucune donnée, aucun énoncé de la part de Robespierre qui puisse nous permettre de construire un récit approché et crédible[30].

J’ajouterai à ce qui retiendra mon attention ce que Robespierre n’a pas dit et ce qu’il s’est dispensé de faire, puisqu’aussi bien la vérité d’une politique et d’un homme se lit au moins autant dans ses lacunes et ses abstentions que dans ses actes et ses écrits.

Robespierre et les femmes

Il y a dans cet énoncé comme une promesse égrillarde que seuls, à ma connaissance, Fleishmann et Nabonne – évoqués ci-dessus – ont plus ou moins assumée comme telle. Si je n’entends pas les suivre sur ce terrain, il me faut affirmer d’emblée que, contrairement à ce que pensent aujourd’hui la plupart des historiens des deux sexes, dans leur rejet de la psychanalyse, ce que j’appelle la « politique de genre » de Robespierre, par analogie avec sa politique de classe est évidemment aussi le reflet de sa relation aux femmes.

Certes, un homme peut considérer les femmes comme des égales en droit sans les désirer, c’est même une qualité communément attribuée à de nombreux homosexuels. Par contre, un homme qui envisage le sexe féminin, en tant qu’organe génital et·ou zone érogène, comme une source de danger et de malpropreté, physique et·ou morale, a peu de chances de considérer autrement qu’avec méfiance le sexe féminin comme groupe social (ceci est un euphémisme).

Politique de genre, ou autrement dit : Quelle place Robespierre reconnaît-il aux femmes dans la société ? Quelle attitude manifeste-t-il à leur égard dans des situations précises ? Comment ses positions – scripta et acta – peuvent-elle être évaluées par comparaison avec celles d’autres écrivains, d’autres publicistes (les journalistes d’alors), d’autres révolutionnaires de son époque – femmes comprises ?

Ernest Hamel, hagiographe de Maximilien s’offre le luxe de juger, à demi-mots, quasi exagérée l’estime de son héros pour les femmes. À propos du discours de réception de Mlle de Kéralio à l’Académie d’Arras, qu’il a rédigé et lu, et dans lequel – nous allons en reparler dans le premier chapitre – il prône une complémentarité intellectuelle des deux sexes, Hamel écrit :

Nous n’avons pas à examiner ici jusqu’à quel point il pouvait avoir raison, mais, par l’analyse de son curieux discours [sic], on comprend mieux le prestige qu’il exerça toujours sur les femmes, et l’on se rend suffisamment compte de son chaste penchant pour elles. (Hamel, 1865, t. I, p. 61)

Il existe deux arguments de plus ou moins bonne foi – et articulés entre eux – pour justifier de ne traiter ni des rapports érotiques éventuels de Robespierre avec les femmes ni de sa politique de genre. Le premier, essentiel, consiste à déplorer une documentation lacunaire. Or autant celle-ci peut excuser de passer rapidement sur la vie ou l’absence de vie «amoureuse» du personnage, autant elle ne saurait dispenser d’étudier son attitude politique vis-à-vis des femmes, puisque pas moins de douze volumes de textes de sa main (ou à lui attribués) sont à notre disposition. User de cet argument suppose de considérer que le sujet « Robespierre et les femmes » renvoie uniquement à «l’homme privé», selon la malheureuse formule endossée par Hervé Leuwers (2014, p. 59 [31]), dans une biographie qui apporte par ailleurs des documents précieux sur son activité d’avocat à Arras. Une page suffira donc à évoquer cet aspect de la vie de Robespierre, dans un livre qui en compte plus de quatre cent cinquante. Le second argument, subsidiaire, le plus souvent informulé, c’est que l’on reconnaît la bonne éducation et le sérieux des historiens à l’extrême pudeur et à la modestie que leur inspire la «vie privée» de leurs personnages. «Ne cherchons donc pas à sonder les reins et les cœurs», écrit encore Leuwers en affectant de se morigéner lui-même (2014, p. 56). La connotation d’euphémisation sodomitique prise – de nos jours au moins – par la demi-formule «sonder les reins» dit assez le côté peu ragoutant de l’exercice. Voilà pour la pudeur. Quant à l’expression entière, elle sert – excusez du peu! – à caractériser Yahvé «le Seigneur», dans la Bible [32] et dans son omnipotence divine. Voilà pour la modestie.

D’ailleurs, quelle peut être la validité en histoire d’un concept comme celui de «vie privée»? Écrire la biographie d’un personnage, n’est-ce pas tenter de comprendre l’entièreté de sa vie : politique, professionnelle, amoureuse, intellectuelle, sociale…

Je pense d’ailleurs que Robespierre, même s’il lui est arrivé d’employer l’expression «vie privée» ne tenait pas en grande estime la séparation entre le «public» et le «privé». Il considérait, semble-t-il, la vertu comme une et indivisible, celle de l’individu comme celle de la nation. Chez lui, comme l’écrit Cesare Vetter, «vertus publiques et vertus privées sont étroitement reliées et sont axées sur la vertu publique : [et de citer Robespierre qui parle de Necker] “Un homme qui manque de vertus publiques ne peut avoir des vertus privées[33]”». On devine que l’inverse est également vrai. En outre, la morale révolutionnaire d’époque abhorre le secret, ce qui est caché, à huis clos, et peut donc abriter le complot et la malveillance. La vie familiale, le foyer (sinon l’alcôve) sont autant de «maisons de verre», et lorsque les femmes y sont renvoyées – avec plus moins d’égards – comme éducatrices des futurs citoyens, c’est aussi parce que leur rôle est écrit d’avance et soumis au contrôle de toutes et de tous. 


Écriture non-sexiste et particularités typographiques

 

Non-sexiste, c’est la manière – préférée à «inclusiv» – de présenter un texte que je m’efforce de mettre en œuvre ici.

Je me rallie à la règle de l’«accord de proximité», longtemps en usage en français, en accordant l’adjectif avec le sujet le plus proche. Exemple : « Les hommes et les femmes doivent être égales ».

— Et tant pis si j’me trompe ! aurait ajouté Serge Reggiani[34].

En matière d’antisexisme typographique, le point médian est devenu l’indispensable sextant pour naviguer dans la «carte du tendre» de l’égalité. Du verbe tendre [à ou vers].

On n’hésitera pas à se dispenser de son usage s’il risque d’égarer lectrices et lecteurs, plutôt que de les aider à se repérer. On préfèrera, comme dans la phrase qui précède, une formule plus gourmande en signes – « lectrices et lecteurs (22 s.)» – aux constructions et compressions du type «lecteurs·trices (15 s.)». Idem pour «celles et ceux», préférée à «celleux», pourtant deux fois moins long, etc.

Par surcroît, le point médian me paraît pouvoir heureusement remplacer la barre oblique dans des expressions dont il est parfois difficile de se passer comme le duo «et» et «ou». Je préfère donc «et·ou» à «et/ou».

Par ailleurs, dans les citations – nécessairement nombreuses dans un tel livre – les points de suite indiqués entre crochets – […] – signalent, comme c’est l’usage, une coupe dans le texte, pratiquée entre deux phrases, deux paragraphes ou deux alinéas. Lorsque la coupe est pratiquée à l’intérieur même d’une phrase, je préfère l’indiquer de la manière suivante: [etc.].

Notes

[1] On a compris que je ne mentionne ici que mes publications en rapport avec la Révolution française.

[2] Je n’entends pas suggérer que la sujétion des femmes a été créée par la Révolution, mais sa prorogation ressort d’autant plus dans un contexte d’émancipation (suffrage masculin adulte universel, abolition de l’esclavage, etc.).

[3] Des articles ont été publiés sur le rapport de Robespierre au genre féminin : Florence Gauthier (2014) ; Noah C. Shusterman (2014, en anglais).

[4] Mentionnons par acquis de conscience le pamphlet publié à Berlin en 1794 : Maximilian Robespierre in seinem Privatleben (La Vie privée de Maximilien Robespierre), «par un détenu au Palais du Luxembourg».

[5] Nabonne Bernard, La Vie privée de Robespierre, Hachette, 1938. En 1927, l’auteur avait reçu le prix Renaudot, pour Maïténa.

[6] Stievenard Jeanine, Robespierre et les femmes, 2009, 68 p., édité à compte d’auteur chez Édilivre : «Robespierre, ce n’est pas seulement la transformation du Comité de Salut Public en organisation terroriste, c’est également les balades dans les jardins parisiens, c’est aussi l’élevage d’oiseaux destinés à être offerts à son entourage, et même peut-être un fils issu d’une liaison avec Mlle Duplay.»

[7] On utilise aussi l’expression trou d’homme.

[8] J’utilise ici les éléments d’un exposé fait à la Sorbonne le 15 mars 2017, dans le cadre du Séminaire doctoral de l’IHRF «Publier les sources de la Révolution», à l’invitation de Pierre Serna, son codirecteur avec Jean-Luc Chappey et Anne Simonin: «Pourquoi et comment publier les Enragé·e·s ?».

[9] «It now seems clear that the direct impulse to the events of 1789 came not from an ideological struggle or a class struggle, but from a financial and fiscal crisis of the French monarchy, and that this crisis was above all the product of a geopolitical struggle in wich that monarchy found itself engaged.» Je considère la phrase dans l’édition originale afin de la traduire moi-même : The Coming of the Terror in the French Revolution, Harvard University Press, 2015, pp. 39-40. Traduction française de Serge Chassagne : Anatomie de la Terreur, Le Seuil, 2018. La citation se trouve pp. 51-52.

[10] Hazan Éric, Une histoire de la Révolution française, La Fabrique éditions, 2012.

[11] Remerciements (p. 10) : «Ma gratitude va d’abord à Florence Gauthier et Yannick Bosc, mes savants amis, qui ont eu la patience de lire et d’annoter le manuscrit. Leurs critiques de fond et leurs suggestions ont beaucoup contribué à lui donner sa forme définitive.»

Nota : Je qualifie de «robespierristes» les historiennes et les historiens qui, par admiration pour le personnage ou par intérêt de faction idéologique se font ses thuriféraires. Leur robespierrisme peut être discret, modéré ou fanatique ; il peut être franc ou procéder par omissions, voire manipulations. Par ailleurs, contrairement à ce que sa dénomination sociale – conservée pour des raisons complexes – peut laisser entendre, la Société des études robespierristes n’abrite pas que des robespierristes, loin s’en faut ! (Elle n’agrège même pas tous les robespierristes.) J’ai moi-même été membre de son conseil d’administration ; j’ai créé – grâce au talent du graphiste Norbert Bartkowiak – et lancé la première version de son site Internet.

[12] Celles et ceux qui, au contraire, se taisent ont été ou sont en analyse : ils craignent de se trahir!

[13] Le prototype étant le chapitre consacré à Robespierre par le Dr René Laforgue dans sa Psychopathologie de l’échec (1944).

[14] Évocation critique par Hervé Leuwers des livres de Jean Artarit (2003) et Laurent Dingli (2004) dans «Robespierre, une figure revisitée», in «1789-2019. L’Égalité, une passion française», hors-série de L’Humanité, juin 2019, pp. 76-77.

[15] Ces outils, plus légers et moins nombreux ils sont, plus le travail de recherche est accessible et vérifiable. Les «concepts», surtout prétendument nouveaux servent trop souvent de signes de reconnaissance sociale et universitaire, donc d’exclusion. Exception récente, le concept de «genre» a fonctionné comme une autorisation à revisiter tous les sujets de toutes les époques «au prisme» d’icelui. Son objet d’étude, les «rapports sociaux de sexe» n’étaient pas inconnus des sciences sociales, mais genre a – si j’ose dire – plus de style. Il est paradoxal que la majorité de ses introductrices en France aient gaspillé leur énergie – croyant devoir répondre par là aux extrémistes catholiques – en répétant qu’il n’existe pas de «théorie du genre». Si réellement les «études de genre» se révélaient n’avoir produit aucune théorie, c’est que l’autorisation évoquée ci-dessus aurait été délivrée en pure perte.

[16] AHRF, 1932, pp. 193 et suiv., repris dans Études sur la Révolution française, 1954. Je souligne.

[17] Febvre Lucien, «Albert Mathiez: un tempérament, une éducation», Annales d’histoire économique et sociale, 1932, 4e année, n° 18, pp. 573-576. Je souligne. Febvre rapporte que Mathiez lui avait promis, pour les AHES, «un article d’ensemble sur le prolétariat en France au temps de la Révolution», dont sa mort brutale à la suite d’une hémorragie cérébrale nous a privé (comme aussi d’une biographie de Robespierre, pour laquelle il avait signé un contrat avec un éditeur américain). Voir Friguglietti James, Albert Mathiez historien révolutionnaire (1874-1932), SER, Paris, 1974.

[18] «“Flux et éruptions” : réflexions sur l’écriture d’une histoire comparée des féminismes européens, 1700-1950», in Cova Anne (dir.), Histoire comparée des femmes, 2009, pp. 45-65. Je souligne. Notons qu’une revue féministe italienne publiée en 1973-1974 s’est intitulée Sottosopra (Sens dessus dessous).

[19] Illustration caricaturale dans une émission de télévision baptisée «Sous les jupons de l’histoire» (chaîne Chérie 25).

[20] Dans le journal CQFD, n° 117, décembre 2013. Plusieurs livres de Rediker ont été traduits en français ; par ex. Les Forçats de la mer (Libertalia, 2010), Pirates de tous les pays (Libertalia poche, 2017), L’Hydre aux milles têtes (avec Peter Linebaugh, Amsterdam, 2008).

[21] «Sur le concept d’histoire» (1940) ; quatorzième thèse, in Œuvres, III, Folio, p. 439.

[22] J’y reviendrai plus longuement en présentant le second volume de mon diptyque.

[23] Robespierre. L’homme qui nous divise le plus, Gallimard, 2018.

[24] Le douzième (et dernier?) devait être publié la même année que le présent ouvrage. [Note actualisée: Il sera finalement publié en 2022.]

[25] À supposer même que l’on ne considère que les cinq volumes de discours, en quoi le retour à la source à partir d’une date est-il «aisé»?

[26] Je partage avec Guillaume Mazeau, Laurence De Cock et Mathilde Larrère, auteur et autrices de L’histoire comme émancipation (Agone, 2019, p. 108) la certitude que : «L’expression “histoire engagée” devrait être un pléonasme.» Il·et elles ne se donnent pas la peine de situer leur position parmi celles que j’énumère ici. Voir mes remarques critiques, sur l’ouvrage (et sur les vulgarismes de M. Larrère) sur mon blogue La Révolution et nous. Sur le même thème, voir le n° 144 des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique (2020) et sa présentation par Jean-Charles Buttier et Caroline Fayolle : «Écrire l’histoire des révolutions : un engagement».

[27] J’en ai recensé un grand nombre (slogans, tracts, pancartes, graffitis) sur La Révolution et nous.

[28] J’ai abordé la question de la filiation, plausible et souhaitable, entre la Révolution française et la prochaine révolution dans le premier chapitre de Notre patience est à bout : «Écrire l’histoire, continuer la révolution».

[29] Spontanéité relative puisqu’elle tient en partie aux références scolaires connues de toutes et tous (ou presque). Cet aspect était très perceptible dans le mouvement des «Gilets jaunes».

[30] OMR, t. I, p. XXV.

[31] Les références ainsi indiquées – date, n° de page – renvoient à la Bibliographie en fin de volume.

[32] Psaume 7, 10 : «Mets fin à la malice des impies, affermis le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste!» Livre de Jérémie 11, 20: «Yahvé Sabaot, qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les cœurs, je verrai ta vengeance contre eux [les gens d’Anatot, qui persécutent le prophète], car c’est à toi que j’ai exposé ma cause.» La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, pp. 927 et 1405.

[33] Discours aux Jacobins le 9 juillet 1794 ; OMR, t. X, p. 520. Vetter Cesare, «Bonheur public, bonheur privé et bonheur individuel dans le lexique de Robespierre», in Vetter C., Marin M., Gon E., Dictionnaire Robespierre, t. I, 2015, p. 44. Saint-Just, au contraire, tient à la notion de «vie privée» : «Si vous ordonnez aux tribunaux de faire régner la justice, ne souffrez point que l’on tourmente la vie privée du peuple.» (Rapport au nom des Comités de Salut public et de Sûreté générale, 26 germinal an II-15 avril 1794). Et dans le préambule au chap. premier des Fragments d’institutions républicaines: pour lier les hommes par des rapports harmonieux, soumettre «le moins possible aux lois de l’autorité les rapports domestiques et la vie privée du peuple.» Citations in Œuvres complètes, établies par Michèle Duval, 2003, pp. 819, 967-968.

[34] «Salut les hommes ! Et tant pis si j’me trompe», lui fait dire Jean-Pierre Melville dans Le Doulos (1962).

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Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

13 jeudi Août 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

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Albert Soboul, André Salem, Annie Geffroy, Bernard Conein, Boissy-d'Anglas, Cesare Vetter, Damon Mayaffre, Denise Maldidier, Ferdinand Brunot, Florence Gauthier, Françoise Brunel, Hans Erich Bödeker, Hans-Jürgen Lüsebrink, Hayden White, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jacques Roux, Jürgen Habermas, Jürgen Link, Jean-Baptiste Marcellesi, Jean-Pierre Faye, John A. G. Pocock, Keiht Baker, Le Père Duchesne, Louis Althusser, Luc Boltanski, Lucien Febvre, Marc Belissa, Marc Deleplace, Marco Marin, Maurice Tournier, Michel Foucault, Michel Pêcheux, Paul Ricoeur, Peter Schöttler, Pierre Fiala, Quentin Skinner, Raymonde Monnier, Régine Robin, Reinhart Koselleck, Robert Mandrou, Rolf Reichardt, Sophie Wahnich, Thomas Paine, Yannick Bosc

J’ai voulu, avec son accord, mettre à disposition cet article de Jacques Guilhaumou, malgré son aspect «technique» qui pourra rebuter certaines et certains. Il est cohérent avec les buts que je me suis fixé dans ce blogue de publier des textes aux «niveaux de lecture» très différents. Chacun·e trouvera, je l’espère, de quoi faire son propre miel.

Je suis responsable des culs-de-lampe, qui utilisent la vignette figurant sur la couverture du journal d’Hébert (dont il est très souvent question dans ce texte, comme dans tous ceux qui traitent du langage pendant la Révolution).

C. G.

 

Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française[1]

 

Version française de Jacques Guilhaumou «Geschichte und Sprachwissenschaft: Wege und Stationen in der “analyse du discours”», Handbuch Sozial-wissenschaftliche Diskursanalyse, R. Keller und alii hrsg., Band 2, Opladen, Leske+Budrich, 2003, traduction et présentation de Reiner Keller, 2003, p. 19-65.  Avec une annexe complémentaire de 2016.

Résumé

La présence de l’analyse de discours en histoire est restée modeste, mais  ne s’est pas démentie depuis la mise en place de la relation entre histoire et linguistique au cours des années 1970. Elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et plus récemment sur l’importance de la réflexivité et de l’intentionnalité historique chez les acteurs de l’histoire. L’objectif présent est de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Ce texte bilan écrit au début des années 2000 a été complété par une annexe, rédigée en 2016, qui resitue les moments de l’histoire du discours en Révolution française au croisement des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, et enfin la fonctionnalité principale.

Introduction

Au début des années 1970, Régine Robin, dans son ouvrage pionnier sur Histoire et linguistique (1973) accompagné d’une publication collective (Guilhaumou et alii, 1974) auxquels nous avons collaboré, pose frontalement le problème de l’absence de reconnaissance, au sein de la communauté historienne, des recherches ayant trait au langage, en dépit des avancées antérieures de l’école des Annales, autour de Lucien Febvre et Robert Mandrou. La réticence des historiens français face à tout étude qui touche de près ou de loin les pratiques langagières dans un contexte historique précis a perduré jusqu’à nos jours, d’autant plus qu’elle a été ravivée par la querelle récente à propos du «linguistic turn» (Noiriel, 1996; Schöttler, 1997). L’historien Gérard Noiriel (1998) notait encore récemment la position marginale de l’approche langagière au sein de la discipline historienne, en dépit de son rapprochement, déjà ancien mais amplifié, avec l’histoire langagière des concepts en Allemagne et plus récent avec les recherches équivalentes dans  le monde anglophone (Guilhaumou, 2000).

Pourtant la présence de l’analyse de discours en histoire ne s’est pas démentie au cours de ses trente dernières années. De fait, elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et leur valeur interprétative, sans pour autant entamer la domination de l’explication narrative associée au débat sur le caractère fictionnel ou non de l’écriture historique (Prost, 1996)

Il convient donc de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons préféré nous en tenir, hormis de rares incursions dans le discours politique contemporain, à des exemples pris dans le 18ème siècle français, majoritairement présents dans les travaux des historiens du discours, tout en l’ouvrant à la période du Sattelzeit (1750-1850) mis en valeur par les perspectives pionnières de l’historien allemand Reinhart Koselleck.

Au départ, c’est-à-dire pendant les années 1970, la relation entre histoire et linguistique se limitait à permettre enfin l’accès du discours au champ historiograhique. Une configuration méthodologique, centrée sur la construction du corpus, dominait l’approche du discours comme objet d’histoire. Les années 1980 marquent un tournant décisif dans la mesure où ce qu’il convenu d’appeler désormais l’analyse du discours du côté de l’histoire, par le fait du recours à une démarche non plus structurale, mais configurationnelle, devient une discipline interprétative à part entière. Enfin, en multipliant les contacts tant en France qu’à l’étranger, en les amplifiant dans les années 1990. l’historien linguistique se rapproche de l’histoire langagière des concepts, tout en systématisant sa démarche au sein d’une histoire linguistique des usages conceptuels et en ouvrant une nouvelle perspective sur l’histoire des événements linguistiques.

1- Le discours comme objet de l’histoire: les années 1970

Dès son origine l’analyse de discours en France[2], dont la manifestation la plus spectaculaire est le colloque de lexicologie politique[3] tenu à l’Université de Paris X-Nanterre quelque temps avant les événements de mai 1968, se veut, dans son ensemble, une discipline restreinte, mais rigoureuse sur la base d’un modèle de scientificité emprunté à la linguistique distributionnelle américaine (Harris): analyse formelle, exhaustivité et systématicité s’efforcent d’aller de pair.

De fait il s’agit d’abord d’une démarche que nous qualifierions aujourd’hui de sociolinguistique en ce sens qu’elle associe un modèle linguistique, essentiellement l’analyse d’énoncé,  à un modèle sociologique, défini à travers la notion de conditions de production, autre désignation du contexte dans lequel on puise les éléments du corpus étudié. A la démarche du linguiste qui décrit les propriétés formelles des énoncés, en y cernant des variations, s’associe celle du sociologue qui cherche à comprendre la part de la variation des langages dans les pratiques sociales. Tout est ici affaire de correspondances, de co-variance entre des structures linguistiques et des modèles sociaux en cherchant parfois à établir une relation de cause à effet, même si le simple parallélisme est l’attitude la plus courante en la matière (Drigeard, Fiala, Tournier, 1989). Ainsi, une conjoncture historique peut engendrer des effets discursifs, comment nous l’avions montré (1975b) à propos des effets discursifs de l’hégémonie jacobine en 1793, dans le trajet de l’interdiscours jacobin aux effets de l’événement, et plus largement à l’effet de conjoncture.

De même la recherche de Régine Robin (1970) sur une ville sous l’Ancien Régime, Semur-en-Auxois, comportait d’une part une analyse des structures sociales d’un bailliage bourguignon à la veille de la Révolution française, et d’autre part une analyse du contenu des Cahiers de doléances de la bourgeoisie et de la paysannerie à partir d’un certain nombre de mots-pivots, selon une approche linguistique combinant analyse d’énoncé et étude du vocabulaire socio-politique. Les premiers travaux des linguistes analystes de discours s’inscrivaient aussi dans la même perspective, qu’il s’agisse de l’étude de Jean-Baptiste Marcellesi (1971) sur le Congrès de Tours de 1920 ou de celle de Denise Maldidier (1970) sur le vocabulaire politique de la Guerre d’Algérie.

Cependant la version « faible » de l’analyse de discours était la plus courante chez les jeunes historiens du discours qui abordaient alors leurs premières recherches: elle revenait à étudier les champs sémantiques de notions jugées centrales dans le corpus pris en compte. Ainsi en est-il de notre premier travail sur le discours du Père Duchesne (1974), issu de la presse pamphlétaire de 1793, et qui tend à mettre en valeur une forme dissimulée du discours jacobin autour des usages de la notion de sans-culotte. Cette approche du champ sémantique présente toujours l’avantage de s’inscrire dans une tradition lexicologique, incarnée par Ferdinand Brunot et qui côtoie tout au long du XXe siècle les avancées des historiens, en particulier au sein de  l’école des Annales. Tout en abandonnant le critère implicite de nombreux historiens de la transparence du sens des textes, et de rompre dans le même temps avec la citation illustrative, elle s’avère d’un abord simple, sans connaissance technique autre qu’une bonne connaissance  des parties de la grammaire.

Il revenait plutôt au linguiste travaillant sur des matériaux historiques d’élaborer une version «forte» de l’analyse de discours dans une optique essentiellement syntaxique.  Cela équivalait à ne retenir, au sein d’un corpus de textes imprimés, qu’une série d’énoncés autour de mots-pivots auxquels le linguiste applique des règles d’équivalence grammaticale permettant d’obtenir, sous une forme paradigmatique, un ensemble de phrases transformées qui constitue en quelque sorte la série des prédicats des mots-pivots. Cependant cette approche syntaxique reste toujours l’apanage du linguiste, ou tout au plus de l’historien linguiste, dans la mesure où l’historien ordinaire trouve trop lourd l’investissement linguistique nécessaire à sa mise en œuvre. Pour autant elle donne une image exemplaire de collaboration interdisciplinaire. Ainsi dans le travail conjoint de la linguiste Denise Maldidier et de l’historienne Régine Robin (1974), sur les remontrances parlementaires face aux Edits de Turgot de 1776, le corpus des phrases régularisées par la linguiste autour des mots-pivots liberté et règlement est reproduit intégralement. La sélection des termes repose ici sur un savoir historique préalable: il est supposé d’évidence que c’est autour des notions de liberté et de règlement que se joue alors l’affrontement entre noblesse et bourgeoisie dans la conjoncture de la tentative réformatrice de Turgot qui échouera.

Au contact de la linguistique structurale, l’historien du discours a donc pu se constituer un outillage méthodologique toujours d’actualité, mais qui a largement débordé sur l’analyse de contenu (Bardin, 1989). Ainsi s’est instauré, dans la relation entre histoire et linguistique, un rapport stable à des outils lexicaux et grammaticaux d’analyse répondant aux besoins de description systématique de l’usage des mots et des énoncés.

Dans cette perspective, la lexicométrie s’est imposée comme le principal moyen de quantifier les faits langagiers et sert ainsi désormais de support à toutes sortes d’analyses linguistiques (Lebart, Salem, 1994), au sein de ce que nous appelons aujourd’hui la linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997). L’historien du discours peut faire appel à la lexicométrie lorsqu’il veut démêler, en première approche, l’intrication des phénomènes énonciatifs et rhétoriques qui constituent la surface discursive d’un texte, par contraste avec les énoncés qui le structurent sémantiquement autour de mots-pivots étudiés en analyse harissienne. Nous pouvons ainsi aborder, comme le montre les travaux pionniers de Maurice Tournier (1975), le vif des usages d’un ou plusieurs mots dans le contexte même d’un corpus. Mais là encore, la procédure d’analyse porte sur un corpus réduit, non plus un corpus d’énoncés, mais le tableau lexical à double entrée des formes recensées automatiquement du corpus qui sont ventilées sur la base de leur fréquence absolue et relative dans les diverses parties du discours. L’analyse factorielle des correspondances est la méthode quantitative la plus spectaculaire en la matière au terme d’une démarche lexicométrique unitaire, comme le montre le travail récent de Damon Mayaffre (2000) sur le discours politique d’entre-deux-guerres, qui s’inscrit cependant dans une autre configuration méthodologique comme nous le verrons dans la troisième partie. Cette méthode à la fois quantitative et synthétique permet en effet d’appréhender d’un seul coup d’œil, sur l’écran de son ordinateur ou sur la feuille de papier, les clivages les plus importants du corpus, soit entre les auteurs, soit entre des ensembles de vocabulaire, soit les deux ensemble.

La procédure initiale de l’analyse de discours du côté de l’histoire a donc permis, sur la base des méthodes linguistiques et lexicométriques, d’introduire des critères d’exhaustivité et de systématicité à l’intérieur de corpus comparatifs, sélectionnés sur leurs conditions de production. Ainsi l’historien du discours se démarque dès le départ de l’historien classique  en contestant l’idée que la lecture d’un texte n’est qu’un moyen d’atteindre un sens caché, de cerner un référent pris dans l’évidence du sens.

Cependant l’analyse du discours comme objet de l’histoire présentait un triple écueil. En premier lieu, elle introduisait une coupure nette entre le corpus choisi, à vrai dire fort restreint au terme de la procédure d’analyse, et le hors-corpus défini de façon référentielle et générale par la notion de conditions de production. En second lieu, le choix des mots-pivots reposait sur le jugement de savoir de l’historien, pris lui-même dans le champ des débats historiographiques du moment. Enfin, elle constituait, sur des bases idéologiques et historiographiques, des entités discursives séparées telles que le discours noble, le discours bourgeois, le discours jacobin, le discours sans-culotte, etc.

Il ne faut pas cependant sous-estimer les résultats de ses premiers travaux en matière de connaissance des stratégies discursives. Ainsi en est-il de notre étude comparative de la presse pamphlétaire en 1793 (1975) qui met en évidence le contraste entre un «authentique» discours sans-culotte, celui de Jacques Roux, et le discours jacobin d’Hébert, auteur du Père Duchesne, basé sur des effets populaires estompant ses contenus jacobins. C’est dire aussi que l’analyse de discours relevait, à un niveau plus fondamental, d’une théorie du discours doublement issu du marxisme et de l’apport alors récent de Michel Foucault, en particulier dans L’archéologie du savoir (1969).

Si Michel Pêcheux suivait volontiers Michel Foucault dans sa critique de l’humanisme, et son corollaire la mise en avant de la subjectivité de l’individu, il s’en séparait nettement par le refus d’un geste interprétatif qui récusait, avec Michel Foucault,  l’existence d’une formation sociale préconstruite, à l’identique des concepts du matérialisme historique. Il s’agissait alors, toujours pour Michel Foucault, de substituer au mouvement dialectique un « mouvement de l’interprétation » (1994, I, 564 et suivantes). Ce refus initial, chez les « linguistes marxistes », de la démarche interprétative devait fortement contribué à limiter la portée de l’analyse de discours au cours des années 1970, et par là même de l’appréhension de l’historicité des textes. Les années 1980 ouvriront, certes tardivement, l’analyse de discours au questionnement herméneutique.

Cependant, deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), étaient  centraux, ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permettait de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le risque était là, nous l’avons déjà souligné, de classer les diverses formations discursives d’une formation sociale, à l’exemple de l’opposition noblesse/bourgeoisie sous l’Ancien Régime. Le concept d’interdiscours introduisait alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il était permis de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un «tout complexe à dominante» selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation «forte» rencontrait alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste[4]. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois/discours féodal; discours jacobin/discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il était question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. C’est d’ailleurs sur cette voie que s’est  opérée la rencontre de Michel Pêcheux avec des chercheurs allemands soucieux des phénomènes langagiers, en particulier Jürgen Link et Peter Schöttler (Pêcheux, 1984, Schöttler, 1988). Le bilan de l’analyse de discours comme objet de l’histoire, telle qu’elle a été pratiquée par un petit groupe d’historiens au cours des années 1970,  n’a donc rien de négatif, en dépit de ses évidentes impasses. C’est par la multiplication des contacts avec diverses interrogations langagières de chercheurs français et étrangers et une attention nouvelle à l’archive que s’opère, dans les années 1980, la sortie vers ce que nous pouvons appeler désormais l’analyse de discours du côté de l’histoire.

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«Les femmes et le monde des “Annales”», par Natalie Zemon Davis ~ traduite par Christelle Rabier dans la revue “Tracés”

02 vendredi Juin 2017

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque», «Conditions matérielles de la recherche»

≈ Commentaires fermés sur «Les femmes et le monde des “Annales”», par Natalie Zemon Davis ~ traduite par Christelle Rabier dans la revue “Tracés”

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Anaïs Albert, Christelle Rabier, Clyde Plumauzille, Eugénie Droz, Féminisme, Franck Borkenau, Germaine Rouillard, Lucie Varga, Lucien Febvre, Marie-Louise Sjœstedt, Natalie Zemon Davis, Simone Vidal-Bloch, Suzanne Dognon-Febvre, Sylvain Ville, Thérèse Sclafert, Yvonne Bézard

Ci-dessous, résumé de l’article dont le texte intégral est en ligne ici.

Pour commander la revue papier, c’est ici.

Numéro coordonné par Anaïs Albert, Clyde Plumauzille et Sylvain Ville.

Cet essai analyse le rôle marginalisé des femmes dans les études historiennes des Annales de la première génération, en commençant par le travail de l’ethnographe et historienne juive autrichienne Lucie Varga et l’aide non rémunérée de Suzanne Dognon-Febvre et de Simone Vidal-Bloch. Il explore ensuite la formation supérieure et les carrières des femmes qui avaient un lien avec les Annales depuis leur fondation en 1929 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale : les deux autrices qui y ont publié des articles – Varga et Thérèse Sclafert, historienne économique –, les autrices des ouvrages recensés ou des recensions – Yvonne Bézard, historienne économique, Marie-Louise Sjœstedt, linguiste, Germaine Rouillard, égyptologue – sans oublier Eugénie Droz, spécialiste de la Renaissance, éditrice d’un livre de Febvre. L’École pratique des hautes études se révèle pour ces femmes un cadre accueillant pour l’acquisition de formation supérieure, sans conduire à un poste universitaire. Elles suivent des trajectoires professionnelles de bibliothécaire, d’archiviste, d’éditrice ou d’enseignante pour les élèves de Sèvres. Le texte se conclut sur une réflexion sur le tribut intellectuel payé dans leur travail respectivement par Lucien Febvre et Franck Borkenau à leurs épouses, Varga et Dognon.

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Pour Vincenzo

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