A bas les pattes! les Anglais ont débarqué.
Sur cette carte postale, qui date de la Première Guerre mondiale, on peut observer une Marianne arborant un bonnet phrygien, rouge, comme il se doit.
La posture cambrée, le buste avantageux, solidement plantée sur ses jambes écartées ; la main droite sur la hanche, l’autre brandie en signe de « Halte-là ! », ou même prête à frapper, Marianne manifeste crânement son refus à l’empereur d’Allemagne Guillaume II, lequel s’avance, en grand uniforme, les deux bras avidement tendus vers elle.
C’est en effet d’un refus érotique qu’il s’agit.
Non dénué d’une ambiguïté (involontaire ?) de la part de l’auteur, puisqu’il a construit son imagerie — dessin et légende — sur un sous-entendu érotico-physiologique emprunté à la langue populaire.
Si l’on aperçoit en arrière-plan plusieurs bateaux et une colonne de soldats qui viennent de débarquer sur le sol de France — c’est écrit par terre, pour éviter toute confusion —, lesquels soldats peuvent faire partie du Corps expéditionnaire britannique, dont les premiers éléments ont accosté à Boulogne le 12 août, 1914, l’expression « Les Anglais ont débarqué » a un sens figuré.
Parfois déclinée — « avoir ses Anglais » —, elle désigne dans le langage populaire le fait pour une femme d’avoir ses règles.
Le Dictionnaire de l’argot français et de ses origines[1] donne une citation de Claude Sarraute : « J’étais sûre que ça y était. Et puis, l’autre matin, catastrophe, les Anglais ont débarqué. Jamais je l’aurai ce bébé[2]. »
Le dessinateur reprend ici fidèlement l’origine de la métaphore, en représentant les troupes anglaises habillées d’uniformes rouges (j’ignore si c’était encore le cas en 1914, comme quelques siècles plus tôt).
On remarque que l’empereur Guillaume a toute la figure rouge (d’excitation et de désir), tandis que Marianne a surtout les joues rouges, indice de la pudeur outragée, que vient relativiser le sourire, de la bouche et des yeux, qui évoque davantage Madelon[3] qu’une farouche républicaine prête à la lutte.
Comme si le soutien de l’armée britannique était plutôt un empêchement, dont on est libre de se servir comme motif au refus — ou non.
Et Marianne en use effectivement, mais avec une malice toute de séduction féminine, comme d’un mauvais prétexte. Qu’eut-elle répondu à l’avance de Guillaume en l’absence de « débarquement » anglais ? N’eut-il pas paru moins lourdaud, si « arrivé à temps » ?
J’ai du mal à croire que le dessinateur — dont j’ignore l’identité[4] — soit un fervent admirateur de la République issue de la Grande Révolution — de « la Gueuse » comme disent les royalistes — qu’il représente curieusement parée d’un collier et d’un bracelet.
Je sais qu’il est misogyne.
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[1] Jean-Paul Colin, Jean-Pierre Mével & Christian Leclère, Larousse, 1990.
[2] Allô Lolotte, c’est Coco, Flammarion, 1987. Je souligne.
[3] « La Madelon pour nous n’est pas sévère/ Quand on lui prend la taille ou le menton/ Elle rit, c’est tout le mal qu’elle sait faire/ Madelon, Madelon, Madelon ! » Chanson popularisée par le chanteur Bach (Charles-Joseph Pasquier) ; paroles de Louis Bousquet (1914).
[4] Le verso ne comporte aucune indication ; simplement la mention : « Carte postale ».
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