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Le débat sur le devenir de l’IHRF s’est poursuivi, dans les colonnes de L’Humanité notamment, lequel quotidien a publié le mardi 12 janvier dernier une contribution de Pierre Serna (reproduite ci-dessous), un texte de Jean-Clément Martin, et un court entretien avec Michel Vovelle.

Le premier est l’actuel directeur de l’IHRF, tandis que les deux autres ont occupé ce poste les années précédentes.

Le 15 janvier, le même quotidien a publié une réaction de la Société des études robespierristes (SER), que je reproduis également ci-dessous.

Concernant les réactions du directeur Serna et de J.-C. Martin, on peut se demander pourquoi elles interviennent si tard, alors que la disparition de l’IHRF en tant que tel est un fait accompli, dont les intéressés étaient évidemment avertis depuis longtemps… À quoi rime d’attendre d’être défaits pour sonner le rassemblement?

Quant au communiqué de membres du bureau de la SER, je regrette qu’il ne soit pas plus précis dans ses propositions. En effet, on pourrait facilement imaginer un engagement plus ferme de cette Société, reconnue d’utilité publique, et qui a donc la possibilité de recueillir des dons et des legs.

Puisque la puissance publique juge bon de se désengager de l’IHRF — dont on peut craindre qu’il soit réduit à un ectoplasme, sans parler des risques que cela fait peser sur sa bibliothèque — il eut été plus fort de proposer de pallier ce désengagement en recueillant des fonds. Une telle proposition n’eut évidemment pas suffi à déclencher par elle-même un engouement équivalent à l’achat des manuscrits de Robespierre. Mais c’eut été — peut-être n’est-il pas trop tard ! — un geste symboliquement fort, susceptible de provoquer des contacts et des solidarités pratiques. On peut aller jusqu’à penser qu’il s’agit, dans les circonstances où nous nous trouvons, et pour une société reconnue d’utilité publique, d’une espèce de «devoir», contrepartie naturelle des facilités dont elle dispose.

Il me semble que l’on s’engage, dans la perspective choisie, davantage vers des vœux pieux et — au mieux — la transformation en pétition de la tribune de la SER. Ce qui fera une belle jambe, et une gracieuse épitaphe à l’IHRF…

Tant que j’en suis à pester (le léopard meurt avec ses taches), je note au passage ce qui me semble un défaitisme hors de propos dans la phrase suivante:

Une disparition de l’IHRF serait d’autant plus tragique qu’elle interviendrait dans une période où la référence à la Révolution, comme
moment fondateur de la République, a malheureusement perdu de sa force et de son évidence.

Je ne suis pas certain que ce diagnostic soit exact. En tout état de cause, il est largement contrebalancé par un regain d’intérêt dans le public pour la Révolution française, tant sur le plan éditorial (recherches scientifiques et vulgarisation) que sur le plan de la création artistique (je pense évidemment aux pièces de théâtre, comme celle de Pommerat, et à de nombreux romans). Il n’y a pas d’âge d’or, et les temps que nous vivons offrent des conditions paradoxalement point si défavorables au combat historien.

 

What would Robespierre do

Il faut cesser de séparer la République de la Révolution

Pierre Serna, professeur d’histoire de 
la Révolution française 
à Paris-I-Panthéon-Sorbonne. IHRF/IHMC

Dans cette période de restrictions, d’austérité, d’économie drastique pour la recherche bien sûr, de regroupement et de mutualisation des forces vives dans les laboratoires au nom d’une rationalité toute bureaucratique, l’Institut d’histoire de la Révolution française se trouve dans l’œil du cyclone depuis le 1er janvier. Auparavant unité mixte entre le CNRS et l’université de Paris-I, l’institut est fondu dans un autre laboratoire, l’Institut d’histoire moderne et contemporaine. Ses fonctions de construction des archives parlementaires et de valorisation de sa bibliothèque exceptionnelle demeurent, mais l’institut n’a plus d’existence légale. Cela pose un sérieux problème dans un pays de droit, dans un pays où la Révolution française a inventé la loi pour protéger les entités individuelles ou morales. L’institut fonctionne, mais désormais il n’a plus de statut légal. Cela ne peut être et ne doit pas durer.

Rappelons quelques faits qui justifient de s’alarmer et de réfléchir à sa renaissance au sein de Paris-I tout en conservant ses liens avec le CNRS. Depuis 1886, d’abord financé par la Ville de Paris, puis en 1891, officialisé par l’État avec la création d’une chaire d’histoire de la Révolution française, dont Alphonse Aulard fut le fondateur, un enseignement de la Révolution française a été proposé en Sorbonne, lié à une recherche sans cesse à la pointe. Depuis, 9 professeurs ont succédé à Alphonse Aulard, dont Georges Lefebvre, Albert Soboul, Michel Vovelle, ces deux derniers connus pour leur engagement sans faille au sein du PCF, ce qui n’a jamais nui à leur exigence et leur rigueur scientifique. L’enseignement et la recherche sur la Révolution furent donc, dès leur origine, un objet politique et scientifique assumé, entre défense des idées républicaines et construction de l’histoire la plus érudite et nouvelle qui soit. Le pari a fonctionné au-delà des espérances de son fondateur. En 1937, Jean Zay parapha l’acte de naissance de l’Institut d’histoire de la Révolution française : il est dommage que l’année de sa panthéonisation, on défasse ce qu’il a construit…

Depuis, 7 directrice et directeurs se sont succédé. L’équipe en place depuis 2008, reprenant le flambeau de chaque génération, a apporté sa contribution à l’édifice, a su proposer de nouvelles pistes. Entre 2008 et 2015, l’IHRF a assumé 10 parutions collectives, organisé et coorganisé 16 colloques internationaux, a mis électroniquement à la disposition de tous les citoyens plus de 20 000 décrets et lois des trois premières assemblées révolutionnaires de 1789 à 1795. Un site électronique a été inventé, référencé comme site repère par le ministère de l’Éducation nationale. Michel Vovelle a fait un don exceptionnel de plus de 2 000 ouvrages. Une revue électronique, portée par le portail revues.org a été créée pour diffuser les recherches les plus récentes sur la Révolution française. Un grand séminaire d’histoire d’outre-mer a été fondé liant les universités de La Réunion et des Antilles et de Paris-I. Une université populaire reconnue par convention officielle a été signée sous l’impulsion de l’IHRF avec le comité Marche du 23 mai 1998 et la reconnaissance de la mémoire des anciens esclaves. Sans compter les liens tissés avec des chercheurs du monde entier prêts à se mobiliser pour que l’Institut d’histoire de la Révolution française, où ils viennent régulièrement travailler, ne disparaisse pas légalement.

Ce n’est pas une question d’argent, mais de principe. Il ne s’agit pas de construire une fondation sur le modèle des amateurs d’histoire napoléonienne[1], mais de garder, au sein d’une université publique, un des plus anciens laboratoires de recherches d’histoire et des plus dynamiques. Paris-I a tous les atouts pour donner une existence juridique et légale à l’IHRF et poursuivre sa collaboration jusque-là fructueuse avec le CNRS. Il faut cesser de séparer la République de la Révolution qui l’a fondée, comme si c’était un objet à dissoudre, à faire fondre. La demande des étudiants ne trompe pas : ils sont toujours plus nombreux à vouloir comprendre le sens d’une période contemporaine qui naît de la Révolution des droits, de la justice, et de la légitime légalité. C’est tout ce dont a besoin l’Institut d’histoire de la Révolution française pour renaître dans son université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne : son existence officielle, son droit à poursuivre l’histoire de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Ce n’est pas rien…

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[1] Ce que suggère Jean-Clément Martin dans une tribune publiée dans le même numéro de L’Humanité.

 

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L’histoire de la Révolution française ? plus que jamais !

Serge Aberdam, INRA, secrétaire général de la SER ; Michel Biard, Normandie Université, président de la SER ; Philippe Bourdin, Université Clermont-Ferrand II, ancien président de la SER ; Annie Crépin, Université d’Artois, rédactrice en chef des AHRF ; Jean-Numa Ducange, Normandie Université, membre du bureau de la SER ; Hervé Leuwers, Université Lille 3, directeur des AHRF.

 

Les menaces qui pèsent sur l’Institut d’Histoire de la Révolution française (Université Paris 1), fondé par Georges Lefebvre, ne peuvent laisser indifférent. Dans notre République, l’histoire de l’événement révolutionnaire conserve plus que jamais son actualité, et toute réorganisation des structures de la recherche doit prendre cela en compte. Il serait grave de mettre un point final à une aventure humaine et scientifique fondamentale, d’autant plus qu’il s’agit-là d’un chantier international, au sein duquel les historiens français ont un rôle majeur à jouer. Une disparition de l’IHRF serait d’autant plus tragique qu’elle interviendrait dans une période où la référence à la Révolution, comme
moment fondateur de la République, a malheureusement perdu de sa force et de son évidence.

Au-delà, un rapprochement des structures scientifiques de l’ensemble du pays s’impose. L’IHRF travaille étroitement avec des centres universitaires de province (Clermont-Ferrand, Lille, Rennes, Rouen…) et de pays étrangers, sans que des liens institutionnels forts n’existent entre eux ; là aussi il y a priorité. La Société des études robespierristes (SER), fondée en 1907 et reconnue d’utilité publique, prendra sa part de responsabilité dans la recomposition des structures de la recherche. Par son ouverture à tous les amateurs d’Histoire, par sa capacité à rassembler la majorité des chercheurs étudiant la Révolution, en France et à l’étranger, la SER est depuis longtemps un lieu d’échanges, de propositions, de publications, qui a dépassé de loin son objectif initial d’édition des Œuvres de Robespierre et d’une revue internationale de référence, soutenue par le CNRS et le CNL : les Annales historiques de la Révolution française (AHRF, A. Colin). Depuis plusieurs années, elle a multiplié les initiatives pour l’acquisition d’archives, l’animation de la vie scientifique, la commémoration de la République… Par son statut, elle peut fédérer et aider le grand public à réinvestir la Révolution française.

Un combat est à mener, régulièrement ; le combat en faveur de la recherche en histoire de la Révolution. Alors menons-le! L’IHRF doit rester visible dans notre espace scientifique. Il faut procéder à un rapprochement des centres de recherches qui travaillent sur la Révolution, et renforcer leurs liens avec les universités étrangères. Les associations qui ancrent la mémoire de la Révolution dans l’Histoire, et particulièrement la SER, se doivent plus que jamais d’encourager la recherche, de rappeler la dimension civique de l’Histoire et de travailler à mieux faire connaître les racines de notre République.