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“Sade, la Révolution et la finance” ~ par Armelle St-Martin

10 vendredi Sep 2021

Posted by Claude Guillon in «Annonces», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “Sade, la Révolution et la finance” ~ par Armelle St-Martin

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Armelle St-Martin, Démocratie directe, Fouquier-Tinville, Marat, Sade, Sans-culottes, Section des Piques, Sections parisiennes

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“Daniel Guérin, le trouble-fête” ~ par Louis Janover (1989)

13 dimanche Juin 2021

Posted by Claude Guillon in «Faites comme chez vous !»

≈ Commentaires fermés sur “Daniel Guérin, le trouble-fête” ~ par Louis Janover (1989)

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Anton Ciliga, Élisabeth Guibert-Sledziewski, «Hébertistes», Babeuf, Bodson, Buonarroti, Daniel Guérin, Démocratie directe, Denis Berger, Enragé·e·s, François Boissel, Jacobins, Karl Marx, Kropotkine, Lénine, Léon Trotski, Louis Janover, Lutte des classes, Maurice Dommanget, Maximilien Rubel, Olivier Bétourné, Révolution russe, Robespierre, Terreur

1984: année de la haine au sens orwellien du terme! «Haïr la révolution» fait alors partie des «devoirs moraux et médiatiques de toute “âme” noble intéressée à sauver le monde de l’Empire du mal[1]». Et l’avertissement vient de très loin dans notre histoire: comme «Thermidor a sauvé la France» – la France thermidorienne, cela s’entend! – de cette «instance totalitaire, ou para ou pré-totalitaire, le Club des jacobins[2]», il convient de rester attentif à cette leçon du passé. Certains partis héritiers des jacobins ne font-ils pas toujours peser sur les institutions des menaces para ou post-totalitaires?

1989: il ne s’agit plus de haïr, mais de se servir des Tables de la loi bourgeoise comme d’une pierre tombale: sous le marbre de la Déclaration, le cadavre embaumé de la Révolution! Même l’évocation, sur le mode éploré, des dangers que les journées révolutionnaires auraient fait courir à l’avenir de la Démocratie risquerait de troubler les fastes programmés du bicentenaire. Ce n’est plus seulement la Terreur qui passe pour une déplorable parenthèse, heureusement refermée, un accident qui ne saurait se reproduire dans nos sociétés policées; l’histoire elle-même, l’histoire grandeur nature, finit par devenir suspecte aux yeux des historiens. Faute de pouvoir la coucher dans le lit de Procuste pour la raccourcir d’une tête, la tête révolutionnaire, bien entendu, ils se contentent de présenter les valeurs d’une réaction bien tempérée comme les valeurs de la Révolution même – de la belle et noble Révolution, celle qui n’avait rien de… révolutionnaire; inversion sémantique que Babeuf avait déjà dénoncée en son temps: «Parce que nous voulons refaire [la Révolution], écrivait-il dans Le Tribun du peuple, ils nous traitent d’anarchistes, de factieux, de désorganisateurs. Mais c’est par une de ces contradictions toutes semblables à celle qui leur fait appeler révolution la contre-révolution.» Et d’ajouter dans ce même article: «Mais tel est le dictionnaire des palais, des châteaux et des hôtels, que les mêmes expressions offrent toujours l’inverse de signification qu’on leur reconnaît dans les cabanes[3]»

Les procédés se sont raffinés; châteaux, hôtels et palais ont changé de propriétaires et d’allure, mais deux cents ans après que ces paroles ont été prononcées, on retrouve la même escroquerie langagière, le même acharnement à lire dans le dictionnaire de la contre-révolution le sens des mots révolutionnaires. L’anachronisme fait ici merveille. L’ombre du Goulag et de la terreur stalinienne se projette sur «la révolution» et «le communisme» érigés en principes métaphysiques intrinsèquement pervers. Ainsi, tel historien, ex-membre du PCF, ne craint pas de régler son compte avec son passé par Révolution interposée: «Par beaucoup d’aspects, déclare-t-il, la Terreur [!] annonce ce que seront les sociétés communistes[4].» Le problème avec un tel raccourci, c’est qu’il peut mener dans une direction tout opposée. La Révolution française s’inscrit indubitablement dans le cycle des révolutions à visage bourgeois: on guillotine volontiers des propriétaires, mais sans épargner les anarchistes du moment. Par conséquent, si la terreur organisée par les robespierristes «annonce» le totalitarisme des sociétés dites communistes; si les méthodes de gouvernement et de répression auxquelles les uns et les autres ont eu recours se ressemblent toutes, qu’en conclure? En toute logique, que nous sommes devant des pouvoirs «bourgeois» chargés, entre autres urgences, d’étouffer les aspirations égalitaires, communistes, de ceux d’«en bas». Serait alors en cause dans la terreur qu’exercent ces institutions non le «communisme», réduit ici à sa valeur purement nominale et mystificatrice, mais l’État politique moderne, «qui laisse subsister les piliers de la maison» (Marx) – ces rapports de domination et de servitude dont il est le plus sûr garant.

Aucun doute! A l’heure où la mort des idéologies est au programme de toutes les écoles historiques, la Grande Révolution fait l’objet d’un retraitement idéologique pour l’épurer de ses scories rebelles. Finie la franche «lutte au couteau» dont parlait Daniel Guérin dans un de ses derniers textes sur ce sujet qui lui tenait tant à cœur[5]. On assiste à des variations aussi infimes qu’infinies sur un même thème: la révolution des droits de l’homme – «une modification des moyens par lesquels les plus forts et les plus rusés se sont originairement arrogés des prétentions au préjudice des plus faibles et des plus crédules[6]». Cette critique de François Boissel, émise à chaud, au cœur de la tourmente, risque de passer aujourd’hui pour la preuve d’une incurable cécité. Par chance, l’étude de Guérin sur La lutte des classes sous la Première République est là pour convaincre le lecteur qu’il s’agit au contraire d’un signe de rare clairvoyance. Le communiste révolutionnaire Boissel voyait loin, et il a su d’emblée discerner sous la paille des mots le grain des choses.

Avant même de devenir «théoricien de la classe prolétaire» et critique de la civilisation du capital, Marx s’était lancé, dans l’intervalle de mars à octobre 1843, dans de sérieuses études sur la Révolution française[7]. Toute son œuvre ultérieure se nourrit de ces premières lectures historiques, sa conception de la démocratie comme sa «critique de la politique» et de l’État notamment. La Convention devait être le thème central et le chaînon essentiel d’une exploration en profondeur de ce que l’on pourrait appeler la loi de causalité du processus révolutionnaire. Le politique n’est pas le geste instituant qui noue le lien social en référence à une idéologie suspendue aux lèvres du législateur; il est l’expression même du rapport d’intérêt particulier existant entre les membres d’une classe qui marque ainsi son hégémonie sur la société du sceau de l’intérêt général. Ce rapport définit la place et la fonction de l’État. C’est pour ne pas s’être écarté de cette vérité «matérialiste» toute simple que Daniel Guérin, en dépit d’un schématisme qui le pousse parfois à forcer le trait, a, l’un des premiers, mis à nu le ressort caché des conflits politiques qui ont déchiré la Convention. Son apport à l’historiographie de la Révolution française ne réside pas dans une recherche érudite, puisqu’il s’en tient aux sources imprimées, mais dans le travail de synthèse entrepris pour montrer que la conception matérialiste et critique du monde s’appliquait pleinement à cette période d’antagonismes sociaux exacerbés. Guérin a su tirer profit de l’expérience historique pour enrichir ce qui était resté chez Marx à l’état de remarques ou de réflexions éparses. Pour mieux resserrer son propos, il a porté l’essentiel de son effort d’éclaircissement sur les quatorze mois (du 31 mai 1793 au 21 juillet 1794), «étape suprême de la révolution», pendant lesquels les représentants politiques de la bourgeoisie révolutionnaire ont eu à faire face non seulement à la menace d’une restauration de l’Ancien Régime, mais surtout à l’intervention d’une avant-garde populaire, les enragés, puis l’aile gauche de l’hébertisme s’efforçant successivement de dépasser le cadre de la dictature jacobine et de défendre les revendications spécifiques d’un pré-prolétariat.

Aussi considère-t-il la Révolution française, du moins dans cette phase finale, sous un double aspect: à la fois révolution bourgeoise dans son aspect objectif et révolution permanente (encore embryonnaire) dans son mécanisme interne[8]. On assiste en effet pendant la courte période de domination jacobine à un processus de dissociation accéléré entre les aspirations des «bras nus» et la volonté des jacobins maintenant installés aux leviers de commande; les premiers cherchent à imposer, par le biais des organes de représentation directe, une série de mesures anticapitalistes; les seconds, farouches partisans du système de démocratie représentative, tentent, avec une ténacité sans faille, d’émasculer le mouvement populaire pour placer hors de sa portée les institutions nouvelles. On tiendrait là un exemple de cette «transcroissance de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne[9]» ou, selon les termes de Trotski, du processus unissant «la liquidation du Moyen Age à la révolution prolétarienne à travers une série de conflits sociaux croissants[10]». La clef de ce phénomène, c’est «la loi dite du développement combiné», autrement dit, cette constatation, susceptible d’interprétations multiples et contradictoires, qu’il existe dans toute société un «développement inégal des formes de propriété, des moyens de production». Marx et Engels avaient déjà observé semblable distorsion dans la Révolution française, certes, mais aussi dans la guerre des paysans allemands de 1525 (Mùnzer), dans la révolution anglaise de 1642 (les niveleurs). Mais c’est à Trotski que revint la tâche de donner aux aperçus des deux fondateurs une cohérence théorique et d’ériger ses conclusions en système d’explication valable pour tous les pays présentant cette particularité historique: l’imbrication dans un même cadre national d’éléments archaïques, précapitalistes et de secteurs capitalistes développés, capables d’impulser une dynamique de modernisation, avec toutes les implications sociales que cette «contradiction» comporte. Ainsi, au terme d’un processus de luttes de classes et de transformations sociales extrêmement rapide, la révolution russe, révolution bourgeoise en février 1917, a fini par céder le pas en octobre à une révolution prolétarienne. Tout au long de l’analyse, ce modèle a fourni à Guérin son cadre de référence et le sens de ses périodisations. Mais quelle valeur heuristique accorder à l’analogie qu’il établit entre les différentes phases de la Révolution française et de la Révolution russe et entre leurs acteurs politiques? L’équivalent en Russie du mouvement des enragés, ce n’est pas le parti bolchevique, minorité hyper-centralisée qui visait en premier lieu la prise du pouvoir d’État; on penserait plutôt aux Soviets et aux conseils d’usine, Trotski et le Parti représentant, comme on l’a maintes fois dit, le stade jacobin du processus de maturation révolutionnaire. N’ont-ils pas satisfait avant tout les aspirations fondamentales de l’énorme masse paysanne par un décret sur le partage des terres qui légalisait le fait accompli? Sur ce point, qui montre les bolcheviks réussissant là où les enragés et Babeuf auraient échoué, la démonstration de Guérin boite; et cette faiblesse apparaît d’autant plus préjudiciable à l’analyse que le mythe de Lénine fondateur de la dictature du prolétariat a servi à obscurcir la signification sociale d’Octobre exactement de la même manière que la légende de Robespierre et de la Terreur révolutionnaire a obscurci celle de la Révolution française. Qu’en 1793 comme en 1918, bras nus ou prolétaires aient fourni la puissance massive pour balayer les vestiges de l’ancienne société et aplanir le terrain sous les pas des nouveaux dirigeants ne fait que mettre en lumière une tendance commune aux deux mouvements: ils ont fourbi les armes que les dominants s’apprêtaient à retourner contre eux pour éliminer les éléments les plus avancés après avoir tiré profit de leur dynamisme. Victime de ce tête-à-queue historique, Anton Ciliga a vu plus clair ici que Guérin sur la nature du lien dialectique – au sens de rapport de négation et d’affirmation réciproque – qui unissait Lénine aux masses.

Ses remarques à ce sujet s’appliquent trait pour trait au portrait de Robespierre tel que Guérin l’a dessiné d’une pointe acérée: Janus bifrons, une face tournée, avec une légère grimace, vers la sans-culotterie pauvre courtisée aux moments de crise, l’autre vers la bourgeoisie révolutionnaire à l’heure où les encombrants alliés «anarchistes» ayant fini de jouer leur rôle étaient sommés de regagner leur place naturelle: les coulisses de l’histoire. Écoutons Ciliga apostropher son ancienne idole sur un air connu: et toi aussi Lénine! et parler à son propos de la «mystification du mythe postrévolutionnaire»: «N’aurais-tu été aussi grand qu’aussi longtemps que les masses et la révolution le furent? Et lorsque les forces des masses déclinèrent, ton esprit révolutionnaire n’en fît-il pas autant, déclinant même davantage encore? Serait-il possible que, pour conserver le pouvoir, tu aies trahi, toi aussi, les intérêts sociaux des masses? Et que ce soit ta décision de conserver le pouvoir qui nous ait séduits, nous, les naïfs? […] Mais dès l’instant où l’édifice ancien se fut écroulé et où Lénine prit le pouvoir, le divorce tragique commença entre lui et les masses. Imperceptible au début, il grandit, se développa et finalement devint fondamental[11]» – quand aux naïfs succédèrent les bureaucrates du Thermidor stalinien, exploitant cyniquement la réaction au profit des nouvelles couches privilégiées. Guérin se garde bien de faire intervenir la soif de pouvoir, explication trop courte dans le cas de Lénine, et qui ne rend pas davantage compte des volte-face de Robespierre. Il suit jusqu’au bout la logique de l’analyse «matérialiste» pour caractériser la politique de l’Incorruptible, petit-bourgeois spiritualiste, penchant toujours au bon moment du côté des possédants, mais attentif néanmoins à ne pas s’aliéner l’appui des sans-culottes. Comme la majorité des jacobins, c’est à son corps défendant qu’il fut entraîné sur la voie de la taxation, du maximum, de la lutte contre les accapareurs, avec, pour corollaire obligé, les mesures d’accompagnement terroristes sans lesquelles cette audacieuse tentative d’instaurer un contrôle de l’État sur certains secteurs de l’économie serait restée lettre morte. Les véritables initiateurs de cet anticapitalisme plébéien, ce sont les enragés, Jacques Roux, Leclerc et Varlet en tête, représentants d’une avant-garde populaire dont les jacobins captèrent le programme pour canaliser l’énergie des bras nus, asseoir sur des bases solides le gouvernement révolutionnaire et donner une impulsion décisive à la grande affaire de la bourgeoisie: la lutte à mort contre le concurrent anglais. Le mythe de Robespierre déchiré, les implications profondes de sa politique se dessinent nettement, et des événements comme la déchristianisation et ses retombées politiques, en apparence indépendants de cette lutte sociale acharnée, apparaissent bel et bien comme un épisode dérivé mais signifiant du conflit opposant bourgeois et bras nus.

Sur le fond d’une synthèse socio-politique qui excelle à mettre en perspective les facteurs décisifs de cette évolution, Guérin, prolongeant en cela le livre de Pierre Kropotkine sur La Grande Révolution, a mené à bien la première étude exhaustive des luttes sociales saisies sous l’angle de la spontanéité créatrice des masses populaires. Contrairement au reproche fondamental qui lui a été fait, il est loin de méconnaître le caractère hétérogène de ceux qu’il englobe dans la catégorie des bras nus, petits-bourgeois et artisans attachés à la propriété privée. Il distingue une pluralité de conflits, chaque fraction de la sans-culotterie défendant ses intérêts propres, alors que le prolétariat au sens moderne du terme ne constitue qu’une infime fraction des masses populaires et apparaît sous une forme embryonnaire, sans pouvoir peser de manière décisive dans les luttes en cours. Ainsi s’explique la relative facilité avec laquelle hébertistes et robespierristes, pour une fois réconciliés dans l’ombre de Marat, «eurent» les enragés après les avoir isolés de cette masse idéologiquement indécise et flottante. Il n’empêche! Une véritable conscience de classe s’est progressivement constituée, une fois accomplie la tâche commune à toutes les parties: la destruction de l’Ancien Régime. La vie chère n’est pas seule en cause. Très vite les plus défavorisés soupçonnèrent que les objectifs poursuivis par les jacobins ne menaient nullement à ce changement social radical qu’ils attendaient de leurs sacrifices. Cette sensibilité a trouvé ses porte-parole dans des agitateurs populaires qui défendent un ensemble de revendications à caractère politique. Ainsi s’approfondit le clivage de classes qui tend à donner une structure cohérente à la sans-culotterie[12].

Sur tous ces points, l’analyse de Daniel Guérin n’a guère reçu de démentis, sauf à considérer comme tels les jugements condescendants qui ont accueilli l’ouvrage à sa sortie[13]. La méthode, en revanche, mérite quelques remarques, indépendamment des écueils de l’analogie, déjà signalés. Une fois reconnue «la primauté de l’économie sur le politique», les déterminismes socio-historiques circonscrivent de manière rigoureuse et quasi mécanique la tâche des classes en présence et de leurs représentants politiques. Guérin ne se lasse pas de répéter que, dans la France de 1789, la conscience des bras nus ne pouvait aller bien au-delà d’un anticapitalisme élémentaire; les plus lucides étaient incapables de mettre à nu les mécanismes de la domination bourgeoise qu’ils combattaient par intuition. D’où le caractère terroriste des mesures préconisées. Il s’agit non de s’attaquer au droit de propriété, mais, tout au plus, de limiter les effets délétères de la richesse et d’égaliser les fortunes et les conditions autant que faire se peut. Mais, de ce point de vue, la politique de Robespierre n’était-elle pas le maximum de ce qui pouvait s’inscrire dans la réalité économique, sociale et culturelle de l’époque? Si toute solution radicale au conflit social était interdite, alors la position de l’Incorruptible apparaît singulièrement réaliste, fondée sur une appréciation lucide, «dialectique», des rapports de forces entre les principaux protagonistes, compte tenu des bornes à ne pas dépasser pour préserver l’essentiel des conquêtes de la révolution. L’analogie avec Lénine et les bolcheviks retrouverait alors sa fonction explicative. Ainsi, poussé jusqu’à ses limites, le schéma de la révolution permanente finit par se retourner contre la thèse défendue par l’auteur. Les facteurs d’arriération qui, dans la conception matérialiste de l’histoire, permettent d’expliquer l’échec des mouvements révolutionnaires en avance sur les conditions objectives servent ici à expliquer le contraire: le succès de ces minorités actives; puis derechef, ils rendent compte de l’avortement final, et nous voilà ramenés «en deçà» des objectifs possibles. Or, l’expérience la plus radicale de la Révolution française, celle qui nous conduit à l’orée du communisme, offre sur ce problème matière à réflexion. En pleine réaction thermidorienne, à l’heure où l’élan populaire est irrémédiablement brisé, où les petits-bourgeois révolutionnaires ont les jarrets coupés par la répression, la Conspiration pour l’égalité de Babeuf fait surgir pour la première fois le spectre qui va bientôt hanter l’Europe. Ici, les conditions objectives sont loin de répondre à la prise de conscience subjective et l’histoire s’offre un dernier détour imprévu avant d’emprunter une ligne descendante toujours plus brutale. Le Tribun du peuple fera preuve d’une lucidité désarmante en procédant à une réévaluation, en forme d’autocritique, de la place de Robespierre dans l’histoire de la Révolution. Il avait tôt compris que l’Incorruptible, perfectionnant «l’art de Machiavel», s’était multiplié «pour amener le peuple à ne plus tenir compte de ses droits de souveraineté, à croire qu’il était nécessaire au salut de la patrie qu’il s’en dépouillât pour un temps afin d’en jouir plus sûrement dans un autre[14]». S’il change maintenant de perspective, la raison en est simple: «L’hébertisme n’est qu’à Paris et dans une petite portion d’hommes… Le robespierrisme est dans toute la République.» D’où la condamnation sans appel: «Je n’entre pas dans l’examen si Hébert et Chaumette étaient innocents. Quand cela serait, je justifie encore Robespierre[15]». Terrible couperet que celui de la nécessité historique, et sa lame est toujours à double tranchant! Daniel Guérin n’a pas tort de noter que Babeuf plaidait ainsi contre sa propre cause, puisque son action s’inscrivait dans le droit fil de ces minorités que Robespierre avait éliminées dans l’intérêt général, réel ou supposé, de la Révolution. Mais il oublie de dire que Babeuf, désormais poussé par la logique de la situation, plaidait aussi pour lui-même, car il aspirait à prendre la place laissée vacante par la disparition de Robespierre, et à exercer à son tour une dictature révolutionnaire «transitoire», légitimée par ses seules intentions. Guérin n’apporte aucune réponse à une question qu’il est impossible aujourd’hui de trancher à la manière de Babeuf. En effet, la méthode matérialiste met entre parenthèses le problème de la finalité éthique de l’action révolutionnaire ainsi conçue. Elle nous éclaire quant au caractère des conditions objectives, mais reste muette, ou peu s’en faut, sur le rapport réel qu’elles entretiennent avec la subjectivité critique. Et voilà pourquoi Guérin, comme Babeuf en d’autres temps et sur d’autres bases, peut critiquer la démarche jacobine tout en se référant à des principes théoriques qui aident à la justifier.

Dans son effort pour opérer une «synthèse entre marxisme et anarchisme», et fonder un «marxisme libertaire», Guérin fait appel à la méthode d’investigation scientifique fécondée par l’intuition; on serait ainsi armé à la fois d’un instrument d’analyse sociologique et d’un guide pour l’action politique. Étude de la structure socio-économique et foi dans «l’instinct profond des larges masses», tels sont les deux axes de cette démarche, avec, pour aiguillon, une stratégie faite de «surprise», de «provocation», d’«audace» et l’intervention de «minorités agissantes plus instruites et plus conscientes […] dont la contribution est inévitable pour amener les arrière-gardes à la pleine maturité socialiste[16]». Réunir deux théories incomplètes ne donne pas nécessairement un ensemble cohérent et opératoire. L’aporie reste toujours la même: quels sont les critères qui mesurent la valeur d’une action révolutionnaire? Qui les définit et au nom de quoi? Si l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué, que devient dans ce cas la fonction pédagogique des minorités agissantes? La question attend toujours la réponse.

La révolution, nous dit-on, est terminée! Et, en effet, la révolution bourgeoise a libéré le potentiel créateur que contenait la charte des droits de l’homme et du citoyen. L’émancipation politique a parcouru le cycle dans sa totalité; elle est passée par toutes les formes de domination compatibles, à un moment donné, avec le mode de rapport immédiat entre les «maîtres des conditions de production et les producteurs directs», compte tenu du «niveau déterminé du développement du genre et du mode de travail et par suite de sa productivité sociale[17]». Il n’est pas jusqu’à l’esquisse d’économie dirigée et de socialisation «par le haut» qui n’ait trouvé son aboutissement sur le terrain des révolutions politiques du xxe siècle. L’État jacobin, l’État bourgeois total, se dresse, à l’aube de l’ère capitaliste, comme l’ancêtre, déjà bien armé, des régimes bonapartistes, puis «totalitaires». Tous les phénomènes de manipulation et d’instrumentalisation des masses, que l’on observe par la suite dans les régimes de partis, ont été décrits et démontés par Guérin, scrutateur attentif de cette grandiose scène parlementaire dominée par les héros de la Révolution. On peut ainsi tirer d’une lecture avertie de La lutte des classes sous la Première République maints éléments d’une sociologie critique des formes de l’État bourgeois – dont les moyens d’action s’opposent vite à ceux utilisés par les bras nus. Voilà pour la part proprement scientifique de cette œuvre. Et nous prendrons le contre-pied de l’opinion communément admise en ce domaine en affirmant que c’est ici qu’il faut chercher la raison pour laquelle ce livre n’est pas près de figurer au nombre des best-sellers sur la Révolution. Rien dans cette histoire des origines ne peut accréditer le «mensonge déconcertant» du siècle: révolution = terreur = goulag = communisme = marxisme. Tout en revanche nous montre que la bourgeoisie, en inventant l’État politique moderne garant du droit de propriété, «collective» ou privée, a d’emblée ajouté quelques solides maillons aux antiques chaînes de l’esclavage[18].

Il n’est évidemment pas difficile de dégager l’intention normative qui sous-tend une telle analyse. Les mécanismes de démocratie directe à l’œuvre dans la Révolution française représentent, aux yeux de l’auteur, la pierre de touche de tout mouvement de libération radical. Et cette forme de lutte porteuse d’une promesse d’émancipation humaine universelle, il la rapporte à l’existence et à la conscience d’une classe qui était encore à l’état d’«embryon»; c’est elle qui devait, en prenant sa stature adulte, faire sauter tout l’édifice hiérarchique mis en place par la bourgeoisie à la faveur de ces événements fondateurs. Après Octobre, plus de doute! Les bolcheviks sont bien les héritiers naturels des enragés et des babouvistes. Animés par une certaine idée du communisme, n’ont-ils pas, grâce à leur volontarisme audacieux, amené à maturation en Russie la conscience révolutionnaire d’un prolétariat enfin mûri par l’expérience historique et trouvant dans les «contradictions» d’un capitalisme en plein essor les conditions de sa libération? Guérin a su lui-même admettre que la question ne se posait pas forcément en ces termes et que la révolution d’Octobre, même si l’on s’en tient au «matérialisme historique», a soulevé plus de problèmes qu’elle n’a permis d’en résoudre. Revenons donc pour finir aux remarques de Marx sur la Révolution française, remarques que Daniel Guérin avait sans cesse à l’esprit quand, en faisant revivre avec passion les luttes du passé, il pensait obstinément aux combats à venir. «Des idées ne peuvent jamais mener au-delà d’un ancien ordre du monde, dit Marx; elles peuvent seulement mener au-delà des idées de l’ancien ordre du monde. Des idées ne peuvent absolument rien réaliser. Pour réaliser les idées, il faut les hommes qui mettent en jeu une force pratique […] Le mouvement révolutionnaire, qui prit naissance en 1789 au Cercle social, qui, en cours de route, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber temporairement avec la conspiration de Babeuf, avait fait éclore l’idée communiste que Buonarroti, l’ami de Babeuf, réintroduisit en France après la Révolution de 1830. Cette idée, élaborée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel ordre du monde [19].»

Marx a cru qu’il pouvait désigner avec certitude les «hommes» qui mettraient en branle cette force pratique capable de les porter au-delà de l’ancien ordre du monde. Dans les révolutions bourgeoises, une minorité prétendait bouleverser la société dans l’intérêt de l’immense majorité et ne réussissait, finalement, qu’à se fondre dans l’ancienne classe dirigeante ou à se hisser à son tour vers les sommets. Le Manifeste communiste voit s’ouvrir des perspectives moins sombres: le «mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité». À la limite, tout organe de médiation devient superflu, ce qui ne va pas sans poser problème. Que les solutions proposées par Guérin pour sortir du dilemme: spontanéité-volontarisme, objectivité-subjectivité, soient, elles aussi, source de questions, voilà qui ne saurait surprendre. L’essentiel est qu’elles aient néanmoins enrichi l’idée du nouvel ordre du monde en nous montrant sur quelles bases s’était élevé l’ordre actuel du monde qu’il voulait jeter bas.

Janover Louis, « Daniel Guérin, le trouble-fête », L’Homme et la société, n° 94, 1989. «Dissonances dans la Révolution», pp. 83-93.

[1] Élisabeth Guibert-Sledziewski. «Haïr la Révolution», Enjeu, n° 11, 1984.

[2] Pierre Manent, «Le totalitarisme et le problème de la représentation politique», Commentaire, n° 26, été 1984, p. 213.

[3] Gracchus Babeuf, «Quoi faire», Le Tribun du peuple, n° 36, 20 Frimaire an IV (10 décembre 1795), in Le Tribun du peuple par Gracchus Babeuf, textes choisis et présentés par Armand Saïtta, Paris, UGE, «10/18», 1969, p. 220.

[4] François Furet, «La Gauche doit rompre avec la terreur», interview dans Libération, 17 janvier 1983. Comme le souligne Élisabeth Guibert-Sledziewski, cet historien s’est érigé en juge suprême des écrits sur la Révolution française bien qu’il n’ait «signé aucun des travaux approfondis ayant fait progresser de façon notable la connaissance contemporaine en matière d’histoire révolutionnaire» (op. cit.).

[5] Daniel Guérin, Introduction à la brochure de Maurice Dommanget, Les Enragés dans la Révolution française (1948), Paris, Spartacus, 1987.

[6] Lettre de François Boissel du 3 septembre 1789, citée in A. Ioannissian, Les Idées communistes pendant la Révolution française. Éditions du Progrès, Moscou, 1984, p. 331.

[7] Maximilien Rubel, «Marx penseur de la Révolution française», Études de marxologie, n° 27, 1989. Voir également de François Furet, Marx et la Révolution française (suivi de textes de Karl Marx réunis, présentés et traduits par Lucien Calvié), Paris, Flammarion, «Nouvelle Bibliothèque scientifique», 1986; confondant la thèse normative et l’argument scientifique, l’auteur prétend prendre Marx en flagrant délit d’anachronisme et de téléologie; voir notre critique, «Liberté, Égalité, Propriété et Bentham», in Études de marxologie, n° 27, 1989.

[8] Sur la place de la théorie de la révolution permanente et de la loi du développement combiné dans l’œuvre de Guérin, voir l’Introduction de La lutte des classes sous la Première République (Bourgeois et «Bras nus», 1793-1797), 2 t., Paris, Gallimard, 1946 (nouvelle édition revue et augmentée, 1968). Voir également La Révolution française et nous, Bruxelles, La Taupe, 1969.

[9] Lénine, cité par Guérin in La Révolution française et nous, op. cit., p. 21.

[10] Trotski, cité par Guérin in La Révolution française et nous, op. cit., p. 21.

[11] Anton Ciliga, Lénine et la révolution (1946), Paris, Spartacus, 1978, pp. 12, 13.

[12] Sans oublier l’influence sur le mouvement social de la paysannerie pauvre qui «avait sur la position de la propriété une position plus hardie que la sans-culotterie urbaine» et formait «un prolétariat rural aux aspirations propres» (Guérin, La lutte des classes…, t. I, op. cit., p. 82). Le livre pionnier de Pierre Kropotkine, La Grande Révolution (1909), Paris, Stock, 1976, est riche en aperçus dans ce domaine.

[13] Voir l’ouvrage de synthèse d’Olivier Bétourné et d’Aglaia I. Hartig, Penser l’histoire de la Révolution. Deux siècles de passion française, Paris, La Découverte, 1989, pp. 112-114. Sur l’histoire conçue désormais comme «structure immobile», on lira l’essai stimulant de François Dosse, L’Histoire en miettes (Des «Annales» à la «nouvelle histoire»), Paris, Découverte, 1987, et notamment le chapitre «La Révolution française est terminée», pp. 235-259.

[14] Journal de la liberté de la presse, n° 2, 5 septembre 1794, cité in Guérin, La lutte des classes…, t. II, op. cit., p. 353.

[15] Lettre de Babeuf à Bodson, citée in Guérin, lui lutte des classes…, op. cit., pp. 353, 352.

[16] Daniel Guérin, Pour un marxisme libertaire, Paris, Laffont, «Libertés», 1969, p. 288.

[17] Karl Marx, Le Capital III, Œuvres II, Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1968, p. 1400; trad. modifiée.

[18] Il s’agit moins dans cette conspiration du silence de Guérin penseur de la révolution que de Guérin penseur de la contre-révolution et de la réaction. Voir les remarques critiques de Denis Berger, «La révolution plurielle (Pour Daniel Guérin)», in Permanence de la Révolution. Pour un autre Bicentenaire, Paris, La Brèche, 1989.

[19] Karl Marx, La Sainte Famille, Œuvres III, Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1982, p. 558.

 

Récemment publié aux Éditions Klincksieck

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“Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante. Le cas marseillais” ~ par Jacques Guilhaumou

27 dimanche Oct 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Faites comme chez vous !»

≈ Commentaires fermés sur “Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante. Le cas marseillais” ~ par Jacques Guilhaumou

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Démocratie directe, Féminisme, Jacques Guilhaumou, Marseille, Souveraineté populaire

L’étude des manières de s’assembler pour délibérer des affaires communes pendant la Révolution française est généralement rapportée à une émergence fondatrice, certes radicale, l’avènement d’un espace législatif inédit avec la formation de l’Assemblée nationale en juin 1789. A partir de cet événement majeur, dont nous avons décrit par ailleurs les caractéristiques discursives (Guilhaumou, 1998a), s’instaure un ensemble de pratiques délibératives propres à la centralité législative (Brasart 1988), mais progressivement étendues, par le biais du club des Jacobins (Jaume, 1989), au réseau des sociétés populaires.

Même si l’anachronisme de notre sensibilité contemporaine, et plus particulièrement «l’émotion en partage» (Wahnich, 2000), peut justifier une attention marquée pour le dispositif interlocutif de l’Assemblée nationale, le «partage des langues» pendant la Révolution française, dont la complexité suscite des pratiques colingues démocratiques (Guilhaumou, 1989; Balibar, 1993), n’est pas calqué sur le partage du pouvoir politique dans l’espace de la « centralité législative ». Il n’est donc pas possible de limiter l’espace délibératif à l’espace tribunitien de l’Assemblée nationale et du club des Jacobins dont il suffirait de décrire les règles de fonctionnement et son insertion interlocutive dans le nouvel espace public pour comprendre l’impact du mécanisme démocratique dans son ensemble, y compris dans sa dimension foncièrement représentative. Bref, il ne nous semble guère possible de s’en tenir à la description des pratiques langagières du discours d’assemblée si l’on veut appréhender la dimension foncièrement démocratique des nouveaux espaces délibératifs.

I- Critères méthodologiques.

Durant deux mois, de mars à mai 1789, l’assemblée des trois ordres de Marseille se déclare permanente et entre en dissidence vis-à-vis des représentants de l’exécutif royal, en appui sur la garde citoyenne (Cubells, 1989). C’était déjà une façon d’instaurer une scène délibérative locale autonome avant même l’avènement de l’Assemblée nationale à Paris. Le « principe de droit naturel », qui assujettit le mandataire à son commettant et laisse toujours à ce dernier la possibilité de délibérer sur ce que doit faire son mandataire, est ainsi au fondement de la souveraineté nationale. C’est pourquoi nous devons être très attentif à la multiplication, tant en Province qu’à Paris, de centres d’opinion et de délibération distincts de la scène parisienne de la centralité législative.

En effet, nous y trouvons une pratique au quotidien de la souveraineté qui se légitime dans l’acte de faire parler la loi, distinct de l’énoncé de la loi réservé au législateur. Dans la perspective tracée par l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, cet acte langagier procède d’un droit subjectif, de la capacité juridique de tout citoyen de faire la loi au nom de la raison constituante («le principe de toute liberté est de pouvoir faire la loi», écrit le républicain François Robert en 1790), c’est-à-dire sous l’égide de la souveraineté du peuple. Il s’appuie d’abord sur la proposition de droit définissant la liberté de chacun par la possibilité de la liberté de l’autre, puis sur la prononciation de droit, ouvrant la possibilité de voter, déléguer, nommer et sanctionner au sein d’un processus délibératif. Mais il n’est pas vraiment complet sans la prise en compte de la réciprocité du droit qui permet de mettre l’accent sur les droits attachés à la personne, en particulier le droit à l’existence.

Dès 1791, nous pouvons alors parler d’un espace public de réciprocité appréhendé sur la base des actions réflexives des patriotes et manifesté à l’aide d’une norme politico-morale acceptable par tous, donc faisant sens commun. Cet espace public de réciprocité, si spécifique du républicanisme de droit naturel (Gauthier, 1992), s’actualise d’un événement révolutionnaire à l’autre. Il se précise donc, au sein du réseau des assemblées révolutionnaires, à partir de procédures nombreuses et variées de formation de l’opinion et de la volonté outrepassant les pratiques délibératives mises en oeuvre dans le seul espace de la centralité législative. C’est pourquoi le laboratoire Révolution française demeure toujours ouvert à la réflexion contemporaine sur la politique délibérative appréhendée du point de vue du «concept procédurale de démocratie» (Habermas, 1997).

1- La mise en acte de l’argument de souveraineté du peuple.

Certes il ne s’agit pas de se cantonner à l’étude des manifestations exemplaires de la «démocratie pure», même si elles revêtent, nous le verrons dans la seconde partie, une importance capitale. Mais de la représentation classique d’Assemblée au simple mandat électoral en passant par diverses modalités de délégation dans le vaste réseau des appareils démocratiques, il reste beaucoup à dire sur les pratiques délibératives hors de l’enceinte de l’Assemblée nationale et du maillage des sociétés affiliées au club des Jacobins. L’espace interlocutif instauré dans l’échange, via les adresses, entre les députés et les citoyens pétitionnaires est certes un élément important de l’espace public de réciprocité mais n’en demeure pas moins en partie décalé, à cause d’un effet de hiérarchisation, par rapport au champ des expérimentations délibératives.

Répétons-le, le principe de l’unité et de l’indivisibilité de la souveraineté ne s’incarne pas exclusivement dans une Assemblée nationale représentative élue, mais concerne d’abord tout citoyen détenteur du pouvoir législatif «empirique», c’est-à-dire d’une «faculté de dire le droit», du pouvoir de faire (dire) la loi. Ainsi les pratiques délibératives doivent être aussi rapportées à l’acte de faire parler la loi, au jugement de tout citoyen présent activement dans un espace délibératif, ou plus simplement qui contribue par sa position de spectateur à la contextualisation de cet acte de langage.

Le problème posé ici est une question de méthode à part entière. L’analyse interne des pratiques délibératives, et des leurs règles, au sein de l’Assemblée nationale et du club des jacobins est certes justifiée, mais risque de faire l’impasse sur une bonne part du contexte historique et discursif. Par ce propos, nous ne souhaitons pas soit revenir à la théorie des circonstances, sans grand intérêt dans le propos qui nous rassemble, soit rappeler l’état des choses. Mais il nous importe avant tout de prendre au sérieux un argument, la souveraineté du peuple, d’en décrire les contextes d’émergence et surtout de replacer les pratiques délibératives disséminées dans ce contexte, de manière à les étudier au sein d’un continuum argumentatif où elles contribuent à la multiplication d’événements d’assemblée inédits.

D’un point de vue d’histoire des concepts (Guilhaumou, 2000), et plus précisément dans la lignée des récents travaux de Quentin Skinner, en particulier sur Hobbes (1996), nous voulons décrire une chaîne argumentative que l’acte délibératif met en mouvement, considérant ainsi le contexte non pas dans sa dimension extrinsèque, mais dans sa réactivation « interne » par un acte de langage à visée délibérative. Il s’agit donc de s’intéresser à la mise en acte d’un contexte dans le mouvement même d’un argument, la souveraineté du peuple, à la fois principe actif et raison pratique de la dimension délibérative du politique.

L’étude des pratiques délibératives, sous l’argument de souveraineté du peuple, dans le vaste espace public de réciprocité instauré par le mouvement révolutionnaire, nécessite également un champ d’investigation archivistique qui outrepasse non seulement le corpus des Archives parlementaires, adresses comprises, mais aussi le corpus des débats du club des Jacobins et de ses sociétés affiliées. Il nous faut étendre notre investigation aux procès-verbaux des municipalités, des sections, des comités de surveillance et autres assemblées délibératives et plus encore à l’ensemble des archives, y compris administratives, judiciaires et «médiatiques» (la presse, l’image, les chansons, etc.) qui participent du contexte même de ces expériences délibératives multiples. Vaste chantier archivistique dont nous ne retenons, dans notre propos actuel, que des éléments particulièrement significatifs.

Dans cette perspective, nous sommes également obligé de prendre en compte la Province, ou plus exactement le rapport entre Paris et la Province souvent revendiqué sur un mode égalitaire par les acteurs du mouvement révolutionnaire, mais trop rapidement rapporté, dans les représentations des législateurs et des jacobins, au fédéralisme. Enfin d’autres villes que Paris ont des traditions civiques très anciennes, parfois même fondatrices comme dans le cas de Marseille.

Aborder la diversité des pratiques délibératives dans le cas marseillais suppose donc toute une série de considérations contextuelles, toujours saisies dans le mouvement de mise en acte de l’argument de souveraineté du peuple.

C’est ainsi que nous convenons de présenter d’abord rapidement les caractéristiques majeures de la tradition civique marseillaise telles qu’elles se dégagent dans un travail commun avec un sociologue (Donzel, Guilhaumou, 2000) et s’étendent donc à l’ensemble de la période moderne et contemporaine. Déjà, nous y abordons de façon dynamique les conditions d’émergence et la diffusion de l’argument de souveraineté du peuple dans une période particulièrement riche en expériences délibératives, les années 1792-1793, mais souvent qualifiées de fédéralistes par le pouvoir central (Guilhaumou, 1992). Cependant nous nous arrêtons plus longuement dans la seconde partie sur le fonctionnement de la démocratie sectionnaire en 1793 (Guilhaumou, 1991), peu connue à cause de l’étiquette infamante de fédéraliste qui lui a été attachée par les historiens jusqu’à une date récente, mais tout à fait exemplaire de la diffusion de la parole publique, y compris sur l’axe masculin/féminin, dans un espace délibératif élargi.

2- La tradition civique marseillaise.

À Marseille, «l’expérience de la Cité» (Donzel, 1998) nous renvoie à une tradition civique attestée dès l’Antiquité. Marseille se définit très tôt comme une ville républicaine, créant ainsi, sur le modèle de la Cité grecque, un espace civique inscrit à l’horizon du droit, ce que nous appelons un espace public de réciprocité en référence aux caractéristiques majeures de cette tradition propre.

La Révolution française favorise tout particulièrement le développement d’un tel esprit civique. Son fondement doctrinal, le républicanisme de droit naturel, y trouve une réalisation exemplaire. En affirmant que la Constitution est tout entière dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les républicains marseillais, à l’égal du jugement des autres citoyens français, rappellent que la liberté en société, propriété essentielle de l’être humain, n’est autre que le droit naturel en société, et équivaut donc à la base de la constitution du peuple en société politique. Qui plus est, la réciprocité de la liberté et de la citoyenneté désigne l’égalité elle-même. L’actualisation du droit dans la relation à l’autre, par le fait de l’altérité, est donc ici essentielle pour atteindre la dimension universelle de toute expression particulière du droit.

La première des caractéristiques de la tradition civique marseillaise consiste alors dans l’exercice de la souveraineté populaire pendant la Révolution française au sein du réseau délibérant de la Municipalité, des sections et des sociétés populaires par l’expérimentation permanente d’une décision politique fondée sur l’égalité citoyenne. Nous sommes bien confrontés à «une Cité libre» où le sujet de droit s’actualise à distance de  la «centralité législative» tout en exerçant pleinement son jugement civique. Les acteurs émergents du mouvement républicain s’autolégitiment dans une telle souveraineté en acte, des «missionnaires patriotes» jacobins qui sillonnent les routes de Provence pour rendre effective l’existence d’un espace public fondé sur des bases constitutionnelles aux notables jacobins présents sur les tribunes des assemblées de la Cité.

Une telle dynamique de la citoyenneté n’est pas dissociable de sa finalité pratique, c’est-à-dire de la mise en œuvre effective du droit de cité dans une certaine manière d’habiter une Cité libre. Là l’historien laisse la place, un temps, au sociologue (Donzel, 1998) plus apte à décrire l’intervention directe des habitants dans la production et la gestion de leur cadre de vie, transformé en lieu de citoyenneté, jusqu’à l’époque actuelle. Ainsi la formation d’un espace public de réciprocité pendant la Révolution française marque l’accélération d’une autonomisation croissante de l’expression collective des habitants sur leur lieu de vie. Les sections périphériques pendant la Révolution française, et de nos jours les cités marseillaises, peuvent alors apparaître comme des lieux centraux dans l’expression de la citoyenneté, en particulier par le fait de l’action des citoyennes. La perception des modes d’habiter la cité par les acteurs eux-mêmes, à l’encontre de leur représentation négative dans le discours excluant de l’autre, constitue donc, dans sa dimension de projet civique, la seconde caractéristique de la tradition civique marseillaise.

En troisième lieu, nous mettons l’accent sur la capacité des citoyens marseillais à intégrer l’altérité, y compris dans les manifestations les plus extrêmes de l’exclusion. Une telle centralité paradoxale des «sans-parts» (Rancière, 1995) dans la dynamique sociale nourrit une aptitude spécifique à produire du lien social, à rendre compte d’une dynamique de l’Humain porteuse d’émancipation citoyenne. La force exemplaire du vivre ensemble explique ainsi l’accès, certes momentané, des femmes dans la citoyenneté active, en particulier dans les sections: elles arrivent ainsi à rendre compte de leur agir civique alors que leurs droits politiques ne sont pas reconnus dans l’espace de la centralité législative. Nous reviendrons sur ce point décisif de l’action des citoyennes en matière de souveraineté active.

Pour autant, du mode d’habiter au «vivre ensemble», il ne s’agit pas d’un repli sur soi, bien au contraire. La tradition civique marseillaise concerne une manière de situer son civisme aussi bien à l’intérieur de la Cité qu’à son extérieur. De la Révolution française aux années 1990, des «marches civiques» des «missionnaires patriotes» en 1792 aux marches contemporaines contre l’exclusion et le chômage (Guilhaumou, 1998b), les exemples sont nombreux d’une véritable stratégie d’essaimage d’un modèle de citoyenneté adéquat à l’expérience démocratique de la Cité. Ces pratiques extensives des manières de s’assembler se retrouvent encore dans la quotidienneté actuelle des jeunes venant des Cités en centre ville, voire dans l’importance du théâtre de rue où les acteurs «jouent en ambulatoire». Ainsi les spectateurs eux-mêmes jouent un rôle essentiel dans les nouvelles pratiques de formation de l’opinion et de la volonté. C’est un point qui mériterait développement, dans la perspective ouverte par Hannah Arendt selon laquelle seul le spectateur achève le parcours délibératif, en lui donnant une dimension narrative par sa capacité à en témoigner, donc à en transmettre le sens (Kristeva, 1999). Concluons sur ce point qu’il convient de ne pas s’enfermer dans les débats des assemblées représentatives si l’on veut comprendre les manières délibérantes de s’assembler, voire de délibérer. Il importe aussi d’appréhender la manière propre des «missionnaires patriotes» de délibérer en marchant, si l’on peut dire.

Ainsi lorsqu’un groupe de «missionnaires patriotes» marseillais encerclent, au terme de leur «ambulance» dans les Basses-Alpes, la ville royaliste de Sisteron, le 16 mai 1792, avec l’aide de trois rassemblements d’environ 1500 hommes chacun, positionnés aux principales portes de la ville et qualifiés dans leur ensemble de «peuple armé de la Constitution», ils répondent aux autorités constituées de cette ville venues en délégation à leur rencontre pour exprimer leur inquiétude devant une telle «armée sans chefs et sans discipline» qu’«ils se faisaient forts d’être approuvés de ce qu’ils diraient et feraient». Ils témoignent ainsi de la capacité délibérative en marche d’une telle «expédition patriotique» contre les ennemis de la république naissante. Il s’agit bien alors d’instaurer, par le recours permanent à la délibération sur l’application des lois constitutionnelles, un nouvel ordre civique là où «les lois sont sans vigueur», en particulier la loi sur la patrie en danger, par la médiation citoyenne de l’acte de faire parler la loi (Guilhaumou, 1992).

En fin de compte, il ressort des trois premières caractéristiques de la tradition civique marseillais une aspiration au « bonheur de vivre ensemble », déjà présente chez Aristote au principe même de l’appartenance à la Cité: sa dynamique procède d’un dialectique souffrance/bonheur, d’une aptitude à éprouver des émotions et des sentiments au cœur même de la rationalité civique porté par le mouvement républicain. Le droit à la parole et le droit à agir y occupent une place centrale, au point de constituer les critères propres de la vérité et de l’authenticité humaines, à l’égal de la formule des «missionnaires patriotes», «Qui agit bien dit vrai». La part du conflit et de l’adversité est bien sûr très présente dans une telle quête d’émancipation dans la mesure où les citoyens s’assemblent et délibèrent pour obtenir la part du commun qui leur revient et leur est généralement déniée.

II- La « souveraineté active » du fédéralisme sectionnaire (1793).

Nous sommes maintenant à Avignon, sur les bords du Rhône, quelque temps après la chute de la royauté, le 10 août 1792. Ici s’impose, au sein de l’assemblée électorale des Bouches-du-Rhône, l’expression de «souveraineté du peuple». Ainsi peut-on entendre dans la bouche de Barbaroux:

Le président donnant son avis avec l’agrément de l’assemblée sur le gouvernement représentatif et républicain fait sentir que le mot de République ne dit pas assez pour la garantie de la liberté, puisqu’il y a eu des républiques despotiques, telle que celle de Rome avec ses dictateurs; qu’il y en a eu d’aristocratiques, telles que celles de Venise et de Gênes. Il expose qu’il nous faut un gouvernement républicain; mais adapté à notre état moral et physique qui laisse au peuple sa souveraineté en toute chose […] Il faut que tout se rapporte au peuple, comme tout vient du peuple; il faut que sa souveraineté reste sans cesse active, soit qu’il nomme des législateurs et un pouvoir exécutif temporaire, soit qu’il sanctionne les décrets et juge la conduite des autres.

Laissons de côté la manière dont Barbaroux définit la «souveraineté active» en conformité à une position «minimaliste». Ce girondin restreint en effet les formes d’expression populaire au seul usage par chaque citoyen du droit de voter, déléguer, nommer et sanctionner; il se refuse donc à les étendre aux manifestations diversifiées de «la langue du peuple» au sein des événements révolutionnaires, là où le principe de souveraineté du peuple n’est pas appréhendé dans ses seules applications légales, mais relève aussi de l’ensemble des manifestations de l’identité du peuple souverain (Guilhaumou, 1998a, 163)

Constatons simplement l’enclenchement d’une série d’intrigues, sous l’argument de «souveraineté du peuple», destinées à occuper la scène politique provençale pendant près de deux années. C’est donc bien à partir de la catégorie contextuelle de souveraineté du peuple, de sa mise en acte au sein même d’une dissémination délibérative que s’organise notre analyse des pratiques d’assemblée. Il s’agit ici d’une catégorie procédurale. Nullement prisonnière de sa résonance abstraite, la catégorie référentielle de «souveraineté du peuple» se déploie au sein de configurations discursives significatives de l’actualisation du droit naturel déclaré universel et intersubjectif. Nous sommes ainsi confronté, dans les espaces d’assemblée, à une raison politique à la fois procédurale, dans la mesure où la vérité d’un énoncé, son intelligibilité, procède de l’énonciation de son agir, et régulatrice, là où elle élabore un «sens commun» de la politique au sein même d’un espace public de réciprocité. Une telle raison démocratique s’appréhende à la fois dans sa diversité (l’intelligibilité propre de chaque série d’événements) et son unité  (l’élaboration d’un lieu commun de la politique).

Cependant nous ne pouvons décrire ici l’ensemble d’un champ d’expérience (Guilhaumou, 1994) où l’événement demeure premier, y compris dans le fonctionnement des assemblées représentatives. Nous préférons donc nous en tenir, dans un propos désormais plus proche des énoncés attestés d’archive, au cas du fédéralisme sectionnaire, et plus particulièrement à sa période d’apogée au printemps 1793, d’autant plus que nous avons conservé une grande part des procès-verbaux des assemblées sectionnaires pour cette période mouvementée de l’histoire de Marseille, qualifiée usuellement de fédéraliste.

1- La « souveraineté délibérante » des sections marseillaises.

Au nom de «ce grand principe que le peuple est souverain», les patriotes de Marseille affirment que «tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires, ou les sections en permanence». S’opposant à «tout pouvoir quelconque attentatoire à la souveraineté», en l’occurrence la Société populaire et la Municipalité, le mouvement sectionnaire prend le pouvoir vers la mi-mai 1793. Son dessein est de consacrer les principes de la souveraineté populaire par l’acte de «mettre en exercice les droits de souveraineté du peuple».

Cet acte procède tout autant d’une réalité empirique («Tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires, ou des sections en permanence») que d’un principe naturel («La souveraineté naturelle et imprescriptible n’est due qu’au peuple»). C’est pourquoi l’accent est mis, au titre de la nécessaire «extension de la souveraineté», sur « ’exercice de la faculté de citoyen» par le droit de voter. «Tout individu dans une République étant membre du souverain doit participer à l’exercice de sa souveraineté qui consiste pour l’individu dans le droit de voter dans les assemblées primaires» précise un membre de la section 10, dont nous verrons bientôt le rôle de porte-parole au sein des sections marseillaises.

Ainsi, l’insurrection contre les Montagnards, accusée de vouloir détruire «l’unité de la Convention» suscite le recours permanent à «la souveraineté délibérante des sections» qui doit permettre de «donner à la souveraineté du peuple toute l’extension et la latitude dont elle est susceptible». «Le «droit de résistance à l’oppression» justifie que le peuple se ressaisisse de «l’exercice de la souveraineté» par le fait que tout individu use concrètement du droit de voter au sein des assemblées sectionnaires primaires.

Étant désormais acquis qu’«il faut que la souveraineté reste sans cesse active», et donc qu’«il faut laisser au peuple sa souveraineté en toutes choses», les commissaires des sections de Marseille parcourent la Provence «pour y faire exercer le droit de souveraineté du peuple dans les sections permanentes»; ils remontent en quelque sorte les chemins empruntés par «les missionnaires patriotes» jacobins de 1792, tout en les présentant comme des terroristes. Il s’agit alors de susciter «l’exercice en masse de la souveraineté locale» à l’encontre du mouvement jugé nocif que les sociétés populaires, sociétés dites particulières, ont antérieurement suscité. Ainsi des simples propos de sections aux organes sectionnaires de propagande, «on parle de la souveraineté du peuple et ses droits» sans cesse. S’il est donc toujours affirmé que «personne ne peut ravir au peuple sa souveraineté», de quelle souveraineté s’agit-il plus précisément?

À l’inquiétude de la section 12 qui considère que «les sections de Marseille ne sont point en insurrection pour faire la contre-révolution», mais «font usage de la souveraineté pour consolider la république une et indivisible» répond l’explication par la section 24 du sens de l’expression «sections souveraines», à l’encontre de son assimilation au fédéralisme par les Montagnards:

Considérant que les Sections de Marseille ne se disent point SOUVERAINES dans le sens que voudraient le faire entendre les Duumvirs, auteurs de l’Arrêté; que les sections sont trop instruites du principe de la souveraineté nationale et trop déterminées à le respecter, pour ne pas se tenir en garde contre toute atteinte qui pourrait y être portée; que quoique la souveraineté n’admette point de fractions dans le sens absolu, il est cependant une souveraineté relative dont un citoyen ou une portion de citoyens peut revendiquer l’exercice, toutes les fois que les droits qui lui ont été transmis et cédés par le pacte social sont violés à son égard: faculté qui lui est accordé par la Loi sous le nom de droit de résistance à l’oppression; que c’est purement de cette souveraineté relative, et pour ainsi dire de localité, que les sections de Marseille ont réclamé l’exercice; que cet exercice, bien loin de tendre au fédéralisme, c’est-à-dire à la division de la République, ne tend au contraire qu’à consolider son unité et son indivisibilité.

Ainsi se précise l’argumentaire qui préside au mécanisme démocratique mis en place par les citoyens des sections que nous allons décrire, L’acte de souveraineté est bien investi dans une pratique immédiate de la démocratie. Certes nous pouvons parler ici d’une expérience de «démocratie pure», en position-limite par rapport à la théorie du gouvernement représentatif basé sur un pacte social. Mais, le caractère indéniablement progressiste, républicain du mouvement sectionnaire, sa valeur processuelle, induit une dynamique spécifique, un rapport privilégié à l’action, non totalement réductible à un modèle théorique attesté. En effet, une telle pratique de la « démocratie pure » est pensée dans un projet, intitulé Idées à développer et soumis aux citoyens de Marseille par la section 18.

Il y est question d’«un Gouvernement démocratique» où «le peuple souverain veut garder immuablement le droit et l’action de sa souveraineté», c’est-à-dire le droit à la parole et à l’action, donc refuse toute délégation à des Représentants qui s’arrogent des «pouvoirs illimités», dans le cas présent les Montagnards. Le système démocratique proposé a pour objectif de faire que «toutes les représentations ne soient qu’une», qu’il existe qu’«une seule hiérarchie de droit» dont le peuple «tient les deux bouts et fixe le mouvement sans crainte de scission». Un tel refus de la centralité législative ne se veut donc pas en contradiction avec le principe d’unité et d’indivisibilité de la République. S’il existe, dans chaque Cité, un point central «vers lequel elle réunira plusieurs citoyens détachés de chaque section», puis d’autres points centraux au niveau départemental pour aboutir à «une représentation nationale», la hiérarchie des délégués d’un point à l’autre de l’édifice politique demeure sous la dépendance régulatrice du principe du peuple souverain.

En fin de compte, l’objectif des républicains sectionnaires est de jouir de la souveraineté de droit naturel au sein même d’une pratique empirique de la démocratie tout à fait spécifique, donc qu’il convient maintenant de décrire dans ses rouages les plus intimes.

2- Le mécanisme démocratique.

«L’assemblée considérant que tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires»: c’est à ce titre que les assemblées sectionnaires de Marseille acceptent en leur sein la masse des citoyens, à la limite près que la présence des citoyennes dans les tribunes, voir dans la salle elle-même, fait l’objet de discussions contradictoires d’une section à l’autre. Toujours est-il que les sectionnaires refusent le contrôle par certificat de civisme («C’est contre les lois et la souveraineté du peuple»), antérieurement imposé par la société populaire qui, se réunissant en corps constitué, s’est mise ainsi, à leurs yeux, en situation «attentatoire à la souveraineté des assemblées primaires»

Tout individu de nationalité française peut exercer sans entrave sa «fonction de citoyen» dans la mesure où la concrétisation du principe de souveraineté lui a permis, dès 1789, de retrouver sa «faculté d’énoncer ses pensées». Cette volonté d’ouverture se traduit par une brusque augmentation du nombre de votants: de 400 le 12 avril dans la section 6, ils sont 950 le 26 avril, alors que la société populaire a perdu son rôle dominant dans cette section.

Considérant que «le temps de parler librement et sans crainte est arrivé», tout sectionnaire peut prononcer un discours («Un membre, après avoir obtenu la parole, a dit…»), et espérer sa traduction finale sous la forme d’une motion de la section assemblée («discours suivi de la délibération de nos frères qui ont converti en pétition le dit discours»). Après délibération, une telle motion devient, par adhésion des membres de la section, une pétition adressée aux sections sœurs. D’une section à l’autre, par la médiation de délégués, la pétition est de nouveau prononcée, délibérée et éventuellement adhérée jusqu’à son terme, c’est-à-dire au moment où il devient possible de la présenter aux autorités constituées, surtout la Municipalité, qui doivent faire «droit à la demande». De fait, les registres de délibérations des sections sont remplis de formule du type: «Il a été fait lecture d’une pétition de la section n°-», «Une députation de la section n°- est entrée et a remis sur le bureau une pétition dont la lecture a été faite», «Deux commissaires ont présenté le projet adhéré par la section n°-», «La section – nous a fait présenter, pour y adhérer, une délibération qu’elle a prise».

Compte tenu de la complexité du trajet délibératif, l’attention à la bonne marche du mécanisme démocratique est très forte: désormais «tout citoyen ne quitte plus sa carte de section». La quantité de lampes nécessaire pour «bien distinguer ceux qui prennent la parole» est même un objet de discussion! Certes l’essentiel des citoyens concernés sont des hommes, mais des citoyennes, parfois très jeunes, peuvent quitter les tribunes, prononcer des discours et manifester ainsi leur adhésion à des pétitions, en particulier dans la section 8 où un groupe de jeunes filles s’avère particulièrement actif. Jeunes et citoyennes, le fait est suffisamment important dans un monde de la politique révolutionnaire dominé par des individus masculins d’une quarantaine d’années pour qu’il soit souligné.

La lenteur d’un tel système n’échappe à personne, surtout pas aux sectionnaires. C’est pourquoi s’impose très vite l’établissement d’organismes exécutifs internes aux sections, les comités. S’instaure aussi un Comité Général Central des 32 sections marseillaises chargé des «parties d’exécution, de correspondance et de salut public» au point de prendre le risque d’enrayer un tel mécanisme démocratique, c’est-à-dire de «s’asservir à un ordre».

Cependant le mécanisme démocratique lui-même engendre la parade à un tel risque de bureaucratisation du mouvement sectionnaire. Tout vient de la section 10, proche de l’Hôtel de Ville, où se configure progressivement un lieu central de rassemblement des délégués de section, en toute indépendance du Comité Central, donc en toute souveraineté. Dès la fin avril 1793, la section 10 est présentée comme «le modèle à suivre» par les sections sœurs à cause de sa capacité à «concourir au bien général», à concrétiser l’union et la fraternité entre citoyens. À ce titre, là où elle se réunit, se tient, de façon quasi-journalière, des réunions de commissaires de section qui délibèrent sur la bonne marche des pétitions adhérées par la majorité des sections. Il s’agit en quelque sorte d’un comité précisant les modalités d’exécution des décisions unanimes, et renvoyant ainsi le Comité central au seul règlement des affaires courantes. L’extension de la souveraineté concerne donc tout aussi bien la délibération sur l’exécution des demandes que leur énonciation et leur adoption par le vote ouvrant «droit à la demande» des citoyens réunis.

À ce stade de notre analyse, précisons plusieurs points importants:

– L’activité unificatrice de la section 10 est complétée par l’activité de la section 4, fortement marquée par l’action de citoyennes, qui devient progressivement «l’interprète des sentiments» des sections sœurs. Dans la raison démocratique, l’union du coeur et de l’esprit est l’expression même de l’unité républicaine. Présentement, elle s’actualise aussi sur l’axe masculin/féminin.

– Au sein des modalités concrètes de cette expérience démocratique, le refus doctrinal de toute représentation permanente (les commissaires changent d’une délégation à l’autre) n’implique pas l’absence de processus énonciatif spécifique sous la modalité du porte-parole, incarné ici par une section particulière, la 10, qui énonce sans cesse sa capacité à traduire «l’impulsion spontanée» des citoyens délibérant dans leur section en «un assentiment général».

– La première réunion des commissaires prend acte du vote à l’unanimité des délégués de la permanence de la garde nationale. Ce n’est pas un hasard si la section 10 est la première à formuler cette demande auprès des autres sections: «La section 10 nous a présenté une pétition demandant à la municipalité de mettre la garde nationale en réquisition permanente, que tout citoyen a le droit d’opposer la résistance à l’oppression» (section 2). C’est donc bien sur la question des «citoyens en armes» en référence au droit de résistance à l’oppression que s’enclenche une telle manière de porter la parole en nom collectif.

Ainsi les sectionnaires puisent, par l’intermédiaire de la section 10, leur «énergie républicaine» dans un contexte d’union et de mobilisation toujours formulé dans l’argument du droit souverain. Un tel rapprochement, jusqu’à l’indistinction, entre les notions de droit et de souveraineté devrait nous faire réfléchir sur la manière souvent très abstraite dont les historiens abordent en général le principe de souveraineté nationale. Le trajet de la proclamation de l’intangibilité du principe de souveraineté à l’exercice effectif des droits de souveraineté est de bout en bout pris dans le même argumentaire. Rien de plus concret donc qu’une telle souveraineté en acte, sans pour autant qu’une telle constatation pratique nie la valeur principielle de la catégorie de souveraineté.

En développant des trois points évoqués ci-dessus le premier, nous pouvons préciser encore plus le caractère concret de la souveraineté avec le cas particulièrement important de l‘action des citoyennes. Nous nous tiendrons à des considérations locales, sans perdre de vue pour autant l’action des femmes pendant la Révolution française dans leur ensemble (Guilhaumou, Lapied, 1997).

3- Le rôle des citoyennes.

L’analyse quantitative du phénomène de la suspicion en l’An II met en évidence une présence notable de femmes dans les prisons marseillaises, la plupart soupçonnées d’appartenir à une famille d’obédience fédéraliste (Guilhaumou, 1996). Nous pouvons ainsi circonscrire un groupe de neuf femmes plutôt jeunes dont l’activité au sein de la section 4 est particulièrement visible pour l’une d’entre elles Thérèse Clappier (Guilhaumou, 1999).

Deux sœurs, Marie et Claire Odde, 25 et 28 ans, dont le père serrurier est aussi en prison, y côtoient Sabine et Fouquette Reboul, 21 et 27 ans dont le frère s’est engagé dans l’armée départementale levée contre les troupes de la Convention. Viennent ensuite Thérèse Mary, 30 ans, Julie Sorel, 17 ans, et la Catalane, 30 ans. Enfin, avec Sabine Maisse, 19 ans, nous approchons le noyau le plus actif: Sabine est la fille de Nicolas Maisse, guillotiné en tant que l’un des principaux dirigeants de la section 4, et l’amie de Thérèse Clappier, 16 ans.

Nous connaissons la famille Clappier grâce à sa correspondance envoyée au représentant du peuple Maignet dont nous avons conservé une partie. Cette famille est composée du père Joseph, parfumeur, de la mère Marie-Thérèse, gantière, et de leur fille Thérèse. Le père et la mère sont arrêtés une première fois en novembre 1793, puis relâchés. Mais la mère est de nouveau emprisonnée, au titre de son attitude à l’égard de sa fille, également mise en cause. En effet, devant le tribunal révolutionnaire, il lui est reprochée d’avoir «instruit sa jeune fille dans les principes des sections», de l’avoir conduite dans la section 4 et de l’avoir forcée «à soulever le peuple contre la Convention et les patriotes par un discours contre-révolutionnaire». Thérèse sa fille, également convoquée par le tribunal, se défend d’avoir prononcé ce discours («C’est le citoyen Maisse qui me l’avait fait pour me faire passer pour héroïne, je ne l’ai pas prononcé»), mettant ainsi en évidence ses liens avec la famille «très suspecte» des Maisse.

De fait, nous avons retrouvé et publié ce discours (Guilhaumou, 1992, 245-248) qui développe longuement la thèse de «l’influence du sexe féminin» dans ce moment décisif d’août 1793 de mobilisation contre l’armée des «usurpateurs» de la Convention. Il s’agit d’inciter les citoyens des sections à prendre les armes:

O vous citoyennes de cette section, joignez vous à moi et toutes ensemble disons à nos époux et à nos enfants, marchez, volez vous ranger sous les étendards de la liberté, emblème de la victoire, allez combattre […] Pourriez-vous encore délibérer, lorsqu’il vous faut combattre, y a-t-il parmi vous des âmes assez lâches pour nous livrer au fer des assassins […] Allez combattre, sans doute vous serez victorieux quand vous saurez que pour prix de votre triomphe, vous trouverez en rentrant dans vos foyers vos filles et vos femmes ne formant qu’un groupe sur l’autel de la Patrie.

Délibérer et combattre: l’un est-il dans la continuité de l’autre, ou l’un et l’autre s’opposent-ils? La délibération peut-elle se maintenir en combattant? Nous touchons là au problème de l’héroïsme en l’occurrence féminin qui manifeste la présence d’une communauté idéale des citoyens (Centlivres, Fabre, Zonabend, 1998). Mais ne manifeste-t-il pas pour autant les limites d’un espace délibératif qui ne peut prendre les armes, si l’on peut dire, sans se dissoudre et devenir le bras armé d’une autorité exécutive, en l’occurrence le Comité Central des sections? Nous sommes plutôt enclin à penser que l’action féminine introduit à une nouvelle extension de l’action politique au sein de l’espace public.

Nous sommes en effet confronté, avec le cas de Thérèse Clappier et de ses amies, au portrait d’un groupe de jeunes républicaines, formées à l’école de la souveraineté du peuple, et qui symbolisent, par leur présence active dans la section, la dimension héroïque de tout mouvement d’enthousiasme nourri par la mobilisation démocratique. Présentes dans les tribunes de la section, d’abord spectatrices des délibérations entre hommes, elles montent, au moment le plus crucial, à la tribune pour prononcer des discours énergiques, elles deviennent ainsi des protagonistes de l’action en étendant la rationalité délibérative à une part du sensible (Rancière, 1995) ouvrant largement l’espace politique par la sympathie d’aspiration qu’elles expriment à l’égard du mouvement sectionnaire.

En affirmant que «nous sommes citoyennes» parce que «nous sommes le souverain», les citoyennes révolutionnaires, en dépit de leur exclusion légale du vote et donc de l’espace législatif, investissent à leur façon l’espace public par leurs actions politiques en mettant tout particulièrement l’accent sur le mot d’ordre «Ce sont des armes qu’il nous faut». Peut-on dire que, dès les journées d’octobre 1789, elles délibèrent en marchant les armes à la main? Du moins nous sommes bien confronté à un investissement féminin de dimension universelle dans sa manière de manifester la part sensible d’une sympathie d’aspiration pour la Révolution, et d’exprimer de manière héroïque un sentiment d’humanité propice à la formation d’un nouveau lien social.

Conclusion.

Nous avons essayé de faire comprendre ce nous entendions par la nécessaire contextualisation des manières de s’assembler et de délibérer, de leur appréhension première comme événements avant tout engagement, certes légitime, dans des comparaisons historiques. Il ne s’agit vraiment pas de rappeler le sociologue, l’anthropologue ou le politiste à l’ordre irréductible de la réalité historique, de l’état des choses. Le contexte est pris ici tout autrement comme une réserve de sens, donc d’arguments. Ainsi l’argument de souveraineté s’investit dans le mécanisme délibératif en l’associant aussi bien à des émergences complexes de porte-parole qu’à des pratiques ambulatoires irréductibles à tout espace clos.

En d’autres termes, plus proches de notre sensibilité d’analyste de discours, nous pensons que les pratiques d’assemblée de la Révolution française ne se résument pas dans des pratiques représentatives, aussi bien au sens de la représentation politique que dans les termes d’une histoire des représentations très en vogue de nos jours. Il s’agit aussi de pratiques cognitives qui rendent compte des ressources et des connaissances de chaque citoyen devenu juge en matière d’activité législative et d’émancipation politique dans le nouvel espace public de réciprocité. Tout référent «politique» susceptible de permettre la reconnaissance et l’identification des manières de s’assembler et de délibérer n’a d’autre présupposé que lui-même. Il se déploie alors, en tant que type cognitif (Eco, 1999), et s’interprète dans un trajet, des procédures et une production de sens qui nous interdit de le dissocier, une fois posé sa valeur principielle, de l’exercice concret d’une politique délibérante.

Bref, à l’encontre de toute démarche constructiviste, nous pensons que la compréhension de l’historicité des pratiques d’assemblée nécessite leur appréhension première comme événements d’assemblée dans la concrétisation même des principes qui les fondent, présentement sous l’argument de souveraineté du peuple. Empiricité et historicité peuvent alors fonder une démarche comparative qui demeurera au plus près des ressources discursives attestées, et au plus loin des observations en surplomb. Il existe bien des idéaux-types de la politique démocratique, mais leur appréhension passe par une attention privilégiée au trajet de la langue empirique – dans laquelle ils se concrétisent comme événements – à la langue abstraite, métadiscours second certes, mais seul susceptible d’en faire des objets de comparaison.

Jacques Guilhaumou    

«Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante à Marseille», Qui veut prendre la parole? dir. M. Detienne, Paris, Seuil, Le Genre Humain, 2003, p. 329-349.

Références bibliographiques

Balibar Renée (1993), Le colinguisme, PUF.

Brasart Patrick (1988), Paroles de la Révolution. Les assemblées parlementaires (1789-1794), Minerve.

Centlivre Pierre, Fabre Daniel, Zonabend Françoise (1998), La fabrique des héros, Paris, Editions de la MSH.

Cubells Monique (1989), «Marseille à la veille de la Révolution», in Marseille en révolution, catalogue d’exposition, C. Badet et J. Guilhaumou commissaires, Marseille, Editions Rivages.

Donzel André (1998), Marseille. L’expérience de la cité, Anthropos.

Donzel André, Guilhaumou Jacques (2000), «Les acteurs du champ de l’exclusion à la lumière de la tradition civique marseillaise», Exclusions au cœur la Cité, Dominique Schnapper dir. , à paraître.

Eco Umberto (1999), Kant et l’ornithorynque, Grasset.

Gauthier Florence (1992), Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, PUF.

Guilhaumou Jacques (1989), La langue politique et la Révolution française, Pairs, Meridiens/Klincksieck.

Guilhaumou Jacques (1991), «Le fédéralisme sectionnaire à Marseille (avril-juin 1793); «“démocratie pure”» et communication politique», Provence Historique, fascicule 163.

Guilhaumou Jacques (1992), Marseille républicaine (1791-1793), Presses de Science Po.

Guilhaumou Jacques (1994), «Un argument en révolution, la souveraineté du peuple. L’expérimentation marseillaise», Annales Historiques de la Révolution française, N°298.

Guilhaumou Jacques (1996), «Conduites politiques des Marseillaises pendant la Révolution française», Provence Historique, fascicule 186.

Guilhaumou Jacques (1998a), L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Presses du Septentrion.

Guilhaumou Jacques (1998b), La parole des sans. Les mouvements actuels à l’épreuve de la Révolution française, ENSéditions.

Guilhaumou Jacques (1999), «Clappier Marie-Thérèse et Thérèse», Marseillaises. Vingt six siècles d’histoire, Aix, Edisud.

Guilhaumou Jacques (2000), «De l’histoire des concepts à l’histoire linguistique des usages conceptuels», Gènèses, 38, septembre.

Guilhaumou Jacques, Lapied Martine (1997), « L’action des femmes pendant la Révolution française», Encyclopédie historique et politique des femmes, C. Fauté éd., Paris, PUF.

Habermas Jürgen (1997), Droit et démocratie. Entre faits et normes, Gallimard.

Jaume Lucien (1989), Le discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard.

Kristeva Julia (1999), Le génie féminin. Hannah Arendt, Fayard.

Rancière Jacques (1995), La mésentente, Galilée.

Monnier Raymonde (1994), L’espace public démocratique, Paris, Kimé.

Skinner Quentin (1996), Reason and Rhetoric in the Philosophy of Hobbes, Cambridge University Press.

Wahnich Sophie (2000), «L’émotion en partage: l’éloquence de la souveraineté nationale», Actes du colloque sur Une expérience rhétorique: l’éloquence de la Révolution française, Voltaire foundations.

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“Gilet jaune, quelle est ton histoire? Ahou! Ahou! Ahou!*”

05 samedi Oct 2019

Posted by Claude Guillon in «Annonces»

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Assemblées primaires, Constitution de 1793, Convention nationale, Démocratie directe, Féminisme, Référendum, Serge Aberdam

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En écho à la revendication par les «Gilets jaunes» d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC): troisième  «Rendez-vous de Claude», au Lieu-Dit, 6 rue Sorbier, à Ménilmontant, le jeudi 24 octobre.

J’invite l’historien Serge Aberdam pour parler du «référendum» sur la constitution de 1793. Les assemblées primaires chargées d’y répondre et d’élire des «envoyés» qui iront à Paris débordent souvent le cadre prévu. Des femmes s’y imposent; on rédige des «vœux» qui sont de nouveaux cahiers de doléance. Une fois à Paris, les envoyés fraternisent avec les sans-culottes des sections et s’invitent sur les bancs des députés à la Convention.

_________________

Ahou! Ahou! Ahou!

* Ce cri de ralliement [qui répond, chez les Gilets jaunes, à la question, pareillement criée: «Gilet jaune, quel est ton métier?»] est inspiré par le film 300, un péplum hollywoodien sorti en 2007, relatant la bataille des Thermopyles, largement méprisé par la critique parisienne mais non par le public, qui aime l’héroïsme grandiloquent (le film a fait plus d’un million et demi d’entrées en salle en France). Dans une scène particulièrement appréciée, le roi de Sparte Léonidas demande à ses hoplites, promis au sacrifice pour sauver la Grèce de l’invasion perse, quel est leur métier, et ils répondent par une clameur formidable «Ahou! Ahou! Ahou!», qui signale leur belle ardeur à combattre (et a donné son titre au présent livre, qui n’est, en somme, qu’un écho du mouvement).

[Explication empruntée au livre publié par L’Insomniaque Ahou! Ahou! Ahou! Novembre 2018-Avril 2019: Les dos prennent la parole (et les échines se redressent), 63 p., nombreuses illustrations, 9 €.]

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“RÉCLAMATION DES DROITS DE L’HOME” [sic]… contre les distinctions par l’argent, formulée par des citoyens laborieux

01 mardi Oct 2019

Posted by Claude Guillon in «Documents»

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Démocratie directe, Droit de vote, Loi martiale, Lutte des classes, Robespierre, Sans-culottes

Ce texte à l’orthographe – et à la typographie – calamiteuses est la protestation d’un groupe de citoyens laborieux contre la loi qui les prive du droit de vote sous le prétexte qu’ils ne gagnent pas assez d’argent (et donc ne s’acquittent pas d’un impôt «suffisant»). Nous sommes à la fin de 1789.

Les rédacteurs, qui protestent également contre la loi martiale – et menacent implicitement de recourir à l’émeute si les distinctions fondées sur l’argent ne sont pas abolies – confondent la date du 22 octobre, où la loi martiale est promulguée avec ostentation, avec celle du décret sur le suffrage censitaire. À leur décharge, notons que le 22 octobre est aussi le premier jour de discussion, à l’Assemblée, sur les propositions de son comité de législation sur les conditions d’éligibilité. On voit que la confusion de date exprime l’association que font ces sans-culottes des deux questions: droit de manifester et droit de vote.

Publié en brochure (De l’Imprimerie de Couturier, 7 p.), dont on peut voir ci-après la photo de la couverture, le texte sera repris dans le Journal encyclopédique ou universel du 1er janvier 1790 (t. I, Partie I, pp. 97-101.)

Promulgation de la loi martiale dans les places publiques de Paris, le 22 octobre 1789.

Intervention de Robespierre à l’Assemblée, le 22 octobre.

Cliquez sur les images pour les AGRANDIR.

RÉCLAMATION DES DROITS DE L’HOME

Nous Citoyens, qui payons une contribution directe inférieure au prix de trois journées de travail, réclamons les droits de l’home.

C’est un malheur pour nous de ne pouvoir ofrir à la Patrie qu’un faible tribut. Ce malheur est agravé par le décret de l’Assemblée nationale du 22 Octobre, qui nous prive du droit d’assister aux assemblées primaires des Citoyens, pour concourir aux élections des représentants destinés à la composition des assemblées municipales, provinciales et nationales.

Dans la déclaration des droits de l’home, l’Assemblée nationale a reconu que [l]es homes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Que les distinctions sociales .ne peuvent être fondées que sur l’utilité comune.

Que tous les Citoyens ont droit de concourir personelement, ou par leurs représentans, à la formation de la Loi, parce qu’ele est l’expression de la volonté générale.

Que la Loi doit être la même pour tous.

Que tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celés de leurs vertus et de leurs talens.

L’Assemblée nationale, en constatant les droits de l’home, les a reconus naturels, sacrés, inaliénables, imprescritibles [sic], et cependant elle nous prive du plus beau de nos droits.

Reconnaître que les distinctions sociales ne doivent résulter que des talens, des lumières et des vertus, et nous distinguer par une exclusion humiliante, c’est nous suposer incapables de talens, de lumières, de vertus; suposition notoirement injuste, puisque nous pouvons avoir parmi nous des Citoyens célèbres par leur philosophie, par leurs vertus, par leurs talens, par leurs lumières, par leur génie.

Nous somes malheureux, mais nous somes aussi bons Citoyens que peuvent l’être les puissans et les riches. Le patriotisme nous a fait faire les premiers pas vers la liberté. Guidés par ce vertueux sentiment, le 14 Juillet, nous avons afronté les premiers et les plus grands dangers, pour détruire ce goufre qui dévorait les victimes du despotisme.

Plus nous sommes malheureux, plus nous avons besoin d’apui. Nous en avons un na­turel et sufîsant dans le droit d’assister aux assemblées primaires des Citoyens, et d’y jouir, dans notre malheur, de la satisfaction consolatrice d’unir nos voix à celes des riches, et de pouvoir réclamer utilement et légitimement contre les abus, qui souvent ne pèsent que sur nous.

Le droit de présence et de sufrage aux assemblées p[r]imaires, résulte du droit qu’ont tous les Citoyens, de concourir personelement, ou par leurs représentans, à la formation de la Loi.

Nous somes une partie considérable, utile et laborieuse de la Nation, conséquement, si nous étions privés de ce droit de présence et de sufrage, la loi ne serait pas l’expression de la volonté générale.

Il faut que nous concourions par nous ou nos représentans par nous élus à la formation de la Loi, pour qu’ele puisse légitimement nous obliger.

Ces principes sont consacrés par la déclaration des droits de l’home.

Lorsqu’on nous a privé du plus beau droit civil, l’Assemblée nationale venait de décréter la Loi Martiale pour défendre et réprimer les atroupemens. Pour assurer son exécution, cette loi dégrade et condamne aux prisons, les gardes nationaux qui refuseraient de se servir de leurs armes contre leurs concitoyens atroupés. Ainsi, d’un côté, nous ne pourions pas légalement nous assembler, et voter avec les riches Citoyens; et, d’un autre côté, nous ne pourions pas nous réunir en troupes, pour faire valoir nos droits; nous nous trouverions ainsi réduits à un état absolument passif. Il est vrai que d’après la Loi Martiale, en cas d’atroupemens, nous pourions nomer six Comissaires pour exposer nos griefs et nos réclamations; mais la Loi prononçant des peines de prison, et même de mort contre les moteurs des atroupemens, nous ne pourions pas être assurés qu’on respecterait nos Comissaires facilement présumés moteurs des atroupemens. Nous ne pourions pas être certains de l’incoruptibilité de ces Comissaires désignés à l’instant et au hasard. Ces Comissaires ne pouraient rendre aucun compte de leur mission, puisque les atroupemens devraient, suivant la Loi, se diviser sans retard. Rien ne pourait nous garantir que nos réclamations seraient accueillies et jugées avec impartialité, avec cette vertu patriotique, qui devrait guider tout Administrateur public. Nous serions donc sans cesse exposés à être les victimes des abus dont toutes les administrations sont susceptibles,  tandis que les riches auraient les moyens de s’y soustraire.

En admetant pour un instant, la vertu la plus pure dans tous les Administrateurs publics, nous aurons toujours le droit de dire avec vérité, qu’aucune, puissance suprême n’a doné aux riches le pouvoir de délibérer et de décider exclusivement sur nos droits et nos devoirs civils. Ce pouvoir ne serait donc que le fruit d’une usurpation; il formerait une aristocratie qui nous réduirait à être les sujets de nos concitoyens, come le sont les simples habitans de la Pologne et de Venise. Cete aristocratie pourait ocasioner de grands malheurs, si les Gardes Nationaux obéissant à la Loi Martiale et aux ordres des Administrateurs, avaient l’inhumanité de se servir de leurs armes, pour dissiper nos atroupemens. C’est pour forcer les Gardes Nationaux à l’obéissance que la Loi Martiale les soumet à la peine de la prison, et d’être dégradés; ainsi, d’après cete Loi, les Gardes nationaux seraient exposés à une cruele alternative, si nous nous atroupions pour réclamer et soutenir nos droits.

Si l’on veut que nous n’ayons plus ni prétexte, ni droit de nous atrouper; si l’on veut rendre les atroupemens aussi criminels et aussi punissables qu’ils sont dangereux; qu’on révoque les décrets qui établissent entre les citoyens, des distinctions de fortune sur l’exercice de leurs droits naturels & sociaux, droits sacrés, inaliénables & imprescriptibles. Que ces droits soient respectés dans chaque Citoyen.

Tel est l’objet de nos vœux. Nous espérons avec confiance leur acomplissement, parce que nous somes assurés que les honorables Membres de l’Assemblée Nationale étant susceptibles d’erreurs corne homes, cherchent come législateurs, à découvrir la vérité, & veulent faire le bonheur de la Nation.

 

 

 

 

 

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Revendication de démocratie directe dans une assemblée électorale en 1792

28 samedi Sep 2019

Posted by Claude Guillon in «Démocratie directe XVIIIe-XXIe siècle», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Revendication de démocratie directe dans une assemblée électorale en 1792

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Démocratie directe, Saint-Germain-en-Laye

Extrait du procès-verbal de l’Assemblée électorale du département de Seine-et-Oise, tenue à Saint-Germain-en-Laye le 14 septembre 1792 (une précédente réunion s’était tenue le 5 septembre) [Archives départementales des Yvelines 1 LM 360]

La démarche est un tantinet contradictoire, dans son effort pour s’adapter aux circonstances, c’est-à-dire la désignation de députés.

On veut en effet exiger des députés à la Convention qu’ils se fassent l’écho de la revendication d’une souveraineté directe du peuple, exercée par lui-même… sans députés donc, si l’on comprend bien. Du coup, la révocation sanctionne logiquement ceux qui se déroberaient à ce mandat impératif… et intenable.

Par ailleurs, l’inviolabilité des députés est contestée: puisqu’il n’existe pas de pouvoir autre que législatif, c’est un privilège sans justification.

«…Un des Electeurs ayant obtenu la parole, a exposé que la souveraineté résidant essentiellement dans la Nation, il était important de maintenir l’exercice de ce droit entre les mains du Peuple: en conséquence il a proposé le projet d’arrêté cy-après.

“L’Assemblée électorale considérant que le serment qu’elle a fait de maintenir la Liberté et l’Egalité, jusqu’à la mort, l’oblige à prendre tous les moyens d’assurer ces droits, considérant que formé par le choix immédiat du Peuple, c’est à elle à défendre les droits du Peuple, arrête.

1. «Que les Députés qu’elle a choisis, et ceux qu’elle a encore à choisir seront soumis à jurer, avant l’expédition de leurs pouvoirs, que dans la Convention nationale, ils se porteront pour défenseurs intrépides des droits de la Nation, et qu’ils demanderont impérieusement que le Peuple exerce sa Souveraineté, non par des Délégués, mais par lui même.

2. Que les Députés qui manqueront à leur serment seront révoqués et remplacés par leurs Suppléants.

3. Que le présent Arrêté sera envoyé à l’Assemblée nationale et aux Assemblées électorales des autres Départements, avec une adresse qui en expliquera les motifs.»

Cette motion a été applaudie et appuyée par plusieurs Opinans, les motifs en ont été développés dans un discours lu par son Auteur. Un des Electeurs a demandé en outre que l’Assemblée électorale déclarât ne plus reconnaître l’inviolabilité des Députés, laquelle n’a plus de motif aujourd’hui, qu’il n’existe plus de pouvoir capable de balancer l’autorité du Corps législatif et de rendre nécessaire le maintien de ce privilège…»

J’ai trouvé ce texte reproduit dans La Citoyenneté à l’époque révolutionnaire. 1789-1815, album édité par le Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Versailles, 2003, p. 50.

Il serait intéressant de se reporter à l’original dans son intégralité et de connaître l’identité de l’auteur de la proposition (si toutefois, elles est indiquée).

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“La Grande Révolution” de Kropotkine ~ une nouvelle réédition

28 dimanche Juil 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “La Grande Révolution” de Kropotkine ~ une nouvelle réédition

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Arno LaFaye-Moses, Éditions Tops/ H. Trinquier, Daniel Guérin, Démocratie directe, Gérard Filoche, Jacques Roux, Jean-François Varlet, Kropotkine, Lutte des classes, Roland Gotlib, Serge Aberdam, Société des études robespierristes, Théophile Leclerc

Lorsque les Édition du Sextant ont, il y a quelques années, réédité La Grande Révolution, je me suis interrogé – et d’autant plus au vu du prix de l’ouvrage – sur la pertinence de l’entreprise alors que l’édition Trinquier était encore disponible. Elle l’est toujours.

On peut encore trouver d’occasion l’édition en fac simile de l’édition originale de Stock (celle que j’ai initialement lue pour ce qui me concerne).

Voici qu’une quatrième édition vient de rejoindre les librairies en ce mois de juillet 2019. Elle est au format poche, et coûte 19€ pour 736 pages.

Disons tout de suite un mot de la maniabilité et de la lisibilité de cette édition. Hors les modes d’impression (peut-être onéreux) utilisés par les collections comme Bouquins et Quarto (pas au format poche d’ailleurs), l’impression de livres très épais sur un petit format pose des problèmes de maniabilité et de lisibilité.

La conjugaison entre le petit format et le très grand nombre de pages peut rapidement être inconfortable. De plus, le nombre de pages incite l’éditeur à réduire au minimum le corps du texte, ce qui rend la lecture pénible. S’ajoute ici le problème des notes. Celles de l’auteur (Kropotkine) sont renvoyées en fin de chapitre, ce qui signifier que personne ne les lira, tandis que celles d’Arno LaFaye-Moses, qui a établi le texte sont en bas de page.

La quatrième de couverture du livre évoque une «kyrielle» de notes. J’ignore qui a rédigé cette présentation et si l’auteur ou l’autrice connaît la valeur péjorative du mot kyrielle, qui évoque la litanie, donc l’excès et l’ennui…

Or il semble bien qu’il y a excès, en effet. M. LaFaye-Moses a cédé à la tentation de tout retranscrire de ce qu’il avait été obligé de et amené à apprendre pour aborder et comprendre le texte de Kropotkine. Je suis assez familier de cette tendance à «écrire tout ce que l’on sait» pour la reconnaître chez les autres!

En l’espèce, le lecteur a l’impression que l’éditeur (M. LaFaye-Moses) coupe parfois la parole à l’auteur (Kropotkine) pour lui (nous) montrer qu’il en sait davantage que lui.

Je donne ces précisions entre parenthèses pour amener une anecdote: le service de presse des éditions Atlande m’a contacté par mail pour me demander une adresse postale et m’informer que je devrai recevoir sous peu un exemplaire «dédicacé par l’auteur», lequel avait insisté pour me compter au nombre des destinataires. J’ai répondu en plaisantant que j’étais flatté que Kropotkine ait conservé un aussi bon souvenir de moi…

Sur le prière d’insérer encore, M. LaFaye-Moses est indiqué comme «auteur» du livre. Passons.

Il se trouve que j’ai peut-être déjà croisé notre éditeur à la Société des études robespierristes, dont le même prière d’insérer m’apprend qu’il est membre et que son nom d’éditeur est un pseudonyme, derrière lequel «un haut fonctionnaire français» protège sa réputation et son «devoir de réserve» (cette dernière considération est de ma responsabilité).

Va pour le haut fonctionnaire; membre de la SER, cela suppose un intérêt pour l’histoire de la Révolution, et admirateur de l’œuvre de Kropotkine: cet homme ne saurait être complètement mauvais.

Las! les excellentes dispositions dans lesquelles ce pedigree m’avait mis ont fondu comme neige au soleil. Je m’aperçois que j’ai omis de signaler la présence, avant l’avant-propos de l’éditeur, d’une préface «exclusive» nous dit l’éditeur (Atlande) de M. Gérard Filoche. Passons sur ses inutiles citations de Kropotkine (on s’apprête à le lire), et venons-en à l’essentiel de son propos:

Ré-éditer Pierre Kropotkine en 2019, La Grande Révolution, c’est aller chercher les gilets jaunes du XVIIIe siècle derrière la bourgeoisie, derrière les sans-culottes, derrière le tiers-état.

Pour ne pas être originale, l’idée d’une «concordance des temps» entre 89 et les Gilets jaunes me semble, comme le savent lectrices et lecteurs de ce blogue, pertinente. On aurait préféré qu’elle soit un peu développée par M. Filoche (à la place des citations de Kropotkine, par ex.). Quant à chercher «derrière le tiers-état», je vois mal de quoi il peut être question; les paysans – auxquels Kropotkine accorde une grande attention – en font partie.

J’en viens à l’avant-propos de l’éditeur.

Croira-t-on que son auteur a réussi l’exploit de le rédiger tout entier – et sauf erreur de ma part sa «kyrielle de notes» pareillement – sans écrire une seule fois l’adjectif anarchiste?!

Anarchisme, pas davantage!

N’allez pas penser que M. LaFaye-Moses ignore les adjectifs en général. Rien que dans l’avant-propos, Kropotkine est qualifié de: écologiste, altruiste, populiste, socialiste, humaniste (pour ne citer que les terminaisons en «iste»). Mais le lectorat naïf ignorera qu’il est l’un des principaux théoriciens du communisme libertaire.

Ignorant tout jusqu’ici de l’identité véritable et de la vraie nature de M.LaFaye-Moses, je ne saurais dire s’il s’agit là d’une manifestation d’ignorance (j’en doute), d’une tentative éhontée de censure (elle viendrait bien tard! mais sait-on jamais: les staliniens, notamment, ont la rancune tenace, et cette manie d’effacer…).

Comme j’ai une tendance naïve à croire à la bonne volonté humaine, je me suis demandé si notre éditeur ne s’était pas tenu à lui-même le raisonnement suivant: «Je réédite ce beau livre de Kropotkine sur la Révolution; je lui souhaite la plus grande diffusion possible; pourquoi risquer de diminuer son écho en l’identifiant à un courant du mouvement ouvrier révolutionnaire, sous le mince prétexte que l’auteur lui a consacré sa vie?»

On retrouverait là cette fâcheuse tendance à couper la parole à l’auteur, mais au sens strict cette fois.

Quelle que soit la bonne hypothèse, cette incroyable bévue  ne va pas aider à la diffusion de l’ouvrage dans les canaux libertaires…

Cela dit, l’éditeur rend hommage au courage de Kropotkine, traître à sa classe (il est prince! Bakounine aussi d’ailleurs). «Transfuge de classe» écrit M. LaFaye-Moses, qui ajoute: « Nous empruntons évidemment le terme, magnifique mais rarement utilisé, à la romancière Annie Ernaux».

On l’emprunte bien où l’on veut, mais on ne peut laisser penser au lecteur que c’est Annie Ernaux qui l’a inventé, alors qu’elle a pris cette notion chez Bourdieu (dont elle ne cache pas qu’elle s’est inspirée de lui).

Ensuite, notre éditeur s’interroge sur la présence possible chez le Kropotkine d’Autour d’une vie (ses mémoires) d’un certain «racisme social». Le terme est fort, mais c’est qu’en effet, «à aucun moment dans le texte [Kropotkine] ne paraît se considérer comme un membre du peuple»! J’y vois moi, la preuve que Kropotkine était lucide, comme l’étaient ces autres transfuges dont le nom signifiaient «Celles et ceux qui vont au peuple».

Je me méfie bien davantage d’un Robespierre affirmant «Je suis peuple», peut-être très sincèrement, ce qui n’arrange rien.

Qui est persuadé d’«être peuple» quand il n’en vient pas et qu’il ne partage pas sa vie ne tardera pas à glisser un article monarchique entre lui et l’objet de son identification fallacieuse. L’État, c’est moi! – Je suis le Peuple. Le seul Peuple, c’est moi! Donc moi seul sait ce qu’il est véritablement (facile, c’est moi!), ce qui est bon pour lui, ce qui est digne de lui… Et aussi quand il se trompe, s’abuse lui-même, oublie sa propre dignité, à laquelle on le rappellera, sévèrement s’il le faut. Qui s’aime bien…

Venons-en maintenant au reste de l’apport de l’éditeur, en l’espèce des notices biographiques sur certains des personnages cités par Kropotkine et des indications bibliographiques

Le moins que l’on puisse dire est que le (certes gros) travail manque de rigueur et de cohérence. Puisqu’il s’agit d’éclairer un texte déjà ancien par des notes et des pistes bibliographiques actuelles, il aurait fallu coller un peu plus (pas difficile!) aux publications et aux recherches récentes. Aller chercher des données sur l’Enragé Théophile Leclerc dans le Dictionnaire historique de la Révolution française (l’excellent Roland Gotlib n’y est pour rien!) quand on prétend connaître mon blogue, et donc mes publications n’est pas sérieux. Ou alors, c’est au contraire une – mauvaise – plaisanterie.

Puisque la biographie de Jacques Roux par Walter Markov est citée en bibliographie, comment expliquer l’absence d’une notice sur le curé des Gravilliers, par ailleurs mentionné dès l’avant-propos?

Puisque l’éditeur semble sensible à l’importance donnée par Kropotkine au «dévoilement de la lutte des classes» (Avant-propos, p. 28), comment expliquer l’absence des textes de Daniel Guérin dans la bibliographie, où traînent pourtant un livre sur Madame du Barry (!) et un autre d’Edwy Plenel sur le dictionnaire de Maitron… (Pourquoi pas la liste des commissions?)

La mention – louable et pertinente – du récent article de Serge Aberdam sur la démocratie et la démocratie directe (reproduit sur ce blogue) paraît, du coup, presque incongrue!

Et le texte de Kroptkine me direz-vous?

Je n’avais pas, hélas, le temps nécessaire pour saisir cette occasion d’une énième relecture complète.

Mais il est bien aussi passionnant qu’on vous le dit, et très abordable, même si sa documentation commence à dater sérieusement. Il est l’une des voies d’entrée recommandables dans l’histoire de la Révolution française (avec Bourgeois et bras-nus, de Daniel Guérin, rééd. Libertalia). Il accorde pour la première fois une attention particulières aux révoltes paysannes. Il a connu un destin éditorial particulier, bien davantage lu et apprécié en Allemagne, dans le mouvement socialiste et révolutionnaire, qu’en France.

La dispensable préface de M. Filoche aurait d’ailleurs avantageusement pu être remplacée par une bibliographie des autres textes de Kropotkine disponibles en français et des travaux le concernant, notamment ceux de Renaud Garcia, dont je signalais il y a peu une conférence sur l’anarchiste russe.

Portrait de Pierre KROPOTKINE (1842-1921)

Pastel (55 x 71 cm) de Vladimir BAKLANOV (1994). Emprunté sur Cartolist.

Kropotkine Pierre, La Grande Révolution, Éditions Atlande, 736 p., 19 €.

Statut de l’ouvrage: envoyé en service de presse par l’éditeur.

Ajout.

J’ai omis de signaler qu’on peut se faire une idée du texte de Kropotkine grâce à des extraits en ligne à cette adresse.

________________

Un courrier de Arno LaFaye-Moses

« Nous sommes heureux que le livre ait retenu l’attention du blog, même si le post n’est pas exempt d’erreurs – dont certaines, qui tiennent aux intentions prêtées à l’éditeur, sont en tout état de cause naturelles. 

La remarque sur Annie Ernaux et la notion de «transfuge de classe» me gêne davantage: «Transfuge de classe» écrit M. Lafaye-Moses, qui ajoute: “Nous empruntons évidemment le terme, magnifique mais rarement utilisé, à la romancière Annie Ernaux”. On l’emprunte bien où l’on veut, mais on ne peut laisser penser au lecteur que c’est Annie Ernaux qui l’a inventé, alors qu’elle a pris cette notion chez Bourdieu (dont elle ne cache pas qu’elle s’est inspirée de lui).»

Outre que j’aurais tendance à penser que non seulement on emprunte à qui l’on veut mais que l’on peut aussi «laisser penser au lecteur que c’est Annie Ernaux qui l’a inventé» [ce qui n’est d’ailleurs pas forcément mon intention] si on le juge opportun – s’exposant à recevoir en retour des citations détaillées de Bourdieu voire d’auteurs (très) antérieurs et moins médiatisés –, en l’espèce l’intention de l’éditeur était de rendre hommage à Annie Ernaux qui lui a fait découvrir le terme et qui, aujourd’hui encore, en 2019, sait en tenir haut les couleurs – l’auteur de ces lignes, transfuge de classe lui-même (comme peut-être l’auteur de ce blog, Mme du Barry, etc.), connaît et admire l’œuvre de Bourdieu; il l’a peut-être (certainement) parcouru trop vite car la notion de «transfuge de classe» n’est pas de celle qui a retenu son attention dans les écrits du sociologue.

 La parole pour terminer à Annie Ernaux, tirée d’un entretien publié le 30 avril dernier par le site internet de la CFDT et sobrement intitulé «Annie Ernaux : transfuge de classe». Pierre Bourdieu n’y est pas cité. En revanche, on trouve ce paragraphe qui parlera peut-être à certains: «J’ai [c’est Annie Ernaux qui parle] écrit cette phrase sur laquelle on m’interroge souvent: “J’écrirai pour venger ma race.” Je voudrais m’en expliquer ici. Les transfuges de classe vivent souvent une situation difficile parce qu’ils ne se sentent pas à leur place dans le milieu d’arrivée. Lorsque l’on est issu de la classe populaire et que l’on fait des études, on venge sa lignée, certes. C’est la première chose et elle est nécessaire. Mais ce n’est pas suffisant. Si vous n’en faites qu’un instrument pour soi, cela ne servira à rien. J’ai employé le mot race parce que c’est l’impression d’appartenir à un autre monde. Alors j’écris, je lutte, je dénonce. Si on ne fait rien, il ne se passera rien».

Arno LaFaye-Moses

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“Écrits sur Rousseau et les droits du peuple” ~ par Nakae Chômin

24 mercredi Avr 2019

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “Écrits sur Rousseau et les droits du peuple” ~ par Nakae Chômin

Étiquettes

Démocratie directe, Eddy DUFOURMONT, Jacques JOLY, Japon, Jean-Jacques Rousseau, Nakae CHÔMIN, Souveraineté populaire

Présentation

Au début des années 1880, le Japon est traversé par un vaste mouvement démocratique réclamant une constitution et les libertés fondamentales. Le journaliste et penseur Nakae Chômin (1847-1901) y joue un rôle majeur.

En 1874, Chômin traduit Du contrat social en japonais avant de le faire en chinois classique, en 1882-1883, sous le titre Min.yaku yakkai (Traduction commentée du Contrat social). Cette traduction sera l’un des livres de chevet des démocrates japonais des années 1880 ainsi que des réformateurs chinois en 1898. Dans cette œuvre, Chômin réussit à expliquer nombre d’idées complètement nouvelles en vidant les notions du confucianisme de leur sens usuel pour leur donner celles du Contrat social. À ce titre, le Min.yaku yakkai n’a pas été une traduction mais bien une réinvention. Chômin utilisa le chinois classique pour traduire d’autres textes (Constitution française de 1793, Déclaration d’indépendance américaine) et écrire de courts essais, tous inclus ici, qui témoignent de son souci de penser la transition vers une société nouvelle, faire connaître Rousseau et promouvoir les droits du peuple.

Vous pouvez écouter ICI la présentation.

Biographies Contributeurs

Nakae CHÔMIN

Nakae Chômin est l’un des principaux penseurs du Japon moderne et contemporain. Journaliste et fondateur d’une école d’études françaises, il a été surnommé le « Rousseau de l’Orient » pour son engagement dans le Mouvement pour les libertés et les droits du peuple (Jiyû minken undô), dans les années 1880, et aussi pour ses traductions du Contrat social, du Discours sur les sciences et les arts. Ces dernières ne constituent qu’une partie d’un important travail de traduction, qui fait de Nakae un précurseur dans l’acquisition de la philosophie européenne, dont il s’est nourri lors de son séjour à Paris et Lyon en 1872-3. Il est notamment le traducteur du Fondement de la Morale d’Arthur Schopenhauer de La Morale dans la démocratie de Jules Barni. Nakae est aussi l’auteur d’un des tout premiers ouvrages de synthèse consacré à la philosophie européenne, La Quête philosophique (Rigaku kôgen, 1886). La parution en 1887 de sa fiction politique, Dialogues politiques entre trois ivrognes (Sansuijin keirin mondô, 1887), son plus grand succès éditorial, marque l’apogée de son activité. Nakae est élu à la Chambre basse lors de sa constitution en 1890, en tant que représentant du Parti libéral (Jiyûtô), mais il démissionne très vite, refusant les compromis qu’opèrent certains de ses alliés avec le gouvernement.

Vous trouverez ICI d’autres renseignements biographiques sur Nakae CHÔMIN.

Eddy DUFOURMONT

Eddy Dufourmont est maître de conférences en langue et civilisation japonaises à l’université de Bordeaux III. Ses recherches portent sur l’histoire intellectuelle du Japon moderne. Avec Christine Lévy il a déjà traduit, de Nakae Chômin, Dialogues politiques entre trois ivrognes (CNRS éditions, 2008). Il a récemment contribué à La Famille japonaise moderne (1868-1926). Discours et débats, ouvrage dirigé par E. Lozerand et Ch. Galan (Picquier, 2011).

Jacques JOLY

Jacques Joly, né en 1948, docteur en études de l’Extrême-Orient de l’université Paris 7, est philosophe de formation. Il a accompli toute sa carrière universitaire à l’université Eichi à Amagasaki. Il a publié Le Naturel selon Andô Shôeki (1996), « La recherche philosophique au Japon de l’après-guerre à nos jours » (in C. Galan et A. Gonon, Le Monde comme horizon, 2008). Ses recherches actuelles portent principalement sur la pensée et la traduction des œuvres de Maruyama Masao.

Table des matières

Avertissement

Remerciements

Introduction : Nakae Chômin et l’introduction du Contrat social dans un Japon en transformation. Une lecture au croisement du républicanisme français et de la pensée chinoise (1874-1884)


Le contexte politique : Chômin et son temps

Traduire Rousseau

Penser Rousseau et Du contrat social : fonder la morale sur une philosophie du « Ciel »

Conclusion : idéal et réalité. Le rousseauisme tempéré de Chômin

Bibliographie de l’introduction

Sources

Études

Écrits sur Rousseau et les droits du peuple

Première partie : articles (1875-1883)

1. Vie de Maître Babillard

2. Chronique du sanctuaire Shôkonsha [Yasukuni]

3. Sur les droits du peuple

4. Sur la différence des droits entre les hommes et les femmes

5. Sur le scepticisme

6. Principes du gouvernement (Des grandes lignes de la théorie politique de Rousseau)

7. Napoléon III

8. Sur l’intérêt public et l’intérêt privé

9. Sur les querelles fraternelles

10. Déclaration des droits du peuple français de 1793

11. Déclaration d’indépendance de la Confédération d’Amérique du Nord

Deuxième partie : Min.yaku yakkai 民約訳解

(Traduction commentée du Contrat social, 1882-1883. Version de 1874 en note)

Préambule

Préface du traducteur

Préface de l’auteur

Livre I. Principes du droit politique

Chapitre 1 : Sujet du livre

Chapitre 2 : La famille

Chapitre 3 : Le droit du plus fort

Chapitre 4 : L’esclavage

Chapitre 5 : Qu’enfin, on ne peut se passer du contrat pour fonder un pays

Chapitre 6 : Le contrat social

Chapitre 7 : Le Souverain

Chapitre 8 : Le monde humain

Chapitre 9 : Le domaine

Livre II.

Chapitre 1 : La souveraineté n’est pas concessible

Chapitre 2 : La souveraineté n’est pas divisible

Chapitre 3 : La volonté de tous peut-elle se tromper ?

Chapitre 4 : Les limites du pouvoir du Souverain

Chapitre 5 : Du droit de vie et de mort sur les personnes

Chapitre 6 : Les lois

Index des noms


Index thématique

 

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Le bon sens révolutionnaire

21 jeudi Mar 2019

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1793, «Gilets jaunes», Démocratie directe, Guillotine, Lutte des classes

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Publié par Claude Guillon | Filed under «D'une révolution l'autre», «Usages militants de la Révolution»

≈ Commentaires fermés sur Le bon sens révolutionnaire

“Démocratie, démocratie directe et référendum. Un héritage révolutionnaire” ~ par Serge Aberdam

15 vendredi Mar 2019

Posted by Claude Guillon in «Démocratie directe XVIIIe-XXIe siècle»

≈ Commentaires fermés sur “Démocratie, démocratie directe et référendum. Un héritage révolutionnaire” ~ par Serge Aberdam

Étiquettes

1793, Antonelle, «Gilets jaunes», Babeuf, Billaud-Varenne, Buonarroti, Charles Monnet, Christian Laval, Claire Lacombe, Commune de 1871, Constitutions, Démocratie directe, Hébert, Jacques Roux, Jean-François Varlet, Lanthenas, Pauline Léon, Pierre Dardot, Républicaines révolutionnaires, René Levasseur de la Sarthe, Robespierre, Serge Aberdam, Théophile Leclerc, Thomas Paine

Serge Aberdam, historien, spécialiste de la Révolution française (militant du Nouveau parti anticapitaliste [NPA], et de la IVe Internationale), que les lectrices et les lecteurs de ce blogue ont pu lire à plusieurs reprises, a rédigé pour la revue Inprecor la remarquable synthèse que je reprends ci-dessous.

Remarquable, elle l’est d’autant plus que dans un format raisonnable – même s’il dépasse sans doute le standard Internet (et ne comptez pas sur moi pour indiquer ici un «temps de lecture estimé»!) – elle utilise et expose de nombreuses données historiques que beaucoup de lectrices et de lecteurs en général, et de militant·e·s de la IVe Internationale en particulier gagneraient à connaître…

Récemment, prenant le prétexte incongru de la publication de la dernière livraison de la «gazette» de la Société des études robespierristes (SER), un «twitto» plutôt libertaire* que marxiste semble-t-il (mais le Créateur a répandu équitablement ses bienfaits…) me traitait d’«épicier» et de «poujadiste», ce qui est sévère pour une lettre d’information et un blogue également gratuits…

Mais l’argumentation était à suivre :

Quiconque a un peu lu et étudié cette période, écouté les conférences d’Henri Guillemin sait tout de cette révolution bidon “du peuple”. En gros ça se résume à la prise du pouvoir par les grands bourgeois, qui dure encore. Tout le reste c’est du business de bouquins pour neuneus.

Surprenante époque que la nôtre, où la méfiance à l’égard de la pensée et du savoir – en un mot l’ignorance – saupoudrée d’un peu de vulgarisation aussi mal digérée que mal choisie, ce qui la rend néanmoins fière d’elle-même, mêlée d’un complotisme historiographique qui mène à tous les autres voudrait se présenter comme une analyse de classe antibourgeoise !

Nous ne sommes pas toujours d’accord, Serge Aberdam et moi, ni en gros ni en détails (Dame ! l’épicerie reconnaît le droit de tendance…) mais nous nous retrouvons pour battre en brèche le nawakisme méprisant et satisfait, où qu’il se manifeste.

__________

* Pseudonyme «AnarAristo» ; raison sociale : «Ni dieu, ni maître, ni troupeau. Education libertaire. Solidarité»

Nota. Le texte des «encadrés» sur fond rouge est de Serge Aberdam; il en a choisi l’emplacement; je suis responsable de leur mise en page et des illustrations (sur lesquelles vous pouvez cliquer pour les AGRANDIR).

Démocratie, démocratie directe et référendum. Un héritage révolutionnaire

Pendant les trois mois du mouvement social du printemps 2016, on a vu fleurir des projets reprenant les pétitions de masse contre la «loi travail» ou les tentatives d’imposer par pétition aux députés de voter la censure, contre le 49.3, et l’essai de votation impulsé par les centrales syndicales. Tous ces projets étaient proches d’un référendum et annonçaient la fonction que le Référendum d’initiative citoyenne (RIC) joue chez les Gilets jaunes. Sur le fond, le RIC est une sorte de réponse aux désastres démocratiques auxquels ont abouti le vote grec contre la troïka ou les votes de 2005, français et hollandais, contre la «constitution européenne», tous purement et simplement annulés par les gouvernants…

Dans le cas français de 2005, un référendum qui relevait clairement des institutions autoritaires de la Ve République, nous avons bien senti comment le vote populaire tendait à rejoindre par certains aspects un exercice démocratique, au sens ancien, celui qui permet une expression populaire directe. Ce genre de vote fonctionne en effet à la jonction entre les deux significations courantes du mot «démocratie», où on retrouve aussi bien l’idée d’un gouvernement qui accepte de revenir périodiquement devant les électeurs, que celle d’une intervention directe des gens sur les questions qui les concernent. Entre les deux significations, il existe désormais dans la plupart des pays, même développés, des éléments évidents de crise de représentation politique, suite à des élections vécues comme de véritables hold-up, genre Trump ou Macron, pour n’en citer que deux. Bref, bien avant le début des Gilets jaunes, la «question démocratique» se posait à nous et il était pertinent de réfléchir à sa place dans les mouvements sociaux.

Retourner aux sources de cette confrontation entre «représentation» et exigences d’expression populaire pourrait nous emmener loin car le débat sur la démocratie (pouvoir du peuple, au sens littéral) date de l’Antiquité grecque. Mais on peut aussi revenir à un passé moins éloigné dont les initiatives populaires de ces derniers mois nous ont montré qu’il pouvait ressurgir avec une facilité déconcertante. Lorsque, dans les mouvements progressistes, on oppose démocratie formelle et démocratie directe, on renvoie le plus souvent à des situations révolutionnaires brèves et intenses, comme la Catalogne ou l’Aragon de 1936-1937, ou à certains moments des débuts de la Révolution russe, en 1905 puis entre 1917 et 1919, et surtout à la Commune de Paris de 1871. Libertaires et marxistes, dans toutes leurs variétés, ont toujours donné une importance capitale à ce mouvement. Les parisiens de 1871, refusant de capituler devant les troupes du roi de Prusse comme devant l’armée du parlement de Bordeaux puis de Versailles, ont effectivement créé leur propre pouvoir populaire et tenté de le défendre, les armes à la main, jusqu’au massacre de la Semaine sanglante. On peut partir ici d’une question toute simple : pourquoi donc les parisiens et parisiennes de 1871 ont-ils choisi de désigner ce qu’ils mettaient en place comme étant la Commune de Paris ?

La réponse, évidente, est que les Communards tentaient de prendre appui sur le souvenir de la Commune de Paris, telle qu’elle avait existé pendant la Révolution française, essentiellement en 1792-1794. Les combattants parisiens de 1871 ont fait ce choix alors qu’ils étaient séparés de la période 1789-1799 par un quasi-siècle, au moins trois générations, et alors qu’ils avaient à leur disposition tout un répertoire politique et insurrectionnel bien plus récent, avec les révolutions de 1830 et de 1848-1852. Pourtant, les Communards ont accepté de se battre et finalement de mourir sous cet étendard de la Commune. Pas simplement pour relever un drapeau des temps jadis mais pour défendre leur mode de vie depuis le siège, toute une conception de la vie en société, des valeurs, comme on dit, incompatibles avec celles que défendaient Versailles et son armée.

Au cœur de ce mode de vie et de ces valeurs, il y avait nécessairement autre chose qu’un souvenir lointain, mais des pratiques politiques, ancrées dans la vie des quartiers et du travail, une conception de la démocratie différente de celles de l’ennemi. Ces valeurs et ces pratiques pouvaient-elles être, malgré le temps écoulé, plus ou moins directement reliées à ce qui s’était construit pendant la première révolution française ? On peut le penser dans la mesure où cette expérience démocratique et sociale déjà ancienne avait concerné une immense quantité de gens pendant une période de dix années, une durée exceptionnelle de mobilisation après les siècles qu’avait duré l’Ancien régime. Malgré les années de réaction, toute la société française est restée imbibée de ces souvenirs que chaque crise révolutionnaire et même chaque émeute ouvrière importante dans les années 1830 et 1840 ont ranimés, jusqu’à la Commune.

Nous savons bien que se référer à la Révolution française n’est jamais neutre et qu’en France cette référence traîne souvent à sa suite une forte dose de chauvinisme. Les hommes politiques de droite mais surtout de gauche parlent volontiers de la Grande révolution sur un ton cocardier et nationaliste. Ce cocorico est pour eux une façon de traiter implicitement, non de la seule Révolution mais de toute l’histoire de France, de sa «contribution» à l’histoire de l’humanité, y compris de ses entreprises coloniales, comme globalement progressistes, du moins « en dernière instance ». Il faut donc rester vigilant mais aussi être plus curieux de cette histoire que nous ne le sommes souvent, et depuis longtemps, parce que l’ignorance n’arrange rien. La Révolution française n’est pas la « Mère de toutes les révolutions » et il existe une littérature passionnante sur les courants radicaux dans les révolutions anglaise du XVIIe siècle et nord-américaine du XVIIIe, mais les dix ans du cas français méritent vraiment le détour!

  1. Révolution et invention démocratique

 Le déroulement pratique de la Révolution française tout entière s’inscrit, de 1789 à 1795, dans une alternance permanente entre votes de masse et insurrections populaires. Il faut toujours le garder à l’esprit car on explique trop rarement que le caractère massif et la durée exceptionnelle de la Révolution s’expliquent en bonne partie par la multiplicité et l’intensité des pratiques collectives dans la population, dont les formes de vote et d’élection. Il faut bien sûr préciser que ces formes pratiques du vote et de l’élection sont assez différentes des nôtres mais qu’elles avaient une légitimité considérable, parce qu’elles reposaient sur des assemblées de citoyens, des réunions au niveau des villages, des petites villes et des quartiers (sections) dans les grandes villes. Donc, à côté des insurrections et des batailles, la Révolution française repose aussi sur un immense et durable réseau d’assemblées de citoyens (et parfois citoyennes).

Au départ, c’est la monarchie qui a pris l’initiative politique qui a «amorcé» la Révolution : elle convoque pour 1789 des états généraux, une institution disparue depuis presque deux siècles (1614), ceci dans un but précis : réaliser des élections contrôlées afin de faire voter par une assemblée légitime les impôts dont le gouvernement à besoin; il s’agit de forcer le clergé et la noblesse, les deux ordres (ou états) privilégiés, à payer l’impôt.

La convocation des états se veut donc un essai réformiste prudent mais octroie aux sujets du roi la capacité de rédiger des cahiers de doléances locaux. Il ne s’agit donc pas seulement d’élire mais aussi de rédiger des mandats pour les députés, des sortes de programmes politiques locaux. Toutes sortes de gens essaient alors de rédiger des modèles de cahiers qui circulent, créant donc une première campagne de presse publique. Il s’enclenche un immense mouvement de rédaction, un gigantesque tâtonnement d’écriture, pour lesquels le nombre de journaux et de brochures publiés explose ; cela crée un vaste kaléidoscope d’opinions, forcément contradictoires. C’est du jamais vu.

Répondant à l’effort de la monarchie pour s’auto-réformer, les dizaines de milliers de cahiers de base de 1789 invoquent facilement le patronage du roi mais leur conformisme apparent peut tout aussi bien masquer l’insolence des sujets de Sa Majesté : en célébrant longuement la bonté du roi, en le complimentant à l’excès, il arrive qu’on se paye surtout sa tête : c’est le persiflage, dont le roi, tout absolu qu’il est, et ses dignitaires, ne peuvent jamais vraiment savoir si c’est du lard ou du cochon.

La formation des états généraux s’organise selon un découpage territorial et social archaïque et selon des formes médiévales surannées. Le clergé, représentant de la Divinité, et la noblesse votent à part, et pèsent autant que les 98 % du reste de la population, les roturiers du troisième état (le tiers état). Les élections de ce tiers état se font par paliers successifs, depuis les communautés d’habitants, les paroisses et les corps de métiers des villes, jusqu’à des réunions dans les sièges d’anciennes justices (les baillages et sénéchaussées) où les délégués élus à la base sélectionnent les doléances et s’autosélectionnent, choisissant les députés qui seront finalement élus et partiront pour Versailles.

Les cahiers adoptés à la base sont totalement revus dans les circonscriptions secondaires, où sont sélectionnés les «vrais» députés du tiers état, ainsi «écrémés», avec la formation d’une sorte de front politique, d’une alliance encadrée par de gros notables qui mobilisent ainsi une légitimité écrasante. Cette alliance va s’imposer à une partie des députés des deux ordres privilégiés, le clergé et la noblesse, et permettre, à Versailles, la décision majoritaire de transformer les états en une seule Assemblée nationale constituante. Cette transformation place la monarchie en face d’un interlocuteur imprévu, une Assemblée nationale légitime bien au-delà de l’impôt.

En vérité, cette procédure de sélection des hommes et des doléances est également une expérience politique fondatrice, y compris pour ceux qui ont échoué à se faire entendre. Derrière le succès fondateur du tiers état, qui s’affirme comme étant par lui-même l’immense majorité du pays, une grande partie du «peuple proprement dit» n’a pas eu voix au chapitre. Paysans et artisans de 1789 ont mal maîtrisé les exercices de rédaction et d’adoption des cahiers, mais ils y ont participé de leur mieux. Dans l’élaboration des doléances, leur point de vue antiseigneurial a largement été noyé dans les cahiers primaires et surtout dans ceux des assemblées secondaires. Il n’empêche que ça a été aussi pour eux une formidable école, une expérience fondatrice. En profondeur, à partir de l’adoption des cahiers locaux, l’idée de mettre les revendications par écrit va rester bien vivante pendant les dix années qui suivent : chaque fois que les citoyens s’assembleront, ils auront tendance à reprendre la parole et la plume.

Le succès global de la transformation des états généraux de Versailles en Assemblée nationale et la résistance du pouvoir royal à cette nouvelle autorité légitime expliquent à leur tour la puissance du mouvement populaire d’autodéfense : le 14 juillet à Paris, on s’arme en prenant l’arsenal des Invalides puis celui de la Bastille. Succès et politisation de masse. Comme en écho, en province, surgit alors le gigantesque mouvement dit de la Grande peur: une rumeur omniprésente diffuse la menace d’un ravage imminent des récoltes, d’un péril militaire imprécis mais vécu comme réel; pour y faire face, on improvise des autorités locales, on s’arme ; pour réquisitionner des armes, on fait des raids dans les châteaux, où, déjà, on cherche à détruire les archives seigneuriales. Ce mouvement de municipalisation et d’armement transforme définitivement la situation, prenant le relais des assemblées électives du début 1789. La monarchie absolue est durablement affaiblie en face de l’Assemblée nationale, dont personne ne sait encore si elle peut résister durablement, mais les conséquences vont à leur tour aller au-delà du but politique initial.

Ceux qui commencent à se nommer eux-mêmes des «citoyens» et parfois des «citoyennes» ne conçoivent pas leurs droits politiques comme uniquement liés au vote. Ils tiennent tout autant à porter les armes, un privilège qu’ils sont tout juste en train d’arracher aux nobles en formant leurs propres Gardes nationales, et à leur droit à s’exprimer librement par pétition ou à lire une presse libre… Les débats font rage sur la façon d’organiser les nouvelles autorités. Dans le cas de Paris, les 60 districts qui avaient été les structures électorales de 1789 se transforment en assemblées permanentes qui débattent à l’infini des limites que les citoyens veulent mettre aux pouvoirs de la future municipalité parisienne. C’est là qu’on peut repérer le premier débat moderne sur le mandat impératif et la révocabilité des élus. Mais, dans le même temps, les membres de l’Assemblée constituante décident d’abandonner la totalité des mandats impératifs qu’ils avaient reçus de leurs défunts ordres, provinces ou de leurs villes d’élection, afin de discuter librement de la refonte de toutes les institutions.

L’Assemblée débat d’abord, dans ce cadre, de la façon de maîtriser les nouvelles structures spontanées, municipalités et garde nationale, dont elle va organiser le remplacement lors de procédures électorales organisées au long de 1790. C’est délibérément que la Constituante généralise alors l’élection comme mode d’accès à toutes les fonctions publiques, avec des mandats très courts de deux ans maximum, ce qui restera la norme jusqu’à la fin de la décennie, mais ne fait aucune place au mandat impératif ou à la révocabilité des élus.

Pour ces élections [1], la procédure qui a permis la formation des états généraux reste logiquement le modèle de référence: elle seule a permis de réunir plusieurs millions de votants dans une cinquantaine de milliers d’assemblées élémentaires. Sur ce modèle, des assemblées municipales mais aussi cantonales délibéreront puis éliront en leur sein ceux qui vont les administrer, mais aussi ceux qui vont se réunir à leur tour en assemblées électorales secondaires et choisir finalement les administrations des 560 districts et des 83 départements, ainsi que, dans le futur, les députés. Dans cette logique, pour chaque élection, pour chaque vote, les citoyens continueront à s’assembler à un niveau donné : municipal, ou par section dans les grandes communes, et cantonal pour les élections politiques. C’est l’invention de ce que nous appelons la démocratie locale, en 1789-1790.

À cette époque, presque personne ne pense qu’il soit possible de voter autrement que dans une assemblée de voisins, au village ou dans un quartier urbain, donc dans des réunions qui prennent au minimum une journée entière. Il faut bien sûr pouvoir consacrer du temps à cette succession pyramidale d’élections, ce qui a tendance à sélectionner des élus plus disponibles parce que plus riches ou plus instruits. Ce cadre est pourtant celui d’une égalité juridique qui, précisément parce qu’elle est radicalement nouvelle, n’est pas que formelle. Adopter, par exemple, le simple ordre alphabétique des noms (ou des prénoms !) pour établir la liste des citoyens assemblés paraîtrait banal de nos jours mais, à l’époque, cela permet de refuser l’ordre de préséance de l’Ancien régime et donc ses privilèges. L’égalité juridique n’abolit pas les inégalités sociales, mais tenir ces réunions de citoyens, c’est réellement, à chaque fois, «mettre en scène[2]» leur citoyenneté récente, autour des choix à faire.

Ces réunions sont une force du système et, surtout en période de forte participation, une formidable école. Pour que les assemblées de citoyens parviennent à se tenir, il faut que les participants arrivent à maîtriser les contradictions qui les divisent, affrontements religieux ou antagonismes sociaux. Sinon elles explosent, au sens strict. Elles doivent donc, simultanément, traiter de toutes sortes de questions qui les impliquent à fond mais aussi respecter un rituel collectif, garant d’un minimum de consensus et de légitimité. Elles sont donc de véritables écoles politiques, à une échelle jusque-là inconnue, en même temps qu’elles procurent un auditoire régulier à tous ceux qui ont un message à transmettre. À l’échelle de tout le pays, ce réseau des assemblées cantonales, municipales et de sections urbaines est bien plus dense que celui des clubs et sociétés politiques qui se créent par ailleurs.

En pratique, des institutions élues par la base fonctionneront de façon à peu près constante de 1789 à 1799, des assemblées de citoyens se réuniront pendant presque dix années, une expérience en tous points exceptionnelle, et les différents moments du «retour à l’ordre» seront eux aussi scandés par des votes, devenus la norme de la légitimation. On doit tenir compte de la puissance de cette vie collective si on veut comprendre comment la mobilisation des foules révolutionnaires a pu durer si longtemps, mais aussi comment cette première expérience démocratique de masse a pu transformer la conscience collective.

On élit donc toutes les administrations des municipalités, cantons, districts, départements, mais aussi tous les juges de tous les niveaux, les directeurs des postes et les commissaires de police, tous les grades de la Garde nationale jusqu’au rang de colonel, aussi bien que les syndics des gens de mer… Au-delà des élections municipales, où les nouveaux citoyens mais aussi parfois les veuves peuvent voter directement s’ils payent un impôt direct de la valeur de trois journées de travail, les élections politiques ont lieu dans des assemblées primaires, cantonales, où on ne trouve plus que les citoyens actifs mâles, qui doivent se réunir au chef-lieu, ce qui prend nécessairement au moins une journée. Ils y délibèrent sur les affaires communes, élisent leurs juges de paix et choisissent des électeurs (que nous dirions «secondaires»). À leur tour, ces électeurs sont chargés de se réunir, au département et au district, pour y procéder aux élections administratives et politiques.

Ces élections systématiques de peut-être un million de fonctionnaires publics rappellent ce qui se pratique alors dans les 13 colonies américaines qui viennent de former les États-Unis, mais à une tout autre échelle. Couronnant le nouveau réseau d’autorités élues et la généralisation du droit de porter les armes, il s’organise un mouvement de fédération : des délégations des nouvelles Gardes nationales se forment dans tous les départements et finissent par se rassembler à Paris, le 14 juillet 1790, pour célébrer le premier anniversaire de la prise de la Bastille.

Le droit de vote s’étend aussi à la nomination des nouveaux curés et évêques. Vu le rôle majeur du clergé dans la société de l’époque, le fait que les fidèles choisissent eux-mêmes ces nouveaux desservants n’est absolument pas anodin et instaure une réelle capacité de contrôle. Les catholiques traditionalistes ne s’y trompent pas et cette réforme débouche sur une scission (un schisme) entre les catholiques qui acceptent le nouveau régime de constitution civile du clergé et les adversaires de tout changement, fidèles à l’autorité du Pape.

En face de cette extension vertigineuse du système électoral, il n’existe encore aucune offre politique standardisée qui soit pareillement comprise de tous, rien qui ressemble à des «partis». Les journaux et pamphlets tentent d’influer, mais leurs tirages sont techniquement limités et ils ont tendance à se recopier ! De plus, quand il s’agit d’élire, l’idée même de candidature est franchement suspecte : la conception admise est que celui qui convoite une place prouve par là même qu’il en est indigne. L’idée maîtresse, d’origine religieuse, est qu’au niveau d’une assemblée de voisins, chacun sait, en son for intérieur, qui mériterait d’être élu. C’est pourquoi, dès 1789, les élections se font sans candidatures. On vote d’abord totalement au hasard (et chacun peut voter pour soi !), puis de même pour le second tour. S’il n’y a pas eu de majorité absolue, on organise alors un troisième tour, un ballottage limité aux deux candidats arrivés en tête du second tour.

Le système de vote en assemblées permet en pratique la cohabitation de deux orientations qui s’opposent plus ou moins sourdement au long des dix années de Révolution : en effet, la culture politique mathématisée qui est la nôtre n’existe absolument pas encore à cette époque. Des exigences aujourd’hui élémentaires comme de connaître les pourcentages de participation ou la répartition des voix lors de chaque vote ne sont pas même envisagées. Le point fondamental est la bonne tenue, paisible, de l’assemblée municipale, primaire ou électorale, dont d’ailleurs les listes, décomptes de voix, bulletins et autres instruments du vote sont le plus souvent brûlés à l’issue de la réunion. L’assemblée des libres citoyens crée de la légitimité en délibérant librement, et pas en remplissant des critères quantifiés. Les votes sont la façon technique de connaître les choix mais leur légitimité est celle des citoyens réunis.

De ce fait, cette légitimation se dédouble elle-même : les citoyens une fois librement assemblés doivent-ils se borner à élire, ou bien peuvent-ils aussi exercer leur droit de délibérer sur les sujets de leur choix ? Les élites conçoivent ce débat comme celui entre la représentation et la démocratie, mais il a une réalité très pratique et ne cessera jamais vraiment pendant les dix ans de révolution, battant son plein pendant les étés de 1792 et de 1793, lorsque les exigences sociales liées à la redistribution de la production agricole commenceront de s’exprimer dans les institutions politiques. L’expérimentation, entre 1790 et 1794, du vote en assemblée de citoyens n’est donc jamais éloignée de ce que nous appelons démocratie directe. La population peut essayer de s’exprimer dans ces assises locales et la généralisation de cette pratique permettra les premiers exercices du vote populaire direct (nous disons le référendum) entre 1792 et l’été 1793.

Si on compare le système électoral créé au début de la Révolution avec nos pratiques d’aujourd’hui, on constate que les assemblées de citoyens ont combiné l’exercice de plusieurs types de droits que nous pratiquons désormais dans des domaines séparés : non seulement le droit d’élire (alors beaucoup plus étendu et fréquent) mais le droit d’association (les citoyens assemblés s’associent pour exercer leur portion de souveraineté) et le droit de pétition (ils adoptent toutes sortes de vœux), sans parler du droit de porter les armes (dans la Garde nationale) qui fait figure de garantie supplémentaire. Fréquence des votes, droit de délibérer en assemblées de base, brièveté des mandats, organisation militaire citoyenne : il y a une étrange proximité avec ce que nous pouvons imaginer comme une démocratie directe. Ces pratiques ont en tout cas des effets politiques immenses. Même après la décapitation des mouvements populaires, en 1794-1795, la période dite du Directoire restera dans ce cadre électoral et verra les premiers essais d’un régime de démocratie représentative limitée, en 1795-1799. Et même Bonaparte, après son coup d’État de décembre 1799, devra encore avoir recours en 1800 à un plébiscite, truqué mais décisif.

  1. Contradictions, reculs et avancées

 La généralisation des élections s’est faite dans l’enthousiasme du grand mouvement populaire de 1789 mais en masquant une contradiction fondamentale. L’Assemblée constituante ne se considère nullement comme formée de démocrates chargés de mandats impératifs mais comme un collectif de représentants du peuple, investis des pleins pouvoirs. Elle se donne donc du mal pour annuler les mandats par lesquels les assemblées locales de 1789 avaient tenté de protéger les anciens privilèges des provinces, villes et corporations. Il s’agit pour l’Assemblée de construire un régime purement représentatif, c’est-à-dire où les citoyens auront comme tâche principale de choisir leurs représentants et où ces derniers auront toute la responsabilité du pouvoir, avec un roi ou bien, éventuellement, sans. Toutes les élections autres que celles de ces députés sont donc conçues comme des gestes administratifs, indispensables, mais pas comme des lieux de délibération populaire. Il n’est pas question de créer un régime où l’Assemblée des législateurs recevrait ses ordres des assemblées de citoyens. Une fois que les députés sont élus, les citoyens leur doivent un respect religieux.

Pour conforter ce monopole politique des représentants, d’importantes mesures visent à limiter l’autonomie des assemblées de citoyens, des municipalités et des unités de la Garde nationale. Il s’agit par exemple du remodelage complet de l’organisation de la ville de Paris qui, de 60 districts passe à 48 sections, supposées être essentiellement administratives – mais qui, au contraire, deviendront des lieux de forte participation populaire et de radicalisation. Il s’agit par exemple de n’accorder le droit de vote qu’à ceux qui paient en impositions au moins l’équivalent local de trois journées de travail. Cette limitation exclurait une bonne partie des journaliers, compagnons, petits paysans et artisans – mais la mesure s’avère une marque de faiblesse car elle oblige les assemblées de base à discuter longuement du détail de ces exclusions, traitées publiquement, et donc à souligner les limites mises aux droits des citoyens «non actifs».

En réalité, l’existence du réseau des assemblées de citoyens est largement contradictoire avec le principe de la représentation et rend moins efficaces les lois qui, par exemple, interdisent aux citoyens de s’associer selon leurs métiers ou leurs professions (lois Le Chapelier). Si les lettrés qui ont lu Jean-Jacques Rousseau protestent contre la toute-puissance donnée à la représentation, dans l’ambiance évidemment chaotique d’une grande révolution populaire, le droit qu’ont les citoyens de s’assembler régulièrement dans les localités fait plus que contrebalancer les interdictions qui leur sont faites. Le projet d’exiger le paiement d’un impôt majoré (le marc d’argent) pour accéder aux fonctions d’électeur secondaire se heurte à une opposition démocratique résumée dans un grand discours de Robespierre : la mesure, adoptée, ne sera jamais appliquée.

L’exercice des droits de citoyens dans la Garde nationale contamine progressivement la vieille armée royale. Les soldats des régiments de ligne, les équipages de la flotte et les ouvriers des arsenaux commencent à revendiquer pour eux-mêmes la fin des châtiments corporels arbitraires, le contrôle des caisses régimentaires, ou le droit à l’avancement pour les non-nobles. Leurs protestations collectives sont durement réprimées: condamnation à des coups de plat de sabre, flagellation, travaux forcés, voire intervention d’autres unités, avec fusillades et pendaisons. Ceci entraîne l’action solidaire de comités de patriotes. Dans le même temps, et puisqu’on remet en question leur autorité, beaucoup d’officiers supérieurs nobles commencent à émigrer. Pour la masse des sous-officiers et soldats, il apparaît enfin imaginable d’être traité humainement et promu selon son mérite, et non selon son origine. Travaillée par ces conflits, l’armée royale ne sera bientôt plus en mesure d’agir comme force de maintien de l’ordre. Le vieux monde part en lambeaux avec son armée et la reconstruction d’une force publique prendra du temps.

Au-delà de la réalité des assemblées de base et de la pyramide des élections, le pays est très vaste: l’idée de consulter directement tous les citoyens reste encore abstraite. Elle est posée dès 1790 par de petits groupes de radicaux, en particulier au club des Cordeliers à Paris, en vue de peser sur la rédaction de la Constitution, mais sans beaucoup d’écho. Pour la masse de la population, ce qui a été acquis comme transformations est déjà extraordinaire : les citoyens font donc preuve d’une grande patience en attendant que leur sort s’améliore vraiment. Des questions aussi fondamentales que le contrôle du prix du pain sont débattues dans les assemblées de citoyens, mais toujours en balance avec la crainte d’un retour de l’absolutisme, d’une revanche du roi et des seigneurs comme il y en a tant eu dans le passé. Dans ces conditions, il n’est pas évident d’aller mettre la pression sur les élus du peuple. Mais le pouvoir royal, lui, accepte de moins en moins de coopérer avec l’Assemblée, et empêche tout compromis qui pourrait stabiliser la monarchie.

Le roi et la reine gardent des liaisons secrètes avec les autres cours d’Europe. En juin 1791, leur tentative de rejoindre l’armée de l’Est est un cruel révélateur. Clairement, l’échec de cette fuite du roi est dû à la mobilisation des patriotes et des institutions révolutionnaires de base, les municipalités et surtout les gardes nationales qui se mobilisent au long des routes, et neutralisent les unités d’élite de hussards… pour finir par ramener le roi, bien piteux, à Paris. Une avant-garde politique de militants républicains exige à ce moment la déchéance du roi mais l’Assemblée est décidée à sauver la monarchie : les pétitionnaires qui se rassemblent au Champ de Mars se font fusiller à bout portant par la garde nationale parisienne (17 juillet 1791). Une vague de répression s’étend dans les villes, les casernes, la flotte…

La royauté, maintenue à grand-peine, refuse tout compromis. La nouvelle Assemblée, la Législative, élue en septembre 1791, se réunit le 1er octobre mais n’a pas l’autorité de la Constituante. Elle devient le jouet de la Cour qui a adopté la « politique du pire » : déclencher au plus vite la guerre dans le but que l’armée se décompose une bonne fois pour toutes, afin que, avec l’appui militaire des souverains européens, le roi puisse enfin recouvrer l’intégralité de ses pouvoirs. Dans un enthousiasme trompeur, la Législative vote une déclaration de guerre aux puissances continentales (avril 1792), malgré l’opposition désespérée d’un Robespierre, presque seul à en signaler les risques politiques. La désorganisation de l’armée apparaît dès les premiers combats du printemps, tous désastreux. L’invasion est en marche.

Pourtant, l’accumulation d’expérience politique dans les assemblées locales a continué pendant toute cette époque. Dans les sections urbaines, dans les communes et les cantons, et même dans les administrations des districts, de plus en plus de questions sociales et politiques viennent en débat : il devient bien difficile de faire taire les citoyens alors que le roi, malgré tous ses serments, s’appuie sur les autres monarques. Du printemps 1791 à l’été 1792, l’idée répandue que Louis XVI est un mauvais souverain se double progressivement d’une autre, plus générale: la monarchie est-elle encore un régime admissible? Et, si ce n’est pas le cas, qui pourrait être un meilleur souverain que le peuple lui-même ? Se réunir et voter en assemblées de citoyens est devenu de moins en moins une modalité technique et importe de plus en plus politiquement aux intéressés, comme leur droit de pétitionner ou leur organisation dans la Garde nationale. La capacité qu’a eue ce peuple, depuis 1789, de se réunir régulièrement prouve bien qu’il existe collectivement.

  1. Une révolution mise en permanence

À l’été 1792, les armées ennemies pénètrent de toutes parts sur le territoire, et leurs chefs menacent Paris et les Parisiens d’une destruction exemplaire. Cette menace est on ne peut plus concrète. Dans le même temps, toujours à l’approche des moissons, des actions paysannes spontanées se déclenchent contre les droits seigneuriaux, pendant que se multiplient les saisies de convois de grains pour assurer le ravitaillement à bas prix, la taxation populaire. En réponse à ces menaces, le 10 août 1792, une insurrection organisée par des sections parisiennes, des patriotes et des sans-culottes force la Législative à «suspendre» les pouvoirs du roi. C’est la « seconde révolution » qui scelle le sort de la monarchie. La Législative se met en sursis en convoquant les assemblées primaires pour le 26 août, afin de réunir au plus tôt les assemblées électorales départementales qui éliront une Convention, une assemblée munie des pleins pouvoirs pour régler le sort du roi et rédiger une nouvelle Constitution.

Entre août et novembre 1792, alors que tombent les obstacles mis à la participation des citoyens les plus pauvres, les assemblées primaires et électorales se réunissent à plusieurs reprises pour renouveler d’abord l’Assemblée nationale, en élisant la Convention, puis finalement toutes les administrations. Les assemblées de citoyens en profitent pour délibérer sur ce que doit être le nouveau régime. On peut dater de ce moment, avec les allers-retours entre assemblées primaires et électorales, une montée spectaculaire des pratiques de ce qu’on appelle alors la démocratie, une démocratie «tout court» qui n’est conçue ni comme «directe» ni comme «réelle» mais comme un pouvoir délibératif exercé directement par le peuple proprement dit.

Ce ne sont pas seulement les 48 sections de Paris qui connaissent cette radicalisation démocratique. Si le nombre de sociétés et de clubs populaires augmente sur tout le territoire, ce sont les électeurs, délégués des citoyens, qui font la navette entre leurs assemblées. Ces électeurs secondaires ne sont d’ailleurs plus tout à fait les mêmes que les années précédentes. Les artisans et petit paysans y sont plus nombreux, plus exigeants, et ils essaient de peser. Beaucoup viennent de localités où ont lieu des manifestations armées pour la liquidation des droits seigneuriaux ou bien la taxation des prix du pain et des farines. Désormais, la question de leur prix maximum se pose crûment.

Cette angoisse du ravitaillement, la peur devant l’invasion, la crise de représentation que crée l’effacement de la Législative et la mise en place de la Convention poussent à l’auto-organisation, à la mise en permanence des assemblées de citoyens, et aussi à prendre des mesures spontanées pour terroriser les adversaires, et même pour les exterminer : à Paris, entre le 2 et le 6 septembre 1792, les militants sectionnaires entreprennent de «vider» les prisons avant de partir aux frontières ; ils jugent sommairement et massacrent une bonne partie des détenus. Le risque de voir se répéter ces actes de «terreur populaire» va obséder la Convention dès sa réunion.

Dans les grands départements agricoles qui nourrissent Paris et les armées, les assemblées connaissent des discussions acharnées où se confrontent les intérêts des salariés et artisans, des vignerons, des petits et grands exploitants agricoles… Tous ceux qui ont besoin d’acheter leur blé, ou qui en produisent pour eux-mêmes, ou sont de petits vendeurs, ne s’opposent plus seulement aux seigneurs mais désormais aussi aux grands fermiers capitalistes qui dominent ces régions, monopolisent les terres, fixent les salaires et les prix. En d’autres termes, le cadre unitaire du tiers état, formé en 1789 contre les privilégiés, est en train de voler en éclats, non plus dans les quelques grandes villes mais dans l’immensité du pays rural.

Dans les assemblées de Seine-et-Oise[3], le vaste département céréalier qui entoure Paris, les revendications classiques sur le prix du pain, mais aussi sur la dimension des grandes fermes, commencent à se combiner avec des motions pour l’abolition de la monarchie et pour des projets proprement démocratiques [4]. Le 17 septembre, Pierre Dolivier, curé d’Auvers, près d’Étampes, un militant radical relativement connu, propose d’imposer dans la nouvelle Constitution que soit organisée une discussion nationale sur chaque loi nouvelle[5]. Sa proposition amplifie les demandes des radicaux parisiens ; elle suppose un contrôle des assemblées locales sur l’action des députés et l’adoption du mandat impératif. La proposition de Dolivier est repoussée mais elle n’est plus un cas isolé : au même moment, Babeuf argumente pareillement devant l’assemblée électorale de la Somme[6].

Finalement, l’assemblée de Seine-et-Oise élabore une Adresse à la Convention, une sorte de programme qui combine la défense des intérêts des artisans et salariés, en fixant une proportion entre le prix du pain et celui de la journée de travail, avec les revendications des paysans moyens et pauvres, en limitant la taille des grandes fermes. Avec ses propositions de contrôle populaire, l’Adresse des élus de Seine-et-Oise, présentée le 15 novembre 1792 à la Convention résonne moins comme un appui que comme une menace : «Ne vous effrayez point […] ce ne sont pas les vérités mises au jour qui font les révolutions, ce sont celles que l’on étouffe»… L’Assemblée va rejeter en bloc cette Adresse. Face aux revendications qui remontent de partout, il lui importe de protéger le rôle central du Parlement et de casser toute logique alternative fondée sur les assemblées locales de citoyens. Mais l’Adresse[7] témoigne de la profonde radicalisation sociale en cours et de l’élaboration progressive des alliances politiques qui vont devenir indispensables.

La Convention, assemblée depuis le 21 septembre 1792, a logiquement décidé l’abolition de la monarchie. Elle a appris à ce moment que, pour la première fois, à Valmy, l’armée nouvelle avait été capable de subir la canonnade ennemie et de ne pas s’enfuir. Il est donc possible de combiner l’expérience des culs blancs, des vieilles troupes royales, avec le patriotisme des bleus, les volontaires issus de la Garde nationale. Ce début de stabilisation, qu’on sait provisoire, donne un peu de temps à la Convention. Former une République dans un pays de 25 à 30 millions d’habitants, c’est pour elle sauter dans l’inconnu, même si elle a été élue pour rédiger la Constitution de cette République de taille inédite, et donc pour se débarrasser du roi. Cette dernière tâche l’occupe de la fin de l’année 1792 jusqu’en janvier 1793 mais, d’emblée, la Convention rend un hommage (peut-être involontaire) à la maturité politique acquise par les assemblées de citoyens en décidant, par un décret d’octobre 1792, que tous les votes se feront désormais à deux et non plus trois tours de scrutin. Cette simplification technique signifie aussi que l’espace politique s’est simplifié, et ce mode de scrutin va rester la règle.

  1. La troisième révolution et l’idée du «référendum»

 Les membres de la Convention connaissent parfaitement l’activité multiforme des assemblées de citoyens de l’été 1792, puisqu’ils y ont été élus. En fait, ils sont confrontés à une situation inédite où le peuple agit déjà comme le Souverain, mais doivent désormais définir ce que vont être ses pouvoirs. La question est d’emblée en débat, dans des décisions encore tâtonnantes. L’idée de ce que nous appelons « référendum » apparaît immédiatement avec le projet encore vague de soumettre la future Constitution au suffrage populaire, et des mises en pratique partielles surviennent simultanément, avec des votes populaires directs pour sanctionner, fin 1792 et début 1793, la réunion à la France d’une série de territoires frontaliers qui n’en faisaient pas partie.

Il est également question d’un vote de ce genre, mais national, lorsqu’un vif débat a lieu pour savoir si le verdict à rendre sur le sort du roi sera ou non soumis au vote des assemblées primaires. Les députés hésitent, comprenant bien que cette consultation ouvrirait la voie à d’autres, mais ignorant surtout quels seraient les résultats d’une sanction populaire de la décision qu’ils vont rendre sur le sort du roi. Ils savent bien que si les monarques européens gagnent la guerre, chaque député sera tenu pour personnellement responsable de son vote et que les ennemis pendront tout simplement ceux qui auront mal voté. Mais la majorité des conventionnels refusent pourtant de renvoyer aux assemblées primaires la sanction de la décision qu’ils vont prendre.

Le roi, condamné pour haute trahison, est exécuté le 21 janvier 1793. Par ce choix, la majorité des membres de la Convention assument leur statut de représentants. Ils fondent, d’une certaine façon, la légitimité politique de la bourgeoisie française. En face de ce choix, les monarques européens ne peuvent plus transiger : la guerre prend un caractère inexpiable, qui va diviser encore plus la Convention. Celle-ci tente de reconstruire un appareil d’État et une armée largement démembrés mais continue aussi à conforter sa légitimité en multipliant les recours au vote direct des citoyens, des votes qui en fait aiguisent à leur tour les contradictions d’un régime encore très faible.

La Convention décide ainsi, en février 1793, l’amalgame des unités issues de l’ancienne armée avec celles formées des volontaires de la Garde nationale mais elle doit, pour conserver l’adhésion de ces volontaires, généraliser l’usage du vote pour l’avancement. Cette pratique de l’avancement selon un mérite reconnu par le vote des soldats, depuis les caporaux jusqu’au grade de colonel, réserve quand même un tiers des postes à l’ancienneté. Il se révélera durablement efficace mais, en réponse, les officiers supérieurs désertent massivement. Dumouriez, commandant en chef en Belgique, passe à l’ennemi dans les derniers jours d’avril 1793, avec tout son état-major, en emmenant prisonniers le ministre de la Guerre et les conventionnels qui l’accompagnaient. Les troupes, abandonnées à elles-mêmes, résistent comme elles peuvent, mais la méfiance totale envers les généraux issus de l’ancien régime s’étend désormais à toute l’armée et à tous les patriotes.

Pour renforcer ces armées, un autre décret de février 1793 a décidé la levée de 300 000 hommes, mais donne aux assemblées locales de citoyens concernés le choix de la façon de procéder à cette levée : on pourra soit tirer au sort, soit «élire» les partants. Le principe du volontariat est maintenu mais surtout parce qu’il permet de recourir de façon officieuse à la pratique du «remplacement» des partants, contre une somme d’argent. Cette levée, son recours à un mode de décision très critiquable, les injustices et les inégalités sociales qu’elle accroît entraînent des conflits ouverts dans l’Ouest. Le refus de ce mauvais procédé de recrutement est le point de départ de ce qui va devenir la révolte vendéenne, mais il a été conçu comme une vaste décision démocratique, décentralisée.

Dans le même genre, la Convention crée en mars 1793 des comités de surveillance municipaux, chargés des tâches de police. Ces organes sont formés par élection directe de douze citoyens, dont sont exclus les prêtres, les nobles et leurs agents. Ces comités formeront une autorité locale efficace mais également rivale de celle des municipalités et des gardes nationales. Toutes ces innovations démocratiques, avec leurs improvisations, témoignent des difficultés que la Convention éprouve à gouverner, car ces tâtonnements témoignent aussi de l’émergence, dans son sein, de deux courants politiques qui se cristallisent.

Ce clivage se fait au printemps 1793, non pas tant sur les termes de la future Constitution, qui avance très lentement, que sur les choix sociaux cruciaux imposés par la guerre contre tous les monarques d’Europe. Faut-il, peut-on, mobiliser directement la masse de la population, et gagner ? La Gironde ne le pense pas ; elle veut privilégier la voie diplomatique et convaincre les monarchies européennes de la folie d’une guerre totale, pour éviter des mesures sociales drastiques et leurs conséquences à long terme. La Montagne, au contraire, est prête à appuyer les revendications des sans-culottes parisiens organisés dans leurs sections et, à la campagne, à en finir définitivement avec les droits seigneuriaux pour mobiliser l’ensemble des ruraux. En mai 1793, avec les défaites en Belgique et aux frontières, avec l’extension de la guerre civile dans l’Ouest, aucun compromis n’apparaît plus possible. À nouveau mûrement préparée par une commune insurrectionnelle, avec l’appui de la Montagne, une nouvelle insurrection des sections parisiennes force, le 2 juin 1793, la Convention à exclure le noyau dirigeant des girondins et contraint au ralliement le reste des députés. La «troisième» révolution est enclenchée.

Sous la contrainte de l’insurrection, il se forme dans la Convention une nouvelle majorité, composite mais animée par la Montagne et qui domine un nouvel organe exécutif, le Comité de salut public. Pour la Constitution, il est rapidement admis que le futur régime devra combiner la représentation avec la possibilité pour les citoyens de trancher par eux-mêmes les choix majeurs ou qui les concernent directement. Preuve en est bientôt donnée avec la loi du 10 juin 1793 sur le partage des Communaux. Discutée depuis longtemps, cette loi ouvre, dans sa version finale, le droit de décider des partages par un vote local, ouvert à tous les majeurs domiciliés, hommes et femmes. Si le partage est décidé, il sera égalitaire, avec une parcelle pour chaque habitant de la localité, propriétaire ou non, homme ou femme, majeur ou non[8]. Cette loi du 10 juin est largement diffusée et commentée, d’autant que ce vote d’intérêt local est le premier à admettre explicitement une participation des femmes et que son adoption éclaire à sa façon le projet de Constitution que la Convention adopte le 24 juin 1793 et va cette fois soumettre au vote populaire. 

  1. La Constitution de 1793 et ses critiques

 L’insurrection des 31 mai-2 juin a décidé une partie des cadres girondins à se réfugier en province, d’où ils engagent une virulente campagne contre le coup de force qui a violé l’Assemblée souveraine. Deux légitimités existent donc, sources d’une possible guerre civile. À Paris, une commission issue de la nouvelle majorité élabore une Déclaration des droits et une Constitution, en retravaillant les textes partiels adoptés dans les mois précédents. Ce projet est mené à bien entre le 5 et le 24 juin, une rapidité qui, au milieu d’une actualité multiforme, rend plus difficile la critique.

Ces documents vont être massivement diffusés, comme probablement aucun texte politique ne l’avait été jusque-là. Plusieurs de leurs aspects sont d’un genre unique dans les annales : ainsi la définition des conditions requises pour exercer la citoyenneté, qui est ouverte à tous ceux qui résident sur le territoire et participent à la vie sociale, quelle que soit leur nationalité. L’Acte constitutionnel, lui, reprend des mécanismes très proches de ceux qui existaient déjà depuis 1790, mais transformés par l’élection désormais directe des députés dans des circonscriptions territoriales spécifiques. Le travail des futurs parlementaires, élus pour un an, sera pourtant contrôlé par un mécanisme démocratique, lui aussi direct, puisque les projets de loi élaborés par l’Assemblée seront soumis à l’approbation ou à l’improbation des assemblées primaires. Le système n’organise en réalité que l’improbation pour laquelle les assemblées primaires devront s’autoconvoquer, selon des modalités bien définies, avec des taux de participation exigés pour que leur convocation soit valable comme pour que la validité de leurs votes soit admise. Le schéma adopté articule donc représentation et démocratie avec un sérieux élargissement des droits politiques, dont les femmes restent cependant exclues.

L’Acte constitutionnel de 1793 ne va pas non plus jusqu’à reconnaître les droits sociaux, comme le droit au travail ou à l’assistance pour ceux qui ne peuvent travailler. Le projet de Déclaration des droits élaboré en ce sens par Robespierre n’a pas été retenu mais ce dernier n’insiste plus : après le 2 juin, il s’agit de conserver la nouvelle majorité, trop fragile. Or les militants radicaux parisiens, profondément impliqués dans l’activité politique des sections entre les deux insurrections du 10 août 1792 et du 2 juin 1793, ne veulent rien savoir du tournant politique rapide qui s’est produit. Ils sont poussés en avant par les exigences populaires sur le ravitaillement, à un moment où la voie semble ouverte pour une République démocratique. Ces militants et militantes que nous avons pris l’habitude d’appeler les Enragés, même s’ils ne se désignaient nullement ainsi, ont un vrai rôle d’animation dans les sections de Paris qui s’auto-administrent.

Jacques Roux, Jean Varlet et Théophile Leclerc, ou bien Pauline Léon[9] et Claire Lacombe, sont liés dans une vie politique sectionnaire qui prend toujours plus d’ampleur, avec toute la variété des sociétés qui font le lien entre le club des Cordeliers et la «gauche» de celui des Jacobins. Curé militant de la section des Gravilliers, Roux est également membre de la municipalité parisienne qui l’a délégué à l’exécution du roi, en janvier 1793. Par ailleurs, entre février et mai 1793, s’est constituée la société des Républicaines révolutionnaires, expérience profondément originale d’une association féminine à la fois radicale et implantée dans la population laborieuse. Les enragés ne sont pas un groupe politique constitué mais un réseau de porte-parole. Roux, par exemple, intervient presque toujours en nom collectif et ne dit rien qui n’ait déjà été abondamment discuté dans une ou des sections, dans un ou des clubs ou sociétés. Il est cohérent en cela avec les sectionnaires pour qui la politique, c’est d’abord celle des assemblées de citoyens[10]. Or le mouvement des sections parisiennes exige depuis des mois l’interdiction du commerce de l’argent monnayé, de la spéculation qui joue contre l’assignat, de l’accaparement des denrées qui gêne l’approvisionnement.

Les radicaux ont donc bien d’autres soucis que la Constitution et n’engagent que très tard la bataille sur son contenu, se heurtant alors à forte partie. Le 20 juin, au club des Cordeliers[11], Roux propose d’adjoindre un article à la Déclaration : «La nation protège la liberté du commerce mais elle punit de mort l’agiotage et l’usure». Hébert, procureur de la Commune, l’appuie et propose d’aller chercher le soutien de la Commune. Le 21 juin, Roux demande à cette dernière dans quel chapitre de la Constitution l’agiotage et l’accaparement sont proscrits. «Qu’est-ce que la liberté quand une classe d’hommes peut affamer l’autre ? Qu’est-ce que l’égalité, quand le riche peut par son monopole exercer droit de vie et de mort sur son semblable ?» La Commune applaudit mais passe à l’ordre du jour. Roux revient à la charge devant les Cordeliers le 22 : «Les sangsues de ce bon peuple peuvent toujours boire son sang goutte à goutte à l’ombre de la loi». Appuyé entre autres par Varlet et Leclerc, il obtient la nomination d’une commission qui passe la nuit à produire une pétition pour qu’elle puisse être présentée dès le lendemain à l’Assemblée, car il y a désormais urgence, avant les votes.

La Convention consacre sa séance du 23 juin à l’adoption globale de la Déclaration des droits, avec le défilé des autorités venues l’en féliciter. Pour marquer son horreur de la guerre civile, elle renonce solennellement à la possibilité de recourir aux pouvoirs d’exception de la Loi martiale [12]. Roux et les commissaires demandent alors à présenter leur pétition. Si le texte qu’ils portent est proche de la Déclaration proposée en avril par Robespierre, tout a changé avec le renversement de la Gironde et la formation de la nouvelle majorité. Ils se heurtent à un blocage politique parfaitement délibéré. C’est précisément Robespierre qui intervient pour que la présentation soit reportée à un autre jour, afin que ce jour de fête ne soit pas consacré à des intérêts particuliers mais permette sereinement de scander l’achèvement de la Constitution, puisque le vote d’ensemble des textes est prévu le lendemain, 24 juin, et doit logiquement déboucher sur l’appel au vote des assemblées primaires.

Le 25 juin 1793, Jacques Roux n’intervient donc qu’une fois les textes adoptés, et tout se passe comme si la manœuvre de Robespierre, en retardant son intervention, permettait désormais de présenter Roux comme celui qui veut faire repousser la date de réunion des assemblées primaires et bloquer la procédure démocratique en relançant le débat. D’où un tollé général, une protestation mise en scène contre le prêtre intriguant, le fauteur de troubles, l’agent de l’étranger, celui qui ose comparer défavorablement le nouveau régime à l’ancien. Roux vacille sous la stigmatisation et ses amis semblent encore plus démoralisés. Ces rudes attaques marquent en fait la rupture de l’alliance des radicaux avec la gauche jacobine, qui fait cette fois front avec le reste de l’Assemblée. En demandant des mesures légales contre les spéculateurs, en défendant des principes de redistribution sociale, Roux s’exclut du nouveau cadre majoritaire.

Réunir un vote populaire massif sur la Constitution est l’objectif du jour. Robespierre, en maître tacticien, a utilisé Roux pour conforter la majorité, avec l’appui de Marat. Histoire de mettre les points sur les «i», il réattaque Roux le 28 juin aux Jacobins mais explique son choix politique en produisant une description grinçante de la nouvelle majorité de la Convention, qui ne s’était ralliée en juin que sous la menace de l’insurrection. Puisque les textes adoptés fixent le compromis admis, malheur à ceux qui s’en écarteront, à Roux, qui se suicidera en prison, comme à ceux qui le suivront mais aussi aux girondins récalcitrants.

C’est qu’à ce moment une majorité d’administrations des départements et des municipalités des grandes villes glissent vers l’insurrection en appuyant les dirigeants girondins fugitifs, en se fédérant contre le coup de force parisien. Contre cette réaction «fédéraliste», pour conjurer le risque de guerre civile, la rupture avec les enragés ne suffira pas : la Convention convoque les assemblées primaires par le décret du 27 juin. C’est là une décision politique majeure qui vise à placer l’ensemble des administrations devant leurs responsabilités : accepter ou refuser d’organiser le vote populaire c’est accepter ou refuser allégeance à la nouvelle majorité de la Convention. Pour les membres de cette Assemblée, cette procédure d’un vote direct des assemblées primaires, dans un pays menacé de guerre civile, est un saut dans l’inconnu, un risque à peine calculé. Alors, pour conjurer le péril, pour tenter de s’assurer du vote du pays rural, les députés finiront par adopter le 17 juillet, pendant les votes provinciaux, la grande loi de suppression totale des droits féodaux, une décision retardée depuis 1789 mais qui va avoir à son tour des effets immenses.

  1. Le vote populaire

 Dix mois après la réunion de la Convention, la République est menacée de succomber sous les assauts militaires combinés des monarchies européennes, de la révolte vendéenne et du début d’insurrection girondine. Nous avons vu que l’Assemblée priorise pourtant une riposte politique, celle du «référendum», sans d’ailleurs que ce mot soit utilisé car on parle de vote populaire, précisément pour ne pas le confondre avec des élections. En pratique, le corps électoral s’est élargi lentement depuis août 1792, même s’il reste en principe masculin, passant peut-être de 4 à 5 millions de votants. Mais si les compétences politiques des révolutionnaires sont remarquables, leurs connaissances statistiques ne le sont pas. Des notions devenues aujourd’hui courantes leur sont étrangères, comme notre usage quotidien des pourcentages, notre culture mathématisée qui nous permet de lire directement les taux de participation en regard du nombre d’inscrits, avec les taux d’abstention, significatifs ou non… La Convention ignore d’ailleurs combien d’hommes ont pu bénéficier de l’élargissement du droit de vote et, au-delà d’une réunion paisible des assemblées primaires, elle n’a aucune idée de ce que devrait être statistiquement un «bon» résultat du vote populaire qu’elle a lancé. Elle choisit un procédé politique : par-dessus la tête des administrations départementales, girondines, fédéralistes ou travaillées par les insurgés catholiques et royaux, elle s’adresse aux administrations des 548 districts, des quelque 5 000 cantons et, au-delà, aux 44 000 municipalités ; il s’agit d’isoler la bourgeoisie des capitales provinciales, rebelles.

Le vote populaire de 1793 est organisé du début juillet au début août, alors que les moissons mobilisent toute la population, un travail éreintant et vital. C’est un défi. Sitôt arrivés, les textes sont affichés et proclamés publiquement, dans des cérémonies d’information qui rappellent les pratiques de la royauté. Pourtant, même si une partie des citoyens se contentent d’assister aux proclamations, environ deux millions vont prendre une journée pour aller s’assembler au canton. C’est un succès qui ne sera pas de sitôt dépassé puisque entre 40 % et 45 % des ayants droit se déplacent[13], malgré les travaux. De surcroît, dans une centaine de cantons, des femmes essaient énergiquement de participer à des assemblées dont elles sont théoriquement exclues. Il ne s’agit pas seulement d’un résultat de la radicalisation en cours, à laquelle il serait absurde d’imaginer que des femmes ne participent pas, mais également des contradictions du système : pour beaucoup de gens, le fait de payer l’impôt conditionne encore l’exercice de la citoyenneté, comme en 1789-1792 ; les femmes, du moins quand elles sont veuves (et selon la démographie de l’époque, les veuves sont nombreuses) sont censées payer l’impôt. Or les municipalités craignent que, si on leur refuse le droit de vote, en particulier sur les questions locales, elles ne refusent de cotiser. Surtout, malgré le fait que les témoignages sont rarement ceux des femmes elles-mêmes, on comprend qu’il s’agit pour elles de démontrer qu’elles peuvent parfaitement s’assembler paisiblement, participer aux assemblées sans causer aucun trouble, qu’elles sont, comme nous le dirions, politiquement «responsables».

Réfléchir à cette présence des femmes, attestée par des documents dont elles sont rarement les auteurs, est une bonne introduction à la lecture des procès-verbaux des assemblées primaires[14] de l’été 1793. Sollicitées de donner leur vœu sur la Déclaration des droits et la Constitution, beaucoup d’assemblées tentent et parfois réussissent à s’accorder également sur des vœux, au pluriel, en fait des demandes qui sonnent, quatre ans plus tard, comme de nouveaux cahiers de doléances, ou des pétitions de masse émises par le Souverain : «Ce que nous pensons, ce que nous voulons». Il n’y a pas d’homogénéité politique ou sociale des vœux de l’été 1793, mais cette procédure largement improvisée témoigne de la puissance délibérative d’un peuple assemblé.

Les assemblées primaires s’emparent également de l’article du décret qui leur prescrit de choisir un citoyen qui sera envoyé porter directement leur vœu à Paris. Des centaines en profitent pour le charger de leurs vœux particuliers. Ces milliers d’envoyés de l’été 1793, véritables hommes de confiance des assemblées de citoyens, se rassemblent dans la capitale début août. Ils sont les élus récents, directs et nombreux d’un peuple qui avait élu, une longue année plus tôt et au suffrage indirect, une Assemblée aux effectifs limités et qui a déjà dû être épurée par la force. On comprend la méfiance dont la Convention entourera les envoyés.

  1. Deux représentations face à face

 Lorsque les délégations des assemblées primaires parisiennes viennent informer la représentation nationale de leur vote d’adoption, il est de plus en plus question d’une présence directe d’un Peuple-souverain. Le 3 juillet, alors qu’une délégation de Bondy se présente, le député radical Billaud-Varenne souligne que «les citoyens qui sont ici faisant acte du souverain, je demande qu’ils soient reçus dans l’intérieur de la salle». Les jours suivants, ces délégations viennent se placer dans l’espace réservé aux députés. Le 8 juillet, le montagnard Levasseur demande l’admission d’une délégation de Versailles-hors-les-murs[15] et « que toute discussion finisse jusqu’à ce que le Souverain qui est ici soit entendu (murmures dans la salle)… J’ai voulu dire “membres du souverain”», rectifie Levasseur qui cherche à limiter son propos : signaler que le Souverain s’exprime directement en face de la Convention, c’est souligner que cette dernière est désormais en sursis, en attendant qu’une autre Assemblée soit élue.

Un des animateurs des enragés, Varlet, intègre de son côté les envoyés dans la vision démocratique radicale de sa Déclaration solennelle des droits de l’homme dans l’état social [16] dont la version finale s’adresse directement à eux. Varlet y propose (art. 23) aux envoyés de faire connaître les propositions de leurs assemblées primaires : «Lorsqu’une nation souveraine se constitue en état social, ses diverses sections envoient des députés revêtus de mandats explicatifs ; rassemblés en commun, ces fondés de pouvoir développent les intentions de leurs commettants, leur font des propositions de lois ; si la majorité les accepte, ces conventions forment un ensemble, nommé le contrat social.» Et, art. 24 : «Les lois sont l’expression de la volonté générale : cette volonté ne peut se connaître qu’en rapprochant, comparant, recensant les vœux partiels qu’émettent par sections les citoyens réunis en assemblées souveraines.»

 L’enragé Varlet présente les envoyés comme des fondés de pouvoir, dépositaires d’une autorité émanée des assemblées primaires souveraines mais, au même moment, Jacques Roux, autre enragé qui a critiqué une Constitution qui ne protège que les riches, subit un véritable harcèlement judiciaire. L’isolement des enragés s’accroît encore après l’assassinat, le 13 juillet, de Marat qui les avait durement attaqués. Roux et Leclerc, menacés, tentent séparément de donner des suites au journal de l’Ami du Peuple. Roux diffuse des appels virulents à faire de l’anniversaire du 10 août le tombeau des accapareurs et des concussionnaires, projet qui peut être compris comme celui d’assassinats en masse dans les prisons et évoque donc pour la Convention les très mauvais souvenirs de septembre 1792. Leclerc, de son côté, martèle les mises en garde contre le danger de la dictature, celle dont Danton vient de proposer d’investir le Comité de salut public[17]. Les enragés sont l’objet de menaces de plus en plus précises mais seul Varlet semble à ce moment tenter de s’appuyer sur les envoyés.

Le 10 août 1793, les envoyés jouent un rôle central lors de la grande cérémonie qui marque l’achèvement du vote populaire, parvenant à modifier à leur profit le programme conçu par le peintre David. Ce succès ne les incite nullement à se séparer. Leur réunion à Paris apparaît bien comme une sorte de seconde représentation de la Nation, directe, nombreuse et récente. L’Assemblée et ses comités prennent les plus grandes précautions pour surveiller, encadrer et influencer la masse des envoyés. Leurs discussions avec les militants parisiens, dans le fourmillement des sociétés, clubs et sections, finissent par modifier les termes du débat public. Deux thèmes politiques majeurs et durables naissent de ces discussions : la «Levée en masse du peuple français» et la «Mise à l’ordre du jour de la Terreur». Contrainte et forcée, l’Assemblée accepte ces termes mais veille à ne jamais perdre la maîtrise des décisions pratiques.

Le compromis autour duquel s’était formée, début juin, la nouvelle majorité parlementaire, supposait explicitement que la Convention se sépare dès sa tâche accomplie et la Constitution adoptée. Après la cérémonie du 10 août, beaucoup de députés souhaitent effectivement rentrer chez eux mais tout se passe comme si le Comité de salut public, où Robespierre a été élu le 27 juillet, doutait du niveau d’approbation et de légitimité recueillies par la Constitution. Le total de quelque deux millions de votes, établi le 20 août par la commission qui les centralise, paraît très inférieur à ce qui était espéré. Le Comité de salut public préfère ne pas publier ce total, dont il ne comprend pas qu’il est un succès. Ce relevé est enfermé avec l’Acte constitutionnel, dans une Arche d’alliance symboliquement placée au-dessus de la tribune de l’Assemblée. Le vote a pourtant permis de renforcer la légitimité de la Convention, qui élit un Comité de salut public chargé désormais de faire face aux différents périls militaires.

  1. Du succès politique aux mesures de mobilisation

 Si les monarchies européennes restent militairement prudentes depuis leurs échecs de l’été 1792, elles n’en sont pas moins à l’offensive. Elles ont reconquis la Belgique en mai 1793 et occupent toute une partie nord du territoire français, tout en marquant des points dans les Pyrénées et les Alpes. Le meurtre de Marat, le 13 juillet, fait craindre la multiplication d’assassinats «terroristes» organisés par les girondins, alors qu’une série de mouvements sectionnaires, bien encadrés dans plusieurs grandes villes fédéralisée contre Paris, tournent à la contre-révolution. Le Comité de salut public prépare donc activement la campagne militaire qui s’avère nécessaire pour reprendre Lyon, Marseille et le grand port militaire de Toulon, qui a entre-temps été livré à la flotte anglaise, sans compter d’autres accrochages qui ne nous semblent mineurs qu’avec le recul du temps.

Enfin, et peut-être surtout, l’été 1793 est le moment où l’insurrection vendéenne représente le danger stratégique maximal. Paroisse par paroisse, ses «compagnies» ont élu elles aussi leurs «capitaines» et recruté des officiers nobles. Elles passent très vite d’une activité de partisans à des raids sur les villes du bocage, puis à une offensive de grand style. L’Armée catholique et royale a pris Angers et tente fin juin de prendre Nantes. Victorieuse à Torfou, puis défaite à Cholet, cette armée passera la Loire le 18 octobre pour essayer de s’emparer d’un port breton qu’elle puisse ouvrir aux Anglais et aux nobles dont elle besoin pour s’organiser… La menace est plus que sérieuse mais, traînant à sa suite une foule de non-combattants, l’armée vendéenne divague en Bretagne, pillant pour se nourrir, ce qui mobilise contre elle les populations des zones côtières pour qui l’Anglais reste l’adversaire traditionnel. Les troupes républicaines sont donc sans cesse renforcées par l’afflux de gardes nationales[18].

Mais l’écrasement des Vendéens et la reprise des grandes villes du sud ne surviendront que plus tard : au lendemain du 10 août 1793, au moment où le Comité de salut public et la Convention doivent décider ou non de fixer les dates des nouvelles élections et de leur propre séparation, toutes les menaces militaires sont bien réelles et se combinent. La loi antiféodale du 17 juillet, la réussite du référendum comme processus politique novateur et le caractère démocratique de la Constitution qu’il a entériné ont permis de rassembler une majorité et d’isoler durablement les élites provinciales. Si le Grand comité ne comprend pas le sens des chiffres des votes, les excellents juristes qui siègent à la Convention comprennent fort bien que les milliers d’envoyés, avec leurs milliers de vœux, sont symptomatiques de la façon dont peut évoluer, à chaud, l’équilibre entre représentation et démocratie, du moins si on passe à l’application de la Constitution adoptée par le peuple.

Dans ce que les républicains appelleront ensuite, pudiquement, ces «circonstances», non seulement les résultats du vote ne sont pas publiés mais décision est prise de ne pas mettre immédiatement en activité la Constitution : les nouvelles élections municipales prévues sont suspendues et, pour plus de sûreté, les envoyés eux-mêmes sont envoyés se rendre utiles dans leurs cantons. Sans que jamais soit adopté le principe d’une dictature «à la romaine», le choix est fait d’aller vers un régime provisoire d’extrême recentralisation, capable d’impulser et d’organiser la mobilisation par la Levée en masse et de mettre à l’ordre du jour une forme de terreur qui reste sous le contrôle de l’Assemblée. C’est le mandat qui est élaboré entre la Convention et le Comité, par touches successives entre fin août et début décembre : toutes les élections sont en principe suspendues, même si les citoyens continuent à se réunir : le «Gouvernement est révolutionnaire jusqu’à la paix» et les représentants du peuple envoyés en mission épurent systématiquement les administrations locales. La Convention, qui a rencontré un éclatant succès politique, choisit de le prolonger par une forme de dictature de salut public.

  1. L’opposition des radicaux

 À la fin d’août 1793, les enragés parisiens ont commencé à comprendre ce qui se jouait, en particulier autour de la séparation des envoyés. Le 26, dans une pétition à la fois terroriste et favorable à l’organisation immédiate du gouvernement prévu par la nouvelle Constitution[19], le club des Républicaines révolutionnaires écrit à la Convention : «Empressez-vous surtout de prouver à la France entière, par des effets, que l’on a pas fait venir à grands frais de tous les coings [sic] de la république les envoyés d’un grand peuple pour jouer simplement une scène pathétique au Champ de Mars ; montrez-nous que cette constitution que nous avons cru accepter existe». Leclerc fait preuve d’une étonnante lucidité dans son Ami du peuple des 1er et 4 septembre, et il est utile de le citer un peu longuement :

Législateurs, vous nous avez donné une Constitution ; le Peuple français y a applaudi et l’a acceptée ; il attendait avec impatience les heureux effets qui devaient en résulter de son assentiment ; comme il s’est aperçu qu’elle n’était qu’imprimée, il a pensé que son exécution dépendait de quelque formalité à laquelle il ne s’était pas avisé de penser jusqu’alors. Il vient donc vous prier de l’accepter vous-même. Que répondriez-vous au souverain, s’il vous parlait ainsi ? Rien sans doute ; quand il se fait entendre c’est aux préposés à obéir et se taire ». Dans le numéro du 4 septembre : « On a avancé que si l’on se hâtait de convoquer les assemblées primaires, l’esprit public se trouvant corrompu dans quelques-uns de nos départements, le résultat de leur nomination serait détestable, la législature détestable, le conseil exécutif détestable. D’abord c’est insulter au peuple, c’est commettre un crime de lèse-nation, c’est calomnier les français que de les supposer dans cet état d’avilissement et de corruption dans lequel il faudrait qu’ils fussent plongés en très grande majorité, pour nous donner cette législature, dont on cherche à nous épouvanter comme les enfants du loup-garou. En second lieu, c’est une atteinte portée à la vérité, puisque nous avons sous les yeux des preuves matérielles qui nous ont démontré que les français n’étaient pas susceptibles de faire d’aussi mauvais choix que l’on a bien voulu le dire.

« Dites-moi, graves Législateurs, les envoyés des assemblées primaires, députés immédiats du peuple pour l’acceptation de la Constitution, étaient-ils aussi détestables ? Croyez-vous que les français ne raisonnent pas sur leurs choix, étaient-ils des brissotins, des girondins, des rolandins [20], les envoyés des assemblées primaires ? Non, législateurs, ils étaient presque tous d’excellents patriotes ; et ils vous ont prouvé aussi clairement qu’à nous que l’esprit public des départements n’était pas aussi détérioré que quelques hommes, qui les ont calomniés par complaisance pour d’autres, avaient osé l’avancer. En troisième lieu : cette assertion ridicule semble dire au peuple entier : la Nature a fait un effort lorsqu’elle a produit les membres qui composent la Convention nationale, le peuple français s’est dépouillé de ce qu’il avait de plus pur, de plus vertueux, de plus savant pour la former, et toute la sagesse humaine, tous les talents possibles s’y trouvant renfermés, on ne pourrait avec les meilleures intentions du monde, créer une législature qui vaille la Convention actuelle. Je laisse à l’opinion publique, je laisse à la postérité à faire justice de cette gasconnade.

Leclerc insiste donc sur les ressources démocratiques inépuisables que symbolisaient les envoyés, désormais dispersés. Il reviendra inlassablement sur la question jusqu’à la disparition forcée de son journal [21] mais ce n’est pas seulement le minuscule courant des enragés qui va être balayé par la mise en place du Gouvernement révolutionnaire : dès l’automne, les mesures de remise en ordre commencent à s’appliquer aux sections parisiennes, en commençant par les formes de la participation politique féminine.

  1. Remise en ordre, mobilisation pour la guerre et mouvements populaires

 Le Comité de salut public n’était rien de plus au départ qu’un collectif d’une douzaine de députés choisis par la Convention et responsables devant elle ; il a désormais comme priorité de mobiliser toutes les ressources pour rétablir la situation militaire et, fait qui n’est pas banal, il va y parvenir en un an. La brutalité pointilleuse de ce régime centralisé va s’appliquer à tous les secteurs, en disciplinant l’action des administrations et en déférant systématiquement les opposants au Tribunal révolutionnaire dans des procès expéditifs où sont mélangés toutes sortes de gens, opposants ou supposés tels. Il n’est pas utile ici de détailler la façon dont ce Gouvernement révolutionnaire met sous tutelle la Commune de Paris, les sections parisiennes puis les sociétés sectionnaires, entre septembre 1793 et juillet 1794 : c’est un sujet sur lequel existent de nombreux ouvrages détaillés. Il est par contre nécessaire de comprendre qu’au plan national, même pendant cette « dictature de salut public », et malgré sa surveillance administrative, ses mesures policières, ses recours au Tribunal révolutionnaire et à la guillotine, les citoyens ne perdent pas une occasion de se réunir. Les rapports de police et les procédures qui sont parvenus jusqu’à nous témoignent de leur inégale adhésion aux mesures de contrainte, voire de leur insolence. Malgré la Terreur, les formes démocratiques de la politique héritées des années précédentes résistent plutôt bien, prêtes à ressurgir.

Mais le cadre a changé ; à la campagne, l’application de la loi du 17 juillet 1793 sur la totalité des droits féodaux a sonné la fin de l’alliance antiseigneuriale qui avait succédé en 1791-1792 au tiers état de 1789. Désormais les luttes sociales à la campagne ont radicalement changé de cadre, alors que des agents du gouvernement mais aussi des escouades de militants urbains [22] parcourent les villages pour réquisitionner les stocks de grain pour les villes et les armées… C’est la lutte de tous contre tous pour l’appropriation des bénéfices de la Révolution. Affrontements autour des anciennes règles collectives de culture et de glanage, spéculation foncière sur les anciens biens du clergé et des émigrés, batailles sur le partage des anciennes rentes seigneuriales et ecclésiastiques, conflits salariaux… Les paysans les plus pauvres n’ont toujours pas obtenu de limitation de la taille des grandes fermes, et encore moins des propriétés, mais ils ne savent évidemment pas qu’il n’en est plus question et ils continuent à se battre.

Les quatorze armées de la République sont renforcées par la Levée en masse où se combinent levées d’hommes, mobilisation économique et contrôle des prix. Elles seront opérationnelles au printemps 1794. Le Comité de salut public, qui a la main sur les fabrications de guerre, cherche à y instaurer une réelle discipline industrielle, ce qui le mène à l’affrontement avec les sections urbaines. À Paris, au printemps 1794, le prix maximum du pain et des denrées indispensables est doublé d’un maximum des salaires, qui détourne les travailleurs parisiens de tout soutien à l’équipe du Comité de salut public.

La victoire de Fleurus, début juillet 1794, montre que la situation militaire a commencé à basculer. Une bonne partie de la population croit que la Constitution de 1793 va donc être mise en application. D’amples manifestations populaires se produisent en ce sens, mais le Comité de salut public ne veut pas en entendre parler et réprime ces gestes collectifs. Dans la Convention, tous ceux qui ne supportent plus la politique de Terreur s’accordent alors secrètement pour préparer le renversement du Grand comité, un changement de majorité qui ne peut se faire sans affrontement mortel. Les 25-26 juillet 1793 (8 et 9 thermidor an II), l’équipe robespierriste est mise en minorité à la Convention. Une partie de ses dirigeants s’échappent et tentent de soulever la Commune et les sections, ou du moins ce qui en reste après les épurations et la mise en tutelle. La réponse des sections est claire : leur grande majorité appuie la Convention, légitime, et le retour à la légalité constitutionnelle. Les robespierristes sont mis hors la loi et immédiatement envoyés à la guillotine mais leur exécution n’entraîne pas de retour à la Constitution démocratique : la « quatrième révolution » est une journée de dupes.

Le Gouvernement révolutionnaire est prorogé, avec un nouveau Comité de salut public, mais d’orientation économique ultralibérale. Les sections et les sociétés sectionnaires qui avaient connu la tutelle bureaucratique du Comité vont connaître la dictature du marché : le régime de garantie des prix maximum est démantelé, la monnaie révolutionnaire s’effondre, le terrible hiver 1794-1795 voit le retour de la disette et les suicides de désespérés qui se jettent à la Seine [23].

  1. Une lente normalisation

 La situation n’est pas stabilisée, malgré la réapparition d’une société de nantis et de nouvelles fortunes, malgré la violence des bandes de la jeunesse dorée qui, à leur tour, font résonner leurs gros bâtons sur le pavé parisien. Les militants sans-culottes sont toujours là et se réorganisent. La Convention réintègre les girondins vaincus en juin 1793 et, en se débarrassant des terroristes les plus compromis, se fixe deux objectifs. Elle programme un affrontement final avec les sections parisiennes, provocant délibérément les tentatives d’insurrection du printemps 1795 (germinal puis prairial) dont l’écrasement lui permet d’occuper militairement les quartiers populaires de l’Est parisien pour enfin désarmer les militants sans-culottes. Au plan politique, il s’agit alors de remplacer la Constitution de 1793, acceptée par le peuple mais jamais officiellement mise en application, par un texte beaucoup plus proche du modèle représentatif, cette fois sans aucune concession à la démocratie. Mais l’esprit dominant est tel que la Convention doit pour cela organiser à nouveau un vote populaire, dans les formes… Ce vote a lieu en octobre 1795, à la fin de l’an III, et conserve la forme d’un vote de citoyens assemblés, ce qui confirme que cette façon de voter reste admise par tous : non seulement par les patriotes mais également par une large partie des modérés, favorables non au retour d’un roi mais à une défense rigoureuse des propriétés et des propriétaires, les honnêtes gens. Si le camp républicain a éclaté pendant l’expérience de 1794, ses adversaires sont eux aussi profondément divisés, et l’utilisation – ou non – des institutions du vote pour reprendre le pouvoir est un des points de rupture avec ceux des monarchistes qui rêvent de reconquête militaire.

Cet imbroglio apparaît dès le vote d’octobre 1795 : la participation est nettement inférieure à celle de 1793, avec environ un million cent mille votes, mais le retard dramatique des moissons, en particulier dans l’Est, explique probablement cette baisse autant que les abstentions proprement politiques et les exclusions de militants. Les vœux sont également beaucoup moins nombreux qu’en 1793 mais les votants doivent également donner un avis sur la prolongation du mandat des deux tiers des conventionnels. Sur cette question ultrasensible du maintien de l’essentiel des députés sortants, la droite monarchiste se sent en capacité de tenter à son tour un coup de force. Elle conteste les résultats, effectivement manipulés, et déclenche une insurrection, ressoudant en riposte les rangs des républicains, qui vont jusqu’à faire libérer de prison et réarmer une partie des cadres politiques de la sans-culotterie, pour écraser les insurgés.

Ce jeu du renversement permanent des alliances politiques va se répéter pendant les quatre années que va durer le régime nouveau, dit du Directoire ou de la Constitution de l’an III, que des lois de police rigoureuses interdisent de contester ouvertement. Mais les militants de tous bords ont accumulé depuis 1789 une énorme expérience et savent manœuvrer. Dans ce qui tente d’exister comme une démocratie représentative (l’association des deux termes apparaît à ce moment), la vie politique reste caractérisée par la fréquence des élections, toujours en assemblées de citoyens, même si la fréquentation est en forte baisse, même si les exclusions se multiplient et même si c’est sous l’autorité d’une administration d’État inquisitrice coiffée par le Directoire, une sorte de présidence collective tournante.

Pour sa part, le radical Gracchus Babeuf a rapidement improvisé une façon de contester la légitimité [24] de cette Constitution. Dès le 6 novembre 1795, dans le numéro 34 de son Tribun du Peuple, il propose une comparaison des neuf cent mille votes alors recensés [25] avec les résultats de 1793, pourtant jamais publiés. Il affirme que le texte de 1793 avait reçu quatre millions huit cent mille voix. Ce chiffre découle d’une simple évaluation, à partir de l’effectif des 8 000 envoyés des assemblées primaires de l’été 1793, en supposant le nombre de citoyens par qui ils auraient été mandatés, les suffrages de 600 citoyens représentant le maximum prévu par assemblée primaire dans la Constitution de 1793. Ce résultat est évidemment très exagéré mais, massif à défaut d’être vrai [26], il lui paraît suffisamment vraisemblable pour fonder la légitimité supérieure qu’il veut défendre.

Le calcul improvisé par Babeuf en novembre 1795 est le premier à faire une démonstration chiffrée sur la légitimité politique supérieure obtenue par un texte donné. Au début de 1796, dans le contexte de la Terreur blanche, il se forme autour du journal de Babeuf, le Tribun du Peuple, un courant qui réunit d’anciens militants sans-culottes et d’anciens conventionnels et qui met en avant la référence à la Constitution de 1793. À mesure que ceux qui se désignent comme les Égaux précisent leur projet clandestin d’un mouvement insurrecteur, avec la formation d’un directoire secret et le projet d’un nouveau Gouvernement révolutionnaire, ils basent leur propagande sur le texte de 1793 dont ils défendent ouvertement la légitimité. Il semble vraiment que le raisonnement de Babeuf, sur la légitimité supérieure acquise par la supériorité arithmétique des votes, ait contribué à unifier les rangs de cette conspiration pour l’égalité, puisque ses publications le reprennent abondamment.

Babeuf et ses amis contribuent à imposer dans l’opinion non pas tant leurs chiffres que l’usage public, à grande échelle, d’une comparaison des résultats des votes directs. L’innovation est de taille, même s’il leur a fallu pour cela reconstituer – inventer – un des deux résultats, besoin qui découlait directement de la décision du Comité de salut public de 1793 d’enfermer dans l’Arche les résultats du vote, devenus secret d’État. Implicitement, le calcul de Babeuf pointe ce que serait l’élargissement républicain du droit de vote, tendant à ce qu’on appellera plus tard le suffrage «universel». À cette époque, ce genre de conceptions démocratiques est défendu ouvertement par un Antonelle, un Lanthenas ou un Paine.

Le Directoire ne peut opposer qu’un profond silence aux allégations des babouvistes, car tout démenti l’obligerait à ordonner une publication des chiffres de 1793, que les rares initiés savent effectivement supérieurs aux résultats officiels de 1795. En soulignant l’écart, ceux qui emploient de bonne foi le chiffre fabriqué par Babeuf ont donc en partie raison… Avec tous les risques que cela peut comporter pour eux car la grande loi de police du 16 avril 1796, opportunément adoptée quelques jours avant l’arrestation de Babeuf et de ses associés, voue à la peine de mort les «auteurs» de discours et imprimés qui «provoqueront au rétablissement de la royauté, ou celui de la constitution de 1793 ou celui de la constitution de 1791, ou de tout gouvernement autre que celui établi par la Constitution de l’An 3, acceptée par le peuple, ou l’invasion des propriétés publiques, le pillage ou le partage des propriétés particulières, sous le nom de loi agraire ou de toute autre manière…» Si tous les opposants sont visés, ceux qui prônent à la fois le retour à la Constitution de 1793 et une réforme des propriétés sont évidemment ciblés en priorité.

Arrêtés le 10 mai 1796, Babeuf et ses amis sont jugés en 1797 par une Haute cour, réunie à Vendôme. Pendant ce procès politique majeur, les références sulfureuses à l’ancienne Constitution et à son vote majoritaire reviennent constamment dans les débats et la presse… On grave une estampe inspirée d’un dessin de Charles Monnet [27], représentant la cérémonie inaugurale du 10 août 1793, qui est amplement diffusée et commémore ouvertement le premier vote populaire. À Vendôme, l’inculpé Philippe Buonarroti affirme devant ses juges que la Constitution de 1793 est «demandée à grands cris» par le peuple et rappelle les «grandes assemblée » populaires que ce texte «consacrait». Sa démonstration, comme le témoignage d’Antonelle, s’appuie encore et toujours [28] sur les calculs de Babeuf et ses 4,8 millions de votants. Jusqu’au bout de leur aventure, les babouvistes auront diffusé ce credo démocratique quantifié, dont ils paraissent avoir été les inventeurs.

Après le procès de Vendôme et l’exécution de Babeuf, il reste aux démocrates survivants à tirer leur bilan et à acter la dégradation des rapports de force : avec prudence, ils font désormais référence aux «constitutions acceptées par le peuple» et, de plus en plus souvent, à celle de 1795 comme devant maintenant être, elle aussi, défendue contre la réaction militante. Ce changement d’optique entraîne d’âpres querelles de programme parmi ceux que les historiens désignent comme des néojacobins. Ces derniers, tout comme les honnêtes gens monarchistes qui rêvent d’une restauration en douceur, peuvent bien rêver à une impossible révision de la Constitution de 1795. Les détenteurs du pouvoir s’en émancipent en organisant, après chaque élection, des coups d’État parlementaires par lesquels ils « épurent » les votes des assemblées électorales. L’armée, exécutante et finalement arbitre de ces coups d’État du Directoire, finira par s’emparer elle-même du pouvoir.

Cette armée construite pendant la Révolution restera la principale force européenne pendant quelque vingt ans. Elle pille durement les pays envahis et y commet les pires horreurs (voyez les dessins de Goya) mais, avec son fonctionnement interne basé sur l’égalité juridique, sur l’avancement au mérite, sur l’élection des cadres par la base ou par les pairs, la base de cette contre-société militaire n’est comparable à aucune de celles que lui opposent les rois, et qu’elle bat régulièrement. Ses succès reposent fondamentalement sur la dynamique d’un nouveau régime social et politique, autoritaire mais efficace. Le pronostic qu’avait porté Robespierre se vérifie, même si c’est huit ans plus tard ; s’opposant presque seul à la déclaration de guerre, il en avait signalé les conséquences ultimes : la militarisation nécessaire pour gagner la guerre sera, en dernière instance, contradictoire avec la démocratie.

Le général victorieux qui organise le coup d’État militaire du 2 décembre 1799 juge toujours indispensable de proposer à la population un vote politique direct sur une Constitution nouvelle, même si son frère, Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, est chargé à tout hasard de truquer les chiffres (qui seront plus que doublés). Mais l’interdiction des votes tenus en assemblées de citoyens est aussi essentielle au régime napoléonien que l’application stricte des lois Le Chapelier de 1791, que l’instauration du Livret ouvrier, que la création du Franc-germinal (Franc-Or) ou de la Banque de France… Ce cadre sera maintenu pendant tout le XIXe siècle, mais le bonapartisme sépare surtout, et radicalement, les deux composantes essentielles de la vie politique révolutionnaire ; d’un côté les assemblées de citoyens sont réduites à la clandestinité, où végète pour longtemps le droit d’association ; de l’autre, le droit de vote direct des citoyens est confisqué sous la forme du plébiscite, soigneusement encadré, pendant que se mettent en place des élections contrôlées, réservées à de toutes petites minorités de notables.

Si le vote en assemblée réapparaît plus ou moins lors des changements de régime, en 1830 et 1848, le droit d’association s’en détache de plus en plus, jusqu’à la formation du premier mouvement ouvrier qui en fait son horizon avec l’association des producteurs, mais qui se pose, au départ, en dehors de la politique.

  1. Eux et nous

 Les succès qui marquent le «premier référendum», ou plutôt les premiers votes populaires directs et décisoires, sont intimement liés aux élargissements successifs des fonctions politiques exercées par les assemblées de citoyens, depuis les premières réunions délibératives de 1789 qui choisissaient leurs doléances. La mise en place, à partir de 1790, d’une incroyable variété d’institutions élues, puis l’accumulation d’essais de votes citoyens décisoires en 1792, font que le vote constituant de 1793 reprend tout ou partie de chacune de ces expériences. Les essais de participation féminine ou les discussions qui abordent une foule de préoccupations de l’heure entourent l’adoption d’une Constitution qui, de droit comme de fait, est à la fois démocratique et représentative.

En ce sens, ce vote apparaît comme une sorte de synthèse de la façon dont les citoyens ont pu, dix années durant, exercer leurs droits dans des assemblées de tous types. Cette expérience exceptionnelle, presque unique à cette échelle, fixe le statut qu’aura ensuite, un bon siècle durant, la Constitution de 1793. Largement diffusée en brochure, elle est constamment rééditée et devient LE texte de référence des démocrates, ou plutôt le projet commun des révolutionnaires et des démocrates. Pourtant, elle se sépare, même dans ces milieux restreints, de la mémoire concrète des assemblées délibératives de 1789 à 1799.

Le droit d’association lui-même naît au XIXe siècle de la capacité d’un groupe d’habitants ou de résidents à exercer leur propre portion de souveraineté et affirmer ainsi leur citoyenneté au quotidien. La conception d’un peuple capable de s’assembler ne s’est que très lentement effacée, et bien plus tard. Dans cette transmission, forcément partielle, nécessairement déviée, obligatoirement reformulée, l’importance des transgressions sociales de la Révolution et celle des formes pratiques de l’exercice de la citoyenneté se sont «calées» sur des souvenirs majeurs : celui du jugement d’un roi par une Assemblée élue pour le faire, et de son exécution, celui de la façon dont le peuple français, assemblé et délibérant, a fini par se constituer comme un nouveau Souverain.

Bien entendu, toute l’énergie employée ensuite pour gommer ce moment fondateur, toutes les tentatives faites par les dominants, du Consulat à l’Empire et à la Restauration monarchique pour banaliser voire pour effacer ce double moment du tyrannicide légal et son remplacement par une République ont eu des effets. En ramenant la Révolution à un festival de violences et de spoliations, on a consolidé la formation d’une tradition proprement contre-révolutionnaire. C’est là l’origine même des traditions politiques opposées, dont nous pouvons voir quotidiennement qu’elles ne sont pas mortes.

Il est clair que la population de la France entretient un rapport bien particulier avec le souvenir de la Grande révolution. Des preuves ? N’importe quel professeur du secondaire qui entreprend un cours sur la Révolution constatera, parfois avec surprise, l’étendue des convictions des élèves sur ce point, même si leurs familles sont issues d’une immigration, ancienne ou bien récente. Et lorsque, de nos jours, un gouvernement français quelconque, mis en difficulté par la population, suggère de recourir à la rédaction de cahiers de doléances, nous avons vu la quantité de précautions dont il l’entoure immédiatement.

Dans leur livre Ce cauchemar qui n’en finit pas (2016), Pierre Dardot et Christian Laval énoncent que «le néolibéralisme travaille activement à défaire la démocratie» (p. 43) et montrent qu’il ne s’agit nullement d’un passage en force ponctuel pour des mesures d’austérité provisoires mais bien d’un projet élaboré qui vide la démocratie de sa substance sans la supprimer formellement. Ils expliquent en effet que la gouvernance sociolibérale, au niveau mondial, exige de rompre totalement avec les «formalités» démocratiques. Dardot et Laval emploient le mot «démocratie» dans son sens le plus courant, celui qui est fondé sur des institutions électives, la délégation de pouvoir, la représentation, cette démocratie dont les gouvernants nous assurent tous les jours qu’elle justifie leur politique et qui se présente comme un compromis relativement indolore entre les classes. On peut avoir une autre conception, plus exigeante, de la démocratie, et réfléchir à ce qui en a fait dans le passé la force que nous revisitons ces jours-ci.

En France, depuis des décennies, les courants radicaux ont tendance à ne guère étudier la Révolution française. Réfléchir sur une révolution «bourgeoise» leur paraît un peu incongru au regard des tâches de l’heure. Mais renoncer à ce travail nous prive des ressources de beaucoup de débats anciens et c’est même, d’une certaine façon, favoriser les approches chauvines si fréquentes. Au point que la médiocre connaissance de la Révolution française par les militants radicaux en France a fini par devenir une… exception française. Les progressistes d’autres pays cherchent au contraire à l’étudier, continuent à lire ce qui paraît à son sujet et comprennent mal nos réticences, voire parfois notre ignorance.

Serge Aberdam

 

______________

[1] S. Aberdam, S. Bianchi, B. Gainot et autres (ouvrage collectif), Voter, élire pendant la Révolution française, 1789-1799. Guide pour la recherche, seconde édition revue et augmentée, Paris, CTHS 2006, 494 p.

[2] Dans les colonies esclavagistes des îles à sucre, les assemblées de citoyens mettent au contraire en visibilité les inégalités raciales entre blancs, personnes libres de couleur et esclaves, et mettent ainsi en mouvement les terribles guerres qui entraîneront finalement la première abolition de l’esclavage (1794) puis l’indépendance d’Haïti (1804).

[3] En termes modernes, les départements des Yvelines (78), Essonne (91), Hauts-de-Seine (92), Seine-Saint-Denis (93), Val-de-Marne (94) et Val-d’Oise (95).

[4] S. Aberdam, « Sur le maximum des fermes », État, finances et économie pendant la RF, Comité pour l’histoire économique et financière… Imprimerie nationale, 1991.

[5] Archives départementales des Yvelines : 1 LM 361, manuscrit et imprimé du PV ; pp. 150-161 de l’imprimé.

[6] V. Daline, Gracchus Babeuf à la veille et pendant la RF… éd. du Progrès, Moscou, 1987, pp. 402 et ss.

[7] Cette Adresse de Seine-et-Oise frappera plus tard Jaurès par sa hardiesse ; il y verra un Manifeste qui martèle les droits des travailleurs à la vie, dans l’affrontement entre ceux qui dépendent du prix du pain pour manger et ceux qui font des profits sur les farines.

[8] Les enjeux de ce partage dépendent évidemment de l’importance locale des communaux, et leur histoire ne s’arrêtera pas là.

[9] Cl. Guillon, Deux enragés de la Révolution, Leclerc de Lyon et Pauline Léon, La Digitale, Paris, 1993, 255 p.

[10] L’enragé Varlet avait insisté dans l’hiver 1792-1793 sur la nécessité de donner aux élus des mandats impératifs. Voir sa brochure de décembre 1792, Projet d’un mandat spécial et impératif…, Impr. du Cercle social ; Bnf : 8°Lb41 109, qu’il continue à diffuser en juillet.

[11] W. Markov, Jacques Roux, le curé rouge, Libertalia/SER, Paris 2017, CD-ROM annexé, Scripta et acta, p. 469.

[12] Le drapeau rouge est l’emblème officiel arboré quand on proclame la loi martiale, pour avertir qu’on va tirer !

[13] Il s’agit du premier vote pour lequel nous ayons une idée des taux de présence.

[14] Les Archives nationales conservent copie de milliers de ces PV, alors que la quasi-totalité des originaux, rédigés dans les cantons, ont disparu.

[15] Archives parlementaires, tome 68 (1905) , p. 437.

[16] Depuis la mi-mai, Varlet a présenté ses trente articles à l’assemblée électorale de Paris, puis à la Commune ; rééd. Edhis 1969 ; L. Jaume 1989, pp. 265-279 ; R. Gotlib, article « Enragés » dans A. Soboul, Dictionnaire historique de la RF, Paris, PUF, 1989.

[17] Commentaire de Jacques Roux dans son journal du 6 août, de Théophile Leclerc dans ceux des 4 et 8.

[18] En novembre, les Vendéens, mis en échec devant le port de Granville, reflueront vers le sud et seront à leur tour victimes d’une gigantesque et féroce battue exterminatrice. Ils retourneront à la guérilla.

[19] Arch. nat. C 267, 26 août, signée de Champion, présidente, Lacombe et Barrée, secrétaires.

[20] Brissotins, rolandins : partisans de Brissot, député girondin, de Roland, ministre girondin.

[21] Le dernier numéro porte le n° 24, daté du 15 septembre : «On avait demandé qu’on mette la terreur à l’ordre du jour, on y a placé le funeste esprit de vengeance et de haine particulière […]. J’attends à chaque instant la lettre de cachet qui doit me couper la parole », voir Cl. Guillon, 1993 (note 9).

[22] Ces groupes de militants portent le titre d’armées révolutionnaires mais ne relèvent pas d’un régime militaire. Voir les travaux de Richard Cobb.

[23] Richard Cobb, La mort est dans Paris, éditions Anacharsis, Toulouse, 2018.

[24] Il s’inspire aussi de la façon dont certains monarchistes ont contesté le détail des votes d’octobre.

[25] Le dépouillement est alors en cours, pour environ 1 100 000 au final.

[26] M. Dommanget, Sur Babeuf et la conjuration des égaux, rééd. Maspéro, Paris 1970, mis en ligne par Spartacus [une coquille, pp. 179-181, qui porte à 6 000 les votes par envoyé, rend incompréhensible le calcul de Babeuf].

[27] M. Vovelle, La Révolution française, Images et récit, Messidor, Paris 1986-1988, 5 vol., ici vol. 4, p. 142 : Collection des principales journées de la révolution…

[28] Débats et jugements de la Haute-cour séante à Vendôme…, Paris, Baudouin an V, t. 3, p. 217-222.

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