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LA RÉVOLUTION ET NOUS

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“D’histoire & d’historiens” ~ recueil de textes de Claude Mazauric

12 dimanche Sep 2021

Posted by Claude Guillon in «Annonces», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “D’histoire & d’historiens” ~ recueil de textes de Claude Mazauric

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Albert Manfred, Albert Soboul, Claude Mazauric, Denis Crouzet, Eric Hobsbawn, François Guizot, Georges Lefebvre, Isabelle Laboulais, Jean Calvin, Jean Nicolas, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Lynn Hunt, Michel Vovelle, Michel Zylberberg, Pascal Dupuy, Patrick Cabanel, Pierre Vilar, Robespierre, Société des études robespierristes

Images de la table des matières empruntées au fil Twitter de Côme Simien.

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“Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

20 mardi Juil 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

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Albert Soboul, Antonio Gramsci, Denise Maldidier, Félix Guattari, Florence Weber, François Furet, Gilles Deleuze, Hanriot, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jürgen Habermas, Jean Jaurès, Jean-François Lyotard, Kant, Karl Marx, Le Père Duchesne, Lucien Calvié, Michel Vovelle, Philippe Dujardin, Prise de la Bastille, Sieyès, Vincent Descombes

Depuis une quinzaine d’années, j’ai pris l’habitude de tenir, en matière de recherche, un journal de terrain. J’y consigne, de manière plus ou moins régulière, l’état de mes enquêtes archivistiques, des considérations méthodologiques liées à mes chantiers en cours, des réflexions problématiques, des considérations sur les événements, des annotations sur la lecture quotidienne de la presse, des emprunts à la littérature, des vues prospectives, etc [1].

L’ethnologue Florence Weber signale l’intérêt d’une telle source dans les termes suivants: « Ce journal montre, à chaque étape de la réflexion, les liens entre les hypothèses et les moments de la recherche où elles ont été formulées. C’est lui qui permettra, dans la mesure du possible, une auto-analyse[2]. »

Dans la voie ainsi tracée, et profitant de l’opportunité de mon habilitation en 1992, j’ai commencé à réfléchir, à l’aide de tels matériaux personnels, sur ma propre subjectivité de chercheur. Je prends donc appui pour une grande part sur ces matériaux, cités en notes, pour décrire les enjeux majeurs de mon itinéraire intellectuel.

 De toutes les redites, de toutes les constantes de ce journal de bord, les plus explicites consistent dans ma prise de position en faveur de la tradition marxiste [3] d’une part, et dans ma  prise de distance vis-à-vis de l’historiographie [4] d’autre part. Ma présente réflexion cherche à analyser le lien intime entre ses deux parti-pris dans la quête d’une démocratie actualisée au prisme d’une Révolution française toujours présente.

 

I- Au plus près du jeune Marx.

Je suis très certainement un historien marxiste, ou plus exactement un historien de tradition marxiste. Mon problème majeur, c’est de distinguer tradition marxiste et tradition historiographique. Le cas du jeune Marx est le plus clair, dans la mesure où François Furet a fait la moitié du travail, en exagérant le côté historiographique de Marx. Il s’agit donc de relativiser le rapport du jeune Marx à l’historiographie en insistant à la fois sur son insertion dans l’histoire intellectuelle allemande  et sa capacité de traductibilité du langage jacobin (Note sur mon inscription dans le marxisme, août 1989)

Mes efforts réguliers pour faire le point de mon ancrage dans la tradition marxiste se sont concrétisés par la publication depuis 1975 d’une dizaine d’articles et de notes de lecture à ce sujet[5]. Ces écrits constituent des jalons essentiels pour la compréhension de l’horizon théorique de ma démarche d’historien du discours[6]. Ils marquent des moments réflexifs essentiels dans mes enquêtes archivistiques: ils situent en effet l’enjeu de mes recherches concrètes du côté d’une interrogation sur les voies de la démocratie révolutionnaire.

Cependant un tel ancrage a lui-même une histoire. Il s’est opéré en plusieurs étapes:

1- Après un premier contact avec le marxisme par le biais du léninisme, dans le contexte d’activités militantes au sein de la mouvance communiste, j’ai été fortement marqué, pendant les années 1966-1971 et plus particulièrement dans la conjoncture des événements de 1968, par les travaux d’Althusser, dont l’originalité résidait dans sa manière « symptômale » de lire Le Capital de Marx et d’appréhender, au nom d’une « coupure épistémologique », les textes du jeune Marx[7]. Dressant le bilan quelques années plus tard, avec Régine Robin (1976), de l’influence d’Althusser sur mes travaux d’historien, j’ai pu y identifier un accès spécifique à une « identité retrouvée » au sein même du continent histoire, dans la mesure où elle prenait appui sur une lecture « ouverte » de la tradition marxiste.

2- Mais le point fort des années 70 a été, pour moi, la lecture de Gramsci, d’abord de manière sommaire à travers les Œuvres choisies en français publiées aux Éditions sociales, puis de façon approfondie avec la parution de l’édition italienne intégrale des Cahiers de prison  en 1975. Et depuis lors, je n’ai pas quitté le texte de Gramsci; je n’ai jamais cessé d’en approfondir ma connaissance au fil des longues années qui jalonnent la  publication, encore inachevée, de la traduction française aux Éditions Gallimard.

L’apport de la lecture de Gramsci à mes recherches s’articule d’abord sur les multiples critères méthodologiques qu’il nous propose dans ses Cahiers de prison. autour du thème de « l’humanité agissante et souffrante ». Notre ouvrage sur Marseille au cours des premières années de la Révolution française en témoigne de façon éloquente[8]. Mais  le texte de Gramsci a été aussi une voie royale pour la lecture des ouvrages du jeune Marx, en particulier dans leur rapport à la Révolution française.

C’est ainsi que j’ai effectué, au cours des années 80, une lecture récurrente des écrits de Marx de la période 1841-1845. Un tel retour aux textes fondateurs de la tradition marxiste, à ce moment privilégié de traduction réciproque entre la politique française, l’économie anglaise et la philosophie allemande dans un nouveau lieu de la politique, était formulé dans mon journal de terrain, dès 1980, à partir d’un mot d’ordre qui résonnait étrangement: « convoquer la tradition marxiste au plan textuel ». Mais il s’agissait simplement de marquer que mon approche du marxisme s’inscrit en premier lieu dans une perspective herméneutique où les ressources des textes du jeune Marx, situées par rapport au processus de traductibilité réciproque des langages et des cultures (selon la formule célèbre de Gramsci), importent plus que les constructions marxologiques postérieures, aussi justifiées soient-elles[9].

3- Enfin, soucieux de comprendre le choix révolutionnaire de Marx, à distance de tout essai de construire les éléments d’un matérialisme historique dit marxiste par ses continuateurs, je suis remonté, si l’on peut dire, jusqu’à l’idéalisme pratique contemporain de la Révolution française [10], en particulier Kant et Fichte [11].

Les études novatrices de Lucien Calvié devaient me permettre, par la suite, de mieux comprendre le pari du jeune Marx sur l’avenir de l’humanité, son optimisme révolutionnaire au-delà de tout pessimisme sur l’état des choses[12], alors qu’il élabore, dans les années 1841-1844, une série de catégories explicatives de l’histoire de la Révolution française.

Il convenait donc de révoquer l’idée de construire une interprétation « marxiste » de la Révolution française à l’aide des concepts d’un matérialisme historique découvert plus tardivement, en 1845. Il fallait plutôt revenir au texte du jeune Marx, là où il parle la langue politique (française). C’est ce que j’ai fait à plusieurs reprises, tant dans des présentations encyclopédiques que dans des articles érudits (voir la bibliographie en fin d’article). Je pense ainsi avoir mis en évidence l’importance des catégories explicatives de l’histoire de France, formulées par le Jeune Marx, puis retravaillées par Gramsci. L’existence de ces catégories au sein même de la tradition marxiste naissante a orienté de façon décisive, mais non de manière mécaniste, ma problématique d’approche des langages de la Révolution française, ainsi que mes choix thématiques.

Je me suis efforcé de montrer, à plusieurs reprises (1983, 1988, 1989a), que le jeune Marx lit et traduit « la langue de la politique et de la pensée intuitive » propre aux jacobins français en deux temps [13]:

D’abord il s’intéresse, à travers la question de l’intuition d’une subjectivité en acte qui construit le réel, au sujet critique de la révolution, le peuple français. Il insiste ainsi, dans la Critique du droit politique hégélien (1843) sur le fait que « C’est le peuple qui crée la constitution », donc qui fait la loi.

Mais la posture critique est immédiatement associée à la capacité de traductibilité de la nouvelle culture politique révolutionnaire. L’énoncé fondateur du sujet réel de l’histoire, porteur de la « vraie démocratie », est d’abord la traduction de l’agir du peuple dans la forme de la loi: « Le pouvoir législatif a fait la Révolution française », précise Marx, étant entendu que « le pouvoir législatif ne fait pas la loi: il la découvre et la formule seulement. »

Ainsi nous retrouvons, dans les termes même de la lecture « marxiste », les énoncés fondateurs du discours robespierriste: « Le peuple fait la révolution / Les législateurs font la révolution pour le peuple ». Une telle problématique de l’agir du peuple, de ses effets discursifs, imprègne mes premiers travaux sur les discours jacobins[14]. Mais nous savons que le jeune Marx se démarque, après sa lecture critique d’Hegel au nom de la démocratie révolutionnaire, de « la révolution partielle, uniquement politique » au titre de la « révolution radicale ».

Dans un second temps, et tout particulièrement dans La Sainte Famille (1844), Marx ironise sur les hégéliens qui veulent abolir ‘la langue populaire (française) de la masse » par sa transformation en « langue critique de la Critique critique »! Il restitue les éléments essentiels de la « grammaire non-critique française » issue du réel de la politique, des qualités de la Masse. La « révolution de la langue française » est un leurre, dans la mesure où cette « langue populaire » possède en elle-même ses propres ressources interprétatives.

La traductibilité réciproque entre « l’égalité française » et « la conscience de soi allemande », entre les significations de « la langue de la  politique et de la pensée intuitive », telle qu’elle s’exprime dans le discours jacobin, et les expressions de la « pensée abstraite » si spécifique de l’idéalisme pratique allemand met donc en évidence les ressources des catégories descriptives de l’histoire de la Révolution française, tout en leur conférant, par la distinction entre la dimension organique et la réalité conjoncturelle des mouvements historiques, une dimension explicative constituant la Révolution française sur la longue durée.

À la lecture des textes du jeune Marx, Il ne m’était donc pas apparu nécessaire d’élaborer une théorie critique abstraite pour appréhender la valeur conceptuelle de la Révolution française, mais il convenait plutôt de conférer une valeur organique à l’intelligibilité propre des événements révolutionnaires, à leurs ressources attestées.

Ainsi, de mon point de vue, la tradition marxiste naissante procède à une traduction du langage jacobin dans des catégories explicatives. Ces catégories s’organisent autour de trois couples: langue populaire/porte-parole, révolution permanente/Terreur, mouvement révolutionnaire/mouvement populaire. Chaque couple différencie le conjoncturel de l’organicité, distinction très présente dans les analyses de Gramsci sur les rapports de force au sein du moment révolutionnaire [15].

Par exemple la valeur organique du concept de « révolution à l’état permanent », référé par Gramsci aux « principes de stratégie et de tactique politiques nés pratiquement en 1789 et qui se sont développés idéologiquement autour de 1848 » limite l’intelligibilité de la notion de Terreur rapportée à une conjoncture, et ses contradictions.

Parallèlement à cette lecture du jeune Marx, j’ai essayé, dans mes recherches sur les pratiques discursives pendant la Révolution française, de conférer à ces catégories explicatives une dimension descriptive aussi précise que possible. En quelque sorte, je les ai prises à rebours, remontant du concept à l’agir [16], et à sa dimension réflexive, considérant donc que leur intelligibilité propre importait autant si ce n’est plus que leur traduction ultérieure dans l’histoire organique des révolutions [17].

Il n’a donc jamais été question d’appliquer une grille conceptuelle à une description archivistique. C’est le geste de lecture opéré par le jeune Marx, à la fois lecteur des textes de la Révolution française et traducteur de diverses traditions interprétatives dans le but d’élaborer une conception autre de la politique, qui a retenu mon attention.

J’identifie ainsi la motivation profonde de mes recherches sur les pratiques discursives de la Révolution française à partir de l’interrogation suivante: si la Révolution française a joué un rôle aussi important dans la mise en place des fondements de la tradition marxiste, n’est-il pas possible de faire rejouer ce geste inaugural avec l’objectif de refonder la Révolution française dans la tradition marxiste, en deçà des sédimentations marxologiques et historiographiques?

L’entassement incessant des couches interprétatives sur ce nœud initial, redoublé par l’apparition au XXe siècle d’une historiographie dite « marxiste » de la Révolution française, de Jaurès à Soboul, justifiait d’autant plus mon entreprise de refondation. Mon parti-pris antihistoriographique, affirmé avec vigueur pendant le bicentenaire de la Révolution française (1989c), trouve ici sa raison d’être[18].

Un telle relation forte à la posture initiale de Marx face au langage politique jacobin est visible à tout moment de ma recherche sur la Révolution française. Par ailleurs, elle s’est enrichie au contact d’une manière propre de décrire les énoncés d’archive, de les configurer autour d’un événement, d’un thème, d’un concept, d’un sujet dans la lignée des travaux de Michel Foucault[19].

D’emblée mon intérêt s’est porté, d’abord à travers la figure du Père Duchesne d’Hébert[20], puis avec l’événement « mort de Marat », sur le mouvement révolutionnaire au moment de la mise à l’ordre du jour de la terreur [21].

Dans le même temps, j’ai parcouru un trajet thématique, de la langue du droit à la langue du peuple, avec le souci de mesurer la portée conceptuelle de la notion robespierriste de mouvement populaire [22].

Depuis nos analyses discursives du Père Duchesne d’Hébert jusqu’à l’exploration minutieuse des courses civiques des « missionnaires patriotes », il s’est agi aussi de décrire, sous la catégorie d’événement discursif et le thème de la langue du droit, des itinéraires de porte-parole [23].

 Par la suite, c’est autour des notions  de « démocratie pure » et de « rapports populaires » que j’ai tenté de redonner, avec d’autres chercheurs, aux fédéralismes, et de surcroît au fédéralisme jacobin, une pleine dimension interprétative à l’horizon de la révolution permanente [24] .

Enfin, mes recherches en cours sur l’itinéraire intellectuel de Sieyès [25],qui me mène de la caractérisation métaphysique d’une « science des quantités », dans ses écrits philosophiques manuscrits de jeunesse, à la définition d’une « science de la politique », sous la catégorie de « langue politique », dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat? recoupent l’importance accordée par le Jeune Marx, dans La Sainte Famille,  à cet ouvrage de Sieyès emblématique de la radicalité de 1789 [26], en tant que lieu théorique constitutif de la politique moderne.

Voilà sans doute un résumé quelque peu hardi et bien trop sommaire de vingt ans de recherches, mais qui vise seulement à souligner le rapport consubstantiel de mes recherches sur les langages révolutionnaires à la  lecture « marxiste » inaugurale de la Révolution française. Lire la suite →

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Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

13 jeudi Août 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

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Albert Soboul, André Salem, Annie Geffroy, Bernard Conein, Boissy-d'Anglas, Cesare Vetter, Damon Mayaffre, Denise Maldidier, Ferdinand Brunot, Florence Gauthier, Françoise Brunel, Hans Erich Bödeker, Hans-Jürgen Lüsebrink, Hayden White, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jacques Roux, Jürgen Habermas, Jürgen Link, Jean-Baptiste Marcellesi, Jean-Pierre Faye, John A. G. Pocock, Keiht Baker, Le Père Duchesne, Louis Althusser, Luc Boltanski, Lucien Febvre, Marc Belissa, Marc Deleplace, Marco Marin, Maurice Tournier, Michel Foucault, Michel Pêcheux, Paul Ricoeur, Peter Schöttler, Pierre Fiala, Quentin Skinner, Raymonde Monnier, Régine Robin, Reinhart Koselleck, Robert Mandrou, Rolf Reichardt, Sophie Wahnich, Thomas Paine, Yannick Bosc

J’ai voulu, avec son accord, mettre à disposition cet article de Jacques Guilhaumou, malgré son aspect «technique» qui pourra rebuter certaines et certains. Il est cohérent avec les buts que je me suis fixé dans ce blogue de publier des textes aux «niveaux de lecture» très différents. Chacun·e trouvera, je l’espère, de quoi faire son propre miel.

Je suis responsable des culs-de-lampe, qui utilisent la vignette figurant sur la couverture du journal d’Hébert (dont il est très souvent question dans ce texte, comme dans tous ceux qui traitent du langage pendant la Révolution).

C. G.

 

Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française[1]

 

Version française de Jacques Guilhaumou «Geschichte und Sprachwissenschaft: Wege und Stationen in der “analyse du discours”», Handbuch Sozial-wissenschaftliche Diskursanalyse, R. Keller und alii hrsg., Band 2, Opladen, Leske+Budrich, 2003, traduction et présentation de Reiner Keller, 2003, p. 19-65.  Avec une annexe complémentaire de 2016.

Résumé

La présence de l’analyse de discours en histoire est restée modeste, mais  ne s’est pas démentie depuis la mise en place de la relation entre histoire et linguistique au cours des années 1970. Elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et plus récemment sur l’importance de la réflexivité et de l’intentionnalité historique chez les acteurs de l’histoire. L’objectif présent est de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Ce texte bilan écrit au début des années 2000 a été complété par une annexe, rédigée en 2016, qui resitue les moments de l’histoire du discours en Révolution française au croisement des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, et enfin la fonctionnalité principale.

Introduction

Au début des années 1970, Régine Robin, dans son ouvrage pionnier sur Histoire et linguistique (1973) accompagné d’une publication collective (Guilhaumou et alii, 1974) auxquels nous avons collaboré, pose frontalement le problème de l’absence de reconnaissance, au sein de la communauté historienne, des recherches ayant trait au langage, en dépit des avancées antérieures de l’école des Annales, autour de Lucien Febvre et Robert Mandrou. La réticence des historiens français face à tout étude qui touche de près ou de loin les pratiques langagières dans un contexte historique précis a perduré jusqu’à nos jours, d’autant plus qu’elle a été ravivée par la querelle récente à propos du «linguistic turn» (Noiriel, 1996; Schöttler, 1997). L’historien Gérard Noiriel (1998) notait encore récemment la position marginale de l’approche langagière au sein de la discipline historienne, en dépit de son rapprochement, déjà ancien mais amplifié, avec l’histoire langagière des concepts en Allemagne et plus récent avec les recherches équivalentes dans  le monde anglophone (Guilhaumou, 2000).

Pourtant la présence de l’analyse de discours en histoire ne s’est pas démentie au cours de ses trente dernières années. De fait, elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et leur valeur interprétative, sans pour autant entamer la domination de l’explication narrative associée au débat sur le caractère fictionnel ou non de l’écriture historique (Prost, 1996)

Il convient donc de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons préféré nous en tenir, hormis de rares incursions dans le discours politique contemporain, à des exemples pris dans le 18ème siècle français, majoritairement présents dans les travaux des historiens du discours, tout en l’ouvrant à la période du Sattelzeit (1750-1850) mis en valeur par les perspectives pionnières de l’historien allemand Reinhart Koselleck.

Au départ, c’est-à-dire pendant les années 1970, la relation entre histoire et linguistique se limitait à permettre enfin l’accès du discours au champ historiograhique. Une configuration méthodologique, centrée sur la construction du corpus, dominait l’approche du discours comme objet d’histoire. Les années 1980 marquent un tournant décisif dans la mesure où ce qu’il convenu d’appeler désormais l’analyse du discours du côté de l’histoire, par le fait du recours à une démarche non plus structurale, mais configurationnelle, devient une discipline interprétative à part entière. Enfin, en multipliant les contacts tant en France qu’à l’étranger, en les amplifiant dans les années 1990. l’historien linguistique se rapproche de l’histoire langagière des concepts, tout en systématisant sa démarche au sein d’une histoire linguistique des usages conceptuels et en ouvrant une nouvelle perspective sur l’histoire des événements linguistiques.

1- Le discours comme objet de l’histoire: les années 1970

Dès son origine l’analyse de discours en France[2], dont la manifestation la plus spectaculaire est le colloque de lexicologie politique[3] tenu à l’Université de Paris X-Nanterre quelque temps avant les événements de mai 1968, se veut, dans son ensemble, une discipline restreinte, mais rigoureuse sur la base d’un modèle de scientificité emprunté à la linguistique distributionnelle américaine (Harris): analyse formelle, exhaustivité et systématicité s’efforcent d’aller de pair.

De fait il s’agit d’abord d’une démarche que nous qualifierions aujourd’hui de sociolinguistique en ce sens qu’elle associe un modèle linguistique, essentiellement l’analyse d’énoncé,  à un modèle sociologique, défini à travers la notion de conditions de production, autre désignation du contexte dans lequel on puise les éléments du corpus étudié. A la démarche du linguiste qui décrit les propriétés formelles des énoncés, en y cernant des variations, s’associe celle du sociologue qui cherche à comprendre la part de la variation des langages dans les pratiques sociales. Tout est ici affaire de correspondances, de co-variance entre des structures linguistiques et des modèles sociaux en cherchant parfois à établir une relation de cause à effet, même si le simple parallélisme est l’attitude la plus courante en la matière (Drigeard, Fiala, Tournier, 1989). Ainsi, une conjoncture historique peut engendrer des effets discursifs, comment nous l’avions montré (1975b) à propos des effets discursifs de l’hégémonie jacobine en 1793, dans le trajet de l’interdiscours jacobin aux effets de l’événement, et plus largement à l’effet de conjoncture.

De même la recherche de Régine Robin (1970) sur une ville sous l’Ancien Régime, Semur-en-Auxois, comportait d’une part une analyse des structures sociales d’un bailliage bourguignon à la veille de la Révolution française, et d’autre part une analyse du contenu des Cahiers de doléances de la bourgeoisie et de la paysannerie à partir d’un certain nombre de mots-pivots, selon une approche linguistique combinant analyse d’énoncé et étude du vocabulaire socio-politique. Les premiers travaux des linguistes analystes de discours s’inscrivaient aussi dans la même perspective, qu’il s’agisse de l’étude de Jean-Baptiste Marcellesi (1971) sur le Congrès de Tours de 1920 ou de celle de Denise Maldidier (1970) sur le vocabulaire politique de la Guerre d’Algérie.

Cependant la version « faible » de l’analyse de discours était la plus courante chez les jeunes historiens du discours qui abordaient alors leurs premières recherches: elle revenait à étudier les champs sémantiques de notions jugées centrales dans le corpus pris en compte. Ainsi en est-il de notre premier travail sur le discours du Père Duchesne (1974), issu de la presse pamphlétaire de 1793, et qui tend à mettre en valeur une forme dissimulée du discours jacobin autour des usages de la notion de sans-culotte. Cette approche du champ sémantique présente toujours l’avantage de s’inscrire dans une tradition lexicologique, incarnée par Ferdinand Brunot et qui côtoie tout au long du XXe siècle les avancées des historiens, en particulier au sein de  l’école des Annales. Tout en abandonnant le critère implicite de nombreux historiens de la transparence du sens des textes, et de rompre dans le même temps avec la citation illustrative, elle s’avère d’un abord simple, sans connaissance technique autre qu’une bonne connaissance  des parties de la grammaire.

Il revenait plutôt au linguiste travaillant sur des matériaux historiques d’élaborer une version «forte» de l’analyse de discours dans une optique essentiellement syntaxique.  Cela équivalait à ne retenir, au sein d’un corpus de textes imprimés, qu’une série d’énoncés autour de mots-pivots auxquels le linguiste applique des règles d’équivalence grammaticale permettant d’obtenir, sous une forme paradigmatique, un ensemble de phrases transformées qui constitue en quelque sorte la série des prédicats des mots-pivots. Cependant cette approche syntaxique reste toujours l’apanage du linguiste, ou tout au plus de l’historien linguiste, dans la mesure où l’historien ordinaire trouve trop lourd l’investissement linguistique nécessaire à sa mise en œuvre. Pour autant elle donne une image exemplaire de collaboration interdisciplinaire. Ainsi dans le travail conjoint de la linguiste Denise Maldidier et de l’historienne Régine Robin (1974), sur les remontrances parlementaires face aux Edits de Turgot de 1776, le corpus des phrases régularisées par la linguiste autour des mots-pivots liberté et règlement est reproduit intégralement. La sélection des termes repose ici sur un savoir historique préalable: il est supposé d’évidence que c’est autour des notions de liberté et de règlement que se joue alors l’affrontement entre noblesse et bourgeoisie dans la conjoncture de la tentative réformatrice de Turgot qui échouera.

Au contact de la linguistique structurale, l’historien du discours a donc pu se constituer un outillage méthodologique toujours d’actualité, mais qui a largement débordé sur l’analyse de contenu (Bardin, 1989). Ainsi s’est instauré, dans la relation entre histoire et linguistique, un rapport stable à des outils lexicaux et grammaticaux d’analyse répondant aux besoins de description systématique de l’usage des mots et des énoncés.

Dans cette perspective, la lexicométrie s’est imposée comme le principal moyen de quantifier les faits langagiers et sert ainsi désormais de support à toutes sortes d’analyses linguistiques (Lebart, Salem, 1994), au sein de ce que nous appelons aujourd’hui la linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997). L’historien du discours peut faire appel à la lexicométrie lorsqu’il veut démêler, en première approche, l’intrication des phénomènes énonciatifs et rhétoriques qui constituent la surface discursive d’un texte, par contraste avec les énoncés qui le structurent sémantiquement autour de mots-pivots étudiés en analyse harissienne. Nous pouvons ainsi aborder, comme le montre les travaux pionniers de Maurice Tournier (1975), le vif des usages d’un ou plusieurs mots dans le contexte même d’un corpus. Mais là encore, la procédure d’analyse porte sur un corpus réduit, non plus un corpus d’énoncés, mais le tableau lexical à double entrée des formes recensées automatiquement du corpus qui sont ventilées sur la base de leur fréquence absolue et relative dans les diverses parties du discours. L’analyse factorielle des correspondances est la méthode quantitative la plus spectaculaire en la matière au terme d’une démarche lexicométrique unitaire, comme le montre le travail récent de Damon Mayaffre (2000) sur le discours politique d’entre-deux-guerres, qui s’inscrit cependant dans une autre configuration méthodologique comme nous le verrons dans la troisième partie. Cette méthode à la fois quantitative et synthétique permet en effet d’appréhender d’un seul coup d’œil, sur l’écran de son ordinateur ou sur la feuille de papier, les clivages les plus importants du corpus, soit entre les auteurs, soit entre des ensembles de vocabulaire, soit les deux ensemble.

La procédure initiale de l’analyse de discours du côté de l’histoire a donc permis, sur la base des méthodes linguistiques et lexicométriques, d’introduire des critères d’exhaustivité et de systématicité à l’intérieur de corpus comparatifs, sélectionnés sur leurs conditions de production. Ainsi l’historien du discours se démarque dès le départ de l’historien classique  en contestant l’idée que la lecture d’un texte n’est qu’un moyen d’atteindre un sens caché, de cerner un référent pris dans l’évidence du sens.

Cependant l’analyse du discours comme objet de l’histoire présentait un triple écueil. En premier lieu, elle introduisait une coupure nette entre le corpus choisi, à vrai dire fort restreint au terme de la procédure d’analyse, et le hors-corpus défini de façon référentielle et générale par la notion de conditions de production. En second lieu, le choix des mots-pivots reposait sur le jugement de savoir de l’historien, pris lui-même dans le champ des débats historiographiques du moment. Enfin, elle constituait, sur des bases idéologiques et historiographiques, des entités discursives séparées telles que le discours noble, le discours bourgeois, le discours jacobin, le discours sans-culotte, etc.

Il ne faut pas cependant sous-estimer les résultats de ses premiers travaux en matière de connaissance des stratégies discursives. Ainsi en est-il de notre étude comparative de la presse pamphlétaire en 1793 (1975) qui met en évidence le contraste entre un «authentique» discours sans-culotte, celui de Jacques Roux, et le discours jacobin d’Hébert, auteur du Père Duchesne, basé sur des effets populaires estompant ses contenus jacobins. C’est dire aussi que l’analyse de discours relevait, à un niveau plus fondamental, d’une théorie du discours doublement issu du marxisme et de l’apport alors récent de Michel Foucault, en particulier dans L’archéologie du savoir (1969).

Si Michel Pêcheux suivait volontiers Michel Foucault dans sa critique de l’humanisme, et son corollaire la mise en avant de la subjectivité de l’individu, il s’en séparait nettement par le refus d’un geste interprétatif qui récusait, avec Michel Foucault,  l’existence d’une formation sociale préconstruite, à l’identique des concepts du matérialisme historique. Il s’agissait alors, toujours pour Michel Foucault, de substituer au mouvement dialectique un « mouvement de l’interprétation » (1994, I, 564 et suivantes). Ce refus initial, chez les « linguistes marxistes », de la démarche interprétative devait fortement contribué à limiter la portée de l’analyse de discours au cours des années 1970, et par là même de l’appréhension de l’historicité des textes. Les années 1980 ouvriront, certes tardivement, l’analyse de discours au questionnement herméneutique.

Cependant, deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), étaient  centraux, ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permettait de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le risque était là, nous l’avons déjà souligné, de classer les diverses formations discursives d’une formation sociale, à l’exemple de l’opposition noblesse/bourgeoisie sous l’Ancien Régime. Le concept d’interdiscours introduisait alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il était permis de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un «tout complexe à dominante» selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation «forte» rencontrait alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste[4]. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois/discours féodal; discours jacobin/discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il était question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. C’est d’ailleurs sur cette voie que s’est  opérée la rencontre de Michel Pêcheux avec des chercheurs allemands soucieux des phénomènes langagiers, en particulier Jürgen Link et Peter Schöttler (Pêcheux, 1984, Schöttler, 1988). Le bilan de l’analyse de discours comme objet de l’histoire, telle qu’elle a été pratiquée par un petit groupe d’historiens au cours des années 1970,  n’a donc rien de négatif, en dépit de ses évidentes impasses. C’est par la multiplication des contacts avec diverses interrogations langagières de chercheurs français et étrangers et une attention nouvelle à l’archive que s’opère, dans les années 1980, la sortie vers ce que nous pouvons appeler désormais l’analyse de discours du côté de l’histoire.

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Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

29 mercredi Juil 2020

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur Idées [contre-]révolutionnaires ~ À propos du livre de Jonathan Israel

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1793, Albert Mathiez, Albert Soboul, Claire Lacombe, Féminisme, Georges Lefebvre, Hébert, Jacques Pierre Brissot, Jacques Roux, Jean-Baptiste Louvet, Jean-François Varlet, Jonathan Israël, Kåre Dorenfeldt Tønnesson, Lutte des classes, Marat, Olivier Blanc, Pauline Léon, Républicaines révolutionnaires, Robespierre, Théophile Leclerc, Walter Markov

Une «histoire intellectuelle de la Révolution», et pourquoi pas?

Encore que l’affirmation suivante a de quoi éveiller la méfiance:

Conduire un nouvel examen des leaders révolutionnaires semble nécessaire afin de poursuivre l’effort initié par l’approche socioculturelle et, plus spécifiquement, pour mieux intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle. [p. 21]

Ici (et ailleurs aussi probablement) se pose le problème de la traduction (je n’ai pas pris la peine d’aller vérifier l’édition originale). En effet, «Intégrer l’histoire sociale avec l’histoire intellectuelle» n’a guère de sens en français. Les combiner, oui; intégrer l’une à l’autre aussi. Faisons avec…

Plusieurs affirmations accrochent le regard. Un exemple:

En plusieurs endroits, on vit des comités de “Patriotes” rivalisant d’éloquence tant les hommes de lettres, éditeurs et membres des sociétés y étaient nombreux; ils purent ainsi peser lourdement sur les élections des députés du Tiers état. [p. 53, avec référence au livre de Galante Garrone].

C’est bien possible; cependant, il aurait été honnête de signaler que lors de l’étape précédente, à savoir la rédaction des Cahiers de doléances, l’hypothèse d’une influence décisive des notables a été sévèrement critiquée[1].

Parlant du Cercle social et des tendances philosophiques qu’il oppose au « populisme autoritaire » de Marat et Robespierre, l’auteur évoque l’action du marquis de Villette en faveur des enfants naturels (p. 149), comme exemple de l’action humaniste et réformiste de certains révolutionnaires. Il est bien regrettable qu’il ignore le long et beau texte de Robespierre sur le même sujet[2].

Voici maintenant une formulation sur laquelle le lecteur butte, lequel une fois relevé de sa chute, se demande s’il va poursuivre la lecture entreprise…

Marat et Hébert s’adressaient aux moins éduqués et cultivaient un chauvinisme populiste, une espèce de protofascisme. » [p. 189; je souligne]

Il est tout d’abord extrêmement discutable de mettre ainsi «dans le même sac» Marat, dont les journaux sont rédigés dans une langue simple et compréhensible, mais correcte quant à la grammaire et sans vulgarité, avec Hébert qui pastiche la verdeur populaire à grands renforts de jurons obscènes. De là à les qualifier uniment de protofascistes, c’est-à-dire de premiers fascistes ou de fascistes rudimentaires, pour la seule raison véritable qu’ils sont lus l’un et l’autre par la sans-culotterie, c’est préférer l’idéologie grossière à l’analyse historienne.

Massant ses genoux endoloris, le lecteur se dit qu’il a tout de même payé le livre la bagatelle de 36 € (en francs, c’eut été le prix d’un très beau livre d’art) et, pour calmer sa colère, il s’en va lire la postface à l’édition française.

Or, voici des propos mesurés, mêmes si discutables – dont lectrices et lecteurs anglophones ont donc été privé·e·s:

Ainsi mon approche diverge à certains égards de l’école jacobino-marxiste d’Albert Mathiez, Georges Lefebvre et Albert Soboul ; mais reconnaît également que leurs travaux ont encore beaucoup à offrir et doivent toujours faire l’objet du plus grand respect. Que la Révolution française ait été en partie mue par une guerre de classes est pour moi indéniable puisqu’elle a d’abord pris pour cible, sans jamais cesser l’assaut, le système social aristocratico-ecclésiastique qu’elle cherchait explicitement à détruire. [p. 742]

Ainsi donc, les «moins éduqués» ont tout de même – nonobstant l’influence délétère des protofascistes – joué un certain rôle dans la Révolution… On aurait tort, toutefois, de se rassurer trop vite; en effet:

Ce livre place les mouvements populaires au second plan, en partie parce que je ne pense pas que la recherche ait démontré que leur rôle a été déterminant dans l’élaboration de l’idéologie dominante de la Révolution. Une autre raison explique ce choix: je ne crois pas non plus que les mouvements sociaux et les manifestations de mécontentement populaire, peu importe leur force et leur ampleur, puissent disposer d’une cohésion suffisante et d’une énergie suffisamment durable pour devenir un fondement d’autorité ou inspirer des réformes institutionnelles, susceptibles de provoquer des transformations révolutionnaires significatives de quelque forme que ce soit. [p. 742]

Ici se trouve sans doute le fondement même de la démarche de Jonathan Israel, et le point central de désaccord avec lui. S’il s’agit de constater la «défaite des sans culottes», pour reprendre le titre du livre de Kåre Dorenfeldt Tønnesson, nous pouvons tomber d’accord, mais cet accord est une illusion car J. Israel pense que les sans-culottes ne pouvaient qu’être défaits, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment éduqués pour élaborer une idéologie assez forte pour dominer celle de la bourgeoisie. Mais Israel ne s’en tient pas là. Sa position concernant les sans-culottes est après tout proche du simple constat, mais il ajoute qu’aucun mouvement social n’a et ne peut avoir les capacités de fonder un nouvel ordre social.

Voici ce que j’appelle un préjugé de classe, lequel se manifeste d’ailleurs en d’autres occasions dans le livre. L’auteur est prompt à reprendre sans distances des informations chargées de jugements moraux. Ainsi les manifestants qui attaquent l’imprimerie de Gorsas en mars 93 ne sont-ils rien qu’«un groupe de 2 000 à 3 000 voyous » (p. 343). Lors d’une manifestation de femmes à Bordeaux à la même époque: « Ces troubles avaient été préparés avec soin ; des témoins attestèrent avoir vu des jacobins déguisés en femmes dirigeant le cortège » (p. 344). La présence d’hommes déguisés en femmes est un topos d’époque, utilisés par toutes les tendances politiques pour discréditer les manifestations de femmes.

On pourrait discuter encore beaucoup le choix des sources, comme leur utilisation. J. Israel adore Louvet, parce que celui-ci est entré en conflit avec Robespierre. Je comprends que l’on lise et même que l’on utilise les Mémoires du député Jean-Baptiste Louvet de Couvray, mais de là à les prendre pour un évangile où tout n’est que vérité du détail, il y a le même chemin que de la lecture critique à la naïveté.

Parfois, on se perd en conjectures sur ce que l’auteur peut bien trouver d’utile à telles «révélations». Ainsi:

Robespierre devint de plus en plus froid. Jusqu’en février 1794, il avait gardé ses distances, sans paraître replié sur lui-même. Il se montrait régulièrement dans Paris, élégamment vêtu de soie et de lin, bien coiffé. En public, il jouait les observateurs tout en prenant soin d’entretenir des relations, de converser avec d’autres personnalités influentes. Il profitait aussi de ces échanges pour noircir son cahier de notes. [p. 581]

La note indique : Laure d’Abrantès, Salons révolutionnaires, p. 105. Je trouve à la page 6 du texte d’origine (Histoire des salons de Paris, vol. III) de la duchesse d’Abrantès, le passage-source:

Dans le même moment, Robespierre marchait dans Paris élégamment habillé, coiffé avec la plus grande recherche, employant pour sa toilette les essences les plus suaves, les pommades les plus odorantes… son linge était d’une extrême beauté; son jabot, fait d’une dentelle précieuse, était toujours à côté d’un gilet rose, bleu ou blanc, en soie glacée, et légèrement brodé en argent ou en or, et à sa main il portait un bouquet de roses, même en hiver…

Robespierre soignait sa mise. C’est entendu, tout le monde le dit. Mais tant qu’à nous abreuver des niaiseries d’Abrantesques, pourquoi nous priver du parfum, des pommades et des roses. …Même en hiver!

Reprenons pied sur le terrain des idées, puisque c’est celui que revendique notre auteur. En voici une bien bonne (oui, je suis un peu las, je le reconnais, et mon style s’en ressent), censée établir le fait que les brissotins sont la gauche (ce qui n’est pas entièrement dépourvu de logique si Marat est un fasciste):

Pratiquement tous les intellectuels sérieux de l’Assemblée, Levasseur et les montagnards un peu honnêtes admettaient que les brissotins et les philosophistes représentaient bien la gauche. [p. 305]

Certes, je pourrais faire valoir ici qu’au contraire tous les gens «un peu honnêtes» sont de mon avis… mais j’aurais le sentiment d’entrer dans un jeu tout juste bon pour la cour de récréation.

Les Enragé·e·s

D’ailleurs, il est un point qui m’intéresse doublement – parce qu’il concerne l’un de mes sujets de recherches[3] et parce qu’il met en valeur la difficulté de J. Israel à tenir la ligne qu’il a lui-même choisie: la question de l’action des Enragé·e·s.

En effet, Israel manifeste une évidente sympathie pour ces militant·e·s, ce qui ne laisse pas d’étonner.

Voyons ce qu’il écrit de Jacques Roux, avec certes une restriction morale (elle-même plutôt surprenante):

Violemment opposé aux brissotins autant qu’aux montagnards, Roux n’était certes pas un combattant de la liberté [sic]. À certains égards, toutefois, ce zélé prêtre jacobin (et ancien professeur de sciences au séminaire) occupait une vraie position à gauche du robespierrisme : il voulait ardemment défendre les pauvres de la cupidité des capitalistes, des banquiers, des grands marchands. Il dénonçait avec flamme l’exploitation et l’absence de toute aide pour les moins nantis[4]. [p. 505]

Si Brissot incarne la gauche, et Robespierre un «populisme autoritaire», comment situer quelqu’un qui se trouve «à gauche» de Robespierre, mais pas vraiment «à gauche» puisque cette position est monopolisée par les Brissotins? Israel a – parmi les Enragé·e·s – une préférence marquée pour « l’honnête et bienveillant Varlet » (p. 755), «qui pratiquait lui un tout autre type de populisme, plus intègre, et plus proche des Lumières radicales.» (p. 759)

Je ne discuterai pas des fleurs envoyées à Varlet; après tout, il est bien probable qu’il les a méritées. Pour autant, je ne crois pas que Robespierre a été ni moins honnête ni moins intègre que Roux, Varlet, Leclerc, et les Républicaines révolutionnaires.

De toute façon, cela ne nous aide pas à nous retrouver dans notre nuancier politique. À la fin des fins, où situer les Enragé·e·s? Plus près de Brissot que de Robespierre? Une hypothèse qu’ils eussent jugée insultante.

Il est assez évident que, outre leur enthousiasme et la sincérité de leur engagement, ce qui séduit Israel chez les Enragé·e·s… c’est qu’ils deviennent les cibles de Robespierre.

Après les 31 mai – 2 juin 93, « Robespierre écarta tout de suite Varlet, Roux et Jean Leclerc, meneurs sans-culottes véritablement engagés en faveur des prolétaires. Ils pouvaient se réclamer de la rue bien mieux que lui. Les Enragés avaient d’ailleurs immédiatement compris quelle dictature s’annonçait. Ils n’ignoraient rien de la mégalomanie de Robespierre, de sa paranoïa et de son caractère vindicatif. » (p. 484)

Ce dernier hommage rendu à la clairvoyance des Enragé·e·s à propos des risque d’un régime terroriste autoritaire me semble pour le moins exagéré ; ils n’ont mesuré les risques de la concentration des pouvoirs qu’au fur et à mesure qu’elle les atteignait directement (et je ne songe pas à les en blâmer). Quant aux indicateurs qui eussent dû les alerter, le caractère de l’individu Robespierre ne mérite sans doute pas la première place…

En guise de conclusion

Jonathan Israel a-t-il atteint l’objectif qu’il s’était fixé ? La réponse est étroitement liée à la position de chacun·e par rapport aux parti-pris de l’auteur. Qui est convaincu que le peuple ne saurait écrire sa propre histoire – faute d’une orthographe suffisante – se verra confirmé dans ses préjugés par une érudition pléthorique. L’adhésion aux thèses du livre ne peut être qu’idéologique.

Ironie de l’histoire, c’est – nous l’avons vu – l’aimable sympathie de l’auteur pour un courant radical de la Révolution qui vient ôter toute cohérence à sa tentative de redistribuer les rôles politiques, en attribuant aux Brissotins et non plus aux Montagnards celui de la « gauche ».

Israel identifie correctement la question des droits des femmes comme le talon d’Achille de Robespierre (et d’un certain nombre de ses amis), mais – une fois encore – le reproche ne peut être adressé ni à Roux ni à Leclerc (ni à Varlet, dont le «proféminisme» est pourtant plus mesuré), et encore moins aux Républicaines révolutionnaires. L’action militante de ces dernières fait voler en éclats les tentatives d’identifier la Gironde comme le « parti féministe » de la période, comme l’ont tenté ces dernières années Michel Onfray et Olivier Blanc (d’où les attaques venimeuses de ce dernier contre les Républicaines).

Neuf cent trente pages, c’est beaucoup d’arbres coupés pour un si piètre résultat.

Israel Jonathan, Idées révolutionnaires. Une histoire intellectuelle de la Révolution française, Alma/Buchet-Chastel, 2019 (EO : Princeton University Press, 2014), 930 p., 36 €.

Statut de l’ouvrage : acheté en librairie.

_________________

[1] Shapiro (G.), Markoff (J.), « L’authenticité des cahiers de doléances », Bulletin du Comité d’histoire économique de la Révolution française, 1990-1991, p. 19-70.

[2] Robespierre Maximilien, Observations sur cette partie de la législation qui règle les droits et l’état des bâtards, dans Œuvres de Maximilien Robespierre, t. XI, Compléments (1784-1794), Société des études robespierristes, 2007, p. 137-183.

[3] Mon livre Notre patience est à bout est cité comme source à plusieurs reprises.

[4] Je place ici le signalement et la correction d’une erreur, probablement due à une faute de traduction (peut-être de l’auteur lui-même). Il est indiqué p. 505 : « Roux [visé par une campagne de dénigrement] fut exclu des Jacobins et perdit la direction des colleurs d’affiches – fonction importante. » (je souligne). Il s’agit d’une référence au groupe de colleurs d’affiches que la municipalité parisienne payait pour placarder les annonces publiques (ils auraient été 300 ; voir p. 280). J’ignore si Roux eut jamais la responsabilité de ces employés (Markov n’y fait aucune allusion), mais ce que l’on sait c’est qu’il était corédacteur des Affiches de la Commune, et c’est ce poste – en effet important – qui lui fut retiré.

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De Jules Leverrier (1939) à Albert Soboul (1945) ~ Naissance de l’«armée nationale» 1789-1794

20 jeudi Fév 2020

Posted by Claude Guillon in «Usages militants de la Révolution»

≈ Commentaires fermés sur De Jules Leverrier (1939) à Albert Soboul (1945) ~ Naissance de l’«armée nationale» 1789-1794

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Albert Soboul, Alfred Malleret, Anarchisme, André Viollis, Édith Thomas, Elsa Triolet, Jules Leverrier, Léonard Bourdon, Révolution espagnole, Stalinisme

Le 16 janvier 1939, paraît aux Éditions sociales internationales (ESI), installées 24, rue Racine (Paris VIe) un livre intitulé La naissance de l’armée nationale 1789-1794. Il est signé Jules Leverrier; l’auteur en est Albert Soboul qui use, pour la seconde fois, d’un pseudonyme, craignant que ses textes et probablement surtout son éditeur, lié au parti communiste, nuise à un cursus universitaire qui n’est pas achevé.

En juillet 1945, paraît, sous le nom de Soboul cette fois, une version revue et condensée du premier ouvrage sous le titre L’armée nationale sous la Révolution 1789-1794. Le texte est accueilli par les Éditions France d’abord, également liées au parti. Dans ce nouvel opus, Soboul ne s’interdit pas de citer… Leverrier en référence, sans dévoiler sa double identité.

France d’abord est un bulletin né dans la Résistance. Il est l’«organe d’information, de liaison et de combat des unités de Francs-Tireurs et Partisans français, membres de l’armée régulière des Forces françaises de l’intérieur (FFI)». Les éditions éponymes publient notamment une série de brochures sous le titre de collection «Jeunesse héroïque ». Dans l’introduction de la première livraison – L’école du maquis – Georges Sadoul explique que le Comité national des écrivains (zone Sud) et le Comité national des journalistes ont décidé à l’automne 1943 d’envoyer dans les maquis des auteurs et autrices chargé·e·s d’y recueillir des récits. Parmi ces «envoyé·e·s», on comptait André Viollis, Édith Thomas et Elsa Triolet. Nous sommes dans la droite ligne du Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français publié par Léonard Bourdon pendant la Révolution (les couvertures en couleurs en sus).

Je vais m’intéresser ici à la manière dont l’auteur relie son livre à l’actualité politique et militaire, en 1939, puis en 1945. Pour cela, je reproduis les deux préfaces. Celle de «Leverrier» est de l’auteur; celle du Soboul de 1945 est signée «Joinville».

Joinville est l’un des pseudonymes dans la Résistance de Alfred Malleret (1911-1960), militant du parti communiste, chef des Mouvements unis de Résistance pour la région Rhône-Alpes (il avait pour adjoint l’historien Marc Bloch). Il sera député de la Seine (1946-1958).

On voit comment Albert Soboul, son préfacier et ses éditeurs, tous membres du parti communiste continuent, en 1945 comme en 1939, de mobiliser (le cas de le dire!) le souvenir de Valmy et des grandes levées de volontaires pour mieux lier résistance au nazisme, patrie et nationalisme français (adjectif utilisé à profusion). Plus un mot pour les combattants espagnols qui ont rejoint les maquis, ni pour ceux de la «Nueve», cette division blindée de l’armée de Leclerc, qui viennent pourtant de libérer Paris! Il est vrai que la plupart d’entre eux sont anarchistes et internationalistes… Quant aux combattants du groupe Manouchian, sans doute n’incarnent-ils pas aussi bien que Albert Soboul la continuité du génie français que salue Malleret-Joinville.

Rendre hommage non au peuple espagnol mais «à l’armée nationale de la république espagnole», c’était rendre hommage à la contre-révolution menée par les staliniens au nom d’une «république sociale» qui passait (entre autres) par le désarmement des milice et le démantèlement des collectivisations.

En quatrième de couverture du livre signé Leverrier, la mention de celui sur Saint-Just, ses idées politiques et sociales, de Pierre Derocles, autre pseudonyme d’Albert Soboul.

Numéro clandestin de France d’abord!

Fascicules de la collection «Jeunesse héroïque».

Cliquez sur les images pour les AGRANDIR.

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Michel Vovelle – décédé le 6 octobre 2018 – dans le dictionnaire Maitron

06 samedi Oct 2018

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Michel Vovelle – décédé le 6 octobre 2018 – dans le dictionnaire Maitron

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Albert Soboul, Ernest Labrousse, François Furet, Maurice Agulhon, Nécrologie, Robert Mandrou

Né le 6 février 1933 à Gallardon (Eure-et-Loir), mort le 6 octobre 2018 ; normalien, agrégé d’histoire, professeur des universités, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française ; syndicaliste du Snesup ; militant communiste.

Michel Vovelle naquit à Gallardon (Eure-et-Loir) près de Chartres, de Gaétan Vovelle et Lucienne Vovelle, instituteurs publics issus de l’École Normale, membres du Syndicat national et pionniers du mouvement Freinet. Gaétan Vovelle (1899-1969), s’était marié avec Lucienne Verdier, née le 1er octobre 1902 à Mainvilliers, le 10 août 1926 : ils eurent trois enfants, Pierre, Jean et Michel. Homme de gauche, il a été partisan de la « libre expression » selon divers moyens, dans son cas la musique. Au temps du Front Populaire et au sein de la Coopérative de l’enseignement laïc, directeur d’école à Gallardon, il anima le groupe d’éducation nouvelle d’Eure-et-Loir qui se maintint après-guerre. Son intelligence, son habilité et sa grande sagesse en font un humaniste : il publia beaucoup, notamment un ouvrage sur Les fossiles, généralités (1953) avec des dessins commentés. Il a été pionnier dans le domaine de la musique, mais aussi du cinéma, en tant que fondateur de la commission « Jeux et chants » et de la cinémathèque. On peut penser que Michel Vovelle a hérité, d’une telle culture familiale, un profond humanisme, et un plaisir certain à écrire.


Après avoir vécu à Chartres à partir de 1938 auprès de sa mère, directrice d’école et son père, instituteur de l’École de garçons du boulevard Chasles, Michel Vovelle fut élève à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud (reçu 1er en 1953), il obtint l’agrégation en 1956. Assistant (agrégé répétiteur) à l’École (1956-1958), il fut le premier « caïman littéraire », et marqua déjà la jeune génération des normaliens par son abord de l’histoire. En 1958, il fut appelé, pour 29 mois, au service militaire, dont 10 mois en Algérie. Communiste, son intérêt pour le marxisme se précisa par l’aide qu’il apporta à son ami Gilbert Moget dans la mise au point de la première traduction française de morceaux choisies de Gramsci (1959) aux Éditions sociales. Il entama une carrière universitaire comme assistant à la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence (actuelle université d’Aix-Marseille) en 1961. Mais, au cours de la décennie 1960, il connut des années très difficiles marquées par la maladie, puis la mort de son épouse, Gaby Vovelle, normalienne, assistante puis maître-assistante en littérature comparée. Militant syndical actif au Snesup au sein de la tendance « Unité et action syndicale », et élu syndical au sein du Conseil de la Faculté, il a été aussi membre de la cellule « Duclos » du PCF. Il était devenu maître-assistant avant d’y obtenir un poste de professeur (1972-1983), après avoir soutenu son doctorat d’État le 18 juin 1971 à l’Université Lyon II sur Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle devant un jury composé de MM. Richard Gascon (Lyon) président, André Latreille (Lyon) rapporteur, Pierre Chaunu (Paris) et Maurice Agulhon (Aix). Il a épousé en 1971 Monique Rebotier (1931-2008), professeure agrégée d’histoire-géographie au Lycée Vauvenargues d’Aix-en-Provence, après avoir été enseignante en classes préparatoires (géographie) au Lycée du Parc à Lyon  : ils ont vécu dans leur maison aixoise de la Torse, ouverte aux jeunes chercheurs français et étrangers, avec leurs deux filles Claire et Sylvie. Enfin, il a occupé après 1968 des fonctions électives à l’Université de Provence : directeur de l’UER d’histoire, vice-président du conseil scientifique. Il militait à la Ligue des droits de l’homme et à l’Union rationaliste.


Professeur d’histoire de la Révolution française à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (1983-1993), succédant à Albert Soboul décédé en septembre 1982, il prit ainsi la direction de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Dans un tel cadre universitaire, il fut président de la Société d’histoire moderne (1989-1991), président de la Société des études robespierristes et de la commission Jaurès du CTHS, et président, à partir de 1985, de la Commission internationale d’histoire de la Révolution française.


Mais surtout Michel Vovelle entra dans « la bataille du bicentenaire », centre de son action pendant presque dix ans. Au lendemain de la victoire de François Mitterrand et de la gauche aux élections de mai-juin 1981, encore professeur à Aix-en-Provence, il fut chargé par le nouveau ministre de la Recherche, [Jean-Pierre Chevènement-19849], d’un Rapport sur le volet scientifique de la préparation sur Bicentenaire de 1789. À ce titre le ministre de la recherche a décidé de la constitution, sous l’égide du CNRS, d’une Commission de recherche historique pour le bicentenaire de la Révolution française. Michel Vovelle a réuni alors une commission composée de spécialistes, majoritairement, mais non exclusivement universitaires de sensibilités historiographiques diverses et en a pris le Secrétariat général, la Présidence revenant à son « maître », Ernest Labrousse (auquel il a succédé logiquement, au décès de ce dernier, en 1988). Des nombreuses et régulières réunions de cette Commission, sous la tutelle du CNRS, ont émergé un thème de recherche, « L’image de la Révolution française » et une fin, la réunion d’un Congrès Mondial à Paris, en juillet 1989. Pour mener à bien pareil projet, dans une conjoncture politique, mais aussi intellectuelle, fluctuante, voire conflictuelle (surtout durant la période dite de « cohabitation » , 1986-1988), Michel Vovelle, tout en assurant l’intégralité de son service d’enseignement (de la première année à la préparation de l’agrégation), la direction de nombreuses thèses et en poursuivant ses activités de chercheur, a adopté, ce qu’on peut appeler d’après l’une de ses expressions, « une ligne jacobino-républicaine ». C’est ainsi qu’il a parcouru et la France et le monde, parvenant ainsi à entraîner par sa force de persuasion intellectuelle et son enthousiasme, les principaux représentants mondiaux de l’historiographie révolutionnaire, comme le prouve le nombre impressionnant de participants au Congrès Mondial, réuni à la Sorbonne. En honorant l’ouverture du Congrès de sa présence, le Président de la République devait rendre un hommage appuyé à Michel Vovelle, d’autant plus qu’il a récusé l’idée d’un « catéchisme révolutionnaire » émise par « le courant critique » autour de François Furet. Le Président a déclaré ainsi que l’« on ne saurait faire l’histoire des seules obsessions du présent, par une démarche téléologique aux vertus plus polémiques que scientifiques ». Il a remis en personne à Michel Vovelle les insignes de chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur à la fin de l’année 1989, également nommé, en 1993, officier de l’ordre du Mérite. Michel Vovelle a relaté ces dix années autour du bicentenaire dans ses Mémoires du bicentenaire encore inédits.


Par ailleurs, il avait été élu à la section 41 du Comité national (1983-1986) et à la tête de la section 22 du CNU (1992-1993). Toujours membre, quoique « critique », du Parti communiste français, auquel il avait adhéré en 1956, à l’ENS, ses engagements se concrétisèrent par ses nombreuses participations à des conférences et des stages de formation politique et syndicale, en particulier à la FSU, et récemment autour d’un thème, « le réveil des Révolutions », avec les révolutions arabes. Il présida également la Société des amis de l’Humanité. Il a apporté sa contribution à la commission parlementaire sur les droits des malades et la fin de vie, et il a assuré pendant vingt ans un cours introductif aux soins palliatifs dans le centre de Villejuif.


Dès ses premiers travaux d’histoire sociale sur la Beauce, puis sur la Provence, Michel Vovelle a mené ses recherches sur le terrain des mentalités en proximité avec les travaux de Robert Mandrou, Georges Duby et Maurice Agulhon, il y a ajouté sa touche personnelle par un souci de totalisation historique, s’ouvrant ainsi à une dialectique du temps long et de l’événement qui rythme, d’une crise à l’autre, les représentations collectives à l’encontre de toute vision fixiste des structures sociales. Il s’est considéré alors, selon ses propres termes, comme un « historien de terrain, pragmatique, assumant une démarche de tradition positiviste pour répondre à son désir d’objectivité scientifique », tout en assumant ce qu’il a appelé d’une formule d’Ernest Labrousse une « préformation de sympathie » au titre d’un recours à une explication de type marxiste, inscrite dans un héritage jaurésien, et plus encore labroussien.


Son activité dans le département d’Histoire de l’université de Provence où se trouvaient des historiens réputés, Paul Veyne, Georges Duby, Maurice Agulhon, lui permit de prendre l’initiative de la création d’un Centre Méridional d’Histoire Sociale, des mentalités et des cultures (1974) qui tissa de nombreux liens interdisciplinaires (ethnologie, sociologie, linguistique, géographie, histoire de l’art) et internationaux (en particulier avec l’Italie). Plusieurs colloques sur les thèmes «Iconographie et histoire», «Histoire des mentalités, histoire des résistances ou les prisons de longue durée», «Les intermédiaires culturels», et enfin «L’événement» en 1983 ont ouvert à une jeune génération d’historien(ne)s toute une série de perspectives nouvelles. En fin de compte, son investissement durant sa période aixoise dans l’histoire de la Provence en partie élargie au Sud-Est, a été particulièrement fécond en promouvant un site exceptionnel d’expérimentation d’objets et de mise au point de méthodes de la «Nouvelle histoire».


Cependant, un de ses chantiers les plus ambitieux a porté sur La mort et l’Occident de 1300 à nos jours (1983) : il a été le point d’aboutissement d’une série d’approches monographiques à partir d’archives écrites (Piété baroque) ou visuelles (Vision de la mort et de l’au-delà) pour le conduire à une ambitieuse synthèse. Le choix central d’une enquête multiséculaire sur les attitudes collectives à l’égard de la mort a signifié alors la mise en évidence d’un moment de vérité dans une société qui se fixe, évolue, et enfin se révolutionne en se déstructurant au profit d’un nouvel imaginaire collectif, les mentalités révolutionnaires. Sa démarche a combiné différents paramètres, socio-économiques, anthropologiques, démographiques, institutionnels, religieux, culturels etc. en les appréhendant dans leur interaction. Ainsi, Michel Vovelle nous a fait comprendre à la fois les comportements séculaires inscrits dans un temps immobile et la dynamique des crises associée à la pluralité des temps. Avec la mort et aussi la fête, il a scruté la vérité historique à travers la description d’attitudes, de gestes, de rituels aussi bien dans leur part consciente qu’inconsciente. Il en est venu aussi à s’intéresser, à l’égal de l’historien italien Carlo Ginzburg, aux études de cas, du parcours de Joseph Sec à celui de Théodore Desorgues, itinéraires totalisés, si l’on peut dire, dans son ouvrage sur Aix-en-Provence (Les folies d’Aix) par la mise en évidence du jeu complexe et fluide des images et des représentations qui sous-tendent de telles stratégies. D’un côté, l’itinéraire de Joseph Sec, maître menuisier jacobin et marchand, qui a laissé un monument allégorique, réalisé en 1792 à Aix-en-Provence et dédié à la ville « observatrice de la loi », et d’un autre côté, le trajet de Théodore Desorgues, « le poète de Robespierre », fils d’avocat, situent bien ce qui est au centre de l’œuvre de Michel Vovelle sur la Révolution française : l’étude des représentations symboliques, des stéréotypes, des processus d’individuation permettant d’accéder aux conditions de visibilité des processus révolutionnaires. Son ouvrage sur les sans-culottes marseillais rend ainsi visible le lien entre d’une part des différences sociales assez peu marquées entre sectionnaires jacobins et sectionnaires modérés et d’autre part des conflits politiques extrêmes, tout en démontant les mythes constitués autour de ces acteurs de la Révolution française.

L’auteur insiste de nouveau et avec justesse sur les micro-différences sociales qui peuvent produire des maxi-conflits le temps des tensions arrivé. Il démonte des légendes, faisant des bataillons de Marseillais des volontaires de sac et de corde, n’ayant eu d’autres mérites que de porter leurs mauvaises manières à Paris et provoquer la chute du roi.


Mais retenons surtout le moment où, une fois à Paris, il a proposé son œuvre majeure sous la forme d’un récit de la Révolution française en images (1986, 5 volumes) : il y a inventé une manière de « la laisser parler », si l’on peut dire, à partir de ses représentations iconographiques, donc sans en rajouter aux strates historiographiques successives. Il s’est agi aussi d’aborder l’instant révolutionnaire, là où se côtoient l’ancien et le nouveau mais pour les interroger contradictoirement sur la base d’un socle anthropologique, et de strates institutionnelles réinvesties dans les créations de l’instant et qualifiées globalement d’invention de la politique. Sa recherche, en ce domaine, s’est concrétisée alors, au terme d’un fructueux dialogue avec les anthropologues, dans son livre sur la Géopolitique de la Révolution française (1993). À partir d’un vaste jeu de cartes constitué sur la base de données socio-politiques diversifiées, donc à distance d’une appréhension unilatérale des discours et des concepts, Michel Vovelle a décrit les chemins multiples de la politisation en révolution, y compris dans des héritages de longue durée. Le propre de son œuvre a été ainsi de nous introduire à l’héritage de la Révolution française sous l’égide des valeurs nouvelles de la modernité démocratique. C’est donc autour de l’esprit de la Révolution que s’est construite et se construit encore, dans le parcours de son œuvre, une nouvelle modalité de la totalisation historique.


Après un livre d’entretiens avec Richard Figuier publié en 1989, il a précisé deux décennies plus tard la constance de son engagement politique dans les termes suivants : « Entré au parti en 1956 quand tous les autres en sortaient, sous le coup du bouleversement profond que la découverte du stalinisme avait provoqué en moi (Y entrer pour le changer ?) je n’en suis pas sorti, même à l’épreuve de la guerre d’Algérie vécue en solitude sur l’autre rive, et je suis resté obstinément fidèle en même temps qu’hérétique convaincu » (« Un historien hors des sentiers battus », Entretien, Actuel Marx, n° 40, 2006). Le preuve en a été, et le demeure, sa présence régulière dans l’Humanité par des interventions et des entretiens. Il précise ainsi dans l’un de ces entretiens (15 juillet 2014), sa fidélité à la tradition révolutionnaire incarnée par Robespierre et Jaurès : « Dans la grande histoire de la Révolution française Jean Jaurès s’interroge sur le héros révolutionnaire et finit par dire : ‘C’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins.’ ». En fin de compte, l’œuvre de Michel Vovelle sur la Révolution française, multiplie les voies d’accès à la visibilité révolutionnaire. En effet, face aux procédures d’invisibilisation de l’idéologie dominante, sa démarche d’historien constitue l’idéologie jacobine comme une instance de raison. Il en ressort une vision révolutionnaire du monde basée sur un ensemble de représentations liées à des pratiques individuelles et des actions collectives qui se déploient en vue de la conquête d’un nouveau pouvoir politique.

ŒUVRE : Principaux ouvrages publiés :


Vision de la mort et de l’au-delà en Provence du XVe au XIXe siècle d’après les autels des âmes du purgatoire, (en collaboration avec Gaby Vovelle), Paris, A. Colin, 1970. — La chute de la monarchie (1787-1792), Paris, Seuil, 1972. — Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses de testaments, Paris, Seuil, 1973. — Mourir autrefois, Paris, Gallimard / Julliard, 1974. — rééd. coll. Folio, 1990. — L’Irrésistible Ascension de Joseph Sec bourgeois d’Aix , Aix, Edisud, 1975. — La Métamorphose de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Flammarion, 1976. — Religion et Révolution : la déchristianisation de l’an II, Paris, Hachette, 1976. — De la cave au grenier, Serge Fleury éditeur, Québec, 1980. — Idéologies et Mentalités, Paris, François Maspero, 1982. — La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983. — La Ville des morts, essai sur l’imaginaire collectif urbain d’après les cimetières provençaux, 1800-1980 (en collaboration avec Régis Bertrand), Marseille, Editions du CNRS, 1983. — Théodore Desorgues ou la désorganisation : Aix-Paris, 1763-1808, Paris, Seuil, 1985. — La Mentalité révolutionnaire : société et mentalités sous la Révolution française, Paris, Éd. sociales, 1986. — La Révolution française. Images et Récit, 5 volumes Paris, Livre Club Diderot, Messidor, 1986. — 1793, La Révolution contre l’Église : de la raison à l’Être suprême, Bruxelles, Complexe, 1988. — Les Aventures de la raison (entretiens avec Richard Figuier), Paris, Belfond, 1989. — 1789 l’héritage et la mémoire, Privat, 1989. — Histoires figurales : des monstres médiévaux à Wonderwoman, Paris, Usher, 1989. — La Révolution française, Paris, A. Colin, 1992. — L’Heure du grand passage, Gallimard découverte, 1993. — La découverte de la politique : géopolitique de la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993. — Les Âmes du purgatoire ou le travail du deuil, Paris, Gallimard, 1996. — Le Siècle des lumières, Paris, PUF, 1997. — Les Jacobins de Robespierre à Chevènement, Paris, La Découverte, 1999. — Les Républiques sœurs sous les regards de la grande nation, Paris, L’Harmattan, 2001. — Les Jacobins, Paris, La découverte, 2001. — Combats pour la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993-2001. — Les Folies d’Aix ou la fin d’un monde, Éd. Le temps des cerises, Pantin, 2003. — La Révolution française expliquée à ma petite-fille, Seuil, 2006. — Les sans-culottes marseillais, le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791 1793, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2009. — La Révolution au village. Une communauté gardoise de 1750 à 1815 : Saint-Jean-de-Maruéjols, Ed de Paris-Marc Chaleil, 2013. La Révolution française, nouvelle édition, Paris, Armand Colin, 2015.

SOURCES : Cette notice a été réalisée par Françoise Brunel (Paris 1 -IHRF) et Jacques Guilhaumou (CNRS ENS-Lyon Triangle), avec l’aide de Régis Bertrand (Université d’Aix-Marseille – Telemme) et Josette Ueberschlag (Chercheur au laboratoire Ciméos – Université de Bourgogne), à partir d’entretiens avec d’anciens étudiants et collaborateurs de Michel Vovelle, ainsi que des informations disponibles aux Archives départementales d’Eure-et-Loir (consultées par Josette Ueberschlag) aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône (entretien du 21 décembre 2007 avec le service des archives visuelles et orales, cote 14AV1, consulté par Régis Bertrand), dans l’annuaire de l’ENS Fontenay/Saint-Cloud, et les archives de l’Université de Provence et de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et des publications suivantes :

Régis Bertrand, « Michel Vovelle en Provence, de l’histoire sociale à l’histoire des mentalités », actes du colloque Aix en Provence 1948 / 1968, Création artistique et sciences humaines, Aix-en-Provence, Arch. dép-UMR Telemme, 11-13 septembre 2008, à paraître. — Jacques Guilhaumou, « Vovelle », Le Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris PUF, 2006 p. 1225. — Patrick Garcia, « François Mitterrand, chef de l’Etat, commémorateur et citoyen », Mots, n°31, juin 1992. 1789 : Révolution française / 1989 : Bicentenaire. Gestes d’une commémoration, sous la dir. de Simone Bonnafous, Patrick Garcia et Jacques Guilhaumou. pp. 5-26. Josette Ueberschlag, Le groupe d’éducation nouvelle d’Eure-et-Loir et l’essor du mouvement Freinet (1927-1947), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2016. — « Michel Vovelle » Who is Who in France, Paris, Laffitte 38e éd., 2006-2007, p. 2128. — Michel Vovelle, Les Aventures de la raison, entretien avec Richard Figuier, Paris, Belfond, 1989. — Michel Vovelle, « Un historien hors des sentiers battus », entretien avec Jacques Guilhaumou, Actuel Marx, N°40, 2006, p. 188 -198. — Michel Vovelle , « La mia strada alla storia (colloquio con Paolo Bianchini) », Studi storici, Rivista trimestrale dell’istituto

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Olivier Blanc sur la création de la “Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires” ~ Dissection d’un faux “scoop”

19 mardi Juin 2018

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bêtisier»

≈ Commentaires fermés sur Olivier Blanc sur la création de la “Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires” ~ Dissection d’un faux “scoop”

Étiquettes

Albert Soboul, Charles Aimé Dauban, Christine Fauré, Claire Lacombe, Dominique Godineau, Eugène Eschassériaux, François Xavier Audouin, Gaspard Monge, Huguette Krief, Jean-Baptiste Louvet, Jean-Nicolas Pache, Léopold Lacour, Louis de Launay, Michel Onfray, Olivier Blanc, Olympe de Gouges, Pierre Larousse, Raymonde Monnier, Sylvie Audouin

Dans un ouvrage récemment publié dans la collection des « Classiques Garnier » sous la direction de Huguette Krief (et alii) et sous le titre Femmes des Lumières. Recherches en arborescences, Olivier Blanc – entre autres biographe d’Olympe de Gouges –, donne un article intitulé « Entre héroïsme et démagogie, l’engagement politique des femmes ».

[Document reçu, et ajouté, ce 22 juin.]

Le texte s’ouvre sur un sec rappel à la nécessité du travail aux Archives nationales, « notamment les sous-séries F7, BB3, ABXIX, l’incontournable série W, notamment les papiers dits de Fouquier-Tinville et ceux du Tribunal révolutionnaire, et enfin ceux du séquestre T qui recèlent parfois des correspondances privées. »

Tant qu’à faire, l’auteur aurait pu indiquer ces cotes dans leur forme actuelle (F/7, par ex.), mais passons…

Le plus curieux est le reproche adressé aux « nombreux historien(ne)s qui se bornent aux aspects littéraires et mondains de l’histoire des femmes » de « méconnaître » cette documentation, du coup « quasi inexploitée ».

Il est vrai que la critique étant adressée à ceux qui la méritent, elle prend un aspect tautologique : celles et ceux qui ne vont pas aux AN ne vont pas aux AN ! Et ils ont tort ! Voilà un point sur lequel je m’accorde avec Olivier Blanc. Tout comme je le rejoins – mais nous sommes un certain nombre ! – sur le constat que « l’engagement politique des femmes de la fin du XVIIIe siècle est sous-estimé. »

Cependant, nombreuses sont les historiennes qui ont travaillé et travaillent dans les archives, nationales et départementales, sans que cela leur vaille d’être citées comme exemples à suivre, ou d’être citées tout court ! On s’attendrait ainsi à voir mentionné le travail de Christine Fauré sur les premiers groupes de femmes (artistes notamment). Il n’en est rien.

Quant au reste de l’article, après ce vigoureux éloge de ce qui pourrait passer pour une « histoire par en bas », il ne citera pas lui-même… une seule cote d’archive !

Passons encore sur une tentation « onfrayiste[1] » – du type « On vous cache tout, mais me voici, le grand Révélateur ! » – qui fait dire à Olivier Blanc que la présence d’hommes déguisés en femmes dans la marche sur Versailles est « un point singulier rarement évoqué », quand il serait plus rapide de dénombrer les auteurs qui n’en font pas mention…

Et venons-en au passage qui a retenu toute mon attention, puisqu’il traite des « Citoyennes (terme omis par Blanc) républicaines révolutionnaires ». – C’est moi qui souligne le passage en gras :

Ce sont surtout les meneuses du club des républicaines révolutionnaires, composé d’environ cent-soixante-dix femmes fanatisées qui feront les frais de cette récupération démagogique de leur mouvement [par le maire de Paris Jean-Nicolas Pache, par Marat et par Santerre]. Pauline Léon et surtout la charismatique Claire Lacombe, belle et éloquente comédienne, en furent la plus parfaite illustration. Elles se distinguèrent dans « la politique de l’insurrection », dite aussi du « tocsin », suscitée par la Commune de Paris, à savoir les mouvements du 25 février 1793, du 10 mars et aussi lors de l’acquittement de Marat qu’elles vénéraient. Le 10 mai, à l’instigation de Sylvie Audouin, fille du maire de Paris Pache, les citoyennes Lacombe, Colombe, Léon et quelques autres cofondèrent la société des Républicaines révolutionnaires qui, siégeant un temps en la salle de la Bibliothèque des Jacobins, allait, à sa façon, contribuer à la chute de la Gironde en s’inféodant trois semaines au mouvement démagogique de l’exagération révolutionnaire.

 Voilà une information qui a tout d’un scoop.

Non pas le fait que les citoyennes révolutionnaires aient été « manipulées » : c’est là, d’après de trop nombreux historiens – et hélas quelques historiennes – leur destin de genre. Voilà plutôt un lieu commun !

Je parle du rôle d’« instigatrice » de la fille de Jean-Nicolas Pache, Sylvie Audouin, plus précisément : Marie Sylvie Audouin (1777-1820), épouse de François Xavier Audouin (1766-1837), abbé de son premier état, vicaire de Saint-Thomas d’Aquin et aumônier de la garde nationale, Jacobin et appelé par Pache au ministère de la Guerre comme secrétaire général.

Premier étonnement de chercheur : je n’ai jamais vu mentionner le nom de Marie Sylvie Audouin parmi les militantes de la société des Citoyennes républicaines révolutionnaires. Dominique Godineau, qui a pourtant effectué pour sa thèse, dont est issu son maître livre Citoyennes tricoteuses, un travail considérable dans les archives[2], ne la mentionne pas. Elle ne figure pas davantage dans le Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l’an II d’Albert Soboul et Raymonde Monnier.

À ce stade de son développement (p. 162), Olivier Blanc ne cite ni archive ni source à l’appui de son affirmation d’un rôle déterminant de cette jeune femme dans la formation des Républicaines révolutionnaires.

« Très jeune femme », devrais-je dire. En effet, lorsqu’elle épouse l’abbé Audouin, le 15 janvier 1793, Marie Sylvie Pache n’a que 16 ans. Nous savons, certes, que de très jeunes gens et de très jeunes filles ont participé à des émeutes et aux réunions de clubs révolutionnaires ou se sont engagé·e·s dans l’armée. Il est moins plausible qu’une jeune femme de 16 ans ait pu être l’« instigatrice » de la création d’une société, dont le règlement est signé par des militantes déjà aguerries, comme Pauline Léon, âgée en 1793 de 25 ans, qui a été – elle – l’instigatrice indiscutable, l’année précédente, d’une pétition pour le droit des femmes à s’armer signée par 300 d’entre elles.

Mais Olivier Blanc poursuit (p. 163) :

La présence remarquée de Sylvie Audouin dans cette société révolutionnaire de femmes, accrédite l’accusation des Girondins, selon laquelle les femmes dites républicaines et révolutionnaires, furent instrumentalisées par la Commune de Paris, non seulement dans les émeutes du début du printemps, mais également dans les séances d’obstruction et d’intimidation qui eurent cours en mai 1793 à la Convention.

« Remarquée » ! Mais par qui ?

Cette fois, la réponse semble nous être donnée en note (n° 25), par une accumulation de références girondines – références « sèches », sans citations ; j’utilise les éditions mentionnées par Blanc, afin d’éviter tout risque d’erreur.

Les Mémoires de Jean-Baptiste Louvet tout d’abord. Dans cet ouvrage[3], à propos duquel Valérie Crughten-André usera de l’expression suivante « …ou la tentation du roman[4] », Louvet reproduit une « Proclamation de l’assemblée de résistance à l’oppression réunie à Caen aux citoyens français », postérieure et consécutive à l’insurrection anti-girondine des 31 mai et 2 juin 1793. À la page 23, citée en référence par O. Blanc, Louvet s’adresse à ses adversaires :

Mais toi, Pache, et tous les tiens, et tes municipaux, et tes cordeliers, et tes femmes révolutionnaires, tous, tous, vous nous répondez, vous nous répondez sur vos têtes [des Girondins proscrits détenus à Paris] !

Louvet suggère bien ici l’existence d’un vaste front révolutionnaire « exagéré », incluant les Républicaines, et semble en attribuer la direction à Pache. C’est davantage une information sur la manière dont Louvet apprécie – ou souhaite faire apprécier par ses concitoyens – la situation parisienne que sur cette situation elle-même.

Mais voici d’autres Mémoires girondines, celles de Buzot, également mentionnés par O. Blanc.

Les enfants de Pache, ses filles couraient comme des forcenées dans les lieux où l’on prêchait le meurtre et le pillage avec le plus d’impudence, et souvent on les a vues dans des embrassements dits fraternels en réchauffer les dégoûtantes orgies[5].

J’épargne à mon lectorat l’analyse des sous-entendus obscènes de ce passage, pour remarquer simplement qu’il n’y est fait allusion ni à Sylvie Audouin ni aux Républicaines révolutionnaires. Ces dernières ont d’ailleurs déjà fait l’objet (p. 72) dans le texte de Buzot d’un passage bien connu, que je reproduis néanmoins, non pour ses qualités littéraires ou analytiques mais afin qu’y brille pour l’éternité l’absence de la citoyenne Audouin :

Parlerons-nous ici d’une société de femmes perdues, ramassées dans les boues [au sens d’ordures] de Paris, dont l’effronterie n’a d’égal que leur impudicité, monstres femelles qui ont toute la cruauté de la faiblesse et tous les vices de leur sexe ? la vue seule en fait horreur. Ces femmes ont joué un grand rôle dans la révolution de 1793. Une vieille barboteuse [prostituée] de Paris les commande, et leurs poignards appartiennent à qui sait mieux les payer. Il parait que Lacombe, leur chef, a pris un grand empire ; et dans les débats qui se préparent entre Robespierre et ses amis, et Danton et les siens, cette impudique femelle pourrait bien faire pencher la balance en faveur du parti pour lequel elle se déclarerait.

Assez de Girondins, voici maintenant une référence « historienne » fourni par Blanc : l’Histoire de la Convention nationale du baron de Barante[6] (t. II, 1851, p. 391). Je reproduis scrupuleusement le passage :

Les Jacobins étaient dans l’usage de donner place, dans les salles du vaste couvent où ils siégeaient, à des sociétés patriotiques, dont ils étaient les patrons et les protecteurs. Il y en avait une entre autres intitulée « société fraternelle des deux sexes ». Elle avait été formée pendant l’Assemblée législative, et Mme Roland y allait alors quelquefois « pour donner le bon exemple ». Depuis, la composition de ce club s’était fort abaissée. Les fédérés et autres politiques de même trempe y affluaient et s’y mêlaient, à quelques femmes beaux esprits d’ordre inférieur. La femme et les filles de Pache y étaient assidues. Une citoyenne Lacombe était le grand orateur de la société fraternelle et venait présenter à la Convention, à la commune et aux Jacobins des adresses et des pétitions plus insensées et plus violentes que toutes autres.

La mention des filles de Pache « assidues » est probablement ce qui justifie qu’Olivier Blanc ajoute cette référence aux autres. Il ne semble pas gêné outre mesure par le fait que le baron de Barante confond évidemment deux sociétés : d’une part la Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe, et d’autre part la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, nullement formée sous la Législative puisque datant de 1793.

Ensuite, toujours dans la même note, O. Blanc fait référence – pour établir le fait que Sylvie Audouin était « fortement politisée » – à la mention par Louis de Launay d’une querelle entre la femme Audouin[7] et Carnot, au domicile de Gaspard Monge, le 9 mai 1794. Je reproduis le passage évoqué par Blanc.

Ce soir-là, dans le salon de Monge, elle se prit de querelle très vive avec Carnot, Prieur de la Côte-d’Or et d’autres membres des Comités de Salut public et de Sûreté générale : ceux que Pache [présent également, paraît-il] appelait les Septemvirs. […] Mme Ardouin [sic] voulut justifier Hébert et ses complices, dont l’arrestation avait eu lieu dans la nuit du 13 au 14 mars et l’exécution le 22 du même mois.

Cette querelle, qu’Olivier Blanc qualifie de « violente » aurait eu lieu la veille même de l’arrestation de Sylvie Audouin, de son mari, de Pache, et de la mère de ce dernier.

Louis de Launay suit ici la biographie manuscrite établie par Eugène Eschassériaux, arrière-petit-fils de Monge, qu’il avait pu consulter, et qui se trouve – depuis 2002 – à la bibliothèque de l’École polytechnique[8]. Ignorant (comme O. Blanc) sur quel document s’appuie Eschassériaux pour évoquer cette dispute, je me borne à constater qu’il n’a aucun rapport avec les Citoyennes républicaines révolutionnaires.

En avant-dernière position, Blanc mentionne dans sa note Léopold Lacour, l’un des premiers biographes français de « Rose » Lacombe :

Associée avec l’aval de son père et de son mari aux mouvements démagogiques de 1793, elle pourrait évidemment avoir contribué au financement du Club des républicaines révolutionnaires, que Lacour a soupçonné (La Revue hebdomadaire, 1899, 2e série, XI, pp. 236-256).

Ce que l’on peut dire de plus aimable à propos de cette mention est qu’elle procède d’une lecture trop rapide du texte de Lacour.

En effet, celui-ci ne « soupçonne » nullement un financement des Républicaines révolutionnaires par Sylvie Audouin, qui n’est même pas citée. Lacour rappelle que les Girondins, dont Isnard, alors président, ont dénoncé en mai 1793 à l’Assemblée les femmes qui avaient improvisé une « police révolutionnaire » contrôlant l’entrée des tribunes de ladite Assemblée. Lacour cite (pp. 242-243) un rapport de police du 16 mai :

Il est vraisemblable qu’elles sont payées… Le fait suivant confirme ce soupçon. Vers les cinq heures du soir, un particulier vint au milieu de ce groupe femelle, s’informa de ce qu’il y avait de nouveau ; on l’en a instruit, et une de ces observatrices ajouta : Vous avez vingt sols à me rendre : ce que le particulier fit aussitôt en disant à demi-voix : Il faut vivre. »

[Puis Lacour reprend] Et rien sans doute ne permet d’assurer qu’il n’y eut pas de femmes embauchées parmi les citoyennes des tribunes – ou des rassemblements aux abords de la salle ; rien non plus qu’il n’y eut point de filles [de prostituées]. Mais certainement la grande majorité se composait de femmes du peuple n’obéissant qu’à leur passion révolutionnaire ; et, quand Buzot représente en particulier la Société des Républicaines comme un club de créatures perdues, sorties du ruisseau, c’est une consolation qu’il offre aveuglément à ses ressentiments de vaincu.

Ainsi, Lacour, loin d’émettre un soupçon personnel se borne à enregistrer le point de vue Girondin-policier. Il reconnaît que l’on ne peut écarter la présence de femmes stipendiées, mais conclut contre Olivier Blanc. Lequel ne manque pas de culot en l’enrôlant comme il le fait.

Blanc aurait pu citer encore, s’il en avait eu connaissance, les déclarations de Gamon, député et membre du comité des inspecteurs de salle à la Convention qui, évoquant les mêmes incidents, affirme que « ces femmes […] sont évidemment salariées par nos ennemis ». Mais c’est la conclusion d’un raisonnement – elles sont pauvres ; comment perdraient-elles du temps à militer ? – et non le résultat des interrogatoires et investigations qu’il a pourtant menées auprès de plusieurs d’entre elles. Celles-ci lui ont déclaré s’être réunies « sous le titre de Dames de la Fraternité [9]». Aucune société féminine n’ayant jamais porté ce nom, cette fausse indication pourrait renforcer l’hypothèse d’une confusion avec la Société fraternelle.

Digression

Disons un mot des rapports rédigés par des « observateurs » de police pendant la Révolution, embauchés et mis sur le terrain par le ministre Garat, à partir du 25 avril 1793. Ils peuvent certes fournir des indications précieuses, à condition d’être considérés avec beaucoup de prudence. Il ne s’agit pas, comme nombre d’historien·ne·s semblent le croire au vu de la manière dont ils-elles les utilisent, de « photographies » de l’opinion à un moment donné[10]. Certains sont fort invraisemblables, mais on doit rédiger un rapport, et comme le dit le personnage, réel ou inventé, de l’anecdote ci-dessus rapportée : Il faut bien vivre !

 Je relève ici que le récit reproduit étrangement la démarche de l’observateur de police lui-même en l’attribuant à un « particulier » : il « s’informe de ce qu’il y a de nouveau » – on ne nous dit pas qu’il vient rémunérer les militantes pour leur journée de faction (une seule lui réclame une somme, qu’il reconnaît lui devoir). Quant aux femmes, elles sont précisément qualifiées d’« observatrices », ce qui signifie auxiliaires de police…

Olivier Blanc abat maintenant sa dernière carte-référence :

Aimé Charles Dauban a publié dans une magistrale compilation (La Démagogie à Paris, Paris, H. Plon, 1868) l’essentiel des documents se rapportant à l’histoire des mouvements de femmes en 1793, et notamment au Club des Républicaines révolutionnaires. Les Girondins ont tous pointé le rôle de la Commune dans la récupération anti-girondine de ces mouvements rassemblant environ 170 femmes « du peuple », peu instruites, désargentées, et souvent égarées par l’extrême démagogie des discours et des publications, également par l’argent distribué (Dauban, op. cit., p. 189).

On craint de comprendre, en lisant la première phrase de ce passage, éloge d’ailleurs extravagant dont je recommande à tout·e étudiant·e ou curieux-se de ne tenir aucun compte, que M. Blanc s’est abstenu – au moins sur le sujet qu’il traite dans cet article – d’appliquer l’excellent conseil qu’il donne aux autres dans son introït. Pourquoi perdre son temps dans les archives, puisque Dauban a déjà « publié l’essentiel des documents » ?

Précisons que le chiffre « 170 » concerne uniquement les sociétaires inscrites chez les Citoyennes républicaines révolutionnaires, et non « les mouvements de femmes » parisiennes, qui se retrouvent dans d’autres sociétés, mixtes ou non, et dans la rue, par milliers, notamment à l’appel des premières.

Quant à la page 189, elle reproduit le même rapport de police auquel Lacour faisait allusion, et qu’Olivier Blanc a déjà évoqué. C’est donc une redondance et non une nouvelle référence qui viendrait à l’appui des autres.

Finissons-en en remarquant que M. Blanc eut été bien inspiré de ne pas se fier à Dauban et de lire plus attentivement le texte de Léopold Lacour qu’il a utilisé (on a vu comment). En effet, ce dernier reproduit l’article XXVI du règlement des Républicaines (texte intégral sur ce blogue et dans Deux Enragés de la Révolution):

La Société, considérant qu’on ne peut refuser la parole à aucun membre, et que de jeunes citoyennes pourraient, avec les meilleurs intentions du monde, compromettre la Société par des motion peu réfléchies, arrête qu’elle fixe l’âge de dix-huit ans pour être reçue membre de la Société.

Aussi précoce et « fortement politisée » qu’on l’imagine, il faut donc croire que la pauvre Sylvie Audouin était aussi une fichue gourde pour être l’instigatrice d’un club qui l’excluait dès sa formation, du fait de son âge !…

Retenons

Rien ni dans les documents évoqués par Olivier Blanc ni dans les nombreux documents publiés par ailleurs (et je ne parle pas ici du pauvre Dauban !) n’établit, à ce jour, un rôle quelconque joué par la fille de Pache dans la création de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires. C’est une « légende historienne » qu’il vaut mieux arrêter dans sa course avant qu’elle ait parcouru trop de chemin.

____________

Statut du texte de l’article : acheté sur Internet sous forme électronique.

[1] « Onfrayiste » ; de Michel Onfray, panégyriste de Charlotte Corday et révélateur de « vérités cachées » dans tous les domaines de la connaissance.

[2] Ce qui ne suffit pas à la grandir aux yeux d’Olivier Blanc, qui lui reproche surtout d’appartenir à « l’école soboulienne », ce qui n’est d’ailleurs pas factuellement inexact.

[3] Dont le début exact du (très long) titre est Mémoires de Louvet de Coudray, député à la Convention nationale [etc.], Paris, 1823.

[4] Les Mémoires de Jean-Baptiste Louvet ou la tentation du roman, Paris-Genève, Honoré Champion-Slatkine, 2000.

[5] Mémoires inédits de Pétion et mémoires de Buzot & de Barbaroux […] précédés d’une introduction par C. A. Dauban, 1866, p. 78. Ce passage de Buzot, dont la première édition est de 1794, a inspiré M. Thiers dans son Histoire de la Révolution française, seconde édition, 1828, t. III : « La femme, les filles de Pache allaient dans les clubs, dans les sections, paraissaient même dans les casernes des fédérés, qu’on voulait gagner à la cause […]. »

[6] À propos de Amable Guillaume Prosper Brugière, baron de Barante, on peut lire dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse : « Sa répugnance pour la démocratie se manifesta dans divers écrits politique, surtout dans son Histoire de la Convention nationale […] qui sont loin d’avoir ajouté à sa réputation. Chose remarquable, il se garda bien d’appliquer ici son fameux précepte : Écrire pour raconter, non pour prouver. Ces morceaux, d’un médiocre intérêt d’ailleurs, sont, en effet, non de simples et calmes narrations, mais des thèses de contre-révolution, des plaidoyers de parti, empreints de la plus aigre partialité, et qui, en outre, fourmillent d’erreurs et passeraient pour de fort plates compilations, s’ils n’étaient pas signés d’un nom aussi respecté. »

[7] Que M. de Launay renomme « Ardouin » ; Un grand Français. Monge, fondateur de l’école polytechnique, s. d. [1933], pp. 121-122.

[8] Fonds Gaspard Monge. Le récit d’Eschassériaux, que Blanc ne mentionne pas et que je n’ai pas été consulter figure certainement soit sous la cote IX GM 29 (Notes sur la vie de Monge et sur sa famille) soit IX GM 30 (Vie de Monge par Eugène Eschassériaux. Manuscrit en 5 volumes).

[9] Convention, 18 mai 1793, Moniteur, t. 16, p. 421.

[10] On commet de nos jours la même naïveté à propos des « micros-trottoirs », dont abusent les journalistes de radio et de télévision.

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«À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

23 vendredi Fév 2018

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur «À la recherche de “la Terreur”. Petit détour historiographique et proposition d’une méthode», par Jean-Clément Martin

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Adolphe Willette, Albert Mathiez, Albert Soboul, Alphonse Aulard, Émile Littré, Billaud-Varenne, François Furet, Georges Lefebvre, Guillotine, Henri Wallon, Jacques Guilhaumou, Jean Jaurès, Jean-Clément Martin, Jean-Pierre Faye, Lutte des classes, Maurice Agulhon, Michel Mourre, Mona Ozouf, Mortimer-Ternaux, Robespierre, Terreur, Théophile Leclerc

Le «petit détour» qu’annonce modestement Jean-Clément Martin est en réalité un récapitulatif historiographique fort utile où se manifeste le don de synthèse de l’auteur d’une Nouvelle histoire de la Révolution française (Perrin, 2012).

Je suis seul responsable des illustrations (dont deux caricatures de Willette, et un tee-shirt imaginé par Gil).

 

À la recherche de «la Terreur».

Pour le philosophe Jean-Pierre Faye la formule : «Robespierre régna par la terreur» représente la «version standard de la terreur» opposée aux Droits de l’Homme et du Citoyen de façon mécanique[1]. Pour savoir comment et quand cette «version standard» a pu naître, nous proposons ici une brève excursion dans les traditions historiographiques en privilégiant celle qui se développa à la Sorbonne. L’approche est limitée à la définition et à la chronologie retenues pour parler de «la Terreur».

Commençons cependant par relever que l’imprécision des dates retenues pour parler de «la Terreur» s’est alliée sans peine avec la répétition du jugement. Quelques exemples tirés du passé suffisent pour illustrer le propos. Si l’historien Mortimer-Ternaux (1808-1872) hésite sur la date inaugurale de la terreur avant de la fixer au 20 juin 1792, jour où «l’anarchie» entra dans «l’asile inviolable de Louis XVI», il fait ensuite un récit détaillé des massacres successifs du «règne de la Terreur[2]». Quand l’historien et homme politique de droite Henri Wallon (1812-1904) publie en 1873 son «étude critique» sur la Terreur, il la fait commencer également le 20 juin, et établit d’emblée le lien entre 1793 et la Commune de 1871 [3]. Même le républicain Émile Littré (1801-1881) résume la période ainsi : «La terreur se dit absolument de l’époque de la Révolution française pendant laquelle le tribunal révolutionnaire et l’échafaud furent en permanence[4]», à quoi fait écho, au siècle suivant, le Dictionnaire de Michel Mourre (1928-1977) : «La terreur… était destinée à intimider les “ennemis de la nation”. Elle devait s’identifier au règne de la guillotine, mais elle se manifesta aussi par des mesures économiques draconiennes, telle que la loi du maximum… L’un des aspects les plus horribles de la Terreur fut le vaste système de délation organisé dans toute la France par la Convention elle-même[5]».

Considérons alors la tradition «universitaire» fondée, avec adresse, par le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, Alphonse Aulard (1849-1928). Distinguant entre institutions officielles et réalités empiriques, il estime que si le «gouvernement révolutionnaire» est officiellement installé par le décret du 10 octobre 1793, il a débuté le 10 août 1792 quand l’Assemblée législative a pris en main le gouvernement et nommé les ministres, proposant des distinctions qu’il faut citer. «Le gouvernement révolutionnaire, dans son ensemble, est souvent appelé gouvernement de la Terreur. On appelle aussi Terreur la période où ce gouvernement exista dans toute sa force, ou même on remonte plus haut et on fait commencer la Terreur à la journée du 10 août 1792. On entend aussi par Terreur un système politique qu’on croit découvrir dans la république démocratique. Nous avons vu cependant qu’il n’y a rien de systématique dans la création du gouvernement révolutionnaire […] qu’il se forma empiriquement, au jour le jour [imposé…] par les nécessités successives de la défense nationale […] Mais, s’il n’y eut pas un système de terreur, il y eut bien réellement un régime de terreur» dont la caractéristique serait la suspension des principes de 1789 et qui aurait débuté en août-septembre 1793. Il conclut ainsi que l’usage du mot terreur a été «usuel», notamment le 5 septembre, quand Barère parla de placer «la terreur à l’ordre du jour».

La conclusion qu’il en tire est double. D’une part, «le gouvernement prit une étiquette terroriste, non certes par préférence ou par système, mais pour rassurer les Parisiens […] Dans la pratique, il essaya de faire prévaloir une politique humaine et modérée, mais avec des paroles parfois violentes». Si bien que ces mesures ne sont qu’occasionnelles et opportunistes : dès le 2 Germinal, pour «montrer qu’elle répudiait la Terreur, même comme un système provisoire», la Convention mit «la justice et la probité à l’ordre du jour» et supprima l’armée révolutionnaire[6]». Mais d’autre part, Aulard convient qu’«il n’existait plus aucune liberté quand le gouvernement révolutionnaire fut à son apogée. La moindre opposition exposait un citoyen à l’échafaud, y exposait même une femme.» Ainsi «dans la politique gouvernementale, surtout dans les discours, la terreur fut bien à l’ordre du jour pendant quelque temps[7]».

En rassemblant dans une dizaine de pages les principales mesures répressives prises à partir du printemps 1793 Aulard brouille finalement les jugements. La Terreur fut «effet et moyen du gouvernement révolutionnaire», «gouvernement de circonstance, créé pour le présent, empiriquement et sans système et sans plan», en même temps qu’une institution essentielle pour défendre le pays et porteuse de «préoccupations d’avenir», dont les limites avaient été vues et dénoncées par Danton, Robespierre et Billaud. En postulant l’unité de la Révolution et en n’interrogeant pas l’application des décisions prises, Aulard réussit à faire oublier la question de la réalité de «la Terreur».

Dans cette présentation, les luttes entre factions sont évoquées discrètement pour expliquer comment le courant robespierriste réussit à éliminer les autres, girondins, hébertistes, dantonistes, avant que toutes les mesures prises ne débouchent sur la «dictature de Robespierre[8]». Il n’hésite pas à qualifier de «terroristes» des décrets du comité de Salut public, comme celui qui décide de l’arrestation de Danton et de ses amis et juge que les comités de surveillance furent les agents «les plus violents de la “Terreur”[9]». Quelques années plus tard, Aulard prend des positions plus simples qui lui permettent d’éloigner la révolution en France de celle qui a lieu alors en Russie. Il souligne que la Convention, «tout en prenant des positions terroristes» (adjectif étonnant, le mot n’apparaissant pas avant fin 1794) ne mit pas «formellement la Terreur “à l’ordre du jour”». Si bien que Robespierre «guillotiné comme violent, n’avait jamais voulu faire de la violence un système, ni même un régime[10]».

Jean Jaurès partage cette position. Mais s’il ne dissocie pas «la terreur» de la politique de la Convention, il récuse l’expression «système de terreur» qui, pour lui, relève des arguments des contre-révolutionnaires[11]. Sous cette réserve, il accepte la formule «la terreur à l’ordre du jour» qui rendrait compte de l’existence de l’unité entre le mouvement révolutionnaire et la Convention. Il en conclut que «l’excès de la Terreur devait conduire à l’abolition de la Terreur» quand «la terreur» fut au seul service du gouvernement. Comme Aulard, Jaurès n’identifie pas les principes de 1789 avec le sang répandu.

C’est avec plus de détermination politique, qu’Albert Mathiez (1874-1932), élève, rival et successeur de fait d’Aulard, analyse «la Terreur» comme une «dictature de détresse[12]». Dans une conférence donnée en 1920 intitulée : «Robespierre terroriste[13]» comme dans les fascicules publiés entre 1921 et 1927 qui composeront plus tard La Révolution française, il compare «la Terreur» avec la situation de la France entre 1914 et 1918, lorsqu’elle installe l’état de siège, censure la représentation nationale, la presse et les communications privées, enfin fait comparaître les suspects de trahison devant les cours martiales. En 1920, il relevait que la Cour de cassation aurait réhabilité plus de 2 700 personnes qui avaient été condamnées par erreur pendant la première guerre mondiale, en soulignant que ce chiffre est supérieur à celui des guillotinés à Paris pendant «la Terreur».

Pour lui, celle-ci a été imposée par les Hébertistes le 5 septembre au travers de mesures précises : mise sur pied de l’armée révolutionnaire, organisation de réquisitions dans les campagnes ; elle est devenue permanente après le 17 septembre et le vote de la loi des suspects qui a donné «une impulsion vigoureuse» au gouvernement révolutionnaire[14]. Elle aura duré jusqu’au 9 Thermidor, culminant dans la dictature du comité de Salut public après l’élimination successive des opposants hébertistes et indulgents. Mathiez insiste sur le programme politique du comité élaboré dans le printemps 1794, réunissant la nation sous sa férule et organisant l’éducation, ce qui donne, pour lui, le sens de «la Terreur».

Mais comme il le dit : «La France révolutionnaire n’aurait pas accepté la Terreur si elle n’avait pas été convaincue que la victoire était impossible sans la suppression des libertés[15]», si bien que la victoire de Fleurus, le 26 juin 1794, rend «la Terreur» inutile et insupportable. Elle était justifiée par l’union de tous ceux qui la dirigeaient. Elle est «déshonorée» quand cette union est rompue et qu’elle n’est plus «qu’un vulgaire poignard» saisi par des révolutionnaires «indignes» pour frapper «les meilleurs citoyens», en premier lieu, Robespierre, condamné par ses anciens alliés[16]. À l’évidence, l’expérience de la révolution bolchevique, avec laquelle Mathiez rompt pourtant rapidement, est passée par là[17].

Lorsque Georges Lefebvre (1874-1959) accède à la chaire de la Sorbonne, en 1936, il reprend l’histoire de la Révolution là où Mathiez l’avait laissée, tout en lui donnant une inflexion importante. Ainsi son livre Les Thermidoriens, publié en 1937, s’ouvre-t-il par le rappel de la situation au 9 thermidor. Pour lui, la France est alors sous «la dictature du Comité de salut public» qui, devant «le péril extrême», avait donné au «gouvernement révolutionnaire» «la force qui lui manquait depuis 1789». «La Terreur» était l’expression de la «force coactive» qui avait permis la stabilité, la centralisation et la mobilisation générale du pays. Le succès militaire à l’extérieur comme à l’intérieur du pays allait «détendre les ressorts de la défense révolutionnaire[18]».

La fin de «la Terreur» est inévitable puisque la Convention «répugnait secrètement» à cette dictature et qu’elle pouvait saisir la division survenue entre les membres du comité de Salut public pour s’en débarrasser. L’Assemblée avait supporté que «la Terreur» soit mise à l’ordre du jour en septembre 1793 et que « a grande Terreur» soit imposée en Prairial an II ; mais elle ne «pouvait [pas] pardonner» à Robespierre de «l’avoir décimée» et d’avoir frappé ou inquiété «presque tout le monde[19]».

Ainsi «la Terreur» est-elle comprise comme la réponse légitime et obligée du gouvernement à la demande de «volonté punitive» réclamée par le peuple à l’encontre des comploteurs et des opposants. Alors que de 1789 à 1793, les gouvernants n’avaient ni évité les «effervescences» ni supprimé les menaces qui pèsent sur la Révolution, c’est avec «la crise de 1793 […] qu’ils entreprirent d’organiser la Terreur» pour empêcher le retour des massacres de septembre[20]. Ces phrases, tirées du livre La Révolution française de G. Lefebvre dans l’édition révisée en 1962 par Albert Soboul [1914-1982] alors qu’il occupait la chaire de la Sorbonne, résument bien la ligne que ces deux historiens – le maître et l’élève – défendent dans les années 1950-1960. Pour eux l’urgence poussa à la simplification des procédures judiciaires, à la centralisation de la répression envers les adversaires comme à l’intimidation des récalcitrants, sans que les mesures puissent être toutefois contrôlées par le gouvernement, qui dut laisser beaucoup d’autonomie aux sans-culottes et à ses émissaires. «La Terreur» fut ainsi le moment où «la force coactive» permit la restauration de l’autorité de l’État et l’acceptation des sacrifices indispensables. Quand «la Terreur» devint un pur instrument de gouvernement et se retourna contre les sans-culottes eux-mêmes, que «la grande Terreur» fut instaurée en Prairial, alors que «la victoire révolutionnaire» devenait assurée, le 9 Thermidor mit fin à ce gouvernement d’exception[21].

Il faut peser le sens de l’expression «force coactive» qui, dans une tradition juridique et religieuse, signifie «qui a le droit ou le pouvoir de contraindre». Ainsi l’Église, force coactive, ne pouvant pas infliger de peines, édicte des lois que le Prince applique. En considérant que la Convention fait appliquer ses lois par les districts et les comités révolutionnaires, le «gouvernement révolutionnaire» termine donc «les crises de la Révolution[22]». Cette interprétation supprime les hésitations d’Aulard sur la réalité et l’effectivité de «la Terreur», elle simplifie, en la reprenant, la démonstration de Mathiez et justifie donc la répression tout en reconnaissant que «la passion répressive[23]» allait trop loin et qu’elle s’était appuyée sur des «éléments qui l’étendirent inconsidérément et qui la polluèrent[24]». Elle participe de l’effort que G. Lefebvre avait entamé dès les années 1930 pour donner une vision cohérente, époque par époque, du cours de la Révolution. Cherchant à expliquer la succession des conflits par le choc entre classes sociales ou au moins entre groupes sociaux identifiés, la Révolution était la suite des révolutions aristocratique, paysanne, bourgeoise et enfin sans-culotte.

La synthèse des travaux d’A. Soboul telle qu’elle fut établie en 1982, reprit pour l’essentiel la démonstration mais en durcissant le trait : «La Terreur retrancha de la nation les éléments socialement inassimilables ou ayant lié leur sort à celui de l’aristocratie», elle «contribua à développer le sentiment de la solidarité nationale» et «fut en ce sens un facteur de victoire» après avoir brossé à grands traits l’examen du bilan humain de la période[25].

Les choses seraient simples si dans sa thèse publiée en 1958, A. Soboul n’avait pas, avec un grand souci de précision, établi les faits d’une façon qui conduisaient à d’autres conclusions. En dépouillant de très près les archives et la presse, il montrait que le 5 septembre 1793, lorsque la délégation des sans-culottes et des jacobins était entrée dans la Convention en demandant, avec d’autres réclamations, que la terreur soit mise à l’ordre du jour, «la Convention et le peuple manifestèrent leur désapprobation : la loi devait présider la terreur». La terreur n’était pas évoquée davantage dans le compte rendu de la journée, permettant de conclure que «la terreur légale l’emporte sur l’action directe prônée par les feuilles extrémistes» et annonçant «l’opposition inéluctable entre le Gouvernement révolutionnaire et le mouvement populaire[26]».

Si la demande de terreur fut bien réelle parmi les sans-culottes, la politique menée par la Convention fut donc d’en limiter les effets, d’éliminer les meneurs et d’en récupérer l’élan. Soboul montre ainsi l’Assemblée «résignée[27]» à accélérer la terreur avant de la confisquer, ce qui renvoie bien à la signification ambiguë de la journée du 5 septembre 1793. Ce n’est alors que par volonté de magnifier le mouvement populaire, malgré les faibles effectifs qu’il mobilise, que l’historien parle de «La Terreur» ou du «système de la Terreur[28]» alors même que dès décembre 1793, l’Assemblée récuse les attentes des sans-culottes, avant de contrôler étroitement leurs activités[29]. La «grande Terreur» de Prairial n’est plus que la mise en forme d’une rhétorique qui n’a plus de réalité politique[30].

Un courant critique, illustré notamment par l’historien Jacques Guilhaumou, a réagi en voulant distinguer la formule et la signification de «la Terreur[31]». «La terreur à l’ordre du jour» devrait être comprise comme le principe du mouvement révolutionnaire, faisant de «la Terreur» le moment d’une suspension des droits. Ainsi «le caractère de la terreur, c’est alors un enchevêtrement – où se lient Terreur et droits de l’homme sans se confondre – de projets énonçables dans la perspective d’une république démocratique, de procès sourds entre factions, d’institutions civiles émancipatrices, d’affrontements de langage au sein de la Convention détentrice d’un pouvoir législatif tout puissant, de pratiques terroristes et sanglantes dans des luttes politiques localisées, etc.». Il conviendrait alors «de renoncer à désenchevêtrer sans cesse ces éléments caractéristiques de la terreur» pour en conserver la dynamique, au risque de s’affranchir des vérifications érudites.

Relevons que cette ligne explicative de «la Terreur» qui identifie violences populaires et violences d’État, amalgame massacres et idéologie et confond vengeances et système de «Terreur», et garde l’usage de catégories données comme sûres («Jacobin» étant l’exemple le plus remarquable) ne se différencie pas en définitive des autres lignes, contre-révolutionnaire illustrée par P. Chaunu et J. Tulard ou «critique» conduite par F. Furet et M. Ozouf[32]. Remarquons qu’aucune de ces interprétations ne retient comme pertinente l’exacte similitude entre les tueries commises au nom de la Révolution et au nom de la Contre-Révolution. Ces dernières sont certes bien moins nombreuses que les autres, mais elles sont aussi moins étudiées ; or de Machecoul en mars-avril 1793 à la «terreur blanche» dans la vallée du Rhône, les modalités des mises à mort ne furent guère différentes de celles qui avaient été à l’œuvre en juillet 1789 contre Bertier et Foulon, ou pendant les massacres de septembre 1792. Qu’elles aient été commises contre la Révolution n’empêche pas qu’elles ont été le fait du «peuple» mécontent des autorités qu’il n’avait pas choisies et qui réclamait le respect de ses convictions. Toutes ces émotions s’inscrivaient, aussi, logiquement – personne n’en doute, mais qui en tire toutes les conséquences ? – dans les habitudes de rébellion que les ruraux et les citadins pauvres possédaient et pratiquaient depuis des siècles dans le royaume. De ce point de vue, l’épisode révolutionnaire ne se différencie pas des guerres de religion, dont la mémoire hantait tous les acteurs des années 1790, qui invoquaient régulièrement la Saint Barthélemy[33].

Aucune de ces trois lignes d’interprétations n’adopte cette lecture des faits ; toutes les trois, au contraire, postulent l’unicité entre les deux types de violences, populaire et étatique, et refusent d’intégrer dans leurs raisonnements le jeu politicien et l’instrumentalisation des mouvements sans-culottes. Pour les historiens opposants à la Révolution, tout fait sens, de septembre 1792, voire du 14 juillet 1789, aux charrettes de l’été 1794, en passant par la guerre de Vendée, il n’y eut qu’un mouvement unique qui dévasta le pays, sous la direction des révolutionnaires et principalement de Robespierre. Pour les partisans, l’encadrement politique de «la Terreur» répondit aux vengeances réclamées légitimement par le «peuple» instituant une «justice populaire» nécessaire en temps de crise. Dans tous les cas, le lien entre violence et politique est posé comme irréfutable et fondamental.

Papier à en-tête de la Commission révolutionnaire de Metz

Ce que je propose, au contraire, est d’insister sur l’importance des luttes politiciennes et des calculs tactiques, dès juillet 1789, surtout en 1793, avant qu’en juillet-août 1794 Tallien ne se révèle comme le plus talentueux des manipulateurs. En introduisant cette dimension considérée comme médiocre, puisqu’elle montre que les discours d’assemblée et leurs grandes envolées doivent être lus au prisme des rivalités de groupes et des enjeux personnels, nous n’avons pas la volonté d’«abaisser» la Révolution ou de justifier des actes injustifiables, mais simplement de rappeler que l’épisode révolutionnaire doit être lu comme tous les épisodes historiques, sans a priori idéologiques, sans tabous, et qu’il convient de juger les projets politiques en fonction de leurs conditions réelles de mises en œuvre, sans postuler à l’avance qu’il y eut une quelconque immédiateté entre les mots et les actes, sans vouloir lire les événements dans une perspective téléologique[34].

Un point doit être ajouté à propos du «gouvernement révolutionnaire» installé de facto après le 4 décembre 1793 qui, pour le dire d’un mot, suspend les élections, met toutes les institutions sous le contrôle direct de la Convention et de ses comités, et supprime ainsi toute distinction entre pouvoirs législatif, exécutif et pour partie judiciaire. La nature du régime mis ainsi en place est délicate à interpréter. Il n’y a pas suppression du droit, il y a même affirmation de la force de la loi, contre les mésusages commis pendant les mois précédents et qui sont condamnés : l’analogie peut se faire avec l’installation d’un état de siège, correspondant aux besoins d’un État en guerre[35]. La comparaison historique pourrait s’établir avec l’absolutisme de Louis XIV à la fin de son règne, mobilisant son royaume pour résister à l’Europe et réprimant les sujets indociles, les protestants pourchassés et réprimés dans la guerre des Camisards, qui n’a pas grand chose à envier à la guerre de Vendée. Billaud-Varenne est un des principaux protagonistes de ce gouvernement révolutionnaire, qui ne sera pas véritablement pris en considération six mois plus tard dans la dénonciation lancée contre Robespierre et «la Terreur» qu’il aurait dirigée. La «réalité» de la Révolution ne peut pas être appréhendée hors de ces luttes factionnelles, voire personnelles._________________

[1] Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Paris, Gallimard, 1982. Jacques Guilhaumou, Discours et événement, l’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 20.

[2] Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Paris, Michel Lévy, 1863, t. I, p. 8-9.

[3] Henri Wallon, La Terreur. Étude critique de l’histoire de la Révolution française, Paris, Hachette, t. I, 1873.

[4] Émile Littré, Dictionnaire, Monaco, Éditions du Cap, 1966, p. 6276.

[5] Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1993, T. VIII, p. 4580. Relevons qu’après Thermidor, la guillotine ne fut jamais installée place de la Révolution (devenue de la Concorde).

[6] A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, Paris, A. Colin, 1909, pp. 357-359.

[7] Ibidem, p. 366.

[8] Études précises à propos de Robespierre dans Jean Ehrard, dir., Images de Robespierre, Naples, Vivarium, 1996.

[9] A. Aulard, Ibidem, p. 354.

[10] A. Aulard, «La théorie de la violence et la Révolution française», La Révolution française, 1924, pp. 97-117, ici pp. 112-113. Dans le même numéro, Boris Mirkine-Guetzévitch, «La littérature russe contemporaine», notamment pp. 333-355, parle de l’écho de l’article d’Aulard en Russie.

[11] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, t. VI, p. 1157.

[12] Albert Mathiez, La Révolution française, Paris, Club du meilleur Livre, 1959, p. 398.

[13] A. Mathiez, Études sur Robespierre, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1988, pp. 58-85.

[14] A. Mathiez, La Révolution… op. cit., pp. 424-425. Du même, «L’inauguration de la Terreur», Annales révolutionnaires, 1922, p. 477-496. Mathiez considère donc que la «Terreur légale» (p. 495) opposée «aux violences anarchiques rêvées par un Théophile Leclerc» (un Enragé) a été installée sans justifier davantage son point de vue. Il note aussi que l’élection à la présidence de la Convention de Billaud-Varenne atteste de l’entrée de l’hébertisme au gouvernement qui a imposé cette orientation, malgré Robespierre. L’article se poursuit en 1923, p. 89-111.

[15] Ibidem, p. 540.

[16] Ibidem, p. 551 et Études… op. cit., pp. 84-85.

[17] M. Vovelle, «La galerie des ancêtres», Combats pour la Révolution française, La Découverte, SER, Paris, 2001, pp.14-23.

[18] Georges Lefebvre, Les thermidoriens-Le Directoire, Paris, A. Colin, [1937] 2016, p. 17.

[19] Ibidem, pp. 18-19.

[20] G. Lefebvre [éd. révisée par A. Soboul], La Révolution française, Paris, PUF, 1968, pp. 414-415.

[21] Ibidem, pp. 415-422.

[22] J.-C. Martin, Nouvelle Histoire, op. cit., p. 407.

[23] G. Lefebvre, La Révolution…, op. cit., p. 421.

[24] Ibidem, p. 418.

[25] A. Soboul, La Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1982, pp. 358-362.

[26] Ibidem, pp. 172-175.

[27] Ibidem, pp. 258-259.

[28] Ibidem, pp. 212, 224, 226, 234.

[29] Ibidem, pp. 258-259.

[30] Ibidem, p. 930.

[31] J. Guilhaumou, «Alphonse Aulard, Jean Jaurès et l’historiographie républicaine de la terreur», Revolution.net, mis en ligne le 5 janvier 2007, consulté le 21 mars 2017.

[32] Voir l’usage fait par Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989.

[33] Exemples : la « Saint-Barthélemy » des patriotes en Italie, AP, t. 73, p. 580, le 9 septembre 1793 ; la religion cause de la Saint-Barthélemy, AP, t. 79, pp. 548, 557, 20 novembre 1793 ; le roi imbécile qui ordonna la Saint- Barthélémy, AP, t. 80, p. 8, 24 novembre 1793.

[34] Voir Maurice Agulhon, «Débats actuels sur la Révolution en France», AHRF, 1990, 279, pp. 1-13.

[35] Ce qui n’a rien à voir avec un «état de siège fictif».

 

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“Jacques Roux, le curé rouge” ~ traduction française du livre de Walter Markov, en librairies le 19 octobre. Présentations à Besançon et Montreuil.

28 jeudi Sep 2017

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Jacques Roux, le curé rouge” ~ traduction française du livre de Walter Markov, en librairies le 19 octobre. Présentations à Besançon et Montreuil.

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1793, Albert Soboul, Éditions Libertalia, Démocratie directe, Enragé·e·s, Féminisme, Jacques Roux, Jean-Numa Ducange, Matthias Middell, Républicaines révolutionnaires, Robespierre, Roland Gotlib, Société des études robespierristes, Stéphanie Roza, Stefan Zweig, Walter Markov

Jacques Roux, le curé rouge, traduction de la biographie de l’Enragé des Gravilliers par l’historien de RDA Walter Markov sera disponible en librairies à partir du 19 octobre 2017.

C’est une coédition Libertalia et Société des études robespierristes (SER), à l’initiative de cette dernière.

C’est aussi l’aboutissement d’un long travail, dont l’extrait de l’introduction reproduit ci-après donne une idée.

C’est un beau et gros livre de 520 pages, vendu 20 €.

Il contient une bibliographie, un index des noms cités. Un CD-rom est joint sur lequel sont publiés l’intégralité des textes et discours de Jacques Roux, ainsi que plusieurs articles de Walter Markov, Matthias Middell, Roland Gotlib, et Claude Guillon.

Pourquoi un tel retard ?

[Extrait de l’Introduction]

Si le fait qu’aucun historien universitaire français n’a pris la peine de rédiger une monographie sur Roux reste une énigme, en revanche il semble possible d’émettre quelques hypothèses sur l’absence de traductions de Markov, des décennies durant. À dire vrai, au moins une tentative s’est appuyée sur une thèse de doctorat, d’ailleurs largement inspirée par les recherches de l’historien est-allemand. Cette thèse, dirigée par Soboul en 1978, n’avait peut-être que l’ambition – déjà méritoire ! – de révéler les travaux alors méconnus voire inaccessibles de Markov. Dans l’exemplaire conservé à l’IHRF figure, collé en première page, un courrier d’Albert Soboul par lequel il propose aux Éditions sociales (les éditions du PCF de l’époque) de publier le travail de Bersot dans la collection « Classiques du peuple ». En cas d’accord, les éditeurs sont invités à transmettre d’abord le manuscrit à Walter Markov, « pour quelques corrections et mises au point ». Cette tâche fut épargnée à Markov et le volume souhaité par Soboul, son ami depuis le milieu des années 1950, ne vit pas le jour.

Si Marx avait salué Roux comme un des premiers «communistes», la lecture stalinienne de la Révolution en France mettait davantage l’accent sur le « bloc jacobin » et valorisait l’action de Robespierre – dont les textes ont, eux, été édités à plusieurs reprises par les Éditions sociales. Roux et les Enragés faisaient plutôt figure de précurseurs des différents courants d’extrême gauche, alors en rivalité violente avec le PCF. Aussi Roux a-t-il pu faire les frais d’un contexte où il était nécessaire de défendre la Convention robespierriste davantage que les courants «gauchistes».

Mais ces considérations ne peuvent tout expliquer. Un autre facteur, au moins, doit être avancé : la difficulté de la langue. L’allemand de Markov est en effet difficile, parfois impossible à comprendre, fût-ce pour un germanophone! D’ailleurs émaillé d’allusions absconses, écrit dans un style qui se veut littéraire, fort éloigné des normes universitaires, le texte est aride, même pour un public familier de l’histoire révolutionnaire. Markov s’en est expliqué dans un entretien publié peu avant la chute du mur de Berlin : il dit s’être inspiré, quoique avec précaution, de la biographie littéraire à la Stefan Zweig. Évoquant les reproches que Hans Mayer, universitaire et critique, adressait à ce dernier, Markov rétorque :

« La critique d’Hans Mayer à l’égard des nouvelles et des biographies passionnées de Stefan Zweig a de véritables fondements. Je ne la partage pourtant pas tout à fait. Ce que l’astucieux auteur a par exemple à nous dire sur Fouché me paraît valoir le détour et procurer un certain plaisir de lecteur – pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’historien ? »

Le présent travail d’édition – qui doit beaucoup à l’inventivité et à l’habileté scrupuleuse de Stéphanie Roza, la traductrice – tient compte de ces difficultés majeures. L’équipe éditoriale – S. Roza et les auteurs de cette introduction – ont ainsi pris la liberté de simplifier certaines formulations ou certains passages du texte qui rendaient problématique sa compréhension. Ajoutons à cela que l’original ne comprend presque pas de notes : son établissement dans la version française a donc nécessité un long travail de reconstitution et d’actualisation des sources et de la bibliographie.

Ce sont probablement ces caractéristiques du livre, ajoutées à une frilosité historiographique et politique, qui ont empêché Markov de devenir, en son temps, un classique de l’histoire révolutionnaire en langue française. Déplorable lacune, que nous sommes heureux de pouvoir combler aujourd’hui grâce à l’initiative de la Société des études robespierristes.

Optimistes par la volonté, nous nous consolons du délai de maturation considérable – un demi-siècle! – nécessaire à cette entreprise, en observant que les thèmes chers à Roux et aux Enragé(e)s se trouvent au cœur des mouvements sociaux du XXIe siècle:  droit de tous aux produits de première nécessité, citoyenneté des femmes, souveraineté populaire et démocratie directe. Tandis que nombre d’historien(ne)s continuent de se réclamer de « l’histoire par en bas », des militant(e)s de gauche et révolutionnaires se tournent vers la Révolution française pour y refonder leur réflexion et leur stratégie. Dans le même temps, l’héritage philosophique et révolutionnaire des Lumières demeure la cible historique préférée à la fois de l’extrême droite, catholique ou paganiste, et des fanatiques islamistes.

Autant dire que Jacques Roux nous revient à point nommé!

Jean-Numa Ducange & Claude Guillon

 

DEUX PRÉSENTATIONS

J’aurai le plaisir de faire la première présentation nationale du livre à Besançon, à l’occasion de la «Rentrée libertaire», le 4 octobre, à 20h30.

La deuxième présentation (et première “parisienne”) aura lieu lors de la fête des 10 ans des Éditions Libertalia, le samedi 14 octobre à 16h, à La Parole errante (Montreuil). Voir le programme complet ci-dessous.

Je serai cette fois en compagnie de Jean-Numa Ducange.

Les membres de l’équipe éditoriale, Jean-Numa Ducange, Stéphanie Roza et moi-même, sommes a priori disponibles pour venir présenter le livre dans des librairies, bibliothèques, associations, comités d’entreprise, etc.

N’hésitez pas à nous contacter.

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Un dispositif de “démocratie directe”: la Convention doit travailler sous la surveillance des assemblées primaires, réunies en permanence (1793)

27 lundi Fév 2017

Posted by Claude Guillon in «Démocratie directe XVIIIe-XXIe siècle», «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Un dispositif de “démocratie directe”: la Convention doit travailler sous la surveillance des assemblées primaires, réunies en permanence (1793)

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1793, Albert Soboul, Assemblées primaires, Démocratie directe, Gros de Luzene, Jean-François Varlet, Raymonde Monnier

Gros de Luzene, membre de la section de la Butte-des-Moulins, l’un des bastions modérés du Paris sectionnaire, n’a guère laissé de traces dans l’histoire, en dehors du texte de la brochure que l’on va lire ci-après : Liberté, Souveraineté, Égalité, dont j’ai récemment acquis un exemplaire[1].

Celle-ci ne se trouve-t-elle pas à la BN, ni presque nulle part ailleurs, excepté un exemplaire recensé par le CCF à la BM de Rouen (aucun autre dans le monde, d’après le KIT). Albert Soboul était cependant tombé sur un exemplaire aux Archives nationales (cote actuelle : MIC/AD/I/69 ; bobine n° 2 ; 96-194/96-198). Il est d’ailleurs, à ma connaissance, le seul — avec l’auteur d’un article en russe — à la mentionner : il en cite une phrase p. 508 de sa thèse Les Sans-culottes parisiens en l’an II [2] (1958).

Ayant connaissance du texte et de son auteur, on ne peut soupçonner que c’est par inadvertance qu’il ne le mentionne pas dans le Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l’an II, publié vingt-sept ans plus tard avec Raymonde Monnier[3]. Gros de Luzene n’a probablement occupé aucun poste — dont nous ayons conservé trace au moins — dans sa section. Mais il aurait pu figurer sous la rubrique « Militants ».

Je n’ai, pour ma part, déniché qu’une mention d’un Gros de Luzene, que je présume (sans preuve) être plutôt un parent de notre auteur. Dans le Mercure de France du samedi 28 avril 1787, figure dans la « Troisième liste des Personnes qui ont fait leur Déclarations & Soumissions […] de contribuer à l’établissement de quatre nouveaux Hôpitaux, capables de suppléer à l’insuffisance de l’Hôtel-Dieu de Paris […] », un « M. Gros de Luzene, Bourgeois de Paris », pour la somme de 150 livres.

Soboul estime que la brochure date de « l’été 1792 ». J’ai vérifié sur l’exemplaire des AN qu’aucune mention manuscrite ne pouvait éclairer ce choix. Au regard du déroulement des débats sur la constitution de 1793, dont un décret du 26 juin prévoit qu’elle sera sanctionnée par le peuple convoqué en assemblées primaires, je pencherai plus volontiers pour le début ou le printemps 1793.

« Les assemblées primaires doivent être permanentes » jusqu’à l’achèvement de la constitution, estime Gros de Luzene, qui plaide également pour la révocabilité des mandataires.

Cette « permanence » prônée me semble un élément original. Il ne s’agit pas seulement de faire sanctionner la constitution par le peuple réuni, mais de faire travailler la Convention – jusqu’à achèvement du texte – sous la pression continue des assemblées primaires, susceptibles de peser sur les débats et de rappeler tel mandataire, infidèle à son mandat.

L’auteur va même plus loin: pour lui, c’est un peu comme si de multiples cervelles surveillaient un même corps, puisque «une convention nationale, c’est le souverain assemblé».

Autrement dit: les assemblées primaires sont la Convention, et elles décident — pour des raisons strictement pratiques — de «former un point de ralliement par ses mandataires».

La «Convention», au sens de réunion physique des mandataires, est le lieu de la communication des multiples cervelles souveraines entre elles, le lieu de mise en forme et en actes (législatifs et constitutionnels) d’une «intelligence collective» qui réside et s’élabore dans toutes les assemblées de l’Empire.

On comparera avec un extrait du Projet d’un mandat spécial et impératif, rédigé par l’Enragé Jean-François Varlet après le 10 août 1792 :

Vous ajouterez cet article important à la déclaration des droits de l’homme : la souveraineté du peuple est le droit naturel qu’ont les citoyens, dans les assemblées, d’élire sans intermédiaires à toutes les fonctions publiques, de discuter eux-mêmes leurs intérêts, de rédiger des mandats aux députés qu’ils commettent pour faire des lois, de se réserver la faculté de rappeler et de punir ceux de leurs mandataires qui outrepasseraient leurs pouvoirs ou trahiraient leurs intérêts ; enfin, d’examiner les décrets qui tous, hormis ceux que commandent des circonstances particulières, ne peuvent avoir force de lois, qu’ils n’aient été soumis à la sanction du souverain dans les assemblées primaires.

La revendication de modalités d’une « démocratie directe » est l’un des sujets que j’aborderai le 15 mars 2017 lors de la séance du séminaire doctoral de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF).

Pour les détails, se reporter au programme du séminaire publié ici-même.

capture-decran-2017-02-27-a-14-11-18Cliquez sur l’image pour l’AGRANDIR

LIBERTÉ, SOUVERAINETÉ, ÉGALITÉ

 

D’après le principe incontestable que la souveraineté réside dans la nation, ne perdons jamais de vue dans nos assemblées primaires les moyens de ne pas la rendre illusoire.

D[emande]. Que représentent nos assemblées primaires ?

R[éponse]. Nos assemblées primaires représentent la souveraineté de la nation assemblée.

D. Pourquoi le souverain se rassemble-t-il ?

R. Pour y porter son vœu impératif pour la conservation de son bonheur et de sa liberté.

D. Comment le vœu impératif qui doit faire la loi peut-il être exprimé ?

R. Par la collection des cahiers, dans lesquels nos mandataires, nos ambassadeurs sont chargés de faire l’extrait de la majorité des vœux, qui doit faire loi impérative.

D. Quels sont les moyens d’empêcher le génie malveillant de mettre pour loi impérative la minorité des vœux de la nation ?

R. L’impression, rien que l’impression, par oui et par non ; des vœux des différens cantons de l’empire, sur-tout des vœux majeurs qui intéressent le repos et le salut de l’empire. (Chacun pourra, par ce moyen, reconnoître son vœu.)

D. Qu’est-ce qu’une convention nationale ?

R. C’est le souverain assemblé dans les différens points de l’empire, qui convient de former un point de ralliement par ses mandataires, et non ses représentants, pour que la collection majeure des vœux nationaux soit exprimée pour loi impérative.

D. L’assemblée de convention nationale peut-elle, dans les circonstances épineuses où nous sommes, faire des loix ?

R. Oui, l’assemblée peut faire des loix provisoires de circonstance ; mais pour qu’elles puissent être loix du royaume, il faut que le souverain, toujours jaloux de ses droits qu’il ne veut plus aliéner ni compromettre, ait porté son vœu par assis et levé, ou par oui ou par non.

D. Les assemblées primaires du souverain doivent-elles subsister pendant l’assemblée de convention nationale ?

R. Oui, messieurs, pendant le danger de la patrie, le souverain doit être à son poste, à la tête de son armée, à la tête de ses affaires ; il doit être par-tout ; il doit être dans toute son activité, pour veiller sur ses ambassadeurs, pour que ces mêmes ambassadeurs ou ses mandataires ne puissent rien entreprendre d’après l’arbitraire contre son vœu. Donc les assemblées primaires doivent être permanentes, jusqu’à ce que l’assemblée de convention nationale ait perfectionné sur les bases divines de la déclaration des droits de l’homme, l’édifice majestueux de notre constitution.

D. Dans l’ancien régime, les ambassadeurs des rois, ou bien soi-disant leurs représentans, avoient-ils le droit, d’après leur conscience, ou leurs arbitraires dans les cours où ils étoient envoyés, de faire des traités, des alliances, sans le vœu bien exprimé de leurs maîtres ?

R. Non, les ambassadeurs, les soi-disant représentans des rois, n’étoient que des mandataires, et les porteurs ou les communicateurs des ordres de leurs maîtres ; et si par des cas fortuits, comme chargés des intérêts de leurs maîtres, ils exprimoient leur volonté particulière, elles n’avoient jamais de force ni de consistance qu’elle n’eût été sanctionnée par l’approbation de leurs maîtres.

D. Que résulte-t-il de cette simple conséquence ?

R. Il en résulte que si les despotes, jaloux de leurs droits usurpés, n’ont des ambassadeurs que pour être porteurs de leurs ordres, et que quiconque de ses ambassadeurs s’en écartoit, étoit de suite rappelé, remplacé et puni.

À plus forte raison le souverain, dont les droits imprescriptibles et inaliénables ne sont pas une usurpation, doit être jaloux de la conservation de ces mêmes droits, et dont un de ses mandataires, qui porteroit atteinte à ces mêmes droits, doit être rappelé, remplacé et puni. Donc si l’assemblée de tous ses mandataires, venoit à porter atteinte à ces mêmes droits, le veto national est là, et le veto national réprime sans commotion toutes les tentatives des génies malveillans. Le silence ou le veto sera l’expression du vœu général. Que le mandataire soit convaincu d’avance que cette mission est faite pour élever l’ame de l’homme probe ; qu’il soit convaincu d’avance, qu’il doit compte à ses commetans, et un compte sévère et exact ; qu’il soit convaincu, enfin, que ses commetans ont le droit de le juger, (s’il a prévariqué de le punir) s’il a rempli ses devoirs de l’estimer, et l’estime des hommes libres, pour un citoyen honnête, est une récompense inappréciable.

Les représentans de la nation sont inviolables, et moi aussi, citoyen ordinaire faisant mon devoir, je suis inviolable ; et quiconque m’assassineroit seroit puni de mort, et quiconque assassineroit un mandataire inviolable, comme moi citoyen, perdroit la vie. Quelle différence peut-il y avoir entre le mandataire du peuple ou le simple citoyen ? Puisque les assassins des deux perdent la vie, l’inviolabilité devient une absurdité. Si, parce que je suis préposé mandataire fidèle de 50 000 hommes, je puis m’ingérer [sic] de leur être infidèles, de les voler impunément, de les enchaîner impunément, de les trahir, et enfin de les assassiner, de les précipiter dans l’abîme impunément !

Jamais le peuple souverain, par l’affreux souvenir des maux que lui ont occasionné une inviolabilité aussi absurde et aussi révoltante, ne permettra que ses mandataires puissent eux-mêmes devenir autant de despotes, qui puissent séparément enchaîner cinquante mille hommes, et collectivement toute la nation.

Tout ce qui jure aux principes, doit être détruit ; l’arbitraire ou le despotisme, c’est le synonyme, ne peut exister chez une nation libre, où elle ne veut pas l’être, parce que, d’après la conscience de 400 mandataires sur 700, il convient que la souveraineté de la nation soit illusoire ; parce que, d’après la conscience de 400 mandataires séduits par l’or et l’espoir des places et des dignités, il convient que la nation soit réduite à la plus affreuse servitude. Ce qui convient à de tels hommes ne peuvent être des loix ; car la loi est l’expression de la volonté générale. Or, la volonté générale ne peut être d’être enchaînée par la conscience de 400 mandataires infidèles. Donc le despotisme des mandataires, qui peuvent compromettre la souveraineté nationale, doit être rejetté comme attentatoire à la liberté et à l’égalité.

Donc nos mandataires doivent être les porteurs de nos ordres, les suivre strictement, ne s’en pas écarter, et doivent répondre à leurs commettans de tout ce qu’ils ont dit, écrit ou fait dans l’exercice de leurs fonctions de mandataires.

Un mandataire est homme, il peut se tromper ; mais comme il doit être éclairé, il ne peut le lendemain soutenir son erreur. Au contraire, il se fera un devoir et un honneur de l’abjurer publiquement ; l’homme vertueux, qu’il soit notre représentant ; dès qu’il cesse de l’être, qu’il soit strictement notre mandataire, et qu’il devienne responsable devant ses commettans : par ces moyens, vous détruirez l’intrigue ; l’intrigant lui-même, dans cette dignité, la sentira, ne pourra plus la compromettre, et par ce moyen vous aurez une vraie représentation.

GROS DE LUZENE, Section de la Butte des Moulins

De l’Imprimerie de G. F. GALLETTI, aux Jacobins Saint-Honoré.

____________

[1] J’en ai saisi le texte d’après cet exemplaire.

[2] Les Sans-culottes parisiens en l’an II. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire 2 juin 1793 – 9 thermidor an II, Librairie Clavreuil, 1958.

[3] Publications de la Sorbonne, 1985.

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