Le sujet s’y prête. Les leçons historiographiques couvrent un spectre immense et contradictoire, l’acteur principal demeure un sujet d’une complexité inépuisable, enfin l’étude des femmes, surtout de leurs interventions politiques et sociales, est loin d’être aussi avancée qu’on pourrait l’espérer après quelques décennies de travaux reconnus.
En mobilisant toutes les ressources possibles, débats, journaux, mémoires et ouvrages histoire de la Révolution française, Claude Guillon traque impitoyablement les réticences et les dérobades de Robespierre devant les prétentions des femmes à être reconnues comme autrices, comme citoyennes et surtout citoyennes révolutionnaires.
Que ce soient par ses allusions, ses compliments et même par ses silences, Robespierre manifeste constamment une misogynie partagée avec la quasi-totalité des hommes de son époque. Plus intéressant est de relever, comme le fait l’Auteur, la dimension proprement politique de cette attitude qui vise plus spécifiquement les femmes les plus engagées dans la Révolution avec le groupe des «Enragés», Varlet, Leclerc et Roux, alliant ainsi des réclamations sociales et politiques aux revendications de «genre». Si la chose n’est pas inconnue, C. Guillon relève avec précision toutes les tentatives faites pour exonérer Robespierre de ce travers en accumulant les citations empruntées à A. Mathiez, à F. Gauthier ou Y. Bosc et M. Belissa. De ce fait la démonstration suit un itinéraire compliqué.
Plus neuf, deux chapitres sont de véritables pas de côté quand l’auteur examine les liens de Robespierre avec les dames de la Halle, occasion pour renouveler le sujet avec des citations peu fréquentes. D’un seul coup, les journées des 5 et 6 octobre 1789, la fameuse marche des femmes sur Versailles, et la fermeture des clubs féminins dans l’automne 1793 sont compréhensibles au-delà des légendes ordinaires, montrant les divisions entre les groupes de marchandes et les femmes qui allèrent à Versailles. En outre on suit les itinéraires des deux personnalités à la tête de la communauté des marchandes, ces deux «reines» des Halles et «d’Hongrie», jamais bien identifiée – ce même si le lecteur reste un peu sur sa faim à propos de la non moins fameuse Reine Audu ou Louis-Reine Leduc dont le rôle exact demeure difficile à cerner. Mais est-il possible de faire plus ?
L’essentiel est de comprendre ici que les dames des Halles sont devenues via un légendaire qui les soumettait à l’ordre masculin les héroïnes d’octobre alors qu’elles souhaitaient garder leur pouvoir sur le commerce, sans céder sur leurs convictions religieuses et surtout sans se soumettre aux citoyennes républicaines révolutionnaires. Toutes les ambiguïtés des politiques menées par les hommes au pouvoir, Robespierre évidemment qui doit être compris dans ce groupe-là, sans vouloir l’en isoler, sont ainsi mises à plat dans l’espoir que les histoires à venir de la Révolution ne les gomment pas mais réfléchissent à ces errements, dont la connaissance ne peut que servir à en éviter le retour, le cas échéant.
Jean-Clément Martin

Texte publié sur Le blog de Jean-Clément MARTIN.