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“Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes” ~ par Titiou Lecoq, avec un dithyrambe de Michelle Perrot

30 dimanche Jan 2022

Posted by Claude Guillon in «Bêtisier», «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur “Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes” ~ par Titiou Lecoq, avec un dithyrambe de Michelle Perrot

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Charlotte Corday, Christine Fauré, Claire Lacombe, Etta Palm d'Aelders, Geneviève Fraisse, Louise de Kéralio, Marat, Olympe de Gouges, Pauline Léon, Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, Titiou Lecoq

J’avais d’abord feuilleté le livre en librairies, ce qui ne m’avait pas donné envie de l’acheter. Et puis j’ai lu des critiques enthousiastes et d’autres sur un registre dont j’ai souvent dit ici-même à quel point il m’agace : si-ce-livre-permet-ne-serait-ce-qu’à-une-lectrice-de-découvrir-l’histoire, etc.

L’Histoire, devrais-je écrire, puisque si l’on se propose de nous expliquer pourquoi elle a effacé les femmes, nous savons dès la première de couverture qu’elle a commis ce forfait à l’aide de sa grande « H » (plaisanterie connue).

Parce que je ne suis pas omniscient, je me reporte au chapitre 11 qui concerne mon domaine de recherches – « Révolutionnaires étouffées » – qui traite de la Révolution française.

Je vais y « apprendre » [pp. 179-180] ce que des dizaines de textes rédigés par des lecteurs et lectrices de Wikipédia m’ont déjà enseigné : Pauline Léon et Claire Lacombe « ensemble ont fondé la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires » (non).

Plus original, et non sourcé, comme de bien entendu, on m’explique que « ces femmes », expression qui englobe Pauline et Claire, Etta Palm d’Aelders, Louise de Kéralio, Olympe de Gouges et quelques autres « veulent des femmes dans la magistrature, dans l’armée et aux postes importants de l’Église. » Telle que formulée, et attribuée à un groupe aussi hétéroclite, cette prétendue revendication n’a tout simplement aucun sens.

Puisque j’en suis aux détails qui heurtent, voici la manière dont est évoquée la politique de Marat, à propos de sa meurtrière Charlotte Corday :

Devant les appels de Marat à tuer tout le monde. […] [p. 187]

Terrible petit bruit de la sottise qui heurte le zinc du comptoir du Café du commerce.

Le propos général de l’ouvrage est de mettre à portée du plus grand nombre ou au moins « d’un » plus grand nombre les travaux des historiens et historiennes, censés reposer dans des oubliettes éditoriales ou de poussiéreuses revues.

C’est mentir. De nombreux livres d’histoire, rédigés par des spécialistes atteignent des tirages très honorables.

Puisque Geneviève Fraisse est – à juste titre – citée et utilisée à plusieurs reprises par Lecoq, remarquons que l’on peut trouver en collection de poche Folio plusieurs de ses ouvrages, ce qui n’est pas précisément un signe de clandestinité.

Incompréhensible, et impardonnable, est l’absence de Christine Fauré, directrice d’une Nouvelle encyclopédie politique et historique des femmes (Les Belles Lettres, 2010).

Je vais m’attarder sur le problème des références. J’ai mentionné Fraisse ; on en rencontre d’autres, mais quant à savoir selon quels critères elles sont choisies pour figurer dans les notes, mystère et boule de gomme ! Disons que là où une référence est donnée, il en existe neuf qui sont tues.

De plus dans un livre qui se prétend outil de « passeuse » entre scientifiques et grand public, on s’attendrait à une bibliographie commentée, par exemple à la fin de chaque chapitre. Et avec les adresses ou au moins les noms de nombreux sites et blogues… Or, à part les notes de bas de page, il n’y a rien.

De temps à autre, l’autrice lance dans l’éther une incitation qui doit lui paraître suffisante. Ainsi à propos de Communardes, dont elle vient d’énumérer les patronymes.

Allez lire leurs vies [sic], elles sont toutes passionnantes.  [p. 238]

D’ailleurs, quand on se plaint de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, comment ne pas signaler l’existence de deux associations (au moins) qui travaillent à conserver et mettre en valeur la mémoire des femmes: Mnémosyne, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre et les Archives du féminisme…

Quant au style, après un coup de chapeau à l’écriture inclusive, l’autrice se dispense du moindre point médian (il ne faudrait pas dérouter le grand public !). Elle adopte ici et là un style relâché, censé, je suppose, réduire encore les méfiances de celles et ceux qu’inquiète le bon français. Doit-on croire que la formule « un décret les chasse de l’armée » aurait rebuté beaucoup de monde ? Nous lisons : « Un décret les vire de l’armée » [p. 189]. Dans le même registre, pour qualifier l’action de Napoléon : « Après le bordel de la Révolution… ».

Ou bien ce livre n’a pas eu d’éditeur, ou bien il s’agit d’un procédé démagogique.

À défaut de relecture, l’ouvrage a bénéficié d’une campagne d’affichage publicitaire, et d’une préface de Michelle Perrot qu’elle conclut sur une formule dont on a compris que je ne la partage pas : « À lire absolument ».

On m’objectera, comme d’habitude, que – même vendu comme une savonnette et écrit avec les pieds – le livre est « sympathique » puisqu’il défend la visibilité des femmes dans l’histoire, et qu’il est possible que des jeunes gens et jeunes filles s’y découvrent un intérêt pour l’histoire des femmes. Il est impossible de réfuter un tel argument, ce qui indique assez son caractère non-scientifique.

En l’état, cet ouvrage non seulement n’apporte rien sur le sujet qu’il prétend traiter, mais se trouve très en retard (au moins dans le domaine qui m’intéresse) sur l’état présent de la recherche. D’honnêtes lectrices et lecteurs croiront de bonne foi tenir entre leurs mains un état actualisé des connaissances, quand ils·elles n’auront en main que le énième produit surfant sur la vague #MeToo – ça n’est pas moi qui fait le rapprochement, mais Michelle Perrot dans sa préface.

Ma dernière pensée (de ce billet) ira aux arbres, certes issus d’une « forêt gérée durablement »… Combien d’arbres pour faire savoir que Marat voulait « tuer tout le monde » ?

_____________________________

Statut de l’ouvrage

Acheté en librairie. 326 pages, 20, 90 €.

Le slogan publicitaire épuise ici la définition de l’emphase mensongère.

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“Robespierre, les femmes et la Révolution” ~ Introduction

06 mercredi Oct 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Robespierre, les femmes et la Révolution” ~ Introduction

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Albert Mathiez, Anne Simonin, Annie Geffroy, Antoine Barnave, Éric Hazan, « Théorie du genre », Bernard Nabonne, Caroline Fayolle, Cesare Vetter, Christine Fauré, Claire Lacombe, Claude Mazauric, Dominique Godineau, Edward P. Thompson, Enragé·e·s, Florence Gauthier, Gérard Noiriel, Georges Lefebvre, Guillaume Mazeau, Hector Fleischmann, Hervé Leuwers, Howard Zinn, Jacques Roux, James Friguglietti, Jean Artarit, Jean-Charles Buttier, Jean-Clément Martin, Jean-Luc Chappey, Jean-Numa Ducange, Jean-Pierre Melville, Jeanine Stievenard, Karen Offen, Laurence De Cock, Laurent Dingli, Lucien Febvre, Lutte des classes, Marcel Gauchet, Marcus Rediker, Mathilde Larrère, Michelle Zancarini-Fournel, Misogynie, Noah C. Shusterman, Norbert Bartkowiak, Pauline Léon, Pierre Serna, Psychanalyse, René Laforgue, Robespierre, Serge Reggiani, Société des études robespierristes, Stéphanie Roza, Suzanne Desan, Terreur, Timothy Tackett, Walter Benjamin, Walter Markov, Yannick Bosc

Je donne ci-dessous – à destination des personnes qui n’ont pas encore eu la curiosité ou l’occasion d’ouvrir le livre – l’introduction de Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).

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Le présent ouvrage s’inscrit dans la suite de mon travail sur le courant des Enragé·e·s pendant la Révolution française, amorcé au début des années 1990 par la publication de Deux Enragés de la Révolution, Théophile Leclerc & Pauline Léon (La Digitale, 1993). L’invitation par les historiennes Christine Fauré et Annie Geffroy à participer à la journée d’études sur la «Prise de parole des femmes pendant la Révolution» qui s’est tenue en Sorbonne le 11 décembre 2004 à l’initiative de la Société des études robespierristes (SER) et de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) – et dont les actes ont été publiés dans les Annales historiques de la Révolution française (AHRF) en 2006 – a été l’occasion de compléter mes recherches sur Pauline Léon. J’ai par la suite publié un recueil des écrits des Enragé·e·s intitulé Notre patience est à bout (IMHO, 2009 ; deux nouvelles éditions largement augmentées, notamment sur l’activité de Leclerc après 1794, sont parues chez le même éditeur en 2016 et 2021). Je me suis ensuite consacré, aux côtés de Stéphanie Roza et de Jean-Numa Ducange, à l’entreprise d’établissement et de traduction de la biographie de Jacques Roux Curé rouge par Walter Markov, coédité par la SER et les éditions Libertalia[1] (2017).

Mon intérêt pour la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, cofondée par la chocolatière Pauline Léon et qu’elle rallia – avec l’aide de l’actrice Claire Lacombe – au courant des Enragé·e·s m’a amené à vouloir comprendre la formation et la radicalisation des groupes de femmes révolutionnaires. J’ai donc entrepris des recherches sur ce sujet, peu traité dans l’historiographie, si l’on excepte quelques travaux pionniers déjà anciens et souvent mal connus, et de rares publications récentes (Dominique Godineau pour Paris ; Christine Fauré ; et Suzanne Desan en anglais).

Un «blogue historien» créé en 2013, La Révolution et nous, me sert de carnet de recherches et me permet de mettre à disposition le travail de veille effectué sur ces questions.

Ce volume constitue également la première partie d’un diptyque consacré aux femmes pendant la Révolution. Le second volume – Le club et la pique. Femmes révolutionnaires 1789-1793 – traitera de la politisation collective des femmes dans les groupes et sociétés qu’elles ont formées dès l’automne 1789.

Plusieurs raisons m’amènent à étudier le rapport entre Robespierre et les femmes. Une raison historique d’abord : tout indique que le leader Jacobin a joué un rôle déterminant dans l’interdiction des clubs de femmes, en octobre 1793, qui vint sceller pour longtemps – avant le Code Napoléon – la sujétion des femmes dans la société française[2]. Qu’il ne se soit pas agi d’un objectif – conscient, au moins – de Robespierre est un point que nous examinerons en temps utile.

Une double raison historiographique ensuite : ce sujet apparaît comme l’angle mort de toutes les biographies, anciennes et récentes, y compris lorsqu’elles sont l’œuvre d’historiens sérieux et critiques [3] comme Hervé Leuwers et Jean-Clément Martin. Notons en outre que le principal ouvrage qui s’en est proposé l’étude date de 1909. Encore Hector Fleischmann, son auteur, entendait-il livrer «pour la première fois [4] dans tous ses détails, la vie sentimentale et amoureuse» de Robespierre, ce qui n’est pas mon principal centre d’intérêt. Il y eut, en 1938, une autre tentative – plus romancée encore – d’un écrivain dont on a tout oublié, y compris qu’il fut lauréat du prix Renaudot [5]. Et, plus récemment, un opuscule de Mme Jeanine Stievenard, dont la présentation par l’éditeur m’a dispensé de la lecture[6].

Une raison de commodité méthodologique enfin : ayant donné dans ce premier ouvrage toute sa place à Robespierre – et aux femmes (plus ou moins) révolutionnaires qu’il appréciait et·ou utilisait – il me sera loisible de donner la parole aux citoyennes révolutionnaires, et non à leurs ennemis, dans le second.

J’ajoute que, si Robespierre est le personnage central de cet ouvrage, les termes du titre – Robespierre, les femmes, la Révolution – doivent aussi être considérés à égalité dans les rapports complexes qu’ils entretiennent. Ainsi par exemple, l’attitude de Robespierre lors de la marche des femmes à Versailles des 5 et 6 octobre m’intéresse, comme son instrumentalisation des «Dames de la Halle» qui y ont participé – ou de certaines d’entre elles. Mais pour cerner l’attitude d’un homme et ses conséquences, j’ai besoin de décrire le contexte révolutionnaire autrement qu’en quelques lignes convenues. Autrement dit, il arrivera non seulement que nous empruntions les bésicles de Robespierre, mais qu’il nous serve de regard sur les événements et sur les mentalités – au sens d’une ouverture pratiquée dans une canalisation, une chaudière, ou une cuve pour en faciliter la visite[7]. De sorte que si lectrices et lecteurs en sauront, je l’espère, davantage sur Maximilien Robespierre après avoir refermé ce livre, cette lecture leur aura appris au moins autant sur la manière dont les femmes ont été considérées durant la Révolution.

Histoire des femmes, histoire engagée [8]

Je retiens de prime abord un principe que je considère caractéristique d’une méthode scientifique – ce terme s’oppose ici à idéologique et à moraliste ainsi qu’à la succession dans la recherche de modes conceptuelles: sauf s’il a été démontré qu’un concept est erroné et qu’il a conduit à des interprétations fausses, et à moins qu’un concept plus récent (ou redécouvert) ait montré une efficience plus grande (tout en étant exclusif du premier), il est absurde d’y renoncer.

C’est pourquoi j’utilise, entre autres, le concept de «lutte des classes». La plupart des historiennes et des historiens s’en gardent aujourd’hui, affectant de considérer comme scientifiquement acquis son caractère obsolète, au point qu’ils se dispensent même d’en faire mention. Oh ! bien sûr, l’histoire actuelle n’ignore pas toutes les classes sociales, surtout si l’on entend par là des catégories sociologiques dont les rapports conflictuels s’expliquent davantage par une allant-de-soi «nature humaine» – et la bonne vieille psychologie (à feuillage persistant) qui en rend compte – que par des intérêts matériels et historiques antinomiques.

Au XXIe siècle, la vision de classe souffre, comme elle en a souffert au XVIIIe siècle, d’un problème d’accommodement : on n’y distingue plus le prolétariat (— En Chine ! dites-vous) tandis qu’on affirme qu’il était impossible à discerner en 1793. Naguère pas encore tiré du néant, déjà disparu… Ça n’est pas la bourgeoisie qui se laisserait réduire ainsi au rôle d’ectoplasme ! elle, dont la présence toute naturelle se laisse constater, réconfortante, telle la rosée du matin…

Pour réfuter une «explication» par la lutte des classes, rompant ainsi avec la discrétion de ses collègues, Timothy Tackett écrit dans son essai sur «la Terreur» – en réalité une énième histoire de la Révolution, à laquelle l’étude de la «terreur» sert de fil rouge [9] :

 Il semble maintenant clair que le déclencheur [litt. : l’impulsion directe] des événements de 1789 ne vint pas d’une lutte idéologique ou d’une lutte de classes, mais d’une crise financière et fiscale de la monarchie française, et que cette crise était avant tout le produit d’une lutte géopolitique dans laquelle la monarchie s’était engagée elle-même.

J’ignore si quelque auteur a cru voir dans la lutte des classes le déclencheur, l’impulsion, l’étincelle (comme on voudra) de la Révolution française. Je me contente de l’analyser comme un de ses moteurs, ce qui ne me gêne aucunement pour prendre en compte les éléments de contexte que Tackett énumère.

L’étonnant succès de librairie d’Une histoire de la Révolution française (2012), dont l’auteur Éric Hazan a joui d’une réputation flatteuse (et surfaite) de spécialiste des insurrections passés et à venir [10], a montré qu’une interprétation de la Révolution allégée du concept de lutte des classes (comme on retire le sucre ou le gluten d’un aliment industriel) – et même des classes en général, puisqu’il n’aurait existé en 1789 ni bourgeoisie ni prolétariat! – peut séduire un public « de gauche » en mal de références historiques et émotionnelles. L’auteur a surtout affiché le grand dénuement théorique dans lequel l’a plongé cette opération, dont ses conseillers historiens « robespierristes » ne l’avaient sans doute avisé ni des motivations ni des conséquences [11]. Empêché d’analyser le robespierrisme comme maximum de la politique sociale bourgeoise, Hazan se trouve incapable d’expliquer l’élimination de l’extrême gauche cordelière et enragée, dont il ne peut que déconseiller la réitération (ou son équivalent) aux révolutionnaires du futur, leur laissant un pense-bête à la Saint-Just sur la porte du congélateur : «Ne laissez pas glacer la Révolution!».

C’est encore pourquoi j’utilise le concept d’«inconscient» et certains outils forgés dans la pratique analytique. Reconnaissons aux spécialistes de l’histoire davantage d’ostentation à ce propos : ils et elles ne manquent jamais de préciser qu’ils y sont hostiles, qu’ils en sont revenu·e·s, pour autant qu’ils s’y soient jamais égaré·e·s [12]! Le même conférencier qui s’excuse d’avoir oublié le texte de son intervention dans sa voiture (dont il a égaré les clefs) qualifie de ridicule l’idée que les clubistes Jacobins ont pu accumuler des actes manqués, voire développer des névroses. Telle historienne – d’ailleurs talentueuse – récuse le freudisme dans un sourire, avant d’insister longuement sur l’importance en histoire de «l’estime de soi», concept qu’elle juge apparemment mieux établi et plus précis que celui d’inconscient.

Il faut reconnaitre que certains ouvrages biographiques sur Robespierre inspirés par la psychanalyse ont donné une image mécaniciste et assez infantile (un comble!) de la psychanalyse appliquée à l’histoire[13]. Cela ne signifie pas que toutes les hypothèses de leurs auteurs soient sans fondement, mais que la recherche univoque « dans les blessures de l’enfance et de prétendues humiliations parisiennes ou arrageoises [des] raisons d’une colère et de certains choix politiques[14]» donne d’aussi piètres résultats que l’application du marxisme par une police politique.

Je vais être aussi précis que possible : lorsque Robespierre entreprend, à l’automne 1793, de déconsidérer les Enragé·e·s et de saper leur influence sur la sans-culotterie parisienne – ce qui passe par la fermeture de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, laquelle mènera, je l’ai dit, à l’interdiction de tous les clubs de femmes – il choisit une conduite politique, certes critiquable, mais apparemment rationnelle. Lorsqu’il écrit dans ses carnets, et dans le calme de son cabinet, à propos des mêmes militantes Républicaines révolutionnaires «Elles sont stériles comme le vice», il exprime non plus un point de vue politique mais une angoisse haineuse et archaïque devant des femmes qui, à ses yeux, refusent d’être mères et se signalent par là – et par leur insubordination à sa politique – comme «vicieuses». Ce cri du cœur ne peut être compris autrement que comme manifestation d’un caractère et d’un inconscient blessés, et symptôme d’un rapport pathologique au sexe et au féminin. De ce fait, il relève évidemment de la psychanalyse et éclaire la politique de genre de celui qui le jette sur le papier.

Nous voici au clair sur des matériels intellectuels que je n’entends pas abandonner aux poubelles de l’historiographie. Faut-il alors, ces outils en mains[15], retenir le fameux concept d’« histoire par en bas », traduction (insatisfaisante) de l’anglais from below ? Georges Lefebvre, à qui on en attribue parfois – à tort – la paternité, a décrit ce «point de vue» comme une condition de «l’histoire sociale», dans un hommage à Albert Mathiez, rédigé à l’occasion de son décès (25 février 1932).

Si comme il me paraît probable, les historiens de l’avenir donnent une place de plus en plus grande à l’étude économique et sociale de la Révolution, s’ils se décident à regarder les événements d’en bas et non plus seulement d’en haut, ce qui est la condition même de l’histoire sociale[16], Mathiez leur apparaîtra [etc.].

La même année, et à la même occasion, après avoir lu – comme il le précise – l’article de Georges Lefebvre, son quasi-homonyme Lucien Febvre en appelle à ceux qui poursuivront l’œuvre de Mathiez et «donneront cette histoire révolutionnaire qui nous manque toujours : histoire de masses et non de vedettes ; histoire vue d’en bas et non d’en haut ; histoire logée, surtout, dans le cadre indispensable, dans le cadre primordial des réalités économiques [17].»

C’est beaucoup plus récemment qu’Edward P. Thompson a théorisé le concept dans un article éponyme – « History from below » – publié en avril 1966 dans le supplément littéraire du Times (son maître-livre, The Making of the English Working Class date de fin 1963).

L’inconvénient de ce point de vue est que si l’on regarde «d’en bas», il semble bien que l’on regarde vers le haut, ce qui est encore une vision biaisée. Ce paradoxe n’a pas échappé à l’historienne du genre Karen Offen qui propose une autre formule :

Étudier l’histoire des féminismes signifie mettre le passé à l’épreuve, non pas du haut en bas, non pas de bas en haut, mais sens dessus dessous ; s’attaquer sans détour […] au noyau sociopolitique des sociétés humaines – les relations entre les sexes ; examiner ces moments où des fissures s’ouvrent dans l’écorce des arrangements patriarcaux [18] […].

Sens dessus dessous. Ne risque-t-on pas à adopter cette consigne, qui a quelque chose de stimulant, pour ne pas dire de subtilement érotique, de susciter un léger vertige dans le public éclairé ? La référence sexuelle n’est pas – hélas ! – hors de propos : les historiens mâles – longtemps un pléonasme – pour peu qu’ils se soient préoccupés des femmes dans l’histoire se sont souvent bornés (hormis pour telle impératrice philosophe) à regarder sous leurs robes [19].

Il existe cependant d’autres équivalents de l’«histoire par en bas», qui ne présentent pas le même défaut de perspective et n’encourent pas de reproche sexiste. J’en trouve deux, mentionnées par Marcus Rediker, historien de la piraterie, dans un entretien précisément consacré à cette question [20]: «histoire populaire» et «histoire radicale». L’expression «histoire populaire» a sans doute été pour beaucoup dans l’énorme succès d’Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn (Agone, 2003) puis dans celui d’Une histoire populaire de la France de Gérard Noiriel (Agone, 2018). On la retrouve en sous-titre du passionnant livre de Michelle Zancarini-Fournel : Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (Zones, 2016). Histoire populaire donc, pourquoi pas ? C’est assez dire que l’on ne s’intéresse pas qu’aux batailles, aux alliances de cours et aux vicissitudes de l’exercice du pouvoir, mais aussi, voire d’abord, à la vie du plus grand nombre et à ses aspirations. Cependant, si l’expression peut être adéquate à tel ouvrage, et contribuer légitimement à assurer sa diffusion, elle me semble paradoxalement un peu étroite d’un point de vue méthodologique. L’«histoire sociale» qu’évoquait Georges Lefèvre me conviendrait mieux. Quant à l’«histoire radicale», je craindrais qu’elle n’évoque davantage dans l’esprit des lectrices et des lecteurs un point de vue idéologique qu’une étude des phénomènes «à la racine». Je m’en rapprocherai toutefois, au risque de paraître abandonner toute prétention au sérieux et à la hauteur de vue, en précisant que la recherche historique que je pratique est une recherche «au ras des pâquerettes», expression d’ailleurs poétique, dont j’ôte tout ce qu’elle peut avoir en français de péjoratif.

La belle formule de Walter Benjamin sur «le saut du tigre dans le passé», félin qui sait – comme la mode ! – «flairer l’actuel niché dans les fourrés du passé» ne doit pas faire illusion. Tigre de papier, l’historien révolutionnaire est omnivore (il ne se borne pas à retenir ce qui peut «servir» sa thèse) et sujet aux métamorphoses modestes : plus souvent rat de bibliothèque que fauve en liberté «sous le ciel libre de l’histoire[21]».

En effet, qui écrit l’histoire des femmes se doit de prendre en compte les archives les plus minuscules, les plus anodines, éparpillées, ignorées jusqu’ici ou au contraire invisibles à force d’avoir été mille fois dépouillées. Ce qui devrait être, semble-t-il, une précaution scientifique ordinaire pour les chercheuses et les chercheurs s’impose comme une contrainte concernant l’histoire des femmes [22].

Il n’est pas inopportun de signaler un contre-exemple époustouflant : je veux parler de l’avant-propos de l’essai précisément consacré à Robespierre par M. Marcel Gauchet [23]. L’auteur y annonce que «le matériau principal de l’enquête est fourni par le discours robespierriste lui-même. Toutes les références vont aux Œuvres complètes […]. Les dates permettent de se reporter aisément à la source. […] Les débats des assemblées sont cités, selon l’usage, d’après les comptes rendus du Moniteur ou des Archives parlementaires.»

Se référer aux volumes des Œuvres complètes de Maximilien Robespierre publiés par la SER est impeccable[24]. C’est même, on le verra, un argument paradoxal contre certains robespierristes. En revanche, faire comme si ces volumes étaient publiés par ordre chronologique – et non par catégories : «discours[25]», «journaux», «œuvres judiciaires», «correspondance», etc. – ce qui rendrait «aisé» de se reporter aux sources, voilà qui est d’un professeur peu soucieux de soumettre son travail à la vérification critique et non d’un scientifique. Quant à l’«usage» qui voudrait que l’on reproduise les débats d’après le Moniteur et les Archives parlementaires sans jamais citer dates, pages et numéros (et sans comparer les deux sources), qu’aucun·e étudiant·e ne s’en autorise pour l’imiter : c’est une invention opportuniste. Nous avons affaire ici non à une «monté en généralité», privilège accordée par entente tacite aux historiens vieillissants, éloignés de leur soutenance de thèse (ce sont leurs étudiant·e·s qu’ils envoient aux archives), mais à une montée en désinvolture, par rapport au public et par rapport aux sources.

Dans les sciences humaines, une analyse doit toujours s’entendre «jusqu’à preuve du contraire» et «en attendant mieux». C’est donc en attendant mieux que dans le débat sur le type d’histoire – ci-dessus rapidement esquissé – je m’en tiendrai à une expression qui peut paraître désuète: une «histoire engagée[26]». Je veux dire une histoire qui assume sa destination politique et sociale, sans se laisser instrumentaliser par quelque idéologie que ce soit – par un·e historien·ne qui assume ses propres engagements.

Quant aux miens et pour m’en tenir d’abord à la Révolution française, il me paraît irrecevable de la décréter «terminée». En effet, inviter à penser cela c’est reprendre à son compte le programme de la contre-révolution, maintes fois exprimé dans le cours même de la Révolution, et ce dès l’automne 1789, et plus nettement encore par Antoine Barnave, à la mi-juillet 1791. Ensuite parce que la Révolution, à l’échelle de la vie d’une société, pour ne rien dire de celle d’une espèce est extrêmement proche de nous dans le temps, à rebours du sentiment subjectif fondé sur la durée de vie individuelle. Enfin, et sa proximité n’y est pas pour rien, parce qu’elle n’a pas produit tous ses effets: la qualité et l’inventivité des écrits théoriques et des pratiques d’exercice de la souveraineté populaire, est en soi un exemple roboratif pour notre présent (et celui des générations à venir). Il n’est que de voir les nombreuses références «d’inspiration», voire d’autorité [27] qui lui sont faites dans les mouvements sociaux des dernières décennies, notamment le mouvement dit des « Gilets jaunes » (2018-2019).

Sans m’attarder ici sur ce que pourra être la prochaine révolution [28], je veux dire qu’elle sera à mon sens – en France au moins – une «révolution sans bagages», ayant pris ses distances avec l’héritage idéologique des XIXe et XXe siècles et retrouvant plus ou moins «spontanément [29]» l’expérience originaire de 1789-1793.

Étudier la Révolution française, après plus de deux cent trente ans, sans se borner à la satisfaction de compléter une histoire érudite, c’est aussi refaire une lecture critique – avec les outils et les perspectives du présent – des fondamentaux de l’aspiration à l’égalité (y compris entre les genres et les âges) et à la liberté dans l’organisation des sociétés humaines.

Avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais faire mienne la sage résolution de Claude Mazauric présentant la réédition des Œuvres :

Il nous faut demeurer modeste et savoir que nous ne savons que peu de choses. Du moins tiendra-t-on pour nécessaire de ne négliger aucun témoignage, aucune donnée, aucun énoncé de la part de Robespierre qui puisse nous permettre de construire un récit approché et crédible[30].

J’ajouterai à ce qui retiendra mon attention ce que Robespierre n’a pas dit et ce qu’il s’est dispensé de faire, puisqu’aussi bien la vérité d’une politique et d’un homme se lit au moins autant dans ses lacunes et ses abstentions que dans ses actes et ses écrits.

Robespierre et les femmes

Il y a dans cet énoncé comme une promesse égrillarde que seuls, à ma connaissance, Fleishmann et Nabonne – évoqués ci-dessus – ont plus ou moins assumée comme telle. Si je n’entends pas les suivre sur ce terrain, il me faut affirmer d’emblée que, contrairement à ce que pensent aujourd’hui la plupart des historiens des deux sexes, dans leur rejet de la psychanalyse, ce que j’appelle la « politique de genre » de Robespierre, par analogie avec sa politique de classe est évidemment aussi le reflet de sa relation aux femmes.

Certes, un homme peut considérer les femmes comme des égales en droit sans les désirer, c’est même une qualité communément attribuée à de nombreux homosexuels. Par contre, un homme qui envisage le sexe féminin, en tant qu’organe génital et·ou zone érogène, comme une source de danger et de malpropreté, physique et·ou morale, a peu de chances de considérer autrement qu’avec méfiance le sexe féminin comme groupe social (ceci est un euphémisme).

Politique de genre, ou autrement dit : Quelle place Robespierre reconnaît-il aux femmes dans la société ? Quelle attitude manifeste-t-il à leur égard dans des situations précises ? Comment ses positions – scripta et acta – peuvent-elle être évaluées par comparaison avec celles d’autres écrivains, d’autres publicistes (les journalistes d’alors), d’autres révolutionnaires de son époque – femmes comprises ?

Ernest Hamel, hagiographe de Maximilien s’offre le luxe de juger, à demi-mots, quasi exagérée l’estime de son héros pour les femmes. À propos du discours de réception de Mlle de Kéralio à l’Académie d’Arras, qu’il a rédigé et lu, et dans lequel – nous allons en reparler dans le premier chapitre – il prône une complémentarité intellectuelle des deux sexes, Hamel écrit :

Nous n’avons pas à examiner ici jusqu’à quel point il pouvait avoir raison, mais, par l’analyse de son curieux discours [sic], on comprend mieux le prestige qu’il exerça toujours sur les femmes, et l’on se rend suffisamment compte de son chaste penchant pour elles. (Hamel, 1865, t. I, p. 61)

Il existe deux arguments de plus ou moins bonne foi – et articulés entre eux – pour justifier de ne traiter ni des rapports érotiques éventuels de Robespierre avec les femmes ni de sa politique de genre. Le premier, essentiel, consiste à déplorer une documentation lacunaire. Or autant celle-ci peut excuser de passer rapidement sur la vie ou l’absence de vie «amoureuse» du personnage, autant elle ne saurait dispenser d’étudier son attitude politique vis-à-vis des femmes, puisque pas moins de douze volumes de textes de sa main (ou à lui attribués) sont à notre disposition. User de cet argument suppose de considérer que le sujet « Robespierre et les femmes » renvoie uniquement à «l’homme privé», selon la malheureuse formule endossée par Hervé Leuwers (2014, p. 59 [31]), dans une biographie qui apporte par ailleurs des documents précieux sur son activité d’avocat à Arras. Une page suffira donc à évoquer cet aspect de la vie de Robespierre, dans un livre qui en compte plus de quatre cent cinquante. Le second argument, subsidiaire, le plus souvent informulé, c’est que l’on reconnaît la bonne éducation et le sérieux des historiens à l’extrême pudeur et à la modestie que leur inspire la «vie privée» de leurs personnages. «Ne cherchons donc pas à sonder les reins et les cœurs», écrit encore Leuwers en affectant de se morigéner lui-même (2014, p. 56). La connotation d’euphémisation sodomitique prise – de nos jours au moins – par la demi-formule «sonder les reins» dit assez le côté peu ragoutant de l’exercice. Voilà pour la pudeur. Quant à l’expression entière, elle sert – excusez du peu! – à caractériser Yahvé «le Seigneur», dans la Bible [32] et dans son omnipotence divine. Voilà pour la modestie.

D’ailleurs, quelle peut être la validité en histoire d’un concept comme celui de «vie privée»? Écrire la biographie d’un personnage, n’est-ce pas tenter de comprendre l’entièreté de sa vie : politique, professionnelle, amoureuse, intellectuelle, sociale…

Je pense d’ailleurs que Robespierre, même s’il lui est arrivé d’employer l’expression «vie privée» ne tenait pas en grande estime la séparation entre le «public» et le «privé». Il considérait, semble-t-il, la vertu comme une et indivisible, celle de l’individu comme celle de la nation. Chez lui, comme l’écrit Cesare Vetter, «vertus publiques et vertus privées sont étroitement reliées et sont axées sur la vertu publique : [et de citer Robespierre qui parle de Necker] “Un homme qui manque de vertus publiques ne peut avoir des vertus privées[33]”». On devine que l’inverse est également vrai. En outre, la morale révolutionnaire d’époque abhorre le secret, ce qui est caché, à huis clos, et peut donc abriter le complot et la malveillance. La vie familiale, le foyer (sinon l’alcôve) sont autant de «maisons de verre», et lorsque les femmes y sont renvoyées – avec plus moins d’égards – comme éducatrices des futurs citoyens, c’est aussi parce que leur rôle est écrit d’avance et soumis au contrôle de toutes et de tous. 


Écriture non-sexiste et particularités typographiques

 

Non-sexiste, c’est la manière – préférée à «inclusiv» – de présenter un texte que je m’efforce de mettre en œuvre ici.

Je me rallie à la règle de l’«accord de proximité», longtemps en usage en français, en accordant l’adjectif avec le sujet le plus proche. Exemple : « Les hommes et les femmes doivent être égales ».

— Et tant pis si j’me trompe ! aurait ajouté Serge Reggiani[34].

En matière d’antisexisme typographique, le point médian est devenu l’indispensable sextant pour naviguer dans la «carte du tendre» de l’égalité. Du verbe tendre [à ou vers].

On n’hésitera pas à se dispenser de son usage s’il risque d’égarer lectrices et lecteurs, plutôt que de les aider à se repérer. On préfèrera, comme dans la phrase qui précède, une formule plus gourmande en signes – « lectrices et lecteurs (22 s.)» – aux constructions et compressions du type «lecteurs·trices (15 s.)». Idem pour «celles et ceux», préférée à «celleux», pourtant deux fois moins long, etc.

Par surcroît, le point médian me paraît pouvoir heureusement remplacer la barre oblique dans des expressions dont il est parfois difficile de se passer comme le duo «et» et «ou». Je préfère donc «et·ou» à «et/ou».

Par ailleurs, dans les citations – nécessairement nombreuses dans un tel livre – les points de suite indiqués entre crochets – […] – signalent, comme c’est l’usage, une coupe dans le texte, pratiquée entre deux phrases, deux paragraphes ou deux alinéas. Lorsque la coupe est pratiquée à l’intérieur même d’une phrase, je préfère l’indiquer de la manière suivante: [etc.].

Notes

[1] On a compris que je ne mentionne ici que mes publications en rapport avec la Révolution française.

[2] Je n’entends pas suggérer que la sujétion des femmes a été créée par la Révolution, mais sa prorogation ressort d’autant plus dans un contexte d’émancipation (suffrage masculin adulte universel, abolition de l’esclavage, etc.).

[3] Des articles ont été publiés sur le rapport de Robespierre au genre féminin : Florence Gauthier (2014) ; Noah C. Shusterman (2014, en anglais).

[4] Mentionnons par acquis de conscience le pamphlet publié à Berlin en 1794 : Maximilian Robespierre in seinem Privatleben (La Vie privée de Maximilien Robespierre), «par un détenu au Palais du Luxembourg».

[5] Nabonne Bernard, La Vie privée de Robespierre, Hachette, 1938. En 1927, l’auteur avait reçu le prix Renaudot, pour Maïténa.

[6] Stievenard Jeanine, Robespierre et les femmes, 2009, 68 p., édité à compte d’auteur chez Édilivre : «Robespierre, ce n’est pas seulement la transformation du Comité de Salut Public en organisation terroriste, c’est également les balades dans les jardins parisiens, c’est aussi l’élevage d’oiseaux destinés à être offerts à son entourage, et même peut-être un fils issu d’une liaison avec Mlle Duplay.»

[7] On utilise aussi l’expression trou d’homme.

[8] J’utilise ici les éléments d’un exposé fait à la Sorbonne le 15 mars 2017, dans le cadre du Séminaire doctoral de l’IHRF «Publier les sources de la Révolution», à l’invitation de Pierre Serna, son codirecteur avec Jean-Luc Chappey et Anne Simonin: «Pourquoi et comment publier les Enragé·e·s ?».

[9] «It now seems clear that the direct impulse to the events of 1789 came not from an ideological struggle or a class struggle, but from a financial and fiscal crisis of the French monarchy, and that this crisis was above all the product of a geopolitical struggle in wich that monarchy found itself engaged.» Je considère la phrase dans l’édition originale afin de la traduire moi-même : The Coming of the Terror in the French Revolution, Harvard University Press, 2015, pp. 39-40. Traduction française de Serge Chassagne : Anatomie de la Terreur, Le Seuil, 2018. La citation se trouve pp. 51-52.

[10] Hazan Éric, Une histoire de la Révolution française, La Fabrique éditions, 2012.

[11] Remerciements (p. 10) : «Ma gratitude va d’abord à Florence Gauthier et Yannick Bosc, mes savants amis, qui ont eu la patience de lire et d’annoter le manuscrit. Leurs critiques de fond et leurs suggestions ont beaucoup contribué à lui donner sa forme définitive.»

Nota : Je qualifie de «robespierristes» les historiennes et les historiens qui, par admiration pour le personnage ou par intérêt de faction idéologique se font ses thuriféraires. Leur robespierrisme peut être discret, modéré ou fanatique ; il peut être franc ou procéder par omissions, voire manipulations. Par ailleurs, contrairement à ce que sa dénomination sociale – conservée pour des raisons complexes – peut laisser entendre, la Société des études robespierristes n’abrite pas que des robespierristes, loin s’en faut ! (Elle n’agrège même pas tous les robespierristes.) J’ai moi-même été membre de son conseil d’administration ; j’ai créé – grâce au talent du graphiste Norbert Bartkowiak – et lancé la première version de son site Internet.

[12] Celles et ceux qui, au contraire, se taisent ont été ou sont en analyse : ils craignent de se trahir!

[13] Le prototype étant le chapitre consacré à Robespierre par le Dr René Laforgue dans sa Psychopathologie de l’échec (1944).

[14] Évocation critique par Hervé Leuwers des livres de Jean Artarit (2003) et Laurent Dingli (2004) dans «Robespierre, une figure revisitée», in «1789-2019. L’Égalité, une passion française», hors-série de L’Humanité, juin 2019, pp. 76-77.

[15] Ces outils, plus légers et moins nombreux ils sont, plus le travail de recherche est accessible et vérifiable. Les «concepts», surtout prétendument nouveaux servent trop souvent de signes de reconnaissance sociale et universitaire, donc d’exclusion. Exception récente, le concept de «genre» a fonctionné comme une autorisation à revisiter tous les sujets de toutes les époques «au prisme» d’icelui. Son objet d’étude, les «rapports sociaux de sexe» n’étaient pas inconnus des sciences sociales, mais genre a – si j’ose dire – plus de style. Il est paradoxal que la majorité de ses introductrices en France aient gaspillé leur énergie – croyant devoir répondre par là aux extrémistes catholiques – en répétant qu’il n’existe pas de «théorie du genre». Si réellement les «études de genre» se révélaient n’avoir produit aucune théorie, c’est que l’autorisation évoquée ci-dessus aurait été délivrée en pure perte.

[16] AHRF, 1932, pp. 193 et suiv., repris dans Études sur la Révolution française, 1954. Je souligne.

[17] Febvre Lucien, «Albert Mathiez: un tempérament, une éducation», Annales d’histoire économique et sociale, 1932, 4e année, n° 18, pp. 573-576. Je souligne. Febvre rapporte que Mathiez lui avait promis, pour les AHES, «un article d’ensemble sur le prolétariat en France au temps de la Révolution», dont sa mort brutale à la suite d’une hémorragie cérébrale nous a privé (comme aussi d’une biographie de Robespierre, pour laquelle il avait signé un contrat avec un éditeur américain). Voir Friguglietti James, Albert Mathiez historien révolutionnaire (1874-1932), SER, Paris, 1974.

[18] «“Flux et éruptions” : réflexions sur l’écriture d’une histoire comparée des féminismes européens, 1700-1950», in Cova Anne (dir.), Histoire comparée des femmes, 2009, pp. 45-65. Je souligne. Notons qu’une revue féministe italienne publiée en 1973-1974 s’est intitulée Sottosopra (Sens dessus dessous).

[19] Illustration caricaturale dans une émission de télévision baptisée «Sous les jupons de l’histoire» (chaîne Chérie 25).

[20] Dans le journal CQFD, n° 117, décembre 2013. Plusieurs livres de Rediker ont été traduits en français ; par ex. Les Forçats de la mer (Libertalia, 2010), Pirates de tous les pays (Libertalia poche, 2017), L’Hydre aux milles têtes (avec Peter Linebaugh, Amsterdam, 2008).

[21] «Sur le concept d’histoire» (1940) ; quatorzième thèse, in Œuvres, III, Folio, p. 439.

[22] J’y reviendrai plus longuement en présentant le second volume de mon diptyque.

[23] Robespierre. L’homme qui nous divise le plus, Gallimard, 2018.

[24] Le douzième (et dernier?) devait être publié la même année que le présent ouvrage. [Note actualisée: Il sera finalement publié en 2022.]

[25] À supposer même que l’on ne considère que les cinq volumes de discours, en quoi le retour à la source à partir d’une date est-il «aisé»?

[26] Je partage avec Guillaume Mazeau, Laurence De Cock et Mathilde Larrère, auteur et autrices de L’histoire comme émancipation (Agone, 2019, p. 108) la certitude que : «L’expression “histoire engagée” devrait être un pléonasme.» Il·et elles ne se donnent pas la peine de situer leur position parmi celles que j’énumère ici. Voir mes remarques critiques, sur l’ouvrage (et sur les vulgarismes de M. Larrère) sur mon blogue La Révolution et nous. Sur le même thème, voir le n° 144 des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique (2020) et sa présentation par Jean-Charles Buttier et Caroline Fayolle : «Écrire l’histoire des révolutions : un engagement».

[27] J’en ai recensé un grand nombre (slogans, tracts, pancartes, graffitis) sur La Révolution et nous.

[28] J’ai abordé la question de la filiation, plausible et souhaitable, entre la Révolution française et la prochaine révolution dans le premier chapitre de Notre patience est à bout : «Écrire l’histoire, continuer la révolution».

[29] Spontanéité relative puisqu’elle tient en partie aux références scolaires connues de toutes et tous (ou presque). Cet aspect était très perceptible dans le mouvement des «Gilets jaunes».

[30] OMR, t. I, p. XXV.

[31] Les références ainsi indiquées – date, n° de page – renvoient à la Bibliographie en fin de volume.

[32] Psaume 7, 10 : «Mets fin à la malice des impies, affermis le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste!» Livre de Jérémie 11, 20: «Yahvé Sabaot, qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les cœurs, je verrai ta vengeance contre eux [les gens d’Anatot, qui persécutent le prophète], car c’est à toi que j’ai exposé ma cause.» La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, pp. 927 et 1405.

[33] Discours aux Jacobins le 9 juillet 1794 ; OMR, t. X, p. 520. Vetter Cesare, «Bonheur public, bonheur privé et bonheur individuel dans le lexique de Robespierre», in Vetter C., Marin M., Gon E., Dictionnaire Robespierre, t. I, 2015, p. 44. Saint-Just, au contraire, tient à la notion de «vie privée» : «Si vous ordonnez aux tribunaux de faire régner la justice, ne souffrez point que l’on tourmente la vie privée du peuple.» (Rapport au nom des Comités de Salut public et de Sûreté générale, 26 germinal an II-15 avril 1794). Et dans le préambule au chap. premier des Fragments d’institutions républicaines: pour lier les hommes par des rapports harmonieux, soumettre «le moins possible aux lois de l’autorité les rapports domestiques et la vie privée du peuple.» Citations in Œuvres complètes, établies par Michèle Duval, 2003, pp. 819, 967-968.

[34] «Salut les hommes ! Et tant pis si j’me trompe», lui fait dire Jean-Pierre Melville dans Le Doulos (1962).

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Olivier Blanc sur la création de la “Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires” ~ Dissection d’un faux “scoop”

19 mardi Juin 2018

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bêtisier»

≈ Commentaires fermés sur Olivier Blanc sur la création de la “Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires” ~ Dissection d’un faux “scoop”

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Albert Soboul, Charles Aimé Dauban, Christine Fauré, Claire Lacombe, Dominique Godineau, Eugène Eschassériaux, François Xavier Audouin, Gaspard Monge, Huguette Krief, Jean-Baptiste Louvet, Jean-Nicolas Pache, Léopold Lacour, Louis de Launay, Michel Onfray, Olivier Blanc, Olympe de Gouges, Pierre Larousse, Raymonde Monnier, Sylvie Audouin

Dans un ouvrage récemment publié dans la collection des « Classiques Garnier » sous la direction de Huguette Krief (et alii) et sous le titre Femmes des Lumières. Recherches en arborescences, Olivier Blanc – entre autres biographe d’Olympe de Gouges –, donne un article intitulé « Entre héroïsme et démagogie, l’engagement politique des femmes ».

[Document reçu, et ajouté, ce 22 juin.]

Le texte s’ouvre sur un sec rappel à la nécessité du travail aux Archives nationales, « notamment les sous-séries F7, BB3, ABXIX, l’incontournable série W, notamment les papiers dits de Fouquier-Tinville et ceux du Tribunal révolutionnaire, et enfin ceux du séquestre T qui recèlent parfois des correspondances privées. »

Tant qu’à faire, l’auteur aurait pu indiquer ces cotes dans leur forme actuelle (F/7, par ex.), mais passons…

Le plus curieux est le reproche adressé aux « nombreux historien(ne)s qui se bornent aux aspects littéraires et mondains de l’histoire des femmes » de « méconnaître » cette documentation, du coup « quasi inexploitée ».

Il est vrai que la critique étant adressée à ceux qui la méritent, elle prend un aspect tautologique : celles et ceux qui ne vont pas aux AN ne vont pas aux AN ! Et ils ont tort ! Voilà un point sur lequel je m’accorde avec Olivier Blanc. Tout comme je le rejoins – mais nous sommes un certain nombre ! – sur le constat que « l’engagement politique des femmes de la fin du XVIIIe siècle est sous-estimé. »

Cependant, nombreuses sont les historiennes qui ont travaillé et travaillent dans les archives, nationales et départementales, sans que cela leur vaille d’être citées comme exemples à suivre, ou d’être citées tout court ! On s’attendrait ainsi à voir mentionné le travail de Christine Fauré sur les premiers groupes de femmes (artistes notamment). Il n’en est rien.

Quant au reste de l’article, après ce vigoureux éloge de ce qui pourrait passer pour une « histoire par en bas », il ne citera pas lui-même… une seule cote d’archive !

Passons encore sur une tentation « onfrayiste[1] » – du type « On vous cache tout, mais me voici, le grand Révélateur ! » – qui fait dire à Olivier Blanc que la présence d’hommes déguisés en femmes dans la marche sur Versailles est « un point singulier rarement évoqué », quand il serait plus rapide de dénombrer les auteurs qui n’en font pas mention…

Et venons-en au passage qui a retenu toute mon attention, puisqu’il traite des « Citoyennes (terme omis par Blanc) républicaines révolutionnaires ». – C’est moi qui souligne le passage en gras :

Ce sont surtout les meneuses du club des républicaines révolutionnaires, composé d’environ cent-soixante-dix femmes fanatisées qui feront les frais de cette récupération démagogique de leur mouvement [par le maire de Paris Jean-Nicolas Pache, par Marat et par Santerre]. Pauline Léon et surtout la charismatique Claire Lacombe, belle et éloquente comédienne, en furent la plus parfaite illustration. Elles se distinguèrent dans « la politique de l’insurrection », dite aussi du « tocsin », suscitée par la Commune de Paris, à savoir les mouvements du 25 février 1793, du 10 mars et aussi lors de l’acquittement de Marat qu’elles vénéraient. Le 10 mai, à l’instigation de Sylvie Audouin, fille du maire de Paris Pache, les citoyennes Lacombe, Colombe, Léon et quelques autres cofondèrent la société des Républicaines révolutionnaires qui, siégeant un temps en la salle de la Bibliothèque des Jacobins, allait, à sa façon, contribuer à la chute de la Gironde en s’inféodant trois semaines au mouvement démagogique de l’exagération révolutionnaire.

 Voilà une information qui a tout d’un scoop.

Non pas le fait que les citoyennes révolutionnaires aient été « manipulées » : c’est là, d’après de trop nombreux historiens – et hélas quelques historiennes – leur destin de genre. Voilà plutôt un lieu commun !

Je parle du rôle d’« instigatrice » de la fille de Jean-Nicolas Pache, Sylvie Audouin, plus précisément : Marie Sylvie Audouin (1777-1820), épouse de François Xavier Audouin (1766-1837), abbé de son premier état, vicaire de Saint-Thomas d’Aquin et aumônier de la garde nationale, Jacobin et appelé par Pache au ministère de la Guerre comme secrétaire général.

Premier étonnement de chercheur : je n’ai jamais vu mentionner le nom de Marie Sylvie Audouin parmi les militantes de la société des Citoyennes républicaines révolutionnaires. Dominique Godineau, qui a pourtant effectué pour sa thèse, dont est issu son maître livre Citoyennes tricoteuses, un travail considérable dans les archives[2], ne la mentionne pas. Elle ne figure pas davantage dans le Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l’an II d’Albert Soboul et Raymonde Monnier.

À ce stade de son développement (p. 162), Olivier Blanc ne cite ni archive ni source à l’appui de son affirmation d’un rôle déterminant de cette jeune femme dans la formation des Républicaines révolutionnaires.

« Très jeune femme », devrais-je dire. En effet, lorsqu’elle épouse l’abbé Audouin, le 15 janvier 1793, Marie Sylvie Pache n’a que 16 ans. Nous savons, certes, que de très jeunes gens et de très jeunes filles ont participé à des émeutes et aux réunions de clubs révolutionnaires ou se sont engagé·e·s dans l’armée. Il est moins plausible qu’une jeune femme de 16 ans ait pu être l’« instigatrice » de la création d’une société, dont le règlement est signé par des militantes déjà aguerries, comme Pauline Léon, âgée en 1793 de 25 ans, qui a été – elle – l’instigatrice indiscutable, l’année précédente, d’une pétition pour le droit des femmes à s’armer signée par 300 d’entre elles.

Mais Olivier Blanc poursuit (p. 163) :

La présence remarquée de Sylvie Audouin dans cette société révolutionnaire de femmes, accrédite l’accusation des Girondins, selon laquelle les femmes dites républicaines et révolutionnaires, furent instrumentalisées par la Commune de Paris, non seulement dans les émeutes du début du printemps, mais également dans les séances d’obstruction et d’intimidation qui eurent cours en mai 1793 à la Convention.

« Remarquée » ! Mais par qui ?

Cette fois, la réponse semble nous être donnée en note (n° 25), par une accumulation de références girondines – références « sèches », sans citations ; j’utilise les éditions mentionnées par Blanc, afin d’éviter tout risque d’erreur.

Les Mémoires de Jean-Baptiste Louvet tout d’abord. Dans cet ouvrage[3], à propos duquel Valérie Crughten-André usera de l’expression suivante « …ou la tentation du roman[4] », Louvet reproduit une « Proclamation de l’assemblée de résistance à l’oppression réunie à Caen aux citoyens français », postérieure et consécutive à l’insurrection anti-girondine des 31 mai et 2 juin 1793. À la page 23, citée en référence par O. Blanc, Louvet s’adresse à ses adversaires :

Mais toi, Pache, et tous les tiens, et tes municipaux, et tes cordeliers, et tes femmes révolutionnaires, tous, tous, vous nous répondez, vous nous répondez sur vos têtes [des Girondins proscrits détenus à Paris] !

Louvet suggère bien ici l’existence d’un vaste front révolutionnaire « exagéré », incluant les Républicaines, et semble en attribuer la direction à Pache. C’est davantage une information sur la manière dont Louvet apprécie – ou souhaite faire apprécier par ses concitoyens – la situation parisienne que sur cette situation elle-même.

Mais voici d’autres Mémoires girondines, celles de Buzot, également mentionnés par O. Blanc.

Les enfants de Pache, ses filles couraient comme des forcenées dans les lieux où l’on prêchait le meurtre et le pillage avec le plus d’impudence, et souvent on les a vues dans des embrassements dits fraternels en réchauffer les dégoûtantes orgies[5].

J’épargne à mon lectorat l’analyse des sous-entendus obscènes de ce passage, pour remarquer simplement qu’il n’y est fait allusion ni à Sylvie Audouin ni aux Républicaines révolutionnaires. Ces dernières ont d’ailleurs déjà fait l’objet (p. 72) dans le texte de Buzot d’un passage bien connu, que je reproduis néanmoins, non pour ses qualités littéraires ou analytiques mais afin qu’y brille pour l’éternité l’absence de la citoyenne Audouin :

Parlerons-nous ici d’une société de femmes perdues, ramassées dans les boues [au sens d’ordures] de Paris, dont l’effronterie n’a d’égal que leur impudicité, monstres femelles qui ont toute la cruauté de la faiblesse et tous les vices de leur sexe ? la vue seule en fait horreur. Ces femmes ont joué un grand rôle dans la révolution de 1793. Une vieille barboteuse [prostituée] de Paris les commande, et leurs poignards appartiennent à qui sait mieux les payer. Il parait que Lacombe, leur chef, a pris un grand empire ; et dans les débats qui se préparent entre Robespierre et ses amis, et Danton et les siens, cette impudique femelle pourrait bien faire pencher la balance en faveur du parti pour lequel elle se déclarerait.

Assez de Girondins, voici maintenant une référence « historienne » fourni par Blanc : l’Histoire de la Convention nationale du baron de Barante[6] (t. II, 1851, p. 391). Je reproduis scrupuleusement le passage :

Les Jacobins étaient dans l’usage de donner place, dans les salles du vaste couvent où ils siégeaient, à des sociétés patriotiques, dont ils étaient les patrons et les protecteurs. Il y en avait une entre autres intitulée « société fraternelle des deux sexes ». Elle avait été formée pendant l’Assemblée législative, et Mme Roland y allait alors quelquefois « pour donner le bon exemple ». Depuis, la composition de ce club s’était fort abaissée. Les fédérés et autres politiques de même trempe y affluaient et s’y mêlaient, à quelques femmes beaux esprits d’ordre inférieur. La femme et les filles de Pache y étaient assidues. Une citoyenne Lacombe était le grand orateur de la société fraternelle et venait présenter à la Convention, à la commune et aux Jacobins des adresses et des pétitions plus insensées et plus violentes que toutes autres.

La mention des filles de Pache « assidues » est probablement ce qui justifie qu’Olivier Blanc ajoute cette référence aux autres. Il ne semble pas gêné outre mesure par le fait que le baron de Barante confond évidemment deux sociétés : d’une part la Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe, et d’autre part la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, nullement formée sous la Législative puisque datant de 1793.

Ensuite, toujours dans la même note, O. Blanc fait référence – pour établir le fait que Sylvie Audouin était « fortement politisée » – à la mention par Louis de Launay d’une querelle entre la femme Audouin[7] et Carnot, au domicile de Gaspard Monge, le 9 mai 1794. Je reproduis le passage évoqué par Blanc.

Ce soir-là, dans le salon de Monge, elle se prit de querelle très vive avec Carnot, Prieur de la Côte-d’Or et d’autres membres des Comités de Salut public et de Sûreté générale : ceux que Pache [présent également, paraît-il] appelait les Septemvirs. […] Mme Ardouin [sic] voulut justifier Hébert et ses complices, dont l’arrestation avait eu lieu dans la nuit du 13 au 14 mars et l’exécution le 22 du même mois.

Cette querelle, qu’Olivier Blanc qualifie de « violente » aurait eu lieu la veille même de l’arrestation de Sylvie Audouin, de son mari, de Pache, et de la mère de ce dernier.

Louis de Launay suit ici la biographie manuscrite établie par Eugène Eschassériaux, arrière-petit-fils de Monge, qu’il avait pu consulter, et qui se trouve – depuis 2002 – à la bibliothèque de l’École polytechnique[8]. Ignorant (comme O. Blanc) sur quel document s’appuie Eschassériaux pour évoquer cette dispute, je me borne à constater qu’il n’a aucun rapport avec les Citoyennes républicaines révolutionnaires.

En avant-dernière position, Blanc mentionne dans sa note Léopold Lacour, l’un des premiers biographes français de « Rose » Lacombe :

Associée avec l’aval de son père et de son mari aux mouvements démagogiques de 1793, elle pourrait évidemment avoir contribué au financement du Club des républicaines révolutionnaires, que Lacour a soupçonné (La Revue hebdomadaire, 1899, 2e série, XI, pp. 236-256).

Ce que l’on peut dire de plus aimable à propos de cette mention est qu’elle procède d’une lecture trop rapide du texte de Lacour.

En effet, celui-ci ne « soupçonne » nullement un financement des Républicaines révolutionnaires par Sylvie Audouin, qui n’est même pas citée. Lacour rappelle que les Girondins, dont Isnard, alors président, ont dénoncé en mai 1793 à l’Assemblée les femmes qui avaient improvisé une « police révolutionnaire » contrôlant l’entrée des tribunes de ladite Assemblée. Lacour cite (pp. 242-243) un rapport de police du 16 mai :

Il est vraisemblable qu’elles sont payées… Le fait suivant confirme ce soupçon. Vers les cinq heures du soir, un particulier vint au milieu de ce groupe femelle, s’informa de ce qu’il y avait de nouveau ; on l’en a instruit, et une de ces observatrices ajouta : Vous avez vingt sols à me rendre : ce que le particulier fit aussitôt en disant à demi-voix : Il faut vivre. »

[Puis Lacour reprend] Et rien sans doute ne permet d’assurer qu’il n’y eut pas de femmes embauchées parmi les citoyennes des tribunes – ou des rassemblements aux abords de la salle ; rien non plus qu’il n’y eut point de filles [de prostituées]. Mais certainement la grande majorité se composait de femmes du peuple n’obéissant qu’à leur passion révolutionnaire ; et, quand Buzot représente en particulier la Société des Républicaines comme un club de créatures perdues, sorties du ruisseau, c’est une consolation qu’il offre aveuglément à ses ressentiments de vaincu.

Ainsi, Lacour, loin d’émettre un soupçon personnel se borne à enregistrer le point de vue Girondin-policier. Il reconnaît que l’on ne peut écarter la présence de femmes stipendiées, mais conclut contre Olivier Blanc. Lequel ne manque pas de culot en l’enrôlant comme il le fait.

Blanc aurait pu citer encore, s’il en avait eu connaissance, les déclarations de Gamon, député et membre du comité des inspecteurs de salle à la Convention qui, évoquant les mêmes incidents, affirme que « ces femmes […] sont évidemment salariées par nos ennemis ». Mais c’est la conclusion d’un raisonnement – elles sont pauvres ; comment perdraient-elles du temps à militer ? – et non le résultat des interrogatoires et investigations qu’il a pourtant menées auprès de plusieurs d’entre elles. Celles-ci lui ont déclaré s’être réunies « sous le titre de Dames de la Fraternité [9]». Aucune société féminine n’ayant jamais porté ce nom, cette fausse indication pourrait renforcer l’hypothèse d’une confusion avec la Société fraternelle.

Digression

Disons un mot des rapports rédigés par des « observateurs » de police pendant la Révolution, embauchés et mis sur le terrain par le ministre Garat, à partir du 25 avril 1793. Ils peuvent certes fournir des indications précieuses, à condition d’être considérés avec beaucoup de prudence. Il ne s’agit pas, comme nombre d’historien·ne·s semblent le croire au vu de la manière dont ils-elles les utilisent, de « photographies » de l’opinion à un moment donné[10]. Certains sont fort invraisemblables, mais on doit rédiger un rapport, et comme le dit le personnage, réel ou inventé, de l’anecdote ci-dessus rapportée : Il faut bien vivre !

 Je relève ici que le récit reproduit étrangement la démarche de l’observateur de police lui-même en l’attribuant à un « particulier » : il « s’informe de ce qu’il y a de nouveau » – on ne nous dit pas qu’il vient rémunérer les militantes pour leur journée de faction (une seule lui réclame une somme, qu’il reconnaît lui devoir). Quant aux femmes, elles sont précisément qualifiées d’« observatrices », ce qui signifie auxiliaires de police…

Olivier Blanc abat maintenant sa dernière carte-référence :

Aimé Charles Dauban a publié dans une magistrale compilation (La Démagogie à Paris, Paris, H. Plon, 1868) l’essentiel des documents se rapportant à l’histoire des mouvements de femmes en 1793, et notamment au Club des Républicaines révolutionnaires. Les Girondins ont tous pointé le rôle de la Commune dans la récupération anti-girondine de ces mouvements rassemblant environ 170 femmes « du peuple », peu instruites, désargentées, et souvent égarées par l’extrême démagogie des discours et des publications, également par l’argent distribué (Dauban, op. cit., p. 189).

On craint de comprendre, en lisant la première phrase de ce passage, éloge d’ailleurs extravagant dont je recommande à tout·e étudiant·e ou curieux-se de ne tenir aucun compte, que M. Blanc s’est abstenu – au moins sur le sujet qu’il traite dans cet article – d’appliquer l’excellent conseil qu’il donne aux autres dans son introït. Pourquoi perdre son temps dans les archives, puisque Dauban a déjà « publié l’essentiel des documents » ?

Précisons que le chiffre « 170 » concerne uniquement les sociétaires inscrites chez les Citoyennes républicaines révolutionnaires, et non « les mouvements de femmes » parisiennes, qui se retrouvent dans d’autres sociétés, mixtes ou non, et dans la rue, par milliers, notamment à l’appel des premières.

Quant à la page 189, elle reproduit le même rapport de police auquel Lacour faisait allusion, et qu’Olivier Blanc a déjà évoqué. C’est donc une redondance et non une nouvelle référence qui viendrait à l’appui des autres.

Finissons-en en remarquant que M. Blanc eut été bien inspiré de ne pas se fier à Dauban et de lire plus attentivement le texte de Léopold Lacour qu’il a utilisé (on a vu comment). En effet, ce dernier reproduit l’article XXVI du règlement des Républicaines (texte intégral sur ce blogue et dans Deux Enragés de la Révolution):

La Société, considérant qu’on ne peut refuser la parole à aucun membre, et que de jeunes citoyennes pourraient, avec les meilleurs intentions du monde, compromettre la Société par des motion peu réfléchies, arrête qu’elle fixe l’âge de dix-huit ans pour être reçue membre de la Société.

Aussi précoce et « fortement politisée » qu’on l’imagine, il faut donc croire que la pauvre Sylvie Audouin était aussi une fichue gourde pour être l’instigatrice d’un club qui l’excluait dès sa formation, du fait de son âge !…

Retenons

Rien ni dans les documents évoqués par Olivier Blanc ni dans les nombreux documents publiés par ailleurs (et je ne parle pas ici du pauvre Dauban !) n’établit, à ce jour, un rôle quelconque joué par la fille de Pache dans la création de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires. C’est une « légende historienne » qu’il vaut mieux arrêter dans sa course avant qu’elle ait parcouru trop de chemin.

____________

Statut du texte de l’article : acheté sur Internet sous forme électronique.

[1] « Onfrayiste » ; de Michel Onfray, panégyriste de Charlotte Corday et révélateur de « vérités cachées » dans tous les domaines de la connaissance.

[2] Ce qui ne suffit pas à la grandir aux yeux d’Olivier Blanc, qui lui reproche surtout d’appartenir à « l’école soboulienne », ce qui n’est d’ailleurs pas factuellement inexact.

[3] Dont le début exact du (très long) titre est Mémoires de Louvet de Coudray, député à la Convention nationale [etc.], Paris, 1823.

[4] Les Mémoires de Jean-Baptiste Louvet ou la tentation du roman, Paris-Genève, Honoré Champion-Slatkine, 2000.

[5] Mémoires inédits de Pétion et mémoires de Buzot & de Barbaroux […] précédés d’une introduction par C. A. Dauban, 1866, p. 78. Ce passage de Buzot, dont la première édition est de 1794, a inspiré M. Thiers dans son Histoire de la Révolution française, seconde édition, 1828, t. III : « La femme, les filles de Pache allaient dans les clubs, dans les sections, paraissaient même dans les casernes des fédérés, qu’on voulait gagner à la cause […]. »

[6] À propos de Amable Guillaume Prosper Brugière, baron de Barante, on peut lire dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse : « Sa répugnance pour la démocratie se manifesta dans divers écrits politique, surtout dans son Histoire de la Convention nationale […] qui sont loin d’avoir ajouté à sa réputation. Chose remarquable, il se garda bien d’appliquer ici son fameux précepte : Écrire pour raconter, non pour prouver. Ces morceaux, d’un médiocre intérêt d’ailleurs, sont, en effet, non de simples et calmes narrations, mais des thèses de contre-révolution, des plaidoyers de parti, empreints de la plus aigre partialité, et qui, en outre, fourmillent d’erreurs et passeraient pour de fort plates compilations, s’ils n’étaient pas signés d’un nom aussi respecté. »

[7] Que M. de Launay renomme « Ardouin » ; Un grand Français. Monge, fondateur de l’école polytechnique, s. d. [1933], pp. 121-122.

[8] Fonds Gaspard Monge. Le récit d’Eschassériaux, que Blanc ne mentionne pas et que je n’ai pas été consulter figure certainement soit sous la cote IX GM 29 (Notes sur la vie de Monge et sur sa famille) soit IX GM 30 (Vie de Monge par Eugène Eschassériaux. Manuscrit en 5 volumes).

[9] Convention, 18 mai 1793, Moniteur, t. 16, p. 421.

[10] On commet de nos jours la même naïveté à propos des « micros-trottoirs », dont abusent les journalistes de radio et de télévision.

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Christine Fauré parle du “Journal des dames” (1759-1778)

09 lundi Oct 2017

Posted by Claude Guillon in «Textes de femmes», Vidéothèque

≈ Commentaires fermés sur Christine Fauré parle du “Journal des dames” (1759-1778)

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Christine Fauré, Le Journal des dames, Littérature, Presse, Suzanna Van Dijk

On pourra regarder et écouter ci-après l’intervention de Christine Fauré (CNRS), le 8 décembre 2016, au séminaire “l’Esprit des Lumières et de la Révolution” 2017-2018, à la Sorbonne.

Sur le Journal des dames, qui fait l’objet de cette conférence, on peut également consulter le livre de Suzanna Van Dijk (couverture ci-dessous): Traces de femmes. Présence féminine dans le journalisme français du XVIIIe siècle (1988), et sur Internet la notice rédigée par la même auteure.

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Suffit-il d’être féministe pour faire avancer l’histoire des femmes ? ~ À propos d’un livre d’Éliane Viennot.

11 dimanche Déc 2016

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Bêtisier»

≈ Commentaires fermés sur Suffit-il d’être féministe pour faire avancer l’histoire des femmes ? ~ À propos d’un livre d’Éliane Viennot.

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Anne Verjus, Éliane Viennot, Charlotte Corday, Christine Fauré, Claire Lacombe, Enragé·e·s, Etta Palm d'Aelders, Féminisme, Jacques Guilhaumou, Jean-Clément Martin, Marat, Méthodologie, Meudon, Michel Onfray, Pauline Léon, Républicaines révolutionnaires, Serge Aberdam, Théroigne de Méricourt

capture-decran-2016-12-09-a-19-12-52Ancienne militante de l’Organisation communiste Révolution ! (scission de la LCR, tentée par le maoïsme), Éliane Viennot est une universitaire féministe ; elle est agrégée de lettres, cofondatrice de la Société internationale pour l’étude des femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR).

Je l’ai rencontrée — comme lecteur — dans les ouvrages qu’elle a codirigés aux Publications de l’Université de Saint-Étienne (Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de 1750 aux lendemains de la Révolution, 2012 ; L’Engagement des hommes pour l’égalité des sexes (XVIe-XXIe siècle), 2013) et dans un essai roboratif : Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française (iXe, 2014).

Ayant par ailleurs publié, chez Perrin, deux volumes (que je n’ai pas lus) d’une d’histoire de « La France, les femmes et le pouvoir » — L’Invention de la loi salique, Ve-XVIe siècle (2006) et Les Résistances de la Société, XVIIe-XVIIIe siècle (2008) — elle a suivi l’ordre chronologique et publié cette année (2016) Et la modernité fut masculine, qui porte sur la période 1789-1804.

Le sujet faisait de moi un lecteur captif, de surcroît bien disposé par ses lectures précédentes.

Ici, une remarque de « morale méthodologique » : je comprends fort bien qu’un(e) auteur(e) ait besoin, pour revisiter l’ensemble d’une période, de produire une « nouvelle » synthèse d’un sujet maintes fois traité, ici en gros : « les femmes pendant la Révolution ». Le problème est que, le plus souvent, on n’a pas affaire à une synthèse à nouveaux frais, mais à une compilation plus ou moins élégante et pertinente. Or, l’innocence du lectorat est telle qu’il présume à tort qu’un ouvrage publié postérieurement à tant d’autres apporte des éléments nouveaux sur son sujet… C’est la « prime chronologique ». Imméritée dans le cas de l’opus d’Éliane Viennot.

Il est presque trop facile de remarquer que l’ouvrage, dans sa partie historique, contient des erreurs et des approximations. C’est nécessairement le cas dans la pratique compilatoire. Je donne quelques exemples ci-après. Les « bonnes réponses » se trouvent réparties dans divers articles et documents publiés sur ce blogue ; je ne prends pas la peine de les rappeler systématiquement et j’engage les lectrices et les lecteurs à user du moteur de recherche du blogue.

Ainsi donc, Non ! Claire Lacombe ne participe pas à la Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe (p. 25) ; confusion avec Pauline Léon.

Non ! Ça n’est pas « au début de l’année 1791 seulement qu’Etta Palm fonde le premier [club féminin] : la Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité » (p. 33). Ou plus précisément : ça n’est pas le premier club féminin. Il suffit de lire Christine Fauré pour le savoir : je dis lire, pas seulement citer en bibliographie.

Il est maladroit de parler (p. 195) de « l’échec probable de [la] consultation » qui serait pressenti par les autorités qui décident de soumettre la constitution de 1793 à un référendum. Cette consultation est un triomphe ! Auquel participent largement les femmes révolutionnaires.

Il est plus que fâcheux encore de donner l’impression au lecteur que l’on s’appuie pour cette sottise sur deux citations de Serge Aberdam, lequel n’en peut mais ! et a précisément consacré un gros travail à analyser ce référendum.

Je ne suis pas sûr qu’écrire que Charlotte Corday était « a priori favorable à son camp », en parlant du camp de Marat, sa victime, a le moindre sens. Michel Onfray, sors de ce livre !

Il ne faut pas prendre le langage courant (ou les approximations des autres) pour des faits établis. Non ! il n’existait aucun « groupe ultra-gauchiste et démagogue » (p. 195) qui se serait intitulé les « Exagérés », « dont Hébert ». Ça, ça serait plutôt le bidonnage qui a permis l’assassinat légal d’un certain nombre de militants, dont Hébert.

Un des pièges de la compilation, c’est que l’on met en lumière tel détail, tel adjectif, lâché trop vite à partir de sources douteuses, par un(e) auteur(e) précédent(e), qui elle a beaucoup travaillé. Ici : l’adjectif « brisée » (p. 232), à propos de Claire Lacombe à sa sortie de prison. La prison n’a jamais fait de bien à personne ; personne n’en sort intact ; on y meurt et on en meurt parfois. En l’espèce, Claire Lacombe a recouvré assez rapidement une belle énergie.

Venons-en au pire :

Certaines localités brillent par leur inventivité, à l’image d’Angers ou de Meudon, où sont ouvertes des tanneries de peau humaine… (p. 196)

Ah! la tannerie de peau humaine de Meudon! Toute une époque!… Et pourquoi Diable aurait-il fallu se contenter de la piquette des coteaux et de la verrerie du Bas-Meudon?

Il suffit!

Il n’a jamais été ouvert nulle part de «tannerie de peau humaine», comme on ouvre une épicerie ou un atelier de salpêtre. Ni à Angers ni à Meudon.

Une trentaine de cas ponctuels d’écorchement de victimes et de tannage de peau ont été recensés pendant la Révolution.

On recommande à ce propos la lecture du livre de Jean-Clément Martin : Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées Vendée 1794 [1] (Vendémiaire, 2013).

Qu’une universitaire, en principe cultivée, et de surcroît politisée à l’extrême gauche, véhicule comme une évidence bien établie ce genre d’ânerie, comme on passe le sel à table, devrait lui interdire d’être admise à parler d’histoire en général, et de Révolution en particulier, ailleurs qu’à l’Université populaire de Caen.

Il se confirme que le «féminisme girondin», dont Onfray incarne le revival, ne peut se passer de puiser dans l’argumentaire putréfié de l’historiographie monarchiste.

Il faudrait pouvoir en rester là.

Mais à défaut de poser des problèmes, au sens scientifique (renouveler l’abord d’une question), le livre de Viennot en pose dans la mesure où il sera lu, et pris au sérieux.

Qu’on en juge par le passage suivant :

Il y a donc, dès l’année 1790, des groupes de “Dames patriotes” dans de nombreuses villes. Les chercheuses en avaient recensé trente-cinq en 1989, on en était à cinquante-six en 1997. Il est vraisemblable qu’il en a existé bien davantage, et il n’y a guère de raison de s’en réjouir, comme on le faisait encore lorsque ces trouvailles avaient pour toile de fond l’expérience des “groupes femmes” de l’après-Mai 68. Partout, en effet, il semble que ces sociétés se soient créées avec l’aval des autorités et des clubs locaux, si ce n’est à leur initiative, et pas forcément dans le but d’approfondir les ruptures de la Révolution. (p. 31)

Je n’ai pas la même conception de l’histoire qu’Éliane Viennot. La sienne est dogmatique et idéologique, au point qu’elle avoue ne pas se soucier des faits, dont d’ailleurs « il n’y a guère de raison de se réjouir » de la découverte.

Quand un(e) chercheur(e) en est là, c’est sa théorie qui a des problèmes, pas les êtres de chair et de sang qui ont fait l’histoire.

Ma propre conception est matérialiste et pragmatique. Je m’intéresse à la manière dont les femmes se sont mobilisées collectivement, et notamment organisées en clubs — « non-mixtes » (la non-mixité est presque toujours relative à l’époque), ou bien à l’intérieur d’une société «fraternelle», c’est-à-dire mixte, et même à l’intérieur d’une société mâle où les femmes sont cantonnées dans les tribunes (pour connaître ce dernier cas de figure, il faut avoir travaillé sur des faits et des documents d’archives).

On aura remarqué au passage qu’il y a « dès 1790 » des groupes de femmes, tandis qu’on nous dira — mais c’est deux pages plus loin! — que le tout premier ne sera créé qu’en 1791…

Je me réjouis, moi, de constater ou présumer l’existence d’un nombre de groupes deux fois plus important au moins que celui auquel s’est arrêté Viennot. Parce que leur variété, évoquée ci-dessus, donne une idée plus riche de l’implication des femmes dans le processus révolutionnaire.

Viennot leur reproche d’avoir été trop bien tolérées par les autorités. Contrairement à ce qu’elle croit ce ne fut pas toujours le cas (contre-exemples : Pau et Paris), mais même si ça l’était, cela mériterait d’être confronté, par exemple, aux analyses d’Anne Verjus (je résume : les femmes n’ont pas été exclues, elles n’ont pas été incluses). Viennot semble dire le contraire de ce que dit Verjus, mais comme il semble aussi qu’elle n’en sait rien, et qu’elle ne se donne pas la peine, comme l’exigerait pourtant une démarche scientifique, de se situer dans l’historiographique récente de la question, on ne peut rien faire de tout ça !…

Viennot voudrait que l’on découvre des « groupes femmes », à la façon des années 70 du XXe siècle, entre 1790 et 1793.

Par malheur, il n’y en pas.

Du coup, elle boude.

Or, déçue, Viennot peut se montrer mauvaise camarade.

À peine a-t-elle moralement disqualifié des « Dames patriotes » infichues « d’approfondir les ruptures de la Révolution », qu’elle se retourne contre les Citoyennes républicaines révolutionnaires, souvent considérées comme responsables de l’agression sexuelle contre Théroigne de Méricourt, qualifiée par Viennot d’« épisode tragique […] pour le féminisme révolutionnaire […] puisqu’il sera bientôt combattu pour ses troubles à l’ordre public » (p. 111; je souligne).

Résumons le plan de conduite a posteriori tracé par notre universitaire féministe du XXIe siècle aux (maladroites) militantes de 1793:

Approfondir les ruptures de la Révolution, mais sans troubler l’ordre public.

Je trouve Madame la professeure sévère !

______________________

[1] Fort intéressant et salubre ouvrage, auquel je reprocherai seulement une certaine confusion dans la découverte touristique qu’il propose de Meudon, lieu qui, de l’avis de l’auteur « est en soi délirant » …appréciation qui m’a fait considérer sous un jour nouveau une localité où j’ai vécu presque vingt ans.

« Le visiteur le plus ignorant ne peut qu’éprouver surprise, frustration et inquiétude en […] découvrant [ce qu’il reste du château]. »

En relisant ses (?) notes l’auteur semble avoir fait se télescoper (pp. 61-62) les restes du château de Bellevue, en pleine agglomération, et les bâtiments occupant l’emplacement de l’ancien château, au bout de la terrasse de l’Observatoire, immense espace vert, en partie public. L’ancienne orangerie a été restaurée et abrite des concerts, des expositions… et des cantonnements militaires, selon la saison et le niveau d’alerte anti-terroriste.

« Observatoire » (celui de Paris-Meudon, en activité) est d’ailleurs un mot que l’on s’attend à lire, et qui ne vient pas, tandis que l’auteur croit pouvoir nous gratifier d’un renseignement pourtant inutile à son récit, et malheureusement erroné : le château aurait abrité « jusqu’en 1975 le musée de l’Aviation ».

L’immense hangar (dit « Hangar Y ») qui abrita en effet ce musée (je l’ai jadis visité), au lieu-dit Chalais-Meudon (à côté de la soufflerie de l’ONERA), n’a rien à voir avec le château, ni architecturalement ni historiquement.

J’espère que l’on voudra bien considérer cette infime critique pointilliste — adressée à un historien reconnu — comme l’effet d’un simple accès de nostalgie enfantine.

______________

Statut de l’ouvrage: acheté en librairie.

 

Capture d’écran 2014-11-26 à 21.25.54

 

Le site d’Éliane Viennot.

Présentation vidéo de l’auteure par elle-même.

Une recension de l’ouvrage par Jacques Guilhaumou sur le site Révolution française.net.

Pourquoi ai-je l’impression que Guilhaumou réécrit d’abord le texte d’Éliane Viennot, avant de le déclarer excellent tel qu’il est?

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“L’Esprit des Lumières & de la Révolution” ~ Séminaire en Sorbonne

13 jeudi Oct 2016

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “L’Esprit des Lumières & de la Révolution” ~ Séminaire en Sorbonne

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Alexandre Guermazi, Christine Fauré, Colonies, Condorcet, Emmanuel Faye, Florence Gauthier, Jean-Claude Gaudebout, Le Journal des dames, Marc Belissa, Marc Deleplace, Sections parisiennes, Suzanne Levin, Vincent Grégoire, Yannick Bosc

Programme 2016-2017 du séminaire de recherche animé par Marc Belissa, Yannick Bosc, Marc Deleplace et Florence Gauthier.

Les séances se tiendront le jeudi de 18h à 20h à l’Université Paris Sorbonne, 17 rue de la Sorbonne, salle G 361, escalier G au 2e étage.

Cul de lampe Bonnet A17 novembre : Marc Belissa, République monarchique ou démocratique ? La querelle des titres et la construction d’un cérémonial républicain aux États-Unis en 1789-1791.

8 décembre : Christine Fauré, Le journal des dames.

19 janvier : Alexandre Guermazi, Les assemblées générales des sections parisiennes, démocratie et représentation en l’an I de la République.

23 février : Vincent Grégoire, Impérialisme et cosmopolitisme. Théories de l’État et problèmes coloniaux (XVIe-XVIIIe siècle).

16 mars : Suzanne Levin, La conception de la souveraineté populaire chez Prieur de la Marne.

27 avril : Jean-Claude Gaudebout, La déclaration des droits de Condorcet en 1789.

11 mai : Yannick Bosc, Les prud’homies de pêcheurs comme modèle républicain.

8 juin : Emmanuel Faye, Arendt, Heidegger et la modernité.

Cul de lampe Bonnet B

Le séminaire L’Esprit des Lumières et de la Révolution est soutenu par le CH19 – Panthéon Sorbonne/Paris Sorbonne, le CHISCO EA1587 et l’ED395, « Milieux, cultures et sociétés du passé et du présent », Paris Ouest Nanterre.

Groupe de travail créé par Marc Belissa, Yannick Bosc, Françoise Brunel, Marc Deleplace, Florence Gauthier, Jacques Guilhaumou, Fabien Marius-Hatchi, Sophie Wahnich.

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« “Nuit debout” De la prise de parole à la prise de décision : la revanche des femmes », par Christine Fauré

07 samedi Mai 2016

Posted by Claude Guillon in «La parole à…»

≈ Commentaires fermés sur « “Nuit debout” De la prise de parole à la prise de décision : la revanche des femmes », par Christine Fauré

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Éducation, Christine Fauré, Constitutions, Féminisme, Nuit debout, Républicaines révolutionnaires

Le site internet Nouvel Observateur le plus a publié, sur l’heureuse initiative de Rozenn Le Carboulec, à propos du rôle des femmes à “Nuit debout” un texte de l’historienne Christine Fauré, qui resitue les pratiques des féministes participant à cette mobilisation dans l’histoire du droit des femmes depuis la Révolution française.

Je le reprends ci-dessous (on retrouvera les liens, ici soulignés, dans l’original).

*  *  *

À Nuit debout, le 13 avril, le temps de parole décompté entre hommes et femmes est profondément inégalitaire : 86% d’hommes contre 14% de femmes.

Le 21 avril, à la commission féministe, bien sûr l’avantage va aux femmes dans les discussions mais le débat roule sur les questions de fonctionnement : comment articuler les commissions entre elles, quel rythme de réunion adopter, rien de personnel n’est dit, la critique de l’expertise n’est pas à l’ordre du jour et les thématiques retenues flirtent de très près avec la sociologie des mouvements sociaux : les femmes au travail, les femmes migrantes, les femmes rom.

À Nuit debout, on est bien loin
de l'anti-électoralisme de mai 68

Le sérieux de la recherche et le vote à satiété apparaissent comme une garantie démocratique, comme s’il y avait en matière de prise de décision, une revanche à prendre : c’est la révolution revue par le formalisme cognitiviste ; l’anti-électoralisme de mai 68 qui signifiait, outre la stigmatisation des classes politiques en place, le désinvestissement du vote comme processus démocratique, est très loin.

Si les femmes prennent peu la parole, c’est qu’elles ne décident pas ; qu’elles n’ont pas la maîtrise de leur cadre de vie. En l’occurrence, dans ladite commission, le débat prend la forme d’une prise de décision sans cesse réitérée, presque compulsive. Mais cet apprentissage de la démocratie directe n’empêche pas l’émergence de leaders : celles et ceux qui ont le plus parlé. Hier soir, les résistances violentes au séparatisme féministe – dont l’argument principal est : en l’absence de leur oppresseur, les femmes entre elles parlent plus facilement et c’est une des conditions de la libération de leur parole –, ne se sont pas fait sentir. Mais paraît-il, il n’en est pas toujours ainsi depuis le début du mouvement.

À travers ces quelques notations, on comprend que la formule «le personnel est politique», tel que les années 70 l’avait mis en pratique à travers les groupes de parole, tenus dans des appartements, dans des lieux confinés, pas dans l’espace public, est passé de mode ; que cette libération de la subjectivité et de l’histoire individuelle est devenue le signe de la société dominante égotiste et exhibitionniste ; aujourd’hui il suffit d’avoir un cancer pour faire un roman. On comprend aussi que l’écriture d’une nouvelle Constitution qui initiera de nouveaux comportements démocratiques avec la création de nouvelles institutions ne se fera pas sans les femmes, aguerries à la prise de décision.

La disqualification politique des femmes
est devenue irrecevable

La notion de droit des femmes avait vu le jour sous la Révolution française, à partir d’une déception : lorsque les femmes révolutionnaires avaient constaté qu’on ne parlait pas d’elles dans la première Constitution en 1791. Elles avaient pourtant investi à l’instar des hommes les formes consacrées de la parole publique ; elles avaient émis des doléances, signé des pétitions, proclamé des déclarations mais elles étaient certainement trop peu nombreuses à le faire. L’argument du déficit culturel et intellectuel des femmes fut ensuite mis en avant pour justifier leur exclusion de la sphère publique. Elles n’étaient pas capables ou, plus pervers, elles ne voulaient pas se distraire du soin de leur famille.

Aujourd’hui, ces arguments qui ramènent à l’homme tous les bénéfices de la collectivité apparaissent éventés, irrecevables. À l’heure où le niveau supérieur des femmes en matière de résultats scolaires, de diplômes, a souvent été chiffré, la disqualification sociale et politique dont elles restent victimes en fin de course, devient incompréhensible.

L’injustice de l’inégalité entre les sexes sera-t-elle l’objet d’une prochaine révolution ?

Les modèles historiques dont nous disposons, qu’ils soient populistes, socialistes ou libéraux n’ont jamais mis en œuvre un tel bouleversement et s’il y a une nouveauté dans le projet politique de Nuit debout, adossé à la Bourse du travail, c’est de mettre les femmes à la manœuvre dans l’espace public contre la précarité :

«…Féministes issues des luttes du syndicalisme de précaires ou des mouvements sociaux ; …il s’agit de mettre en avant le féminisme dans la lutte de classes et d’intensifier la lutte de classes dans les espaces féministes» (comme le dit le Glumf).

Christine Fauré

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Un «Club patriotique féminin» à Paris, publié par Marat (1790)

11 jeudi Sep 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents», «Textes de femmes»

≈ Commentaires fermés sur Un «Club patriotique féminin» à Paris, publié par Marat (1790)

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Alain Decaux, Charlotte Goëtz-Nothomb, Christine Fauré, Clubs de femmes, Féminisme, Femmes en armes, Goncourt (frères), Jacques De Cock, Jeanne Hachette, Marat, Pauline Léon, Piques

La lecture sur papier demeure — est-ce uniquement « générationnel » ? j’en doute — une voie d’accès privilégiée aux textes, même lorsqu’il s’agit de textes imprimés et non de manuscrits. Par ailleurs, les imprimés d’époque révolutionnaire, même réédités, à priori les mieux connus, réservent de bonnes surprises, même s’il est difficile de parler de « découvertes ». Il serait plus juste de dire que leur existence est bien connue ; il n’en va pas nécessairement de même de leur contenu.

Tel était le cours de mes réflexions en plongeant dans les volumes des Œuvres politiques de Jean-Paul Marat, formidable travail d’édition accompli il y a vingt-cinq ans par Jacques De Cock et Charlotte Goëtz-Nothomb sous le label Éditions Pôle Nord (Bruxelles, 1989).

J’en profite pour signaler, à l’intention des amateur(e)s point trop démuni(e)s, des bibliothécaires et des libraires, que J. De Cock dispose encore de quelques dizaines de collections des Œuvres (10 vol., 400 €).

On peut consulter son blog Fantasque éditions et le contacter à l’adresse : fantasques[AT]aliceadsl.fr

Je rappelle également que figure dans la liste des liens — à gauche sur votre écran — celui des Éditions Pôle Nord (avec lesquelles De Cock n’a plus rien à voir), sur lequel on peut consulter nombre de textes de — et sur — Marat.

Revenons à Marat, précisément, et à son journal L’Ami du peuple ou le Publiciste parisien. Il y publie, dans le n° 315 du Dimanche 19 décembre 1790 (pp. 6-8), le texte d’un groupe se présentant comme « le club patriotique féminin de la capitale ». Lequel groupe entend hâter la sanction par Louis XVI du décret sur la constitution civile du clergé par l’action directe féminine, et armée. Ce texte n’a guère été, à ma connaissance du moins (n’hésitez pas à me signaler des exemples inaperçus), cité dans les travaux sur les clubs de femmes. Il n’est pas pour autant « inconnu », d’abord parce qu’il est republié et à la disposition de toutes et tous depuis au moins vingt-cinq ans, ensuite parce qu’on le trouve mentionné chez quelques auteurs. Lesquels ne sont ni les plus récents ni considérés comme les plus fiables.

Les frères Goncourt, Edmond et Jules, en citent un passage dans leur Histoire de la société française pendant la Révolution (1895 [é. o. 1889], pp. 383-384). Ils ajoutent :

L’apôtre des exécutions populaires, Marat, prit sous sa protection ce club féminin, d’un patriotisme si logique, si affranchi de préjugés, et si droit marchant au sang. Il félicita ces milliers de Jeanne Hachette, les exhortant à faire du ministre Guigniard, un Abeilard.

Les références à Jeanne Hachette (que l’on trouve dans d’autres textes révolutionnaires) et au nombre de militantes sont ici de pure fantaisie.

La seconde référence que j’ai trouvée est plus intéressante dans la mesure où l’auteur, Alain Decaux1, propose une explication de la nature et de l’origine du club patriotique féminin, à laquelle — et non sans un certain étonnement, je dois le dire — je me rallierai in fine :

En ce temps-là, la mode est aux clubs. Il n’est guère de ville ou de bourg en France qui n’en ait un ou plusieurs. Rue Saint-Honoré, les Jacobins se sont installés dans l’église des anciens moines qui leur ont donné leur nom. À certaines heures, sous l’ex-église, dans une « sorte de crypte bien éclairée », les Jacobins expliquent la Constitution à une société fraternelle d’ouvriers. Quand il est question de ravitaillement ou de danger public, les ouvriers viennent souvent accompagnés de leurs femmes. Peu à peu, certaines de ces femmes, aux heures où leur mari travaille, prendront l’habitude de se rendre sans y être conduites à la crypte des Jacobins. Elles « viennent seules et discutent seules ». Le 30 décembre 1790, Marat se déclare fort satisfait d’elles. Il prend un malin plaisir à dépeindre le contraste entre l’énergie de ces femmes du peuple « dans leur souterrain » et le bavardage stérile de l’Assemblée jacobine « qui s’agite au-dessus ».

En effet, outre son objet — la constitution civile du clergé — et son style guerrier fort « rugueux », l’intérêt majeur du texte publié par Marat est qu’il signale un club féminin en décembre 1790, se réunissant dans le même bâtiment que celui des Jacobins ; et encore que c’est, en l’état de nos sources, la seule mention de ce club féminin en tant que tel.

Commençons par examiner la crédibilité du texte censé émaner du « club patriotique féminin ». Nous savons que Marat est renseigné par de nombreux correspondant(e)s, à Paris et en province, qui lui adressent un abondant courrier. Nous savons par exemple qu’une ex-militante de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, arrêtée en prairial an III (printemps 1795), la citoyenne Dubreuil, qui se défend pourtant d’avoir « correspondu avec Marat », reconnaît lui avoir écrit à trois reprises :

Il est vrai que je lui ai écrit trois fois : la 1° pour lui donner avis des moyens que les Emigres employaient pour rentrer en France ; la 2° pour lui proposer des moyens que je croyais propres à prévenir les incendies dans les bureaux des ministères ; la 3° qui était au mois de juin 93 je lui donnais avis que des gardes du roi qui avaient émigrés venaient d’être promus à des places importantes dans les armées de la République2.

Olivier Coquard, par ailleurs biographe de Marat (Fayard), dénombre 640 lettres publiées dans 947 numéros. Cependant, le texte du Club patriotique féminin serait « la seule lettre féminine du corpus3 », ce qui en rehausse l’intérêt en même temps que cela relativise le « féminisme » pratiqué par Marat dans ses journaux (mais cette occurrence compte pour beaucoup, comme nous allons le voir).

On peut présumer que Marat est assez bien renseigné, surtout sur ce qui se passe à Paris et qu’il n’aurait sans doute pas publié ce texte sans en vérifier ou en faire vérifier l’origine. Cette hypothèse se trouve soutenue par le fait qu’il évoque une seconde fois le Club féminin (L’Ami du peuple, n° 325, du jeudi 30 décembre 1790 ; cette seconde mention a été omise dans l’index des Œuvres complètes) onze jours après avoir inséré sa lettre (je souligne) :

Mais ce serait une tache flétrissante pour les Jacobins de recevoir ces vils scélérats [Motier et Bailly], comme c’est pour eux le comble de la sottise d’avoir reçu des aides de camp, des coupe-jarrets, des mouchards du général, des noirs et des ministériels de l’Assemblée, en un mot, des ennemis de la révolution. En ouvrant leur porte à ces infâmes, ils ont perdu eux-mêmes la confiance du peuple, qui les regardait comme les vrais amis de la liberté, autour desquels il devait se rallier dans les moments de crise ; ils ont ôté à la patrie la plus grande de ses ressources, en ôtant au peuple les guides qu’il croyait pouvoir suivre avec sûreté. Cette sottise serait irréparable, si le club des femmes, que la providence semble avoir placé sous celui des Jacobins pour réparer ses torts, n’était à portée de se défaire de Bailly et de Motier, en les faisant conduire à la lanterne après les avoir bernés à la première visite qu’ils auront l’imprudence de faire aux Jacobins.

Ça n’est pas la première fois que Marat étrille — mais d’abord sans les nommer — des Jacobins ouverts à tous les gens louches et fermés au peuple :

Qu’attendre de ces assemblées d’imbécilles, qui ne rêvent qu’égalité, qui se vantent d’êtres freres, & qui excluent de leur sein les infortunés qui les ont affranchis ?

(L’Ami du peuple ou le publiciste parisien, n° 175, Mercredi 28 juillet 1790, pp 7-8.)

Cinq mois plus tard, l’attaque est plus directe, et Marat n’hésite pas à faire honte au club Jacobin en comparant ses compromissions et ses hésitations avec l’énergie des sentinelles féminines « que la providence semble avoir placé [sous lui] pour réparer ses torts ».

Ici, on pourrait parler d’un féminisme par renversement de perspective : ce sont les femmes révolutionnaires qui, depuis leur position traditionnelle — sociale et érotique — « sous les hommes », incarnent l’énergie virile, dont elle sont invitées à couper les attributs à quelques personnages politiquement ambigus.

Revenons maintenant au Club patriotique féminin en tant que tel. En décembre 1790, il existe certes ou il a existé à Paris des groupes de femmes. Il s’agit de regroupements sur une base corporative (dans la joaillerie, ou les « dames » du marché Saint-Paul), ou mixte — corporative et conviviale : les femmes artistes et femmes d’artistes (voir les travaux de Christine Fauré). D’autres aussi, probablement, même si nous ne possédons que des traces plus tardives de leur existence. Mais ce Club patriotique féminin est le seul dont le recrutement semble sans rapport avec un métier, un district ou une paroisse. Lire la suite →

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Un « cahier de doléances » féminin de 1789, recopié en 1790

07 dimanche Sep 2014

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Documents», «Textes de femmes»

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Christine Fauré, Féminisme, Léonce Grasilier, Marie de Vuignerias, Paule-Marie Duhet

En 1899, M. Léonce Grasilier (1850-1931), lequel fut conservateur aux Archives nationales, publiait dans la Nouvelle Revue rétrospective (t. XI, juillet-décembre 1899, pp. 87-102) puis en brochure (s. d., 16 p.), sous le titre Le Féminisme en 1790, la transcription d’un « cahier de doléances » rédigé (croyait-il) à la fin juin 1790 par une femme, « Marie Vve de Vuignerias », vivant dans la région d’Angoulême.

Malgré son incontestable compétence en matière d’archives, Grasilier se conforma aux usages de son temps, s’abstenant hélas de fournir la référence de sa trouvaille, que l’on peut supposer conservée aux AN. C’est d’autant plus regrettable qu’il a transcrit le texte, et ce faisant l’a certainement tant soit peu modifié, comme on peut le constater à propos d’un autre texte qu’il cite dans son introduction.

Ce texte n’est reproduit ni dans le recueil de Paule-Marie Duhet, 1789 : Cahiers de doléances des femmes et autres textes (Des femmes, 1989, é. o. 1981), ni dans les deux volumes parus en 1982 aux Éditions d’histoire sociale (EDHIS) : Les Femmes dans la Révolution française.

À dire vrai, il n’aurait pu qu’être mentionné dans le premier de ces ouvrages, comme variante d’un texte qui, lui, y figure : Cahiers des doléances et réclamations des femmes, par Madame B*** B***, du pays de Caux (BN : MFICHE 8-LB39-1593).

En effet, Marie de Vuignerias ne s’est pas contenté d’emprunter des passages à Mme B***, elle a repris l’intégralité de sa brochure en procédant à d’infimes modifications (que j’ai jugé inutile d’indiquer ici pour ne pas gêner la lecture; lecteurs et lectrices souhaitant faire une comparaison précise pourront se reporter au recueil de Duhet).

Vuignerias n’a même pas pris la peine de supprimer l’appel aux « filles cauchoises », plutôt déplacé, c’est le cas de le dire, en Angoumois.

Relevant cet emprunt massif et non dissimulé, Christine Fauré en tire la conclusion que « pour les femmes aussi, des modèles de doléances ont bel et bien existé et qu’ils se sont transmis d’une province à l’autre1 ». C’est au moins une preuve, parmi d’autres, que les textes politiques écrits par des femmes circulent en effet, sont lus (parfois publiquement, dans les sociétés populaires), mentionnés (dans les journaux) et cités/repris plus ou moins largement par d’autres auteures. Cette circulation des textes et des idées contribue à la formation d’un courant d’idée féminin révolutionnaire, lequel ne se confond pas exactement avec les regroupements de militantes révolutionnaires.

Par parenthèse, l’emprunt littéral fait à Mme B*** explique l’étrangeté d’un « Cahier de doléances » largement postérieur à ceux rédigés après la convocation des États-généraux, et adressé à une réunion de députés déjà constitués en Assemblée nationale. De ce point de vue, il s’agit de l’un des premiers textes postérieurs aux États-généraux qui reprend comme modèle pertinent celui des « Cahiers », modèle promis à un bel avenir dans les siècles suivants, jusqu’à aujourd’hui.

Remarquons par ailleurs que Grasilier ne précise pas si le « Cahier des doléances » de Mme de Vuignerias est publié en brochure en 1790. Même si son texte manque de clarté, il semble plutôt faire allusion, à propos des fautes d’orthographe de Mme de Vuignerias, à un manuscrit. Lequel manuscrit proviendrait du recopiage du texte de Mme B*** par Mme de Vuignerias, recopiage que Léonce Grasilier ignore.

Davantage que cette ignorance, on reprochera à celui qui se croit l’inventeur du texte sa misogynie. Il croit devoir faire le rapprochement entre le texte de 1790 et les « élucubrations féministes d’aujourd’hui » — de la fin du XIXe siècle, donc… Disons, en bon matérialiste, que la valeur morale d’un archiviste disparu depuis longtemps nous importe peu, et remarquons que la misogynie, « sincère » ou affichée par convention, de certains historiens est souvent le « prix à payer » pour accéder à des textes de femmes.

Grasilier déplore dans son introduction de n’avoir pu trouver de trace certaine de Mme de Vuignerias. L’année suivante, en 1900, la Revue de la Saintonge & de l’Aunis, bulletin de la Société d’Archives historiques (Paris-Saintes) renvoie (p. 150) aux Notes historiques sur la baronnie de Marthon 2, le canton dans lequel résidait Mme de Vuignerias, rédigées par l’abbé Mondon, lequel confirme l’intuition de Grasilier sur la branche de Vignerias de la famille Decescaud.

Notre auteure serait ainsi Marie Sauvo, veuve de Pierre de Decescaud, sieur de Vignerias, avocat à Angoulême. La différence d’orthographe Vuignerias/Vignerias ne saurait nous arrêter, ni la prononciation ni la graphie des noms n’étant fixées à l’époque.

Assez souvent cité, l’article de Grasilier a parfois été mal lu. Et d’abord par Évelyne Sullerot dans son Histoire de la presse féminine en France des origines à 1848 (1966, pp. 47-49), chez qui se trouve peut-être l’origine de la rumeur « historienne » qui court aujourd’hui encore sur Internet3, selon laquelle Mme de Vuignerias, aurait fondé ou au moins cofondé les Étrennes nationales des Dames.

[Lire sur ce blog, dans l’article précédent celui-ci (par date), la présentation de ce journal et son article féminin/féministe].

Sullerot juge « probable [qu’]il s’agissait des mêmes personnes que le succès de ce premier ballon-sonde qu’est une brochure [le Cahier de doléances] incitait, dans le climat d’enthousiasme de ces mois, à tenter l’aventure du journal, alors au plus fort de sa mode. »

C’est peut-être l’ambiguïté, chez Grasilier, de la formulation suivante qui a prêté à confusion : « Le premier et unique numéro des Étrennes nationales des Dames, où l’on trouve exprimées les idées de Mme de Vuignerias ». Mais Grasilier émet, au contraire de Sullerot, l’hypothèse que l’auteure du Cahier de doléances a pu s’inspirer des Étrennes. Certes il a pour cela une bien mauvaise raison : il juge sans doute Vuignerias incapable — non comme plagiaire mais comme femme — d’une pensée autonome.

Nous savons aujourd’hui que cette querelle des origines est sans objet, puisque Mme Vuignerias a recopié Mme B***, et non les Étrennes des dames, qu’elle a cependant pu, par hypothèse et probabilité chronologique, lire et apprécier. Il demeure possible que l’auteure de l’article féministe des Étrennes (voir ci-dessus), la marquise de M***, ait connu le Cahier de Mme B***, mais rien ne l’indique dans les textes.

Cahier des doléances et réclamations des Femmes du département de la Charente

[Introduction de Léonce Grasilier]

Il n’a pas été possible d’obtenir le moindre renseignement sur la signataire de ce cahier de doléances des femmes du canton de Marthon. C’est en vain, également, que l’on a cherché le nom de Vuignerias dans les publications sur l’Angoumois. Elle doit être parente, peut-être même la veuve, de Decescaud de Vignerias, député de Charras à l’Assemblée préliminaire du tiers-état au siège présidial d’Angoulême en 1789. Quelle femme était-ce que la veuve de Vuignerias ? Probablement une de ces femmes au cœur ulcéré par quelque injustice, à l’imagination ardente, plus farcies de lectures que dotée d’instruction, comme on en vit tant surgir à l’aurore de la Révolution.

Son style est primesautier ; l’orthographe n’existe pas pour elle : elle écrit Saint-Bole pour symbole, et étout pour est tout ; elle n’en a cure : le principal, c’est de dire ce qu’elle pense et ce qu’elle désire. Or ses pensées, ses désirs, qui ressemblent tant aux élucubrations féministes d’aujourd’hui, tout cela lui est-il personnel, ou n’est-ce pas plutôt l’écho provincial des publications féministes qui parurent à Paris dès les premiers jours de la Révolution ? Imbue de l’esprit des philosophes, entraînée dans le tourbillon général, n’a-t-elle pas été surexcitée par des publications plus ou moins sérieuses, celles de Pussy entre autres ?

Le 30 novembre 1789, cet écrivain publiait, en effet, le premier et unique numéro des Étrennes nationales des Dames, où l’on trouve exprimées les idées de Mme de Vuignerias :

[ici, je reprends les passage exacts du texte, attribué à une Marquise de M… dans le journal de Pussy, que Grasilier élague et modifie légèrement :]

« Vous avez vaincu, en faisant connoître au peuple sa force, en lui demandant si vingt-trois millions quatre cents mille ames devoient être soumises aux volontés et aux caprices de cent mille familles brévetés par la tolérance et l’opinion. Dans cette masse énorme d’opprimés, n’y avait-il pas au moins la moitié du sexe féminin ? Et cette moitié doit-elle être exclue, à mérite égal, du gouvernement que nous avons retiré à des enfans qui en abusoient. […]

» Enfin, les Prétoriens et les Légions nous verront avec plaisir, non-soldées, partager les gardes laborieuses et fatigantes don ils sont accablés. Ce n’est pas que la fantaisie de porter des uniformes nous monte à la tête ; mais le desir de manier un sabre nous porte au cœur. Eh bien !… Si les hommes veulent se réserver la garde du Roi, nous serons les amazones de la Reine. […]

» En matière de séparation ou de divorce, vous rendrez justice à vos Concitoyennes ; et, dans le ménage même, vous prouverez aux volages et aux ingrats que la femme est à l’homme égale en droits, et vous prouverez, égale en plaisirs. »

Les féministes d’aujourd’hui, qui ont agrandi le programme, liront avec intérêt les doléances et les revendications de cette provinciale de 1790.

Léonce Grasilier

[Texte recopié par Marie de Vuignerias]

Charras, le 29 juin 1790.

L’aurore luit, les ténèbres se dissipent, l’astre du jour approche, le ciel brille ; son éclat est un présage heureux.

O Puissance suprême, fais que ce symbole enflamme tous les cœurs, ranime notre espoir et couronne nos vœux !

Quelle confiance ne devons-nous pas avoir, depuis que le Monarque a manifesté à son peuple ses sentiments paternels, qu’il a permis à chaque individu de porter ses réclamations de communiquer ses idées, de traiter, discuter par la voie de la presse, tous les objets qui vont bientôt passer sous les yeux de cette auguste Assemblée. Dans le moment d’une révolution générale, qu’une femme, étonnée du silence de son sexe, lorsqu’il aurait tant de choses à dire, tant d’abus à combattre, tant de doléances à présenter, ose élever sa voix pour défendre la cause commune de son sexe ! C’est au tribunal de la Nation qu’elle va la déférer, et déjà sa justice l’assure de son succès.

Pardonne, ô mon sexe, si j’ai cru légitime le joug sous lequel nous vivons depuis tant de siècles ; j’étais persuadée de ton incapacité et de ta faiblesse, je ne te croyais capable, dans la classe inférieure ou indigente, que de filer, coudre et vaquer aux soins économiques du ménage, etc.

Dans un rang plus distingué, le chant, la danse, la musique et le jeu me semblaient devoir être tes occupations essentielles ; je n’avais pas acquis encore assez d’expérience pour discerner que tous ces exercices sont, au contraire, autant d’obstacles au développement du génie. Mais que je suis désabusée, depuis que j’ai vu, avec autant de surprise que d’admiration, dans cette classe où, soit par raison, soit par nécessité, les hommes permettent aux femmes de partager leurs travaux, les unes bêcher la terre, tenir le soc de la charrue, conduire la poste, d’autres entreprendre de longs et pénibles voyages, pour raison de commerce, par les temps les plus rigoureux.

J’ajouterai que, malgré le défaut de notre éducation, on peut citer plusieurs femmes qui ont donné au public des productions utiles et lumineuses. Enfin n’en a-t-on pas vu tenir les rênes du gouvernement avec autant de sagesse, de prévoyance que de majesté ?

Que nous faut-il de plus pour nous prouver que nous avons droit de nous plaindre de l’éducation qu’on nous donne, du préjugé qui nous rend des esclaves, et de l’injustice avec laquelle on nous dépouille, en naissant, au moins dans plusieurs provinces, du bien que la nature et l’équité semblent devoir nous assurer ?

L’on a, dit-on, accordé aux nègres leur affranchissement : le peuple, étant aussi esclave qu’eux, est rentré dans ses droits ; c’est à la philosophie qui éclaire la Nation à qui l’on est redevable de ces bienfaits. Serait-il possible qu’elle fût muette à notre égard, ou bien que, sourds à sa voix et insensibles à sa lumière, les hommes persistassent à vouloir nous rendre victimes de leur orgueil ou de leur injustice ?

O Députés de la Nation, c’est vous que j’invoque ! Puissiez-vous vous pénétrer des mêmes sentiments qui m’animent et de la nécessité d’opérer, par l’influence de vos lumières, la sagesse de vos délibérations, le succès de nos justes doléances ! Vous ne tromperez point nos attentes ; j’en ai pour garant les suffrages d’une infinité de citoyens éclairés qui ont mis leurs soins, leur destinée dans vos mains, et l’obligation par vous contractée de concourir à la réforme des abus et des préjugés absurdes ou atroces qui déshonorent la Monarchie française. C’est dans cette confiance que j’ose prendre la défense de mon sexe, et que ma plume timide, mais encouragée par la bonté de ma cause, s’exerce pour la première fois. Je conçois que ma réclamation paraîtra d’abord au moins inconsidérée.

La mission des femmes aux États-Généraux est, s’écriera-t-on, une prétention d’un ridicule inconcevable : jamais les femmes n’ont été admises dans les conseils de Raison et de République. Mais oserions-nous nous flatter, par cette nouvelle réforme, d’y participer ? Étant douées du savoir et de l’éloquence si digne de notre sexe, n’y a-t-il pas eu des souveraines qui ont gouverné des États, depuis Sémiramis jusqu’à nos jours, et n’ont admis que des hommes dans leurs conseils ? La devise des femmes est de travailler, obéir et se taire.

Voila, certes, un système digne de ces siècles d’ignorance, où les plus forts ont fait des lois et soumis les plus faibles, mais dont, aujourd’hui, la lumière et la raison va être démontrée par vous, pères d’une patrie à qui vous êtes si chers ; c’est de vous, divines organes, que nous implorons les suffrages et à qui nous confions les soins de notre sort.

Ce n’est point aux honneurs du gouvernement ni aux avantages d’être initiées dans les secrets du ministère que nous aspirons ; mais nous croyons qu’il est de toute équité de remettre aux femmes, aux filles possédant des terres ou autres propriétés de porter leurs doléances au pied du trône ; qu’il est également juste de relater leur suffrage, puisqu’elles sont obligées, comme les hommes, de payer des impositions royales et de remplir les engagements de commerce.

L’on alléguera peut-être que tout ce qui est possible leur est accordé : c’est de leur permettre de se faire représenter par procuration à votre auguste Assemblée. On pourrait répondre, démontrer avec raison qu’un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble. De même un homme ne pourrait, avec plus d’équité, représenter une femme, puisque les Représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés. Les femmes ne pourraient donc être représentées que par leur même sexe.

Mais, si elles ne peuvent se faire entendre, si la politique du gouvernement l’emporte sur sa justice, si tout accès auprès des dépositaires de leur destinée leur est interdit, ô citoyens vertueux et sensibles, prenez du moins en considération l’iniquité attachée au préjugé qui les rend victimes et responsables des désordres de ceux de votre sexe qui, par leurs efforts, leurs ruses, leur noire perversité, sont parvenus à les corrompre et à abuser de leur crédulité par leurs promesses, à les subjuguer par leurs serments, à triompher de leur faiblesse, de leur inexpérience, de leur vertu ; préjugé qui imprime, sur leur front, un caractère ineffaçable d’ignominie, tandis que l’infâme suborneur s’applaudit de ses succès, se glorifie des pleurs qu’il fait couler, des pièges qu’il a tendus à l’innocence, de la honte et du malheur de son infortunée victime : hommes pervers et injustes, pourquoi exigeriez-vous de nous plus de fermeté que vous n’en avez vous-même, pourquoi nous imposez-vous la loi du déshonneur ? Quand, par vos manœuvres, vous avez su nous rendre sensibles et en obtenir l’aveu, quel droit avez-vous pour prétendre que nous devons résister à vos pressantes importunités, quand vous n’avez pas le courage de commander au dérèglement de vos passions ?

Ah ! sans doute un laid préjugé est indigne d’une bonne constitution, il révolterait une nation moins frivole et plus conséquente dans ses principes. Mais quel moyen pourrait-on employer pour établir l’équilibre entre deux sexes formés du même limon, éprouvant les mêmes sensations, que la main du créateur a fait l’un pour l’autre, qui adorent le même Dieu, qui obéissent an même souverain ? Et pourquoi faut-il que la lui ne soit plus uniforme entr’eux, que l’un ait tout et que l’autre n’ait rien ?

O Nation légère, mais éclairée, reprends ton énergie, saisis d’une main tenue la balance de la justice et le flambeau de la philosophie, puis arrête tes rigueurs sur ces vices de la législation enfantée dans les ténèbres par l’ignorance et la barbarie, gémis de tous les maux qu’ils ont causés, et hâte-toi de répondre au vœu de ton souverain qui t’a réuni pour suppléer sur les intérêts de son peuple : supprime les abus, régénère la Constitution française par de nouvelle lois. Il est donc en ton pouvoir de les rendre uniformes, il est de ton devoir de redresser les sinuosité, qui égarent, chaque jour, les officiers chargés de les faire exécuter ; il est, dis-je, d’une nécessité absolue de détruire toutes les défectuosités monstrueuses de la loi qui ont avili, corrompu l’esprit de la Nation et gangrené ses mœurs.

Ce n’est donc que par la réforme des lois qu’on peut se flatter d’opérer leur régénération et d’anéantir les préjugés ; mais que ces lois, dictées par la sagesse, soient un rempart contre l’oppression, et nos deux sexes en devenant alors vertueux par principe, jouiront de la paix qu’in­spire une concorde et une mutuelle confiance. L’homme, tranquille au sein de sa famille, ne craint plus que son ami séduise sa femme ou sa fille, et déshonore sa maison.

Vous qui allez devenir les arbitres du bien ou du mal, occupez-vous de changer les règles de notre éducation ; ne nous élevez plus comme si nous n’étions destinées qu’à faire les plaisirs du sérail. Que notre félicité ne soit pas uniquement de plaire, puisque nous devons partager, un jour, votre bonne ou mauvaise fortune. Ne nous privez pas des connaissances qui peuvent nous mettre à même de vous aider soit par nos conseils, soit par nos travaux.

Ce n’est point avec les futilités dont on remplit nos têtes que nous pouvons vous remplacer, quand, par une mort naturelle ou prématurée, vous nous laissez chargées du soutien et de l’éducation de vos enfants.

Les gens oisifs ou frivoles ne s’amuseront plus à la vérité, dans le cercle des femmes, par la puérilité de leurs entretiens, mais aussi les personnes sensées verront avec satisfaction les mères de famille, raisonnables et gaies, s’occuper avec fruit du soin de leurs affaires domestiques, discuter avec connaissance et discernement les intérêts publics ; leur esprit orné, dégagé d’in­trigues, de jalousie et colifichets, rendra leur commerce et leur conversation aussi agréables qu’utiles.

Réunissez-vous, filles cauchoises, et vous, citoyennes de provinces régies par des coutumes aussi injustes et aussi ridicules, pénétrez jusqu’aux pieds du monarque, du meilleur des Rois, intéressez tout ce qui l’environne, réclamez, sollicitez l’abolition d’une loi qui vous réduit à la misère dès que vous venez au monde, pour transporter à l’aîné de vos frères presque toute la fortune de vos pères, et qui vous prive absolument de toutes les successions possibles de toutes vos familles, lorsque vous avez des frères. C’est cette coutume qui a fait dire qu’un père pouvait marier sa fille pour un chapeau de roses4. C’est elle encore qui est cause de la mésintelligence dans les familles.

O augustes Représentants, vous venez donc d’abolir cette coutume, de nous rendre, dit-on égaux par une juste balance, et chasser cette injustice qui nous opprimait et nous maintenait dans 1’état le plus vil, en nous privant de cette répartition juste qui nous ôtait notre nécessaire et les talents dignes de notre naissance et de nos dispositions.

O Pères sensibles, et vous, êtres privilégiés que le choix de la Patrie a illustrés à jamais, appuyez ces réclamations, songez que la haine, la jalousie, la discorde et la désunion régneront parmi vos enfants, toutes les fois que vous n’aurez pas les droits de leur départir égale­ment votre fortune. Réunissez-vous donc pour opérer toute proscription contraire à notre liberté, sur nos inclinations et sur toutes autres parties concernant celle qui est si chère à notre cœur ; que l’amour du bien public soit votre boussole, et que, pénétrés de la sublimité de vos fonctions, mille considérations ne puissent vous en écarter.

Qua la bonté du Monarque et l’esprit de patriotisme, dirigés par vos lumières et par la sagesse de cet homme immortel dont le nom passera à toutes les générations futures et la sagacité assurent à la France le bonheur qu’elle lui présente.

Il sera votre ouvrage, et le moyen de le fixer, c’est de finir de rendre les lois si claires et si précises, que la passion et la cupidité ne puissent s’y cacher sous de fausses interprétations.

L’Europe, attentive et les yeux fixés par vos opérations, commence par regarder la France comme une nouvelle Grèce ; nous voyons nos rivaux le dépit dans le cœur, qui seront forcés de vous admirer.

Je devrais terminer ici la tâche que je me suis imposée en prenant la plume. Cependant je me féliciterai d’y avoir ajouté quelques réflexions, si une seule pouvait contribuer au bien général. Je commencerai par celles qui ont rapport à l’objet principal de la sollicitude publique : la Dette nationale.

Nous voyons donc avec plaisir les justes répétitions que vous faites, sur le Clergé et la Noblesse, des arrérages des injustes impositions dont ils s’étaient affranchis sans le consentement de la Nation ; ce n’est point à moi à combattre cette opinion presque générale, mais il me semble que l’État pourrait payer, par ce moyen, ses dettes.

Serait-il donc possible qu’à la fin du 18e siècle, l’on fût encore esclave du fanatisme et qu’on ne pût faire des recherches et des réclamations sans être frappé d’anathème parce que c’étaient des sacrificateurs du Dieu que nous adorons qui ont trompé la crédulité des peuples ?

Ce ne sont point des mains profanes que l’on porterait sur l’arche sacrée, ce serait, au contraire, un acte de justice conforme aux lois qui ne permettent pas qu’un voleur, lorsqu’il est convaincu [lorsqu’il est prouvé qu’il a volé], jouisse paisiblement du fruit de son crime : ou les effets volés sont restitués à qui ils appartiennent, ou ils sont confisqués au profit de la Nation ; tous biens mal acquis ; je les joindrai donc à ceux des maisons ci-devant religieuses et aujourd’hui nationales (celles des Jésuites, de qui le Roi s’est emparé, et qui ne sont pas fermées5) et ferai, de tous ces différents objets, un ensemble et qu’une môme niasse pour libérer la Nation et satisfaire à ses besoins.

Si toutes ces ressources étaient insuffisantes, j’établirais un impôt sur l’objet du Luxe, simplement, me gardant bien de frapper sur le comestible ni sur ce qui pourrait gêner la prospérité du commerce et moins encore sur le peuple indigent et laborieux.

Si j’ai passé faiblement sur l’ordre du Clergé, ça n’est pas qu’il n’y aurait bien infiniment davantage à dire, mais il n’appartient pas à une femme de donner à ce sujet l’extension dont il serait susceptible ; je voulais seulement donner l’aperçu des ressources que l’État peut trouver dans la confiscation des biens injustement possédés, et qui ne peut blesser le devoir d’un souverain de maintenir les propriétés.

Que vos observations se portent aussi sur les moyens de faire fleurir le commerce en France ; il est le nerf principal d’un État ; ne souffrez pas surtout6 qu’il soit avili par des banqueroutiers qui n’éprouveront point clairement des pertes réelles, seront flétris d’un B imprimé sur la joue, afin d’annoncer à tout ‘l’univers que les commerçants, en France, sont déshonorés quand ils manquent de probité.

Que les frais de justice soient modérés, qu’un créancier ne soit pas forcé de sacrifier une partie de sa fortune pour faire condamner un faillant.

Qu’on proscrive les arrêts de surséance et les sauf-conduits qui sont un attentat à la propriété, et que, si on laisse subsister les arrêts de défense, ils n’occasionnent pas plus de frais aux créanciers qu’ils ne coûtent aux débiteurs.

Par ces ordres, vous rétablirez la confiance, vos navires seront accueillis dans tous les ports, et les bons Français seront en recommandation chez l’étranger.

Arrêtez aussi qu’on ne pourra condamner à mort que ceux qui seront coupables de meurtre ou de lèse-majesté ; que les autres criminels soient flétris, non sur l’épaule, mais sur la joue, d’une lettre qui annonce au public le genre de crime qu’ils auront commis, et que tous, marqués du sceau de la réprobation, soient employés à des travaux publics si nécessaires en France, soit pour faire des canaux, couper des montagnes, sécher des marais, soit pour nettoyer les villes, adoucir les chemins et les entretenir. Qu’ils soient mis sous la conduite de gens qui en répondront, non dans la crainte qu’ils ne passent en pays étranger (ils porteraient la marque de leur iniquité), mais pour s’assurer de leur personne, et se préserver des nouveaux forfaits qu’ils seraient capables de commettre. On ne doit pas douter qu’il n’y eût moins de criminels, si la mort n’était pas leur punition et ne termi­nait leur pénible existence.

En m’adressant à vous, ô nos dignes Représentants, je vous dirai : êtres infortunés, voici le moment de réclamer contre la servitude à laquelle vos tyrans vous ont réduits jusqu’à ce jour ; vous n’avez joui qu’en droit d’adoption ; soyez désormais enfants légitimes, devenez tout à fait français.

Renoncez aux prétendues franchises que vos seigneurs suzerains vous font payer trop cher par les droits qu’ils se sont réservés sur vos personnes, ainsi que sur vos propriétés, dont vos enfants et vos héritiers légitimes sont frustrés, si, à l’instant fatal où vous cessez d’être, le hasard ou des affaires les ont éloignés de vous, qui vous privent d’une douce satisfaction. Dévorée [sic], comme vous, je travaille pour mes enfants.

Nous supplions la respectable assemblée nationale, les soutiens du peuple, les libérateurs de la Monarchie française, d’obtenir, décider et arrêter :

I° Que la Nation réunie ne fasse plus qu’une même famille, régie par la même coutume, n’ayant qu’un même poids et une même mesure.

2° Que les barrières qui nous séparent et nous interdisent, pour ainsi dire, la faculté de nous secourir mutuellement en nous procurant les produits de nos différentes provinces, soient portées aux frontières.

3° Point de marques de distinction, d’être tous frères et plus encore amis.

Défendons courageusement notre patrie, aimons notre Roi et nos Représentants ; soutenons-les courageusement dans leur entreprise. Que la probité et la justice dirigent nos actions, et nous serons heureux.

4° Qu’il nous soit permis de former une troupe vigilante ; nous avons assez d’ardeur pour les armes, comme dans tous autres travaux, pour demander d’y être admises.

Messieurs,

Si j’étais assez heureuse pour que mon cahier puisse être trouvé digne de vos regards, je vous solliciterai de vouloir m’en donner avis, comme étant chargée de la procuration de toutes les dames de mon canton, et qu’elles seraient désireuses, si je ne m’étais pas trop hasardée, d’en apprendre la bonne ou mauvaise réussite (croyant mes demandes très légitimes).

Votre justice, Messieurs, couronnera mes entreprises et vous réserve un triomphe glorieux, à jamais immémorable, qui est le vœu qu’a formé, pour vous tous, le sexe du canton de Marthon, et de ceux qu’il adresse journellement au Ciel pour votre conservation, que j’ose vous assurer être aussi sincère que le très profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.

Marie Vve de Vuignerias, avec procuration.

Mon adresse est : Madame veuve de Vuignerias, en sa maison de campagne de Vuignerias, paroisse de Charras, proche Angoulême.

Messieurs, que vos attentions se portent à adoucir le sort des malheureuses veuves, c’est une grâce que j’ai l’avantage d’implorer.

______________________

1 Fauré, Christine, « Doléances, déclarations et pétitions, trois formes de la parole publique des femmes sous la Révolution », AHRF, n° 344, avril-juin 2006 (il s’agit des actes de la journée d’étude sur « La prise de parole publique des femmes sous la Révolution ».)

2 Réf. précise : Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois, par M. l’abbé Adolphe Mondon, Angoulême, 1895-1897, pp. 319-320 (Gallica).

3 Par exemple sur le site Planet.fr et sur le blog Quinquabelle.

4 « On appelle aussi chapeau de fleurs, une couronne de fleurs qu’on met sur la tête des filles lorsqu’on les épouse. Florea corolla. Dans la vieille coutume de Normandie il est dit qu’un père peut marier sa fille avec un chapeau de roses, c’est-à-dire, ne lui donner rien en mariage [en dot] que le chapeau qu’on lui met sur la tête au temps de la célébration. » ; Dictionnaire universel françois et latin, Paris, 1743, art. «Chapeau». [Note C. G.]

5 Les revenus des biens des Jésuites n’ont pu, depuis près de 30 ans, acquitter leurs dettes. Les frais de direction absorbent presque tout ; les avocats et les procureurs sont intéressés à les éterniser. C’est un abus auquel il faudrait remédier. [Note du texte original.]

6 Dans cette phrase, je supprime deux virgules, dont j’ignore si elles figurent dans le texte original. Quitte à retranscrire le texte, parti-pris de Grasilier, autant qu’il soit lisible.

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Citoyenneté & Genre: une synthèse d’Anne Verjus

12 jeudi Juin 2014

Posted by Claude Guillon in «Bibliothèque»

≈ Commentaires fermés sur Citoyenneté & Genre: une synthèse d’Anne Verjus

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Anne Verjus, Annie Geffroy, Christine Fauré, Clubs de femmes, Droit de vote des femmes, Roederer, Suzanne Desan, William Sewell

On peut télécharger librement le mémoire d’habilitation à diriger les recherches d’Anne Verjus (19 mai 2014), intitulé « La citoyenneté politique au prisme du genre. Droits et représentation des individus entre famille et classe de sexe XVIIIe-XXIe siècles) », dont je donne un court extrait ci-dessous (pp. 27-28 du texte original).

J’ai déjà cité cette auteure, de manière critique. Raison de plus pour dire tout l’intérêt de ce nouveau travail de synthèse, qui aborde et recoupe les questions qui sont au cœur de mes recherches. Raison aussi de contribuer à sa diffusion dans un public aussi large que possible, de telle manière que les personnes intéressées par ces sujets aient accès à toutes les données du débat, ce qui correspond à la démarche de mise en ligne libre et gratuite, qui mérite d’être saluée.

Pour télécharger le mémoire d’Anne Verjus (une fois sur la page du Centre pour la communication scientifique directe, le lien se trouve en haut à gauche du titre du mémoire).

 

Une deuxième raison permet de douter de la thèse d’un changement massif dans la situation politique des femmes entre 1793 et 1795. Il est difficile d’établir qu’elles se font exclure du politique à ce moment-là alors qu’elles n’ont à aucun moment, depuis 1789, été incluses au processus électoral en tant que citoyennes. On peut certes arguer d’autres formes d’inclusion politique, notamment via la participation aux événements révolutionnaires ou aux clubs. On peut comprendre que l’engagement très fort de certaines induise (ou fasse naître) une conscience de citoyenneté. On peut également supposer que du point de vue de certains députés, comme Amar et Chaumette, c’est cette implication jugée menaçante qui a justifié leur renvoi aux affaires domestiques dès 1793. À cet égard, l’interdiction des clubs de femmes représente bien un tournant dans la vie politique et dans la loi. Il faudrait cependant veiller à ne pas confondre cette mise à l’écart des militantes actives en 1793 avec une exclusion générale des femmes de la citoyenneté légale1. Car on ne peut nier que d’emblée, c’est-à-dire dès 1789, l’idée de faire participer les femmes aux élections n’a effleuré quasiment personne. Ni parmi les hommes, on l’a vu. Ni parmi les femmes : on ne trouve, en l’état actuel de nos connaissances, aucune revendication féminine d’un droit électoral pour les femmes parmi les textes publiés à cette époque. S’il existe une conscience d’être citoyenne, elle reste le plus souvent circonscrite à des rôles et donc des droits et devoirs spécifiques : c’est comme travailleuses, mères, épouses, éventuellement femmes-soldats que les femmes écrivent dans les cahiers de doléances, pétitionnent, s’engagent dans les manifestations ou revendiquent le droit de s’exprimer2. C’est en tant que gardiennes des mœurs plutôt que de la loi, premières éducatrices des futurs citoyens, animatrices hors pair des fêtes et cérémonies inspirant et récompensant l’héroïsme masculin, qu’on leur reconnaît un pouvoir, un rôle et une influence3. Certaines femmes ont subi un revers majeur en 1793, mais la majorité d’entre elles se considéraient comme étrangères à toute citoyenneté électorale dès 1789. Aussi le terme de « citoyenne » est-il utilisé par une sorte de conséquence linguistique « involontaire » de l’adoption du terme de « citoyen4 ». En 1796, un bon connaisseur du droit de l’époque, Pierre-Louis Roederer, propose d’ailleurs d’en finir avec cette appellation car « citoyen » n’est pas un titre comme « président », conférant à l’épouse le droit de se prévaloir de son titre féminisé. Le « titre » de citoyen est, comme celui de médecin, une « profession où il faut payer de sa personne » et non un emploi obtenu par la faveur : les femmes, qui ne sont « que membres de la famille » et n’ont « aucun droit politique dans l’État » doivent donc cesser de se faire appeler citoyennes et revenir au terme plus adapté de « madame5 ».

___________________

1 Geffroy, Annie. 1989. « “Citoyen/citoyenne (1753-1829)”, Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815) », vol. 2, n° 4 : 63-86.

2 Depuis, Christine Fauré a publié sur le sujet, confirmant qu’il n’existait pas, en l’état actuel de nos connaissances, de revendication féminine d’un droit de suffrage pour les femmes. Cf. Fauré, Christine. 2003. « L’exclusion des femmes du droit de vote pendant la révolution française et ses conséquences durables », in Combats de femmes 1789-1799, Autrement : 163-177 ; ainsi que Fauré, Christine. 2006. «Doléances, déclarations et pétitions, trois formes de la parole publique des femmes sous la Révolution», Annales historiques de la Révolution française, n° 344 : 5-25.

3 Desan, Suzanne. 1992. « “Constitutional Amazons” : Jacobin Women’s Clubs in the French Revolution », in Bryant T. Ragan and Elizabeth A. Williams, Recreating authority in revolutionary France, New Brunswick, N.J., Rutgers University Press : 11-35. Voir également Rose, Robert Barrie. 1994. « Symbols, Citizens or Sisterhood : Women and the Popular Movement in the French Revolution. The Beginning of a Tradition », Australian Journal of Politics and History, vol. 40, n° 3 : 303-317 — merci à Lynn Hunt de m’avoir donné accès à cet article.

4 Sewell, William H. Jr. 1988. « “Le citoyen/la citoyenne” : Activity, Passivity, and the Revolutionnary concept of Citizenship », in Colin Lucas (ed.), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, vol. 2, Pergamon Press.

5 Pierre-Louis Roederer, Journal de Paris du 11 messidor an IV – 29 juin 1796, in Œuvres du Comte P.-L. Roederer… / publiées par son fils le baron A.-M.Roederer… tant sur les manuscrits inédits de l’auteur que sur les éditions nouvelles de ceux de ses ouvrages qui ont déjà été publiés avec les corrections et les changements qu’il y a faits postérieurement, Paris, Firmin-Didot frères : 232-233.

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