Deuxième billet consacré à la version en images d’Une histoire populaire de la France(Delcourt/Encrages).
J’aimerais bien savoir sur quels documents s’appuie Gérard Noiriel pour produire la saynète en bas à droite de cette page…
J’ai beau me creuser la tête, il ne m’en revient aucun qui « colle » (mais je n’ai pas passé en revue les centaines de documents de mon corpus pour trouver la perle rare).
Certes, les sans-culottes étaient imprégnés d’une culture virile, voire masculiniste. Elle ne différait d’ailleurs de celle de personnes plus raffinées (tel Robespierre) que par sa rudesse physique.
Je ne vois pas à quel moment, quelles femmes ont pu renier ce discours viril des sans-culottes.
Certaines se sont inclinées devant : ils sont porteurs de la virilité ; pas nous ; donc nous sommes hors-jeu. D’autres l’ont, si j’ose dire « épousé » : nous aussi, nous pouvons, malgré nos faiblesses, incarner une part de virilité, ou au moins soutenir (matériellement) et exalter (aiguillonner) celle de nos compagnons, frères et pères. Les plus critiques se sont gaussées des hommes qui, à leur avis, ne se montraient pas à la hauteur de leur idéal viril. — Et alors, si c’est comme ça, nous les femmes pouvons faire au moins aussi bien, voire mieux !
Certes, on peut noter que dans un grand nombre de sociétés populaires qui accueillaient, dans le public ou comme membres, des femmes, on les a défendues soit contre le harcèlement de tel ou tel, soit contre des propos ou affiches diffamatoires. Et certes, des femmes se sont plaintes de ces mauvais traitements. Mais où est-il question d’une critique de la virilité ?
Je donne ci-après l’exemple d’un discours qui se rapproche au plus près de ce que nous qualifierions aujourd’hui (à juste titre) de « féministe ». Il est tenu le 27 mai 1793, devant le club des Jacobins par une oratrice de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, soit le club féminin parisien (et sans doute français) le plus radical :
La société des républicaines révolutionnaires nous députe vers vous, pour vous prier de nous faire connaître le lieu du rassemblement ; il est temps que vous ne voyez plus en nous des femmes serviles, des animaux domestiques ; il est temps que nous nous montrions dignes de la cause glorieuse que vous défendez. Si le but des aristocrates a été de nous égorger en détail en dépeuplant Paris, il est temps de nous montrer ; n’attendons pas les poignards dans notre lit ; formons-nous en phalange, et faisons rentrer l’aristocratie dans le néant. Les faubourgs où nous nous sommes portés [sic] sont dans les meilleures dispositions. Nous avons sonné dans tous les cœurs le tocsin de la liberté. Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire[1].
La critique de la domination masculine est claire, mais aussitôt suivie d’une demande d’égalité – sans critique de la virilité. Pour ne rien dire de la conclusion, très classique durant toute la Révolution (jusqu’en 1794 compris) : « Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire. » On ne vient pas chatouiller, si j’ose dire, la virilité des hommes que l’on accepte d’avance comme leaders, et dont on espère qu’ils voudront bien vous faire une petite place.
Quant à cette dernière image, elle accumule tous les défauts possibles. Elle laisse supposer que de nombreuses militantes ont été guillotinées. Or, il n’en est rien, et – il faut bien le dire – c’est en grande partie grâce à la défaite de Robespierre que des militantes comme Claire Lacombe et Pauline Léon ont sauvé leur tête (on opposera l’exemple d’Olympe de Gouges [dont l’exécution est également représentée], mais c’est une femme isolée, sympathisante des Brissotins, c’est-à-dire de « la droite » de la Révolution).
Pour ce qui est du texte de « légende », jamais vocable n’a mieux convenu…
Ce qui est dit ici n’a rien à voir avec les raisons véritables de l’interdiction des Républicaines révolutionnaires, et du même coup, de tous les clubs de femmes. Certes, cette interdiction fut l’occasion d’envolées masculinistes (trop longtemps contenues ?) bien connues. Mais on n’a pas « reproché » aux Républicaines de n’être pas assez viriles pour être patriotes : on a choisi d’utiliser contre elles les Dames de la Halle, assez « viriles » il est vrai et fort peu républicaines… Je renvoie sur ce point au long développement qui lui est consacré dans Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).
Gérard Noiriel a voulu, sans doute, susciter dans l’esprit de ses lectrices et de ses lecteurs une « correspondance des temps » entre l’actuel me-too et les militantes les plus radicales de la sans-culotterie. C’est sympathique, si l’on veut, mais c’est inexact. L’anachronisme est pavé de bonnes intentions !
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[1]Républicain français, n° 198, samedi 1er juin, p. 802 ; Buchez et Roux, t. 27, pp. 275-276.
Antoine Blondin publie en 1952 Les enfants du Bon Dieu, constamment réédité depuis au format poche. N’ayant jamais lu le livre, j’ai d’abord été heureusement surpris – et pris – par sa joyeuse indifférence aux conventions. Pas de véritable récit, mais plutôt un patchwork de saynètes prétextes à moult plaisanteries et coq-à-l’âne. Est-ce le texte qui a vieilli (ou moi? je crains que cette hypothèse doive être retenue): cette «fantaisie» débridée m’a rapidement lassé.
Reste qu’au milieu de ce presque non-récit, le personnage principal qui a entrepris de subvertir son travail de prof d’histoire – au sens strict, il réécrit l’histoire à l’intention de ses élèves – fait un exposé sur les origines de la Révolution française. La coutume de danser certains jours, un orage inopiné et le fait que la plupart des protagonistes habitaient le quartier de la Bastille allaient donc changer la face du monde…
C’est léger, et – de la part d’un écrivain de droite – d’un monarchisme finalement bon enfant.
La coutume, disais-je, s’était instaurée sans qu’on sût exactement pourquoi de danser aux carrefours, certains jours de l’année. Louis XVI et Marie-Antoinette n’étaient pas les derniers à donner l’exemple. Le bon peuple les imitait. Ces soirs-là, d’ailleurs, on eût dit que les barrières entre les conditions tombaient d’elles-mêmes. Les charretiers se hasardaient à inviter les marquises, les duchesses aguichaient les forgerons ou les sapeurs de la Garde suisse, qui leur ouvraient leurs cantonnements ornés de guirlandes de lampions. Personne n’y trouvait à redire. Cela tenait sans doute à ce que les anniversaires d’une longue suite ininterrompue de victoires tombaient vers ces époques, les maréchaux choisissant de faire la guerre au seuil de l’été pour ne pas gâter leurs rubans, les soldats d’en finir avant le mois d’août pour pouvoir partir en vacances. Il faut compter aussi, naturellement, avec la proximité des distribution de prix, la lassitude heureuse qui succède à un dernier trimestre bien rempli et une certaine allégresse dont l’air se charge au mois de juillet. Telles furent les causes profondes de la Révolution française.
La cause immédiate fut qu’en 1789, il plut à verse pour le 14 juillet. Un peuple moins réfléchi que le peuple français n’en eût pas profité pour s’interroger sur les raisons obscures qui le poussaient depuis si longtemps à danser à cette date. Un siècle de lumières nous avait heureusement incités à chercher à voir clair en nous-mêmes. Les danseurs et les buveurs, dont les meilleurs s’étaient malgré tout rassemblés dans la Salle du Jeu de Paume pour marquer le coup, regardaient tomber la pluie et trompaient leur impatience des violons en s’abîmant dans d’interminables méditations. Un sentiment, assez répandu dans le pays, leur dictait qu’ils avaient quelque chose à faire ce jour-là. Mais les contours en demeuraient vagues et ils ne savaient pas au juste quoi. Vers l’heure de l’apéritif, profitant d’une petite éclaircie, un jeune feuilletoniste du nom de Camille Desmoulins grimpa sur une table, résolu coûte que coûte à sauver la soirée : “Si nous ne fêtons pas le 14 juillet aujourd’hui, ce n’est pas demain qu’il faudra s’y mettre. Moi, je travaille, demain, je dois me lever tôt. Passe encore de ne pas danser, mais on peut toujours aller prendre quelque chose…” Les autres, qui ne cherchaient qu’un prétexte pour ne pas rentrer chez eux, souscrivirent au projet de ce célibataire. Après avoir hésité entre le Palais-Royal, où les galeries vous maintenaient les pieds au sec, et le Châtelet, où foisonnaient des Merveilleuses avant la lettre, on sait qu’ils se décidèrent finalement pour la Bastille, la majorité habitant dans les environs.
Les enfants semblaient joyeux à l’évocation de cette farce si lourde de conséquences. Je ne voulus pas gâcher leur enchantement par la mort du roi, qui s’expliquait mal en dehors d’un mouvement d’humeur de ces foules versatiles : elles vous coiffent d’une toque de boulanger la veille pour vous guillotiner le lendemain. Je laissai néanmoins incarcérer au Temple ce malheureux monarque avec sa famille, le tableau en était trop célèbre, mais…
J’avais d’abord feuilleté le livre en librairies, ce qui ne m’avait pas donné envie de l’acheter. Et puis j’ai lu des critiques enthousiastes et d’autres sur un registre dont j’ai souvent dit ici-même à quel point il m’agace : si-ce-livre-permet-ne-serait-ce-qu’à-une-lectrice-de-découvrir-l’histoire, etc.
L’Histoire, devrais-je écrire, puisque si l’on se propose de nous expliquer pourquoi elle a effacé les femmes, nous savons dès la première de couverture qu’elle a commis ce forfait à l’aide de sa grande « H » (plaisanterie connue).
Parce que je ne suis pas omniscient, je me reporte au chapitre 11 qui concerne mon domaine de recherches – « Révolutionnaires étouffées » – qui traite de la Révolution française.
Je vais y « apprendre » [pp. 179-180] ce que des dizaines de textes rédigés par des lecteurs et lectrices de Wikipédia m’ont déjà enseigné : Pauline Léon et Claire Lacombe « ensemble ont fondé la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires » (non).
Plus original, et non sourcé, comme de bien entendu, on m’explique que « ces femmes », expression qui englobe Pauline et Claire, Etta Palm d’Aelders, Louise de Kéralio, Olympe de Gouges et quelques autres « veulent des femmes dans la magistrature, dans l’armée et aux postes importants de l’Église. » Telle que formulée, et attribuée à un groupe aussi hétéroclite, cette prétendue revendication n’a tout simplement aucun sens.
Puisque j’en suis aux détails qui heurtent, voici la manière dont est évoquée la politique de Marat, à propos de sa meurtrière Charlotte Corday :
Devant les appels de Marat à tuer tout le monde. […] [p. 187]
Terrible petit bruit de la sottise qui heurte le zinc du comptoir du Café du commerce.
Le propos général de l’ouvrage est de mettre à portée du plus grand nombre ou au moins « d’un » plus grand nombre les travaux des historiens et historiennes, censés reposer dans des oubliettes éditoriales ou de poussiéreuses revues.
C’est mentir. De nombreux livres d’histoire, rédigés par des spécialistes atteignent des tirages très honorables.
Puisque Geneviève Fraisse est – à juste titre – citée et utilisée à plusieurs reprises par Lecoq, remarquons que l’on peut trouver en collection de poche Folio plusieurs de ses ouvrages, ce qui n’est pas précisément un signe de clandestinité.
Incompréhensible, et impardonnable, est l’absence de Christine Fauré, directrice d’une Nouvelle encyclopédie politique et historiquedes femmes (Les Belles Lettres, 2010).
Je vais m’attarder sur le problème des références. J’ai mentionné Fraisse ; on en rencontre d’autres, mais quant à savoir selon quels critères elles sont choisies pour figurer dans les notes, mystère et boule de gomme ! Disons que là où une référence est donnée, il en existe neuf qui sont tues.
De plus dans un livre qui se prétend outil de « passeuse » entre scientifiques et grand public, on s’attendrait à une bibliographie commentée, par exemple à la fin de chaque chapitre. Et avec les adresses ou au moins les noms de nombreux sites et blogues… Or, à part les notes de bas de page, il n’y a rien.
De temps à autre, l’autrice lance dans l’éther une incitation qui doit lui paraître suffisante. Ainsi à propos de Communardes, dont elle vient d’énumérer les patronymes.
Allez lire leurs vies [sic], elles sont toutes passionnantes. [p. 238]
D’ailleurs, quand on se plaint de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, comment ne pas signaler l’existence de deux associations (au moins) qui travaillent à conserver et mettre en valeur la mémoire des femmes:Mnémosyne, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre et lesArchives du féminisme…
Quant au style, après un coup de chapeau à l’écriture inclusive, l’autrice se dispense du moindre point médian (il ne faudrait pas dérouter le grand public !). Elle adopte ici et là un style relâché, censé, je suppose, réduire encore les méfiances de celles et ceux qu’inquiète le bon français. Doit-on croire que la formule « un décret les chasse de l’armée » aurait rebuté beaucoup de monde ? Nous lisons : « Un décret les vire de l’armée » [p. 189]. Dans le même registre, pour qualifier l’action de Napoléon : « Après le bordel de la Révolution… ».
Ou bien ce livre n’a pas eu d’éditeur, ou bien il s’agit d’un procédé démagogique.
À défaut de relecture, l’ouvrage a bénéficié d’une campagne d’affichage publicitaire, et d’une préface de Michelle Perrot qu’elle conclut sur une formule dont on a compris que je ne la partage pas : « À lire absolument ».
On m’objectera, comme d’habitude, que – même vendu comme une savonnette et écrit avec les pieds – le livre est « sympathique » puisqu’il défend la visibilité des femmes dans l’histoire, et qu’il est possible que des jeunes gens et jeunes filles s’y découvrent un intérêt pour l’histoire des femmes. Il est impossible de réfuter un tel argument, ce qui indique assez son caractère non-scientifique.
En l’état, cet ouvrage non seulement n’apporte rien sur le sujet qu’il prétend traiter, mais se trouve très en retard (au moins dans le domaine qui m’intéresse) sur l’état présent de la recherche. D’honnêtes lectrices et lecteurs croiront de bonne foi tenir entre leurs mains un état actualisé des connaissances, quand ils·elles n’auront en main que le énième produit surfant sur la vague #MeToo – ça n’est pas moi qui fait le rapprochement, mais Michelle Perrot dans sa préface.
Ma dernière pensée (de ce billet) ira aux arbres, certes issus d’une « forêt gérée durablement »… Combien d’arbres pour faire savoir que Marat voulait « tuer tout le monde » ?
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Statut de l’ouvrage
Acheté en librairie. 326 pages, 20, 90 €.
Le slogan publicitaire épuise ici la définition de l’emphase mensongère.
Oserais-je dire que rien ne ce qui concerne Robespierre ne m’est étranger ? Ce serait exagéré (abusé, disent les jeunes). Cependant, je m’en voudrais de tenir lectrices et lecteurs dans l’ignorance de l’un des multiples avatars de l’Incorruptible produits par la technique moderne.
En effet, je pense que c’est sans intention (historique ou politique) particulière qu’un familier des logiciels de transformations du visage a soumis le portrait de Maximilien – comme ceux de dizaines de personnalités actuelles ou historiques – à un logiciel de féminisation.
Cette féminisation est caricaturale, empruntant aux normes de beauté les plus spectaculaires et les plus vulgaires. Nul doute que, croqué en pied, Maximilien aurait subi un « lifting brésilien des fesses » (sur cette opération de chirurgie « esthétique », parfois mortelle, voir mon fil Twitter).
Le portrait de Robespierre en blonde a d’autant mieux retenu mon attention qu’il a pris pour matière première le même portrait que j’ai moi-même utilisé pour la couverture de mon livre Robespierre les femmes et la Révolution (IMHO, 2021). Là où je me suis contenté (outre quelques retouches de couleurs) de faire ajouter un badge portant le signe du genre masculin sur le revers de la redingote, le logiciel étire les pommettes, gonfle les lèvres, et farde les yeux.
Nous ne sommes pas si loin des représentations androgynes du Jacobin qu’affectionnent les comédies musicales japonaises. Ironie de l’histoire, Maximilien, dont la virilité et l’orthodoxie sexuelle ont été mises en doute par une Légende noire endosse avec grâce les modernes oripeaux de l’ambiguïté de genre.
Je lis sur le site du Figaroune tribunedu susnommé à propos de la volonté proclamée d’un certain nombres de spécialistes américains de l’Antiquité de détruire leur propre spécialité (et non simplement d’en faire une analyse critique), pour cause d’impérialisme blanchissant…
Terreur devant les minorités revendicatives, goût de l’autoflagellation (peut-être préventive), bêtise universitaire retournée contre elle-même, il y a de quoi dauber…
Et puis je tombe sur cette analogie, sur laquelle s’achève ma lecture:
C’est sur l’ancienne place de la Révolution qu’une poignée de royalistes parisiens sont venus détailler leur programme de lutte antiterroriste, dont le visuel ci-dessous donne un autre aspect (de la France!).
En feuilletant un numéro de la revue se réclamant du surréalisme Supérieur Inconnu, qu’il dirigeait, je tombe sur un article du peu regretté Sarane Alexandrian intitulé «Actualité de Charles Fourier» (N° 1, nouvelle série, janvier-juin 2005, pp. 71-81).
À la page 79 figure la note en caractères gras, que je reproduis ci-dessous.
Il est clair que dans l’esprit naïf de M. Alexandrian, cette note établissait à la fois toute la modernité de Fourier et son influence insuffisamment reconnue sur l’époque moderne.
Serait-il possible que M. Leclerc ait eu l’idée des supermarchés qui portent son nom en lisant Babeuf? Je prends ici-même la résolution de dépouiller la collection complète de Supérieur Inconnu pour en avoir le cœur net…
C’est un peu par hasard (on se demande à quoi sert d’avoir une alerte Google, soit dit en passant) que je découvreune notice sur Claire Lacombedans le cours de laquelle M. Olivier Blanc fait allusion à la critique publiée ici-même d’un texte où il affirmait – sans apporter le moindre début de preuve – que la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires avait été crée par la fille du maire de Paris Pache, lequel pouvait ainsi la manipuler à son aise.
Voir mon article intitulé Entre héroïsme et démagogie l’engagement politique des femmes paru en 2017 : un compte rendu violemment critiqué sur le site en ligne d’ un historien à bonnet rouge, M. Claude Guillon, spécialiste des enragées, [qui] cherche désespérément à faire croire – après Mme Godineau célèbre auteur d’une thèse robespierriste très discutable et évidemment très vantée par les membres de la Société des Études robespierristes – que les « citoyennes tricoteuses » auto-proclamées républicaines et révolutionnaires, n’étaient pas du tout instrumentalisées par la Commune de Paris et qu’elles agissaient comme des femmes libres. M. Claude Guillon, qui distribue sans complexes, sur son site dédié aux « femmes de la Révolutions » (celles à piques et bonnets rouges exclusivement), des satisfecit et des bonnets d’âne, est totalement imprégné par l’idéologie post-robespierriste qui le rend malhabile à analyser finement les documents dont nous disposons aujourd’hui sur le rôle, ou plutôt l’utilisation politique des femmes dans les assemblées révolutionnaires de l’époque de la Terreur. […]
Mme Audouin (dont le nom a été déformé en Ardouin), née Pache, participa raconte Carnot, aux réunions de cette Société révolutionnaire de femmes, contribuant fortement à la mobilisation, si elle ne l’a pas initiée à la demande de son père.
Faut-il considérer la dernière phrase du second paragraphe comme un discret pas en arrière? Étant trop malhabile à l’analyse, je m’abstiendrai de trancher.
J’espère que lecteurs et lectrices sentent assez que je viens d’employer le verbe préféré des sociétaires de la SER, dont M. Blanc se fait une représentation qui rappelle délicieusement les feuilletonistes du XIXe siècle et – moins drôlement – les complotistes de toujours, comme on va le vérifier.
Voici l’avertissement qui figure en-dessous de chaque notice publiée par M. Blanc.
Un logiciel «lutte des classes» est appliqué depuis bientôt un siècle à l’interprétation de la Révolution française par une historiographie quasi-officielle, incarnée à une large majorité par les membres cooptés du conseil d’administration anciens et actuels de la Société des Études robespierristes.
Rattrapée par ses mensonges et omissions calculées (entre autres sur la Vendée et la vénalité des Jacobins de l’an II), cette école historique tend encore à ostraciser toute lecture des événements, qui ne serait pas dans la suite des historiographes sympathisants du PCF ou du récent «Front de gauche», depuis Albert Mathiez jusqu’à Albert Soboul et leurs suiveurs actuels de l’Université. On trouvera sur cette base des notes de lecture et références inédites tirées de mes lectures et recherches d’archives (1977-2007). Et plus d’une centaine de notices sur les grandes figures de la Révolution de 1789, notamment, Robespierre, Saint-Just, Danton, Marat, Olympe de Gouges, Pache, Camille Desmoulins, etc. Ma démarche est de mettre en lumière ce qui a été ignoré ou écarté, notamment les questions liées, en l’an II, à la transparence de la vie publique et aux enjeux financiers individuels, aux enjeux géo-politiques dont le rôle de l’Angleterre de Pitt, aux artifices de la démagogie et aux résistances à la violence présentée comme une «nécessité».
À toutes fins utiles.
Que je ne sois pas d’accord avec M. Blanc sur la lutte de classes est de peu d’intérêt. Ce qui est fascinant, par contre, est que sa critique est factuellement fausse parce que totalement hors de saison; la lutte de classes est en effet passée de mode, et surtout chez les admirateurs et continuateurs de Mathiez.
C’est que M. Blanc voit l’historiographie actuelle, la Société des Études robespierristes, l’Université (et peut-être le monde en général?) avec des lunettes qui datent de la fin des années soixante. Pour qui se targue d’«analyser finement» des documents, un tel anachronisme est fâcheux.
Au fond, c’est le même complotisme dont fait étalage M. Blanc, qu’il s’agisse de dépister les manipulateurs des Républicaines révolutionnaires ou de laisser entendre que le bureau de la Société des Études robespierristes dirige l’Université en sous-main. Le pire est que je ne doute pas de sa sincérité…
Foin de mélancolie! Reconnaissons une contribution de notre auteur à l’étude des Enragées: il propose un nouveau portrait de Claire Lacombe.
C’est au moins le troisième qui circule, depuis la banalisation de l’Internet. S’étonnera-t-on que celui-ci ne soit pas plus justifié ni sourcé que ne l’étaient les deux précédents? À moins qu’il s’agisse d’un suspens entretenu à dessein…?
Pour une fois, on ne peut que souhaiter que les sources de M. Blanc soient fiables…
S’il me répond dans une prochaine notice sur Marat ou sur Jacques Roux, je ne manquerai pas de le faire savoir ici.
Portrait présenté par M. Olivier Blanc comme celui de «La citoyenne Lacombe» (pastel, 1792).
Je commence la lecture du livre Aux armes citoyens ! Naissance et fonctions du bellicisme révolutionnaire (Seuil, 2010), d’un M. Frank Attar.
J’en suis aux prolégomènes (c’est d’un chic!) où l’auteur évoque la marche des femmes sur Versailles, le 5 octobre 1789.
La foule est d’abord désignée (p. 16) sous un vocable bien malsonnant:
Mais, craignant peut-être une manœuvre dilatoire, la populace força les portes du château.
Le pire est à venir (même p.):
Poussant alors son avantage, la tourbe réclama le retour du roi et de sa famille à Paris.
Latourbe…
On se demande ce qui est le plus étrange. Serait-ce qu’un auteur étale sans vergogne un aussi caricatural et risible mépris de classe? Ou bien qu’il ne réalise pas à quel point – y compris en tant qu’auteur bourgeois certainement persuadé d’incarner la retenue – il commet une faute de goût.
Imagine-t-on qu’un auteur républicain (on voit que je ne pousse pas trop loin l’hypothèse) substitue systématiquement dans son texte aux expressions «le roi» ou «le monarque» celle-ci: «le gros cochon. Il ne ferait que s’inspirer fidèlement des caricatures d’époque; pourtant, il ferait rire à ses dépens.
Je trouve sous la plume du théologien et moraliste Pierre Charron (1541-1603), dans son ouvrage De la Sagesse (1601), un passage qui correspond bien à la pensée de M. Attar:
Le peuple (nous entendons icy le vulgaire, la tourbe et lie populaire, gens, sous quelque couvert que ce soit, de basse, servile et mechanique condition) est une beste estrange à plusieurs testes […] il s’esmeut, il s’accoyse, il approuve et reprouve en un instant mesme chose ; il n’y a rien de plus aisé que le pousser en telle passion que l’on veust.
On voit que Gustave Le Bon (dont nous reparlerons bientôt sur ce blogue) n’a guère innové avec sa Psychologie des foules (1895). D’ailleurs, Charron copiait déjà Cicéron. Et nous voici, tout au bout de cette impressionnante lignée, devant le livre de M. Attar.
Reconnaissons que tout n’est pas choquant dans cet ouvrage. On y trouve aussi sujet à réflexion, comme dans le passage que voici:
Lorsque les habitants du Comtat Venaissin et d’Avignon (possessions du Saint-Siège depuis, respectivement, le XIIIe et le XIVe siècle) exprimèrent leur volonté d’être rattachés à la France nouvelle, les députés ondoyèrent de longs mois avant de se résoudre à leur ouvrir [etc.]
Ondoyèrent, vraiment ?
Il ne peut s’agir, à l’évidence et malgré la présence papale, du sens liturgique: baptiser avec de l’eau (onde). C’est à la rigueur le premier sens qu’aura visé l’auteur: «Remuer, se mouvoir en s’élevant et en s’abaissant alternativement». Les députés se seraient successivement élevés et abaissés… Que d’étranges séances à l’Assemblée!
Notre tourbier[1]aurait-il pas plutôt confondu lapsus calamiteusement avec le verbe louvoyer, un équivalent de «tergiverser»? C’est bien probable, mais j’en tiens personnellement pour la liberté de l’auteur, pleine et indivisible; et si dans une prochaine édition M. Attar répugnait à substituer louvoyer à ondoyer[2], pourquoi ne pas tâter un peu de «soudoyer», qui fait aussi son petit effet…
J’aurais le sentiment de commettre une injustice si je ne mentionnais les circonstances atténuantes que peut faire valoir M. Attar pour une éventuelle défense. En effet, l’auteur rend un hommage appuyé à François Furet, lequel fut son directeur de thèse et lui fit «découvrir la Révolution». De surcroît, M. Attar est diplômé de l’ENA.
Si, passé les prolégomènes, je trouvais quelque autre sujet de réflexion ou d’ébaudissement dans ce livre, je ne manquerais pas d’en informer mon aimable lectorat.