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Anachronisme, Claire Lacombe, Domination masculine, Féminisme, Gérard Noiriel, Guillotine, Olympe de Gouges, Pauline Léon, Robespierre, Société des citoyennes républicaines révolutionnaires
Deuxième billet consacré à la version en images d’Une histoire populaire de la France (Delcourt/Encrages).
J’aimerais bien savoir sur quels documents s’appuie Gérard Noiriel pour produire la saynète en bas à droite de cette page…
J’ai beau me creuser la tête, il ne m’en revient aucun qui « colle » (mais je n’ai pas passé en revue les centaines de documents de mon corpus pour trouver la perle rare).
Certes, les sans-culottes étaient imprégnés d’une culture virile, voire masculiniste. Elle ne différait d’ailleurs de celle de personnes plus raffinées (tel Robespierre) que par sa rudesse physique.
Je ne vois pas à quel moment, quelles femmes ont pu renier ce discours viril des sans-culottes.
Certaines se sont inclinées devant : ils sont porteurs de la virilité ; pas nous ; donc nous sommes hors-jeu. D’autres l’ont, si j’ose dire « épousé » : nous aussi, nous pouvons, malgré nos faiblesses, incarner une part de virilité, ou au moins soutenir (matériellement) et exalter (aiguillonner) celle de nos compagnons, frères et pères. Les plus critiques se sont gaussées des hommes qui, à leur avis, ne se montraient pas à la hauteur de leur idéal viril. — Et alors, si c’est comme ça, nous les femmes pouvons faire au moins aussi bien, voire mieux !
Certes, on peut noter que dans un grand nombre de sociétés populaires qui accueillaient, dans le public ou comme membres, des femmes, on les a défendues soit contre le harcèlement de tel ou tel, soit contre des propos ou affiches diffamatoires. Et certes, des femmes se sont plaintes de ces mauvais traitements. Mais où est-il question d’une critique de la virilité ?
Je donne ci-après l’exemple d’un discours qui se rapproche au plus près de ce que nous qualifierions aujourd’hui (à juste titre) de « féministe ». Il est tenu le 27 mai 1793, devant le club des Jacobins par une oratrice de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, soit le club féminin parisien (et sans doute français) le plus radical :
La société des républicaines révolutionnaires nous députe vers vous, pour vous prier de nous faire connaître le lieu du rassemblement ; il est temps que vous ne voyez plus en nous des femmes serviles, des animaux domestiques ; il est temps que nous nous montrions dignes de la cause glorieuse que vous défendez. Si le but des aristocrates a été de nous égorger en détail en dépeuplant Paris, il est temps de nous montrer ; n’attendons pas les poignards dans notre lit ; formons-nous en phalange, et faisons rentrer l’aristocratie dans le néant. Les faubourgs où nous nous sommes portés [sic] sont dans les meilleures dispositions. Nous avons sonné dans tous les cœurs le tocsin de la liberté. Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire[1].
La critique de la domination masculine est claire, mais aussitôt suivie d’une demande d’égalité – sans critique de la virilité. Pour ne rien dire de la conclusion, très classique durant toute la Révolution (jusqu’en 1794 compris) : « Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire. » On ne vient pas chatouiller, si j’ose dire, la virilité des hommes que l’on accepte d’avance comme leaders, et dont on espère qu’ils voudront bien vous faire une petite place.
Quant à cette dernière image, elle accumule tous les défauts possibles. Elle laisse supposer que de nombreuses militantes ont été guillotinées. Or, il n’en est rien, et – il faut bien le dire – c’est en grande partie grâce à la défaite de Robespierre que des militantes comme Claire Lacombe et Pauline Léon ont sauvé leur tête (on opposera l’exemple d’Olympe de Gouges [dont l’exécution est également représentée], mais c’est une femme isolée, sympathisante des Brissotins, c’est-à-dire de « la droite » de la Révolution).
Pour ce qui est du texte de « légende », jamais vocable n’a mieux convenu…
Ce qui est dit ici n’a rien à voir avec les raisons véritables de l’interdiction des Républicaines révolutionnaires, et du même coup, de tous les clubs de femmes. Certes, cette interdiction fut l’occasion d’envolées masculinistes (trop longtemps contenues ?) bien connues. Mais on n’a pas « reproché » aux Républicaines de n’être pas assez viriles pour être patriotes : on a choisi d’utiliser contre elles les Dames de la Halle, assez « viriles » il est vrai et fort peu républicaines… Je renvoie sur ce point au long développement qui lui est consacré dans Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).
Gérard Noiriel a voulu, sans doute, susciter dans l’esprit de ses lectrices et de ses lecteurs une « correspondance des temps » entre l’actuel me-too et les militantes les plus radicales de la sans-culotterie. C’est sympathique, si l’on veut, mais c’est inexact. L’anachronisme est pavé de bonnes intentions !
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[1] Républicain français, n° 198, samedi 1er juin, p. 802 ; Buchez et Roux, t. 27, pp. 275-276.