La pétition de la citoyenne Montgery, rédigée vers fin 1792, dont je vais reproduire la version imprimée en brochure, a échappé à l’attention de — ou a été négligée par — Elke et Hans-Christian Harten, qui ne la mentionnent pas dans leur recueil Femmes, culture et Révolution (Des Femmes, 1989).
Mon attention a été attirée sur elle par Laurie Laplanche, qui signale l’exemplaire de la BN (aujourd’hui sur microfiche) dans son mémoire de 2007 : Le Discours sur l’éducation des femmes pendant la Révolution française La représentation de la citoyenneté féminine entre 1789 et 1794 (téléchargeable sur le site de l’Université de Montréal).
Les Archives nationales conservent un autre exemplaire (à Paris) sous la cote AD/VIII/29.
Une première recherche m’a permis de vérifier que cette pétition n’était pas inconnue, puisqu’elle est signalée dans Tourneux, Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution française (tome III, n° 17387, p. 586) et dans Fosseyeux, Marcel, Les Écoles de charité à Paris sous l’ancien régime et dans la première partie du XIXe siècle (1912, p. 233 Archive.org).
Or si la pétition individuelle de la citoyenne Montgery est de facture assez classique, elle mérite certainement d’être mentionnée au chapitre des démarches féminines en faveur de l’éducation des filles, du fait de la grande pugnacité avec laquelle son auteure l’a présentée d’abord devant trois institutions : le club des Jacobins, la Convention & la Commune[1]. On notera que ce « parcours » ne respecte pas la hiérarchie des pouvoirs, qui aurait voulu qu’elle fût présenté d’abord devant la Commune. La pétitionnaire entend se tourner ensuite vers les sections parisiennes, afin qu’elles appuient sa demande auprès du rapporteur nommé à la Convention (en fait au Comité d’Instruction publique de celle-ci), qu’elle désigne sous le nom de « Massieux ». Il s’agit du député Jean-Baptiste Massieu, ancien évêque constitutionnel de l’Oise, abdicataire et marié le 23 novembre 1793, membre du Comité d’Instruction publique.
Nous verrons plus loin que dans la famille Montgery, un maître de pension, probablement l’époux de la citoyenne institutrice, défend ses intérêts de « prolétaire » de l’enseignement, sans que, à ma connaissance l’une mentionne l’autre, et réciproquement.
La citoyenne Montgery vient donc d’abord aux Jacobins, le 19 décembre 1792, prononcer une allocution qui forme le début de la pétition qu’elle entend présenter devant la Convention[2]. Le Journal des débats la reproduit (ou un extrait) dans son n° 323, du 21 décembre 1792.
Elle présente sa pétition à la Convention un peu plus d’un mois plus tard, le 27 janvier 1793. Elle est admise à la séance et lit elle-même son texte. Je n’ai pas trouvé mention de son intervention dans les Archives parlementaires. Par contre, elle est signalée dans le Procès-verbal de la Convention (t. V, p. 452) sous l’appellation « citoyenne Bonnet, femme Montgéry ».
Elle ne mentionnera pas son nom de jeune fille dans la brochure.
La pétition est renvoyée au Comité d’Instruction publique de la Convention (voir P.-V.). Bonnet-Montgery assure avoir obtenu la mention honorable à l’unanimité des voix (ce dont le P.-V. ne dit rien) et prétend que « le Citoyen Rabaud de Saint-Etienne, qui étoit Président, [lui] a promis, au nom de la Convention, d’accepter [s]es offres pour l’Education publique », ce qui est évidemment faux.
En l’état de mes courtes recherches, je n’ai pas de traces des démarches éventuelles faites par la citoyenne pour contacter les 48 sections de Paris.
Ce que nous savons, en revanche, c’est qu’elle a été entendue le lundi 11 février 1793 par le Comité d’instruction publique, devant lequel elle a pu développer à nouveau ses arguments[3]. Cependant, Massieu propose dans son rapport, quinze jours plus tard, le 26 février, de passer à l’ordre du jour, c’est à dire de ne donner aucune suite à la pétition[4]. Sa position est adoptée. Deux mois d’efforts en vain.
Le citoyen Montgery, maître de pension
J’ai trouvé deux lettres manuscrites aux Archives nationales, la première de la main du « citoyen Merigon Montgery, rue et isle St Louis n° 8 ». La présence du patronyme « Merigon » reste mystérieuse à mes yeux, mais celle de « Montgery » ainsi que l’identité de l’adresse avec celle de la citoyenne Bonnet-Montgery ne laisse que peu de doute sur le lien entre le maître de pension et l’institutrice.
Cette première lettre (F/17/1002 d. 153 plaq. 2) n’est pas datée, mais elle a été écrite avant le 20 janvier 1793, date de l’assassinat de Louis Michel Le Peletier, dont Montgery a été le précepteur, et qui « recommande instamment à ses collegues » la pétition de ce dernier.
Le citoyen Montgery assure que l’enseignement est « une carrière qu’il remplit depuis l’âge de seize ans ». Il se plaint amèrement de la concurrence déloyale des prêtres et décrit longuement la condition malheureuse des maîtres de pension.
Un Me de pension est un citoyen obscur, dédaigné, dont tous les instans sont consacrés à l’utilité publique, dont le travail suffit à peine à sa pénible existence, dont la vie prolongée dans les soucis et les inquiétudes s’éteint dans l’amertume, laissant des filles condamnées au célibat, parcequ’il n’a pu les doter ; ou s’il en etablit une, c’est en la donnant à un gendre aussi indigent, qui succede à ses peines et à ses travaux. […]
Vous n’ignorez pas, citoyens, la progression effrayante du prix des vivres, qui fait gemir les vrais Républicains, et qui, sans doute, éveillera votre attention, par les suites incalculables qui peuvent en resulter : les maitres de pension, au milieu de ce fléau général, ont été contraints de baisser le prix de pensions, qui etoient à peine en proportion avec des tems meilleurs. Il en doit être très peu qui n’eprouvent les angoisses d’une ruine prochaine, dont la perspective ne soit d’être jetté dans les cachots avec les coupables, par une suite du droit affreux du créancier impitoyable sur son débiteur infortuné, monstre qui deshonore un état policé, et que vous nous empresserez de bannir de la terre de la liberté.
Citoyens, si en plaidant ma cause devant vous, j’ai plaidé celle d’une classe de citoyens, aussi laborieux qu’ignorés, j’ai cru servir la Republique, en indiquant à votre choix des citoyens dignes de votre attention par leurs peines autant que par leurs vertus.
C’est dans la deuxième lettre (F/17/1354 d. 6), du 23 thermidor an 2 [10 août 1794], que Montgery raconte avoir été précepteur de Le Peletier. Dans la description de ses démarches pour trouver l’emploi qu’il occupe alors à la Commission de l’Instruction publique, on comprend qu’il s’y est présenté en floréal an 2, soit au plus tôt fin avril 1794, ce qui semble contradictoire avec la mention du soutien de Le Peletier portée sur la lettre précédente. Mais rien ne dit que toutes ses lettres ont été conservées.
N’ayant d’autre moyen d’existence que mon travail, j’ai éprouvé pendant six mois toute l’horreur des besoins. J’ai sollicité inutilement de l’emploi à la trésorerie nationale, aux Bureaux de la guerre. Enfin au mois de floreal je me suis présenté à la commission de l’Instruction publique. Il n’y avoit encore que trois commis venus des Bureaux de l’Intérieur. J’y fus admis en qualité de chef de la 1e division, on me chargea en même tems des registres, en attendant, et ils me sont toujours restés. Avec ce double emploi j’y ai des appointemens médiocres.
Voilà, citoyen, toute l’histoire de ma malheureuse vie. Je n’ai pour recommandation que le desir du bien, l’amour du travail, et vous voyez que cela ne peut vous procurer une situation assortie aux premiers besoins de l’existence

Cette dernière lettre(*), au moins, est postérieure aux démarches infructueuses de la citoyenne Montgery, sa probable épouse, pour se faire attribuer un bâtiment religieux pour y ouvrir une école gratuite pour les filles. Les difficultés — à se faire entendre et soutenir — que rencontrent ces deux personnes, également convaincues de l’importance de l’instruction publique, et disposant à la fois d’une bonne expérience professionnelle et d’un certain entregent, montrent qu’il y a parfois loin des plans et déclarations d’intention de l’exécutif à la pratique quotidienne de la piétaille enseignante. Les choses sont-elles différentes aujourd’hui ?

Photo d’une microfiche, colorisée par mes soins.
PÉTITION PRÉSENTÉE À LA CONVENTION NATIONALE, LE 27 JANVIER 1793, PAR LA CITOYENNE MONTGERY.
Citoyens Législateurs,
Depuis que j’ai atteint l’âge de raison, j’ai desiré d’être utile à ma Patrie. J’ai réfléchi avec attention sur nos Etablissemens, dits de charité ; les Ecoles qui portent ce nom, m’ont paru avoir un grand inconvénient, celui de ne garder les Enfans que quatre heures par jour. Or, les Peres et Meres à qui la fortune ne permet pas de payer pour l’éducation de leurs Enfans, n’ont pas le tems de les surveiller le reste de la journée. Il arrive de là que les Enfans de l’un et l’autre sexe, passent une partie du jour dans les rues, exposés à tous les accidens inséparables de l’étourderie de cet âge et du tumulte des grandes villes. Chaque jour en offre de tristes exemples. Mais ce qui m’a toujours affligée le plus sensiblement, c’est le danger que courent leurs mœurs, en jouissant de la liberté avant l’âge de pouvoir connoître le bien d’avec le mal. Je suis même persuadée que bien des criminels, que la Loi condamne, auroient été vertueux, si leur éducation n’avoit pas été négligée. Sages LÉGISLATEURS, à qui je m’adresse, qui de nous ne doit pas employer ses soins et son travail, pour éviter de semblables malheurs à la Patrie. Le Citoyen Taillairand[5] a présenté un travail sur l’Education des hommes. Les femmes seront-elles toujours oubliées ? Je pense que l’on pourroit destiner, dans une partie des Sections, une Maison, ci-devant Couvent, où les jeunes filles ne viendroient pas seulement apprendre à lire et à écrire, mais aussi à devenir de bonnes Ouvrieres et sur-tout de bonnes Meres de familles, qui feroient honneur à la Patrie, des talens et des vertus qu’elles auroient reçus d’elle.
Le desir que j’ai de voir un pareil Etablissement, en faveur de mon sexe, ne m’empêche pas de sentir, Citoyens LÉGISLATEURS, que dans le moment actuel vous ne pouvez faire tout le bien que vos cœurs desirent ; aussi pour commencer ne fais-je que vous demander une Maison, ci-devant religieuse, qui ait un grand Jardin. Le moyen d’en tirer parti, pour que les enfans y trouvent une partie de leur nourriture, en même-tems que leur instruction, seront le fruit de mes soins et de mes combinaisons. Si j’avois de la fortune, j’en emploirois une grande partie à un Etablissement qui me paroit devoir amener les plus heureux effets : au défaut de fortune, j’offre à la Patrie le desir réfléchi de lui être utile, une santé ferme, une expérience de douze ans, dans l’éducation de la jeunesse, un courage et une activité que rien ne peut ralentir. Lire la suite →
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