Lettre de Marat à l’abbé Prochon, du 27 janvier 1788.En vente ici.
Je n’ignore pas, Monsieur, que vous êtes le premier qui ait attaqué, avec connaissance de cause, la doctrine de la différente réfrangibilité ; et je ne doute nullement que vous ne l’eussiez renversée, si vous aviez tourné vos vues du côté des faits qui lui servent de base. Le hasard m’a ménagé ce travail, et quoique nous différions encore de principes, l’amour du vrai nous unit, et je me flatte que vous voudrez bien recevoir mon ouvrage comme une marque d’estime. Examinez-le, Monsieur, avec cette impartialité et ce discernement, dont vous avez fait preuve tant de fois ; constatez les faits peu connus qu’il contient, pesez les preuves nouvelles qui y sont développées ; et s’il mérite votre suffrage, daignez concourir au triomphe de la vérité ; avec le zèle généreux d’un vrai scrutateur de la nature. J’ai l’honneur d’être, avec la considération la plus distinguée, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Le Docteur Marat
Le fil Twitter @_n0name_____ revisite la mort de Marat à la lumière des déboires récents de l’industriel de la friandise Ferrero, contraint de suspendre la vente et la fabrication des produits commercialisés sous la marque Kinder pour cause de contamination aux salmonelles.
École française du début du XIXe siècle. Toile. 74 x 94 cm. Le tableau est une représentation allégorique de la Révolution Française. Parmi les personnages ici montrés ; le journaliste Pierre-Jean Audouin, l’avocat Camille Desmoulins le journaliste Louis-Marie Prudhomme, le philosophe Gabriel Bonnot de Mably, Voltaire, historien, écrivain, penseur et prêtre Guillaume-Thomas Raynal, l’écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau, et le médecin, physicien, journaliste Marat. En vente ici.
J’avais d’abord feuilleté le livre en librairies, ce qui ne m’avait pas donné envie de l’acheter. Et puis j’ai lu des critiques enthousiastes et d’autres sur un registre dont j’ai souvent dit ici-même à quel point il m’agace : si-ce-livre-permet-ne-serait-ce-qu’à-une-lectrice-de-découvrir-l’histoire, etc.
L’Histoire, devrais-je écrire, puisque si l’on se propose de nous expliquer pourquoi elle a effacé les femmes, nous savons dès la première de couverture qu’elle a commis ce forfait à l’aide de sa grande « H » (plaisanterie connue).
Parce que je ne suis pas omniscient, je me reporte au chapitre 11 qui concerne mon domaine de recherches – « Révolutionnaires étouffées » – qui traite de la Révolution française.
Je vais y « apprendre » [pp. 179-180] ce que des dizaines de textes rédigés par des lecteurs et lectrices de Wikipédia m’ont déjà enseigné : Pauline Léon et Claire Lacombe « ensemble ont fondé la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires » (non).
Plus original, et non sourcé, comme de bien entendu, on m’explique que « ces femmes », expression qui englobe Pauline et Claire, Etta Palm d’Aelders, Louise de Kéralio, Olympe de Gouges et quelques autres « veulent des femmes dans la magistrature, dans l’armée et aux postes importants de l’Église. » Telle que formulée, et attribuée à un groupe aussi hétéroclite, cette prétendue revendication n’a tout simplement aucun sens.
Puisque j’en suis aux détails qui heurtent, voici la manière dont est évoquée la politique de Marat, à propos de sa meurtrière Charlotte Corday :
Devant les appels de Marat à tuer tout le monde. […] [p. 187]
Terrible petit bruit de la sottise qui heurte le zinc du comptoir du Café du commerce.
Le propos général de l’ouvrage est de mettre à portée du plus grand nombre ou au moins « d’un » plus grand nombre les travaux des historiens et historiennes, censés reposer dans des oubliettes éditoriales ou de poussiéreuses revues.
C’est mentir. De nombreux livres d’histoire, rédigés par des spécialistes atteignent des tirages très honorables.
Puisque Geneviève Fraisse est – à juste titre – citée et utilisée à plusieurs reprises par Lecoq, remarquons que l’on peut trouver en collection de poche Folio plusieurs de ses ouvrages, ce qui n’est pas précisément un signe de clandestinité.
Incompréhensible, et impardonnable, est l’absence de Christine Fauré, directrice d’une Nouvelle encyclopédie politique et historiquedes femmes (Les Belles Lettres, 2010).
Je vais m’attarder sur le problème des références. J’ai mentionné Fraisse ; on en rencontre d’autres, mais quant à savoir selon quels critères elles sont choisies pour figurer dans les notes, mystère et boule de gomme ! Disons que là où une référence est donnée, il en existe neuf qui sont tues.
De plus dans un livre qui se prétend outil de « passeuse » entre scientifiques et grand public, on s’attendrait à une bibliographie commentée, par exemple à la fin de chaque chapitre. Et avec les adresses ou au moins les noms de nombreux sites et blogues… Or, à part les notes de bas de page, il n’y a rien.
De temps à autre, l’autrice lance dans l’éther une incitation qui doit lui paraître suffisante. Ainsi à propos de Communardes, dont elle vient d’énumérer les patronymes.
Allez lire leurs vies [sic], elles sont toutes passionnantes. [p. 238]
D’ailleurs, quand on se plaint de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, comment ne pas signaler l’existence de deux associations (au moins) qui travaillent à conserver et mettre en valeur la mémoire des femmes:Mnémosyne, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre et lesArchives du féminisme…
Quant au style, après un coup de chapeau à l’écriture inclusive, l’autrice se dispense du moindre point médian (il ne faudrait pas dérouter le grand public !). Elle adopte ici et là un style relâché, censé, je suppose, réduire encore les méfiances de celles et ceux qu’inquiète le bon français. Doit-on croire que la formule « un décret les chasse de l’armée » aurait rebuté beaucoup de monde ? Nous lisons : « Un décret les vire de l’armée » [p. 189]. Dans le même registre, pour qualifier l’action de Napoléon : « Après le bordel de la Révolution… ».
Ou bien ce livre n’a pas eu d’éditeur, ou bien il s’agit d’un procédé démagogique.
À défaut de relecture, l’ouvrage a bénéficié d’une campagne d’affichage publicitaire, et d’une préface de Michelle Perrot qu’elle conclut sur une formule dont on a compris que je ne la partage pas : « À lire absolument ».
On m’objectera, comme d’habitude, que – même vendu comme une savonnette et écrit avec les pieds – le livre est « sympathique » puisqu’il défend la visibilité des femmes dans l’histoire, et qu’il est possible que des jeunes gens et jeunes filles s’y découvrent un intérêt pour l’histoire des femmes. Il est impossible de réfuter un tel argument, ce qui indique assez son caractère non-scientifique.
En l’état, cet ouvrage non seulement n’apporte rien sur le sujet qu’il prétend traiter, mais se trouve très en retard (au moins dans le domaine qui m’intéresse) sur l’état présent de la recherche. D’honnêtes lectrices et lecteurs croiront de bonne foi tenir entre leurs mains un état actualisé des connaissances, quand ils·elles n’auront en main que le énième produit surfant sur la vague #MeToo – ça n’est pas moi qui fait le rapprochement, mais Michelle Perrot dans sa préface.
Ma dernière pensée (de ce billet) ira aux arbres, certes issus d’une « forêt gérée durablement »… Combien d’arbres pour faire savoir que Marat voulait « tuer tout le monde » ?
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Statut de l’ouvrage
Acheté en librairie. 326 pages, 20, 90 €.
Le slogan publicitaire épuise ici la définition de l’emphase mensongère.
De 1789 à 1799, la France est en révolution. Afin de rendre compte des événements et des bouleversements qui ont marqué ces années, et de permettre une autre lecture de l’histoire, l’Infographie de la Révolution allie récit et modélisation des données historiques. Grâce à la puissance d’analyse de Jean-Clément Martin, nourrie d’amples réflexions sur la période révolutionnaire, et au talent du data designer Julien Peltier, cette démarche originale et accessible permet de conjuguer conceptualisation et émotion, généralité et singularité. Les grandes journées révolutionnaires et les profondes mutations de la période peuvent alors être comprises dans leurs multiples dimensions : les thèmes traités ici – la chute de la monarchie, la Terreur, la Contre-Révolution, la condition des femmes, la révolution militaire, la Vendée, l’esclavage, la déchristianisation… – le prouvent. C’est ainsi le foisonnement exceptionnel d’une période passionnante qui est saisi par les auteurs, grâce au supplément de sens porté par l’infographie.
Parution: 12 octobre 2021. 128 pages; Format 23 x 29 cm; 27 €.
J’ai déjà eu l’occasion de saluer ici le travail de Jean-Clément Martin et notamment sa capacité de synthèse (voir notamment sa Nouvelle histoire de la Révolution française). Il publie ces jours-ci un livre nouveau (et non seulement un nouveau livre) qui outrepasse l’usage maximal connu de l’infographie – soit comme illustration (c’était déjà le cas dans mes livres d’histoire de lycée), soit comme mode d’expression plus ou moins à égalité avec le texte (comme dans l’Atlas de la Révolution française, publié en plusieurs fascicules par l’EHESS).
Ici l’infographie est le moyen d’expression principal, au point de figurer dans le titre de l’ouvrage: Infographie de la Révolution française. Les textes viennent en appui aux infographies; ils les complètent. C’est donc un choix radical, un coup de force méthodologique, oserais-je, qui marquera un tournant. Il y aura un avant et un après, et d’autres «Infographies», de la Commune, du Grand Siècle, etc.
Évoquer un tel ouvrage (je ne prétends pas en «rendre compte») est périlleux puisqu’il ne s’agit plus (seulement) de faire la critique d’un texte, de l’analyse qu’il présente et des données factuelles qu’il fournit, mais (aussi) d’éprouver et de justifier une émotion esthétique.
La première impression peut être d’un «trop plein» qui nuirait à la lisibilité. La profusion de graphiques, de représentations colorées (qui intègrent des portraits de personnages), de pictogrammes, s’adresse à l’œil tout autrement que le bloc d’une page de texte imprimée, même agrémentée d’une carte ou d’un graphique. Il faut surmonter cette première impression pour s’immerger – avec plaisir – dans la masse d’informations retransmises avec un incontestable talent par Julien Peltier.
Au fond, je prend conscience que ma réticence instinctive vient de ce que cette mise en forme des connaissances disponibles à un moment donné sur un sujet donné – peut-être du fait de la réminiscence scolaire – pourrait prétendre être gravée dans les pixels, à défaut du marbre. Un peu comme s’il s’agissait d’un énorme «Retenons» de 127 pages.
Or Jean-Clément Martin – auquel je ne fais ici nul procès d’intention – dans ce livre, comme dans tous ses précédents, formule des propositions (certes à partir d’une connaissance intime peu commune du sujet «Révolution française»).
Je vais prendre l’exemple de l’année 1793, considérée du point de vue de la place des femmes dans la Révolution.
Comme on le voit l’année 1793 est considérée comme l’année du début du déclin pour les femmes. Ça n’est certes pas inexact, mais la présentation infographique fige et finalement, me semble-t-il, déforme l’information.
Je veux bien que l’on indique parmi cette «chronologie noire» la date du 24 juin (adoption de la Constitution) puisqu’en effet cette constitution ne donne pas davantage de droits politiques aux femmes que celle de 1791. Mais il se trouve que l’acceptation de ce même texte a été l’occasion de nombreuses manifestations féminines et même d’une critique féministe («ce texte que nous avions cru accepter», dit en substance une militante).
De même, l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, s’il entraîne d’incontestables dégâts collatéraux pour les femmes est aussi l’occasion d’un mouvement d’appropriation/célébration par les Enragés et singulièrement par la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires. Par ailleurs, je ne m’explique pas l’absence du 30 octobre, date de l’interdiction des clubs de femmes.
Autrement dit, il me semble que l’année 1793 aurait dû figurer à la fois en rouge et en noir (je ne sais selon quel procédé graphique) puisqu’elle voit à la fois l’apogée du militantisme féminin et son interdiction définitive.
Remarque de détail maintenant: comme la nature (et Internet), l’infographie a horreur du vide causé par l’absence de portraits. Aussi, pour pallier ce manque, Jacques Roux et Claire Lacombe se voient représentées par les portraits que l’on trouve le plus souvent sur Internet, sans aucune garantie d’authenticité (un faux portrait n’est pas un pictogramme).
Ces réserves formulées, je ne doute pas que ce livre prenne une place méritée, non seulement dans les centres de documentation des lycées et collèges, mais dans la bibliothèque de toutes celles et ceux qui s’intéressent à la Révolution, assez pour lire ou consulter fréquemment des articles et ouvrages à son propos.
Passé la première découverte, goulue et brouillonne, cette Infographie de la Révolution française a vocation à figurer parmi les «usuels» auxquels on se reporte, à la fois par nécessité et pour le plaisir des yeux et des découvertes connexes inattendues.
NB. Je me permets de reproduire ci-après une autre infographie du livre, qui recoupe et illustre le débat relancé autour de la vidéo Robespierre, un terroriste?
Statut de l’ouvrage: offert au tenancier de ce blogue par l’auteur J.-C. M.
Lectrices et lecteurs de ce blogue connaissent l’historien Jacques De Cock comme spécialiste de Marat et des Cordeliers. Il vient de publier un essai intitulé La fin de l’État, et remet à disposition par la même occasion ses travaux sur Mirabeau, sur le club des Cordeliers, et sur Marat avant 1789. Vous pouvez acquérir ces ouvrages sur le siteTheBookEdition(comme ça se prononce).
Voir les volumes 2 & 3 sur le site TheBookEdition.
Ce texte de l’historien américainMorris Slavin(1913-2006) est l’un des (trop) rares qui constituent l’historiographie (de synthèse surtout) sur les Enragé·e·s.
Certes, beaucoup de détails demandent à être revus et corrigés. Ainsi, on voit mal comment qualifier (note 1) le Cercle social de «loge maçonnique» (problème de traduction?). Leclerc se prénommait Jean Théophile Victoire (et non Victor), etc.
Il n’en demeure pas moins que ce texte rare méritait d’être mis à la portée de toutes et tous.
≈ Commentaires fermés sur Quand Albert Mathiez félicitait Robert Desnos d’avoir donné une gifle à un journaliste («au nom de métèque» [sic]), qui avait insulté Marat et Robespierre (1923)
D’abord l’article de Wieland Mayr, dans Le Gaulois du 3 mars 1923, qui a déclenché l’ire des surréalistes…
Puis les documents publiés par Georges de La Fouchardière dans L’Œuvre du 15 mars 1923, dont un «procès-verbal» signé par André Breton et Paul Éluard, et non Huard, comme indiqué par erreur (l’adresse indiquée, 3, rue Ordener est bien celle d’Éluard).
Voici maintenant la lettre d’Albert Mathiez, publiée dans la revue surréaliste Littérature (n° 10, mai 1923, p. 9). Le texte en a été republié dans les Annales historiques de la Révolution française (juillet-septembre 1981, n° 245, p. 460).
On notera la (plus que) déplaisante allusion faite par Mathiez au nom du giflé, «ce Mayr, au nom de métèque».
Dijon, 16 mars 1923.
36, Boulevard Carnot.
CITOYEN,
Voulez-vous transmettre à notre ami Desnos toutes nos félicitations pour la gifle dont il a cinglé le visage de l’insulteur de Robespierre. Sans doute ce Mayr, au nom de métèque, ne méritait pas cet honneur, mais il est bon, il est d’une haute moralité, il est d’un exemple à suivre que les lâches qui bafouent nos grands hommes reçoivent de temps en temps une correction publique.
J’espère que le geste de notre ami marquera le réveil de la jeunesse républicaine, la vraie jeunesse qui a le culte de la vérité, la passion de la justice et le saint amour de l’humanité.
Encouragés par notre trop longue patience les muscadins de la banque, de l’écritoire et de l’œillet blanc passent toute retenue. Défendons-nous et montrons à ces beaux-fils que les épiciers, les paysans, les travailleurs qu’ils méprisent en ont assez de leurs moqueries. Cognons dur.