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“Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

20 mardi Juil 2021

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Révolution française et tradition marxiste: une volonté de refondation” ~ par Jacques Guilhaumou (1995)

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Albert Soboul, Antonio Gramsci, Denise Maldidier, Félix Guattari, Florence Weber, François Furet, Gilles Deleuze, Hanriot, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jürgen Habermas, Jean Jaurès, Jean-François Lyotard, Kant, Karl Marx, Le Père Duchesne, Lucien Calvié, Michel Vovelle, Philippe Dujardin, Prise de la Bastille, Sieyès, Vincent Descombes

Depuis une quinzaine d’années, j’ai pris l’habitude de tenir, en matière de recherche, un journal de terrain. J’y consigne, de manière plus ou moins régulière, l’état de mes enquêtes archivistiques, des considérations méthodologiques liées à mes chantiers en cours, des réflexions problématiques, des considérations sur les événements, des annotations sur la lecture quotidienne de la presse, des emprunts à la littérature, des vues prospectives, etc [1].

L’ethnologue Florence Weber signale l’intérêt d’une telle source dans les termes suivants: « Ce journal montre, à chaque étape de la réflexion, les liens entre les hypothèses et les moments de la recherche où elles ont été formulées. C’est lui qui permettra, dans la mesure du possible, une auto-analyse[2]. »

Dans la voie ainsi tracée, et profitant de l’opportunité de mon habilitation en 1992, j’ai commencé à réfléchir, à l’aide de tels matériaux personnels, sur ma propre subjectivité de chercheur. Je prends donc appui pour une grande part sur ces matériaux, cités en notes, pour décrire les enjeux majeurs de mon itinéraire intellectuel.

 De toutes les redites, de toutes les constantes de ce journal de bord, les plus explicites consistent dans ma prise de position en faveur de la tradition marxiste [3] d’une part, et dans ma  prise de distance vis-à-vis de l’historiographie [4] d’autre part. Ma présente réflexion cherche à analyser le lien intime entre ses deux parti-pris dans la quête d’une démocratie actualisée au prisme d’une Révolution française toujours présente.

 

I- Au plus près du jeune Marx.

Je suis très certainement un historien marxiste, ou plus exactement un historien de tradition marxiste. Mon problème majeur, c’est de distinguer tradition marxiste et tradition historiographique. Le cas du jeune Marx est le plus clair, dans la mesure où François Furet a fait la moitié du travail, en exagérant le côté historiographique de Marx. Il s’agit donc de relativiser le rapport du jeune Marx à l’historiographie en insistant à la fois sur son insertion dans l’histoire intellectuelle allemande  et sa capacité de traductibilité du langage jacobin (Note sur mon inscription dans le marxisme, août 1989)

Mes efforts réguliers pour faire le point de mon ancrage dans la tradition marxiste se sont concrétisés par la publication depuis 1975 d’une dizaine d’articles et de notes de lecture à ce sujet[5]. Ces écrits constituent des jalons essentiels pour la compréhension de l’horizon théorique de ma démarche d’historien du discours[6]. Ils marquent des moments réflexifs essentiels dans mes enquêtes archivistiques: ils situent en effet l’enjeu de mes recherches concrètes du côté d’une interrogation sur les voies de la démocratie révolutionnaire.

Cependant un tel ancrage a lui-même une histoire. Il s’est opéré en plusieurs étapes:

1- Après un premier contact avec le marxisme par le biais du léninisme, dans le contexte d’activités militantes au sein de la mouvance communiste, j’ai été fortement marqué, pendant les années 1966-1971 et plus particulièrement dans la conjoncture des événements de 1968, par les travaux d’Althusser, dont l’originalité résidait dans sa manière « symptômale » de lire Le Capital de Marx et d’appréhender, au nom d’une « coupure épistémologique », les textes du jeune Marx[7]. Dressant le bilan quelques années plus tard, avec Régine Robin (1976), de l’influence d’Althusser sur mes travaux d’historien, j’ai pu y identifier un accès spécifique à une « identité retrouvée » au sein même du continent histoire, dans la mesure où elle prenait appui sur une lecture « ouverte » de la tradition marxiste.

2- Mais le point fort des années 70 a été, pour moi, la lecture de Gramsci, d’abord de manière sommaire à travers les Œuvres choisies en français publiées aux Éditions sociales, puis de façon approfondie avec la parution de l’édition italienne intégrale des Cahiers de prison  en 1975. Et depuis lors, je n’ai pas quitté le texte de Gramsci; je n’ai jamais cessé d’en approfondir ma connaissance au fil des longues années qui jalonnent la  publication, encore inachevée, de la traduction française aux Éditions Gallimard.

L’apport de la lecture de Gramsci à mes recherches s’articule d’abord sur les multiples critères méthodologiques qu’il nous propose dans ses Cahiers de prison. autour du thème de « l’humanité agissante et souffrante ». Notre ouvrage sur Marseille au cours des premières années de la Révolution française en témoigne de façon éloquente[8]. Mais  le texte de Gramsci a été aussi une voie royale pour la lecture des ouvrages du jeune Marx, en particulier dans leur rapport à la Révolution française.

C’est ainsi que j’ai effectué, au cours des années 80, une lecture récurrente des écrits de Marx de la période 1841-1845. Un tel retour aux textes fondateurs de la tradition marxiste, à ce moment privilégié de traduction réciproque entre la politique française, l’économie anglaise et la philosophie allemande dans un nouveau lieu de la politique, était formulé dans mon journal de terrain, dès 1980, à partir d’un mot d’ordre qui résonnait étrangement: « convoquer la tradition marxiste au plan textuel ». Mais il s’agissait simplement de marquer que mon approche du marxisme s’inscrit en premier lieu dans une perspective herméneutique où les ressources des textes du jeune Marx, situées par rapport au processus de traductibilité réciproque des langages et des cultures (selon la formule célèbre de Gramsci), importent plus que les constructions marxologiques postérieures, aussi justifiées soient-elles[9].

3- Enfin, soucieux de comprendre le choix révolutionnaire de Marx, à distance de tout essai de construire les éléments d’un matérialisme historique dit marxiste par ses continuateurs, je suis remonté, si l’on peut dire, jusqu’à l’idéalisme pratique contemporain de la Révolution française [10], en particulier Kant et Fichte [11].

Les études novatrices de Lucien Calvié devaient me permettre, par la suite, de mieux comprendre le pari du jeune Marx sur l’avenir de l’humanité, son optimisme révolutionnaire au-delà de tout pessimisme sur l’état des choses[12], alors qu’il élabore, dans les années 1841-1844, une série de catégories explicatives de l’histoire de la Révolution française.

Il convenait donc de révoquer l’idée de construire une interprétation « marxiste » de la Révolution française à l’aide des concepts d’un matérialisme historique découvert plus tardivement, en 1845. Il fallait plutôt revenir au texte du jeune Marx, là où il parle la langue politique (française). C’est ce que j’ai fait à plusieurs reprises, tant dans des présentations encyclopédiques que dans des articles érudits (voir la bibliographie en fin d’article). Je pense ainsi avoir mis en évidence l’importance des catégories explicatives de l’histoire de France, formulées par le Jeune Marx, puis retravaillées par Gramsci. L’existence de ces catégories au sein même de la tradition marxiste naissante a orienté de façon décisive, mais non de manière mécaniste, ma problématique d’approche des langages de la Révolution française, ainsi que mes choix thématiques.

Je me suis efforcé de montrer, à plusieurs reprises (1983, 1988, 1989a), que le jeune Marx lit et traduit « la langue de la politique et de la pensée intuitive » propre aux jacobins français en deux temps [13]:

D’abord il s’intéresse, à travers la question de l’intuition d’une subjectivité en acte qui construit le réel, au sujet critique de la révolution, le peuple français. Il insiste ainsi, dans la Critique du droit politique hégélien (1843) sur le fait que « C’est le peuple qui crée la constitution », donc qui fait la loi.

Mais la posture critique est immédiatement associée à la capacité de traductibilité de la nouvelle culture politique révolutionnaire. L’énoncé fondateur du sujet réel de l’histoire, porteur de la « vraie démocratie », est d’abord la traduction de l’agir du peuple dans la forme de la loi: « Le pouvoir législatif a fait la Révolution française », précise Marx, étant entendu que « le pouvoir législatif ne fait pas la loi: il la découvre et la formule seulement. »

Ainsi nous retrouvons, dans les termes même de la lecture « marxiste », les énoncés fondateurs du discours robespierriste: « Le peuple fait la révolution / Les législateurs font la révolution pour le peuple ». Une telle problématique de l’agir du peuple, de ses effets discursifs, imprègne mes premiers travaux sur les discours jacobins[14]. Mais nous savons que le jeune Marx se démarque, après sa lecture critique d’Hegel au nom de la démocratie révolutionnaire, de « la révolution partielle, uniquement politique » au titre de la « révolution radicale ».

Dans un second temps, et tout particulièrement dans La Sainte Famille (1844), Marx ironise sur les hégéliens qui veulent abolir ‘la langue populaire (française) de la masse » par sa transformation en « langue critique de la Critique critique »! Il restitue les éléments essentiels de la « grammaire non-critique française » issue du réel de la politique, des qualités de la Masse. La « révolution de la langue française » est un leurre, dans la mesure où cette « langue populaire » possède en elle-même ses propres ressources interprétatives.

La traductibilité réciproque entre « l’égalité française » et « la conscience de soi allemande », entre les significations de « la langue de la  politique et de la pensée intuitive », telle qu’elle s’exprime dans le discours jacobin, et les expressions de la « pensée abstraite » si spécifique de l’idéalisme pratique allemand met donc en évidence les ressources des catégories descriptives de l’histoire de la Révolution française, tout en leur conférant, par la distinction entre la dimension organique et la réalité conjoncturelle des mouvements historiques, une dimension explicative constituant la Révolution française sur la longue durée.

À la lecture des textes du jeune Marx, Il ne m’était donc pas apparu nécessaire d’élaborer une théorie critique abstraite pour appréhender la valeur conceptuelle de la Révolution française, mais il convenait plutôt de conférer une valeur organique à l’intelligibilité propre des événements révolutionnaires, à leurs ressources attestées.

Ainsi, de mon point de vue, la tradition marxiste naissante procède à une traduction du langage jacobin dans des catégories explicatives. Ces catégories s’organisent autour de trois couples: langue populaire/porte-parole, révolution permanente/Terreur, mouvement révolutionnaire/mouvement populaire. Chaque couple différencie le conjoncturel de l’organicité, distinction très présente dans les analyses de Gramsci sur les rapports de force au sein du moment révolutionnaire [15].

Par exemple la valeur organique du concept de « révolution à l’état permanent », référé par Gramsci aux « principes de stratégie et de tactique politiques nés pratiquement en 1789 et qui se sont développés idéologiquement autour de 1848 » limite l’intelligibilité de la notion de Terreur rapportée à une conjoncture, et ses contradictions.

Parallèlement à cette lecture du jeune Marx, j’ai essayé, dans mes recherches sur les pratiques discursives pendant la Révolution française, de conférer à ces catégories explicatives une dimension descriptive aussi précise que possible. En quelque sorte, je les ai prises à rebours, remontant du concept à l’agir [16], et à sa dimension réflexive, considérant donc que leur intelligibilité propre importait autant si ce n’est plus que leur traduction ultérieure dans l’histoire organique des révolutions [17].

Il n’a donc jamais été question d’appliquer une grille conceptuelle à une description archivistique. C’est le geste de lecture opéré par le jeune Marx, à la fois lecteur des textes de la Révolution française et traducteur de diverses traditions interprétatives dans le but d’élaborer une conception autre de la politique, qui a retenu mon attention.

J’identifie ainsi la motivation profonde de mes recherches sur les pratiques discursives de la Révolution française à partir de l’interrogation suivante: si la Révolution française a joué un rôle aussi important dans la mise en place des fondements de la tradition marxiste, n’est-il pas possible de faire rejouer ce geste inaugural avec l’objectif de refonder la Révolution française dans la tradition marxiste, en deçà des sédimentations marxologiques et historiographiques?

L’entassement incessant des couches interprétatives sur ce nœud initial, redoublé par l’apparition au XXe siècle d’une historiographie dite « marxiste » de la Révolution française, de Jaurès à Soboul, justifiait d’autant plus mon entreprise de refondation. Mon parti-pris antihistoriographique, affirmé avec vigueur pendant le bicentenaire de la Révolution française (1989c), trouve ici sa raison d’être[18].

Un telle relation forte à la posture initiale de Marx face au langage politique jacobin est visible à tout moment de ma recherche sur la Révolution française. Par ailleurs, elle s’est enrichie au contact d’une manière propre de décrire les énoncés d’archive, de les configurer autour d’un événement, d’un thème, d’un concept, d’un sujet dans la lignée des travaux de Michel Foucault[19].

D’emblée mon intérêt s’est porté, d’abord à travers la figure du Père Duchesne d’Hébert[20], puis avec l’événement « mort de Marat », sur le mouvement révolutionnaire au moment de la mise à l’ordre du jour de la terreur [21].

Dans le même temps, j’ai parcouru un trajet thématique, de la langue du droit à la langue du peuple, avec le souci de mesurer la portée conceptuelle de la notion robespierriste de mouvement populaire [22].

Depuis nos analyses discursives du Père Duchesne d’Hébert jusqu’à l’exploration minutieuse des courses civiques des « missionnaires patriotes », il s’est agi aussi de décrire, sous la catégorie d’événement discursif et le thème de la langue du droit, des itinéraires de porte-parole [23].

 Par la suite, c’est autour des notions  de « démocratie pure » et de « rapports populaires » que j’ai tenté de redonner, avec d’autres chercheurs, aux fédéralismes, et de surcroît au fédéralisme jacobin, une pleine dimension interprétative à l’horizon de la révolution permanente [24] .

Enfin, mes recherches en cours sur l’itinéraire intellectuel de Sieyès [25],qui me mène de la caractérisation métaphysique d’une « science des quantités », dans ses écrits philosophiques manuscrits de jeunesse, à la définition d’une « science de la politique », sous la catégorie de « langue politique », dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat? recoupent l’importance accordée par le Jeune Marx, dans La Sainte Famille,  à cet ouvrage de Sieyès emblématique de la radicalité de 1789 [26], en tant que lieu théorique constitutif de la politique moderne.

Voilà sans doute un résumé quelque peu hardi et bien trop sommaire de vingt ans de recherches, mais qui vise seulement à souligner le rapport consubstantiel de mes recherches sur les langages révolutionnaires à la  lecture « marxiste » inaugurale de la Révolution française. Lire la suite →

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“Annales historiques de la Révolution française” ~ n° 404 Avril-juin 2021 ~ LA RÉVOLUTION MICHEL VOVELLE

20 dimanche Juin 2021

Posted by Claude Guillon in «Annonces»

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Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

13 jeudi Août 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française ~ par Jacques Guilhaumou

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Albert Soboul, André Salem, Annie Geffroy, Bernard Conein, Boissy-d'Anglas, Cesare Vetter, Damon Mayaffre, Denise Maldidier, Ferdinand Brunot, Florence Gauthier, Françoise Brunel, Hans Erich Bödeker, Hans-Jürgen Lüsebrink, Hayden White, Hébert, Jacques Guilhaumou, Jacques Roux, Jürgen Habermas, Jürgen Link, Jean-Baptiste Marcellesi, Jean-Pierre Faye, John A. G. Pocock, Keiht Baker, Le Père Duchesne, Louis Althusser, Luc Boltanski, Lucien Febvre, Marc Belissa, Marc Deleplace, Marco Marin, Maurice Tournier, Michel Foucault, Michel Pêcheux, Paul Ricoeur, Peter Schöttler, Pierre Fiala, Quentin Skinner, Raymonde Monnier, Régine Robin, Reinhart Koselleck, Robert Mandrou, Rolf Reichardt, Sophie Wahnich, Thomas Paine, Yannick Bosc

J’ai voulu, avec son accord, mettre à disposition cet article de Jacques Guilhaumou, malgré son aspect «technique» qui pourra rebuter certaines et certains. Il est cohérent avec les buts que je me suis fixé dans ce blogue de publier des textes aux «niveaux de lecture» très différents. Chacun·e trouvera, je l’espère, de quoi faire son propre miel.

Je suis responsable des culs-de-lampe, qui utilisent la vignette figurant sur la couverture du journal d’Hébert (dont il est très souvent question dans ce texte, comme dans tous ceux qui traitent du langage pendant la Révolution).

C. G.

 

Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française[1]

 

Version française de Jacques Guilhaumou «Geschichte und Sprachwissenschaft: Wege und Stationen in der “analyse du discours”», Handbuch Sozial-wissenschaftliche Diskursanalyse, R. Keller und alii hrsg., Band 2, Opladen, Leske+Budrich, 2003, traduction et présentation de Reiner Keller, 2003, p. 19-65.  Avec une annexe complémentaire de 2016.

Résumé

La présence de l’analyse de discours en histoire est restée modeste, mais  ne s’est pas démentie depuis la mise en place de la relation entre histoire et linguistique au cours des années 1970. Elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et plus récemment sur l’importance de la réflexivité et de l’intentionnalité historique chez les acteurs de l’histoire. L’objectif présent est de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Ce texte bilan écrit au début des années 2000 a été complété par une annexe, rédigée en 2016, qui resitue les moments de l’histoire du discours en Révolution française au croisement des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, et enfin la fonctionnalité principale.

Introduction

Au début des années 1970, Régine Robin, dans son ouvrage pionnier sur Histoire et linguistique (1973) accompagné d’une publication collective (Guilhaumou et alii, 1974) auxquels nous avons collaboré, pose frontalement le problème de l’absence de reconnaissance, au sein de la communauté historienne, des recherches ayant trait au langage, en dépit des avancées antérieures de l’école des Annales, autour de Lucien Febvre et Robert Mandrou. La réticence des historiens français face à tout étude qui touche de près ou de loin les pratiques langagières dans un contexte historique précis a perduré jusqu’à nos jours, d’autant plus qu’elle a été ravivée par la querelle récente à propos du «linguistic turn» (Noiriel, 1996; Schöttler, 1997). L’historien Gérard Noiriel (1998) notait encore récemment la position marginale de l’approche langagière au sein de la discipline historienne, en dépit de son rapprochement, déjà ancien mais amplifié, avec l’histoire langagière des concepts en Allemagne et plus récent avec les recherches équivalentes dans  le monde anglophone (Guilhaumou, 2000).

Pourtant la présence de l’analyse de discours en histoire ne s’est pas démentie au cours de ses trente dernières années. De fait, elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et leur valeur interprétative, sans pour autant entamer la domination de l’explication narrative associée au débat sur le caractère fictionnel ou non de l’écriture historique (Prost, 1996)

Il convient donc de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons préféré nous en tenir, hormis de rares incursions dans le discours politique contemporain, à des exemples pris dans le 18ème siècle français, majoritairement présents dans les travaux des historiens du discours, tout en l’ouvrant à la période du Sattelzeit (1750-1850) mis en valeur par les perspectives pionnières de l’historien allemand Reinhart Koselleck.

Au départ, c’est-à-dire pendant les années 1970, la relation entre histoire et linguistique se limitait à permettre enfin l’accès du discours au champ historiograhique. Une configuration méthodologique, centrée sur la construction du corpus, dominait l’approche du discours comme objet d’histoire. Les années 1980 marquent un tournant décisif dans la mesure où ce qu’il convenu d’appeler désormais l’analyse du discours du côté de l’histoire, par le fait du recours à une démarche non plus structurale, mais configurationnelle, devient une discipline interprétative à part entière. Enfin, en multipliant les contacts tant en France qu’à l’étranger, en les amplifiant dans les années 1990. l’historien linguistique se rapproche de l’histoire langagière des concepts, tout en systématisant sa démarche au sein d’une histoire linguistique des usages conceptuels et en ouvrant une nouvelle perspective sur l’histoire des événements linguistiques.

1- Le discours comme objet de l’histoire: les années 1970

Dès son origine l’analyse de discours en France[2], dont la manifestation la plus spectaculaire est le colloque de lexicologie politique[3] tenu à l’Université de Paris X-Nanterre quelque temps avant les événements de mai 1968, se veut, dans son ensemble, une discipline restreinte, mais rigoureuse sur la base d’un modèle de scientificité emprunté à la linguistique distributionnelle américaine (Harris): analyse formelle, exhaustivité et systématicité s’efforcent d’aller de pair.

De fait il s’agit d’abord d’une démarche que nous qualifierions aujourd’hui de sociolinguistique en ce sens qu’elle associe un modèle linguistique, essentiellement l’analyse d’énoncé,  à un modèle sociologique, défini à travers la notion de conditions de production, autre désignation du contexte dans lequel on puise les éléments du corpus étudié. A la démarche du linguiste qui décrit les propriétés formelles des énoncés, en y cernant des variations, s’associe celle du sociologue qui cherche à comprendre la part de la variation des langages dans les pratiques sociales. Tout est ici affaire de correspondances, de co-variance entre des structures linguistiques et des modèles sociaux en cherchant parfois à établir une relation de cause à effet, même si le simple parallélisme est l’attitude la plus courante en la matière (Drigeard, Fiala, Tournier, 1989). Ainsi, une conjoncture historique peut engendrer des effets discursifs, comment nous l’avions montré (1975b) à propos des effets discursifs de l’hégémonie jacobine en 1793, dans le trajet de l’interdiscours jacobin aux effets de l’événement, et plus largement à l’effet de conjoncture.

De même la recherche de Régine Robin (1970) sur une ville sous l’Ancien Régime, Semur-en-Auxois, comportait d’une part une analyse des structures sociales d’un bailliage bourguignon à la veille de la Révolution française, et d’autre part une analyse du contenu des Cahiers de doléances de la bourgeoisie et de la paysannerie à partir d’un certain nombre de mots-pivots, selon une approche linguistique combinant analyse d’énoncé et étude du vocabulaire socio-politique. Les premiers travaux des linguistes analystes de discours s’inscrivaient aussi dans la même perspective, qu’il s’agisse de l’étude de Jean-Baptiste Marcellesi (1971) sur le Congrès de Tours de 1920 ou de celle de Denise Maldidier (1970) sur le vocabulaire politique de la Guerre d’Algérie.

Cependant la version « faible » de l’analyse de discours était la plus courante chez les jeunes historiens du discours qui abordaient alors leurs premières recherches: elle revenait à étudier les champs sémantiques de notions jugées centrales dans le corpus pris en compte. Ainsi en est-il de notre premier travail sur le discours du Père Duchesne (1974), issu de la presse pamphlétaire de 1793, et qui tend à mettre en valeur une forme dissimulée du discours jacobin autour des usages de la notion de sans-culotte. Cette approche du champ sémantique présente toujours l’avantage de s’inscrire dans une tradition lexicologique, incarnée par Ferdinand Brunot et qui côtoie tout au long du XXe siècle les avancées des historiens, en particulier au sein de  l’école des Annales. Tout en abandonnant le critère implicite de nombreux historiens de la transparence du sens des textes, et de rompre dans le même temps avec la citation illustrative, elle s’avère d’un abord simple, sans connaissance technique autre qu’une bonne connaissance  des parties de la grammaire.

Il revenait plutôt au linguiste travaillant sur des matériaux historiques d’élaborer une version «forte» de l’analyse de discours dans une optique essentiellement syntaxique.  Cela équivalait à ne retenir, au sein d’un corpus de textes imprimés, qu’une série d’énoncés autour de mots-pivots auxquels le linguiste applique des règles d’équivalence grammaticale permettant d’obtenir, sous une forme paradigmatique, un ensemble de phrases transformées qui constitue en quelque sorte la série des prédicats des mots-pivots. Cependant cette approche syntaxique reste toujours l’apanage du linguiste, ou tout au plus de l’historien linguiste, dans la mesure où l’historien ordinaire trouve trop lourd l’investissement linguistique nécessaire à sa mise en œuvre. Pour autant elle donne une image exemplaire de collaboration interdisciplinaire. Ainsi dans le travail conjoint de la linguiste Denise Maldidier et de l’historienne Régine Robin (1974), sur les remontrances parlementaires face aux Edits de Turgot de 1776, le corpus des phrases régularisées par la linguiste autour des mots-pivots liberté et règlement est reproduit intégralement. La sélection des termes repose ici sur un savoir historique préalable: il est supposé d’évidence que c’est autour des notions de liberté et de règlement que se joue alors l’affrontement entre noblesse et bourgeoisie dans la conjoncture de la tentative réformatrice de Turgot qui échouera.

Au contact de la linguistique structurale, l’historien du discours a donc pu se constituer un outillage méthodologique toujours d’actualité, mais qui a largement débordé sur l’analyse de contenu (Bardin, 1989). Ainsi s’est instauré, dans la relation entre histoire et linguistique, un rapport stable à des outils lexicaux et grammaticaux d’analyse répondant aux besoins de description systématique de l’usage des mots et des énoncés.

Dans cette perspective, la lexicométrie s’est imposée comme le principal moyen de quantifier les faits langagiers et sert ainsi désormais de support à toutes sortes d’analyses linguistiques (Lebart, Salem, 1994), au sein de ce que nous appelons aujourd’hui la linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997). L’historien du discours peut faire appel à la lexicométrie lorsqu’il veut démêler, en première approche, l’intrication des phénomènes énonciatifs et rhétoriques qui constituent la surface discursive d’un texte, par contraste avec les énoncés qui le structurent sémantiquement autour de mots-pivots étudiés en analyse harissienne. Nous pouvons ainsi aborder, comme le montre les travaux pionniers de Maurice Tournier (1975), le vif des usages d’un ou plusieurs mots dans le contexte même d’un corpus. Mais là encore, la procédure d’analyse porte sur un corpus réduit, non plus un corpus d’énoncés, mais le tableau lexical à double entrée des formes recensées automatiquement du corpus qui sont ventilées sur la base de leur fréquence absolue et relative dans les diverses parties du discours. L’analyse factorielle des correspondances est la méthode quantitative la plus spectaculaire en la matière au terme d’une démarche lexicométrique unitaire, comme le montre le travail récent de Damon Mayaffre (2000) sur le discours politique d’entre-deux-guerres, qui s’inscrit cependant dans une autre configuration méthodologique comme nous le verrons dans la troisième partie. Cette méthode à la fois quantitative et synthétique permet en effet d’appréhender d’un seul coup d’œil, sur l’écran de son ordinateur ou sur la feuille de papier, les clivages les plus importants du corpus, soit entre les auteurs, soit entre des ensembles de vocabulaire, soit les deux ensemble.

La procédure initiale de l’analyse de discours du côté de l’histoire a donc permis, sur la base des méthodes linguistiques et lexicométriques, d’introduire des critères d’exhaustivité et de systématicité à l’intérieur de corpus comparatifs, sélectionnés sur leurs conditions de production. Ainsi l’historien du discours se démarque dès le départ de l’historien classique  en contestant l’idée que la lecture d’un texte n’est qu’un moyen d’atteindre un sens caché, de cerner un référent pris dans l’évidence du sens.

Cependant l’analyse du discours comme objet de l’histoire présentait un triple écueil. En premier lieu, elle introduisait une coupure nette entre le corpus choisi, à vrai dire fort restreint au terme de la procédure d’analyse, et le hors-corpus défini de façon référentielle et générale par la notion de conditions de production. En second lieu, le choix des mots-pivots reposait sur le jugement de savoir de l’historien, pris lui-même dans le champ des débats historiographiques du moment. Enfin, elle constituait, sur des bases idéologiques et historiographiques, des entités discursives séparées telles que le discours noble, le discours bourgeois, le discours jacobin, le discours sans-culotte, etc.

Il ne faut pas cependant sous-estimer les résultats de ses premiers travaux en matière de connaissance des stratégies discursives. Ainsi en est-il de notre étude comparative de la presse pamphlétaire en 1793 (1975) qui met en évidence le contraste entre un «authentique» discours sans-culotte, celui de Jacques Roux, et le discours jacobin d’Hébert, auteur du Père Duchesne, basé sur des effets populaires estompant ses contenus jacobins. C’est dire aussi que l’analyse de discours relevait, à un niveau plus fondamental, d’une théorie du discours doublement issu du marxisme et de l’apport alors récent de Michel Foucault, en particulier dans L’archéologie du savoir (1969).

Si Michel Pêcheux suivait volontiers Michel Foucault dans sa critique de l’humanisme, et son corollaire la mise en avant de la subjectivité de l’individu, il s’en séparait nettement par le refus d’un geste interprétatif qui récusait, avec Michel Foucault,  l’existence d’une formation sociale préconstruite, à l’identique des concepts du matérialisme historique. Il s’agissait alors, toujours pour Michel Foucault, de substituer au mouvement dialectique un « mouvement de l’interprétation » (1994, I, 564 et suivantes). Ce refus initial, chez les « linguistes marxistes », de la démarche interprétative devait fortement contribué à limiter la portée de l’analyse de discours au cours des années 1970, et par là même de l’appréhension de l’historicité des textes. Les années 1980 ouvriront, certes tardivement, l’analyse de discours au questionnement herméneutique.

Cependant, deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), étaient  centraux, ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permettait de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le risque était là, nous l’avons déjà souligné, de classer les diverses formations discursives d’une formation sociale, à l’exemple de l’opposition noblesse/bourgeoisie sous l’Ancien Régime. Le concept d’interdiscours introduisait alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il était permis de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un «tout complexe à dominante» selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation «forte» rencontrait alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste[4]. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois/discours féodal; discours jacobin/discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il était question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. C’est d’ailleurs sur cette voie que s’est  opérée la rencontre de Michel Pêcheux avec des chercheurs allemands soucieux des phénomènes langagiers, en particulier Jürgen Link et Peter Schöttler (Pêcheux, 1984, Schöttler, 1988). Le bilan de l’analyse de discours comme objet de l’histoire, telle qu’elle a été pratiquée par un petit groupe d’historiens au cours des années 1970,  n’a donc rien de négatif, en dépit de ses évidentes impasses. C’est par la multiplication des contacts avec diverses interrogations langagières de chercheurs français et étrangers et une attention nouvelle à l’archive que s’opère, dans les années 1980, la sortie vers ce que nous pouvons appeler désormais l’analyse de discours du côté de l’histoire.

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“Écriture-femme, souffrance de soi et conscience singulière du temps” ~ par Jacques Guilhaumou

10 mercredi Juin 2020

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Écriture-femme, souffrance de soi et conscience singulière du temps” ~ par Jacques Guilhaumou

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Anne Roche, Béatrice Didier, Béatrice Mésini, Brigitte Rollet, Céline Masson, Christine Planté, Delphine Naudier, Isabelle Luciani, Jacques Guilhaumou, Jean-Noël Pelen, Judith Butler, Manon Roland, Marie-Edmée Pau, Mona Ozouf, Sylvie Mouysset

Dans un recueil de textes sur le Journal intime, Philippe Lejeune et Catherine Bogaert[1] donnent des extraits fort contrastés de confidences intimes. Ainsi d’Henri-Frédéric Amiel, un homme, qui rédige son journal entre 1845 et 1879, et de Marie-Edmée Pau, une femme qui écrit dans la même période et désormais connue par les travaux de Nicole Cadène. La lecture d’extraits de ces deux personnes est saisissante. Amiel présente son retour quasi-quotidien de soi dans son Journal intime comme un espace personnel de réconciliation. Il parle même d’une «habitude hygiénique» qui lui permet  de rétablir l’intégrité de son esprit, de retrouver l’équilibre de la conscience, bref de conserver «la santé intérieure ». Il s’agit alors de parler de soi dans une perspective strictement hygiéniste. De manière fort différente, Marie-Edmée Pau s’intéresse beaucoup plus à la condition des autres, en particulier de la femme. Ainsi elle témoigne de sa haine à l’égard d’une société sous domination masculine dans les termes suivants: «Je hais ce système d’aplatissement employé à l’égard des femmes, qui leur interdit tout ce qu’il y a de grand dans l’emploi des forces humaines»[2]. Ici il s’agit plus de rendre compte de soi, dans le fait même de la prise de conscience d’une injustice fortement ressentie, donc d’une souffrance, que de parler de soi.

I- Le récit féminin de soi  

 Récits de femmes : rendre compte de soi.

De fait, nous pouvons aborder le récit de femmes comme récit de soi, avec l’aide de Judith Butler dans son livre sur Le récit de soi[3] où il est question de la différence entre parler de soi et rendre compte de soi. A partir de notre exemple ci-dessus facilement opposable, donc un peu caricatural, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas de dévaloriser les manières de parler de soi au profit d’attitudes plus complexes de conscientisation de soi. Parler de soi, c’est déjà se penser comme personne singulière, mais dans la diversité des univers sociaux, donc au titre d’une injonction sociale à l’intériorité variable d’une manière sociale de faire à l’autre, et source de souffrance sociale[4]. D’ailleurs les récits de vie en ce domaine sont souvent plus collectés par le chercheur, qu’issus d’une production écrite autonome.

Ainsi les scènes d’interpellation que nous découvrons au fur et à mesure de la lecture des récits de femmes, écrits par elles-mêmes, montrent, nous semble-t-il de façon différente, des personnes qui souffrent du fait de leur prise de conscience de soi des préjudices subis, souffrance de soi située donc au-delà de la souffrance sociale proprement dite. C’est ainsi que le «je» féminin commence ici à rendre compte de soi, et non à parler de soi, dans la mesure où s’instaure un rapport causal entre le soi, sa propre souffrance et la souffrance des autres. Toujours d’après Judith Butler, c’est par là que se met en place une forte capacité narrative qui permet de s’assumer en pleine conscience, dans l’écriture tout particulièrement.

Prenons le cas de Madame Roland. Il s’agit d’abord d’une femme sur la scène publique, en pleine Révolution française, et de surcroît guillotinée pour avoir tenu la plume d’un ministre, son mari, sans que, pour autant, elle ne remette en cause la répartition des tâches entre les deux sexes. Ainsi, dans ses Mémoires[5], elle parle à la fois de «mon goût pour suivre les raisonnements politiques», tout en précisant aussi vite, «Je savais quel rôle convenait à mon sexe, et je ne quittai jamais». Mais c’est aussi et surtout une femme d’écriture et de conviction. Son premier geste, une fois en prison, est d’écrire pour clamer son innocence et la vérité, alors qu’elle souffre («lorsque je souffre…»). Ainsi elle précise: «Me voilà donc en prison… puis-je écrire?». Elle multiplie alors les lettres à la Convention Nationale, au ministre de l’intérieur, à des députés, des journalistes… elle noircit des pages et des pages… Une écriture puisée dans l’énergie, alors qu’elle a toujours critiqué les femmes auteurs. Ainsi dire à la fois «Je souffre» et «je suis opprimé» exprime un jugement sur la réalité, un fort affect qui suscite une capacité de mobilisation dont rend compte la narration de telles Mémoires.

Le récit de femme saisi au prisme de la souffrance, et des troubles de soi qu’elle induit, est donc porteur d’une dynamique narrative, à la fois capacité narrative et capacité de mobilisation, en appui sur un fort affect, où, nous le verrons, la conscience du temps occupe une place singulière.

Enfin Judith Butler précise que «Si je rends compte de moi-même et si j’en rends compte à quelqu’un, alors je suis contraint de céder ce dont je rends compte, de l’abandonner, d’en être dépossédé au moment où j’en fais mon compte rendu.»[6].

Elle dégage alors quatre étapes dans le récit de soi

Soit dans l’exposition de sa vie

  • Exposer ce que d’autres ne peuvent pas narrer et instaurer ainsi ma singularité
  • Considérer des relations primaires, irrémédiables, qui imprègnent de manière durable et récurrente l’histoire de ma vie
  • Construire une histoire qui mette en place mon opacité partielle à moi-même pour mieux l’élucider
  • Et l’ultime moment, user des normes (des normes d’écriture aux normes sociales..) dont je ne suis pas l’auteur pour faciliter la narration que je fais de moi et me rendre ainsi interchangeable, visible, me trouvant ainsi pour une part dépossédé au moment même où je cherche à établir ma singularité.

«L’autorité narrative du “je” doit alors s’ouvrir à la perspective et à la temporalité d’un ensemble de normes qui contestent la singularité de mon histoire»[7], précise Judith Butler, ce qui n’est pas évident dans le récit de femmes, puisque la norme est généralement sous domination masculine.

À ce titre, les récits de femmes participent, comme l’avait noté Isabelle Luciani dans son introduction à la Journée d’études sur Écriture, souffrance, récits de soi [8], du fait que les récits de vie sont souvent des constructions hybrides où se manifestent des «surgissements de soi» à partir de genres socialisés et déjà normés dont les individus disposent. Et de citer également ici, de sa part, l’exemple des écrits de Madame Roland éclatés entre Mémoires, Notices historiques, Mémoires et anecdotes, Mémoires particuliers. Ces récits de femmes concernent l’écriture privée. Nous proposons d’abord quelques réflexions générales sur l’écriture-femme, avant d’y venir plus précisément.

L’écriture-femme dans sa généralité

Une fois posés ces quelques jalons sur le rapport à soi des récits de femmes, il est possible d’aborder de façon plus générale ce qu’il en est de l’écriture-femme par rapport à la souffrance ainsi exprimée, en commençant par le jugement dominant sur l’écriture publique des femmes, essentiellement romanesque, jugement fortement stéréotypée, nous allons le voir.

Dans ses travaux sur «l’écriture-femme», Delphine Naudier[9], prenant en compte les travaux de Christine Planté[10], précise d’emblée que le champ littéraire pris dans l’histoire a toujours été un bastion détenu par les hommes, et relève donc pleinement de la domination masculine. C’est dire que, «quelles que soient les périodes, de Christine de Pisan à George Sand en passant par Louise Labé et Madame de Lafayette, les femmes appartenant aux élites sociales et ayant bénéficié d’une certaine instruction ont certes pu acquérir une visibilité au sein du monde des lettres», mais «ces incursions demeuraient minoritaires à l’intérieur d’une économie de la valeur littéraire sexuellement marquée, où l’opposition style viril/ roman sentimental scelle les deux bornes de l’opposition entre le masculin et le féminin»[11] Une opposition qui s’appuie sur un indéniable constat éditorial: ainsi la récente Anthologie des romancières de la période révolutionnaire [12] montre que la trame du roman écrit par des femmes y est toujours présentée sous l’angle sentimental, au titre, de bonheurs en malheurs, des implacables contraintes de l’amour et de l’évidente nécessité sociale de la vertu, sans que l’on cherche à prendre en compte d’autres sources relatives à l’écriture féminine, imprimées et manuscrites.

De fait, une certaine stigmatisation des femmes de lettres s’est élaborée autour de la catégorie «femme auteur», «bas bleu» introduisant un marquage sexué amalgamant sous ces dénominations quasi-biologiques tous les auteurs féminins, et donc jugeant et classant leurs œuvres dans une séparation tranchée entre une «littérature première» écrite par les hommes et «littérature seconde» écrite par les femmes. Ainsi, si le nombre d’auteurs féminins passe de 206 entre 1754 et 1788 à 330 pour les années 1789-1800[13], les commentateurs des romans féminins souhaitent borner l’apport des femmes au domaine des bonnes mœurs patriotiques.

Dans l’ouvrage qu’elle co-dirige avec Brigitte Rollet[14], Delphine Naudier montre également qu’une approche sociologique du champ littéraire, sur la base d’un corpus d’ouvrages critiques (anthologies, manuels, dictionnaires), montre un survalorisation de la représentation masculine de l’acte créateur. Ces anthologies entérinent, voire accroissent les procédures d’effacement et de disqualification des œuvres féminines, alors que la part des femmes est loin d’être négligeable (autour de 20% au début du XXe siècle). Ainsi la critique littéraire s’évertue souvent à présenter les auteures femmes comme des rivales qui viendraient en outre brouiller les frontières dans la division des tâches, les renvoyant ainsi à certains genres littéraires comme le roman sentimental, en association avec certaines valeurs conservatrices de l’ordre social et sexué, telles que la sensibilité ou la religion.

Toutes raisons, devant un tel tir de barrage, pour explorer les écritures plus privées, mémoires, correspondances et autres, et mettre en valeur leur part de créativité.  

II – Autour de deux ouvrages sur l’écriture féminine, la souffrance sociale, et la souffrance de soi

Une capacité narrative particulière

Nous allons maintenant nous appuyer sur deux ouvrages concernant centralement l’écriture féminine dans l’histoire, avec une part importante accordée aux récits de femmes, ceux de Béatrice Didier [15] et de Mona Ozouf[16]. De fait ces auteures mettent prioritairement l’accent sur la part de souffrance propre à ce statut minoritaire de l’écriture des femmes dans l’histoire, en associant une telle réflexion sur la souffrance sociale et la souffrance de soi – nous reviendrons sur cette distinction – à la manière dont les femmes l’intériorisent, y puisent leur capacité narrative. Elles insistent aussi sur une particularité, l’appréhension du temps différemment des hommes dans leur écriture même, ce qui confère à ces témoignages force et authenticité. Et leurs analyses renvoient pour une grande part aux Mémoires, correspondances, bref à la part la plus privée de l’écriture féminine.

Béatrice Didier commence par noter une parenté entre les écritures féminines qui a toujours existé face au modèle dominant masculin dans une position conflictuelle: «L’écriture féminine semble presque toujours le lieu d’un conflit entre un désir d’écrire, souvent si violent chez la femme, et une société qui manifeste à l’égard de ce désir soit une hostilité systématique, soit cette forme atténuée, mais peut-être plus perfide encore qu’est l’ironie ou la dépréciation»[17]. Voilà donc d’emblée posée la part de souffrance d’origine sociale et inhérente à l’écriture féminine au sein de l’histoire, dans la mesure où ce constat induit un temps de la culpabilité, comme un temps de l’écriture volé à l’homme, à la famille, et qu’il convient de cacher, occulter: écrire de nuit par exemple. De fait la publication présente un risque pour les femmes dans la mesure où elles considèrent leurs pensées comme dignes de publicité, au risque de perdre l’appui des hommes, bien sûr, mais aussi des femmes en brouillant les frontières entre deux mondes. Les femmes écrivaines dans l’histoire mesurent donc le danger qui les menace de la marginalité, du ridicule, du manque d’amour en contrepartie, et donc d’un affrontement direct avec les monde masculin, précise  pour sa part Mona Ozouf

Par ailleurs, en matière de corpus, Béatrice Didier note l’existence d’une masse considérable d’écrits publics et privés, marquée par une grande plasticité dans les genres et les formes, et aussi par l’expression massive d’un «je» que leur interdit la société. De son côté, Mona Ozouf, soucieuse de rendre compte d’une telle souffrance des femmes dans l’écriture même, s’attache essentiellement, dans ses portraits de femmes, aux textes les moins apprêtés, les plus personnels: les Mémoires de préférence aux romans, les correspondances de préférence aux Mémoires. Cette historienne peut ainsi mettre en évidence, d’un portrait à l’autre, des éclairages variables, avec des manières de dire différentes sur l’amour, le mariage, la maternité, les relations des hommes et des femmes, les fortunes et les infortunes de la destinée. Et aussi sur la manière de concevoir le rapport entre les sexes et le statut de la femme. Les Mémoires, comme la correspondance sont, comme le note aussi Huguette Krief[18], le lieu où se manifeste au mieux la passion d’écrire de ces femmes auteures. Dans ces textes non exposés à la critique du public, il s’agit plus de souffrance de soi que de souffrance sociale, ne serait ce que dans le rapport à la conscience du temps.

Une question s’impose alors: ces textes déploie-t-il une «rhétorique au féminin», titre d’un colloque récent[19] voire même un sexolecte, du fait que l’écrit féminin privilégie l’expression du lien sur la diffusion d’un contenu? S’il s’agit simplement de mettre l’accent sur la rhétorique de l’intime, avec la part prépondérante de la subjectivité, c’est une évidence, donc à interroger pour ne pas tomber dans le stéréotype. De même pour ce qu’il est de l’art de la conversation prêté aux femmes et qui nous valent, par réactions, des diatribes antiféministes, par exemple chez Sieyès[20].  De même aussi l’idée très masculine d’une rhétorique féminine des lieux communs, noté par les auteurs lecteurs assidus des textes de femmes, comme Goethe et Sainte-Beuve, à la recherche les traits de chaque époque. Ce qui expliquerait les «négligences» de l’écriture féminine… des « écriveuses » comme dit Sainte-Beuve. Plus spécifique est, nous semble-t-il, la rhétorique de la dualité, que l’on trouve chez une grande romancière européenne comme Elfriede Jelinek. De quoi s’agit-il? D’une multiplication des figures d’opposition sous forme de paradoxes, de contradictions, d’antithèses.

Une conscience singulière du temps

Il apparaît donc que la prise en considération de l’écriture féminine dans sa spécificité est récente, en particulier par le fait que sa créativité procède d’une conscience singulière du temps. Pour la femme, le temps est perceptible hors de l’événement, parce qu’elle porte en elle ses propres événements, ce qui explique la relative absence de l’événementiel du moins dans le roman féminin, précise Béatrice Didier. Ce qui suppose aussi un rapport particulier à la discontinuité, à la rupture dans l’écriture, par la multiplication des ponctuations, marque de cassures, d’affectivité.

Mona Ozouf, pour sa part, en examinant plutôt les Mémoires,  va plus loin: elle fait du rapport au temps le thème central de son analyse de l’écriture féminine. Face au temps féminin, à sa courbe particulière, ses coupures brutales (la puberté, la ménopause..), l’écriture rend compte d’un désespoir de la limite. Ainsi, elle cite Simone de Beauvoir écrivant que «L’action du temps m’a toujours déconcerté, je prends tout pour définitif», ce qui accentue le sentiment d’inégalité avec les hommes, qui vivent d’actions indépendantes, de temps haché, délié. Il s’agit bien, chez Simone de Beauvoir, d’une volonté de transformer l’instantané en état, et donc d’avoir «le talent simple se saisir le plaisir du moment et la couleur du jour, de faire son miel de chaque chose» précise Mona Ozouf [21].

Débattant avec des chercheures américaines, à propos des différences entre le féminisme américain et le féminisme français, une de ses interlocutrices, l’historienne Lynn Hunt souligne également que le livre de Mona Ozouf est d’abord un livre sur le temps des femmes, écrit avec les mots des femmes. L’art civilisateur des femmes, serait alors un «art féminin du temps» où le devenir est une contrainte voulue dans l’intimité du temps qui passe, permettant d’apaiser le tourment de l’être, de la vieillesse, de la mort annoncée, rendant ainsi la vie plus vivable. Mona Ozouf, dans sa réponse, surenchérit en précisant  qu’«en raison de l’horloge biologique qui leur impose son tempo, les femmes comptent les jours autrement que les hommes, précisément, alors qu’eux peuvent ne pas les compter […] Et ce n’est pas là revenir, dans la plus pure tradition essentialiste, à la naturalité de la femme. C’est seulement postuler un registre féminin du temps, une manière de le vivre de façon moins discontinue, moins désinvolte, plus constamment consciente et plus liée»[22].

Mona Ozouf en déduit que l’écriture féminine dispose d’une fort potentiel de créativité: «En prenant la plume, ces femmes sont vouées à l’inventivité, tenues, dès les premiers mots, de faire éclater le discours convenu et univoque sur les femmes. Ce sont ces voix immédiatement originales que j’ai voulu faire entendre»[23]. C’est dire aussi que la part de créativité de l’écriture féminine renvoie à un rapport différent sur le terrain de l’identité du sujet, entre la marque de la souffrance et le registre du temps. Ecriture et identité marchent ainsi de pair: comment écrire quand une identité vous est refusée? Plus le «je» envahit l’écriture féminine, plus cette écriture est contestée. On comprend pourquoi Mona Ozouf introduit ces portraits de femmes par l’affirmation suivante: «Elle étaient créatrices d’abord pour avoir conscience de l’être. Pour avoir souffert, parfois, de l’être»[24].

De fait, cette relation particulière au temps est ancienne dans les récits de femmes. Sylvie Mouysset constate que, dans les livres de raison qu’elle a étudiés sur le plan historique[25], en particulier ceux écrits par des femmes, elle a trouvé, en relation avec la solitude de ses femmes, souvent célibataires ou veuves, une relation particulière au temps. Ainsi elle peut en conclure provisoirement que la marque du temps se trouve dans le «le souci de précision, le désir de ne rien soustraire d’essentiel à la mémoire colllective» et qu’il s’agit bien là du «premier indice distinctif d’une écriture féminine»[26]. Nous avons fait le même constat dans les «récits de soi et du monde» au sein du monde actuel des exclu(e)s étudiés de concert avec Béatrice Mésini et Jean-Noël Pelen[27], avec un rapport très particulier à la norme. Dans le récit d’Anne, les choses font événement jusque dans le détail, elles construisent leur propre référence, leur propre temporalité alors qu’elle ne cesse de revendiquer «le droit à la différence», «le droit à disposer de soi-même . Mais il s’agit là de récits collectés par le chercheur, à l’exemple des récits de femmes marseillaises publiés par Anne Roche[28]. Présentement, nous nous en sommes tenu aux récits écrits par les femmes elles-mêmes.

Je termine volontiers cette rapide incursion dans la spécificité de l’écriture féminine par le témoignage de Lucile Desmoulins, tant dans son journal de jeune fille que de jeune femme mariée, prise en pleine tourmente révolutionnaire[29]. Ce témoignage procède d’un va et vient constant entre détails de la vie intime et réflexions personnelles sur l’existence et la difficulté à en exprimer le sens, du fait de la souffrance ressentie. Il en ressort une prise de conscience de soi, dans la manière même de rendre compte de soi par plusieurs pauses réflexives

1- De la difficulté d’écrire, … alors qu’elle est en train d’écrire un conte :

«Je veux écrire, mais rien ne vient».

2- De la difficulté à comprendre le sens de sa vie dans la recherche de ce qui est primordial:

«Je ne puis comprendre comment j’existe»,

«Je ne me comprends pas. Je ne sais pas pourquoi je pense, ni  pourquoi je parle. Je ne puis exprimer ce que je suis».

3- De la souffrance sociale propre à la condition féminine:

«Quel triste sort que celui de la femme, combien elle a à souffrir de l’esclavage, la tyrannie voilà son partage».

4- De la souffrance de soi, de l’esprit comme de l’âme:

«Mon esprit est toujours absent», «Cette absence d’esprit ne me quitte point. Je n’ose en parler… On se moquerait de moi»; «Qu’une âme tendre a donc à souffrir».

Enfin, dans un article fort intéressant sur «L’écriture est un voir. Construction du psychique», la psychanalyste Céline Masson[30] précise que «De véritables récits vont être mis par écrit qui ont pour but de légitimer leurs auteurs. Ces récits écrits donnent à voir une mise en forme d’événements qui doivent être retenus, en somme ces écrits contribuent à la construction d’une mémoire» tout en considérant que «Les écrivains travaillent la violence et l’angoisse toujours aux limites du possible en témoignant de leurs impressions, perceptions et affects». Il convient donc de rendre compte de la mémoire constituée par les récits de femmes, au plus près de tels affects exprimés, et de la prise de conscience de soi qu’ils engendrent

______________

Ce texte de Jacques Guilhaumou, « Écriture-femme. Souffrance de soi et conscience singulière du temps », est tiré de Écriture, récit, trouble(s) de soi. Perspectives historiques, France, XVIe-XXe siècles, sous la dir. d’Isabelle Luciani et Valérie Piétri, Publications de l’Université de Provence, 2012,  p.97-114. Version de l’auteur, reproduite avec son autorisation.

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NOTES

[1] Le journal intime. Histoire et anthologie, Paris, Textuel,  2006.

[2] Ibid., p. 344.

[3] Traduction française, Paris, PUF, 2007.

[4] Voir Claude POLIAK, «Manières profanes de parler de soi», Genèses, N°47, 2002-2.

[5] Manon ROLAND, Mémoires, Paris, Mercure de France, 1986.

[6] Le récit de soi , op. cit., p. 36.

[7] Ibid., p. 37.

[8] Voir l’introduction du présent ouvrage.

[9] La Cause littéraire des femmes. Modes d’accès et de consécration des femmes dans le champ littéraire (1970-1998), Thèse de doctorat de sociologie, EHESS (Rose-Marie Lagrave, dir.), 2000;  «L’écriture-femme, une innovation esthétique emblématique»,  Sociétés contemporaines, Presses de Sciences Po, n°44, 2001/4, p. 57-73.

[10] En particulier, La Petite sœur de Balzac. Essai sur la femme-auteur, Paris, Seuil, 1989.

[11] «L’écriture-femme, une innovation esthétique emblématique», op. cit.

[12] KRIEF Huguette (eds), Vivre libre et écrire. Anthologie des romancières de la période révolutionnaire (1789-1800), textes choisis et présentés par Huguette Krief, préface d’André Coulet, Oxford-Paris, Voltaire Fondation-PUPS, 2005.

[13] Voir Carla HESS, «French women in print 1750-180 : an essay in historical bibliography», The Darnton Debate. Books and revolution in the eighteenth century, Oxford, 1968, p. 65-82.

[14] NAUDIER Delphine, ROLLET Brigitte (dir.). Genre et légitimité culturelle. Quelle reconnaissance pour les femmes ? Paris : L’Harmattan, 2007, 172 p. Coll. Bibliothèque du féminisme.

[15] L’écriture-femme, Paris PUF, 1981

[16] Les mots des femmes Essai sur la singularité française, Paris, Fayard, 1995.

[17] Op. cit., p. 11.

[18] Vivre libre et écrire. Anthologie des romancières de la période révolutionnaire (1789-1800), op.cit.

[19] Annette Hayward dir., La rhétorique au féminin, Québec, Editions Nota bene, 2006.

[20] Voir notre notice sur «Sieyès, la vérité et les femmes», Annales Historiques de la Révolution française, N°306, octobre-décembre 1996, p.692-697.

[21] Les mots des femmes, op. cit., p. 299.

[22] Les mots de femmes, op. cit., p. 145.

[23] Ibid., p. 10.

[24] Ibid., p. 13.

[25] Papiers de famille. Introduction à l’étude des livres de raison, (France, XVe-XIXe siècles), Presses Universitaires de Rennes, 2007.

[26] Ibid., p. 126.

[27] Récits de soi et du monde, Aix, PUP, 2004.

[28] ROCHE Anne et TARANGER Marie-Claude, Celles qui n’ont pas écrit. Récits de femmes dans la région marseillaise 1914-1945, Édisud, 1995.

[29]  Journal (1788-1793), texte établi et présenté par Philippe Lejeune, Paris, Edition des Cendres, 1995.

[30] «L’écriture est un voir. Construction du psychique», Cliniques méditerranéennes, N°72, 2005/2, p. 281-298

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Une lettre d’Hébert, du 27 mars 1793, sur une saisie de riz

24 mardi Déc 2019

Posted by Claude Guillon in «Documents»

≈ Commentaires fermés sur Une lettre d’Hébert, du 27 mars 1793, sur une saisie de riz

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Commune, Hébert, Jacques Guilhaumou, Subsistances

En vente sur ebay, une lettre aux 48 sections parisiennes de la main de Jacques René Hébert (15 novembre 1757 – 24 mars 1794), militant du club des Cordeliers, véritable «entrepreneur de presse», selon l’expression de Jacques Guilhaumou, qui a rédigé sa notice dans le Dictionnaire historique de la Révolution française (le bien connu Père Duchesne & le Journal du soir sans réflexions, où il publie les comptes rendus des débats à l’Assemblée législative), enfin substitut du procureur de la Commune de Paris à partir de janvier 1793.

«Son implication dans le procès des “hébertistes” où il est présenté comme le chef d’une faction des “agents de l’étranger” ne repose sur aucune donnée véritable. C’est en fait le procès du rôle des Cordeliers pendant l’été 1793 qui se déroule sous ses yeux, alors qu’il a perdu la plus grande part de son influence politique. À travers Hébert, le Père Duchesne, Albert Soboul l’a montré, les Montagnards cherchent à atteindre le mouvement populaire dont il vient de se rapprocher.» (J. Guilhaumou).

Arrêté le 14 mars 1794, à peu près un an après avoir rédigé la lettre ci-dessous, Hébert est assassiné légalement dix jours plus tard.

Commune de Paris

Paris, le 27 mars 1793

L’an 2e de la République Française, une et indivisible

Procureur de la Commune

La section du finistère, citoyens, a saisi plusieurs sacs de Riz que des particuliers ont été surpris acheter à vil prix des pauvres de cette section [.] Sur la dénonciation qui me fût faite du procès verbal constatant ce commerce illicite, j’ai fait citer à ma requète au tribunal de police Municipal les acheteurs, il a été ordonné que le Riz saisi seroit distribué aux pauvres de la même section : par une disposition [?] particulière, le tribunal m’a chargé de faire part aux comités des 48 sections de ce genre de commerce  afin qu’ils puissent y mettre ordre. [P]our remplir le vœu de cette décision, je m’empresse, citoyens, de vous donner connoissance du Résultat de cette affaire, et vous engage à exercer sur cet objet toute votre surveillance.

Hebert

substitut

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“Le cri patriotique de Marseille républicaine (1789 – an II)” ~ par Jacques Guilhaumou

11 lundi Nov 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “Le cri patriotique de Marseille républicaine (1789 – an II)” ~ par Jacques Guilhaumou

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Jacques Guilhaumou, Marseille

«Le cri patriotique de Marseille républicaine» est tiré du Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815),  Patrie, patriotisme, sous la dir. de Jacques Guilhaumou et Raymonde Monnier, fascicule 8, Paris, Champion, collection «linguistique française», 2006, p. 83-134.  Cet article complète l’ouvrage sur Marseille républicaine (1791-1793),  (Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Librairie du bicentenaire,  1992) en considérant l’’apport de la tradition civique marseillaise  au «mouvement sublime» de l’énergie patriotique des Marseillais.

 

Introduction

Partie à la conquête de son autonomie municipale dès 1789, apte à donner l’exemple d’«actions héroïques» en 1790-1791, multipliant «les travaux patriotiques» en 1792, Marseille reçoit de plus en plus souvent le qualificatif de républicaine avant même la proclamation de la République[1].

De fait, Marseille la républicaine réactive très tôt une tradition civique qui remonte à la période antique où la Cité ne faisait qu’une avec une communauté politique structurée par l’action des citoyens appréhendée conjointement à travers une multiplicité d’actes individuels et une réalisation commune sur la base du bonheur de vivre ensemble[2]. Qui plus est, cette expérience républicaine précoce de la Cité s’enrichit, à la fin de Moyen-Âge et au début des Temps modernes, du riche apport de l’humanisme civique. Il s’agit alors pour les élites de prendre en main la conduite des affaires de la Cité, au nom de la liberté politique. Bien sûr, l’élite commerçante joue ici un rôle décisif dans une ville qui assume progressivement une fonction de port mondial[3], ce qui peut aussi expliquer la diversité des expériences républicaines marseillaises pendant la Révolution française. L’apport d’une telle tradition civique contribue donc au déploiement, tout au long de la Révolution française, du «mouvement sublime» de l’énergie patriotique des Marseillais[4].

Cependant ce «cri patriotique», tout la fois local et général, prend une tournure particulière dans la mesure où il se ressource, à chaque événement majeur, au principe de la nation. Ainsi la présence insistante d’une dynamique du lien entre la nation et ses manifestations patriotiques a une portée très générale. Certes le sentiment patriotique des Marseillais est pour une part une affaire d’émotions et passions, dont il convient de mesurer la portée normative qui induit des jugements de valeur[5], donc une rationalité qui contribue à l’intelligibilité historique du républicanisme marseillais. Mais la dimension réflexive du patriotisme marseillais est toute aussi importante: elle contextualise fortement les événements révolutionnaires[6]. À ce titre, la description du trajet patriotique des Marseillais  ouvre à une meilleure compréhension  des rapports politiques – plus précisément des «rapports populaires» –  qui se déploient successivement sous les arguments de constitution, puis de souveraineté, au point de produire en l’an II un débat contradictoire sur la signification du nom de Marseille à l’horizon d’un patriotisme institué[7].

 

I – Marseille, exemple du patriotisme (1789-1790).

A- Le vœu général d’une Assemblée Nationale.

Dans le contexte de la convocation des États-Généraux, c’est-à-dire avant que la nation ne  soit pensable dans son «existence politique», et  que «le tableau des droits de la Nation» ne soit connu, discuté, exposé au sein de la «nation assemblée»[8], la patrie s’identifie d’abord pour les Marseillais à leur cité. Ainsi en est-il dans la Lettre patriotique à Messieurs du Bas-Clergé de Marseille du 21 février 1789, à propos de l’exclusion du bas-clergé des états de Provence[9] :

Que prétendez-vous donc faire dans l’Assemblée des États de Provence? Si vous y paraissez comme faisant corps avec le clergé de cette Province, vous renoncerez au titre de Citoyen de Marseille; vous commettriez un crime de Lèse-patrie… C’est dans le sein de votre Patrie, c’est à Marseille que vous devez choisir et nommer les représentants du Clergé de Marseille.

Mais déjà, les détracteurs du «patriote ambulant»[10] qui a rédigé cette lettre,  reprochent à ce «zélé patriote» de «se couvrir du voile du patriotisme» – accusation récurrente, nous le verrons, en cas de divisions entre patriotes – et ainsi «d’étouffer le cri du véritable patriotisme»[11]. Qu’en est-il donc d’un tel cri du patriotisme alors que s’énonce «le vœu général» d’une Assemblée Nationale? Par quelles vertus se manifestent-t-ils?

Retenons de ce premier abord que le fait d’exemplifier le patriotisme est précédé, et le sera à diverses reprises, par l’expression de «l’intérêt général de la nation» et sa concrétisation dans «le grand œuvre de la nation» à l’aide d’une constitution, d’une législation et d’une administration. La nation est bien instituante : toute expression patriotique nécessite d’être authentifiée par l’assignation préalable du citoyen à la nation[12].

B- «L’exemple des vertus patriotiques»: de l’événement à l’individu exemplaire.

Si Marseille peut très tôt «donner aux autres Cités l’exemple du patriotisme», c’est d’abord par le fait d’un événement, «la journée mémorable du 23 mars»[13] où se manifeste «le patriotisme de la jeunesse de Marseille» qui «s’arma pour défendre la patrie, et donna à la France le premier modèle d’une Milice Nationale» qui «servit de modèle à la garde nationale» précise le sculpteur Renaud dans la son projet argumenté, en 1790, de Souscription pour l’érection d’une monument patriotique [14]. Mais Renaud, qui voit dans ce monument «le désespoir des antipatriotes» en tant que «signe de ralliement aux principes de la nouvelle Constitution», glorifie aussi de manière allégorique les «Régénérateurs de la Nation» qui, en nous donnant «une Constitution, une Patrie et la Liberté», ont permis aux Marseillais, de mettre en vigueur «les principes patriotiques» dès les premiers instants de la révolution.

Plus avant, avec l’établissement des «premiers éléments de la société politique», et plus particulièrement «la nouvelle organisation des Municipalités», «la révolution qui nous a donné un patrie» commence à être consommée, précise M. Barbaroux, avocat encore peu connu[15]. C’est ainsi que le Maire de Marseille, Étienne Martin, négociant de son état, se trouve entouré d’une aura patriotique considérable.

Les vœux des Marseillais en font l’interprète de leurs sentiments[16], au point qu’une représentation allégorique «dédié la glorieuse et mémorable élection de Monsieur E. Martin, maire de Marseille» lui confère le rôle d’ange tutélaire du Tiers-Etat à Marseille. À côté de la représentation imagée de ses vertus (la force, la prudence, la sagesse et l’amour), un texte glorifie son mérite[17]:

Élevé parmi nous au-dessus des mortels,

Règne donc sur nos Cœurs, nos Cœurs sont les autels.

L’éclat de tes vertus, la Splendeur de ta gloire,

Éternise à jamais ton auguste mémoire :

Marseille triomphe enfin de l’esprit suborneur.

Dans MARTIN, reconnaît son solide bonheur,

La paix et la douceur précèdent sa justice,

Honorent le mérite et maîtrisent le vice.

Qu’en tous lieux on célèbre la sublime vertu !

Du Tiers État vengeur, l’ennemi est vaincu.

Un an plus tard, un hommage respectueux à sa personne[18] se présente comme «un tribut de reconnaissance au Père, au Sauveur de la Patrie, à cet Ange tutélaire dont la sagesse montre l’exemple de l’union». Le maire Martin incarne, par «son patriotisme le plus pur» l’ensemble des vertus morales précédemment décrites. Lui-même répond indirectement à cet hommage de «l’assemblée patriotique», à l’occasion de la mort de Mirabeau, qualifié non seulement de «Régénérateur de la Nation», mais aussi de «Démosthène du siècle, ami de Marseille et du genre humain»[19], en précisant que «le désintéressement est la pierre du touche du patriotisme» et que les Municipalités en sont «un grand exemple»[20]. N’oublions pas enfin que Martin est un négociant: il incarne ici la transition des vertus sociales, associées tout particulièrement au commerce si présent à Marseille, à la vertu politique proprement dite[21].

C – Le regard de la presse patriote.

La lecture de la presse marseillaise en 1790, des Annales patriotiques de Marseille, et sa suite le Courrier de Marseille [22], en passant par L’Observateur marseillais. Journal patriotique, où nous retrouvons Barbaroux comme l’un des rédacteurs, précise, au jour le jour, ce qu’il en est de la mise en acte des «vertus patriotiques».

La Garde Nationale demeure le vecteur majeur de «l’enthousiasme patriotique des Marseillais». Ainsi lorsque les troupes quittent la Maison commune, pour ne plus demeurer que dans les Forts, la Garde Nationale, en s’y installant, restitue à Marseille son «droit de cité». Elle participe donc du renouveau de la tradition civique marseillaise.

Reste que le despotisme royal est toujours présent à travers son armée: «C’est dans un Fort qu’il s’est retranché». En précisant qu’«Il est faux que nous pensions à prendre des Forts qui nous appartiennent puisque nous sommes individus de cette Nation qui les possède»[23], le journaliste présente d’abord l’événement majeur de l’occupation des forts comme un geste de restitution à la Nation  de ses droits:

La Ville était menacée par le canon des Trois Forts […] Quarante huit de nos braves Gardes Nationaux forment le projet d’enlever le Fort de notre Dame-de-la-Garde […] Nos braves volontaires arborèrent sur le Donjon l’étendard de la Nation […] Les Soldats et plusieurs Officiers de Vexin crièrent: Vive la Nation et promirent fraternité et fidélité aux citoyens.[24]

Là encore, le moment où un tel acte national permet de recouvrer la totalité de la liberté est instituant de «la dignité et du zèle patriotiques», d’autant qu’il s’est fait sous l’égide d’une instance légitime, l’«Armée patriotique». Ainsi «les portes de nos Bastilles sont enfin ouvertes», précise Augustin Maillet, auprès des anciens prisonniers désormais libres de «continuer à servir la patrie»[25]. La plupart rejoignent «l’Assemblée patriotique». C’est bien au sein de «cette assemblée formée par le seul patriotisme» que le cri du patriotisme succède – d’un discours à l’autre publiés ou non dans la presse patriote en cette année 1790 – au cri de «Vive la nation». Les dirigeants de ce club jacobin (Chompré, Mossy, Maillet, Barbaroux, etc.), désormais libres de leur mouvement qu’ils aient été emprisonnés ou non,  s’y succèdent pour reprendre «le flambeau du patriotisme» et tout particulièrement «pour dénoncer les manœuvres perfides des ennemis de la Patrie». La Patrie est ici «une mère tendre et fidèle à laquelle nous devons être étroitement attachés» [26]. Et le journaliste d’ajouter que «La Patrie est un tendre mère qui doit caresser ceux de ses enfants qui ont pu s’égarer, c’est l’unique moyen de les rappeler dans leur sein»[27]. Toutes formes de sensibilité qui sonnent un peu comme des «Adieux à l’année 1790», alors que «l’énergie et l’ardeur du patriotisme», tout étant aux «principes de la révolution , prennent une tournure de plus en plus active, pragmatique. 

II – La voix de la patrie (1791-1792).

Dans les Adieux à l’année 1790 par le peuple marseillais [28],  un patriote anonyme fait le bilan de cette «année remarquable» en «titres de patriotisme». Alors que Paris, «votre sœur aînée a vu sortir en son sein la liberté et le patriotisme», Marseille est devenue, par le déploiement de «la force et du courage du patriotisme»,  «une Ville agréable» où l’on peut glorifier «votre génie plus que précoce» dit-il en s’adressant au peuple marseillais. À ce titre, il est possible d’affirmer de manière fortement performative: «C’est de Marseille dont je parle».

A- À la source de l’énergie des patriotes marseillais : l’union intime entre Marseille et Paris.

«L’ardeur du patriotisme » des Marseillais, associé au «langage de la franchise», se manifeste par une série et d’Adresses, Mémoires et circulaires[29], issus de «l’Assemblée patriotique» qualifiée plus usuellement de Société des amis de la Constitution[30]. Si les Marseillais se caractérisent par «l’énergie du patriotisme» dès «le principe de la Révolution», ils doivent alors mobiliser cette énergie, en relation avec «la surveillance des bons patriotes» et «les prédictions alarmantes de vos écrivains patriotes», pour surmonter «les crises violentes» qui se succèdent au regard des trahisons du pouvoir exécutif royal, et de ses séides, les «Sociétés antipatriotiques» qui se forment sous le nom d’ «amis du Roi»[31].

Bien sûr «les élans du patriotisme» des Marseillais concernent leurs frères des sociétés et des sections de tout le Royaume, et tout particulièrement les parisiens. C’est ainsi que les sectionnaires parisiens se félicitent de leur correspondance avec les Marseillais, échange par le biais des adresses qui «en échauffant mutuellement notre patriotisme, en dévoilant les trames sourdes des ennemis du public annonce à tous les Français qu’un peuple qui se régénère a le droit de faire tomber ses oppresseurs, et de les couvrir d’une honte éternelle»[32].

Mais les Marseillais s’adressent en priorité, sous l’invocation «O vous, Pères de la patrie!», aux Législateurs de l’Assemblée Nationale à Paris. Ils y trouvent l’unité  nécessaire à la réintégration de leurs «droits imprescriptibles» dans la nation :

O vous les Régénérateurs de l’Empire! O vous, l’Espérance des peuples! Vous avez voulu, et 0 vous, les Pères de la patrie!, si vous pouviez lire au fond de nos cœurs, vous y verriez que nous ne voulons plus être ce que nous étions autrefois; et que nous périrons tous jusqu’au dernier, avant de nous recourber sous le joug des tyrans […] Libérateurs des Peuples, vous avez renoncé, pour la Nation, à toutes les conquêtes possibles, vous ne lui avez réservé que celles de l’exemple […] Rémunérateurs et Vengeurs de nos droits, en travaillant pour la Patrie, c’est pour vous-mêmes que vous travaillez; son bonheur est le vôtre; et puisque vous ne faites qu’un avec nous, qu’aucun obstacle n’arrête vos travaux, nous sommes à vos côtés.[33]

Cependant très vite les patriotes marseillais font le partage entre «les Représentants patriotes» et les autres plus enclins au compromis avec le pouvoir exécutif. Mirabeau mort, ils en viennent à «jurer de veiller à la conservation précieuse de ces hommes rares», et tout particulièrement de Danton et de Robespierre, «personnes chères à tous les patriotes». Ils sont prêts à aller «dans la capitale arracher le masque [sous-entendu du patriotisme] aux hypocrites, et placer la vérité sur le fauteuil national entre Robespierre et Danton»[34].

À vrai dire, les Marseillais sont fort circonspects sur la capacité des députés des Bouches-du-Rhône à faire connaître «le patriotisme des Marseillais et leur noble dévouement» comme leur fait remarquer la Municipalité de Marseille dans sa correspondance avec eux[35]. C’est pourquoi les officiers municipaux s’adressent en priorité le 18 avril 1791 à Robespierre dont ils considèrent que «Vous avez déjà donné, à l’Assemblée patriotique de Marseille, des preuves d’un honorable attachement», et ils ajoutent: «La ville entière dont nous sommes les organes vous invite aujourd’hui à prendre sa défense. Sa cause est digne de vous, c’est celle du patriotisme luttant contre la calomnie, et de l’honneur repoussant la tâche dont on voudrait le flétrir»[36]. Robespierre répond sur un même ton d’estime réciproque au bénéfice de la patrie:

Magistrat vertueux d’un peuple digne de la liberté, une seule pensée me console et doit vous consoler aussi; votre patriotisme, votre courage, votre vertu sont au-dessus de toutes les calomnies, au-dessus de tous les événements. Vous et moi, nous continuerons à veiller pour la liberté, pour la patrie, à les défendre de tout notre pouvoir dans ce temps de crise où leurs ennemis réunissent contre elles tous leurs efforts. Conservez-moi votre estime, votre amitié, votre confiance, enfin l’honneur de défendre la cause de la patrie en défendant la vôtre.[37]

Il s’ensuit entre Robespierre et les Marseillais une «correspondance des corps ou des individus connus par leur patriotisme»[38]. Cette formulation robespierriste est particulièrement significative dans la mesure où elle associe non seulement «la cause de Marseille» à celle, essentielle pour Robespierre, de la Constitution[39], mais elle trace aussi, si l’on peut dire, une ligne de surveillance en faveur de la patrie au titre du «patriotisme généreux» des Marseillais, qui se manifeste par «un attachement inaltérable aux principes de la Constitution et à la liberté qui vous a mérité la reconnaissance de tous les Français»[40]. Les interventions de Robespierre à l’Assemblée Nationale et aux Jacobins, qualifiées de «productions patriotiques»[41], occupent ainsi une place importante dans le débat patriotique marseillais.

À l’égal des Parisiens, les Marseillais «ne vivent que pour l’honneur et la patrie»[42]. De ce fait, «depuis l’aurore de la Révolution, Marseille s’est emparée du droit de donner de grands exemples»[43]. Sous l’égide de Marat, dans L’Ami du peuple, «les actes de patriotisme des Marseillais» sont mis en valeur par leur «club patriotique»: n’ont-ils pas «commencé la révolution avant même la réunion des députés à Paris en 1789»? «Armés les premiers pour la liberté», ne sont-ils pas les fondateurs de la garde nationale?[44] Ainsi les Marseillais sont avec leurs frères de Paris dans l’union la plus intime, au nom de «l’uniformité de leurs principes» en appui sur la Constitution[45].

Cependant Marseille n’est pas seulement un exemple de patriotisme pour les Parisiens, elle propose aussi son exemple aux autres Communes, dans la lignée de sa tradition civique, qui plus est lorsqu’il s’agit de proclamer que «la patrie est en danger». Des jacobins marseillais, à l’exemple de Jacques Monbrion[46], incarnent alors à Marseille un tel «cri d’éveil» de la patrie, en appui sur des pratiques d’ambulance dans toute la Provence. Mais là encore, l’appel à la nation en 1792 précède la mise en œuvre de nouveaux «travaux patriotiques».

B – Le cri d’éveil de la patrie en danger (1792).

1- L’appel à la nation souveraine: «Les patriotes de tous les pays sont marseillais».

En cette nouvelle année, l’exemplarité des patriotes de Marseille ne se limite pas à la présence décisive du bataillon des volontaires marseillais à Paris au moment de la chute de la royauté, le 10 août 1792. Les premiers mois de l’année sont déjà témoins de leur action exemplaire pour unir « es patriotes du département», et ainsi «épargner le sang des patriotes»[47]. Au départ, une correspondance de la société des amis de la Constitution de Marseille à celle de Paris[48] indique que «le département offre un composé de quelques patriotes modérés, d’amis apparents de la révolution et d’ennemis déclarés», par contraste avec le district et surtout la municipalité de Marseille composés de patriotes. À ce titre, «le patriotisme domine à Marseill », ne serait-ce qu’au regard de la réaction hostile de l’opinion publique à la réparation de «la Bastille de Marseille», en l’occurrence le Fort Saint-Nicolas mis à bas en 1790. Dans ce contexte, les patriotes marseillais ne compte plus que sur eux-mêmes pour contrecarrer « la coalition criminelle » entre plusieurs villes du département.

Le 26 février, une troupe de huit cent garde nationaux marseillais entre dans Aix, et oblige la Municipalité à désarmer et renvoyer le régiment suisse d’Ernest qui occupait les positions stratégiques. Mais la grande affaire est celle d’Arles. Dans une lettre de Barbaroux, qui fut lue le 19 mars à la Société des amis de la Constitution de Marseille, le civisme des Marseillais est de nouveau mis à contribution par la formule à forte résonance civique, «les patriotes de tous les pays sont marseillais»[49]. C’est alors dans un climat d’«excès de patriotisme»[50] que se prépare la seconde expédition, celle sur Arles. À l’inquiétude manifestée par la Municipalité d’Avignon, La Municipalité de Marseille atteste, dans sa réponse, «de l’union patriotique qui règne parmi nous, de l’amour invincible de l’ordre et de la liberté qui nous enflamme»[51]. Soucieuse de ne pas augmenter le nombre des ennemis de Marseille, elle fait alors appel, dans une lettre écrite au directoire du département du Gard, à «la nation souveraine», tout en soulignant que «les Marseillais savent servir la patrie, ils en sont les plus fermes soutiens; mais, aussi prudents qu’intrépides, ils ne livreront jamais à des démarches inconsidérées, faibles et infructueuses»[52].

Le ministre Narbonne use de toute son influence pour empêcher le départ de «l’armée patriote»[53]. La réaction des Jacobins est vive. Le 5 mars, Barbaroux intervient à la séance du club des Jacobins de Paris pour préciser que «les Marseillais sont en marche». Et il  ajoute: «On dira que les Marseillais ont violé la loi, et moi, je dis qu’ils ont sauvé le peuple». Robespierre, associant de nouveau la cause des Marseillais à celle de la Constitution, intervient avec vigueur pour leur défense «Vous apercevez des patriotes éclairés qui violent les lois  pour sauver le peuple et la constitution et la loi […] Je déclare l’insurrection partielle, à laquelle le peuple généreux de Marseille a été forcé.»[54]. Quant à Marat, il précise:

Grâce à l’énergie des patriotes de Marseille, la cause de la liberté triomphe dans tous les départements du sud de la France […] Ils ont armé tous les citoyens amis de la patrie et ils ont arboré dans toutes les places publiques l’étendard de la liberté. [55]

Marseille, qui a «une grande réputation de patriotisme à maintenir»[56],  se doit donc de défendre ces citoyens contre certains arlésiens qui les qualifient de « soi-disant patriotes», voire de «sans-culottes», donc d’«inculottés »[57]. Arles est alors investi sans violence. Un grenadier relate en effet l’arrivée de l’armée marseillaise, le 29 mars, à Arles selon un scénario attesté dans le même temps au cours des «missions civiques» des «missionnaires patriotes»: «Quand les patriotes arlésiens apprirent notre marche de Tarascon, hommes, femmes et enfants sont venus à notre rencontre et nous bénissent les larmes aux yeux. Ce spectacle attendrissant animait notre courage […] Les cris de Vive les Marseillais! se faisaient entendre de toutes parts, et jusqu’aux imbécillocrates étaient contents.»[58]. Cependant la cour et les ministres – en l’occurrence le pouvoir exécutif royal – se déchaîne contre «l’invasion» d’Arles par les Marseillais. C’est pourquoi Monbrion, dès son Adresse au peuple du 14 février 1792[59], dénonçait déjà les «agents de l’exécutif» qui perpétuent la tyrannie de l’ancien régime en cherchant à étouffer chez l’homme libre «le cri du sentiment et de la vérité», d’autant plus que ces «ennemis de la patrie […] affectent dans des discours sophistiques le langage du patriotisme pour ne pas perdre la confiance du peuple», tout en s’attaquant aux «patriotes zélés».

Ce jacobin marseillais s’adresse alors aux patriotes, et tout particulièrement aux Parisiens qu’il interpelle «au nom de la Nation toute entière». Il préconise de renforcer l’influence des Sociétés des amis de la Constitution dans la mesure où «c’est dans leur sein  que le citoyen s’éclaire et que son patriotisme acquiert des forces» par le fait tout particulièrement d’une «correspondance active». Ainsi, par «le moyen des sociétés patriotiques», l’unité des patriotes fait obstacle à la tyrannie du pouvoir exécutif royal. Qui plus est, chaque membre dispose de «l’œil de lynx patriotique» qui lui permet d’évaluer la conduite de l’homme public. Enfin l’homme libre retrouve «le sentiment de sa force et de dignité» et peut ainsi «exciter dans son cœur l’amour de la patrie et l’enthousiasme de la liberté: deux passions sans lesquelles il n’y a point de grands caractères, et par conséquent, point de grandes actions» au sein de «la Nation elle-même».

Plus que jamais l’appel à la Nation légitime l’expression, aussi exaltée soit-elle, du sentiment patriotique[60]. C’est alors aux Législateurs que les Marseillais s’adressent pour «donner à la Nation de grands exemples».

2- «C’est la patrie qui parle».

Alors que Jean-Baptiste Loys, envoyé par la société de Marseille auprès des Jacobins de Paris, souligne que «Marseille (est) toujours semblable à elle-même»[61], la demande des Marseillais («nous vous demandons»), « au nom de la patrie», donc «au nom de la liberté», se fait de plus en plus pressante dès février 1792[62], au point d’aboutir, d’une adresse à l’autre[63], à l’injonction  «Législateurs représentants… au nom de la patrie la guerre!»[64]. Là encore l’union entre Parisiens et Marseillais est la condition nécessaire du maintien d’un tel «feu sacré de la liberté»: ainsi «Patriotes parisiens et marseillais formeront une phalange inexpugnable d’hommes libres»[65].

S’adressant enfin au Maire de Paris, les Marseillais peuvent alors répercuter leur cri patriotique dans toute la France:

Dans cette ville immense, le murmure de l’orgueil féodal, le langage hypocrite du fanatisme se font entendre à côté de la voix sainte du patriotisme. Maire de Paris, votre génie patriotique ne sera jamais en défaut; mais les moyens peuvent vous manquer en temps de crise […] Les Marseillais jetteront un cri d’éveil au quatre vingt-trois départements, pour former une fédération nationale destinée au secours de Paris et de la frontière. Sans doute que ce cri patriotique sera entendu et répété dans tout l’empire, parce qu’il existe encore des millions d’hommes libres pour le désespoir des tyrans.[66]

Désormais  le patriotisme qui «domine seul à Marseille»[67] et donc multiplie «les cœurs patriotes»[68], peut s’exprimer librement devant les législateurs: «Représentants, le patriotisme français forme un vœu, celui de secourir la patrie»[69]. Marseille apporte alors une contribution majeure et bien connue à ce «mouvement sublime» du patriotisme français, et annoncée dans les termes suivants par la Municipalité:

  • «La liberté est en danger, elle sera anéantie si la nation entière ne se levait pour la défendre. Les Marseillais ont juré de vivre libre […] Cinq cent d’entre eux, bien pourvus de patriotisme, de force, de courage, d’armes ; bagages et munitions, partiront dimanche ou lundi pour la capitale […] Que les modérés se cachent ; il n’est plus temps d’écouter leur langage : c’est la patrie qui parle seule ; elle vous demande la liberté ou la mort.»[70]
  • «Cinq cent Marseillais sont partis pour la capitale lundy dernier 2 de ce mois à 6 heures du soir. Ce bataillon vole au secours de la patrie menacée par les intrigues intérieures et extérieures ; il se présentera au digne Maire de Paris ; le patriotisme et l’amour de la patrie l’anime : ce sont les titres qu’il peut produire pour mériter de M. Pethion la protection qui lui est nécessaire.»[71]

Le 1er août à la Société des Jacobins de Paris, l’assemblée met l’accent sur «la joie répandue dans cette ville par l’arrivée si désirée des braves Marseillais accourus de leur climat brûlant pour réchauffer par leur exemple le feu sacré du patriotisme»[72] et décide d’envoyer une délégation aux «généreux marseillais qui ont déployé depuis la révolution ce fier caractère qui mérita à leurs pères l’admiration du premier peuple du monde»[73]. C’est ainsi que «le nom de Marseillais», véritable patrimoine de la patrie française, participe pleinement à ce temps de préparation de la révolution du 10 août 1792:

– «Le moment fatal est arrivé, le destin de la France va être fixé. Français, entendez tous la voix de la patrie, elle prescrit à chacun ses devoirs, que chacun les remplisse, et le triomphe de la bonne cause est assuré […] Patriotes de tout l’Empire, hâtez-vous de concourir au succès de la guerre; offrez vos bras ou vos dons… Noble enthousiasme de la liberté, saint amour de l’égalité, embrasez le cœur de tous les Français, donnez leur un courage inflexible, une fermeté inébranlable.»[74]

– «Nos représentants viennent de déclarer que la Patrie est en danger. Ce seul cri rappelle les mémorables exemples que la République Romaine a donnés au monde dans le cours de sa glorieuse existence […] Au moment du danger, ce seul mot: la Patrie est en péril réveillait les fiers soutiens de la République, et se dépouillant de la toge, les Sénateurs revêtaient l’armure des combats […] Citoyens, Levez-vous tous, prenez une attitude imposant ; que votre énergie se développe toute entière et qu’au premier signal, l’ennemi vous voie devant lui et tremble.»[75]

Cependant, le rappel que «les hommes de l’ancien régime habitaient des cités, mais [qu’] ils n’avaient pas point de patrie»[76] nous renvoie une nouvelle fois, au cours de la crise de l’été 1792, au rôle instituant de la nation, présentement à travers la déchéance de « nom de Louis XVI » et  sous la pression du «nom de Marseille». Nous parcourons ainsi de nouveau le trajet souverain de la nation à la patrie en danger :

– «Exerçant les droits que lui donne sa souveraineté, la nation se délivre du roi par la manifestation éclatante de la volonté nationale. Le nom de Louis XVI ne nous rappelle plus que des idées de trahison.»[77]

– «Les lâches partisans des Bourbons ont insulté nos frères, nos amis les fédérés marseillais, qui sont à Paris pour vous défendre ; s’ils succombent sous les coups des tyrans, non seulement tous les Marseillais accourront pour les venger, mais le tocsin patriotique sonnera partout, et un armée innombrable de citoyens s’unira à eux pour la cause de la liberté, et malheur à ceux qui ne seront pas patriotes! […] La patrie est en danger ; vous êtes les mandataires du peuple ; il se hâte de vous indiquer les seuls moyens qui peuvent le sauver; si vous hésitez de frapper le traître […] bientôt il l’ordonnera.»[78]

«L’énergie des patriotes de Marseille», maintes fois évoquée dans la presse parisienne, et tout particulièrement dans L’Ami du Peuple de Marat, a donc non seulement contribué «au triomphe de la cause de la liberté dans tous les départements du sud de la France »[79], mais elle a permis de répondre, par le fait de l’unité victorieuse entre les «braves marseillais» et les «sans-culottes» parisiens, à l’appel du peuple en direction des législateurs: «Sauvez la patrie puisque vous avez déclaré qu’elle est en danger, si non nous la sauverons nous-même, foutre»[80]. L’Assemblée législative s’en remet alors à «l’autorité souveraine de la nation» en annonçant la suspension du pouvoir exécutif (royal) et la réunion prochaine d’une Convention nationale[81].

 3- Les travaux patriotiques: sociétés patriotiques et missionnaires patriotes

Dans le contexte de «la patrie en danger», le débat sur l’utilité des sociétés patriotiques est plus que jamais à l’ordre du jour. Convoquées par «une ingénieuse et profonde politique», elles sont «la tribune du défenseur des droits de l’humanité, la sentinelle des autorités, l’école de la doctrine et des mœurs». En leur sein, s’exprime «le besoin d’une fraternité intime, d’une communication de lumières et de secours pour maintenir la paix et la liberté» [82]. De fait, une telle perspective communicationnelle introduit fortement, nous l’avons vu avec Robespierre et d’autres, le fait du patriotisme jusqu’à son extension dans une multiplicité de «travaux patriotiques».

De tels travaux se manifestent d’abord au sein même d’une «l’assemblée patriotique» de Marseille qui tend à devenir de plus en plus la tribune du «parti patriotique lui-même» à l’encontre des «factieux et brigands de tous les partis»[83]. L’exemple le plus classique est celui des «offrandes civiques à la patrie»[84].  Ainsi en est-il à la séance de la société du 18 avril 1792 où l’orateur, qui fait appel à souscription au profit du «pauvre peuple», trouve un répondant immédiat dans le don d’une Marseillaise présente dans les tribunes. Il souligne en réponse à cet «acte de générosité» la portée patriotique d’un tel don dans les termes suivants :

Vous tous citoyens et citoyènes [sic], qui venez de manifester avec tant d’éclat votre amour pour la patrie, et votre empressement à voler au-devant des besoins du pauvre peuple, daignez agréer l’expression de la plus vive reconnaissance! Que vos noms, que vos actions généreuses publiés dans toute la cité, vous attirent les bénédictions de ce peuple que vous chérissez, et fassent naître dans le cœur de ceux qui ne sont par sourds à la voix de la patrie, le désir d’imiter votre glorieux exemple. Et vous qui calomniez les assemblées patriotiques, lisez et jugez… [85]

Mais c’est aussi et surtout par la multiplication des «missions civiques» dans un nombre grandissant d’«assemblées patriotiques» de toute la Provence  que se recompose, à l’initiative des «missionnaires patriotes» marseillais, l’unité des «excellents patriotes» à l’encontre des divisions entre partis.

Nous avons reconstitué ailleurs le déroulement des deux plus importantes de ces missions, celles de Jacques Monbrion dans la région d’Apt en mars 1792 puis de François Isoard dans les Basses-Alpes en mai de la même année[86]. Nous nous en tiendrons ici à la reprise de la première «mission patriotique» dans la mesure où elle diffuse largement «la voix de la patrie» avant que ne consolide, avec la «mission civique» dirigée par Isoard, un nouvel espace républicain sous l’argument de constitution.

Tout commence par l’appel de patriotes de la société des amis d’Apt qui dénoncent «les ennemis que la patrie recèle en son sein» et ses conséquences: «Les patriotes sont vexés, injuriés, menacés, des placards se renouvellent journellement. Les patriotes y sont dévoués à la mort. À Apt, les enfants crient dans la rue. Vive les aristocrates, les patriotes à la lanterne!»[87]. À vrai dire, en réaction à ses provocations, les habitants multiplient «troupes citoyennes», «promenade civique» ou «expédition patriotique» – expressions en partie équivalentes – au point que «les patriotes se montrent et sa mauvaise conscience fait tomber les bras aux aristocrates».

De ce fait, lorsque Monbrion fait le bilan de sa «mission patriotique» devant la société de Marseille[88], il relate simplement, en appui sur ces manifestations «spontanées», «l’impression que le nom de citoyen porte partout» au point que les aristocrates le détestent, et les patriotes le chérissent. Dans ce contexte, il se limite à multiplier «les exhortations patriotiques» qui «rapprochent tous les patriotes que de faux rapports avaient divisés», consolidant ainsi « le patriotisme mal assuré de ces citoyens». Cependant Monbrion est beaucoup plus précis dans le long Rapport, rédigé de concert avec son collègue Bousquet et imprimé par la Société, sur « le poids des travaux patriotiques » accomplis en l’espace d’une dizaine de jours[89].

Le discours est au centre de l’activité ambulante[90] du «missionnaire patriote», ou tout du moins de l’espace de communication instauré par une telle ambulance. Réitérant le mot d’ordre «De l’union fait la force », Monbrion met alors l’accent sur le rôle des Marseillais dans la diffusion du cri patriotique[91]:

«Les Marseillais vous offrent leur cœur et leur protection, si vous faites à la Patrie le sacrifice de vos animosités particulières, leur mépris et leur abandon, si vos cœurs sont endurcis jusqu’au point de ne pas écouter la voix de la Patrie qui se fait entendre par leurs bouches… Optez!»

[La réponse de ses interlocuteurs amplifie cette « voix de la patrie »]

«Les cœurs étaient émus, un cri général et terrible se fait entendre…C’est l’humanité qui remporte la victoire! […] La Patrie !… La Patrie  s’écrie avec force un citoyen, ne doit faire de nous tous que des frères […] N’avons nous pas les mêmes intérêts, les mêmes droits à défendre ? Ceux que cette Liberté nous assure et que les ennemis de la Patrie voudraient nous arracher.»

Quant aux femmes, elles réagissent dans les mêmes termes au spectacle des travaux patriotiques des commissaires marseillais: «Partout où nous passions, il était bien consolant de voir les femmes qui étaient à la veille de se voir privées d’un époux, d’un fils nous regardant, les larmes aux yeux, et s’écrier, Oh! les braves patriotes!». À cette occasion, les commissaires «rendent hommage au patriotisme des aimables citoyennes» par un discours sur leur  «sensibilité précieuse», tout en favorisant la création d’une «société de dames»[92].

D’une action patriotique à l’autre se dégage ainsi une interrogation sur «Qui est le patriote… l’homme juste!» à l’encontre de «l’homme vicieux et inhumain que la passion de dominer tourmente», en particulier «le législateur traître à la patrie» qu’il convient de démasquer[93].

De retour à Marseille, les «missionnaires patriotes» prennent enfin l’initiative de diffuser un journal, le Manuel du Laboureur et de l’Artisan, ou Gazette sentinelle, rédigé majoritairement en français, mais pour une part significative en provençal, par exemple sous la forme d’une «chanson patriotique»[94]. Ainsi est attesté le lien entre les termes de patriotes/ patriotos, patriotisme/patrioutismé, étant bien connu que les jacobins ambulants n’hésitent pas, le cas échéant, à prononcer des discours en provençal[95].

Nous avons décrit ici le parcours ambulant des jacobins marseillais sous l’argument de «la patrie en danger». Mais pour mieux en saisir la signification majeure, sous l’énoncé «c’est la patrie qui parle», il convient d’en marquer l’insertion plus générale dans «une faculté de dire le droit», d’un acte de faire parler le droit qui confère à tout citoyen une capacité active de jugement, de délibération et d’émotion, et sa traduction ultérieure dans un second argument, la souveraineté du peuple[96].

À ce titre, l’émergence nationale de l’énoncé «la patrie en danger» au sein des adresses envoyés à l’Assemblée Nationale, et tout particulièrement dans les sociétés populaires de sud-est de la France, dès le mois de mai 1792, ne peut se limiter à «une transaction spécifique entre les patriotes et les législateurs», nous introduisant à un «cri du peuple» appréhendable dans une forme spécifique d’éloquence souveraine, comme l’affirme Sophie Wahnich à partir de l’étude du seul espace interlocutif de l’Assemblée nationale[97]. À vrai dire, il convient d’apprécier plus avant la formation d’un nouvel horizon d’attente au lendemain de la chute de la royauté, le 10 août 1792, qui se précise, sous l’argument de souveraineté du peuple, dans une série d’expérimentations inédites, au nom du «cri général de la patrie».

Concluons donc provisoirement que nous ne pouvons trouver une réelle «mise en sublime», voire une «esthétique politique» de la parole populaire tant que l’expérimentation de «la langue du peuple» n’intervient pas dans une série d’événements où se déploie, de l’automne 1792 à l’automne 1793, l’acte de souveraineté dans sa dissémination même, condition nécessaire à l’élaboration d’un projet national. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne «le mouvement sublime» du patriotisme.

III- L’expérience des fédéralismes (1793): « Le  cri général de la patrie». 

En janvier 1793, la municipalité de Marseille s’adresse aux Marseillais dans le but de confondre les scélérats qui prennent «le masque du patriotisme» au risque d’introduire de «l’anarchie». À ce titre, elle redéfinit à l’encontre «des clameurs insensées, des déclamations hypocrites et exagérées» de ceux qui «foulent au pied les droits sacrés de l’homme», ce qu’il en est du patriote:

Le vrai patriote est celui qui, modeste dans sa conduite, prudent et retenu dans ses discours, attend tranquillement de ses concitoyens la justice qu’il mérite. Dévoué à sa Patrie, soumis aux Lois et respectueux envers leurs Ministres, il est toujours prêt à se sacrifier pour les faire triompher. Il respecte les opinions, parce que leur manifestation est le droit le plus précieux de l’homme. Il les combat avec franchise, mais sans aigreur, sans passion, lorsqu’il les croit erronées ou nuisibles à la société.

Elle termine alors son plaidoyer par un vibrant appel à l’union des patriotes:

Au Nom de la patrie, au Nom sacré de la liberté, abjurez de funestes dissensions, renoncez à tout esprit de parti; que celui de la République une et indivisible soit le seul que tous les Français embrassent désormais; que Marseille, si fameuse dans les fastes de la révolution, ne présente pas à nos Frères des autres Départements le spectacle affligeant d’une ville en proie aux divisions. [98]

Que s’est-il passé, dès l’automne 1792, pour que le consensus entre les patriotes se soit fissuré? Qu’en est-il de telles divisions ?

A – La division des patriotes: «C’est encore quatre vingt douze qui a voulu attaquer quatre vingt neuf» (Isoard).

Dès la réunion des assemblés primaires dans l’exercice de leur « droit de souveraineté » en prévision des élections à la Convention nationale, puis de l’assemblée électorale du département, les citoyens électeurs pressentis à la députation des Bouches-du-Rhône font valoir leur patriotisme au nom du peuple souverain. Ainsi Barbaroux précise qu’«il faut que tout se rapporte au peuple, comme tout vient au peuple; il faut que sa souveraineté reste sans cesse active»[99]. À ce titre, les députés élus magnifient les vertus républicaines de Marseille, et  de leurs frères d’armes du bataillon marseillais:

– «Le département des Bouches-du-Rhône, ce département que la ville de Marseille a rendu si célèbre et si cher à la nation, m’a compris dans le nombre de ses députés à la convention nationale, c’est un choix qui m’impose de grands devoirs […] Qui, dans ce moment, peut, sans crime, être sans amour, sans zèle pour la patrie!» (Toussaint Durand)

– «J’accepte la place à laquelle vous m’avez élevé. Si elle est au-dessus de mes talents, elle ne sera jamais au-dessus de mon patriotisme et de mon courage […] Que nos cœurs reconnaissants n’oublient jamais les services que ces hommes généreux ont rendus à la patrie.» (Pierre Baille).

Cependant un clivage prend rapidement forme, au sein des patriotes républicains, autour des modalités concrètes de mise en acte d’une telle souveraineté du peuple, devenue active par le fait de la permanence des sections. Pour les uns, l’exercice de la souveraineté passe exclusivement par l’activité délibérative au sein des assemblées, et tout particulièrement dans les sections. Partisans d’une légitimité délibérative issue de la révolution du 10 août, ces patriotes «minimalistes»  sont qualifiés par leurs adversaires de «patriotes du 10 août», avec une forte connotation de modérantisme.

Ainsi, au lendemain de la chute de la royauté, un Avis aux citoyens amis de la liberté, signé du président de la Société des Amis de la Constitution[100] met en garde contre «les Patriotes nouveaux et de circonstances», alors qu’une autre affiche[101] également placardée dans les rues de Marseille, émanant des électeurs, dénonce «les paroles de modération» des «patriotes du 10 août». Il s’agit désormais de ne plus faire confiance qu’à «ces hommes qui depuis quatre ans n’ont jamais dévié des vrais principes» qui sont désignés par des commissaires de Marseille, qualifiés par ailleurs d’«apôtres du patriotisme»[102], en mission dans la Provence dans les termes suivants: «Il est temps que les vrais patriotes de quatre vingt neuf soient respectés»[103].

L’affrontement entre «patriotes du 10 août» et «patriotes de quatre vingt neuf» demeure à l’ordre du jour tout au long des derniers mois de 1792, et au-delà des affaires spectaculaires évoquées ci-après, comme en témoigne les propos suivants d’Isoard en mission dans le district d’Apt:

La société de Marseille nous avait ordonné de nous rendre à Grambois pour réhabiliter les patriotes exclus. Notre apparition, au lien d’intimider les malveillants, les a portés à un coup de désespoir. Ils ont mis quelques enfants armés aux trousses des patriotes, et sans notre fermeté les plus grands malheurs seraient arrivés. C’est encore quatre vingt douze qui a voulu attaquer quatre vingt neuf. [104]

De fait, les «patriotes de quatre vingt neuf», qui s’autodésignent comme tels[105], prennent plus ostensiblement appui sur les sociétés populaires, sans négliger pour autant l’activité sectionnaire, au titre de l’expression d’une identité d’un peuple souverain qui inscrit son activité à l’horizon des droits, y compris les droits sociaux[106].

De fait, c’est sur le terrain des affrontements entre modérés et radicaux, et tout particulièrement dans les affaires d’Eyguières et de Salon qui divisent le département à l’automne 1792, et pendant l’hiver 1792-1793[107], que cette opposition prend un tour de plus en plus spectaculaire. Les plus modérés s’en prennent à l’habileté de ceux qui cherchent à «se déguiser sous le manteau du patriotisme», à se cacher «sous le masque hypocrite d’un patriotisme ardent» au point  de caractériser «la mission civique» des commissaires du département à  Eyguières et ses environs, en septembre 1792 sous l’égide de la commission électorale, de «course de brigands», de véritable «signal de guerre civile» entre patriotes qui se termine de fait par un affrontement armé et des morts de part et d’autre[108].

Une telle rupture du consensus autour des «missions patriotiques» suscite une radicalisation du discours adverse des Jacobins qui n’hésitent plus à énoncer que «les intérêts de la patrie exige de réprimer les tentatives de ses ennemis» contre les «patriotes exclus», sous l’argument réitéré de «la patrie en danger». À l’exemple de leur attitude vis-à-vis des «gens du parti» de la municipalité de Berre qui tentent, en novembre 1792, de rassembler des patriotes d’autres communes proches pour «s’opposer aux patriotes», c’est-à-dire aux «bons patriotes de Berre». Selon le rapport des commissaires marseillais[109], de grands moyens sont alors  mis en place:

Quarante-trois commissaires sont descendus en trois différentes fois à Berre et dans l’espace de cinq mois, tous ont distingué les patriotes d’avec les auteurs des troubles, tous ont vu les mêmes coupables […] La Révolution est actuellement opérée à Berre.

Et le conseil général de la Commune, réélu sous la pression des commissaires, de rendre «un témoignage éclatant à l’intelligence et au discernement des commissaires qui ont su débrouiller les intrigues et démasquer leurs auteurs qui, à la faveur des lois, des charges qu’ils avaient usurpées et du masque du patriotisme qu’ils avaient pris, molestaient impunément depuis près de dix ans le peuple et le tenaient dans le plus dur esclavage».

S’agit-il simplement d’un malentendu entre patriotes? Ne convient-il pas de supprimer ce qui est «un sujet de division pour les véritables patriotes, surtout dans un moment où ils doivent tourner leur force contre les ennemis communs de la patrie»[110]? Ne convient-il pas également, à l’encontre des commissaires marseillais qui s’exclame, au nom de la patrie en danger, qu’«il est temps de frapper de grands coups», de maintenir tous les citoyens unis en professant «les sentiments les plus purs du patriotisme» [111]?

À vrai dire, l’action républicaine au nom de la patrie s’expérimente désormais de manière à introduire une certaine distance sur le terrain même de  l’espace interlocutif national, certes toujours avec un même support, les adresses à la Convention Nationale. Ainsi, les événements à Marseille en 1793 sont rythmés par des expériences fédéralistes de tous bords, sans mise en cause du principe de l’unité et l’indivisibilité de la République.

B- Le «cri général» de «Marseille la républicaine».

D’une adresse à l’autre des jacobins marseillais, Marseille, «foyer de l’opinion publique dans le midi qu’elle a sauvé de son civisme», fait entendre «un langage d’opinion» qui n’est autre que «le conseil d’une politique révolutionnaire». À ce titre, elle est aux avants postes d’«un cri général» qui «s’élève à la fois dans toute la République» contre l’appel au peuple et ceux qui le soutiennent, «les conventionnels du parti Roland» dans la mesure où cet appel tend à «perdre le centre de notre souveraineté», par le «déchirement de notre unité et indivisibilité»[112].

Cependant, les jacobins marseillais – composés socialement en majorité d’artisans de l’échoppe et de la boutique et aussi de professions libérales parmi les dirigeants – prennent, en la matière, des initiatives plus avancées. Au titre de leur lutte contre les «perfides mandataires» de la Convention Nationale qui ce cachent «sous le masque du bien public» – équivalent du «masque du patriotisme» – ils s’identifient d’abord à la Montagne de la Convention sous la traduction suivante de leur «langage d’opinion»: «C’est ainsi que pense la sainte Montagne de Marseille». Puis, se considérant, à travers «la société républicaine de Marseille», comme «l’organe fidèle des patriotes français», ils réclament, le 17 mars, au nom du «droit partiel de souveraineté» détenue par «la Cité de Marseille», la mise en accusation des «appelants au peuple» comme «traîtres à la nation». Ils en viennent à écrire à la Convention: «Nous ne reconnaissons de convention nationale que cette Montagne tutélaire qui doit, avec nous, sauver la patrie» [113]. La réaction de la Convention, et surtout de Barère qui demande un décret d’accusation contre les signataires de l’adresse du 17 mars[114], est très hostile: un décret du 21 mars «improuve l’adresse de la société de Marseille […] comme attentatoires à la liberté des opinions, à l’unité de la représentation nationale et tendant à provoquer la guerre civile»[115].

Le retour des Marseillais, encore une fois, à la nation elle-même, c’est-à-dire à sa valeur de fondement ontologique, s’il confère une dimension instituante à leur dynamique souveraine, est donc perçu par les Conventionnels comme partielle, fédéraliste. Robespierre lui-même, plutôt proche des Marseillais, en fait une analyse, au club des Jacobins, qui précise, pour la première fois, les limites de l’ardeur patriotique marseillaise en terme de politique révolutionnaire, après avoir rappelé ces liens privilégiés avec les marseillais[116]:

Jamais la patrie ne fut exposée à un plus grand danger. Jamais l’énergie des bons citoyens ne fut plus nécessaire. Nous avons vu avec satisfaction la courageuse révolution des républicains de Marseille. J’ai dit plusieurs fois que si la liberté était exilée de la terre, elle se réfugierait à Marseille, et que nous trouverions des libérateurs dans les départements méridionaux. Ce que j’ai dit, je le répète aujourd’hui avec joie; mais, citoyens, permettez-moi quelques réflexions.

Les circonstances révolutionnaires sont celles où le génie de la politique révolutionnaire doit régler ses mesures sur la manœuvre des intrigants […] C’est sur cette cité, le siège de la convention, que repose le succès des efforts des patriotes; ce n’est pas une question, si l’énergie des Jacobins répond à celle des Marseillais. Il ne s’agit que de la marche à suivre, et de la politique révolutionnaire, et c’est à vous qu’appartient de fixer cette marche […] Les Marseillais n’ont consulté que l’ardeur de leur patriotisme; il faut observer que dans la manière d’énoncer leurs vœux, il s’est glissé quelques irrégularités […] La précipitation serait funeste à cette société, qui est le plus ferme appui de la liberté. Les départements méridionaux s’expliqueront, alors la marche des patriotes sera sûre.

Vous devez témoigner à la société de Marseille toute votre estime; mais vous ne devez rien faire dans le moment actuel. Il ne faut point déterminer l’exécution des mesures conseillées par eux.

Ainsi, tout en reconnaissant l’héritage exemplaire des Marseillais par un mouvement oratoire qualifié d’«éloge pompeux du patriotisme des Marseillais»[117], Robespierre, compte tenu de l’exclusive du «génie de la politique révolutionnaire» détenu par la Convention Nationale,  récuse leur compétence en matière de politique révolutionnaire et les renvoie insidieusement à leur seule énergie patriotique.

Cependant, entre adresse et lettre, les jacobins marseillais, et Isoard en leur nom,  continuent à affirmer, au titre des «dangers de la patrie» et «au nom de Marseille la républicaine», leur détermination à impulser le mouvement révolutionnaire:

– À toutes les Sociétés populaires, et à toutes les Municipalités de la République, une et indivisible, du 1er avril 1793, Isoard secrétaire :

 Tout nous dit, nous crie que la Patrie succombe, que la liberté périt, et que c’est au Peuple de se sauver lui-même, comme il le fit dans les crises mémorables de notre révolution! […] Aujourd’hui, c’est à nous, frères et amis, qu’il appartient d’imprimer à la France le dernier mouvement révolutionnaire, et de sauver, à notre tour, Paris, qui, tant de fois nous a sauvé tous […] S’il existe une faction, c’est celle qui tend secrètement au fédéralisme, en traitant de fédéralistes les braves Montagnards. Tel est le tableau fidèle de cette faction scélérate! Tel est l’abîme où elle conduit notre malheureuse Patrie! […] Levons-nous!… Profitons de la circonstance unique où des Commissaires patriotes de la Convention parcourent des départements! [118]

–  Lettre de la société de Marseille du 13 avril 1793, Isoard secrétaire, lue dans la société des jacobins du 19 avril[119] :

Marseille, que vous nommez la montagne de la république, n’aurait-elle pas le même droit à votre confiance? […] La patrie demande que Marseille se lève, elle est levée, elle marche vers vous. Elle périra pour défendre l’unité, l’indivisibilité de la République. Ils périront ces ennemis; ils arroseront de leur sang la terre de la liberté, et bientôt vous entendrez dans vos murs les enfants de Marseille entonner ses chants belliqueux. Ils seront, une seconde fois, le signal de la victoire.

Reste que le cri général de Marseille, qui se veut «Montagne de la république» auprès de la Montagne de la Convention, tend à se perdre sous l’effet de «la ruse et l’hypocrisie d’une caste ennemie couverte du manteau du patriotisme» qui  s’insinue dans les sections en permanence par des «discours empoissonnés» en vue de «la chute des patriotes», donc d’«un bouleversement général»[120]. Chassés, persécutés par les sectionnaires fédéralistes, les jacobins de Marseille, se retrouvent alors pour certains d’entre eux, et avec toujours Isoard comme porte-parole, au sein d’une Société des Patriotes du Midi réfugiés à Paris.

C- La «voix de la patrie»: résister à l’oppression.

À l’égal des patriotes radicaux, les républicains modérés, qui ont pris le devant de la scène à Marseille en mai 1793 à l’aide des sections souveraines, font appel au pouvoir instituant de la nation, mais au nom d’ «un état légal de résistance à l’oppression» à l’encontre de «la faction dominatrice à Paris»:

Dans cet état de crise et d’agitation, une voix se fait entendre du centre et des extrémités de la République. Elle proclame que la Nation est debout pour vaincre ou pour s’ensevelir. Elle est debout: marchons vous dit Marseille qui sans doute a des grands droits à votre confiance, et au maintien de cette révolution dont elle donna l’exemple. Voici le dernier usage qu’elle veut faire du courage de la parole, pour manifester ses grandes résolutions, ses mesures décisives.[121]

Là où, certes dans une référence commune au principe intangible de la nation, les fédéralistes jacobins revendiquaient «un droit partiel de souveraineté», les fédéralistes sectionnaires associe au «droit de résistance à l’oppression», «une souveraineté relative, et pour ainsi dire de localité» qu’ils identifient à l’action des «sections souveraines de Marseille» au sein d’un «gouvernement républicain»[122]. Ainsi, dans l’esprit des sectionnaires, qu’ils s’adressent à l’ensemble des citoyens français et ou plus localement à ceux  de  Toulon[123], une fois que «le peuple s’est levé en masse»,  «le salut de la patrie repose sur les sections»: c’est elle qui exerce «la surveillance que nécessite la patrie en danger»[124].  «Marseille est heureuse :« on y prêche l’amour de la Patrie et de la liberté». Mais encore faut-il entendre sa voix: «Français! entendez-vous ce cri que vous répète le génie tutélaire de la patrie: AUX ARMES! Sauvez la République, sauvez la Convention, sauvez tous les bons Citoyens…» [125]. Il ne reste plus qu’à convaincre les soldats français de la défendre: «aidez-nous à sauver la Patrie notre mère commune» précise un adresse Aux armées de la République française, du 3 juillet 1793[126].

D’une section à l’autre[127], où se mobilisent une part grandissante des citoyens dès l’automne 1792 au profit des bourgeois, et plus particulièrement des représentants du commerce, un même cri s’amplifie à l’exemple de la section 4: «Peuple! Ouvre les yeux. La Convention nationale a dit: la Patrie est en danger. Français, levez-vous. Tu t’es levé tout entier. Tu as couru à ton poste. Ton poste, c’est l’assemblée de ta section. Ah! que n’y courais-tu plutôt. Jamais la Patrie n’eût été en danger »

Cependant les citoyennes jouent ici un rôle particulier, dans la mesure où elles contribuent de manière décisive à «cultiver» la sensibilité masculine, en particulier l’énergie et l’honneur en partage dans le patriotisme. Elles disposent ainsi d’une capacité propre à donner une signification patriotique aux expressions de la sensibilité, à l’exemple du discours d’une citoyenne à la section 5, le 7 août 1793:

Citoyens, le moment est venu où la République doit se montrer digne de sa Réputation et de sa Gloire. Le moment est venu où son Patriotisme et son Courage doivent imposer silence à ses ennemis […] Élevés par nos soins, nos enfants […] sauront que leur premier devoir est de mourir pour la Patrie, s’ils veulent en mourant emporter le titre de Citoyens […] Que nos époux, nos enfants sachent qu’en combattant pour la patrie, ils satisfont à leur premier devoir […] Mais ils seront repoussés avec dédain, si sourds à la voix de la Patrie, ils s’endorment dans les bras de la mollesse […] Défendre votre patrie, c’est former un rempart à vos femmes et vos filles, nous partagerons vos maux et vos plaisirs, nous partagerons également votre gloire […] Si vous avancez, la Patrie est sauvée et avec elle tout ce que vous avez de plus cher […] En donnant votre sang à la Patrie, songez que c’est le nôtre, car en lui donnant nos fils et nos époux, nous lui donnons plus que nous-mêmes […] Allez combattre et sauvez la patrie […] Sans doute, vous serez victorieux quand vous saurez que, pour prix de votre triomphe, vous trouverez en rentrant dans vos foyers vos filles et vos femmes ne formant qu’un seul groupe sur l’autel de la Patrie. [128]

Au temps de la délibération, qui se concrétise au nom du principe de la nation dans des manifestations de la souveraineté du peuple, succède le temps du combat sur un ton patriotique particulièrement véhément. Il revient de fait aux citoyennes d’exprimer mieux que les citoyens une telle valeur patriotique extrême du lien social qui les unit[129].

De manière plus quotidienne, il s’agit aussi de combattre ceux qui «ont emprunté le langage du patriotisme le plus ardent» et par là même écarté «des citoyens qui pourraient avoir utilement et sans bruit servi la patrie»[130].

Une adresse d’un citoyen de la section 13, et la pétition d’un autre citoyen de cette même section[131] donnent le ton:

 – Adresse du 20 avril: «Craignons tous les chercheurs de place; ils crient de toutes leurs forces au patriotisme ; ils savent qu’ils ont besoin de crier pour se faire remarquer. Ne jugeons pas les hommes sur leurs paroles, mais par leurs actions.»

 – Pétition du 10 mai:  La patrie est en danger, et elle le sera tant que les intrigants cachés sous le voile du patriotisme triompheront […] Réunissons-nous tous patriotes vertueux et déjouons les manœuvres perfides des méchants. N’ont-il pas poussé leur criminelle audace jusqu’à s’honorer du titre d’intrigants ? Nous nous sommes honorés du titre de sans-culottes, disent-ils, nous devons aussi le faire de celui d’intrigants […] Ces monstres ne peuvent confondre l’honorable titre de sans-culotte avec ce méprisable titre d’intrigant.»[132]

Il s’agit bien d’en finir avec les ceux qui s’honorent successivement du titre de sans-culottes, d’intrigants, en enfin de «patriotes de 89» pour mieux diviser les patriotes[133]. Bref, «il est temps de faire tomber ce masque hypocrite et trompeur qui, sous les apparences du patriotisme le plus épuré couvrait la plus profonde scélératesse»[134].

La large diffusion en 1793 du «cri général du patriotisme» sous l’impulsion d’expériences fédéralistes diversifiées aboutit à un résultat particulièrement contrasté. Certes elle confère à Marseille un rôle majeur dans la mise en place d’un républicanisme déployant l’universel de la démocratie au sein des formes les plus locales de la souveraineté du peuple. Mais, dans le même temps, elle se heurte à l’hostilité immédiate des Montagnards de la Convention Nationale qui y voient une manière particulièrement dangereuse de se passer du centre de la volonté nationale qu’ils incarnent. Alors qu’une nouvelle expérience de fédéralisme jacobin s’affirme pendant l’automne 1793 dans un projet d’organisation du pouvoir exécutif révolutionnaire, tendu entre «principes sociaux» et «rapports populaires», c’est le nom même de «Marseille la républicaine» qui est mis en cause, jusque dans son héritage patriotique.

 

IV- Le nom de Marseille est-il fédéraliste?

 A – Résistance à l’oppression et gouvernement révolutionnaire.

Après l’effondrement du mouvement sectionnaire, sous la pression des armées de la République, les jacobins recomposent la société populaire de Marseille, et plus avant réunissent, pendant l’automne 1793, des délégués des sociétés populaires du sud-est dans une Assemblée générale des sociétés populaires des départements méridionaux,  avec Isoard à leur tête.

Dans le compte-rendu des délibérations sur des objets généraux de ce Congrès républicain, un point est souligné en caractères plus gros :

L’assemblée déclare, par acclamation, que dès qu’un Patriote sera opprimé, toutes les sociétés populaires se lèveront en masse pour délivrer leur frère du joug de l’oppression. [135]

Cette insistance toute particulière sur la résistance à l’oppression, même si, par ailleurs, il est précisé que «La Convention nationale est le seul centre d’unité auquel doivent se réunir tous les bons français», est perçue par les représentants en mission au moins comme un écart dangereux qui peut faire contrepoids à l’action au gouvernement, au pire comme «un nouveau plan de fédéralisme qui va succéder à l’ancien» mise en place par «quelques hypocrites» qui «en parlant de patriotisme, de sans-culotterie» avilissent la représentation nationale[136].

Qu’en est-il plus précisément?

Dans les discours prononcés tout au long du Congrès républicain des sociétés populaires de Marseille, l’accent est mis sur la nécessité de «rétablir, avec plus d’activité que jamais, les rapports populaires», donc de «déclarer la guerre à mort à tous les ennemis de la République, de son unité et de son indivisibilité», de «dire des vérités terribles», de «frapper de grands coups» sur «l’autel de la patrie» installé dans «le temple des mœurs et de la vertu»[137]. Un tel accent sur «la religion naturelle» au profit de la patrie se retrouve de manière encore plus amplifiée, plus symbolique dans un discours de Sébastien Lacroix, commissaire du pouvoir exécutif et propagateur, dans le Journal républicain de Marseille dont il est le rédacteur, du «feu sacré du patriotisme» répandu par les Jacobins marseillais[138] :

Républicains, […] Et vous citoyens, que la patrie appelle à l’auguste fonction d’éclairer vos concitoyens, les habitants des campagnes, les pères nourriciers de la République; dites leur qu’il n’existe pas de plus beau temple que celui de la nature! […] L’habitant de la campagne s’accoutumera insensiblement à faire baptiser ses enfants sur l’autel de la patrie par le procureur de la commune, qui vaudrait bien un curé, car au lieu de bonnet carré il aura le bonnet de la liberté, au lieu d’étole une écharpe. Sur les débris de la croix, ce signe patibulaire, il verra avec ravissement s’élever la pique, devenue le sceptre du peuple. Sur les décombres des Vierges de plâtre ou de bois,  et de leurs brillants harnachements, une jeune bergère leur rappellera tous les bienfaits de la nature; les jeunes gens iront avec des guirlandes de fleurs et des épis de bled, jurer fidélité à la république et à l’hymen sur l’autel de la patrie, et l’âge d’or renaîtra bientôt sur la terre. [139]

En proposant le baptême civique en lieu et place du baptême chrétien, les Jacobins marseillais s’inscrivent présentement dans la lignée d’un courant déchristianisateur, proche des Cordeliers parisiens, dont se méfient nombre de Montagnards, et en particulier Robespierre, par son insistance sur «la pureté primitive des principes sociaux» au détriment de toute considération sur l’existence d’un Être suprême. De l’affirmation de la toute puissance des «principes sociaux» dans le domaine des mœurs à la promotion des «rapports populaires» en matière de vertus, c’est toute une chaîne patriotique qui se positionne contre «la chaîne naturicide» instaurée préalablement par la monarchie et l’Église.

Si l’on considère par ailleurs que les Jacobins réunis en Congrès républicain à Marseille proposent un plan d’organisation du pouvoir exécutif sur la base de la réunions générales et périodiques de délégués des sociétés populaires, les Montagnards perçoivent dans cette initiative patriotique une solution alternative à la formation en cours du gouvernement révolutionnaire, et obtiennent en conséquence de la Convention nationale une condamnation d’«assemblées centrales» qui forment, par sa «teinte fédéraliste»,  «une coalition dangereuse» dans la mesure où  «elle donne insensiblement l’habitude de se passer du centre de l’action».

Avec l’instauration du gouvernement révolutionnaire le fait de «communiquer du mouvement et de la vie au gouvernement» (Billaud-Varenne) subsume la «correspondance des corps et des individus connus par leur patriotisme» (Robespierre) dans le projet national mis en place par les Montagnards de la Convention. Mieux encore l’extension du «mouvement du corps politique» jusqu’aux dernières extrémités renforce le «centre de la volonté», et contraint ainsi la chaîne patriotique, soumise aux «oscillations continuelles de tant d’intérêts», à s’inscrire dans l’horizon de «l’harmonie sociale». Ainsi, le gouvernement révolutionnaire devient «le meilleur renfort du patriotisme»: il en termine avec l’habitude de «s’occuper plus de soi-même que de la patrie».[140]

La suite des événements à Marseille est bien connue. Considérant que «le fédéralisme est enraciné dans les cœurs», instaurant ainsi un continuel «mouvement à contre-sens», les représentants en mission enlèvent à Marseille son nom – elle devient Sans-Nom – et mettent la ville en état de siège. Il ne s’agit plus d’entendre les patriotes de Marseille, d’agir de concert avec eux, mais de s’en faire connaître dans le contexte de la mise à l’ordre du jour de la terreur, étroitement associée à la justice révolutionnaire[141]: «Connaissez-nous patriotes, jugez-nous par nos actions» s’exclament ainsi les représentants du peuple Barras et Fréron.

Il en ressort un débat, fort important pour notre propos, entre Moyse Bayle, autre représentant du peuple qui rappelle «tout ce qui lie indissolublement Marseille à la République» d’une part, Barras et Fréron, qui ne voient dans «l’esprit de Marseille» qu’«esprit d’égoïsme,  d’intérêt, de cupidité, de fédéralisme, d’isolement, de domination» d’autre part, sur l’existence ou non à Marseille d’«une classe de patriotes».

B- Existe-t-il à Marseille une «classe de patriotes»?

Moyse Bayle[142] s’interroge d’emblée sur les raisons qui ont conduit ses collègues à consentir « à ce que Marseille, cette commune si chère aux vrais patriotes, perdit son nom». Il se présente alors comme un défenseur de Marseille, dans «ce que cette intéressante commune a fait pour la révolution». Son argumentaire repose principalement sur le rappel des faits exemplaires qui «lient indissolublement Marseille à la République». Nous retrouvons ainsi à grands traits l’historique du républicanisme marseillais que nous venons de parcourir.

C’est d’abord les événements de 1788-1789 qui montre «Marseille, impatiente de secouer le joug de la tyrannie» qui «n’attendit pas qu’on lui donnât l’exemple de l’insurrection». À ce titre, «les Marseillais renversèrent leur barrière; ils s’armèrent et mirent en fuite tous les principaux agents et suppôts du despotisme». Mais c’est l’année 1790 qui s’avère la plus saillante avec la passation des Forts sous «le pouvoir des patriotes». Et Bayle d’ajouter: «Souvenir délicieux, que de choses tu me rappelles!». Désormais il n’y a plus de «bornes à l’énergie des patriotes». L’année 1792 en est la preuve: ce moment où «les Marseillais ont fondé presque toutes les Sociétés populaires du Midi» et «ont parlé au tyran avec une énergie peu commune». Une énergie qui culmine au 10 août 1792 avec les hauts faits des 600 Marseillais à Paris, annonçant ainsi la fin proche d’«un monstre de guillotineuse mémoire» (sic). Même en 1793, face à l’adversité produite par la révolte fédéraliste, « ce sont les patriotes restés fidèles à la cause de toute la France», et tout particulièrement ceux de la onzième section, qui résistent aux sections modérés. Ainsi «le sang des patriotes a été répandu», «preuve que la masse de peuple de Marseille a toujours été de bonne foi au milieu même de la contre-révolution».

Enfin Moyse Bayle s’insurge contre la comparaison entre «le patriotisme de Marseille» et celui des villes fédéralistes, dans la mesure où «ce n’est pas dans les murs de Marseille que le fédéralisme a pris naissance».

IL faut donc prendre en compte «le patrimoine que les fondateurs de Marseille laissèrent à ses habitants»:

Je vais à présent terminer cette longue lettre par quelques faits historiques, qui prouveront que Marseille moderne a dû ressembler à Marseille ancienne; car l’énergie soutenue d’un peuple ne peut avoir d’autre cause que celle de l’histoire d’une tradition constante qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours.

Une telle tradition civique — dont nous avons décrit ailleurs les principales caractéristiques jusque dans les faits les plus contemporains[143] — constitue, par sa vivacité, sa puissance, son caractère inébranlable, la preuve ultime du républicanisme de Marseille.

Face à un argumentaire aussi serré, Barras et Fréron prennent d’abord appui, dans leurs réponses successives à Bayle, sur un fait majeur, l’existence, avec le Congrès républicain des sociétés populaires, «d’une association qui tendait au fédéralisme»[144]. S’y ajoutent les malversations supposées de la Commune de Marseille, alors qu’Isoard en est le Procureur, permettant de dénoncer «les patriotes meneurs» comme des «patriotes d’argent» qui «sous le masque du patriotisme» s’efforçaient de «commettre impunément mille actes arbitraires». Dans ces conditions «la patrie courait les plus imminents dangers»: il fallait donc déclarer la ville en état de siège.

Pourquoi alors lui enlever son nom, précisent nos représentants en mission dans une autre correspondance, acte qu’«on nous reproche si amèrement»[145]? Tout leur argumentaire tient ici à la manière dont ils présentent «l’esprit de Marseille». Selon eux, les Marseillais se considèrent comme «un peuple à part», ce qui alimente «une opinion fédéraliste» présentée dans les termes suivants:

Tous les jours, les meilleurs patriotes d’ici, lorsque nous leur prêchons l’obéissance aux lois de la République, nous reprochent à la Convention de ne pas connaître les localités. Ils voudraient des lois pour eux seuls; ils ne voient que Marseille ; Marseille est leur patrie. La France n’est rien.

Barras et Fréron effacent ainsi, d’un seul trait de plume, toute l’histoire de Marseille républicaine, de sa dynamique patriotique, par un habile retour à une opinion que nous avons vu s’exprimer au tout début de notre parcours historique, c’est-à-dire avant l’avènement instituant de la nation[146]. À ce titre, ils suggèrent fortement que Marseille a renié le principe de la nation.  Conscients de l’audace de leur point de vue, ils cherchent même à le fonder sociologiquement si l’on peut dire. A Bayle qui affirme que «la masse du peuple de Marseille a toujours été de bonne foi» – énoncé traduit par l’expression «la masse à Marseille est patriote» –  et qu’en conséquence Barras et Fréron ont tendance à «envelopper dans la même proscription le patriote avec l’aristocrate»,  nos deux représentants rétorquent:

Pourquoi se dissimuler que la  classe la moins riche de cette commune regrette l’ancien régime; que les portefaix, les marins, les ouvriers du port, sont aussi aristocrates, aussi égoïstes que les négociants, les marchands, les courtiers, les officiers de marine. Où est donc la classe des patriotes?

La valeur suprême d’une vision territoriale de la nation, à l’encontre de l’ardeur patriotique des Marseillais, est alors affirmée avec force:

Il n’y a pas un patriote, dit-on à Marseille, qui ne préférât la mort à perdre le nom de sa commune. Nous le répétons, c’est justement pour cette raison qu’il faut le changer. Peut-on exprimer une idée plus fédéraliste? C’est le nom de Français qu’il faut craindre de perdre. C’est le sein de la France qu’il ne fallait pas déchirer.

À l’argumentaire qui met l’accent sur «l’esprit d’indépendance et d’insubordination» de Marseille envers la République s’ajoute alors, vu de la Convention Nationale, un argument moins élaboré, mais tout aussi redoutable, «l’influence du climat, plus chaud qu’ailleurs» sur l’énergie des patriotes marseillais  dont la chaleur «bien dirigée, peur servir utilement la liberté, mais, par un effet contraire, tourner au profit de ses ennemis». «Marseille en est la preuve» ajoute Marc-Antoine Julien, commissaire auprès des armées du Midi, de retour devant les Jacobins de Paris le 30 août 1793[147]. Formulation prémonitoire que Barère, une fois de plus critique de l’attitude marseillaise, développe dans les termes suivants:

Marseille a été depuis le début de la Révolution française un des foyers du patriotisme. Placée sous un soleil brûlant, elle a communiqué aux divers événements révolutionnaires le caractère de son climat. Égarée par des ennemis de la patrie, elle a montré bien plus l’amour de l’indépendance que l’amour de la liberté. Exposée à des erreurs, à cause de son éloignement du centre du gouvernement, elle a dû éprouver des oscillations dans l’opinion, des variations dans l’esprit public, des secousses en sens divers dans la marche révolutionnaire. [148]

Ainsi la réalité d’une continuité patriotique dans la dynamique révolutionnaire de Marseille – que nous venons de décrire avec soin – est fortement déniée, et de manière particulièrement habile par le fait de reconnaître, à la différence  de Barras et Fréron, une dimension exemplaire au patriotisme initial des Marseillais.

La représentation de Marseille républicaine, prise sous le feu du climat brûlant du sud et de la dénaturation inhérente à la teinte fédéraliste, s’en trouve durablement altérée. Le patriotisme des Marseillais devient problématique aux yeux des autres Français. Pire encore, en argumentant sur la base d’une soi-disant dissociation entre l’esprit de localité des Marseillais et l’esprit de la nation française, les représentants en mission rompent, du moins dans les représentations, le lien révolutionnaire entre le fait instituant de la nation et le cri énergique du patriotisme, énoncé, par un apparent paradoxe, de la façon la plus générale, dans «le cri général» des patriotes impliqués dans les expériences fédéralistes de 1793.

Ici l’accusation de fédéralisme brouille durablement les cartes du jeu patriotique. D’une part elle use d’une désignation emprisonnée dans la dualité patriote/aristocrate. Mais surtout elle gomme tout possibilité de comprendre le déploiement d’une énergie patriotique constitutive du mouvement révolutionnaire, sur la base d’un droit de souveraineté locale, droit déployé sans contradiction avec l’unité et l’indivisibilité de la nation, donc toujours en prise sur le fait instituant de la nation, ne serait-ce que dans le droit de résistance à l’oppression dès qu’un patriote est opprimé.

C- «L’épuration des dits patriotes à l’ordre du jour».

Cependant la venue de Maignet à Marseille, plus sensible que Barras et Fréron à «la science des localités»[149], calme les tensions dans la mesure où ce représentant en mission, très proche de Robespierre, est sensible au fait que «les habitants de Marseille regardent le nom de Marseille comme un héritage qu’ils ont illustré», et refuse donc d’entrer dans la logique dévastatrice de ses prédécesseurs[150]. Il s’appuie tout particulièrement sur le civisme des «patriotes de la section 11»,  pour demander au Comité de Salut Public la restitution à Marseille de son nom. De fait, L’accueil favorable de la Convention Nationale à l’adresse de la section 11 lui facilite cette tâche. En effet, à l’adresse des patriotes de la section 11 présentée le 21 décembre 1793 (30 frimaire an II), le Président répond dans les termes suivants: « La Convention rappellera le souvenir des anciens exploits civiques de votre commune ; elle proclamera dans la République entière que les enfants de Marseille sont encore dignes de servir la patrie.»[151].

Cependant Maignet, s’il se réjouit, dans un discours à la société populaire de Marseille, de pouvoir «rendre à votre commune un nom que ses habitants doivent regarder désormais comme un dépôt précieux», n’en demeure pas moins fort circonspect sur le réel attachement des Jacobins marseillais à la patrie. Ainsi précise-t-il de manière très directe:

Trop souvent, votre société est devenu un foyer d’intrigues, trop souvent le beau parleur a obtenu la préférence sur l’homme utile […] Encore dans ce moment de danger pour la patrie, les personnes sont ici à l’ordre du jour.

Et il ajoute sur un ton plutôt véhément:

Citoyens, voulons-nous être libres? Voulons-nous être utiles à la patrie? Soyons avares de louanges. Un homme a-t-il rempli son devoir? Laissons à sa conscience le soin de l’en récompenser […] Si alors votre société eut présenté le centre de réunion, où tous les amis de la patrie eussent pu accourir; une communication franche et amicale eût bientôt déjoué ces nouveaux complots de vos ennemis. Braves défenseurs de la patrie […] revenez à des sentiments de fraternité.  [152]

Si Maignet est beaucoup plus sévère dans son jugement lorsqu’il prononce un discours devant la société populaire d’Avignon[153], il en profite quand même  pour désigner avec précision les critères qui marquent l’appartenance à la «classe des patriotes». Il s’agit ainsi d’instituer le patriotisme, donc de le réévaluer du point de vue des institutions civiles de l’an II, qu’il s’agisse de l’instruction publique, des secours réciproques, de la justice, et bien sûr de la langue nationale.

Maignet contraint ainsi les citoyens à justifier leur patriotisme par leur conduite politique depuis 1789, donc selon une procédure, certes liée à la loi sur les suspects, mais surtout qui diffère, ne serait-ce que par sa nécessaire expression dans le «langage austère» et laconique de la vérité, des formes antérieures, plus rhétoriques et plus pragmatiques, de sélection du bon patriote par ses discours et ses actes. A ce titre, nous avons jugé intéressant de présenter en annexe un extrait significatif de ce discours  posant les bases d’un patriotisme désormais institué à l’horizon d’un «mouvement national».

De fait, la position de Maignet est largement partagée par d’autres représentants du peuple. C’est ainsi que Bayle, Granet, Laurent et Leblanc envoient une lettre à la Société populaire de Marseille[154] où ils reviennent, à leur façon, sur «la manière de connaître les bons et les mauvais citoyens», donc de circonvenir «le véritable patriote». Ils considèrent ainsi que la distinction entre patriotes, aristocrates et «vautours affublés du patriotisme», valide en 1793, doit laisser désormais la place à la capacité de chaque citoyen à  faire le bilan d’une conduite constante et énergique depuis le début de la Révolution française.

Ne pouvant plus répondre de leur patriotisme sur le seul critère de leur participation aux discours et aux actions des assemblées patriotiques, en premier lieu les sections et les sociétés populaires, les citoyens de Marseille, et surtout les plus suspects d’entre eux, sont contraints de se défendre individuellement en rédigeant leur conduite politique à destination du représentant en mission. Isoard, fortement fragilisé par sa forte visibilité dans les temps forts du républicanisme marseillais, est l’un des premiers à le faire dans sa Vie politique[155]. Retraçant, étapes par étapes, « le tableau fidèle de ma vie politique », il fait appel au témoignage de ses amis politiques sur ses vertus patriotiques dans les termes suivants: «les Patriotes, dont, je puis le dire, j’ai toujours eu l’estime.»

La réponse des simples citoyens et citoyennes, soumis à «la régénération patriotique», reprend, dans une plus grande proximité avec les exigences du représentant en mission, un modèle présent dans toute la France[156]. Ainsi Charpin de son côté, Caire de l’autre précisent avoir «toujours fait son service comme un bon patriote», avoir «toujours rempli les devoirs d’un vrai patriote» en référence à leur activité dans la garde nationale. C’est dire, à l’exemple de Chanteduc, que «dès le principe de la révolution, il a manifesté des sentiments révolutionnaires» et que «jamais il n’a varié dans ses principes». Au-delà, certains tels que Chapelier et Castelvetry n’hésitent pas à écrire que «tous attestent de sa conduite patriotique et républicaine dans les moments de l’anarchie sectionnaire », bref qu’«il s’est dans toutes occasions présenté comme bon patriote»[157].

Cependant les exposés par les citoyennes de leur conduite politique s’avèrent quelque peu différent, dans la mesure où leur parole instaure, entre elles et Maignet, une dynamique du lien social qui donne à leur insistance sur le «pur patriotisme» un ton plus authentique, d’autant qu’il est contextualisé par des caractérisations précises de leur infortune. À Chassin, âgée de 50 ans, qui parle de «l’amour exclusif de ma patrie» entretenu par «mes principes gravés dans mon cœur» et «mes progrès qui ont été guidés par ma raison» fait écho le «sincère attachement à la Patrie» de Castellan, âgée de 25 ans[158].

* * *

Nous quittons donc en fin de trajet l’espace pragmatique du cri patriotique pour entrer de plein pied dans un espace ontologique où les notions de patrie, patriotisme, patriote sont appréhendées dans leur manière propre d’être signifiées, nommées par rapport à leur nature sociale, vertueuse, ce qui évite tout réduction à leur seule légitimation par l’action permanente. Dans cette perspective, les concepts de nation et patrie se rapprochent jusqu’à l’indistinction par leur valeur à la fois instituante et subjective, de même les expressions de «mouvement patriotique» et de «mouvement national» se confondent.  Nous nous retrouvons par là même dans un monde patriotique de tonalité plus vertueuse, plus naturelle qui fonde l’existence artificielle d’institutions civiles (l’éducation, la bienfaisance, la morale, la justice etc.) propres à  terminer la Révolution.

Cependant, dans le même temps, la révolution demeure infinie, dans sa lutte contre ses ennemis. A ce titre, une question demeure lancinante, bien au-delà du projet national de l’an II d’une patrie régénérée: «Sait-on bien ce qu’est un patriote? En connaît-on la définition exacte et précise? Sommes-nous fixés sur l’idée que présente le mot patriote?»[159]. Peut-on vraiment distinguer le «faux patriote» du «vrai patriote» par une série de traits comme nous le propose longuement l’auteur du discours où se formule cette interrogation? Ne sommes-nous pas confronté, une fois la dynamique révolutionnaire éteinte, à l’absence d’une réalité politique – seul critère vraiment distinctif de l’action patriotique – signifiée dans l’exergue de ce  discours: «O Marseillais! quand reprendrez-vous l’énergie qui caractérise le Républicain?»[160].

ANNEXE

Discours prononcé à la société populaire d’Avignon dans la séance du 10 floréal an II par le Représentant du peuple Maignet, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 100 E 32, extraits:

[…] Ici, comme partout ailleurs, nous exigerons ce celui qui viendra nous parler patriotisme qu’il nous offre pour la garantie de ses sentiments une conduite dans tous les temps irréprochable. Nous lui dirons: lorsque le mot  patrie était encore inconnu, lorsque nous ignorions jusqu’à son nom, la nature était la même, elle nous dictait de grands devoirs. L’accomplissement de ces devoirs devait nous préparer à ceux qui nous seraient imposés, quand enfin la connaissance de nos droits nous aurait inspiré le désir de les recouvrer, et que nous aurions eu le courage de nous en ressaisir […]

Si dans ta vie privée, si dans ta vie publique, l’opinion de tes concitoyens t’accusait, même sous un gouvernement corrompu, nous ne te condamnerons pas sans d’autres examens, mais nous exigerons, pour croire à ta régénération patriotique, pour nous convaincre que tu t’es lavé de tous les vices que l’on avait remarqué en toi, même sous le régime royal, des preuves bien plus fortes que nous n’en demanderons à celui qui, ami constant de la vertu et de la probité, a été tout prêt en entrer de bonne foi dans la révolution […].

Le temps est enfin venu, où il ne suffira plus, pour être rangé dans la classe des patriotes, de s’affubler du bonnet rouge[161]. L’on demandera dorénavant à celui qui se permettra d’en couvrir sa tête, ce qu’il a fait pour se décorer de ce signe auguste de la liberté. L’on voudra savoir quels motifs l’ont porté dans la révolution […] L’épuration, parmi tous ceux qui se sont dits jusqu’à présent patriotes, en affichant cependant des mœurs si différentes, est mise à l’ordre du jour […]

Quelle étrange idée s’est-on formé du patriotisme dans ces contrées, pour qu’on ait pu si longtemps regarder comme patriotes des hommes qui partout ailleurs auraient été traités comme les plus vils aristocrates! Le patriotisme n’est-il donc pas l’assemblage de toutes les vertus? Y a-t-il de patrie pour l’homme improbe?  Sa patrie est partout où il peut faire des dupes; sa patrie sera là où se trouvera celui qui l’achètera  plus chèrement; sa patrie sera là où la bassesse, où ses vices lui fourniront plus de moyens de parvenir; sa patrie sera partout où il ne trouvera pas la vertu révérée, partout où le crime triomphera.

Quelle différence met-on donc entre cet homme et un aristocrate?  Ce dernier combat pour ne pas laisser établir le règne de l’égalité; le premier profite des succès que le peuple obtient dans cette lutte, pour se tirer de cette égalité que la fortune avait mise entre lui et les sans-culottes. L’aristocrate voudrait conserver un rang que les préjugés lui avaient donné ; le patriote à argent veut en obtenir un que la sage nature lui avait refusé. L’aristocratie consentirait plutôt à voir l’univers entier tomber dans le chaos, que de renoncer à ses vains titres; le faux patriote voterait volontiers la destruction de la République, s’il ne devait que partager le bonheur du peuple […] Exigez de tous vos candidats deux qualités qui se garantissent mutuellement, probité pendant toute leur vie, patriotisme soutenue depuis 1789.

 

NOTES

[1] Ainsi, dans cette étude, nous prenons appui sur notre ouvrage Marseille républicaine (1791-1793), Paris, Presses de Science Po, 1992, tout en accentuant les traits patriotiques du républicanisme marseillais. Les journaux révolutionnaires cités ont été consultés à la Bibliothèque Nationale de France (BNF).

[2] Nous avons décrit les modalités de la tradition civique marseillaise, avec le sociologue André Donzel dans « Marseille, ville de tradition civique », FaireSavoirs, à paraître.

[3] Charles Carrière, Richesse du port marseillais: le port mondial au XVIIIème siècle, CCIM, 1979.

[4] Ainsi notre étude demeure certes proche de notre travail antérieur sur Marseille républicaine (1791-1793), op. cit.., mais elle met plus l’accent sur le principe national et la tradition civique qui structurent, par la médiation du langage patriotique, le républicanisme marseillais.

[5] Sur la portée méthodologique de la prise en compte de la raison des émotions, nous renvoyons au volume 6 de la collection « Raisons pratiques » sur La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions, sous la dir. de Patricia Paperman et Ruwen Ogien, Editions de l’EHESS, 1995.

[6] C’est pourquoi il est  particulièrement décontextualisant  de réduire l’énoncé « le patriotisme français forme un vœu, celui de secourir la patrie », contenu dans un Adresse des Marseillais à l’Assemblée Nationale de juin 1792 (voir ci-après) à une «charge émotive et sacrale», comme le fait Sophie Wahnich dans «L’émotion en partage: l’Assemblée législative face aux dangers de la patrie (juin 1792)», Une expérience rhétorique. L’éloquence de la Révolution, sous la direction de Eric Negrel et Jean-paul Sermain, Oxford, Voltaire Foundations,  2002.

[7] À ce titre, l’insistance sur l’individu patriote – certes positionné au plus près de l’action, donc appréhendé dans sa dimension pragmatique – nous situe, aussi émotionnel soit le cri patriotique, dans une configuration nominaliste qui suscite la construction, autour de la notion de patriotisme, d’une part fortement réflexive d’artifice politique dans un lien étroit au pouvoir instituant de la nation. Sur la portée méthodologique de la prise en compte du nominalisme, nous renvoyons au volume 14 de la collection «Raisons pratiques» sur L’invention de la société. Nominalisme politique et science sociale au XVIIIe siècle, sous la dir. de Laurence Kaufmann et Jacques Guilhaumou, Editions de l’EHESS, 2003.

[8] Expressions contenues dans la Contre-proposition des Députés du Tiers-Etat de Provence, et dans la Lettre aux Marseillais sur l’objet de leur députation aux Etats-Généraux, 1789, Bibliothèque Municipale de Marseille, collection «Michel de Léon» (BM/Léon).

[9] Sur le contexte de cet événement et des suivants, voir Monique Cubells, Les horizons de la liberté. Naissance de la révolution en Provence (1787-1789), Aix-en-Provence, Edisud, 1987.

[10] Même si cette formulation de «patriote ambulant» prête ici à l’ironie, il est intéressant de remarquer qu’elle renvoie à l’une des composantes de la tradition civique marseillaise, l’ambulance patriotique.

[11] Observation sur une lettre soi-disante patriotique, 1789, BM/Léon

[12] Ce qui correspond à une modalité d’intervention de la figure du citoyen propre à l’invention de la nation que nous avons décrite dans les premiers chapitres de notre ouvrage sur L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1998.

[13] De fait, tout commence par une émeute de subsistances de la part du peuple marseillais. Ces troubles suscitent alors la formation d’une assemblée des trois ordres, où les professions du grand commerce sont fortement représentées et qui va présider en toute autonomie aux destinées municipales de Marseille pendant deux mois. Dans la mesure où des jeunes gens volontaires d’origine bourgeoise se sont adjoints aux portefaix, durant le temps de l’émeute, ils contribuent à la formation quasi-spontanée d’une garde citoyenne. D’après Monique Cubells, « Marseille entre en révolution (1787-1789) », Catalogue de l’exposition Marseille en révolution, sous la dir. de Claude Badet et la coll. De Jacques Guilhaumou, Editions Rivages/ Musée de Marseille, 1989.

[14] BM/ Léon.

[15] Réflexions de M. Barbaroux, Avocat, sur l’élection des Officiers Municipaux, 11 janvier 1790,  BM/ Léon.

[16] Voir par exemple les Vœux d’un citoyen de Marseille adressés à M. Martin, BM/Léon

[17] Cette allégorie se trouve au Musée du Vieux Marseille. On en trouve une représentation dans le catalogue de l’exposition Marseille en révolution, op.cit..

[18] Hommage respectueux présenté à M. Etienne Martin, Maire, pour lui souhaiter la nouvelle année par une société de Citoyens très bon patriotes, A Marseille, le premier janvier 1791, BM/Léon.

[19] Une Proclamation de la municipalité de Marseille sur la mort de  Mirabeau, disparu le 2 avril 1791, précise: «Considérant que les services que cet illustre Citoyen du Monde a rendus à la ville de Marseille, sa Patrie adoptive…», BM/Léon.

[20] Discours prononcé par M. Martin, Maire, à l’Assemblée patriotique, le 11 avril 1791, BM/Léon.

[21] Voir l’analyse de John G. A Pocock dans Le moment machiavelien, PUF, 1997, en particulier le chapitre sur «Le débat du XVIIIe siècle, la vertu, la passion et le commerce».

[22] Journal disponible sur le site numérique de la BNF,  Gallica.

[23] Annales patriotiques, ibid. p. 81.

[24] Extrait du récit de la prise des Forts dans n°IV du 5 mai 1790 des Annales patriotiques.  Sur cet événement majeur, voir Rolf Reichardt, «L’année 1790. Prise et démolition des Bastilles Marseillaises», catalogue de l’exposition Marseille en révolution, op.cit.

[25] Discours prononcé le 6 avril 1790  par Monsieur Augustin Maillet au nom du district numéro 4 à MM. Les Officiers Municipaux et Notables, sortis des Prisons de nos Bastilles, BM/Léon.

[26] Adresse au peuple marseillais, par Auguste Mossy, notable, 27 août 1790, BM/Léon.

[27] Courrier de Marseille, N°V, mai 1790, BNF/Gallica.

[28] Ce document est conservé aux archives de la Chambre de Commerce de Marseille. À ce titre, il émane peut-être d’un négociant.

[29] Nous en donnons la liste dans notre ouvrage Marseille républicaine, op. cit. p. 22.

[30] La continuité républicaine du corpus des adresses marseillaises est attestée par l’annotation suivante du jacobin marseillais Isoard, l’un des rédacteurs parmi les plus constants de ces adresses: «Depuis que je suis à Marseille, c’est-à-dire depuis le mois d’août 1791, il est peu d’Adresses énergiques et républicaines que je n’ai signées, soit comme Président, soit comme Secrétaire, soit comme simple Membre de la société», Vie politique de François Isoard de Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 2076. Voir une présentation succincte de sa biographie par nos soins dans le Dictionnaire des Marseillais, Académie de Marseille, Edisud, 2001

[31] Adresse au peuple marseillais par Maillet, le 11 janvier 1791, BM/Léon.

[32] Réponse des commissaires des sections parisiennes à la Circulaire de la société des Amis de la Constitution de Marseille du 13 avril 1791, documents reproduits dans le Mercure Universel du 21 avril 1791.

[33] Adresse de la Société des Amis de la Constitution de Marseille à L’Assemblée Nationale, 1791, BM/Léon.

[34] Adresse au peuple français du club patriotique, le 7 juillet 1791, BNF 8°Lb40 2779.

[35] Cette correspondance est conservée pour l’essentiel aux Archives Municipales de Marseille. Elle a fait l’objet d’une publication par Alfred Chabaud, «Robespierre, défenseur de Marseille en 1791», Annales Révolutionnaires, 15, 1923, p. 113-125.

[36] Ibid.

[37] À la Municipalité de Marseille, le 24 mai 1791, ibid.

[38] À Monsieur le Maire de Marseille, le 27 juillet 1791, ibid.

[39] À ce titre, l’intervention de Robespierre au club des Jacobins du 5 mars 1792 pour défendre les Marseillais – qui ont marché, gardes nationaux en tête, sur Aix et Arles à l’encontre de la loi – est particulièrement significative de la manière dont il associe la cause de Marseille à celle de la Constitution. Voir ci-après.

[40] À la Municipalité de Marseille, le 10 août 1791, Archives Municipales de Marseille, op. cit.

[41] Lettre de la Municipalité de Marseille à Mr Robespierre, le 17 août 1791, ibid.

[42] Adresse de 150 citoyens actifs de Marseille à l’Assemblée Législative sur les décrets du 9 et 21 septembre 1791, Archives Nationales AD XVI 26.

[43] Adresse des citoyens actifs de la ville de Marseille du 24 décembre 1791 aux législateurs, Archives Nationales, AD III 30.

[44] L’Ami du peuple du 13 juin 1791.

[45] Ibid., du 16 juin 1791.

[46] Ce personnage, particulièrement  bien mis en valeur par Paul R. Hanson dans son ouvrage The Jacobin Republic Under Fire. The Federalist Revolt in the French Revolution, Pennsylvania State University Press, 2003, p. 161-164, a un parcours patriotique exemplaire. Voir la note suivante

[47] Adresse au roi, rédigée par Ricord, membre de la Société des amis de la Constitution de Marseille, en mars 1792. Cette adresse est reproduite dans Charles Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat, Marseille, Lafitte Reprints, tome II, 1839, p. 314-315. Cet ouvrage sert ici de source pour les documents cités.

[48] Journal des débats et de la correspondance de la société des amis de la constitution séante aux Jacobins à Paris du 30 janvier 1792.

[49] Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille…, op. cit.,, p. 318.

[50] Expression significative de Lourde, ibid., p. 319.

[51] Ibid., p. 323

[52] Ibid., p. 321-322.

[53] Autre expression de Lourde, ibid., p. 324.

[54] Journal des débats des Jacobins du 7 mars 1792.

[55] L’Ami du peuple du 16 avril 1792.

[56] Expression de Lourde dans Histoire de la Révolution à Marseille…, op. cit., p. 325.

[57] Désignants utilisés par un journal d’Avignon cité par Lourde, ibid. Sur les usages particuliers de «sans-culotte» en 1790-1792, voire Annie Geffroy, «Sans-culotte(s) (novembre 1790-juin 1792)», Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815), sous la dir. de l’équipe «18e et Révolution»,  fascicule 1, Paris, Klincksieck, 1985

[58] Lettre reproduite dans Lourde dans Histoire de la Révolution à Marseille…, op. cit., p. 33é-333.

[59] Adresse au peuple et aux défenseurs des droits de l’homme, connus sous la dénomination d’amis de la Constitution, par Jacques Monbrion, Membre des amis de la Constitution de Marseille, Toulon, Apt, Lourmarin, etc. Correspondant des Cordeliers, défenseurs des droits de l’homme, de Paris, un des cinquante volontaires de la prise du Fort de la Garde, et Grenadier, citoyen du Bataillon N°6, 1792, Archives Nationales, AD XVI 26.

[60] Ainsi se met en place les premiers éléments de ce qui va devenir un ethnotype, la patriotisme brûlant des Marseillais, à l’exemple de la notation suivante de Monbrion: «Hommes pusillanismes, modérés par caractère, je paraîtrais exalté à vos yeux en vivifiant mes pensées par cette chaleur brûlante du sentiment, dont la liberté anime mon âme» ; ibid., p. 10.

[61] Discours sur l’état actuel des Bouches-du-Rhône, Archives Nationales, AD XVI 25.

[62] Les citoyens de Marseille soussignés Amis de la Constitution à l’Assemblée Nationale, le 1er février 1792, Archives Nationales, AD XVI 26.

[63] La quasi-totalité des adresses de Marseillais, de février à juillet 1792, sur la patrie en danger sont reproduites dans Charles Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat,  tome III, 1840, Reprint Lafitte, 1974. Cet ouvrage sert ici de source principale dans la mesure où il s’évertue à multiplier les preuves de «l’énergie et du patriotisme ardent qui distinguaient alors les Marseillais, patriotisme qui se produisait non seulement par des paroles, mais par des actes», p.73.

[64] Histoire de la Révolution…, ibid., p. 17.

[65] Adresse aux parisiens, Histoire de la Révolution…, ibid., p. 12.

[66] Les Marseillais à Pétion, maire de Paris,  Histoire de la Révolution…, ibid., p. 33.

[67] D’après une lettre du comité de correspondance de la Société de Marseille, où Isoard et Monbrion sont particulièrement actifs, du 6 avril 1792 reproduite dans les Annales patriotiques, N°635.

[68] Expression présente dans le Journal des départements méridionaux, et des débats des Amis de la Constitution de Marseille, organe des jacobins marseillais, N°2 du 8 mars 1792, p. 8. Ce journal incarne la fonction tribunicienne attribuée à la société des amis de la constitution : il en est l’organe même.

[69] Adresse aux Législateurs reproduite dans le Journal des départements méridionaux, du 16 juin 1792.

[70] La Municipalité aux administrateurs du département des Bouches-du-Rhône, le 29 juin 1792, Lourde, Histoire de la Révolution…, op. cit, p. 47.

[71] À M. Pethion, Maire de Paris, le 6 juillet 1792. Lettre reproduite dans Georges Reynaud, Les Marseillais de la Marseillaise. Dictionnaire biographique du bataillon du 10 août, Paris, Éditions Christian, 2002, p. 298.

[72]  Nouvelle mention du caractère brûlant du patriotisme marseillais.

[73] Journal des débats de la Société des amis de la Constitution, séante aux Jacobins à Paris du 3 août 1792.

[74] Éveil aux Français, Journal des départements méridionaux du 29 mai 1792.

[75] Adresse des administrateurs du district de Marseille aux citoyens du district, le 20 juillet 1792, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 14 J 125.

[76] Adresse de l’assemblée extraordinaire des autorités de Marseille, le 25 juillet 1792, in Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille, op. cit., p. 74.

[77] L‘orateur de la députation des volontaires marseillais auprès de la Municipalité de Marseille, ibid. , p. 85.

[78]  Adresse à l’Assemblée Nationale, ibid. , p. 89.

[79] L’Ami du peuple, Journal politique et impartial, du 16 avril 1792.

[80] Le Père Duchesne d’Hébert, n° 162, rédigé à la veille du 10 août 1792.

[81] Voir, pour continuer avec la presse, le compte-rendu de la journée du 10 août par Brissot dans Le Patriote français N°1097 du samedi 11 août 1792.

[82] Présentation du premier numéro du Journal des départements méridionaux, le 8 mars 1792.

[83] D’après le rapport de Leclerc fils au nom du comité central de la société publié dans le Journal des départements méridionaux du 7 mai 1792.

[84] L’expression se trouve par exemple dans le compte-rendu  de la séance de la société du 27 septembre 1792, Journal des départements méridionaux du 27 septembre.

[85] Journal des départements méridionaux du 18 avril 1792.

[86] Dans le chapitre I notre ouvrage Marseille républicaine, op. cit.

[87] Lettre de la société d’Apt du 6 mars à la Société de Marseille reproduite dans le Journal des départements méridionaux.

[88] À la séance du 28 mars de la société de Marseille relatée dans le Journal des départements méridionaux.

[89] Rapport fait à la Société des Amis de la Constitution défenseur des droits de l’Homme de Marseille par leurs commissaires Jacques Monbrion et J. François Bousquet avec en exergue «Éclairer et fortifier les esprits faibles, défendre les droits de l’humanité et les intérêts de la Patrie, et propager partout le vérités utiles, tels sont les devoirs des patriotes», Fonds patrimonial de la Médiathèque d’Avignon, MS 2992 (18).

[90] Le rapport commence en ces termes: «Accablés, pour ainsi dire, sous le poids des travaux patriotiques, nous n’avons pas pu vous donner à fur et à mesure, des nouvelles de notre mission. D’ailleurs nous étions, pour ainsi dire, ambulans», ibid.

[91] Discours prononcé lors du passage des «missionnaires patriotes» à Pertuis, ibid., p. 7.

[92] Ibid., p. 26.

[93] Ibid. p. 31.

[94]  N°7 du 18 juillet 1792. Un exemplaire lacunaire de ce journal est conservé à la BNF.

[95]  Cf. Le texte occitan de la période révolutionnaire, sous la dir. de H. Boyer et alii, Section Française de l’Association internationale des Etudes occitanes, Montpellier, 1989.

[96] Ce qui nous renvoie à la mission d’Isoard dans les Basses-Alpes, plus centrée sur le mot d’ordre d’union autour de la Constitution que sur le thème patriotique de la force de l’union entre les patriotes en tant que telle. Voir notre ouvrage Marseille républicaine, op. cit., p. 59 et suiv.

[97] «Recevoir et traduire la voix du peuple», Qui veut prendre la parole?, sous la dir. de Marcel Detienne, Le genre humain, Paris, Seuil, 2003.

[98] Adresse de la Municipalité aux Marseillais, le 23 janvier 1793, Archives Nationales, AD XVI 26.

[99] Procès-verbal de l’Assemblée électorale du département des Bouches-du-Rhône, Avignon, 1792, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 278, p. 62.

[100] Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 2076.

[101] Les électeurs du district de Marseille à leurs concitoyens, ibid.

[102] Par exemple dans la lettre des trois corps administratifs et des commissaires des sections réunis à Marseille au Ministre de l’intérieur, du 18 novembre 1792, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L. 143, f. 138 et suiv.

[103] Lettre des commissaires de Marseille à Eyguières, le 2 octobre,  ibid., L 2078.

[104] Lettre aux citoyens administrateurs du département, la Tour d’Aigues, le 20 décembre 1792, ibid., L 300.

[105] Les désignations de «patriotes de 89» et de «patriotes (du 10 août) de [17]92» sont attestés par la suite, mais dans des contextes forts différents. Voir Annie Geffroy, Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français, tome 11 de la deuxième série, Paris, Klincksieck, 1977.

[106] Pour plus de précisions, voire notre étude, «Un argument en révolution, la souveraineté du peuple», Annales Historiques de la Révolution française, N°298, octobre-décembre 1994.

[107] Le déroulement et les enjeux de ces affaires sont présentés dans notre ouvrage, Marseille républicaine, op. cit.

[108] Voir en particulier L’Apologie des officiers municipaux d’Eyguières, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, II F 6.

[109] Rapport des commissaires de Marseille qui ont été à Berre pour y rétablir le bon ordre, propager l’esprit public, ibid., L 1907.

[110] Mémoire justificatif pour la Commune d’Eyguières, ibid., II F 6.

[111] En réaction au discours du marseillais Isoard à Manosque le 16 août 1792, d’après la lettre de la Municipalité de Manosque aux Antipolitiques d’Aix, Ibid., L 2045.

[112]  Ces énoncés sont extraits des adresses suivantes : Les Marseillais dévoués à la défense de la République, 9 janvier 1793 (BNF Fol LB41 2591 A); Adresse du peuple Marseillais à la Convention Nationale par Leclerc fils du 23 janvier 1793 (Archives Nationales AD XVI 26); Les Marseillais à tous leurs amis de la République, salut, du 1er février 1793 (Archives départementales des Alpes de Haute-Provence, L 302/35). Le Journal des départements méridionaux en rend également compte.

[113] D’après Les républicains marseillais à Charles Barbaroux (Journal des départements méridionaux du 12 février 1793), l’Adresse de la Société Républicaine de Marseille à la Convention Nationale (Journal des départements méridionaux du 5 mars 1793), et l’Adresse des citoyens de Marseille du 17 mars 1793 (BNF Lb41 2852A).

[114] Voir en particulier le compte-rendu du débat à la Convention dans le Mercure Universel du 21 mars 1793.

[115] Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 14 J 84.

[116] Journal des débats des Jacobins du 24 mars 1793.

[117] Par le journaliste de La Révolution de 92, N°187 du 25 mars 1793.

[118] Adresse publiée dans le Journal Universel d’Audouin du 13 avril 1793.

[119] Et publiée dans le Journal des Hommes libres du 27 avril 1793.

[120] D’après le discours d’Isoard prononcé à la société début mai 1793 et diffusé par voie d’affiche, Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, L 2076.

[121] Manifeste du 12 juin: Marseille aux républicains français, Archives départementales de l’Hérault, L 2011 ter.

[122] Ces expressions se trouvent dans le texte de la section 24 diffusé par voie d’affiche le 11 juin 1793, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 1971. Sur ce problème de la souveraineté dans le fédéralisme, voir Paul R. Hanson, The Jacobin Republic Under Fire. The Federalist Revolt in the French Revolution, op.cit.

[123] Comité général des 32 sections de Marseille, A Marseille, mai 1793: «Citoyens de Toulon, nos amis et nos frères», BNF Lb41 661.

[124] Voir en particulier le Projet d’instruction pour les sections lu au Comité Général des trente-deux Sections de Marseille le 15 juillet 1793, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, II F 13. Ce texte commence significativement par la  mention précise des décrets des 4 et 5 septembre 1792 sur «les mesures à prendre quand la Patrie est en danger» qui fondent la permanence des sections et justifient par là même leur droit de s’assembler dans des circonstances jugées équivalentes, qui plus est quand «les ennemis de l’intérieur» tentent d’étouffer «le vœu des patriotes»

[125] Adresse des Marseillais à leurs frères des quatre-vingt-cinq départements, ibid., L 1953.

[126] Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 428.

[127] Procès-verbaux des assemblées sectionnaires et discours des sectionnaires sont consignés dans le fonds des sections marseillaises (L 1932 – L 2011 ter) aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

[128] Ce discours est reproduit en annexe de notre ouvrage Marseille républicaine, op. cit., p. 245-248.

[129] Sur le rôle important des citoyennes dans le fédéralisme sectionnaire, voire notre étude sur les « Conduites politiques des Marseillaises pendant la Révolution française », Provence Historique, fascicule 186, octobre-décembre 1996.

[130] Extrait de la délibération de la section 8 du 22 avril, fonds des sections marseillaises, op. cit.

[131] Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 1959.

[132] Ainsi, la notion d’intrigant est associée au «patriotisme feint et dissimulé». À ce titre, les sections de Marseille, «trop longtemps endormies dans un patriotisme patient» doivent enfin «arracher le masque [du patriotisme] dont les intrigants couvraient leurs perfidies». Isoard est l’un des personnalités jacobines parmi les plus visées par cette attaque contre ceux qui se disent «patriotes de 89». Sur les usages d’intrigant(s) dans le discours fédéraliste, voir notre étude, «L’intrigant dans le discours sectionnaire marseillais (avril-juin 1793)», Dictionnaires des usages socio-politiques (1770-1815), sous la direction de l’équipe « 18ème et Révolution », fascicule 4, Paris, Klincksieck, 1989.

[133] «Citoyens, celui qui a mépris des lois, voudrait prendre l’épithète de patriote de 89. Considérant qu’il n’ y a que les hommes faux et versatiles, intéressés ou ambitieux qui puissent prendre un pareil titre ; titre qui ne tend à rien moins qu’à désunir les hommes qui vivent en société, ou à tirer une ligne de démarcation entre lui et les républicains constitués égaux», extrait d’un discours à la section 19, le 21 mai 1793; fonds des sections marseillaises, op. cit.

[134] Adresse des 32 sections composant la Commune de Marseille à la Convention Nationale, début mai 1793, ibid.

[135] Précis des opérations des sociétés populaires des départements méridionaux réunis en assemblée générale à Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 2076.

[136] Les représentants dans les Bouches-du-Rhône au Comité de salut public Rovère et Poultier, Avignon, le 3 novembre 1793. Archives Nationales, AF II 185.

[137] Discours de J. L. Giret, député de la société populaire de Nice, à L’assemblée générale, le 4 octobre 1793. BNF, 8° Lb40 2783.

[138] Voir en particulier le numéro du Journal républicain du 23 brumaire an II, diffusé dans les rues de Marseille par voie d’affiche.

[139] La religion naturelle, la seule qui convient  à des républicains, ou discours du citoyen Sébastien Lacroix  à l’assemblée générale des Sociétés populaires du Midi, BNF 8° Lb40 2790.

[140] Toutes les expressions ci-dessus sont extraites du Rapport de Billaud-Varenne sur un mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire prononcé à la Convention nationale le 28 brumaire an II, et associé au Décret du 14 frimaire sur le même sujet. Archives Nationale, AD XVIII A 8.

[141] Voir en particulier la Proclamation des Représentants du Peuple français près les armées du Midi à la commune de Marseille, par Barras, Fréron, Robespierre le jeune et Ricord du 14 frimaire an II, reproduite dans la partie correspondance du Journal des débats des Jacobins, à Paris, n°320 du 24 frimaire an II.

[142] Moyse Bayle, représentant du peuple, à son collègue Barère, 11 pluviôse an II (30 janvier 1794), Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L 2076.

[143] Dans André Donzel et Jacques Guilhaumou  «Les acteurs du champ de l’exclusion à la lumière de la tradition civique marseillaise», Exclusions au cœur de la Cité, sous la dir. de Dominique Schnapper, Paris, Anthropos, 2001. 

[144] Fréron à Moyse Bayle. Rapport sur les derniers événements arrivés à Marseille, le 22 décembre 1793, in Lettres de Barras et Fréron, publiées par Poupé dans le Bulletin de la société de Draguignan, tome 27 (1908-1909), p. 66 et suivantes.

[145] Barras et Fréron au Comité de salut public, de Sans-Nom du 2 février 1794, ibid., p. 154 et suivantes.

[146] Cela tient sans doute à ce que nos deux montagnards «minimalistes» ont une conception territoriale de la nation, qui situe en second ligne l’évaluation de l’énergie patriotique.

[147] Un extrait de ce discours est publié en annexe de notre étude, «La représentation du républicain marseillais (1791-1793)», Amiras, 1516, 1987. L’ethnotype climatique du patriotisme brûlant des patriotes marseillais est déjà là bien en place.

[148] Rapport à la Convention, au nom du Comité de Salut Public, du 22 frimaire an II, Archives Nationales, AD XVI 26.

[149] Cf. Martine Lapied et Jacques Guilhaumou,  «La mission Maignet», Annales Historiques de la Révolution française, N°2, 1995. Et plus largement Michel Biard, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, CTHS, 2002.

[150] D’après sa lettre envoyée au Comité de salut public le 19 pluviôse an II (30 janvier 1794). Maignet recopie cette lettre dans l’un des registres de sa correspondance que nous avons conservés à la Bibliothèque Municipale de Clermont-Ferrand. Un double de cette importante correspondance se trouve aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône sous la forme d’un microfilm (1 Mi 111).

[151] Voir le Rapport fait par le citoyen Barère au nom des Comités de salut public et de sûreté  générale sur la section 11 de Marseille, et sur les patriotes qui se sont réunis à elle dans les journées du 22 au 24 août, 16 germinal an II (5 avril 1794). A ce rapport est adjoint la pétition au nom de la section 11 de Marseille et la réponse du président de la Convention Nationale. Dans ce rapport, Barère décrit la résistance des sans-culottes de la section 11, «section patriote» par excellence, y compris par les armes, aux progrès de « l’aristocratie méditerranéenne » qui « travaillait avec des couleurs patriotiques à faire la contre-révolution », Archives Nationales, AD XVIII.

[152] Discours prononcé par le citoyen Maignet à la société populaire de Marseille, le premier ventôse l’an second de la République,  Musée Arbaud, Aix-en-Provence, 477.

[153] Discours prononcé à la société populaire d’Avignon, dans la séance du 10 floréal (29 avril 1794), par le Représentant du peuple, Maignet, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 100 E 32.

[154] Copie de la lettre écrite par M. Bayle, F. Granet, Laurens et Leblanc, Représentants du Peuple, à leurs frères de la société populaire de Marseille, Paris, le 2 Prairial an 2 (21 mai 1794), ibid. , L 2076.

[155] Vie politique de François Isoard de Marseille, le 11 ventôse an II (1er mars 1794), op. cit.

[156] Voir le chapitre 5 de notre ouvrage sur La langue politique et la Révolution française, Paris, Meridiens/Klincksieck, 1989.

[157] Il reste quelques unes de ses conduites politiques manuscrites, de la lettre C ( ?), dans la série I2 non classée des Archives Municipales de Marseille.

[158] Voir notre étude, « Conduites politiques des Marseillaises pendant la Révolution française », op. cit.

[159] Discours prononcé à la Société Populaire régénérée de Marseille, le 10 Pluviôse l’an 3 de la République Française, une, indivisible et démocratique. Par le citoyen Dalmas-Verneuil, Artiste du théâtre Brutus et membre de la société.

[160] A partir de l’an III, ce type d’énoncé  est récurrent dans l’ensemble de la France, et qui plus est en association avec «le cri général». Soit l’exemple suivant: «Le patriotisme doit reprendre une nouvelle énergie; l’écrivain courageux doit faire entendre les accès de la vérité. Un élan sublime, un cri général doivent annoncer à tous les citoyens que le précipice est creusé sous leurs pas, et que la patrie est en danger.», Le cri du patriotisme par Dujardin-de-Beaumetz, Paris, l’an V, BNF 8° Lb42 1573

[161] Il conviendrait de faire l’histoire du lien entre le bonnet de laine rouge et le nom de patriotisme. Ainsi le Consolateur, un journal modéré, se moque, dans une rubrique intitulée Modes de la manière dont «le peuple attache une idée de patriotisme à des choses qui n’y ont pas le moindre rapport», en l’occurrence le bonnet de laine rouge. Il ajoute: comment peut-on «spéculer sur le patriotisme en bonnets […] sous le nom de Patrie»? (3 avril 1792).

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“Altérités et résistances au prisme du genre en Méditerranée” ~ Colloque à Aix-en Provence & Marseille, les 7, 8 & 9 novembre

04 lundi Nov 2019

Posted by Claude Guillon in «Annonces»

≈ Commentaires fermés sur “Altérités et résistances au prisme du genre en Méditerranée” ~ Colloque à Aix-en Provence & Marseille, les 7, 8 & 9 novembre

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Adeline Miranda, Élodie Serna, Émilie Jouvet, « Théorie du genre », B. Ben Hassine, B. Lacoste, Blandine Pont Chelini, C. de Gourcy, C. Garraton-Mateu, Catherine Mazauric, Ch. Orobitg, Constance de Gourcy, F. Larouz, F. Msakni, Fabienne Soldini, Fatma Oussedik, Féminisme, G. Erdi, H. Djedidi, H. Rakoto-Raharimanana, I. El Birch, Jacques Guilhaumou, Karine Lambert, Katia Bourdarel, L. Anteby-Yemeni, L. Benchahda, L. Bennasr, L. Mandrou, L. Odasso, L. Zahed, M. Cheikh, M. Lacheb, M. Luceno-Moreno, M. Simard, Martine Lapied, Maryline Crivello, Méditerranée, N. Abrous, N. Berjoan, N. Hamdi, N. Ordioni, Nathalie Chapon, O. Kamoun, Ons Kamoun, P. Lachenal, R. Deguilhem, R. Yacoubi, Randi Deguilhem, Rapports sociaux de sexe, S. Bijaoui, S. Kichane, Sylvette Denèfle

Ce colloque, pluridisciplinaire, se propose d’analyser, à travers les rapports sociaux de sexe, les dynamiques, ajustements et changements provoqués par les comportements alternatifs aux normes sociales, aux conventions familiales, aux pratiques sexuelles, etc. qui émergent dans les moments de bouleversements politiques et de migrations – comme ceux que l’on a connus dans le bassin méditerranéen. L’attention sera portée sur des exemples pris dans l’Histoire longue ou dans l’actualité récente présentant les logiques d’affrontements, répressions, adaptations, violences, accommodements voire innovations qui s’expriment dans des résistances émancipatrices ou au contraire conservatrices et les dialogues Nord-Sud possibles dans ces contextes.

Détails et inscription gratuite mais obligatoire ICI.

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“Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante. Le cas marseillais” ~ par Jacques Guilhaumou

27 dimanche Oct 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles», «Faites comme chez vous !»

≈ Commentaires fermés sur “Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante. Le cas marseillais” ~ par Jacques Guilhaumou

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Démocratie directe, Féminisme, Jacques Guilhaumou, Marseille, Souveraineté populaire

L’étude des manières de s’assembler pour délibérer des affaires communes pendant la Révolution française est généralement rapportée à une émergence fondatrice, certes radicale, l’avènement d’un espace législatif inédit avec la formation de l’Assemblée nationale en juin 1789. A partir de cet événement majeur, dont nous avons décrit par ailleurs les caractéristiques discursives (Guilhaumou, 1998a), s’instaure un ensemble de pratiques délibératives propres à la centralité législative (Brasart 1988), mais progressivement étendues, par le biais du club des Jacobins (Jaume, 1989), au réseau des sociétés populaires.

Même si l’anachronisme de notre sensibilité contemporaine, et plus particulièrement «l’émotion en partage» (Wahnich, 2000), peut justifier une attention marquée pour le dispositif interlocutif de l’Assemblée nationale, le «partage des langues» pendant la Révolution française, dont la complexité suscite des pratiques colingues démocratiques (Guilhaumou, 1989; Balibar, 1993), n’est pas calqué sur le partage du pouvoir politique dans l’espace de la « centralité législative ». Il n’est donc pas possible de limiter l’espace délibératif à l’espace tribunitien de l’Assemblée nationale et du club des Jacobins dont il suffirait de décrire les règles de fonctionnement et son insertion interlocutive dans le nouvel espace public pour comprendre l’impact du mécanisme démocratique dans son ensemble, y compris dans sa dimension foncièrement représentative. Bref, il ne nous semble guère possible de s’en tenir à la description des pratiques langagières du discours d’assemblée si l’on veut appréhender la dimension foncièrement démocratique des nouveaux espaces délibératifs.

I- Critères méthodologiques.

Durant deux mois, de mars à mai 1789, l’assemblée des trois ordres de Marseille se déclare permanente et entre en dissidence vis-à-vis des représentants de l’exécutif royal, en appui sur la garde citoyenne (Cubells, 1989). C’était déjà une façon d’instaurer une scène délibérative locale autonome avant même l’avènement de l’Assemblée nationale à Paris. Le « principe de droit naturel », qui assujettit le mandataire à son commettant et laisse toujours à ce dernier la possibilité de délibérer sur ce que doit faire son mandataire, est ainsi au fondement de la souveraineté nationale. C’est pourquoi nous devons être très attentif à la multiplication, tant en Province qu’à Paris, de centres d’opinion et de délibération distincts de la scène parisienne de la centralité législative.

En effet, nous y trouvons une pratique au quotidien de la souveraineté qui se légitime dans l’acte de faire parler la loi, distinct de l’énoncé de la loi réservé au législateur. Dans la perspective tracée par l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, cet acte langagier procède d’un droit subjectif, de la capacité juridique de tout citoyen de faire la loi au nom de la raison constituante («le principe de toute liberté est de pouvoir faire la loi», écrit le républicain François Robert en 1790), c’est-à-dire sous l’égide de la souveraineté du peuple. Il s’appuie d’abord sur la proposition de droit définissant la liberté de chacun par la possibilité de la liberté de l’autre, puis sur la prononciation de droit, ouvrant la possibilité de voter, déléguer, nommer et sanctionner au sein d’un processus délibératif. Mais il n’est pas vraiment complet sans la prise en compte de la réciprocité du droit qui permet de mettre l’accent sur les droits attachés à la personne, en particulier le droit à l’existence.

Dès 1791, nous pouvons alors parler d’un espace public de réciprocité appréhendé sur la base des actions réflexives des patriotes et manifesté à l’aide d’une norme politico-morale acceptable par tous, donc faisant sens commun. Cet espace public de réciprocité, si spécifique du républicanisme de droit naturel (Gauthier, 1992), s’actualise d’un événement révolutionnaire à l’autre. Il se précise donc, au sein du réseau des assemblées révolutionnaires, à partir de procédures nombreuses et variées de formation de l’opinion et de la volonté outrepassant les pratiques délibératives mises en oeuvre dans le seul espace de la centralité législative. C’est pourquoi le laboratoire Révolution française demeure toujours ouvert à la réflexion contemporaine sur la politique délibérative appréhendée du point de vue du «concept procédurale de démocratie» (Habermas, 1997).

1- La mise en acte de l’argument de souveraineté du peuple.

Certes il ne s’agit pas de se cantonner à l’étude des manifestations exemplaires de la «démocratie pure», même si elles revêtent, nous le verrons dans la seconde partie, une importance capitale. Mais de la représentation classique d’Assemblée au simple mandat électoral en passant par diverses modalités de délégation dans le vaste réseau des appareils démocratiques, il reste beaucoup à dire sur les pratiques délibératives hors de l’enceinte de l’Assemblée nationale et du maillage des sociétés affiliées au club des Jacobins. L’espace interlocutif instauré dans l’échange, via les adresses, entre les députés et les citoyens pétitionnaires est certes un élément important de l’espace public de réciprocité mais n’en demeure pas moins en partie décalé, à cause d’un effet de hiérarchisation, par rapport au champ des expérimentations délibératives.

Répétons-le, le principe de l’unité et de l’indivisibilité de la souveraineté ne s’incarne pas exclusivement dans une Assemblée nationale représentative élue, mais concerne d’abord tout citoyen détenteur du pouvoir législatif «empirique», c’est-à-dire d’une «faculté de dire le droit», du pouvoir de faire (dire) la loi. Ainsi les pratiques délibératives doivent être aussi rapportées à l’acte de faire parler la loi, au jugement de tout citoyen présent activement dans un espace délibératif, ou plus simplement qui contribue par sa position de spectateur à la contextualisation de cet acte de langage.

Le problème posé ici est une question de méthode à part entière. L’analyse interne des pratiques délibératives, et des leurs règles, au sein de l’Assemblée nationale et du club des jacobins est certes justifiée, mais risque de faire l’impasse sur une bonne part du contexte historique et discursif. Par ce propos, nous ne souhaitons pas soit revenir à la théorie des circonstances, sans grand intérêt dans le propos qui nous rassemble, soit rappeler l’état des choses. Mais il nous importe avant tout de prendre au sérieux un argument, la souveraineté du peuple, d’en décrire les contextes d’émergence et surtout de replacer les pratiques délibératives disséminées dans ce contexte, de manière à les étudier au sein d’un continuum argumentatif où elles contribuent à la multiplication d’événements d’assemblée inédits.

D’un point de vue d’histoire des concepts (Guilhaumou, 2000), et plus précisément dans la lignée des récents travaux de Quentin Skinner, en particulier sur Hobbes (1996), nous voulons décrire une chaîne argumentative que l’acte délibératif met en mouvement, considérant ainsi le contexte non pas dans sa dimension extrinsèque, mais dans sa réactivation « interne » par un acte de langage à visée délibérative. Il s’agit donc de s’intéresser à la mise en acte d’un contexte dans le mouvement même d’un argument, la souveraineté du peuple, à la fois principe actif et raison pratique de la dimension délibérative du politique.

L’étude des pratiques délibératives, sous l’argument de souveraineté du peuple, dans le vaste espace public de réciprocité instauré par le mouvement révolutionnaire, nécessite également un champ d’investigation archivistique qui outrepasse non seulement le corpus des Archives parlementaires, adresses comprises, mais aussi le corpus des débats du club des Jacobins et de ses sociétés affiliées. Il nous faut étendre notre investigation aux procès-verbaux des municipalités, des sections, des comités de surveillance et autres assemblées délibératives et plus encore à l’ensemble des archives, y compris administratives, judiciaires et «médiatiques» (la presse, l’image, les chansons, etc.) qui participent du contexte même de ces expériences délibératives multiples. Vaste chantier archivistique dont nous ne retenons, dans notre propos actuel, que des éléments particulièrement significatifs.

Dans cette perspective, nous sommes également obligé de prendre en compte la Province, ou plus exactement le rapport entre Paris et la Province souvent revendiqué sur un mode égalitaire par les acteurs du mouvement révolutionnaire, mais trop rapidement rapporté, dans les représentations des législateurs et des jacobins, au fédéralisme. Enfin d’autres villes que Paris ont des traditions civiques très anciennes, parfois même fondatrices comme dans le cas de Marseille.

Aborder la diversité des pratiques délibératives dans le cas marseillais suppose donc toute une série de considérations contextuelles, toujours saisies dans le mouvement de mise en acte de l’argument de souveraineté du peuple.

C’est ainsi que nous convenons de présenter d’abord rapidement les caractéristiques majeures de la tradition civique marseillaise telles qu’elles se dégagent dans un travail commun avec un sociologue (Donzel, Guilhaumou, 2000) et s’étendent donc à l’ensemble de la période moderne et contemporaine. Déjà, nous y abordons de façon dynamique les conditions d’émergence et la diffusion de l’argument de souveraineté du peuple dans une période particulièrement riche en expériences délibératives, les années 1792-1793, mais souvent qualifiées de fédéralistes par le pouvoir central (Guilhaumou, 1992). Cependant nous nous arrêtons plus longuement dans la seconde partie sur le fonctionnement de la démocratie sectionnaire en 1793 (Guilhaumou, 1991), peu connue à cause de l’étiquette infamante de fédéraliste qui lui a été attachée par les historiens jusqu’à une date récente, mais tout à fait exemplaire de la diffusion de la parole publique, y compris sur l’axe masculin/féminin, dans un espace délibératif élargi.

2- La tradition civique marseillaise.

À Marseille, «l’expérience de la Cité» (Donzel, 1998) nous renvoie à une tradition civique attestée dès l’Antiquité. Marseille se définit très tôt comme une ville républicaine, créant ainsi, sur le modèle de la Cité grecque, un espace civique inscrit à l’horizon du droit, ce que nous appelons un espace public de réciprocité en référence aux caractéristiques majeures de cette tradition propre.

La Révolution française favorise tout particulièrement le développement d’un tel esprit civique. Son fondement doctrinal, le républicanisme de droit naturel, y trouve une réalisation exemplaire. En affirmant que la Constitution est tout entière dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les républicains marseillais, à l’égal du jugement des autres citoyens français, rappellent que la liberté en société, propriété essentielle de l’être humain, n’est autre que le droit naturel en société, et équivaut donc à la base de la constitution du peuple en société politique. Qui plus est, la réciprocité de la liberté et de la citoyenneté désigne l’égalité elle-même. L’actualisation du droit dans la relation à l’autre, par le fait de l’altérité, est donc ici essentielle pour atteindre la dimension universelle de toute expression particulière du droit.

La première des caractéristiques de la tradition civique marseillaise consiste alors dans l’exercice de la souveraineté populaire pendant la Révolution française au sein du réseau délibérant de la Municipalité, des sections et des sociétés populaires par l’expérimentation permanente d’une décision politique fondée sur l’égalité citoyenne. Nous sommes bien confrontés à «une Cité libre» où le sujet de droit s’actualise à distance de  la «centralité législative» tout en exerçant pleinement son jugement civique. Les acteurs émergents du mouvement républicain s’autolégitiment dans une telle souveraineté en acte, des «missionnaires patriotes» jacobins qui sillonnent les routes de Provence pour rendre effective l’existence d’un espace public fondé sur des bases constitutionnelles aux notables jacobins présents sur les tribunes des assemblées de la Cité.

Une telle dynamique de la citoyenneté n’est pas dissociable de sa finalité pratique, c’est-à-dire de la mise en œuvre effective du droit de cité dans une certaine manière d’habiter une Cité libre. Là l’historien laisse la place, un temps, au sociologue (Donzel, 1998) plus apte à décrire l’intervention directe des habitants dans la production et la gestion de leur cadre de vie, transformé en lieu de citoyenneté, jusqu’à l’époque actuelle. Ainsi la formation d’un espace public de réciprocité pendant la Révolution française marque l’accélération d’une autonomisation croissante de l’expression collective des habitants sur leur lieu de vie. Les sections périphériques pendant la Révolution française, et de nos jours les cités marseillaises, peuvent alors apparaître comme des lieux centraux dans l’expression de la citoyenneté, en particulier par le fait de l’action des citoyennes. La perception des modes d’habiter la cité par les acteurs eux-mêmes, à l’encontre de leur représentation négative dans le discours excluant de l’autre, constitue donc, dans sa dimension de projet civique, la seconde caractéristique de la tradition civique marseillaise.

En troisième lieu, nous mettons l’accent sur la capacité des citoyens marseillais à intégrer l’altérité, y compris dans les manifestations les plus extrêmes de l’exclusion. Une telle centralité paradoxale des «sans-parts» (Rancière, 1995) dans la dynamique sociale nourrit une aptitude spécifique à produire du lien social, à rendre compte d’une dynamique de l’Humain porteuse d’émancipation citoyenne. La force exemplaire du vivre ensemble explique ainsi l’accès, certes momentané, des femmes dans la citoyenneté active, en particulier dans les sections: elles arrivent ainsi à rendre compte de leur agir civique alors que leurs droits politiques ne sont pas reconnus dans l’espace de la centralité législative. Nous reviendrons sur ce point décisif de l’action des citoyennes en matière de souveraineté active.

Pour autant, du mode d’habiter au «vivre ensemble», il ne s’agit pas d’un repli sur soi, bien au contraire. La tradition civique marseillaise concerne une manière de situer son civisme aussi bien à l’intérieur de la Cité qu’à son extérieur. De la Révolution française aux années 1990, des «marches civiques» des «missionnaires patriotes» en 1792 aux marches contemporaines contre l’exclusion et le chômage (Guilhaumou, 1998b), les exemples sont nombreux d’une véritable stratégie d’essaimage d’un modèle de citoyenneté adéquat à l’expérience démocratique de la Cité. Ces pratiques extensives des manières de s’assembler se retrouvent encore dans la quotidienneté actuelle des jeunes venant des Cités en centre ville, voire dans l’importance du théâtre de rue où les acteurs «jouent en ambulatoire». Ainsi les spectateurs eux-mêmes jouent un rôle essentiel dans les nouvelles pratiques de formation de l’opinion et de la volonté. C’est un point qui mériterait développement, dans la perspective ouverte par Hannah Arendt selon laquelle seul le spectateur achève le parcours délibératif, en lui donnant une dimension narrative par sa capacité à en témoigner, donc à en transmettre le sens (Kristeva, 1999). Concluons sur ce point qu’il convient de ne pas s’enfermer dans les débats des assemblées représentatives si l’on veut comprendre les manières délibérantes de s’assembler, voire de délibérer. Il importe aussi d’appréhender la manière propre des «missionnaires patriotes» de délibérer en marchant, si l’on peut dire.

Ainsi lorsqu’un groupe de «missionnaires patriotes» marseillais encerclent, au terme de leur «ambulance» dans les Basses-Alpes, la ville royaliste de Sisteron, le 16 mai 1792, avec l’aide de trois rassemblements d’environ 1500 hommes chacun, positionnés aux principales portes de la ville et qualifiés dans leur ensemble de «peuple armé de la Constitution», ils répondent aux autorités constituées de cette ville venues en délégation à leur rencontre pour exprimer leur inquiétude devant une telle «armée sans chefs et sans discipline» qu’«ils se faisaient forts d’être approuvés de ce qu’ils diraient et feraient». Ils témoignent ainsi de la capacité délibérative en marche d’une telle «expédition patriotique» contre les ennemis de la république naissante. Il s’agit bien alors d’instaurer, par le recours permanent à la délibération sur l’application des lois constitutionnelles, un nouvel ordre civique là où «les lois sont sans vigueur», en particulier la loi sur la patrie en danger, par la médiation citoyenne de l’acte de faire parler la loi (Guilhaumou, 1992).

En fin de compte, il ressort des trois premières caractéristiques de la tradition civique marseillais une aspiration au « bonheur de vivre ensemble », déjà présente chez Aristote au principe même de l’appartenance à la Cité: sa dynamique procède d’un dialectique souffrance/bonheur, d’une aptitude à éprouver des émotions et des sentiments au cœur même de la rationalité civique porté par le mouvement républicain. Le droit à la parole et le droit à agir y occupent une place centrale, au point de constituer les critères propres de la vérité et de l’authenticité humaines, à l’égal de la formule des «missionnaires patriotes», «Qui agit bien dit vrai». La part du conflit et de l’adversité est bien sûr très présente dans une telle quête d’émancipation dans la mesure où les citoyens s’assemblent et délibèrent pour obtenir la part du commun qui leur revient et leur est généralement déniée.

II- La « souveraineté active » du fédéralisme sectionnaire (1793).

Nous sommes maintenant à Avignon, sur les bords du Rhône, quelque temps après la chute de la royauté, le 10 août 1792. Ici s’impose, au sein de l’assemblée électorale des Bouches-du-Rhône, l’expression de «souveraineté du peuple». Ainsi peut-on entendre dans la bouche de Barbaroux:

Le président donnant son avis avec l’agrément de l’assemblée sur le gouvernement représentatif et républicain fait sentir que le mot de République ne dit pas assez pour la garantie de la liberté, puisqu’il y a eu des républiques despotiques, telle que celle de Rome avec ses dictateurs; qu’il y en a eu d’aristocratiques, telles que celles de Venise et de Gênes. Il expose qu’il nous faut un gouvernement républicain; mais adapté à notre état moral et physique qui laisse au peuple sa souveraineté en toute chose […] Il faut que tout se rapporte au peuple, comme tout vient du peuple; il faut que sa souveraineté reste sans cesse active, soit qu’il nomme des législateurs et un pouvoir exécutif temporaire, soit qu’il sanctionne les décrets et juge la conduite des autres.

Laissons de côté la manière dont Barbaroux définit la «souveraineté active» en conformité à une position «minimaliste». Ce girondin restreint en effet les formes d’expression populaire au seul usage par chaque citoyen du droit de voter, déléguer, nommer et sanctionner; il se refuse donc à les étendre aux manifestations diversifiées de «la langue du peuple» au sein des événements révolutionnaires, là où le principe de souveraineté du peuple n’est pas appréhendé dans ses seules applications légales, mais relève aussi de l’ensemble des manifestations de l’identité du peuple souverain (Guilhaumou, 1998a, 163)

Constatons simplement l’enclenchement d’une série d’intrigues, sous l’argument de «souveraineté du peuple», destinées à occuper la scène politique provençale pendant près de deux années. C’est donc bien à partir de la catégorie contextuelle de souveraineté du peuple, de sa mise en acte au sein même d’une dissémination délibérative que s’organise notre analyse des pratiques d’assemblée. Il s’agit ici d’une catégorie procédurale. Nullement prisonnière de sa résonance abstraite, la catégorie référentielle de «souveraineté du peuple» se déploie au sein de configurations discursives significatives de l’actualisation du droit naturel déclaré universel et intersubjectif. Nous sommes ainsi confronté, dans les espaces d’assemblée, à une raison politique à la fois procédurale, dans la mesure où la vérité d’un énoncé, son intelligibilité, procède de l’énonciation de son agir, et régulatrice, là où elle élabore un «sens commun» de la politique au sein même d’un espace public de réciprocité. Une telle raison démocratique s’appréhende à la fois dans sa diversité (l’intelligibilité propre de chaque série d’événements) et son unité  (l’élaboration d’un lieu commun de la politique).

Cependant nous ne pouvons décrire ici l’ensemble d’un champ d’expérience (Guilhaumou, 1994) où l’événement demeure premier, y compris dans le fonctionnement des assemblées représentatives. Nous préférons donc nous en tenir, dans un propos désormais plus proche des énoncés attestés d’archive, au cas du fédéralisme sectionnaire, et plus particulièrement à sa période d’apogée au printemps 1793, d’autant plus que nous avons conservé une grande part des procès-verbaux des assemblées sectionnaires pour cette période mouvementée de l’histoire de Marseille, qualifiée usuellement de fédéraliste.

1- La « souveraineté délibérante » des sections marseillaises.

Au nom de «ce grand principe que le peuple est souverain», les patriotes de Marseille affirment que «tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires, ou les sections en permanence». S’opposant à «tout pouvoir quelconque attentatoire à la souveraineté», en l’occurrence la Société populaire et la Municipalité, le mouvement sectionnaire prend le pouvoir vers la mi-mai 1793. Son dessein est de consacrer les principes de la souveraineté populaire par l’acte de «mettre en exercice les droits de souveraineté du peuple».

Cet acte procède tout autant d’une réalité empirique («Tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires, ou des sections en permanence») que d’un principe naturel («La souveraineté naturelle et imprescriptible n’est due qu’au peuple»). C’est pourquoi l’accent est mis, au titre de la nécessaire «extension de la souveraineté», sur « ’exercice de la faculté de citoyen» par le droit de voter. «Tout individu dans une République étant membre du souverain doit participer à l’exercice de sa souveraineté qui consiste pour l’individu dans le droit de voter dans les assemblées primaires» précise un membre de la section 10, dont nous verrons bientôt le rôle de porte-parole au sein des sections marseillaises.

Ainsi, l’insurrection contre les Montagnards, accusée de vouloir détruire «l’unité de la Convention» suscite le recours permanent à «la souveraineté délibérante des sections» qui doit permettre de «donner à la souveraineté du peuple toute l’extension et la latitude dont elle est susceptible». «Le «droit de résistance à l’oppression» justifie que le peuple se ressaisisse de «l’exercice de la souveraineté» par le fait que tout individu use concrètement du droit de voter au sein des assemblées sectionnaires primaires.

Étant désormais acquis qu’«il faut que la souveraineté reste sans cesse active», et donc qu’«il faut laisser au peuple sa souveraineté en toutes choses», les commissaires des sections de Marseille parcourent la Provence «pour y faire exercer le droit de souveraineté du peuple dans les sections permanentes»; ils remontent en quelque sorte les chemins empruntés par «les missionnaires patriotes» jacobins de 1792, tout en les présentant comme des terroristes. Il s’agit alors de susciter «l’exercice en masse de la souveraineté locale» à l’encontre du mouvement jugé nocif que les sociétés populaires, sociétés dites particulières, ont antérieurement suscité. Ainsi des simples propos de sections aux organes sectionnaires de propagande, «on parle de la souveraineté du peuple et ses droits» sans cesse. S’il est donc toujours affirmé que «personne ne peut ravir au peuple sa souveraineté», de quelle souveraineté s’agit-il plus précisément?

À l’inquiétude de la section 12 qui considère que «les sections de Marseille ne sont point en insurrection pour faire la contre-révolution», mais «font usage de la souveraineté pour consolider la république une et indivisible» répond l’explication par la section 24 du sens de l’expression «sections souveraines», à l’encontre de son assimilation au fédéralisme par les Montagnards:

Considérant que les Sections de Marseille ne se disent point SOUVERAINES dans le sens que voudraient le faire entendre les Duumvirs, auteurs de l’Arrêté; que les sections sont trop instruites du principe de la souveraineté nationale et trop déterminées à le respecter, pour ne pas se tenir en garde contre toute atteinte qui pourrait y être portée; que quoique la souveraineté n’admette point de fractions dans le sens absolu, il est cependant une souveraineté relative dont un citoyen ou une portion de citoyens peut revendiquer l’exercice, toutes les fois que les droits qui lui ont été transmis et cédés par le pacte social sont violés à son égard: faculté qui lui est accordé par la Loi sous le nom de droit de résistance à l’oppression; que c’est purement de cette souveraineté relative, et pour ainsi dire de localité, que les sections de Marseille ont réclamé l’exercice; que cet exercice, bien loin de tendre au fédéralisme, c’est-à-dire à la division de la République, ne tend au contraire qu’à consolider son unité et son indivisibilité.

Ainsi se précise l’argumentaire qui préside au mécanisme démocratique mis en place par les citoyens des sections que nous allons décrire, L’acte de souveraineté est bien investi dans une pratique immédiate de la démocratie. Certes nous pouvons parler ici d’une expérience de «démocratie pure», en position-limite par rapport à la théorie du gouvernement représentatif basé sur un pacte social. Mais, le caractère indéniablement progressiste, républicain du mouvement sectionnaire, sa valeur processuelle, induit une dynamique spécifique, un rapport privilégié à l’action, non totalement réductible à un modèle théorique attesté. En effet, une telle pratique de la « démocratie pure » est pensée dans un projet, intitulé Idées à développer et soumis aux citoyens de Marseille par la section 18.

Il y est question d’«un Gouvernement démocratique» où «le peuple souverain veut garder immuablement le droit et l’action de sa souveraineté», c’est-à-dire le droit à la parole et à l’action, donc refuse toute délégation à des Représentants qui s’arrogent des «pouvoirs illimités», dans le cas présent les Montagnards. Le système démocratique proposé a pour objectif de faire que «toutes les représentations ne soient qu’une», qu’il existe qu’«une seule hiérarchie de droit» dont le peuple «tient les deux bouts et fixe le mouvement sans crainte de scission». Un tel refus de la centralité législative ne se veut donc pas en contradiction avec le principe d’unité et d’indivisibilité de la République. S’il existe, dans chaque Cité, un point central «vers lequel elle réunira plusieurs citoyens détachés de chaque section», puis d’autres points centraux au niveau départemental pour aboutir à «une représentation nationale», la hiérarchie des délégués d’un point à l’autre de l’édifice politique demeure sous la dépendance régulatrice du principe du peuple souverain.

En fin de compte, l’objectif des républicains sectionnaires est de jouir de la souveraineté de droit naturel au sein même d’une pratique empirique de la démocratie tout à fait spécifique, donc qu’il convient maintenant de décrire dans ses rouages les plus intimes.

2- Le mécanisme démocratique.

«L’assemblée considérant que tout principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation qui se trouve réunie dans les assemblées primaires»: c’est à ce titre que les assemblées sectionnaires de Marseille acceptent en leur sein la masse des citoyens, à la limite près que la présence des citoyennes dans les tribunes, voir dans la salle elle-même, fait l’objet de discussions contradictoires d’une section à l’autre. Toujours est-il que les sectionnaires refusent le contrôle par certificat de civisme («C’est contre les lois et la souveraineté du peuple»), antérieurement imposé par la société populaire qui, se réunissant en corps constitué, s’est mise ainsi, à leurs yeux, en situation «attentatoire à la souveraineté des assemblées primaires»

Tout individu de nationalité française peut exercer sans entrave sa «fonction de citoyen» dans la mesure où la concrétisation du principe de souveraineté lui a permis, dès 1789, de retrouver sa «faculté d’énoncer ses pensées». Cette volonté d’ouverture se traduit par une brusque augmentation du nombre de votants: de 400 le 12 avril dans la section 6, ils sont 950 le 26 avril, alors que la société populaire a perdu son rôle dominant dans cette section.

Considérant que «le temps de parler librement et sans crainte est arrivé», tout sectionnaire peut prononcer un discours («Un membre, après avoir obtenu la parole, a dit…»), et espérer sa traduction finale sous la forme d’une motion de la section assemblée («discours suivi de la délibération de nos frères qui ont converti en pétition le dit discours»). Après délibération, une telle motion devient, par adhésion des membres de la section, une pétition adressée aux sections sœurs. D’une section à l’autre, par la médiation de délégués, la pétition est de nouveau prononcée, délibérée et éventuellement adhérée jusqu’à son terme, c’est-à-dire au moment où il devient possible de la présenter aux autorités constituées, surtout la Municipalité, qui doivent faire «droit à la demande». De fait, les registres de délibérations des sections sont remplis de formule du type: «Il a été fait lecture d’une pétition de la section n°-», «Une députation de la section n°- est entrée et a remis sur le bureau une pétition dont la lecture a été faite», «Deux commissaires ont présenté le projet adhéré par la section n°-», «La section – nous a fait présenter, pour y adhérer, une délibération qu’elle a prise».

Compte tenu de la complexité du trajet délibératif, l’attention à la bonne marche du mécanisme démocratique est très forte: désormais «tout citoyen ne quitte plus sa carte de section». La quantité de lampes nécessaire pour «bien distinguer ceux qui prennent la parole» est même un objet de discussion! Certes l’essentiel des citoyens concernés sont des hommes, mais des citoyennes, parfois très jeunes, peuvent quitter les tribunes, prononcer des discours et manifester ainsi leur adhésion à des pétitions, en particulier dans la section 8 où un groupe de jeunes filles s’avère particulièrement actif. Jeunes et citoyennes, le fait est suffisamment important dans un monde de la politique révolutionnaire dominé par des individus masculins d’une quarantaine d’années pour qu’il soit souligné.

La lenteur d’un tel système n’échappe à personne, surtout pas aux sectionnaires. C’est pourquoi s’impose très vite l’établissement d’organismes exécutifs internes aux sections, les comités. S’instaure aussi un Comité Général Central des 32 sections marseillaises chargé des «parties d’exécution, de correspondance et de salut public» au point de prendre le risque d’enrayer un tel mécanisme démocratique, c’est-à-dire de «s’asservir à un ordre».

Cependant le mécanisme démocratique lui-même engendre la parade à un tel risque de bureaucratisation du mouvement sectionnaire. Tout vient de la section 10, proche de l’Hôtel de Ville, où se configure progressivement un lieu central de rassemblement des délégués de section, en toute indépendance du Comité Central, donc en toute souveraineté. Dès la fin avril 1793, la section 10 est présentée comme «le modèle à suivre» par les sections sœurs à cause de sa capacité à «concourir au bien général», à concrétiser l’union et la fraternité entre citoyens. À ce titre, là où elle se réunit, se tient, de façon quasi-journalière, des réunions de commissaires de section qui délibèrent sur la bonne marche des pétitions adhérées par la majorité des sections. Il s’agit en quelque sorte d’un comité précisant les modalités d’exécution des décisions unanimes, et renvoyant ainsi le Comité central au seul règlement des affaires courantes. L’extension de la souveraineté concerne donc tout aussi bien la délibération sur l’exécution des demandes que leur énonciation et leur adoption par le vote ouvrant «droit à la demande» des citoyens réunis.

À ce stade de notre analyse, précisons plusieurs points importants:

– L’activité unificatrice de la section 10 est complétée par l’activité de la section 4, fortement marquée par l’action de citoyennes, qui devient progressivement «l’interprète des sentiments» des sections sœurs. Dans la raison démocratique, l’union du coeur et de l’esprit est l’expression même de l’unité républicaine. Présentement, elle s’actualise aussi sur l’axe masculin/féminin.

– Au sein des modalités concrètes de cette expérience démocratique, le refus doctrinal de toute représentation permanente (les commissaires changent d’une délégation à l’autre) n’implique pas l’absence de processus énonciatif spécifique sous la modalité du porte-parole, incarné ici par une section particulière, la 10, qui énonce sans cesse sa capacité à traduire «l’impulsion spontanée» des citoyens délibérant dans leur section en «un assentiment général».

– La première réunion des commissaires prend acte du vote à l’unanimité des délégués de la permanence de la garde nationale. Ce n’est pas un hasard si la section 10 est la première à formuler cette demande auprès des autres sections: «La section 10 nous a présenté une pétition demandant à la municipalité de mettre la garde nationale en réquisition permanente, que tout citoyen a le droit d’opposer la résistance à l’oppression» (section 2). C’est donc bien sur la question des «citoyens en armes» en référence au droit de résistance à l’oppression que s’enclenche une telle manière de porter la parole en nom collectif.

Ainsi les sectionnaires puisent, par l’intermédiaire de la section 10, leur «énergie républicaine» dans un contexte d’union et de mobilisation toujours formulé dans l’argument du droit souverain. Un tel rapprochement, jusqu’à l’indistinction, entre les notions de droit et de souveraineté devrait nous faire réfléchir sur la manière souvent très abstraite dont les historiens abordent en général le principe de souveraineté nationale. Le trajet de la proclamation de l’intangibilité du principe de souveraineté à l’exercice effectif des droits de souveraineté est de bout en bout pris dans le même argumentaire. Rien de plus concret donc qu’une telle souveraineté en acte, sans pour autant qu’une telle constatation pratique nie la valeur principielle de la catégorie de souveraineté.

En développant des trois points évoqués ci-dessus le premier, nous pouvons préciser encore plus le caractère concret de la souveraineté avec le cas particulièrement important de l‘action des citoyennes. Nous nous tiendrons à des considérations locales, sans perdre de vue pour autant l’action des femmes pendant la Révolution française dans leur ensemble (Guilhaumou, Lapied, 1997).

3- Le rôle des citoyennes.

L’analyse quantitative du phénomène de la suspicion en l’An II met en évidence une présence notable de femmes dans les prisons marseillaises, la plupart soupçonnées d’appartenir à une famille d’obédience fédéraliste (Guilhaumou, 1996). Nous pouvons ainsi circonscrire un groupe de neuf femmes plutôt jeunes dont l’activité au sein de la section 4 est particulièrement visible pour l’une d’entre elles Thérèse Clappier (Guilhaumou, 1999).

Deux sœurs, Marie et Claire Odde, 25 et 28 ans, dont le père serrurier est aussi en prison, y côtoient Sabine et Fouquette Reboul, 21 et 27 ans dont le frère s’est engagé dans l’armée départementale levée contre les troupes de la Convention. Viennent ensuite Thérèse Mary, 30 ans, Julie Sorel, 17 ans, et la Catalane, 30 ans. Enfin, avec Sabine Maisse, 19 ans, nous approchons le noyau le plus actif: Sabine est la fille de Nicolas Maisse, guillotiné en tant que l’un des principaux dirigeants de la section 4, et l’amie de Thérèse Clappier, 16 ans.

Nous connaissons la famille Clappier grâce à sa correspondance envoyée au représentant du peuple Maignet dont nous avons conservé une partie. Cette famille est composée du père Joseph, parfumeur, de la mère Marie-Thérèse, gantière, et de leur fille Thérèse. Le père et la mère sont arrêtés une première fois en novembre 1793, puis relâchés. Mais la mère est de nouveau emprisonnée, au titre de son attitude à l’égard de sa fille, également mise en cause. En effet, devant le tribunal révolutionnaire, il lui est reprochée d’avoir «instruit sa jeune fille dans les principes des sections», de l’avoir conduite dans la section 4 et de l’avoir forcée «à soulever le peuple contre la Convention et les patriotes par un discours contre-révolutionnaire». Thérèse sa fille, également convoquée par le tribunal, se défend d’avoir prononcé ce discours («C’est le citoyen Maisse qui me l’avait fait pour me faire passer pour héroïne, je ne l’ai pas prononcé»), mettant ainsi en évidence ses liens avec la famille «très suspecte» des Maisse.

De fait, nous avons retrouvé et publié ce discours (Guilhaumou, 1992, 245-248) qui développe longuement la thèse de «l’influence du sexe féminin» dans ce moment décisif d’août 1793 de mobilisation contre l’armée des «usurpateurs» de la Convention. Il s’agit d’inciter les citoyens des sections à prendre les armes:

O vous citoyennes de cette section, joignez vous à moi et toutes ensemble disons à nos époux et à nos enfants, marchez, volez vous ranger sous les étendards de la liberté, emblème de la victoire, allez combattre […] Pourriez-vous encore délibérer, lorsqu’il vous faut combattre, y a-t-il parmi vous des âmes assez lâches pour nous livrer au fer des assassins […] Allez combattre, sans doute vous serez victorieux quand vous saurez que pour prix de votre triomphe, vous trouverez en rentrant dans vos foyers vos filles et vos femmes ne formant qu’un groupe sur l’autel de la Patrie.

Délibérer et combattre: l’un est-il dans la continuité de l’autre, ou l’un et l’autre s’opposent-ils? La délibération peut-elle se maintenir en combattant? Nous touchons là au problème de l’héroïsme en l’occurrence féminin qui manifeste la présence d’une communauté idéale des citoyens (Centlivres, Fabre, Zonabend, 1998). Mais ne manifeste-t-il pas pour autant les limites d’un espace délibératif qui ne peut prendre les armes, si l’on peut dire, sans se dissoudre et devenir le bras armé d’une autorité exécutive, en l’occurrence le Comité Central des sections? Nous sommes plutôt enclin à penser que l’action féminine introduit à une nouvelle extension de l’action politique au sein de l’espace public.

Nous sommes en effet confronté, avec le cas de Thérèse Clappier et de ses amies, au portrait d’un groupe de jeunes républicaines, formées à l’école de la souveraineté du peuple, et qui symbolisent, par leur présence active dans la section, la dimension héroïque de tout mouvement d’enthousiasme nourri par la mobilisation démocratique. Présentes dans les tribunes de la section, d’abord spectatrices des délibérations entre hommes, elles montent, au moment le plus crucial, à la tribune pour prononcer des discours énergiques, elles deviennent ainsi des protagonistes de l’action en étendant la rationalité délibérative à une part du sensible (Rancière, 1995) ouvrant largement l’espace politique par la sympathie d’aspiration qu’elles expriment à l’égard du mouvement sectionnaire.

En affirmant que «nous sommes citoyennes» parce que «nous sommes le souverain», les citoyennes révolutionnaires, en dépit de leur exclusion légale du vote et donc de l’espace législatif, investissent à leur façon l’espace public par leurs actions politiques en mettant tout particulièrement l’accent sur le mot d’ordre «Ce sont des armes qu’il nous faut». Peut-on dire que, dès les journées d’octobre 1789, elles délibèrent en marchant les armes à la main? Du moins nous sommes bien confronté à un investissement féminin de dimension universelle dans sa manière de manifester la part sensible d’une sympathie d’aspiration pour la Révolution, et d’exprimer de manière héroïque un sentiment d’humanité propice à la formation d’un nouveau lien social.

Conclusion.

Nous avons essayé de faire comprendre ce nous entendions par la nécessaire contextualisation des manières de s’assembler et de délibérer, de leur appréhension première comme événements avant tout engagement, certes légitime, dans des comparaisons historiques. Il ne s’agit vraiment pas de rappeler le sociologue, l’anthropologue ou le politiste à l’ordre irréductible de la réalité historique, de l’état des choses. Le contexte est pris ici tout autrement comme une réserve de sens, donc d’arguments. Ainsi l’argument de souveraineté s’investit dans le mécanisme délibératif en l’associant aussi bien à des émergences complexes de porte-parole qu’à des pratiques ambulatoires irréductibles à tout espace clos.

En d’autres termes, plus proches de notre sensibilité d’analyste de discours, nous pensons que les pratiques d’assemblée de la Révolution française ne se résument pas dans des pratiques représentatives, aussi bien au sens de la représentation politique que dans les termes d’une histoire des représentations très en vogue de nos jours. Il s’agit aussi de pratiques cognitives qui rendent compte des ressources et des connaissances de chaque citoyen devenu juge en matière d’activité législative et d’émancipation politique dans le nouvel espace public de réciprocité. Tout référent «politique» susceptible de permettre la reconnaissance et l’identification des manières de s’assembler et de délibérer n’a d’autre présupposé que lui-même. Il se déploie alors, en tant que type cognitif (Eco, 1999), et s’interprète dans un trajet, des procédures et une production de sens qui nous interdit de le dissocier, une fois posé sa valeur principielle, de l’exercice concret d’une politique délibérante.

Bref, à l’encontre de toute démarche constructiviste, nous pensons que la compréhension de l’historicité des pratiques d’assemblée nécessite leur appréhension première comme événements d’assemblée dans la concrétisation même des principes qui les fondent, présentement sous l’argument de souveraineté du peuple. Empiricité et historicité peuvent alors fonder une démarche comparative qui demeurera au plus près des ressources discursives attestées, et au plus loin des observations en surplomb. Il existe bien des idéaux-types de la politique démocratique, mais leur appréhension passe par une attention privilégiée au trajet de la langue empirique – dans laquelle ils se concrétisent comme événements – à la langue abstraite, métadiscours second certes, mais seul susceptible d’en faire des objets de comparaison.

Jacques Guilhaumou    

«Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante à Marseille», Qui veut prendre la parole? dir. M. Detienne, Paris, Seuil, Le Genre Humain, 2003, p. 329-349.

Références bibliographiques

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“La langue du peuple pendant la Révolution française” ~ par Jacques Guilhaumou

24 mardi Sep 2019

Posted by Claude Guillon in «Articles»

≈ Commentaires fermés sur “La langue du peuple pendant la Révolution française” ~ par Jacques Guilhaumou

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Hébert, Jacques Guilhaumou, Michel Biard, Raymonde Monnier

Je reproduis ci-après, avec son accord un article de Jacques Guilhaumou (UMR «Triangle», Université de Lyon, CNRS/ENS-LSH), « Parler la langue du peuple pendant la Révolution», tiré de l’ouvrage La Révolution française. Une histoire toujours vivante, sous la direction de Michel Biard, Paris, Taillandier, 2009, pp. 317-331. réédition: Paris, CNRSeditions, 2014, pp. 317-331.

La langue du peuple

pendant la Révolution française

La formation d’une «nouvelle langue politique», selon l’expression de Sieyès, est la quête obligée d’une génération de révolutionnaires qui se trouve confrontée à un  immense changement[1]. Certes cette invention d’une nouvelle langue politique est précédée, dès les années 1750, d’un souci de constituer une langue analytique bien faite, donc au plus près de la raison, avec les Encyclopédistes, mais en restant à distance des préjugés du peuple. C’est donc seulement au cours des années 1770-1780, avec l’émergence d’une façon d’observer la société, qui prend déjà nom de sociologie là encore sous la plume de Sieyès[2], que se précise un intérêt pour le «peuple malheureux» en s’appuyant sur la connaissance des mœurs et des besoins sociaux[3]. Ce qui revient d’emblée à donner une base sociale large et déterminée à la nouvelle langue politique. Ainsi, le peuple n’est plus exclu de l’observation sociale, comme dans les périodes antérieures. Bien au contraire. Il est alors possible, comme l’ont fait Arlette Farge et Déborah Cohen[4], de donner vie, à partir d’archives, à la parole populaire en cette fin de l’Ancien Régime par la prise en compte de ses revendications, et de leur légitimation propre.

Ainsi le Robespierre avocat dans les années 1780[5] considère que le peuple doit «être compté pour quelque chose», en se présentant, d’une affaire judiciaire à l’autre, comme le témoin  oculaire qui atteste du malheur de tel ou tel homme du peuple. Il témoigne ainsi de l’injustice faite au peuple, et en fait un argument pour l’action. Dans le même temps, il met en place avec d’autres penseurs des Lumières tardives (Condillac, Helvétius, D’Holbach, Condorcet) les bases de l’art social qui vont permettre le déploiement de la figure sublime du législateur bientôt légitimée par le déploiement souveraineté du peuple. Il institue ainsi la présence, au sein même de la nouvelle langue politique, d’un tiers légitimant, la parole du peuple. Toute analyse de la langue politique pendant la Révolution française est donc indissociable de la question de la langue du peuple telle qu’elle se présente sous diverses formes au cours de la période démocratique de la Révolution française.

Déjà Rousseau s’était efforcé, dans le Contrat Social, «d’examiner l’acte par lequel le peuple est peuple» et de le situer au fondement de toute société juste. Il en conclut que le peuple prend nom de peuple dans chaque événement qui le légitime, posant ainsi, avec l’événement révolutionnaire à venir, un terrain d’expérimentation sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Cependant, adepte des paradoxes, il écrit aussi vite qu’«Il y a mille sorte d’idées qu’il est impossible de traduire dans la langue du peuple», ce qui nous renvoie, avec la Révolution française, à l’effort constant du porte-parole, et qui plus est du législateur, pour traduire la langue du peuple, tout particulièrement dans les moments de crise politique.

Faire l’histoire de la langue du peuple au cours  de la Révolution Française, c’est donc situer les temps forts d’un tel processus de traduction, et ses diverses mises en œuvre au cours du processus révolutionnaire. Nous nous contentons présentement de poser quelques jalons d’une année de la Révolution à l’autre, tout en consacrant un développement plus substantiel à une expérience de la langue du peuple particulièrement originale, et qui vient de faire l’objet d’une minutieuse étude de Michel Biard, le style Père Duchesne en particulier sous le plume d’Hébert, un des principaux dirigeants cordeliers en 1793.

Le trajet de la langue du peuple[6]

L’année 89, année sans pareille, débute avec la célèbre interpellation de Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-État ? où il est question du Tiers-État qui n’a été rien dans l’ordre politique jusqu’à présent, et qui demande à «devenir quelque chose» dans le nouvel ordre social. Elle se déroule alors au plus près d’une institution nouvelle, l’Assemblée Nationale. C’est du langage du peuple-nation dont il est question tout au long des événements, dans une dissociation encore fortement présente avec un langage du peuple qui peut se manifester dans des propos et des attitudes violentes, voire dans des gestes punitifs. La parole du peuple exprime certes une demande, mais dans une forme punitive, ainsi le massacre de De Launay, le gouverneur de la Bastille, 14 juillet 1789, est présenté dans les termes suivants par l’un de ses assassins: «Quand de Launay fut mort, le peuple dit : la Nation demande sa tête pour la montrer au public». Ce mélange de demande publique et de violence émeutière procède pour les contemporains, et en particulier les députés de l’Assemblée Nationale, d’un alliage «impur». Il constitue cependant, par la multiplication des scènes punitives – voir de même les massacres de Foulon, conseiller d’Etat et de Bertier de Sauvigny, Intendant de Paris –, l’une des manifestations de la violence du peuple jusque dans des formes langagières spécifiques.

Il importe ainsi pour l’histoire de suivre, d’événement en événement, la diffusion d’un tel langage populaire situé au plus près de la quotidienneté, avec son point culminant au moment des massacres de septembre 1792 à Paris.

L’exemple du faubourg Saint-Marcel[7], caractérisé par la présence de nombreux sans-culottes d’un tumulte à l’autre, est ici particulièrement parlant si l’on peut dire. Renfermant dans ses prisons plus de 800 suspects, ces derniers subissent toutes sortes d’«actes de férocité» précise un officier municipal qui témoigne par ailleurs de son échec à les empêcher dans  les termes suivants: «Je leur parlai le langage austère de la loi… Je les fis tous sortir devant moi; j’étais à peine moi-même sorti qu’ils rentrèrent.» Il assiste alors impuissant au massacre de plusieurs dizaines de prisonniers, contraint de même à entendre les propos punitifs des septembriseurs repris des actes du quotidien, ainsi du type «Je hacherai cette viande par morceaux et la fricasserai pour les faire manger aux aristocrates» ou «Vous, Monsieur à la peau fine, je vais me régaler d’un verre de ton sang». L’acte punitif s’arrête souvent avant, par le seul fait du sabrage du prisonnier. Mais l’horreur du geste et du propos traumatisent les contemporains.

Cependant des juges improvisés tentent, dans certaines prisons, de faire la part entre l’innocent et le coupable : s’ils arrivent à sauver quelques vies, ils n’empêchent pas le massacre de la majeure part des prisonniers. Précisons cependant qu’ils utilisent un langage politique marquant une volonté de traduire la demande légitime du peuple tout en excluant le contexte punitif, ainsi de formules utilisées face aux septembriseurs qui vont avoir un succès certain par la suite comme «Guerre ouverte aux ennemis du bien public», «C’est un combat à mort».

L’effort ainsi attesté de traduire la demande du peuple dans une langue politique légitime, donc de faire droit aux besoins du peuple au titre de la Déclaration des droits et du citoyen qui ouvre la possibilité de réaliser les droits naturels de chaque individu, devient l’une des préoccupations majeures des républicains en 1791-1792, puis des Jacobins en 1793-1794.

Raymonde Monnier a décrit avec minutie le langage républicain en acte des années 1790-1792 qui se déploie au sein d’«une sphère démocratique de discussion où chacun s’autorise à donner son opinion sur la politique est les sujets d’intérêt général»[8], en appui sur une presse quotidienne qui informe le peuple parisien de la révolution au jour le jour. L’engagement des gens de lettres auprès du peuple est ici fortement marqué et concerne aussi des écrivaines patriotes, à l’exemple de Louise de Keralio, l’épouse de François Robert qui animent, à eux deux, le cercle démocratique du Mercure National. Non seulement, ils défendent la cause du peuple français, mais aussi celle des peuples, au titre de «l’union fraternelle des nations d’Europe». Qui plus est, «la prise de parole publique des femmes»[9] est l’une des composantes importantes du langage républicain dans sa proximité à la langue du peuple.

En énonçant, dans sa profession de foi, «Je hais les rois et j’abhorre la royauté», en considérant qu’il faut effacer de notre mémoire jusqu’au nom de roi, et introduire le mot république qui «fait reculer d’effroi» les ennemis du peuple, le républicain Robert constitue, avec d’autres écrivains patriotes, un espace de traduction de la souveraineté du peuple occupé désormais par un langage républicain, dissociant royauté et liberté, et faisant de tout patriote un démocrate. Dans la mesure où la démocratie est «le gouvernement de tous», et «ne suppose qu’une chose: l’égalité», elle est aussi le langage de tous, du «peuple-roi», et non seulement le langage d’un tout social, comme en 1789, souvent dissocié des manifestations légitimes du peuple, parce que «dévoyées» dans une parole encore punitive. En disant que «citoyen, patriote, ami de la liberté et démocrate sont de parfaits synonymes», Robert pointe ainsi la désignation du peuple par lui-même, sa manière de dire sa puissance dans un langage républicain. Il instaure, avec d’autres, une énonciation légitime du peuple, une manière «populaire» de parler.

Les adresses présentées à l’Assemblée législative et émanant de diverses autorités constituées ne disent pas autre chose, tout en réservant, en cas de refus de leur demande, au peuple la possibilité de «faire justice lui-même» par la reprise de l’exercice de ses droits. Une telle tension, au risque de la dissociation pour les républicains les plus modérés entre un «peuple éclairé» et un «peuple ignorant», donc sensible à l’anarchie, est omniprésente dans cette manière de traduire la demande du peuple dans un langage lui-même désigné comme «populaire». C’est aussi à ce titre que les républicains ne sont pas tous Jacobins, ou tout du moins n’adhèrent pas tous à la radicalisation progressive du mouvement jacobin, à l’exemple d’Antoine Tournon[10].

C’est pourquoi nous avons toujours accordé, depuis nos premiers travaux sur la langue politique, une place centrale à la manière dont Robespierre et les Jacobins inventent un savoir parler «populaire» en situant les expressions légitimes du «mouvement populaire», au cours de l’année 1792 et plus particulièrement à l’occasion de la chute de la royauté, le 10 août 1792. Partant du constat que faire le récit du 10 août, c’est prendre en compte «un spectacle qu’aucune langue ne peut rendre», Robespierre s’efforce de délimiter les nouvelles expressions légitimes d’un «peuple entier» usant de ses droits en s’appuyant sur «le langage de vérité des délégués immédiats du peuple» dont lui-même en tant que délégué de la Commune de Paris. En considérant « ce que le peuple a fait» et la manière sont ses délégués l’ont traduit dans «un langage de vérité», Robespierre institue une langue politique en «communication directe avec le peuple».

Qui plus est, il peut alors affirmer, une fois élu à la Convention, et à propos des massacres de septembre que «c’était un mouvement populaire» dans le fait même que des juges improvisés y étaient présents pour énoncer «le langage de vérité» du peuple. Désormais le rôle qui est dévolu par les Montagnards aux législateurs est de traduire les besoins et les passions du peuple dans «une langue du peuple» face à un peuple qui ne détient pas encore la science de la politique. À chaque usage de «populaire» («mouvement populaire, force populaire, délégué populaire.»), le discours jacobin s’autolégitime comme «langue du peuple».

Reconnaître alors le peuple comme incarnant le tout de la communauté politique à travers le qualificatif de populaire ne se réduit pas alors à rendre compte de la nécessité de la voix du peuple, et de son écoute dans le concert législatif [11]. De surcroît, l’insurrection du 10 août confronte certes les patriotes à l’expérience de l’inhumanité, manifestée dans la souffrance issue de l’insensibilité royale, ce qui les incite, en réaction, à l’appel à la vengeance au nom de la sauvegarde du  corps du peuple. Mais le plus important réside alors dans la nouvelle façon de communiquer entre le peuple et ses représentants au lendemain du 10 août qui met certes un terme à « la confusion des langages républicains », mais surtout ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont le peuple prend nom de peuple dans chaque événement où il manifeste sa présence révolutionnaire, donc parle sa propre langue.

Il importe en effet que la dynamique langagière du moment 1792 soit fortement soulignée. Il importe tout autant qu’elle ne soit pas perçue comme purement émotive, au titre d’un cri légitime de souffrance, et qu’elle ne se traduise pas par le seul  argument de la demande de droit présent dans le discours de ses porte-parole. Elle est tout autant conceptuelle, au sens où le savoir politique devient langue du peuple, langue de la Masse écrira Marx lecteur de la Révolution française, donc constitue un jalon essentiel de la tradition progressiste[12].

D’ailleurs un des aspects de cette nouvelle économie politique populaire qui se met en place, au niveau langagier, est une position antirhétorique qui s’exprime bien dans la phrase «Discourir laconiquement est le propre du jacobin». À distance de la profusion oratoire issue du sentiment redoublé par un argument, l’affirmation de l’identité entre la langue et les droits permet de formuler la langue du peuple dans toutes sortes de déploiements de la parole naturelle des individus, et lui confère une valeur de reconnaissance bien marquée par la référence à une science de la politique. D’analogie en analogie sur le terrain de la simple nature humaine, d’une expression populaire à l’autre, une telle langue du peuple prend une consistance que nul autre qu’Hébert dans le Père Duchesne a su si bien mettre en valeur.

Le parler peuple

Hébert, l’un des principaux dirigeants de la Commune de Paris et du club des Cordeliers, occupe en effet, grâce à son Père Duchesne publié dès 1790 et interrompu par son exécution en 1794, une place singulière dans l’histoire de l’opinion populaire pendant la Révolution française.

L’apogée du Père Duchesne d’Hébert se situe durant l’été-automne 1793 au moment où le mouvement populaire connaît sa pleine puissance dans le contexte du lien qui s’établit à Paris entre les Cordeliers et le mouvement révolutionnaire impulsé par les sectionnaires jacobins radicaux, les femmes révolutionnaires et les envoyés des départements pour la fête du 10 août  Au cours de l’automne, ce journal se diffuse à près de 50.000 exemplaires, ce qui est considérable pour l’époque.

Pour en comprendre le succès, il convient d’en préciser le style. C’est ainsi que le journaliste des Annales de la République française note au début du mois de septembre 1793 que «C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Ce proverbe connu peut-être appliqué au Père Duchesne. Depuis qu’il a quitté ses fourneaux pour prendre la plume, ses joies et ses colères ne sont pas seulement le thermomètre des événements, mais le vieux forgeron se perfectionne chaque jour dans l’art d’écrire avec méthode et de jurer avec grâce». De fait Hébert, capable de «s’exprimer en style différent et dans une forme plus accablante alors» lorsqu’il quitte la tribune de la Commune de Paris et donne à lire son Père Duchesne par les colporteurs, connaît, en ce début de mise à l’ordre du jour de la Terreur, un immense succès. Il est considéré comme le porte-parole des «orateurs des groupes», donc du «peuple des groupes» et ses opinions, depuis le début de 1793, sont «le thermomètre du jour» selon le journaliste de la Gazette française. Par son journal, il n’a de cesse d’«éclairer le peuple», de «faire des motions patriotiques».

En quoi le style du Père Duchesne est-il si bien adapté à un public populaire? D’abord par l’usage des ressources les plus diverses de la narration imagée, par exemple le dialogue fictif sous divers costumes, des récits de promenade – au Palais-Royal, à la Courtille et ailleurs –, des récits de songe, des narrations allégoriques. Mais aussi et surtout par l’usage massif de jurons et d’expressions populaires dont le Dictionnaire historique de Michel Biard propose un recensement et une analyse précis[13]. De cette performativité du langage populaire du Père Duchesne, on peut déjà en prendre conscience dans les lectures d’archive, par exemple lorsque que dépouillant, aux Archives Nationales, le dossier de police d’un sectionnaire parisien, j’y trouvai, dans un billet de dénonciation, le propos suivant que lui attribuait son dénonciateur: «Foutre, je vais jurer comme le Père Duchesne». Il convenait donc que l’historien en mesure toute l’ampleur en retraçant, d’une expression à l’autre, la multiplicité des parcours thématiques proposées par Hébert au cœur même de l’action révolutionnaire dans sa dimension performative.

Cependant bien des expressions populaires du Père Duchesne nous sont devenues inaudibles, faute d’en saisir le sens, et «gênent» donc sa lecture sans commentaires. En nous proposant ainsi un imposant Dictionnaire du Père Duchesne, qui comprend pas moins de 550 pages d’expressions présentées, commentées, contextualisées, Michel Biard nous ouvre un vaste horizon de compréhension sur la façon dont se greffe la langue populaire sur la langue politique de la Révolution française, pour en redoubler les effets [14].

Le journaliste patriote Cérutti, dans son Prospectus d’un Dictionnaire d’exagération, s’intéresse à «l’idiome exagérateur» qui se veut proportionné à l’accroissement subit des idées, véritable «langue des effets»[15]. Le Père Duchesne procède d’une telle exagération proportionnée aux circonstances, ce qui nous écarte du langage ordurier.

Compte tenu du fait qu’une grande part du journal d’Hébert relève de la dénonciation publique des «coups de chien» adversaires de la République, l’usage pléthorique et diversifié à l’extrême des expressions populaires sur ce registre en redouble les effets, et contribue donc tout particulièrement à la visibilité du Père Duchesne dans l’opinion publique.

Il s’agit par exemple de rire des  rois et des reines lorsqu’il est dit qu’ils vont «avoir le bec jaune» au prise avec les braves sans-culottes, donc de s’en moquer en considérant telle ou telle tête couronnée et/ou mitrée d’Europe comme «un blanc-bec», et de les qualifier, à l’exemple de Louis XVI, de «bamboche couronnée». Il s’agit aussi de  dénoncer leur «margouillis», leur art de «jeter de la poudre aux yeux», et de les accuser de «graisser la patte» aux députés de l’Assemblée, à l’exemple de Marie-Antoinette, donc de «se foutre comme Jean de Vert» des dangers qui pèsent sur la République. Et bien sûr de les combattre en leur faisant «danser le rigodon», en leur «foutant la danse», tout en leur faisant aussi «payer les violons»!

Ce n’est donc que «jean-foutre», «viédase» – c’est du vocabulaire rabelaisien – «valetaille» pris à parti par le Hébert, mais parfois avec des mots comme «jeantrillâtre» «parfaitement compris des lecteurs du Père Duchesne, eux-mêmes prompts à saisir les jeux sur les mots dont la presse et les pamphlets multiplient chaque jour les exemples», mais dont l’historien se doit, ici avec succès, de préciser l’origine et la composition pour nos contemporains qui les ont oubliés. Ici «jean-foutre» associé au verbe «étriller» et au suffixe «âtre» à connotation fortement péjorative comme dans «bellâtre». Le mot rare, disons oublié, et dévalorisant peut aussi servir à s’adresser aux femmes, ainsi  «ajustorion», pour se moquer de l’ornementation des muscadines.

En contextualisant telle ou telle expression, l’historien nous fait aussi découvrir l’impact historique de la dénonciation des ennemis en nombre de la République jusqu’aux Girondins inclus qui ne cessent de «mener à la lisière» les patriotes en leur donnant «un os à ronger». De même les mots d’ordre hébertistes prennent ici un relief particulier, par exemple avec la destitution des nobles pendant l’été 1793 lorsqu’il est question des «ci-devants talons rouges».

Tout un univers de la comédie, du théâtre des boulevards, de la parade de rue, du Carnaval, du cabaret de la Courtille, déjà évoqué, se précise ainsi que à la lecture de ces expressions populaires. Arlequin est bien présent «cousu de pièces et de morceaux» comme le veut la tradition burlesque. Le «foutu Dandin» de Molière côtoie le «Brid’Oison» – ici le juge qui veut arrêter Hébert –, de Beaumarchais. Nous retrouvons aussi au fil des expressions Gilles, Arlequin, Crispin, Pasquin et ses pasquinades. La comédie italienne est ainsi présente, qui plus est avec l’expression «mener au coin du roi». Le Carnaval s’y retrouve de même dans les usages de «cul» et leur valeur d’inversion burlesque: «aller (remuer) de cul et de tête, aller le cul nu, baiser le cul, foutre la pelle au cul, montrer son cul, sortir d’un cul», etc. De même, dans le registre carnavalesque, «pousser par haut et par bas». Quant à la parade, bien des Girondins sont désignés comme des «bateleurs», étant entendu qu’«après la parade arrivera la tragédie»…

Enfin le Père Duchesne, considérant, comme Vadée, que voir Paris sans voir la Courtille, ce n’est pas voir Paris, n’hésite pas à faire le récit de sa «grande ribotte» à la Courtille là où il casse sa pipe à «découvrir le pot aux roses» des jean-foutres. La veine littéraire d’Hébert, dans le Père Duchesne, se nourrit alors aussi bien de Rabelais, Molière, Beaumarchais que de Montaigne qui «aimait à lier des idées par la queue d’un poil» et Hébert d’ajouter «c’est son terme, je suis de même». On y trouve enfin des mots latin, ainsi dans «être à quia», qui côtoie, dans l’ordre du dictionnaire un mot «bas et populaire» (Féraud) comme quibus.

Notons aussi le vaste univers de la parole populaire dite exagérée, qui nous rappelle que le Père Duchesne est un journal crié, à travers son sommaire, dans les rues de Paris, lu dans les assemblées et les clubs, parfois même affiché sur les murs. Il est bien question ici d’en finir avec «le gouailleur» qui joue sur «la badauderie» du peuple, tout «ébaubi» par leurs propos. À ceux qui veulent nous faire «croire que des vessies sont des lanternes», en particulier «les bougres d’enfonceurs de portes ouvertes» qui nous ont «engueusé», à l’encontre des «aboyeurs de la royauté» qui empêchent les bons citoyens de faire leurs motions patriotiques, «les aboyeurs du peuple» répondent avec force. De même s’agit-il d’en finir avec tous «les marchands de phrase», véritables «moulins à parole» avec leur «bagou», qui nous «jettent de la poudre aux yeux», à force d’«argoté», et «s’amusent à la moutarde» en cachant leur «margouillis». Leur façon de «nager entre deux eaux», de «conter fleurette» bref leur art de «brouiller les cartes» s’entendent dans leur «baragouin» et leurs «balivernes» de «braillards de palais». Leurs «bons mots» les qualifie de «calembourdins». «Enfonceurs de portes ouvertes», «politiqueurs à perte de vue», avec leur « rgotag », leur «joberie», leur «babil» et leur «galimatias», ils tiennent un discours auquel on ne comprend rien, ou tout du moins profite du fait d’avoir «la langue dorée», ou «la langue sucrée», manière de «verguigner» (« barguigner » sans vergogne) pour nous «mener à la lisière». Ces «mâtins rendoublés» veulent nous faire croire qu’ils ont de l’esprit et de l’éloquence, mais leurs «rapsodies» ne sont que des «grands mots» pour les sans-culottes.

Et de «dégoiser» et «jaser», «river leur clou», ici le privilège du Père Duchesne et du Père Duchesne, pour faire  pièce à «parluiser» (une expression de la Normandie natale d’Hébert) «avoir du bagou» et autres expressions citées ci-dessus. Et Hébert d’en conclure sur la nécessité de revenir sur l’analogie entre les mots et les choses, si souvent soulignée par les journalistes remarqueurs des nouveaux usages de la langue politique: «Laissons-là tout cet amphigouri, il faut nommer les choses par leur nom», «C’est trop baliverner sur les mots, revenons sur les faits». Et dit de façon encore plus populaire: «moins de rodomontades, bougres d’engueuseurs et plus d’effet» Ainsi le peuple est-il enfin «débadaudé», en se foutant du «Qu’en dira-t-on» et en «rembarrant de la bonne manière» ses ennemis par le simple effet de son action, de la force de son discours.

Le lecteur du Père Duchesne est tout aussi frappé par la fréquence du vocabulaire autour de la guillotine avec l’omniprésence de Charles Samson dit Charlot, là où il est question du «vis-à-vis de Maître Samson», de «la cravate de Samson» (ou «cravate du docteur Guillotin»), du fait de «faire danser la danse de Samso». Quant au verbe «raccourcir», il apparaît 18 fois en 1793-1794! Une de ses victimes, Charlotte Corday, assassin de Marat, est ainsi désigné par l’expression «collier de Charlotte Corday», allusion donc à son exécution le 17 juillet 1793. L’usage fréquent de l’expression, plutôt ancienne comme le montre Pierre Enckell[16], «faire perdre le goût du pain», pour dire tuer, expression étendue ici au fait de guillotiner, mérite aussi d’être souligné. Un mot enfin sur la formule «Laissons à Charlot ce qui est à Charlot» qui nous renvoie, comme le note Michel Biard, au fait qu’«Hébert appelle les citoyens à ne pas vouloir se faire justice eux-mêmes […] mais à avoir confiance en la justice pour que les coupables soient condamnés»[17]. Nous comprenons ainsi la rareté du vocabulaire de la pendaison, tout aussi soulignée par une expression quelque peu énigmatique, mais qui mérite toute l’attention de l’historien, «faire la grimace au pont rouge». Ce qui situe donc bien le jacobin Hébert du côté du refus de toute action punitive populaire, et de la volonté d’user de la forme légale de la guillotine, au point d’ailleurs de les associer en parlant de «brave lanterne et guillotine» ce qui est une manière d’euphémiser la redoutable lanterne dressée par un peuple punitif. Nulle présence de «à bas», «à bas la tête», donc du vocabulaire punitif du peuple. Une fois plus, parler la langue du peuple consiste à contrecarrer toute vision d’une peuple massacreur, punitif, soumis aux préjugés donc jugé mineur politiquement.

Bien sûr, tout le parler peuple n’est pas dans le Père Duchesne d’Hébert. Les autres Père Duchesne en usent. Dans Le Lendemain, en novembre 1790, il est question d’un Père Duchesne qui «a eu raison de se réjouir par bécasse, et par bémol de la défaite des fermiers généraux». «Le lundi gras du Père Duchêne» en 1791 «arrache la cataracte aux Français» alors que «la guerre civile nous pend au nez». Dans la même veine, «Le grand carnaval du Père Duchêne» précise d’emblée que «Notre badauderie est en cause. Tant qu’on laissera la pépie et la crête aux aristocrates, le temps fera la grimace, et nous aurons toujours une figure de carême». D’autres journaux font  aussi des jeux de mots dans le même sens. Ainsi du Rougiff ou Le Franc en vedette, concurrent «dantoniste» pendant l’été 1793, qui, jouant sur le mot badaud, écrit: «Oui, parisien sans-culotte, tu redeviendrais bas-dos-royal».

Avec la chute de Robespierre et la fin du gouvernement révolutionnaire de l’an II, le processus de formation de la langue du peuple s’interrompt brutalement, et ne reprendra vie qu’avec la Révolution de 1830 et les première manifestations du mouvement ouvrier, en particulier avec les canuts lyonnais. L’image qu’il en reste pour les contemporains horrifiés est un déchaînement de bas-langage qui renvoie à une figure plaisante mais devenue malsaine, le sans-culotte[18] et à une figure encore plus terrifiante, celle du massacreur, des événements parisiens de septembre 1792 aux diverses scènes punitives en Province[19]. C’est là une autre histoire, celle d’un imaginaire politique toujours prégnant dans nos consciences.

___________________

[1] Voir notre ouvrage La langue politique et la Révolution française, Paris, Meridiens/ Klincksieck, 1989.  

[2] «Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose». Revue d’histoire des sciences humaines, Naissance de la science sociale (1750-1850), 2006, 15, p. 117-134.

[3] Voir notre article, en complément de l’ouvrage précité, sur «La langue politique et la Révolution française», Langage & Société,  N°113, septembre 2005, p. 63-92.

[4] Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au 18ème siècle, Paris, Seuil, 1992. Déborah Cohen, Nature du peuple: formes de l’imaginaire social, XVIIIe/XXIe siècles, Seyssel. Champ Vallon, 2009.

[5]  Voir notre article «Robespierre et la formation de l’esprit politique au cours des années 1780. Pour une ontologie historique du discours robespierriste», Mots, n°89, mars 2009, p. 125-137.

[6] Nous avons contextualisé chaque étape du trajet ainsi décrit dans notre ouvrage L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Presses Universitaires du Septentrion, 1992.

[7] Haïm Burstin, Une révolution à l’œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Paris, Champvallon, 2005.  

[8] Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 155.

[9] Titre d’un numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française, n°344, avril-juin 2006, sous la direction de Christine Fauté, qui ajoute une telle dimension langagière au travail pionnier de Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple pendant la Révolution française, Paris, Perrin 2004 (Première édition, 1988).

[10] Voir notre étude, « Antoine Tournon, un journaliste patriote à l’épreuve des principes », Annales Historiques de la Révolution Française, N°1, 2008, p. 3-27.

[11] Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la république, Paris, Payot, 2008.

[12] Nous avons Claude Mazauric, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, 2009, et la présentation qu’il fait, dans cet ouvrage, de nos travaux sur le jeune Marx et le langage jacobin.

[13] Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Tallandier, 2009. Voir également la présentation qu’il fait de nos analyses discursives du Père Duchesne.

[L’appel pour cette note supprimée a été laissé dans le corps du texte pour ne pas avoir a refaire toute la mise en page.]

[15] Voir notre article, « Modérer la langue politique à l’extrême. Les journalistes remarqueurs au début de la Révolution française », Annales Historiques de la Révolution française, N°3, 2009, p. 21-46.

[16]  Dans le volume 19 des Datations et Documents lexicographiques, Paris, Klincksieck, 1981.

[17] Parlez-vous sans-culotte ?, op. cit., p. 124.

[18] Michael Sonenscher, Sans-Culottes. An Eightennth-Century Emblem in the French Revolution, Princeton University Press, 2008.

[19] À l’exemple de la petite ville d’Aubagne près de Marseille, étudié par D.M.G. Sutherland dans Lynching, Law and Justice during the French Revolution, Murder ei Aubagne, Cambridge University Press, 2009.

 

Bibliographie

Biard Michel, Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Tallandier, 2009.

Burstin Haïm, Une révolution à l’œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Paris, Champvallon, 2005.

Cohen Déborah, Nature du peuple: formes de l’imaginaire social, XVIIIe/XXIe siècles, Seyssel. Champ Vallon, 2009.

Farge, Arlette, Dire et mal dire. L’opinion publique au 18ème siècle, Paris, Seuil, 1992.

Godineau Dominique, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple pendant la Révolution française, Paris, Perrin 2004 (Première édition, 1988)

Guilhaumou Jacques, La langue politique et la Révolution française, Paris, Meridiens/ Klincksieck, 1989

Guilhaumou Jacques, L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Presses Universitaires du Septentrion, 1992.

Guilhaumou, Sieyès et l’ordre de la langue, Paris, Kimé, 2002.

Guilhaumou Jacques, « La langue politique et la Révolution française », Langage & Société,  N°113, septembre 2005, p. 63-92.

Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français. Français familier, populaire et argotique du 16ème au 19ème siècles, réunis par Pierre Enckell,  deuxième série des Datations et Documents lexicographiques, ILF, Paris, Klincksieck, 1981.

Monnier Raymonde, Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2005.

Mazauric Claude, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, 2009.

Sonenscher Michael, Sans-Culottes. An Eightennth-Century Emblem in the French Revolution, Princeton University Press, 2008.

Sutherland D.M.G,  Lynching, Law and Justice during the French Revolution, Murder ei Aubagne, Cambridge University Press, 2009.

Wahnich Sophie, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la république, Paris, Payot, 2008.

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“Le mouvement social à l’épreuve de la Révolution française. Une question de visibilité sociale” (2005) ~ par Jacques Guilhaumou

04 mercredi Sep 2019

Posted by Claude Guillon in «Faites comme chez vous !»

≈ Commentaires fermés sur “Le mouvement social à l’épreuve de la Révolution française. Une question de visibilité sociale” (2005) ~ par Jacques Guilhaumou

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Emmanuel Renault, François Bousquet, Geneviève Fraisse, Habermas, Jacques Guilhaumou, Jacques Monbrion, Jacques Rancière, Sieyès

Fortement marqué par la recrudescence au cours des années 1990 du mouvement social par le fait des luttes et de la parole des sans, nous avons essayé d’en évaluer les caractéristiques propres à l’épreuve de la Révolution française, et tout particulièrement du phénomène conjoint des porte-parole (Guilhaumou, 1998b). Nous avons voulu ainsi attester du présent de la Révolution française dans le mouvement social, donc sa part inhérente, voire immanente, aux ressources permettant de comprendre la portée émancipatoire des luttes sociales actuelles. Nous avons ainsi contribué, nous semble-t-il, à donner une visibilité et une centralité historiques à un mouvement des sans relégué trop souvent sur les marges de la société.

Pour sa part, Olivier Voirol (2005) développe, dans la présente publication, une interrogation sur la visibilité de l’histoire du mouvement social et de ses luttes par un regard critique sur l’infrastructure médiatique de la visibilité dans nos sociétés contemporaines. Il propose une critique des apparences médiatisées qui tendent à restreindre l’horizon de la visibilité sociale. Il souligne ainsi d’autant mieux l’importance de la perspective ouverte par la reconnaissance des « résistances invisibles » inscrites dans une dynamique de l’agir en commun. Dans cet horizon élargi des luttes pour la visibilité, nous pouvons alors circonscrire l’enjeu éthique de l’écoute par l’historien des médiations réelles à l’œuvre dans un trajet d’émancipation attesté du mouvement révolutionnaire au mouvement social, et qui plus est formulé au terme d’un détour sociologique par l’étude des résistances à l’exclusion et de leur ancrage historique (Mesini, Pelen, Guilhaumou, 2004).

 

I – Un cheminement éthique.

De la figure historique du porte-parole (Guilhaumou, 1998a) à la figure actuelle du porte-parole des sans (Guilhaumou, 1998b), un vaste espace de visibilité à forte dimension communicationnelle s’est mis en place. A vrai dire, Habermas (1992) avait déjà notifié l’importance de cette figure éphémère en soulignant la présence, dans les mouvements sociaux, d’acteurs émergents du public et participant eux-mêmes à la création d’un espace public inscrit à l’horizon du droit. Cependant il apparaît qu’une recherche encore plus ample sur la visibilité sociale des mouvements actuels, toujours à la lumière de la Révolution française, nécessite une évaluation des apports et des limites, donc une critique du modèle habermasien de l’agir communicationnel initialement pris en compte sous la forme d’«un pouvoir engendré communicativement» présent dans la  Révolution française en tant que «chaîne d’événements bardée d’arguments» (Habermas, 1989).

En effet, une telle mise à l’épreuve de l’actualité des luttes sociales sous une description renouvelée de la langue politique de la Révolution française (Guilhaumou, 2005) a fait son chemin à l’intérieur même du mouvement social sous la forme de la désignation des nouvelles Bastilles à prendre. Elle a même pris récemment sa place dans des considérations particulièrement originales sur le rapport de réflexion que la théorie de la critique sociale entretient avec la prise de parti pour le mouvement social (Renault, 2004 a).

Ainsi la dimension éthique – certes déjà pensée en terme habermasien d’intérêt pour l’émancipation comme condition de la connaissance (Habermas, 1976) – a acquis une importance grandissante au regard des considérations strictement pragmatiques sur les actes spécifiques des mouvements en lutte. Ce souci éthique s’est d’abord ancré dans une réflexion ontologique sur la formation du moi au plus près de l’accession en 1789 à la dignité de soi – sous la figure emblématique de Sieyès (Guilhaumou, 2001, 2002) – et de sa réitération actuelle dans une réflexion sur les possibilités d’expression du moi comme voie d’accès privilégiée à autrui dans sa généralité sociale (Honneth, 2000).

Dans cette perspective enrichie, nous nous proposons d’approfondir le lien entre la critique sociale inscrite dans la lignée d’Habermas, mais singulièrement renouvelée sur le terrain de la reconnaissance sociale, présentement en matière de visibilité sociale (Honneth, 2003, 2004) d’une part, et notre approche historique du mouvement social d’autre part. Lire la suite →

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