Nous Citoyens, qui payons une contribution directe inférieure au prix de trois journées de travail, réclamons les droits de l’home.
C’est un malheur pour nous de ne pouvoir ofrir à la Patrie qu’un faible tribut. Ce malheur est agravé par le décret de l’Assemblée nationale du 22 Octobre, qui nous prive du droit d’assister aux assemblées primaires des Citoyens, pour concourir aux élections des représentants destinés à la composition des assemblées municipales, provinciales et nationales.
Dans la déclaration des droits de l’home, l’Assemblée nationale a reconu que [l]es homes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
Que les distinctions sociales .ne peuvent être fondées que sur l’utilité comune.
Que tous les Citoyens ont droit de concourir personelement, ou par leurs représentans, à la formation de la Loi, parce qu’ele est l’expression de la volonté générale.
Que la Loi doit être la même pour tous.
Que tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celés de leurs vertus et de leurs talens.
L’Assemblée nationale, en constatant les droits de l’home, les a reconus naturels, sacrés, inaliénables, imprescritibles [sic], et cependant elle nous prive du plus beau de nos droits.
Reconnaître que les distinctions sociales ne doivent résulter que des talens, des lumières et des vertus, et nous distinguer par une exclusion humiliante, c’est nous suposer incapables de talens, de lumières, de vertus; suposition notoirement injuste, puisque nous pouvons avoir parmi nous des Citoyens célèbres par leur philosophie, par leurs vertus, par leurs talens, par leurs lumières, par leur génie.
Nous somes malheureux, mais nous somes aussi bons Citoyens que peuvent l’être les puissans et les riches. Le patriotisme nous a fait faire les premiers pas vers la liberté. Guidés par ce vertueux sentiment, le 14 Juillet, nous avons afronté les premiers et les plus grands dangers, pour détruire ce goufre qui dévorait les victimes du despotisme.
Plus nous sommes malheureux, plus nous avons besoin d’apui. Nous en avons un naturel et sufîsant dans le droit d’assister aux assemblées primaires des Citoyens, et d’y jouir, dans notre malheur, de la satisfaction consolatrice d’unir nos voix à celes des riches, et de pouvoir réclamer utilement et légitimement contre les abus, qui souvent ne pèsent que sur nous.
Le droit de présence et de sufrage aux assemblées p[r]imaires, résulte du droit qu’ont tous les Citoyens, de concourir personelement, ou par leurs représentans, à la formation de la Loi.
Nous somes une partie considérable, utile et laborieuse de la Nation, conséquement, si nous étions privés de ce droit de présence et de sufrage, la loi ne serait pas l’expression de la volonté générale.
Il faut que nous concourions par nous ou nos représentans par nous élus à la formation de la Loi, pour qu’ele puisse légitimement nous obliger.
Ces principes sont consacrés par la déclaration des droits de l’home.
Lorsqu’on nous a privé du plus beau droit civil, l’Assemblée nationale venait de décréter la Loi Martiale pour défendre et réprimer les atroupemens. Pour assurer son exécution, cette loi dégrade et condamne aux prisons, les gardes nationaux qui refuseraient de se servir de leurs armes contre leurs concitoyens atroupés. Ainsi, d’un côté, nous ne pourions pas légalement nous assembler, et voter avec les riches Citoyens; et, d’un autre côté, nous ne pourions pas nous réunir en troupes, pour faire valoir nos droits; nous nous trouverions ainsi réduits à un état absolument passif. Il est vrai que d’après la Loi Martiale, en cas d’atroupemens, nous pourions nomer six Comissaires pour exposer nos griefs et nos réclamations; mais la Loi prononçant des peines de prison, et même de mort contre les moteurs des atroupemens, nous ne pourions pas être assurés qu’on respecterait nos Comissaires facilement présumés moteurs des atroupemens. Nous ne pourions pas être certains de l’incoruptibilité de ces Comissaires désignés à l’instant et au hasard. Ces Comissaires ne pouraient rendre aucun compte de leur mission, puisque les atroupemens devraient, suivant la Loi, se diviser sans retard. Rien ne pourait nous garantir que nos réclamations seraient accueillies et jugées avec impartialité, avec cette vertu patriotique, qui devrait guider tout Administrateur public. Nous serions donc sans cesse exposés à être les victimes des abus dont toutes les administrations sont susceptibles, tandis que les riches auraient les moyens de s’y soustraire.
En admetant pour un instant, la vertu la plus pure dans tous les Administrateurs publics, nous aurons toujours le droit de dire avec vérité, qu’aucune, puissance suprême n’a doné aux riches le pouvoir de délibérer et de décider exclusivement sur nos droits et nos devoirs civils. Ce pouvoir ne serait donc que le fruit d’une usurpation; il formerait une aristocratie qui nous réduirait à être les sujets de nos concitoyens, come le sont les simples habitans de la Pologne et de Venise. Cete aristocratie pourait ocasioner de grands malheurs, si les Gardes Nationaux obéissant à la Loi Martiale et aux ordres des Administrateurs, avaient l’inhumanité de se servir de leurs armes, pour dissiper nos atroupemens. C’est pour forcer les Gardes Nationaux à l’obéissance que la Loi Martiale les soumet à la peine de la prison, et d’être dégradés; ainsi, d’après cete Loi, les Gardes nationaux seraient exposés à une cruele alternative, si nous nous atroupions pour réclamer et soutenir nos droits.
Si l’on veut que nous n’ayons plus ni prétexte, ni droit de nous atrouper; si l’on veut rendre les atroupemens aussi criminels et aussi punissables qu’ils sont dangereux; qu’on révoque les décrets qui établissent entre les citoyens, des distinctions de fortune sur l’exercice de leurs droits naturels & sociaux, droits sacrés, inaliénables & imprescriptibles. Que ces droits soient respectés dans chaque Citoyen.
Tel est l’objet de nos vœux. Nous espérons avec confiance leur acomplissement, parce que nous somes assurés que les honorables Membres de l’Assemblée Nationale étant susceptibles d’erreurs corne homes, cherchent come législateurs, à découvrir la vérité, & veulent faire le bonheur de la Nation.