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Le regrettable Michel Onfray publie cet été dans Le Point une série d’articles intitulée « Les Girondines ». Présentée comme une suite de portraits, la série constitue en réalité une mini-histoire girondine de la Révolution. « Girondine », c’est-à-dire anti-montagnarde et anti-robespierriste. Le terme « histoire » doit être précisé : il ne s’agit pas d’une histoire d’historien, mais — comme toujours chez Onfray — d’une histoire que l’on raconte, un récit romancé, fondé sur des compilations parfois rapides, qui sert à présenter des convictions comme des révélations scientifiques.

Cependant, l’épisode consacré à Théroigne de Méricourt a eu le mérite de me remettre en mémoire l’affiche rédigée par cette aventurière de la Révolution au printemps 1793. Le texte en avait été repris (avec au moins quatorze fautes de transcriptions…) par Élisabeth Roudinesco dans sa biographie sous-titrée « Une femme mélancolique sous la Révolution » (Le Seuil, 1989).

On a bien lu : je me félicite d’avoir lu un article de Michel Onfray ! Dira-t-on encore, après cela, que je suis de parti pris ?

L’affiche se trouve aujourd’hui sur Gallica, mais difficilement lisible. J’ai corrigé les fautes de la version Roudinesco, rétabli la ponctuation et l’orthographe d’origine. L’affiche était imprimée sur papier bleu (les papiers de couleurs, parfois vives, étaient fort prisés pour les placards à coller dans les rues), mais l’affiche colorisée donnée ci-dessous en illustration ne prétend pas reproduire la nuance d’origine.

Théroigne s’adresse aux sections de Paris. Michel Onfray croit pouvoir ajouter un membre de phrase hélas dépourvu de sens : «autrement dit aux hommes de la Commune»… !?! Passons. Où l’on est obligé de lui donner raison c’est quand il déduit du texte que l’auteure « veut la paix entre Girondins et Montagnards ». Théroigne rêve encore d’une révolution pour laquelle tous — « riches et pauvres » — marcheraient d’un même pas. C’est un rêve que l’on peut trouver sympathique, mais il accuse au moins deux années de retard dans l’analyse politique, années durant lesquelles la lutte des classes a chassé dans les nuées de l’idéal l’illusion d’une révolution unanime.

Quand à considérer que les femmes sont plus aptes que les hommes à ramener la concorde dans les assemblées de section, c’est une naïveté essentialiste qui tranche avec le « féminisme guerrier » dont avait fait preuve Théroigne les années précédentes.

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AUX  48  SECTIONS.

 CITOYENS,

Écoutez je ne veux point vous faire de phrases, je veux vous dire la vérité pure et simple.

Ou en sommes nous ? Toutes les passions que l’on a eu l’art de mettre aux prises nous entraînent, nous sommes presque au bord du précipice.

Citoyens, arrêtons-nous et réfléchissons, il est temps. A mon retour d’Allemagne, il y a à-peu-près dix-huit mois, je vous ai dit que l’Empereur avoit ici une quantité prodigieuse d’agens pour nous diviser, afin de préparer de loin la guerre civile, et que le projet étoit de la faire éclater au moment que ses satellites seroient prêts à faire un effort général pour enva­hir notre territoire. Nous y voilà ; ils sont au point de dénoue­ment, et nous sommes prêts à donner dans le piège. Déjà des rixes précurseures de la guerre civile ont eu lieu dans quelques sections : soyons donc attentifs, et examinons avec calme, quels sont les provocateurs, afin de connoître nos ennemis.

Malheur à vous, citoyens, si vous permettez que de sem­blables scènes se renouvellent. Si on peut se donner des coups de poings, se dire des injures, indignes de citoyens, bientôt on osera davantage et je vous prédis que les passions s’exaspére­ront à un tel point, qu’il ne dépendra plus de vous d’en arrêter l’ex­plosion. Ces manœuvres ont trois buts, la guerre civile, il n’y a pas de doute, celui de justifier la calomnie des rois et de leurs esclaves, qui prétendent qu’il n’est pas possible que le peuple s’assemble pour exercer sa souveraineté, sans en abuser : c’est une branche de la grande conspiration contre la démocratie.

Citoyens, tenez-la bien ferme cette démocratie, qu’elle ne puisse jamais nous échapper. Déjouez ces intrigues par votre droiture, votre justice et votre sagesse. Par-là, vous donnerez un démenti à vos calomniateurs ; il a aussi celui [le but] d’arrêter, tant qu’il se pourra, le complement du contingent que Paris doit fournir pour marcher contre les rebelles de la Vendée. On voudroit, apparem­ment, qu’au lieu de porter des secours à nos frères, on fût obligé de venir nous mettre d’accord. C’est réellement le but des agens des rois, pour faire diversion, nous affoiblir l’un par l’autre, car pendant que nous nous déchirerions ici, les rebelles, secondés par les Anglais, qui ne tarderont pas à faire une descente sur nos côtes, si les intrigues de Pitt continuent à nous entraver, à nous empêcher de penser sérieusement à notre situation, pendant ce temps-là, dis-je, les rebelles qui, à notre honte, sont plus unis et plus fermes pour défendre le despotisme et les préjugés religieux, que nous pour défendre la liberté, feroient des progrès que nous ne pouvons calculer, parce que, nous n’avons pas leurs passions ; parce que des hommes qui se sont mis dans le cas de n’avoir point de choix, entre la victoire ou la mort, se battent en déterminés : d’accord avec les Impériaux, les Prussiens, et toutes les puissances coali­sées, ils s’avanceroient chacun de leur côté : nos armées et nos généraux ne sachant s’ils se battent pour la république ou pour des partis, ou pour un tyran qu’ils craindroient, avec rai­son, voir s’élever comme à Rome, pour mettre fin à ses divi­sions, seroient découragés. Et enfin, les citoyens foibles, ceux qui, jusqu’apprésent, sont restés indécis, mais qui se déclare­roient si notre union et notre force donnoient une bonne impulsion ; découragés par ces mêmes motifs, et séduits, d’ail­leurs par des promesses perfides, telles que celles que contient la proclamation de Cobourg, resteroient immobiles. Comme cela, si nous donnions dans le piège qu’on nous prépare, les rois parvenus à faire éclater la guerre civile entre les citoyens les plus énergiques, à séduire ou décourager les autres, qu’opposerions-nous à leurs satellites ? Comment arrêterions-nous ce torrent d’ennemis, qui conbineroient leurs efforts au moment où nous serions les plus acharnés les uns contre les autres ? Ô ! idée affreuse, je n’ose pas achever.

Citoyens arrêton[s]-nous et réfléchissons, ou nous sommes perdus. Le moment est enfin arrivé, où l’intérêt de tous veut que nous nous réuniss[i]ons, que nous fassions le sacrifice de nos haines et de nos passions pour le salut public. Si la voix de la patrie, la douce espérance de la fraternité n’ébranlent point nos ames, consultons nos intérêts particuliers. Tous réunis, nous ne sommes pas trop forts pour repousser nos nombreux ennemis du dehors ; et ceux qui ont déjà levé l’étendard de la rebellion. Cependant, je vous préviens que nos ennemis ne dis­tinguent point les partis, et que si nous sommes vaincus, nous serons tous confondus au jour de vengeance. Je puis dire qu’il n’y a pas un seul patriote qui se soit manifesté dans la révolution, sur le compte duquel on ne m’ait interrogée. Tous les habitans de Paris sont indistinctement proscrits, et j’ai oui dire mille fois par ceux qui vouloient me faire déposer contre les patriotes, qu’il falloit exterminer la moitié des français, pour soumettre l’autre. Nous exterminer, vils esclaves ! C’est toi que nous exter­minerons. Le danger va nous réunir, et nous saurons te mon­trer ce que peuvent des hommes qui veulent la liberté, et qui agissent pour la cause du genre humain. Nous marcherons tous, riches et pauvres, et ceux qui, ayant les forces néces­saires, se feroient remplacer, seroient entachés d’infamie. C’est donc envain, tyrans de la terre, que tu envoie[s] tes agens ici ; que tu répand[s] ton or. Les français sont trop éclairés pour se laisser prendre au piège que tu leur tends et s’égarer. Nous voulons la liberté et nous la défendrons jusqu’à la dernière goûte de notre sang. Nous avons pour nous la justice éternelle, et toi tu n’as que le mensonge et le crime. Juge ta cause et la notre et désides [sic] à qui la victoire.

Les plus petites choses conduisent quelques fois aux plus grandes. Des femmes romaines ont désarmé Coriolan et sauvé leur patrie.

Rappelez-vous, citoyens, qu’avant le dix août, aucun de vous n’a brisé le fil de soye qui séparoît la terrasse des feuillans du jardin des Thuileries. La moindre chose arrête quelques fois le torrent des passions avec plus de succès que tout ce qu’on peut leur opposer.

En conséquence, je propose qu’il soit nommé, dans chaque section, six citoyennes les plus vertueuses et les plus graves par leur âge, pour consilier et réunir les citoyens, leur rappeler les dangers de la patrie ; elles porteront une grande écharpe ou il sera écrit AMITIÉ et FRATERNITÉ. Chaque fois qu’il y aura assemblée générale de section, elles s’y rassembleront pour rappeler à l’ordre tout citoyen qui s’en écarteroit, qui ne respecteroit point la liberté des opinions, chose si précieuse pour former un bon esprit public. Ceux qui ne sont qu’égarés, mais qui cependant, ont de bonnes intentions, aiment leur patrie feront silence. Mais si ceux qui sont de mauvaise foi, et apostés tout exprès par les aristocrates, par les ennemis de la démocra­tie et les agens des rois, pour interrompre, dire des injures et donner des coups de poings, ne respectent pas plus la voix de ces citoyennes que celle du président, ce seroit un moyen de les connoître. Alors on en prendroit note, pour faire des recherches, sur leur compte. Ces citoyennes pourroient être changées tous les six mois, celles qui montreroient le plus de vertu, de fer­meté, de patriotisme dans le glorieux ministère de réunir les citoyens et de faire respecter la liberté des opinions pourroient être réélues pendant l’espace d’une année. Leur récompense seroit d’avoir une place marquée dans nos fêtes nationales, et de surveiller les maisons d’éducation consacrée[s] à notre sexe.

Voilà citoyens un projet que je soumets à votre examen.

THÉROIGNE.

A PARIS, de l’Imprimerie de F. Dufart, rue St.-Honoré, près St.-Roch.