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Parmi les Enragés, seul Jean-François Varlet (1764-1837) fera de la démocratie directe un thème central de sa propagande…

Parmi les Enragés, seul Jean-François Varlet fera de la démocratie directe un thème central de sa propagande. Certes, Théophile Leclerc répète le credo rousseauiste : « [Peuple] rappelle-toi surtout qu’un peuple représenté n’est pas libre, et ne prodigue pas cet épithète de représentant dont tu ornes toujours le frontispice de tes pétitions ; la volonté ne peut se représenter ; ceux que tu as préposés ne peuvent faire des lois que d’après la tienne ; les actes du gouvernement ne sont que des effets émanés de ces lois qui sont ta volonté : tes magistrats quelconques ne sont donc que tes mandataires ; de l’abus des mots naît souvent l’abus des choses, il faut donc éviter d’y tomber. » C’est dans L’Ami du peuple du 21 août 1793, mais Robespierre a tenu à peu de choses près le même discours devant la Convention, le 10 mai.

À peu près à la même époque où Robespierre dénonce les représentants « despotes » (dès juillet 1792), l’agitateur Varlet publie une brochure intitulée Projet d’un mandat spécial et impératif (1). Les lois, affirme-t-il, doivent être « le recensement des ordres intimés par les assemblées primaires ». On retrouve des formules exactement superposables à celles de Robespierre : « Au nom des principe qu’ils [les députés] avaient eux-mêmes reconnus, ils ont été aussi despotes que les rois dont ils avaient ébranlé la monstrueuse autorité. » L’originalité de Varlet est d’insister sur le rôle des assemblées primaires.

Varlet a soumis son texte à plusieurs sections parisiennes, jugées les plus patriotes. Il espérait sans le dire qu’elles l’adopteraient ou au moins lui offriraient l’impression ; « une seule a fait une contribution volontaire, qu’elle a reprise le lendemain ». Il serait intéressant de savoir si Varlet a tenté sa chance auprès de la très bourgeoise et jacobine section des Piques.

En effet, le 2 novembre de la même année 1792, celle-ci a entendu une adresse intitulée Idée sur le mode de la sanction des lois. Son auteur, le citoyen Sade Donatien François Aldonze, affirme que les députés n’ont d’autre droit que de soumettre des propositions au peuple, seul fondé à leur donner ou non force de loi : « Peuple, vous pouvez tout sans eux, eux seuls ne peuvent rien sans vous. » Sade prévoit que les propositions législatives seront examinées par les assemblées primaires réunies dans chaque chef-lieu de canton ; rejetées par la majorité, elles seront retravaillées par les députés ou simplement abandonnées. Prudence ou réserve aristocratique, la tâche de proposer les lois à la sanction populaire est réservée aux députés. Trancher des suggestions faites par d’autres, voilà la souveraineté nécessaire mais suffisante du citoyen, telle que l’envisagent et Sade et, l’année suivante, la constitution de 1793.

Jugés mineurs par rapport à l’œuvre véritable ou déconsidérés par elle, les écrits politiques de Sade ont été largement boudés, tant par les sadiens que par les historiens de la Révolution (2). Or l’ex-marquis parvient à ses fins où Varlet, militant chevronné, échouera : l’assemblée des Piques arrête à l’unanimité l’impression du texte et son envoi aux 47 autres sections, « avec invitation de manifester leur vœu le plus promptement possible sur un objet aussi important (3). »

Toujours en 1792, Varlet récidive en proposant cette fois aux Jacobins de démocratiser la vie de leur club. Son Plan d’une nouvelle organisation de la Société-mère des amis de la Constitution suivi de la religion du philosophe (4) contient des aperçus sur un culte à rendre à l’être suprême qui ne doit pas paraître étranger à Robespierre, mais celui-ci apprécie sans doute moins les critiques contre l’arrogance des jacobins et leur mépris des pétitionnaires des sociétés populaires. En octobre 1794, détenu au Plessis, Varlet donne la forme définitive à son analyse du gouvernement et, deux mois après la mort de Robespierre, montre qu’il a parcouru le chemin inverse de celui du « tyran » : « Quelle monstruosité sociale, quel chef-d’œuvre de machiavélisme que ce gouvernement révolutionnaire ! Pour tout être qui raisonne, gouvernement et révolution sont incompatibles, à moins que le peuple ne veuille constituer ses fondés de pouvoir en permanence d’insurrection contre lui-même, ce qu’il est absurde de croire (5). »


PROJET D’UN MANDAT SPÉCIAL ET IMPÉRATIF,

Aux mandataires du peuple à la Convention nationale

À tous les cœurs bien nés que la patrie est chère (Voltaire)

Par Jean Varlet, électeur de 1792, et citoyen de la Section des Droits de l’Homme rue Tiron N° 6.

Imprimé aux frais des Sans-Culottes

L’an premier de la République Françoise

MANDATAIRES DU PEUPLE,

Vous êtes sortis du rang des simples citoyens, pour aller, en dernier ressort, agiter l’urne de nos destinées ; écoutez le langage austère de vos commettants, et peut-être cette fois vous serez, au sanctuaire des lois, pénétrés de vos devoirs comme nous le sommes de nos droits.

Mandataires du peuple, de l’instant que des événements majeurs ont forcé nos députés à nous convoquer en assemblée primaire, la souveraineté du peuple a retourné à sa source ; nous nous sommes ressaisis de toute notre indépendance ; par raison, nous avons encore obéi aux lois que vous êtes appelés à refaire, parce que, bien qu’elles soient défectueuses, elles peuvent éviter l’anarchie que suivrait leur silence absolu. Ainsi donc notre obéissance n’est que conditionnelle, et, réunis dans notre assemblée primaire, nous n’en avons pas moins senti qu’au moment où les dépositaires de nos intérêts nous les remettaient, c’était d’abord pour les discuter nous-mêmes. Tout ce qui intéressait essentiellement l’organisation, l’ordre, l’harmonie, la reconstruction même de l’édifice social, était de notre compétence. Nous nous en sommes occupés et nous vous donnerons, après de courtes réflexions, le résultat de nos délibérations.

Mandataires du peuple, c’est particulièrement dans l’énonciation de nos volontés, que réside le plus beau de nos droits. Croyez-vous que nous aurions exercé notre souveraineté dans toute sa plénitude ; en ne faisant qu’élire ceux qui nomment les députés à la Convention nationale. Ce mode d’élection n’est-il pas déjà une première aliénation de nos droits, puisque les choix faits n’ont point encore cette fois émané immédiatement de nous. Vos concitoyens s’aperçoivent qu’ils n’ont eu jusqu’ici qu’un fantôme de liberté ; ils en fixeront le sens ; quand ils renoncent momentanément à l’exercice de leur souveraineté pour en laisser l’usufruit à leurs mandataires, ils entendent que désormais ce soit à des conditions prescrites. Nos députés, vous ne serez plus nos représentants (6), vous serez nos mandataires, nos organes : vous verrez tracée devant vous la ligne que vous devez suivre. Avant d’entamer sérieusement vos travaux, vous allez recevoir le plan de conduite que nous vous avons dressé. Si les lois de vos prédécesseurs n’ont pu jusqu’ici prendre un caractère respectable, à qui s’en prendre ? Aux législateurs qui se sont crus infaillibles, et parce qu’ils discutaient, décrétaient, ont pensé qu’ils exprimaient les volontés du souverain, lorsque trop souvent ils ne les présumaient pas. Les lois ne doivent point être le résultat des impressions que produisent des orateurs communément plus captieux que sincères, mais bien le recensement des ordres intimés par les assemblées primaires. En rédigeant notre mandat, nous ne nous sommes pas inquiétés si ce mode était suivi par toutes les sections de la France libre, il nous a suffi de savoir que nous en avions le droit. Dans un état où le peuple est tout, le premier acte de la souveraineté est d’élire, le second, de rédiger des pouvoirs, des mandats à ceux élus. Les députés constituants se sont bien exercés à exalter nos droits imprescriptibles ; ils ont passé sous silence l’article important des pouvoirs, des mandats. Au nom des principes qu’ils avaient eux-mêmes reconnus, ils ont été aussi despotes que les rois dont ils avaient ébranlé la monstrueuse autorité. La tyrannie s’est entée [greffée] sur la tyrannie, et l’on a vu s’établir une puissance sans frein, des députés sans pouvoirs, sans mandats, qui ont pu facilement substituer leurs systèmes, leurs volontés particulières aux ordres du souverain. Ce vice capital vous l’extirperez.

MANDATAIRES DU PEUPLE, d’après les iniquités constitutionnelles, et législatives dont nous fûmes témoins, pensez-vous que vos concitoyens, jaloux de conserver leur indépendance, puissent n’être point méfiants ? oh ! ils vous le déclarent avec franchise, à l’avenir tous les individus, revêtus de pouvoir, exciteront leurs vives sollicitudes. L’expérience prouve que si, je ne dirai point la surveillance, mais la force du Peuple, n’est point là pour maintenir ses Mandataires, les remettre dans la route, ils sont prêts à oublier ceux desquels ils relèvent.

Point de députés sans pouvoirs ; sans mandats : ce principe nous garantit de la tyrannie législative : il est si précieux, qu’il doit trouver sa place dans la déclaration des droits de l’homme.

En mille sept cent quatre-vingt-neuf, engourdis par les habitudes d’un régime oppresseur, nous n’avions pas de grandes connaissances en droit public ; nous n’éprouvions qu’un sentiment, celui de nos maux, il nous porta à rédiger des cahiers, qui furent les préliminaires de la révolution française, donnèrent la conception à la liberté. Nos doléances, nos plaintes firent connaître les tyrannies innombrables, qui censuraient, absorbaient, écrasaient la partie du Peuple la plus respectable, celle des citoyens laborieux. Le remède à toutes les turpitudes d’un régime odieux fut l’immortelle proclamation de nos droits : et nous ferions moins aujourd’hui, que le génie des Peuples libres plane sur notre sol ; aujourd’hui que tous fiers et orgueilleux du simple titre de citoyen, auquel nous avons résolu de ne renoncer qu’avec la vie ; et nous ne sentirions pas de quelle dangereuse conséquence il deviendrait d’investir toujours, d’une autorité sans bornes, ceux qui tiennent le dépôt sacré de nos destinées.

Nous voulons bien croire qu’un grand nombre de députés, élus à la convention nationale, inspirent la confiance ; mais ce bon augure qu’on tire des choix faits, n’est point suffisant pour nous rassurer. On peut avancer, sans crainte d’être démenti, une triste vérité, c’est que dans les deux premières sessions nationales, l’amour de la patrie fut loin d’être un sentiment vulgaire ; on y vit le raffinement de l’intrigue, le royalisme, le failletisme [de La Fayette], le feuillantisme [du club des Feuillants, scission de droite des Jacobins, en 1791], les faux talents, l’orgueil, l’apathie, l’insouciance, toutes les passions et quelques vertus.

Avec les amants de la liberté, nous nous félicitons d’avoir vu s’ensevelir le despotisme royal dans la journée du dix août [1792, insurrection antiroyaliste]. Nous en avons tressailli de joie, et cependant nous avons dit aux citoyens qui s’enthousiasment au seul mot de république ; songez que vous n’êtes point affranchis de tous les despotismes ; non, non, les palais des rois ne sont pas les demeures exclusives des despotes ; que votre haine se dirige contre les ambitieux qui songeraient à régner sur les débris du trône, où pourraient voir, dans la seconde révolution, de nouvelles chances à courir, une carrière neuve ouverte à leurs intrigues.

Mandataires du peuple, vos prédécesseurs, lorsqu’ils furent nommés, eurent, comme vous, notre confiance ; ils en abusèrent ; ils prouvèrent que, pour avoir plus de talents, ils n’en avaient pas moins des cœurs pétris de mille faiblesses. Vos concitoyens sont depuis devenus inquiets, ombrageux, méfiants toutes les fois qu’ils confient à leurs mandataires, le soin de discuter leurs intérêts. Ils savent combien exige le poste important de législateur ; qu’une profonde connaissance des hommes, qu’un génie abondant et facile, qu’une philosophie consommée ne sera toujours le partage que d’une très faible minorité. Ce dont ils ont droit de vous sommer, c’est de déployer une grande énergie à la convention nationale, d’être pour le premier auteur de nos maux, des juges sévères, inflexibles, pour ne paraître que justes, d’opposer aux doucereux modérés, aux patriotes tartufes, aux savants astucieux, la chaleur, la franchise des talents naturels sans emphase. Chacun de nous attend en suspend le bien être que vous devez nous faire éprouver. Vous dire que vos commettants se flattent qu’ils vont trouver en vous des législateurs ardents, magnanimes, ce ne serait pas rendre ce qui se passe au dedans de nous, car nous ne pouvons nous défendre de la méfiance, même sur ceux qui ont réuni nos suffrages. Pour les juger, nous les attendons à la sortie de leur carrière conventionnelle.

MANDATAIRES DU PEUPLE,

Vous avez déclaré que vous étiez révocables ; nous déterminerons facilement les cas où vous pouvez l’être. L’expression, la notification de nos volontés vous donnera la mesure de vos devoirs, vous rappellera sans cesse au temple des lois, que vous n’êtes que des fondés de procuration, chargés de donner un plus grand développement à nos idées.

Les citoyens de la section des hommes libres (7), réunis en assemblée primaire, considérant qu’ils font partie du souverain, et qu’à ce titre ils ont droit de manifester des volontés ; qu’au moment ou ils voient leurs concitoyens donner le dangereux exemple des pouvoirs illimités, sans déterminer ni prendre les mesures seules efficaces pour empêcher des Mandataires d’abuser de leur confiance ; qu’ils ont cependant appris à connaître le danger qu’il y a de laisser aux députés du Peuple, une liberté absolue d’opinion ; qu’il paraît déjà constant que la convention nationale a reconnu le droit qu’a le souverain de sanctionner lui-même ses lois ; que la déclaration de ce principe serait illusoire et impraticable, si dans ses assemblées primaires, le Peuple ne se familiarisait pas à discuter ses intérêts les plus majeurs, si les principaux objets de la mission des mandataires n’étaient point déterminés par les commettants ; ont résolu d’expliquer quelle fut leur intention en appelant leurs députés à la convention nationale, de quelle autorité ils ont voulu les investir, et d’arrêter (8) les conventions qu’ils font avec leurs Mandataires.

MANDATAIRES DU PEUPLE,

Nous vous avons élus pour nous donner des lois constitutionnelles, formées de tout ce que l’étude de la nature, les leçons du temps, l’expérience des anciennes républiques, la sagesse des philosophes, la science des publicistes, offrent de plus propre à rendre heureux les hommes destinés à vivre en société. Le code constitutif des français sera tel, que tous les peuples du monde n’auront pas de plus pressant besoin que celui de l’adopter. Vous cimenterez le pacte social par des institutions bienfaisantes : les signes certains auxquels nous voulons les reconnaître, sont l’extirpation de la mendicité, la disparition graduelle de la trop grande inégalité des fortunes (9) , la régénération des mœurs, la propagation des lumières, le concours unanime des citoyens aux charges, aux avantages de la société, la séparation bien distincte des fonctions publiques, les moyens sûrs de répression contre les usurpateurs ou déprédateurs, l’émulation, l’encouragement accordés aux talents dirigés vers l’utilité commune, les témoignages authentiques de reconnaissance et d’estime donnés aux citoyens qui se livrent avec constance à la défense des droits du peuple, l’isolement, la honte, le mépris, la nullité aux égoïstes, aux insouciants. Enfin, quand vous dresserez les articles du contrat social, vous vous imaginerez organiser une communauté, où chacun ne doit recueillir qu’à raison de la part qu’il y a mise.

Vous jugerez Louis XVI comme un simple citoyen, puisque sa première sentence de réprobation était prononcée par le vœu exprès du peuple avant le jour où il voulut mettre à fin le plus exécrable des complots, dont, par des preuves ostensibles et palpables, on peut lui prouver qu’il était le chef.

Pour tous ceux qui restent de la famille des Bourbons, renfermés dans le Temple, vous imiterez les Romains, qui chassèrent les Tarquins.

Vous perfectionnerez la déclaration des droits de l’homme.

Vous poserez la base, jusqu’ici si négligée, du bonheur social ; elle doit se trouver dans un plan d’éducation nationale, calqué en tout sur des principes de liberté, d’égalité, soigné dans son exécution.

Vous demanderez qu’aucun père de famille ne puisse avoir chez lui, pour ses enfants, des instituteurs particuliers ; qu’ils soient tous obligés de les faire participer aux cours d’instruction publique.

Vous réformerez, refondrez la constitution dans tous les articles qui contrarient le libre exercice de notre souveraineté : nous demandons une constitution populaire qui puisse hardiment soutenir le parallèle de la déclaration des droits de l’homme ; ce n’est pas seulement une constitution sans roi ni royauté, mais sans dictateurs, ni sénateurs, ni triumvirs, ni décemvirs, ni tribuns, ni aucun chef quelconque, qui, sous une autre dénomination, serait investi des mêmes pouvoirs. Vous ne toucherez point aux articles de la constitution qui consacrent la permanence, l’unité de chambre, la période de deux années pour la réélection des députés, leur nombre à chaque législature ; vous conserverez la distribution de la France en quatre-vingt trois départements. Nous trouverons, dans cette division-là même, le moyen le plus capable de maintenir toutes les parties de la France libre, dans l’unité nationale, et de toujours ramener à un centre commun d’activité, toutes les opérations qui vivifient un grand état ; si c’est là ce qu’un entend par le mot république, nous voulons impérativement la république.

Vous ajouterez cet article important à la déclaration des droits de l’homme : la souveraineté du peuple est le droit naturel qu’ont les citoyens, dans les assemblées, d’élire dans intermédiaires à toutes les fonctions publiques, de discuter eux-mêmes leurs intérêts, de rédiger des mandats aux députés qu’ils commettent pour faire des lois, de se réserver la faculté de rappeler et de punir ceux de leurs mandataires qui outrepasseraient leurs pouvoirs ou trahiraient leurs intérêts ; enfin, d’examiner les décrets qui tous, hormis ceux que commandent des circonstances particulières, ne peuvent avoir force de lois, qu’ils n’aient été soumis à la sanction du souverain dans les assemblées primaires.

Indépendamment de la nomination par le peuple à toutes les fonctions publiques, vous ferez établir des règles invariables d’admission aux emplois auxquels seront obligés de s’astreindre les chefs des diverses administrations ; ces règles feront disparaître des préférences injustes, lorsqu’il s’agira de la distribution d’un patrimoine commun ; l’étranger n’insultera plus au citadin, le célibataire au père de famille, le riche paresseux et ignare au citoyen indigent et utile.

Vous assurerez d’une manière stable l’état civil et les droits naturels des citoyens.

Vous demanderez que les administrateurs de département, de district et toutes les municipalités de la France libre, soient tenus de déposer dans un lieu public de leur résidence respective, un double de leurs registres, où seront, tout au long, consignées jusqu’aux moindres opérations, et que les citoyens pourront tous les jours consulter.

Vous statuerez sur la cumulation des fonctions. Deux postes ne peuvent être bien occupés par le pleine individu : vous demanderez qu’on soit tenu d’opter.

Vous ferez décréter comme loi fondamentale, qu’il n’y a plus, en France, qu’un pouvoir, celui du Peuple dans les assemblées primaires et dans ses mandataires, conséquemment, que l’exécution des lois sera désormais confiée à une commission exécutive, composée de fonctionnaires amovibles, en petit nombre, comptables à époque fixe. Chaque citoyen appelé à l’exécution des lois, sera, à son tour, président de la commission exécutive.

Vous ferez déclarer que les ministres seront destitués quand l’opinion lu peuple les dénoncera, réélus tous les deux ans ; qu’à cette époque le Corps législatif enverra dans tontes les assemblées primaires, une liste de candidats.

Vous demanderez un mode sévère de responsabilité particulier aux citoyens chargés de l’exécution des lois.

Vous ferez des lois pour décerner de grandes récompenses aux Mandataires du Peuple, et à tous autres fonctionnaires qui se seront signalés dans leur poste.

Vous demanderez l’établissement d’un code pénal pour les fonctionnaires publics prévaricateurs, lequel prononcera la peine de mort pour un Mandataire du Peuple convaincu d’avoir trahi les intérêts de ses commettants. Vous spécifierez, préviendrez tellement les cas de prévarication, que les fripons aient à déserter les postes pour les laisser aux citoyens probes et désintéressés.

Pour connaître désormais de toutes les atteintes portées aux droits publics des citoyens, pour appliquer la loi de responsabilité aux députés ou fonctionnaires infidèles, vous créerez une nouvelle institution composée de patriotes d’élite, éprouvés dans les fonctions de législateurs ou d’officiers municipaux. Ces citoyens respectables seront nommés les magistrats du souverain

Vous demanderez que la générosité française s’exerce, avec grandeur, à élever jusque dans les moindres villes, des monuments à l’humanité souffrante ; que là, citoyens, femmes, enfants, infirmes ou disgraciés de la nature, et tous ceux qui joignent à la misère les calamités qui nous affligent, tous indistinctement, reçoivent des secours prompts, abondants, bien administrés ; que les aliments y soient sains, délicats, tels qu’ils conviennent à des êtres qui pâtissent, et qui ont droit d’attendre des grandes consolations d’un Peuple libre.

Vous réaliserez ce beau projet d’élever quatre hôpitaux, aux extrémités de la capitale.

Vous ferez déclarer que tous les Français naissent soldats, que pour les accoutumer à une discipline stricte et nécessaire, et les exercer aux évolutions militaires, chaque citoyen sera, depuis 18 jusqu’à 21 ans, enrégimenté comme troupe de ligne.

Vous ferez reconnaître que la nation ayant proclamé la liberté des cultes, ne peut plus, sans contrarier ce principe, salarier une secte particulière, ni même lui livrer gratuitement des édifices ; que cependant elle prend toujours sous sa protection les ecclésiastique infirmes ou avancés en âge, parce qu’ils sont hors d’état de se rendre utiles.

Vous ferez prohiber la vente de l’argent et des papiers à l’empreinte de la nation ; vous les déclarerez propriétés nationales ; qu’aucun individu, sous des peines expresses, ne pourra ni vendre, ni accaparer.

Vous ferez vouer à l’infamie tous les accapareurs ; vous demanderez des confiscations au profit du trésor national, des peines afflictives, des peines de mort contre ces sangsues des états.

Nous déclarons vouloir user du droit que nous avons de ne point consentir le premier impôt, qu’au préalable on ne nous ait justifié, par des comptes rendus publics, de l’emploi des contributions.

Vous nous donnerez un tableau des biens vendus et à vendre, celui des dettes acquittées et à acquitter, un état détaillé, clair, net, définitif des finances, et vous n’abandonnerez point cette fois vos postes que vous ne nous ayez, sur cet article, donné des comptes satisfaisants.

Vous entretiendrez avec nous, pendant toute votre mission, une correspondance active.

Des sections de la capitale qui ont de grandes réputations de patriotisme, ont entendu et accueilli la lecture de cet ouvrage : je ne demandais pas qu’ils l’adoptassent ; je croyais obtenir de mes concitoyens, qui m’avaient tant applaudi, les honneurs de l’impression ; cette marque d’estime m’eût singulièrement flatté : je me trompais ; une seule section a fait une contribution volontaire qu’elle a reprise le lendemain. Il y a des meneurs de sections. J’ai vu que ceux qui parlaient les derniers étaient des Cicérons ; j’ai vu qu’ils sont bien rares les hommes qui sont eux et ne pensent point par les autres ; et j’ai dit : ô ma patrie ! quand seras-tu république ?

À Paris

Chez les Directeurs de l’Imprimerie du Cercle Social, rue du Théâtre-François, N° 4.

1792

Nota. J’ai respecté la ponctuation d’origine et l’emploi des capitales et des minuscules (état ; Peuple).

Notes

(1) B. N. : 8° Lb41 109. L’exemplaire de la Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP 10065, n° 380) porte au dos la mention manuscrite suivante : « Distribué le 29 septembre 1792, l’an 2 de la République française ».

(2) Albert Soboul cite l’Idée sur le mode de la sanction des lois, sans en citer l’auteur (Les sans-culottes, Le Seuil, 1968, p. 105.) Plus voyants, les anathèmes lancés, contre Sade tout entier il est vrai, par le philosophe Michel Onfray, lequel se pique, si j’ose dire, de faire redécouvrir, à lui seul, des Enragés sur lesquels personne n’aurait travaillé depuis la fin des années 1940 (Dommanget, Guérin). Onfray considère le Sade révolutionnaire comme un truqueur hypocrite. De la paille et de la poutre…

(3) Nous ne disposons pas, à ma connaissance, d’informations sur les réactions suscitées dans d’autres sections par la brochure de Sade.

(4) B. N. : 8° Lb40 2278.

(5) L’Explosion, Ier octobre 1794, p. 8 ; B. N. : 8° Lb41 4090.

(6) Note de Varlet : Presque toujours celui qui représente s’imagine être réellement, et il est de principe que notre inaliénable souveraineté ne peut ni se déléguer, ni se représenter.

(7) Note de Varlet : Cette section n’est encore qu’imaginaire.

(8) Note de Varlet : Si le Peuple savait ce qu’il est, si par des mandats il avait usé du droit qu’il a d’exercer lui-même sa souveraineté dans les assemblées primaires [,] alors les lois seraient ce qu’elles doivent être dans leur essence, des actes du souverain aux délégués, et non des Mandataires aux commettants. C’est ainsi qu’on procède dans les républiques.

(9) On n’entend point parler ici des grandes propriétés acquises par de belles spéculations, ou des entreprises hardies ni gêner en rien nos rapports commerciaux avec l’étranger, mais seulement empêcher que par l’agiotage, le monopole, l’accaparement, les fortunes particulières se grossissent aux dépens de la fortune publique.

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