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Toujours à la recherche de traces des mobilisations collectives de femmes révolutionnaires, je rencontre cette adresse de novembre 1792, rédigée par des femmes de Belmont (Bas-Rhin). Elle a été initialement publiée dans le n° 50 des Affiches de Strasbourg, du 15 décembre 1792 (p. 570), que je n’ai malheureusement pas pu consulter [1], et reprise dans Le Ban de la Roche, bulletin de la Société d’histoire du protestantisme du Ban de la Roche (n° 4, 1984, pp. 30-31).

Belmont ce 24 novembre 1792 l’an Ier de la République française

Chers braves Citoyens Volontaires !

Voici quelques lignes que vos Sœurs et Mères Citoyennes prennent la liberté de vous adresser. Marque de leur tendresse chers confrères recevez cette petite assistance pour vos besoins les plus pressants, nous nous sommes associées pour travailler à votre conservation, car nous avons résolu de sacrifier une partie de nos veilles, pour votre soulagement. Voici déjà quelques chemises, que nous prions votre capitaine et Lieutenant de les distribuer aux Volontaires, les plus nécessiteux d’entre vous et comme c’est le premier de notre travaille, pour vous, nous prions Henri Schneider, Capitaine et Lieutenant, Sergeant et Caporeaux, de prendre chacun des plus fines, et s’il ne se trouve pas dans le cas d’en avoir besoin, nous souhaitons qu’ils donnent une des leurs à leurs élèves et qu’ils gardent une des nôtres. Vous trouverez sur les chemises B. et V. ces deux lettres signifient Dieu bénis les braves Volontaires et au bas de la chemise D. et B. cela signifie, Dieu bénis les chers confrères. Nous continuerons à pourvoir à vos nécessités aussi longtemps, que Dieu nous en donnera la faculté, nous avons juré comme vous de vivre libre ou mourir, ainsi votre vie est la nôtre chers confrères; permettez, que vos sœurs vous marquent aussi le souhait de leurs cœurs par rapport à votre conduite. Nous souhaitons que nos frères qui ont quelques ordres à donner, qu’ils employent leur autorité pour l’honneur de notre cher sauveur, et pour le bien de tous leurs frères et prochains ; pour cet effet, demandez avec nous la sagesse, l’humanité et l’amour si ces trois vertus sont votre ornement, vous marcherez droitement. Et vous, autres frères, qui servent, obéissez avec plaisir lorsqu’on vous propose votre devoir; ne vous livrez pas au libertinage, mais faites de façon que votre conduite soit un exemple à tous ceux qui vous observeront, demandez avec nous des cœurs, qui aiment à faire le bien. Pensons que nous sommes en la présence de Dieu, tout sachant ; si vous suivez nos conseils, notre cher sauveur sera votre Chef Capitaine, et vous serez heureux. Aimez à rendre service à tout le monde, par-là tous nos ennemis se convertiront.

Chers confrères nous finissons notre entretien en vous saluant de tout notre cœur. Courage chers frères, après le combat, succède la victoire.

Ce texte fait exception dans mon corpus pour deux raisons, une principale et l’autre subsidiaire.

Tout d’abord, je n’ai pas connaissance d’un texte de femmes (cette caractéristique sera examinée plus loin) qui soit à la fois clairement républicain (soutien aux volontaires; «Vos Sœurs et Mères Citoyennes»; «Vivre libre ou mourir») et aussi imprégné de religion. Au point que cette adresse prend des allures de sermon sur le front des troupes. Si l’on assure en conclusion qu’«après le combat succède la victoire», ce qui sonne bien martialement, la phrase précédente prédit que pour peu que les volontaires montrent l’exemple de l’entraide et du dévouement («rendre service à tout le monde»), «tous nos ennemis se convertiront».

On n’aura pas manqué au passage de recommander aux officiers d’exercer leur commandement avec bienveillance et de dissuader maternellement les volontaires de se livrer au libertinage…

Raison subsidiaire: je trouve assez fréquemment – et au moins une fois dans la bouche d’une citoyenne – l’usage du mot « camarade » lorsque le locuteur adresse un discours à des soldats. Mais c’est la première fois que je rencontre le terme «confrères» – 3 occurrences dans le texte, contre deux de «frères».

Le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend que «confrère» (origine vers 1260) dérive de confrérie, «association de laïques se proposant, sous un patronage religieux, un but charitable». C’est donc un terme qui reflète l’imprégnation religieuse de la vie sociale dans l’Ancien Régime.

Or son emploi ici est d’autant plus troublant que l’adresse des femmes de Belmont est datée du 24 novembre 1792, alors que les confréries – et les congrégations – ont été abolies trois mois plus tôt par la loi du 18 août 1792.

Faute d’indications sur le contexte de la publication, la seule lecture du texte n’apporte guère d’élément pour appuyer l’hypothèse d’une provocation; il semble plus probable que les femmes concernées – peut-être naguère membres d’une confrérie féminine (et protestante) – usent simplement (et naïvement) du vocabulaire qui leur est familier. On peut cependant être plus perplexe devant l’insistance sur les broderies qui agrémentent chaque chemise offerte d’un message religieux codé, ce dont je ne connais pas d’autre exemple.

Dans le bulletin de la Société d’histoire du protestantisme du Ban de la Roche, le texte est suivi d’une note que je reproduis ci-dessous :

À l’exception de trois fautes évidentes, qui ont été corrigées, la transcription ci-dessus respecte l’orthographe et la ponctuation du texte publié.

Je risquerai une hypothèse sur la rédaction de celui-ci : il se pourrait que le début fût de la main d’une des femmes de Belmont, la rédaction en étant particulièrement maladroite. La seconde moitié semble plutôt rédigée par le pasteur lui-même.

Qu’en pensent ceux qui ont étudié les manuscrits d’Oberlin?

Le rédacteur de cette note (qui signe R. L.) fait référence au pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826) qui exerçait son ministère dans le canton du Ban de la Roche et soutenait la Révolution (il a prêté le serment imposé par le décret sur la constitution civile du clergé de 1790). La ré-attribution d’un texte de femmes à un rédacteur masculin est un lieu commun de l’historiographie. Dans le cas d’espèce, je ne distingue pas les deux «moitiés» du texte censées se distinguer par leur qualité rédactionnelle et, toujours faute d’informations supplémentaires, je ne vois aucune raison de retenir l’hypothèse d’une rédaction masculine. En revanche, l’influence du pasteur est tout à fait plausible.

Comme souvent, lors de la re·découverte d’un document isolé, il est difficile de répondre aux questions que sa lecture suggère. Si quelques lectrice ou lecteur dispose d’informations qui permettent d’éclairer cette singulière adresse, je me ferai un plaisir de les publier ici.

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[1] On trouve sur Gallica des numéros de 1789, 1790 et 1791.