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J’ai voulu, avec son accord, mettre à disposition cet article de Jacques Guilhaumou, malgré son aspect «technique» qui pourra rebuter certaines et certains. Il est cohérent avec les buts que je me suis fixé dans ce blogue de publier des textes aux «niveaux de lecture» très différents. Chacun·e trouvera, je l’espère, de quoi faire son propre miel.

Je suis responsable des culs-de-lampe, qui utilisent la vignette figurant sur la couverture du journal d’Hébert (dont il est très souvent question dans ce texte, comme dans tous ceux qui traitent du langage pendant la Révolution).

C. G.

 

Un trajet en histoire du discours. Le cas de la Révolution française[1]

 

Version française de Jacques Guilhaumou «Geschichte und Sprachwissenschaft: Wege und Stationen in der “analyse du discours”», Handbuch Sozial-wissenschaftliche Diskursanalyse, R. Keller und alii hrsg., Band 2, Opladen, Leske+Budrich, 2003, traduction et présentation de Reiner Keller, 2003, p. 19-65.  Avec une annexe complémentaire de 2016.

Résumé

La présence de l’analyse de discours en histoire est restée modeste, mais  ne s’est pas démentie depuis la mise en place de la relation entre histoire et linguistique au cours des années 1970. Elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et plus récemment sur l’importance de la réflexivité et de l’intentionnalité historique chez les acteurs de l’histoire. L’objectif présent est de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Ce texte bilan écrit au début des années 2000 a été complété par une annexe, rédigée en 2016, qui resitue les moments de l’histoire du discours en Révolution française au croisement des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, et enfin la fonctionnalité principale.

Introduction

Au début des années 1970, Régine Robin, dans son ouvrage pionnier sur Histoire et linguistique (1973) accompagné d’une publication collective (Guilhaumou et alii, 1974) auxquels nous avons collaboré, pose frontalement le problème de l’absence de reconnaissance, au sein de la communauté historienne, des recherches ayant trait au langage, en dépit des avancées antérieures de l’école des Annales, autour de Lucien Febvre et Robert Mandrou. La réticence des historiens français face à tout étude qui touche de près ou de loin les pratiques langagières dans un contexte historique précis a perduré jusqu’à nos jours, d’autant plus qu’elle a été ravivée par la querelle récente à propos du «linguistic turn» (Noiriel, 1996; Schöttler, 1997). L’historien Gérard Noiriel (1998) notait encore récemment la position marginale de l’approche langagière au sein de la discipline historienne, en dépit de son rapprochement, déjà ancien mais amplifié, avec l’histoire langagière des concepts en Allemagne et plus récent avec les recherches équivalentes dans  le monde anglophone (Guilhaumou, 2000).

Pourtant la présence de l’analyse de discours en histoire ne s’est pas démentie au cours de ses trente dernières années. De fait, elle a permis de maintenir une interrogation sur les enjeux discursifs en histoire, et leur valeur interprétative, sans pour autant entamer la domination de l’explication narrative associée au débat sur le caractère fictionnel ou non de l’écriture historique (Prost, 1996)

Il convient donc de refaire l’historique des liens entre histoire et linguistique depuis une trentaine d’années pour montrer l’importance en France de l’analyse de discours du côté de l’histoire en tant que discipline interprétative à part entière. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons préféré nous en tenir, hormis de rares incursions dans le discours politique contemporain, à des exemples pris dans le 18ème siècle français, majoritairement présents dans les travaux des historiens du discours, tout en l’ouvrant à la période du Sattelzeit (1750-1850) mis en valeur par les perspectives pionnières de l’historien allemand Reinhart Koselleck.

Au départ, c’est-à-dire pendant les années 1970, la relation entre histoire et linguistique se limitait à permettre enfin l’accès du discours au champ historiograhique. Une configuration méthodologique, centrée sur la construction du corpus, dominait l’approche du discours comme objet d’histoire. Les années 1980 marquent un tournant décisif dans la mesure où ce qu’il convenu d’appeler désormais l’analyse du discours du côté de l’histoire, par le fait du recours à une démarche non plus structurale, mais configurationnelle, devient une discipline interprétative à part entière. Enfin, en multipliant les contacts tant en France qu’à l’étranger, en les amplifiant dans les années 1990. l’historien linguistique se rapproche de l’histoire langagière des concepts, tout en systématisant sa démarche au sein d’une histoire linguistique des usages conceptuels et en ouvrant une nouvelle perspective sur l’histoire des événements linguistiques.

1- Le discours comme objet de l’histoire: les années 1970

Dès son origine l’analyse de discours en France[2], dont la manifestation la plus spectaculaire est le colloque de lexicologie politique[3] tenu à l’Université de Paris X-Nanterre quelque temps avant les événements de mai 1968, se veut, dans son ensemble, une discipline restreinte, mais rigoureuse sur la base d’un modèle de scientificité emprunté à la linguistique distributionnelle américaine (Harris): analyse formelle, exhaustivité et systématicité s’efforcent d’aller de pair.

De fait il s’agit d’abord d’une démarche que nous qualifierions aujourd’hui de sociolinguistique en ce sens qu’elle associe un modèle linguistique, essentiellement l’analyse d’énoncé,  à un modèle sociologique, défini à travers la notion de conditions de production, autre désignation du contexte dans lequel on puise les éléments du corpus étudié. A la démarche du linguiste qui décrit les propriétés formelles des énoncés, en y cernant des variations, s’associe celle du sociologue qui cherche à comprendre la part de la variation des langages dans les pratiques sociales. Tout est ici affaire de correspondances, de co-variance entre des structures linguistiques et des modèles sociaux en cherchant parfois à établir une relation de cause à effet, même si le simple parallélisme est l’attitude la plus courante en la matière (Drigeard, Fiala, Tournier, 1989). Ainsi, une conjoncture historique peut engendrer des effets discursifs, comment nous l’avions montré (1975b) à propos des effets discursifs de l’hégémonie jacobine en 1793, dans le trajet de l’interdiscours jacobin aux effets de l’événement, et plus largement à l’effet de conjoncture.

De même la recherche de Régine Robin (1970) sur une ville sous l’Ancien Régime, Semur-en-Auxois, comportait d’une part une analyse des structures sociales d’un bailliage bourguignon à la veille de la Révolution française, et d’autre part une analyse du contenu des Cahiers de doléances de la bourgeoisie et de la paysannerie à partir d’un certain nombre de mots-pivots, selon une approche linguistique combinant analyse d’énoncé et étude du vocabulaire socio-politique. Les premiers travaux des linguistes analystes de discours s’inscrivaient aussi dans la même perspective, qu’il s’agisse de l’étude de Jean-Baptiste Marcellesi (1971) sur le Congrès de Tours de 1920 ou de celle de Denise Maldidier (1970) sur le vocabulaire politique de la Guerre d’Algérie.

Cependant la version « faible » de l’analyse de discours était la plus courante chez les jeunes historiens du discours qui abordaient alors leurs premières recherches: elle revenait à étudier les champs sémantiques de notions jugées centrales dans le corpus pris en compte. Ainsi en est-il de notre premier travail sur le discours du Père Duchesne (1974), issu de la presse pamphlétaire de 1793, et qui tend à mettre en valeur une forme dissimulée du discours jacobin autour des usages de la notion de sans-culotte. Cette approche du champ sémantique présente toujours l’avantage de s’inscrire dans une tradition lexicologique, incarnée par Ferdinand Brunot et qui côtoie tout au long du XXe siècle les avancées des historiens, en particulier au sein de  l’école des Annales. Tout en abandonnant le critère implicite de nombreux historiens de la transparence du sens des textes, et de rompre dans le même temps avec la citation illustrative, elle s’avère d’un abord simple, sans connaissance technique autre qu’une bonne connaissance  des parties de la grammaire.

Il revenait plutôt au linguiste travaillant sur des matériaux historiques d’élaborer une version «forte» de l’analyse de discours dans une optique essentiellement syntaxique.  Cela équivalait à ne retenir, au sein d’un corpus de textes imprimés, qu’une série d’énoncés autour de mots-pivots auxquels le linguiste applique des règles d’équivalence grammaticale permettant d’obtenir, sous une forme paradigmatique, un ensemble de phrases transformées qui constitue en quelque sorte la série des prédicats des mots-pivots. Cependant cette approche syntaxique reste toujours l’apanage du linguiste, ou tout au plus de l’historien linguiste, dans la mesure où l’historien ordinaire trouve trop lourd l’investissement linguistique nécessaire à sa mise en œuvre. Pour autant elle donne une image exemplaire de collaboration interdisciplinaire. Ainsi dans le travail conjoint de la linguiste Denise Maldidier et de l’historienne Régine Robin (1974), sur les remontrances parlementaires face aux Edits de Turgot de 1776, le corpus des phrases régularisées par la linguiste autour des mots-pivots liberté et règlement est reproduit intégralement. La sélection des termes repose ici sur un savoir historique préalable: il est supposé d’évidence que c’est autour des notions de liberté et de règlement que se joue alors l’affrontement entre noblesse et bourgeoisie dans la conjoncture de la tentative réformatrice de Turgot qui échouera.

Au contact de la linguistique structurale, l’historien du discours a donc pu se constituer un outillage méthodologique toujours d’actualité, mais qui a largement débordé sur l’analyse de contenu (Bardin, 1989). Ainsi s’est instauré, dans la relation entre histoire et linguistique, un rapport stable à des outils lexicaux et grammaticaux d’analyse répondant aux besoins de description systématique de l’usage des mots et des énoncés.

Dans cette perspective, la lexicométrie s’est imposée comme le principal moyen de quantifier les faits langagiers et sert ainsi désormais de support à toutes sortes d’analyses linguistiques (Lebart, Salem, 1994), au sein de ce que nous appelons aujourd’hui la linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997). L’historien du discours peut faire appel à la lexicométrie lorsqu’il veut démêler, en première approche, l’intrication des phénomènes énonciatifs et rhétoriques qui constituent la surface discursive d’un texte, par contraste avec les énoncés qui le structurent sémantiquement autour de mots-pivots étudiés en analyse harissienne. Nous pouvons ainsi aborder, comme le montre les travaux pionniers de Maurice Tournier (1975), le vif des usages d’un ou plusieurs mots dans le contexte même d’un corpus. Mais là encore, la procédure d’analyse porte sur un corpus réduit, non plus un corpus d’énoncés, mais le tableau lexical à double entrée des formes recensées automatiquement du corpus qui sont ventilées sur la base de leur fréquence absolue et relative dans les diverses parties du discours. L’analyse factorielle des correspondances est la méthode quantitative la plus spectaculaire en la matière au terme d’une démarche lexicométrique unitaire, comme le montre le travail récent de Damon Mayaffre (2000) sur le discours politique d’entre-deux-guerres, qui s’inscrit cependant dans une autre configuration méthodologique comme nous le verrons dans la troisième partie. Cette méthode à la fois quantitative et synthétique permet en effet d’appréhender d’un seul coup d’œil, sur l’écran de son ordinateur ou sur la feuille de papier, les clivages les plus importants du corpus, soit entre les auteurs, soit entre des ensembles de vocabulaire, soit les deux ensemble.

La procédure initiale de l’analyse de discours du côté de l’histoire a donc permis, sur la base des méthodes linguistiques et lexicométriques, d’introduire des critères d’exhaustivité et de systématicité à l’intérieur de corpus comparatifs, sélectionnés sur leurs conditions de production. Ainsi l’historien du discours se démarque dès le départ de l’historien classique  en contestant l’idée que la lecture d’un texte n’est qu’un moyen d’atteindre un sens caché, de cerner un référent pris dans l’évidence du sens.

Cependant l’analyse du discours comme objet de l’histoire présentait un triple écueil. En premier lieu, elle introduisait une coupure nette entre le corpus choisi, à vrai dire fort restreint au terme de la procédure d’analyse, et le hors-corpus défini de façon référentielle et générale par la notion de conditions de production. En second lieu, le choix des mots-pivots reposait sur le jugement de savoir de l’historien, pris lui-même dans le champ des débats historiographiques du moment. Enfin, elle constituait, sur des bases idéologiques et historiographiques, des entités discursives séparées telles que le discours noble, le discours bourgeois, le discours jacobin, le discours sans-culotte, etc.

Il ne faut pas cependant sous-estimer les résultats de ses premiers travaux en matière de connaissance des stratégies discursives. Ainsi en est-il de notre étude comparative de la presse pamphlétaire en 1793 (1975) qui met en évidence le contraste entre un «authentique» discours sans-culotte, celui de Jacques Roux, et le discours jacobin d’Hébert, auteur du Père Duchesne, basé sur des effets populaires estompant ses contenus jacobins. C’est dire aussi que l’analyse de discours relevait, à un niveau plus fondamental, d’une théorie du discours doublement issu du marxisme et de l’apport alors récent de Michel Foucault, en particulier dans L’archéologie du savoir (1969).

Si Michel Pêcheux suivait volontiers Michel Foucault dans sa critique de l’humanisme, et son corollaire la mise en avant de la subjectivité de l’individu, il s’en séparait nettement par le refus d’un geste interprétatif qui récusait, avec Michel Foucault,  l’existence d’une formation sociale préconstruite, à l’identique des concepts du matérialisme historique. Il s’agissait alors, toujours pour Michel Foucault, de substituer au mouvement dialectique un « mouvement de l’interprétation » (1994, I, 564 et suivantes). Ce refus initial, chez les « linguistes marxistes », de la démarche interprétative devait fortement contribué à limiter la portée de l’analyse de discours au cours des années 1970, et par là même de l’appréhension de l’historicité des textes. Les années 1980 ouvriront, certes tardivement, l’analyse de discours au questionnement herméneutique.

Cependant, deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), étaient  centraux, ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permettait de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le risque était là, nous l’avons déjà souligné, de classer les diverses formations discursives d’une formation sociale, à l’exemple de l’opposition noblesse/bourgeoisie sous l’Ancien Régime. Le concept d’interdiscours introduisait alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il était permis de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un «tout complexe à dominante» selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation «forte» rencontrait alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste[4]. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois/discours féodal; discours jacobin/discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il était question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. C’est d’ailleurs sur cette voie que s’est  opérée la rencontre de Michel Pêcheux avec des chercheurs allemands soucieux des phénomènes langagiers, en particulier Jürgen Link et Peter Schöttler (Pêcheux, 1984, Schöttler, 1988). Le bilan de l’analyse de discours comme objet de l’histoire, telle qu’elle a été pratiquée par un petit groupe d’historiens au cours des années 1970,  n’a donc rien de négatif, en dépit de ses évidentes impasses. C’est par la multiplication des contacts avec diverses interrogations langagières de chercheurs français et étrangers et une attention nouvelle à l’archive que s’opère, dans les années 1980, la sortie vers ce que nous pouvons appeler désormais l’analyse de discours du côté de l’histoire.

2- Contacts, résultats et ouvertures: les années 1980

Des liens se sont rapidement établis avec des chercheurs allemands (Guilhaumou, Lüsebrink, 1981), sur la base d’affinités au sein de la communauté des dixhuitièmistes. Cependant, des contacts qui se nouent au cours des années 1980, l’un des plus fructueux est celui avec Jean-Pierre Faye, même si la réception de ses travaux, de Langages totalitaires (1972) au Dictionnaire portatif en cinq mots (1982), est quelque peu décalée. Ici le politique construit sa tradition, sa mémoire, sa novation par les trames narratives qu’il fait des événements. Bien sûr, il est ici question centralement, de Mein Kampf à la Solution finale, de l’holocauste des Juifs. Mais, c’est la frappe narrative ou l’effet de récit qui donne consistance au totalitarisme nazi au sein de la circulation des langages dans le champ discursif de l’extrême droite allemande de l’entre-deux-guerres. Le fait discursif devient alors événement, action narrée. Le discours n’est pas uniquement ce qui énonce l’action rapportée, mais il est aussi ce qui produit l’action, il est fondamentalement acte de langage. Sociologie des langages et sémantique de l’histoire construisent la relation entre histoire et langage, en inscrivant les pratiques langagières dans les luttes sociales[5].

Cependant la résonance historique de la Terreur de l’an II à l’horizon de la circulation des énoncés de la Révolution des droits de l’homme et du citoyen, pendant la Révolution française, sert tout autant de balise interprétative dans une oeuvre certes marquée par l’élucidation du langage de la terreur politique au XXe siècle. C’est dire autrement que le temps de la Terreur, pendant la Révolution française, est liée à son opposé, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il est donc peu fiable, selon Jean-Pierre Faye, de dissocier, dans une démarche pseudo-comparative,  Terreur et droits de l’homme au profit d’un récit-standard de la terreur propre aux totalitarismes du XXe siècle.

En quels termes faut-il alors rendre compte du processus où s’imbriquent paradoxalement l’énonciation des droits de l’homme dans la nouvelle Constitution et la proclamation improvisée de la Terreur en 1793 ?  Telle est la question que se posait Jean-Pierre Faye au début des années 1980, en résonance avec notre propre travail (1981) sur la mise à l’ordre du jour de la Terreur pendant l’été 1793 qui s’efforce «d’en explorer tous les ressorts et les recoins narratifs» selon les conseils de Jean-Pierre Faye lui-même (1982, 133).  D’ailleurs la question rebondit actuellement  avec la mise en évidence d’une « économie émotive de la terreur » qui élucide le fait que le peuple exerce la terreur comme une violence fondatrice à chaque fois que les droits de l’homme sont violés (Wahnich, 2002).

Entre Jean-Pierre Faye et Michel Foucault, les affinités méritent d’être explorées. Michel Foucault définit le savoir, dans L’Archéologie du savoir (1969), comme «ce dont on peut parler dans une pratique discursive» et en déduit l’importance des configurations d’énoncés ouvrant le champ des possibles sous forme d’énoncés réglés, typifiés. Jean-Pierre Faye désigne, de manière concrète, la formule («l’État total») et l’antithèse («la Révolution conservatrice»), énoncés qui définissent le noyau régulateur du champ idéologique de l’extrême droite allemande de l’Allemagne de Weimar autour de la phrase-pivot, «Nun ist der faschismus eine Konservative Revolution… so konnte er schaffen den totalen Staat»[6]. Ainsi s’ouvre la possibilité de jeux d’inversion complexes. autour de l’axe sémantique Völkisch-Bündisch du devenir-peuple: de la recherche d’une communauté totale du peuple à l’énoncé d’Hitler en 1936, «Je suis le révolutionnaire le plus conservateur du monde»[7], une conception raciste, antisémite et anti-internationaliste du monde est mise en acte au sein même du langage. Il revient d’ailleurs à Michel Foucault de définir lui-même en 1975 son affinité majeure avec Jean-Pierre Faye. L’un comme l’autre, ils s’efforcent de «faire sortir l’archive dans le mouvement même de sa formation» (1994, II, 740); et ainsi de reconstituer l’enchevêtrement du discours dans le processus, dans l’histoire, dans l’événement, à partir d’un corpus, certes indéfini dans ses limites, mais où l’on peut faire apparaître des connexions stratégiques entre les formations discursives.

Énoncé d’archive, corpus ouvert, événement discursif, tels sont les trois notions qui déplacent les préoccupations des historiens du discours vers de nouveaux horizons au cours des années 1980.

L’archive n’est pas ici seulement l’ensemble des textes qu’une société a laissés. Matériel brut désormais exploré conjointement par l’historien classique et l’historien du discours, mais à partir duquel l’historien du discours ne privilégie pas la recherche de structures sociales cachées, elle est alors principalement un dispositif non réglé a priori d’énoncés qui constituent des figures, des objets et des concepts distincts. Ainsi chaque dispositif d’archive établit se propre mise en ordre. Au début des années 1980, la notion d’énoncé d’archive apparaît alors fondamentale.

L’énoncé est d’abord attesté dans l’archive, ce qui signifie qu’en son sein s’articulent/ description et réflexion. En d’autres termes, empruntés à la tradition ethnométhodologique, qui fait son apparition en France au début des années 1980 (Coulon, 1987), le chercheur adopte, face à l’archive, un langage descriptif issu d’un contexte d’interaction avec l’acteur historique présent dans l’archive: il se considère comme pris dans un lien «naturel» avec les expressions de l’acteur, au point que le contexte qu’il décrit fait partie intégrante de son langage descriptif et lui fournit des ressources interprétatives pour restituer la compréhension des événements où l’acteur est impliqué.  Restituer la réflexivité de la description sociale portée par l’acteur – son accountability, c’est-à-dire sa forme descriptible, intelligible, rapportable, analysable – consiste alors, pour le chercheur  à en rendre compte par son langage descriptif à la fois comme une activité de connaissance concertée qui permet de catégoriser un événement et une activité sociale pratique nous montrant comment un acteur enregistre en fait, un rapport sur la base de ses capacités réflexives propres.

Le travail historico-discursif du sociologue Bernard Conein (1980) sur les énoncés autour des massacres  de septembre 1792 en France est pionnier en ce domaine. Alors que les historiens classiques s’intéressaient aux mouvements punitifs de 1792, soit pour les dénombrer, soit pour les expliquer sur la base des arguments développés par les élites politiques dans les clubs et à la Convention Nationale (ainsi de l’énoncé robespierriste, «C’était un mouvement populaire»), Bernard Conein, après s’être plongé dans les archives administratives et judiciaires sur ces événements, constate l’opposition, au sein même de la réflexivité des discours,  entre un langage de reprise judiciaire, tenu tant à Paris qu’en Province, qui met en scène la conduite des agents terroristes des massacres sous forme de propos et de conduites d’affrontements rapportés, et un langage de reprise politique sous forme d’un discours hautement réflexif de porte-parole, mais distinct de l’argumentation des acteurs politiques majeurs. Ce discours de porte-parole – notion d’avenir en histoire du discours (Guilhaumou, 1998a) – s’impose comme la norme de la prédication politique auprès du peuple par des modalités «heureuses» de médiation, ou tout du moins l’instauration de lieux intermédiaires, en l’occurrence les tribunaux populaires, qui permettent d’introduire, au-delà du langage terroriste, un langage où l’on peut distinguer l’innocent du coupable.

Une telle prise en compte de la réflexivité des descriptions sociales ouvre la voie à un individualisme méthodologique, par opposition à la démarche usuellement holiste des historiens. Ce sont désormais les individus, les membres d’une société, certes pris dans des rapports intersubjectifs, qui, utilisant le langage naturel comme contexte, donnent ainsi sens à leurs actes par la médiation d’un discours réflexif. Il s’agit donc de s’en tenir au mouvement des acteurs, aux opérations auxquelles ils se livrent, et à leurs justifications, sans de donner les facilités d’une approche surplombante. L’historien du discours se rapproche alors singulièrement des sociologues de l’action qui s’intéressent à «ce dont les gens sont capables», formule de titre de la première partie de l’ouvrage du sociologue Luc Boltanski (1990).

Par ailleurs l’énoncé d’archive est à la fois rare, dispersé et régulier, pour s’en tenir aux analyses de Michel Foucault. Il nous renvoie ainsi à un acte configurant centré sur une intrigue, pour reprendre les termes de Paul Ricoeur (1983) dans ses travaux sur le récit. C’est ici que le rapport à l’événement discursif est privilégié dans la mesure où la portée réflexive de l’énoncé d’archive est issue de son insertion particulière dans l’action. La rareté d’un énoncé tient à sa valeur d’argument mis en mouvement par l’insertion du contexte dans le texte même, et sa formulation majeure généralement située en fin de parcours de la configuration de l’événement. Mais cette rareté ne prend sens que dans une vaste dispersion d’énoncés. A ce titre, telle ou telle expression peur réguler un champ discursif par son voisinage immédiat avec une vaste émission d’énoncés. Ainsi en est-il des énoncés «Marat est mort»/«Marat n’est pas mort» situés en amont et aval de l’événement marqué par l’assassinat  de Marat, puis l’établissement de son culte (Guilhaumou, 1986c, 1987).

Lorsque l’événement, et en son sein une régularité d’énoncés, se manifeste à l’intérieur d’une vaste séquence chronologique, il convient alors d’avoir recours, en histoire du discours, à la notion de trajet thématique. Nous entrons ainsi dans une multiplicité de réseaux d’énoncés articulés autour d’autant d’actes configurants que le permet le déploiement temporel. Là encore, la rareté de l’énoncé se manifeste dans des récurrences syntaxiques particulièrement significatives des enjeux discursifs: ainsi en est-il de la configuration d’énoncés autour du stéréotype «Du pain et X» (Guilhaumou, Maldidier, 1986b). dans le moment révolutionnaire du trajet thématique des subsistances  au 18ème siècle dont nous avons proposé (2001a) une synthèse dans  le Manuel allemand des concepts socio-politiques en France au XVIIIe siècle.

Le détour par l’archive a donc singulièrement complexifié la démarche de l’historien du discours pendant les années 1980. Certes l’analyse de corpus, à l’aide d’outils linguistiques adéquats, demeure plus que jamais d’actualité. Mais d’une part il ne s’agit plus de construire d’abord un corpus sur la base d’un jugement de savoir, au titre de la désignation de conditions de production, mais de décrire d’abord des configurations d’archives significatives à la fois d’un thème, d’un sujet, d’un concept, et en fin de compte d’en événement. Il est alors toujours temps d’isoler en leur sein un ensemble d’énoncés sur des critères lexicaux, syntaxiques ou énonciatifs et de constituer ainsi un moment de corpus susceptible d’une approche linguistique fine.

L’apport de la démarche lexicométrique s’en trouve aussi quelque peu modifié. Nous prendrons l’exemple d’un corpus chronologique d’environ 150 000 occurrences, le Père Duchesne d’Hébert en 1793-1794, que nous avons étudié (1986a) en collaboration étroite avec le linguiste lexicomètre André Salem (1986).  Il ne s’agit plus seulement, à partir de l’analyse du tableau lexical de répartition des formes, de décrire une évolution du vocabulaire sur la base automatisée de regroupements quasi-sémantiques de termes. La nouvelle démarche adoptée consiste d’abord à sélectionner des indices quantitatifs, fournis par l’analyse lexicométrique, qui font contraste au sein d’un corpus, tout en renvoyant à des données localisées en des points précis du corpus. Puis, ces descriptions locales à base quantitative sont contextualisées avec l’aide d’éléments hors-corpus. Prenons alors, au sein de ce corpus, l’exemple de la mise à l’ordre du jour de la Terreur en 1793 en nous posant la question suivante: quelle place discursive occupe cet événement discursif dans la narration duchênienne?

Le réseau d’énoncés de la thématique de la terreur s’organise en deux temps. Au moment  de la mise en place du mot d’ordre de terreur à l’ordre du jour, pendant le mois d’août 1793, l’usage répété de la figure de l’aristocrate à travers les multiformes «tous les aristocrates», «aux aristocrates», «les aristocrates» légitime de l’extérieur l’existence même de la terreur. Puis l’inversion de l’usage de l’expression populaire «perdre le goût du pain»[8] qui, d’abord appliquée aux amis de la République, devient l’apanage de ces ennemis, réitère le processus de retournement de la terreur, exercé initialement par les ennemis, contre ces mêmes ennemis. Dans un second temps, une fois la mise à l’ordre du jour de la terreur légitimée par la Convention Nationale, le Père Duchesne use systématiquement  de la multiforme «tous les ennemis», indice de l’émergence d’une systématique de terreur dans le discours duchesnien.

En fin de compte, une telle description locale d’origine lexicométrique permet de situer les enjeux stratégiques à l’intérieur même de la description textuelle, et non dans l’articulation d’une surface discursive à une formation discursive déterminée par ses conditions de production, comme il en aurait été au début de l’analyse de discours, lorsqu’il s’agissait d’établir un lien entre les effets populaires dans le Père Duchesne et son contenu jacobin.

Au moment où les historiens du discours s’interrogent sur la pertinence de leur dispositif, l’approche quantitative des textes s’avère d’une grande souplesse expérimentale, comme le montre les premières livraisons des revues Mots,  Histoire & Mesure, et Lexicométrica[9].

Les ouvertures problématiques des historiens du discours dans les années 1980 ont été rendues possible par la neutralisation progressive de toute démarche analogique de type sociolinguistique et la constitution de l’analyse de discours comme discipline interprétative à part entière (Guilhaumou, 1993). Mais il a fallu d’abord récuser la notion de conditions de production, et son corollaire, la situation de communication, en situant les ressources interprétatives des textes en leur sein. Puis l’histoire du discours s’est libérée en partie des modélisations sémantiques a priori dans la manière d’agencer les «phrases de base  de l’analyse d’énoncés  et/ou d’organiser les listes de termes différenciés issus des analyses lexicométriques de tableaux lexicaux. Enfin il est devenu possible de ne plus instrumentaliser la linguistique en s’en servant comme d’un simple outil, pour ensuite l’exclure du moment interprétatif. Dans un premier temps, l’autonomie des descriptions vis-à-vis des modèles formelles du linguiste a été acquise par le recours aux énoncés d’archive. D’autant que ces énoncés ont été singularisés à l’intérieur de configurations significatives déployées tout le long de vastes trajets thématiques. Ce n’est alors qu’au terme de ce détour archivisitique et discursif qu’il est apparu possible à nouveau de singulariser, à titre expérimental, des fonctionnements linguistiques au sein même de la circulation des énoncés. Nous avons présenté ce moment expérimental, avec Michel Pêcheux (1990), comme un temps d’approche de  la matérialité de la langue dans la discursivité de l’archive qui s’attache à un moment de corpus particulier.  Nous l’avons exploré avec Denise Maldidier tout au long des années 80 pour en fournir un bilan (1994), en association avec Régine Robin, au début des années 1990.

L’objectif est ici de décrire les enjeux discursifs d’une récurrence syntaxique, soit par exemple du côté de la coordination «Du pain et X» dans le temps révolutionnaire de la thématique des subsistances au XVIIIe siècle, soit dans un autre exemple du côté de la négation avec «Marat est mort/ Marat n’est pas mort» au cours de l’événement «mort de Marat» de l’été 1793. Ainsi une question linguistique en débat peut être abordée dans le processus même de description de dispositifs textuels.

En terme de bilan, les années 1980 ont été marquées chez les historiens du discours par un tournant langagier de facture fortement herméneutique, qui s’intègre dans ce qu’il est convenu d’appeler «le tournant interprétatif». L’acte d’interpréter est mis au centre de «la constitution linguistique du monde» et se concrétise dans l’historicité des discours par un vaste gamme pragmatique d’actes de langage. Il s’agit bien alors d’attester de l’existence de l’événement discursif, d’en déclarer la signification attestée par rapport à ce qui est dit dans un moment donné au sein d’une configuration d’énoncés. À partir de la lecture d’archives, l’événement de communication, échelle commune de notre société médiatique, est mis à distance, faute de disposer d’une phénoménalité propre, alors que l’historien du discours reconnaît aux acteurs de l’histoire une capacité interprétative spécifique.

Comme l’avait justement noté Reinhart Koselleck en 1985, dans un débat court, mais contradictoire avec nous (Koselleck, 1988), alors que nous étions très proche des recherches allemandes en pragmatique historique textuelle, ce fort penchant herméneutique présentait le risque de confondre les faits sociaux et le langage, confusion que des historiens français dénonçait également dans le «linguistic turn» de l’historien américain Hayden White (Chartier, 1996). Koselleck devait alors proposer de toujours maintenir l’écart entre action et discours, réalité sociale et manifestation langagière, tout en s’intéressant à la connexion empirique entre la réalité et le discours. Ce «retour au réel», voire au référent, allait progressivement marqué  la conjoncture des années 1990 pour les historiens du discours, alors que la démarche configurationnelle atteint une ampleur inégalée grâce à l’émergence d’une nouvelle génération d’historiens du discours. Par ailleurs, les liens entre travaux français, recherches allemandes et études anglophones font l’objet de bilan (Reichardt, 1998, Guilhaumou, 2000).

Il faut bien reconnaître que «la dérive» de nombreux linguistes vers une approche discursive de type sémiolinguistique, donc prise dans le champ des sciences de l’argumentation et de la communication, en s’autorisant d’une conception quelque peu ahistorique de l’archive (Maingueneau, 1991) et en s’intéressant surtout aux langages politiques du temps présent, ne pouvait qu’inciter les historiens du discours à marquer leur spécificité. Ainsi les plus jeunes profitent des nombreux contacts, voire des alliances avec d’autres courants de recherches sur les pratiques langagières noués tant en France qu’à l’étranger. Ils les amplifient alors que leurs aînés multiplient les contacts avec une école sud-américaine d’analyse de discours en pleine expansion (Goldman, 1987; Orlandi, 1994). Les résultats historiques de leurs recherches passent au premier plan, certes parfois au détriment des questions méthodologiques.

Pour leurs aînés arrive aussi le temps des premières synthèses qui posent alors le redoutable problème de savoir si ces tentatives synthétiques veulent éviter le schéma cumulatif ordinaire. Enfin, l’intérêt pour les méthodes linguistiques se déplace vers le questionnement des sciences du langage, et tout particulièrement celui de l’histoire des idées et des théories linguistiques alors en pleine expansion (Auroux 1989-1999), au point d’aboutir à la proposition récente d’une histoire des événements linguistiques.

3- Elargissement et synthèse des recherches: les années 1990

3- 1- Le temps de la synthèse.

Pour sa part, en adoptant une posture herméneutique, l’historien linguiste change de terrain, il ne recherche pas plus un sens caché explicable par des catégories historiographiques qu’un jeu de formes langagières, il s’efforce plutôt de traduire l’observabilité pratique des acteurs dans des arguments qui leur sont propres. Cependant, il ne peut pas s’en tenir définitivement à un travail de configuration d’énoncés d’archive. Il doit bien, à un moment donné, procéder à un travail de généralisation, donc donner une cohérence à un ensemble de résultats historico-discursifs tout en conservant, peu s’en faut, la visibilité des procédures d’élaboration de ces éléments de connaissance. Ainsi, il opère une synthèse à partir d’une thématisation des catégories attestées dans l’archive. Il valorise ainsi des arguments à forte valeur explicative, certes invoqués par les acteurs de l’événement.

Dans cette voie, nous avons tenté d’opérer une première synthèse en analyse de discours autour d’une figure majeure de la Révolution française, le porte-parole (Guilhaumou, 1998).

Nous avons d’abord mené une vaste enquête archivistique dans un espace précis, Marseille pendant la Révolution française (1992). Nous avons pu ainsi dégager un ensemble de configurations d’énoncés d’archive autour des notions de loi, constitution, souveraineté, etc, et au sein de trajets thématiques significatifs d’itinéraires individuels. D’un tel geste de lecture de l’archive ressort une figure fondatrice de l’espace civique, le missionnaire patriote, caractérisée centralement par un acte de langage, l’acte de faire parler la loi. Nous nous trouvions ici au plus près de l’analyse de discours en tant qu’ethno-méthode en ce sens que le questionnement ethnométhodologique (Widmer 1986; Coulon, 1987) suscitait une posture d’indifférence au lien entre une position sociale externe et la pratique discursive «interne» d’un individu. Qui plus est, dans la mesure où la prise en compte du langage naturel comme contexte, ressource et thème estompe la clôture du corpus, la distinction entre texte et contexte perdait toute valeur heuristique. C’est ici que la dimension herméneutique de l’analyse de discours a été la plus prégnante dans notre trajet de recherche.

Puis, dans un souci synthétique, nous  avons comparé cette figure de l’acteur émergent avec d’autres figures autodésignées telles que l’écrivain patriote, le grammairien patriote, le juge improvisé, au sein d’un vaste ensemble d’actes de langage (de l’acte de demande à l’acte de souveraineté en passant par l’acte d’obligation, l’acte de dénonciation, l’acte de faire parler la loi, etc.) constitutifs de la dimension pragmatique des discours révolutionnaires, sans négliger le monde des notions-concepts (Révolution, liberté, égalité, terreur, etc.) qui structurent ce que nous appelons une pragmatique de la réflexion qui nous fait entrer dans l’action au moment même où le discours fait réflexion sur lui-même.

Cependant il s’agit là d’une synthèse en marche qui suppose d’autres supports, plus ou moins proches thématiquement, en l’occurrence un Dictionnaire des usages socio-politiques pour la période 1770-1815 et des recherches monographiques. Dans les deux cas, la présence de jeunes chercheurs s’avère importante.

C’est à l’initiative de l’équipe «18e-Révolution française» de  l’ex-laboratoire de lexicologie politique de l’ENS de Saint-Cloud, devenue l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon, qu’ont été publiés, entre 1985 et 1999, six volumes d’un dictionnaire qui accorde une place prépondérante à la présentation de résultats discursifs tout en mobilisant une part importante de la communauté des historiens de la Révolution française.

De fait les choix thématiques des six volumes publiés peuvent être regroupés en trois volets. Deux volumes (I-1985 et IV-1989) concernent très classiquement la série des désignants socio-politiques sans-culottes, aristocrates, anarchistes, etc.. Deux autres volumes (III-1998 et V-1991) s’intéressent aux outils linguistiques, essentiellement les Dictionnaires, et à la conscience linguistique de l’époque s’ouvrant ainsi au champ plus large de l’histoire des idées et des théories linguistiques. Les deux  volumes restants (II – 1987 et VI – 1999), parcourent un trajet significatif des notions-concepts aux notions pratiques[10].

Ce Dictionnaire n’a pas l’ampleur de la vaste entreprise allemande du Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich (1680-1820) dirigé par Rolf Reichardt et Hans Lüsebrink, à laquelle nous collaborons par ailleurs (2001a), mais présente des affinités avec la pragmatique historique textuelle et plus largement avec l’interrogation, mise en oeuvre par Reinhart Koselleck, sur les conditions langagières d’apparition des formes discursives en tant qu’accès privilégié à leur compréhension historique. Qui plus est, l’histoire des concepts relève aussi de travaux monographiques, à l’exemple des publications anglophones autour de Quentin Skinner et John A. G. Pocock[11]. L’objectif de ces chercheurs internationalement reconnus consiste à montrer que les auteurs pris en compte, de Machiavel à Harrington, ne se contentent pas de conceptualiser dans une situation spécifique, mais qu’en écrivant, ils investissent le contexte dans le mouvement argumentatif de leurs textes par la multiplication d’actes de langage. Il s’agit donc de se démarquer de l’histoire classique des idées par un intérêt marqué pour l’histoire des concepts saisis dans le contexte d’ « actions linguistiques » désignant le moment où le potentiel normatif et interprétatif des concepts est pris dans l’action politique. Notre récent travail sur Sieyès et l’ordre de la langue (Guilhaumou, 2002) se rapproche singulièrement  d’une telle perspective conceptuelle,  tout en conservant notre interrogation initiale (Guilhaumou, 1989) sur l’invention de la langue politique pendant la Révolution française.

3-2- Pour une histoire linguistique des usages conceptuels.

Un même ordre de préoccupation se retrouve dans les premières études des jeunes historiens français du discours qui arrivent à terme dans les années 1990. Ainsi en est-il tout particulièrement de l’étude de Marc Deleplace (2001) sur la notion d’anarchie entre 1750 et 1850. De même que la période choisie correspond au Sattelzeit mis en valeur par les travaux de Koselleck, l’impact des travaux allemands en histoire sémantique se fait également sentir dans l’effort pour s’intéresser au discours comme objet d’histoire sociale, au titre d’une interrogation permanente sur la connexion empirique entre la réalité et le discours. Au plus loin de l’application de modèles linguistiques, une fois acquis l’abandon du corpus stable, clos et homogène, Marc Deleplace aborde la pluralité des langages sur l’anarchie dans le discours parlementaire au sein d’une vaste configuration d’énoncés où l’on peut mesurer des rythmes d’évolution, décrire l’entrelacement d’une notion-concept et d’une désignant politique. En effet, d’abord pris dans le contexte de réflexion théorique sur l’évolution des sociétés politiques, sous l’Ancien Régime, la notion d’anarchie bascule dans le débat institutionnel de la Révolution française. Parallèlement se met en place l’émergence de la fonction de désignant socio-politique de l’anarchie pour aboutir à la fin de la Révolution française à une discours « social » sur les méfaits de l’anarchie et de l’anarchiste  qui se stabilise dans la formation d’un anti-modèle social au cours du moment thermidorien de l’an III.

L’intérêt principal de ce travail novateur est de mettre en évidence la rupture sémantique par laquelle s’opère l’appropriation positive d’un signifiant a priori négativisé. Au plan méthodologique (Deleplace, 1996), il ne s’agit donc pas de s’en tenir à l’étude linéaire d’énoncés clairs, explicites et didactiques, mais de prendre en compte, dans la lignée de Michel Foucault, un configuration d’énoncés  éclatés et dispersés.

Il convient cependant d’associer à cette démarche d’analyse d’un vaste trajet autour d’une figure négative une approche plus «micro-historique» du discours parlementaire. À ce titre, le travail de Yannick Bosc (2000), issu d’une thèse en cours de publication, constitue un exemple encore unique d’étude exhaustive d’un débat parlementaire, donc à la Convention, pendant le moment thermidorien et plus précisément autour de l’intervention de Thomas Paine sur la Déclaration des droits. Nous sommes ainsi immergé progressivement dans la dynamique discursive d’un travail continu de justification, d’ajustement, de légitimation, voire d’inversion des énoncés sur les droits de l’homme de la part des acteurs parlementaires du débat, avec en son centre la question du maintien ou du rejet des principes de liberté et d’égalité comme horizon d’attente du projet révolutionnaire depuis 1789. D’un point de vue méthodologique, la question du contexte en analyse de discours est au centre de ce travail. A l’encontre de l’historien classique qui reproche à ce travail de désincarner volontairement les arguments des protagonistes du débat en se refusant d’opérer une vaste description historiographique d’un contexte hors-corpus, Il s’agit bien de révoquer l’évidence d’un contexte préétabli au profit d’une construction du contexte dans la complémentarité des ressources disponibles dans le débat lui-même, par des effets constants de renvois et de réseaux. C’est dans la dynamique rendue visible par le chercheur que le travail de retour aux principes  par Paine, puis  de justification de leur abandon partiel par Boissy d’Anglas en particulier, et enfin d’ajustement des usages  permet de mettre en place le contexte du débat. Le contextualisme d’une telle démarche, qui met l’accent sur une dynamique argumentative conférant une force illocutionnaire, une dimension actionnelle aux concepts confrontés, nous rapproche tout autant de la synthèse récente de Rolf Reichardt (1998) sur la culture démocratique de la Révolution française, dans la continuité de sa remarquable monographie, en collaboration avec Hans-Jürgen Lüsebrink, sur la prise de la Bastille (1990) que de l’histoire des concepts  telle qu’elle se pratique dans le monde anglophone de la recherche, en particulier chez Quentin Skinner (1996). L’histoire langagière des concepts situe bien au centre de sa démarche la question du contexte (Guilhaumou, 2001b).

L’analyse de discours du côté de l’histoire s’oriente ainsi vers une démarche, certes fort attachée à l’étude des usages lexicaux[12], mais qui s’élargit au champ d’une histoire sociale des représentations positives et négatives, de leur insertion dans un sens commun, comme condition de l’intercommunication humaine. L’intérêt porté à la manière dont la langue constitue les mots comme enjeu politique, ouvrant ainsi des possibles en terme de projet et d’affrontement politique, est désormais au centre des préoccupations de l’historien du discours.

En ce domaine, le récent travail de Sophie Wahnich (1997) sur la thématique de l’étranger pendant la Révolution française élargit le champ de l’analyse de discours. Proposant une conjonction entre l’histoire des savoirs discursifs et l’histoire des représentations étendues aux émotions, Sophie Wahnich situe les modes d’intervention de la notion d’étranger, tant juridico-politique (la loi contre les étrangers) que pratique (l’hospitalité), dans une vaste discontinuité de trajectoire d’appropriation et d’invention langagière. Elle rencontre même la matérialité de la langue dans la discursivité de l’archive, au moment où la dénonciation par les Montagnards en l’an II de l’usage, dans le discours des Anglais, de syntagmes figés, de structures syntaxiques précises à l’encontre de la Révolution, interdit le processus d’appropriation de l’événement révolutionnaire à visée universel en faussant sa description auprès des lecteurs anglais.

Plus avant elle s’intéresse au concept comme répertoire d’arguments, et en particulier au concept central de souveraineté (Wahnich, 1999). Enfin elle étend, d’un point de vue anthropologique, l’approche conceptuelle de la rationalité discursive des acteurs de l’événement  aux raisons pratiques, donc aux croyances et aux émotions[13].

Il ne restait alors qu’un pas à franchir pour faire de l’histoire du discours une histoire globale, en y introduisant une réflexion sur les fondements moraux et cognitifs de l’individuation langagière. Tel est présentement l’objectif d’une histoire des événements linguistiques.

3-3- Vers une histoire des événements linguistiques.

Nous avons eu la possibilité de présenter, à l’occasion d’un échange organisé par Hans Erich Bödeker (2001) autour de l’histoire des concepts, notre point de vue actuel sur une histoire des événements linguistiques. Dans la mesure où notre contribution en la matière fait l’objet d’une prochaine publication, nous nous contentons présentement d’en indiquer les très grandes lignes.

Le contact désormais permanent entre les perspectives épistémologiques de Reinhart Koselleck et la nouvelle génération d’historien du discours permet de sortir enfin du débat sur les dangers du «tournant linguistique» sans cesse soulignés par les historiens français dans leur confrontation avec les historiens narrativistes américains (Chartier, 1998). Il est désormais admis l’existence de lignes de résistance du réel à toute interprétation purement textuelle, voire fictionnelle, de la réalité. Mais il s’agit de lignes de tendance du réel toujours susceptibles d’être négociées par des auteurs, des acteurs, des orateurs et des spectateurs qui disposent de possibilités langagières ayant valeur de ressources interprétatives diversifiées, donc suffisantes pour comprendre le réel.

Ce souci maintenu de conserver la connexion empirique entre l’action concrète et le discours (Guilhaumou, 2001c) permet alors intégrer à l’analyse de discours une perspective sur la langue empirique, c’est-à-dire sur cette portion de réalité où s’élaborent des types-idéaux au sens sociologique, ou des types cognitifs au sens sémiotique (Eco, 1997) C’est là que nous pouvons faire intervenir la notion d’événement linguistique, notion devenue essentielle dans la mesure où elle permet de dépasser la réflexion, certes notable (Guilhaumou/Maldidier, 1989), mais limitée sur la conscience linguistique, en l’occurrence des révolutionnaires français.

Une fois affirmée que la réalité est structurée par la langue empirique, au titre de la réalité d’un espace/temps de l’intercommunication humaine (Auroux, 1998), nous pouvons considérer une modalité essentielle de l’événementialité, sa donation linguistique. De l’existence incontournable de la langue empirique, retenons que le langage existe d’abord, d’un point de vue empirique, sous la forme de singularités événementielles, mais qu’il acquiert sa stabilité dans leur identification au sein de schèmes fondateurs d’une langue jugée commune par ses utilisateurs. Quelque chose est existant, quelqu’un parle au sein d’un événementialité originaire elle-même «vide de sens», mais juge de l’appartenance de chacun à une communauté  de langue.

Nous portons alors notre attention sur des éléments cognitifs producteurs de sens au sein d’un continuum où l’événement est attesté en des points singuliers particulièrement significatifs. Ces véritables éléments constituants de la production du sens constituent autant de schèmes intermédiaires entre les données de la langue empirique et les catégories de la langue abstraite. Schèmes au sens kantien, ils sont garants du statut cognitif de l’événement, de son rôle au sein de la production des connaissances  dans la mesure où ils fournissent les règles, les principes et les exemples d’application de catégories abstraites au concret de l’intuition sensible. Ils établissent des relations spatio-temporelles permettant de conceptualiser le réel dont on fait l’expérience en tant que continuum segmentable. Ils peuvent alors être identifiés dans l’activité de sujets cognitifs et la présence d’objets cognitifs au sein d’événements linguistiques.

Il importe alors de décrire empiriquement et historiquement une telle dynamique événementielle d’un référent producteur de données en langue. Le cas du 18ème siècle français, sur lequel nous travaillons actuellement, s’avère ici tout à fait intéressant dans la mesure où il met en œuvre, sur la base du modèle de l’ordre analytique des Encyclopédistes, un contrôle sémiotique de l’expérience humaine face à «l’abus des mots». Nous nous trouvons ainsi, avec l’événement linguistique, dans la description de la dynamique d’un référent producteur de données en langue. Il s’agit d’abord de situer en amont, c’est-à-dire au début du XVIIIe siècle, l’apparition de «La Langue Française» à la mesure de la langue commune au sein du premier dictionnaire monolingue, sous le label de Dictionnaire de l’Académie française. Puis il convient en aval de marquer l’émergence d’un sujet politique de la langue, qui, au cours de la Révolution française, introduit, avec le concept de «langue politique», une conscience de l’adéquation entre la langue et la politique au sein d’un espace délibératif, le réseau des associations politiques avec en son centre la Société des amateurs de la langue française d’une part,  la Convention elle-même d’autre part, donc sous l’égide des figures complémentaires du grammairien-patriote et du législateur-philosophe.

Il n’est pas alors question de s’en tenir à la volonté explicite des contemporains de rationaliser l’usage des mots, au titre d’une recherche de la juste adéquation des mots et des choses. Il importe plutôt de préciser quels sont ce quelque chose, la langue française, et ce quelqu’un, le sujet politique de la langue qui peuvent permettre de produire une adéquation tendancielle des mots et des choses par les normes de langue qu’ils introduisent dans le flux de la communication humaine et sociale.

Dans une perspective d’histoire des événements linguistiques, l’historien soucieux des pratiques langagières et de leur fonctionnement linguistique s’avère en fin de compte plus un historien linguiste qu’un historien du discours. C’est là où la différence entre les générations jouent son rôle. Pour sa part, la jeune génération d’historiens du discours s’efforce plutôt de travailler à part entière en histoire langagière au sein de la communauté des historiens français. Elle s’est alors nettement dissociée des modèles linguistiques structuralistes des années 1970, et ne cherche pas vraiment de nouvel ancrage dans les sciences du langage.

3-4- L’avenir de la lexicométrie.

Finalement, c’est peut-être le renouveau actuel de la démarche de l’historien lexicomètre, centrée sur une nouvelle approche du corpus, qui devrait permettre de renouer le fil entre histoire et linguistique, si spécifique pendant longtemps de la conjoncture française en analyse de discours.

Au-delà de l’apport de la lexicométrie au travail du linguiste sur des matériaux historiques, relatifs en particulier à la Révolution française (Moreau-Steuckardt, 2000), nous retiendrons comme significatif de cette évolution le récent travail de Damon Mayaffre (2000), qui nous entraîne sur les rives du discours politique français de l’entre-deux-guerres.

La première originalité de ce travail réside dans la constitution d’un vaste corpus d’environ 1 500 000 occurrences réparties de manière à peu près équivalentes entre les discours de quatre dirigeants politiques des années 30, Thorez, Blum, Flandin et Tardieu, sur une dizaine d’années, justifiant ainsi une étude à la fois contrastive, synchronique et diachronique. La lexicométrie, avec sa boîte à outils (les listes de fréquences et de répartition des formes par sous-corpus, l’analyse factorielle des correspondances à valeur globalisante, les énoncés répétés, etc.), est mise à contribution tout au long de ce travail. Mais ce qu’il importe avant tout de souligner, c’est qu’il s’agit d’une expérimentation tout à fait novatrice en matière de «très grand corpus»: il est avant tout question ici du corpus discursif lui-même comme objet d’histoire à l’horizon d’un genre discursif spécifique.

Ainsi les critères usuels de constitution de corpus (homogénéité, contrastivité et diachronicité) sont respectés, mais ils n’aboutissent  pas à un échantillonnage habituel. Le choix se veut quasi-exhaustif dans le champ discursif étudié, le discours parlementaire de quatre dirigeants politiques, sur la base d’un travail d’archivage et de numérisation systématique. C’est donc le corpus lui-même, plus exactement sa description à partir de critères quantitatifs qui constitue sa propre norme interprétative.

Qui plus est, l’analyse de discours sur des corpus de faible envergure devait faire appel en permanence à des données contextuelles pour valider l’interprétation historique. Mais ici la taille même du corpus rend possible, dans de nombreux cas, la présence du contexte dans le texte lui-même. Cette question de la réflexivité du corpus, donc de la disponibilité, dans le corpus lui-même, d’une grande partie des ressources nécessaires pour interpréter les discours politiques étudiés marque un bond qualitatif par rapport aux études lexicométriques antérieures. Nous en percevons tout particulièrement l’intérêt de cette démarche au moment de l’interprétation historique des résultats, là où les textes à l’appui du débat sur des questions historiographiques précises sont le plus souvent des textes du corpus qui font en quelque sorte réseaux.

Au système citationnel usuel constitué sur la base d’une lecture ordinaire d’un hors-corpus définissant la situation de communication se substitue donc une mise en configuration construite à l’intérieur même de l’espace du corpus. Le temps du corpus limité, échantillonné, clos est désormais bien révolu chez les historiens du discours. Et dans la même temps, la spécificité de la démarche française en analyse de discours acquise dès son origine, faire appel à des outils linguistiques d’analyse au sens large, demeure.

Conclusion

L’ouverture encore limitée de l’analyse du discours en histoire vers le débat et la confrontation au plan international, en particulier au sein du réseau «History of concepts» qui se réunit annuellement depuis 1998[14], ouvre des perspectives nouvelles, comme nous l’avons vu, mais pose des problèmes de délimitation des champs nationaux d’intervention en matière d’histoire des pratiques langagières. S’il est usuel de qualifier les historiens anglophones concernés d’historien du discours, et de regrouper les chercheurs allemands sous  la qualification d’histoire sémantique, il revient en fin de compte aux historiens français du discours d’être des historiens linguistes, au titre de leur intérêt marqué pour le fonctionnement des formes linguistiques dans le cadre de ce que nous pouvons appeler l’histoire linguistique des usages conceptuels. Il s’agit ainsi d’introduire, dans la désignation commune d’histoire des concepts, deux notions centrales dans les travaux français: l’une, l’usage, associée à une longue tradition d’analyse lexicologique de l’usage des mots en discours (Eluerd, 2000), l’autre, la linguistique, issue d’un champ de la linguistique en France où chaque évolution majeure nécessite un repositionnement par rapport à la référence stable au métier d’historien. La récente publication collective du laboratoire de lexicologie politique de Saint-Cloud, sous la responsabilité de Pierre Fiala (1999), amorce une telle évolution. En son sein, nous notons en particulier la présence de l’historienne de la Révolution française, Raymonde Monnier, l’une des responsables par ailleurs du réseau européen «History of concepts» dont les récents travaux (1999a et b) marquent une évolution sensible vers l’analyse de discours.

De notre approche, par étapes chronologiques, du lien entre l’histoire et la linguistique, il ne faudrait pas cependant en retenir l’image d’une discipline interprétative sans aucune prise sur les problèmes du temps présent. Au contraire, à l’instar de Michel Foucault, nous pensons que le moment de l’analyse de discours est toujours un moment actuel (Guilhaumou, 1998b). Il s’agit donc là aussi d’une interrogation à part entière sur l’actuel  dont il resterait à préciser les différents aspects (Le Trocquer, Wahnich, 1995).

Enfin trente années de recherche personnelles en histoire du discours, mais d’abord avec le soutien de l’historienne Régine Robin, puis en parallèle avec de jeunes chercheurs, ne nous ont pas convaincu de la nécessité de légitimer ce domaine de recherche, toujours émergent, par un discours de type rationaliste sur la manière dont les données y sont collectés, à partir des ressources représentationnelles et matérielles, et consécutivement sur la façon d’évaluer les résultats d’une méthode qui serait appliquée à ses résultats.

En effet, l’analyse de discours du côté de l’histoire, si elle s’avère, d’une étude expérimentale à l’autre, d’un chantier discursif à l’autre, une bonne logique de découverte pour des phénomènes langagiers propres, rien ne prouve qu’elle a vocation à être reproductible, donc à incarner une méthode générale applicable à d’autres contextes. Méthode interprétative par excellence, elle ne produit pas vraiment une accumulation de résultats, mais plutôt une chaîne discursive qui laisse visible les procédures de découverte de chacun des chaînons. Elle est donc illimitée, sur la base de la relation empirique du discours à la réalité,  tant dans ses procédures que dans ses horizons et ses résultats,  a contrario des limites inhérentes à toute démarche rationaliste. Elle est donc toujours à refaire dans sa démarche méthodologique même.

À vrai dire, l’histoire linguistique n’existe finalement que dans l’entrecroisement, sans cesse remis en jeu, des points de vue des acteurs, des auteurs, des spectateurs, voire des lecteurs et du point de vue des chercheurs eux-mêmes. C’est donc une démarche foncièrement herméneutique dans la manière dont elle appréhende le discours à la fois comme une activité pratique  et activité de connaissance, donc non seulement comme un monde de représentations mais, aussi et surtout, comme un monde de vérités publiques et processuelles. Mais elle relève aussi de la connexion empirique entre la réalité et le discours (Guilhaumou, 2001c) qui interdit toute confusion entre la réalité sociale et les faits discursifs.

Toute la capacité à la découverte de l’historien linguiste procède donc d’une comparaison entre des points de vues individuels, des croyance intersubjectives et des savoirs scientifiques, y compris les plus contradictoires dans la mesure où la démarche discursive ne retient ici que des critères de compréhension, de consistance, de progressivité et d’ouverture et non des propositions généralisables et/ou généralisantes. L’historien linguiste ne prend connaissance des faits discursifs qu’au sein de processus foncièrement intersubjectifs, tout en étant indissociable de la réalité: ces processus sont un bloc de réalités parmi d’autres pris dans leurs interconnexions.

L’analyse de discours en histoire n’est donc délimitée et produite – le temps de la description de l’événement configuré par des énoncés attestés – qu’au sein d’une opération intellectuelle certes fort abstraite, du fait de la reconnaissance de la seule réflexivité du discours des membres d’une société donnée, mais purement locale  dans sa liaison avec le réseau interconnecté des croyances des individus et des savoirs des chercheurs. Elle n’est donc jamais associable à des règles rationnelles, généralisables au titre de l’existence, fort contestable à vrai dire, d’une faculté universelle propre à opérer la reconnaissance des données collectées.

À suivre Jürgen Habermas dans ses réflexions les plus récentes (1999) sur les relations entre la vérité et l’objectivité, la réalité et la référence, nous pouvons alors caractériser «la vérité» de l’analyse de discours selon les trois modalités successivement apparues, et maintenant concomitantes, du «tournant linguistique». Dans un premier temps, l’approche analytique dominait: il s’agissait alors d’étudier les structures des faits de discours associées aux structures sociales en tant que représentations langagières, effets discursifs. Puis s’est s’imposée l’approche pragmatique qui valorise le discours en action sur la base d’actes spécifiques de langage. Enfin c’est l’approche herméneutique qui occupe finalement le devant de la scène discursive en focalisant l’intérêt de l’analyste du discours sur les structures du monde vécu telles qu’elle sont interprétées par les agents ordinaires de ce monde intersubjectif.

La question qui se pose actuellement à l’historien du discours n’est pas de trouver la rationalité de cet ensemble, mais d’y introduire une certaine dose de réalisme, sur la base des réflexions récentes de Searle sur la construction de la réalité sociale (1995) et d’ontologie selon les réflexions stimulantes d’Eco (1997). Il importe tout d’abord de maintenir la distinction entre la réalité et le discours contre toute dérive narrativiste post-moderne. Puis il faut considérer les référents du discours dans leur réalité, c’est-à-dire appréhender le discours d’abord sémiotiquement à travers les objets qui le rendent possible, donc le régule selon des institutions normées au sein de l’espace/temps de l’intercommunication humaine, avant d’en situer leurs corrélats pragmatiques dans des formes de vie locale, formes discursives qui sont associées  à des valeurs, des intérêts, des modes d’actions sans être rationnellement généralisables.

Annexe : un trajet revue en 2016

La connaissance pratique des langages de la Révolution française : un parcours d’historicité

Reprenons le trajet de recherche décrit selon un ensemble de critères à visée synthétique. Nous avons vu que les travaux sur les discours de la Révolution française prennent consistance au début des années 1970 à la fois dans un nouveau domaine de recherche, l’histoire et la linguistique, et dans un nouvel espace de travail, le laboratoire de lexicologie politique de l’ENS-Saint-Cloud et son équipe sur la Révolution française (Monnier, Dougnac, Geffroy, Guilhaumou). Durant plus de quarante années, ces travaux se sont développés dans plusieurs directions. Au prisme de la question de la discontinuité ou non des langages révolutionnaires, les deux étapes fondatrices mises en évidence peuvent être qualifiées de manière unitaire sur la base des critères suivants : le paradigme interprétatif dominant, les méthodes linguistiques utilisées, les champs historiques couverts, le domaine d’historicité concerné dans le lien ou non à l’historiographie de la Révolution française, la fonctionnalité principale.

Au cours des années 1970,  domine un paradigme externaliste, celui de l’idéologie. Il s’inscrit en effet dans le cadre de l’étude des conditions de production du discours révolutionnaire, donc en terme d’extériorité, ne serait-ce que par le fait d’un lien étroit avec la problématisation marxiste du jacobinisme historique, de Marx à Gramsci. Le champ historique étudié concerne le déploiement du discours jacobin, tout particulièrement en 1793-1794. La méthode mise en œuvre, s’appuie sur l’analyse de corpus en partie informatisés, donc susceptibles d’analyses lexicométriques à base lexicale ; elle prend ensuite en compte les critères linguistiques de la pragmatique textuelle, surtout l’énonciation, dans le cadre de l’étude du champ sémantique de tel ou tel notion (par exemple vertu chez Robespierre). Certes il se met ainsi en place une nouvelle forme de connaissance pratique de la Révolution française dans le cadre du «tournant linguistique» alors très présent dans la recherche en sciences humaines et sociales, mais elle reste très proche des attendus de l’historiographie, à l’exemple de la recherche sur le mot «sans-culotte» chez Robespierre et dans le Père Duchesne d’Hébert. Par ailleurs, la présence de Foucault, en référence à L’archéologie du savoir, demeure quelque peu limitée  à la référence au champ de l’analyse du discours, dont il est l’un des fondateurs. À vrai dire, au-delà de l’intérêt d’étudier la dimension lexico-sémantique de l’idéologie jacobine, qui demeure jusqu’à nos jours un champ fructueux de recherche (voir les travaux de l’équipe italienne autour de Cesare Vetter et Marco Marin), la principale originalité de cette période est sa fonctionnalité propre. Par fonctionnalité discursive, il faut entendre ce que Foucault circonscrit à partir de l’usage du verbe à l’infinitif, ainsi de la série verbale suivante dans La société punitive : exclure, organiser, marquer, enfermer. Du côté de la Révolution française, les débats au sein de la nouvelle génération d’historiens progressistes, menées à l’initiative de chercheurs d’une part réunis autour d’Albert Soboul, Françoise Brunel, Florence Gauthier et d’autres,  d’autre part  proches de l’équipe des lexicologues de Saint-Cloud, ont permis de mettre l’accent sur des fonctionnalités liées à des objets précis : au niveau ontologique déclarer (le droit naturel), au niveau cognitif organiser (le mouvement révolutionnaire), au niveau généalogique instituer (les valeurs et les institutions révolutionnaires).

La seconde période s’étend tout au long des années 1980 avec le bicentenaire de la Révolution française en perspective. Il s’agit alors d’amplifier l’autonomie de l’analyse des langages de la Révolution française par rapport au champ historiographique, en pleine affrontement à l’initiative de François Furet. Pour ce faire, la notion de représentation, au centre des liaisons établies entre représentations discursives et représentations idéologiques, formations discursives et formation idéologiques en terme de dispositif discursif, est progressivement évincée par la notion d’expression. Un paradigme de la traductibilité des langages se met place par l’ouverture à de nouvelles perspectives méthodologiques, plus langagières que linguistiques. Ainsi en est-il de l’apport de la sociologie réflexive au titre d’une attention à la réflexivité des descriptions sociales qui permet d’aborder au plus près le dire et l’agir réflexif des acteurs révolutionnaires, en particulier dans l’espace des porte-parole. Cependant les opérateurs linguistiques se précisent, se diversifient tant du côté de l’analyse lexicale que de l’apport de l’analyse grammaticale (voire les travaux sur l’usage de la négation et de la coordination dans des événements discursifs et là où l’on trouve des expressions à valeur de mots d’ordre). Ainsi l’analyse lexico-sémantique se systématise avec la mise en place du Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815) qui est édité par volumes successifs autour de catégories expressives définies: les désignants soci-politiques, les notions-concepts, et les notions spécifiques de la conscience linguistique. Une telle diversification des procédures d’analyse tend à favoriser la dissémination des procédures d’expérimentation des langages de la Révolution française, et surtout leur internalisation, ce qui induit une distance toujours plus grande avec les catégories présentistes de l’historiographie. La cohabitation du corpus avec l’archive, la dissémination des acteurs étudiés, la diversification des procédures discursives prises en compte, tout cela concourt à traduire l’historicité de la Révolution française dans des espaces réciproques et discontinus. On passe alors de l’analyse des conditions de production du discours révolutionnaire à celle de ses conditions de possibilité, ce qui tend à internaliser l’approche du processus révolutionnaire, donc à la situer dans une discontinuité temporelle. Les fonctionnalités elles-mêmes se diversifient: traduire certes, mais aussi disséminer, diversifier, multiplier (les procédures), et bien sur exprimer. Les objets de ses fonctionnalités, déjà énumérés,  reste cependant relativement stables, dans la mesure où ils constituent une ligne de défense contre le révisionnisme.

De ces deux moments fondateurs de l’analyse des langages de la Révolution française, de leur oscillation entre continuité/discontinuité, interne/externe, que reste-il au tournant du XXe et XXIe siècle? Nous constatons d’abord une relative stabilité des méthodes et des démarches. D’une part, le Dictionnaire des usages socio-politiques continuent à paraître, volume après volume, au cours des années 2000. D’autre part, l’approche conceptuelle se renforce avec le lien établi avec l’histoire des concepts (Skinner, Koselleck). Le champ de l’analyse de la communication au sein de l’espace public et de la reconnaissance sociale vient s’y adjoindre aussi avec l’impact de l’école de Francfort, essentiellement Habermas et Honneth. Il est ainsi question des processus langagiers de formation de l’opinion révolutionnaire et de la volonté politique elles-mêmes. Les historiens anglophones, et je pense bien sûr à Keiht Baker, contribue également à mettre en place une approche linguistique de la culture révolutionnaire sur la base de ses conditions de possibilités comme nous l’avions précisé dans notre compte-rendu de son livre de 1993, Au tribunal de l’opinion publique dans la revue Mots.

Cependant, un paradigme plus unitaire, encore plus opérationnel se précise, le paradigme de la croyance  au sens où il s’agit de mettre plutôt l’accent sur les conditions d’existence des discours révolutionnaires, c’est-à-dire les manières d’être et de participer à l’action de ces façons de parler en révolution. Un nouveau souci de mettre en valeur le moi en Révolution, son identité propre, porte à analyser autant vers les acteurs «du bas», que ceux «du haut», du sans-culotte au député, d’Isoard à Sieyès. De même, les opérateurs cognitifs d’analyse des processus langagiers se diversifient, en terme d’ontologie sociale, donc tant du côté d’une métaphysique de l’ordre social que d’une réontologisation des pratiques discursives, sous l’égide de la volonté politique.  Une volonté politique saisie tout autant dans sa formation, sa dispersion que dans son expression ultime. Ici trouve aussi sa place une analyse des émotions sociales en révolution.

Les langages de la Révolution française sont alors perçus comme des manières d’être, de dire et de faire perceptibles dans ce qui dit l’acteur révolutionnaire en agissant. L’acteur est ainsi saisi dans une posture intentionnelle relevant de procédures discursives de redescription, de réontologisation permettant de lever toutes sortes d’obstacles cognitifs au sein même du processus révolutionnaire, par le fait d’une continuité/discontinuité des relations éthiques et intersubjectives. C’est ainsi que l’analyse des pratiques discursives permet de cerner des sujets et des objets dans la compréhension même de leur existence comme croyance. L’historicité comme discontinuité relève de la singularisation de moments discursifs où le moment jacobin de 1793-1794  n’a plus l’exclusive de la radicalité politique. Ce moment est précédé par deux périodes tout aussi radicales : le moment de la radicalité de 1789 autour de l’invention d’une raison constituant et délibérante sous l’égide de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et surtout le moment républicain des années 1790-1792 sous l’égide de la réciprocité humaine et de la souveraineté des droits. Nulle continuité, au sens historiciste, entre ces moments dans la mesure où l’histoire au présent de la Révolution française trouve dans chacun de ces moments des potentialités et des modes d’existence de la Révolution. Ainsi en est-il tout particulièrement des avancées récentes sur les cultures des républicanismes en révolution, sur la base toujours active du lien entre républicanisme et droit naturel. C’est bien le projet actuel du  séminaire sur L’Esprit des Lumières et des Révolutions animé par Marc Belissa, Yannick Bosc, Marc Deleplace et Florence Gauthier. Projet qui prend appui sur la perspective de la construction/déconstruction, de la continuité/discontinuité des acteurs et des notions de la Révolution française.

Notes

[1] J’ai limité les références bibliographiques au champ des relations entre histoire et linguistique. On trouvera une vaste bibliographie, donc touchant au-delà du lien à l’histoire, à l’ensemble du champ de l’anayse de discours dans le Dictionnaire de l’analyse de discours, Maingueneau /Chareaudeau (2001).

[2] Pour un bilan des vingt premières années de l’analyse de discours du côté de l’histoire, voir Goldman, Guilhaumou, Robin, 1989 et Guilhaumou, Maldidier, Robin, 1994.

[3] Publié dans les Cahiers de lexicologie, 1969 I-II.

[4] Nous n’avons pas la place de développer  cette  relation fondamentale au marxisme, dont nous résumons les étapes, au sein de notre propre itinéraire de recherche,  dans Guilhaumou, 1996.

[5] Marianne Ebel et Pierre Fiala (1983) s’inscrivent dans la même perspective lorsqu’ils montrent  en quoi le discours xénophobe suisse relève de tensions et de conflits au sein même d’un discours apparent de consensus politique et de stabilité sociale.

[6] Guido Bortollo, Faschismus und Nation, Hanseatische Verlag-Anstalt, 1932.

[7] Volkischer Beobachter, 6 juin 1936.

[8] «Faire passer le goût du pain à quelqu’un: le faire mourir; le tuer, l’assassiner» d’après D’Hautel, Dictionnaire du Bas-langage. Ou des manières de parler usitées parmi le peuple, Paris, Collin, 1808.

[9] Lexicometrica, la plus récente, est disponible sur le site http://www.univ-paris3.fr/lexicometrica/. Mots a évolué, au début des années 1990, vers une revue sur l’argumentation politique, part importante de l’analyse de discours en France du côté des linguistes.

[10] Voir la présentation de ce trajet méthodologique dans Guilhaumou (2000).

[11] Voir la bibliographie dans notre article (2000).

[12]  Comme le note Eluerd (2000, 107), l’expérience des historiens du discours est précieuse au lexicologue  dans la mesure où l’historien ne dissocie pas contexte et ressources de la description discursive, mais le lexicologue conserve une certaine  méfiance vis-à-vis du trajet de la réflexivité généralisée  à la synthèse préconisé par  l’historien. Pour une approche du mot en analyse de discours dans les sciences sociales, voir aussi Branca (1998).

[13] Deux revues jouent ici un rôle essentiel, Langage & Société et Raisons pratiques (revue annuelle), dans l’extension des préoccupations   de l’analyse de discours aux raisons sociales et pratiques.

[14] Ce réseau publie annuellement une Newsletter dont la responsable est Karin Tilmans, de l’Université d’Amsterdam.

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