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Je donne ci-dessous les premiers paragraphes d’un mémoire rédigé par Victoria Murano au Collège Bryn Mawr, une université réservée aux femmes, fondée en 1885 et située à Bryn Mawr, en Pennsylvanie, à une dizaine de kilomètres de Philadelphie.

Pour lire et·ou télécharger l’intégralité du texte, c’est ICI.

« Tous les crimes avant & depuis la Révolution, sont ceux de Marie-Antoinette. » (Révolutions de Paris, 1793)

Pendant la Révolution Française, les révolutionnaires s’étaient donnés pour but de tuer un monstre. Ce monstre ressemblait à une «harpie femelle», à une «panthère autrichienne» et à un vampire assoiffé du sang des Français qu’il abusait et haïssait. Il n’était pas seulement malfaisant, mais il montrait un manque absolu de décence et de moralité: il était débauché même au point de commettre les crimes de l’adultère et de l’inceste. Il gâchait les fonds de la France et il n’en montrait jamais de remords. Il savourait les souffrances des Français et garantissait la ruine de la république qu’ils s’efforçaient de bâtir. Mais surtout, ce monstre était méprisable à cause de son statut privilégié dans l’Ancien Régime: c’était la reine de France, représentant le système injuste où les riches profitaient de leur richesse pendant que le reste du peuple mourait de faim. Marie-Antoinette était ce monstre, ou du moins elle était représentée ainsi dans des pamphlets contemporains. Bien qu’elle ne fût pas un monstre au sens physique, c’étaient ces accusations, et la mythification de sa personne, qui ont amené sa diffamation et, finalement, son exécution en octobre 1793.

Neuf mois après l’exécution de son mari Louis XVI, celle de Marie-Antoinette était la culmination d’une longue histoire d’accusations pamphlétaires de sa corruption et de sa criminalité. Louis XVI était aussi souvent représenté comme un « monstre » – suite à son infâme fuite à Varennes en 1791, le républicain radical Jean-Paul Marat a écrit ces lignes dans son journal L’ami du peuple: «La soif du pouvoir absolu qui dévore son âme le rendra bientôt assassin féroce, bientôt il nagera dans le sang de ses concitoyens qui refuseront de soumettre à son joug tyrannique.» Mais Louis XVI était méprisé – et enfin jugé – pour ses crimes politiques: parce qu’il était roi, il était déjà un monstre. Marie-Antoinette, dont la seule occupation était d’être la femme du roi et la mère de leurs enfants, était donc attaquée pour des raisons différentes de son mari. Alors qu’on condamnait Louis pour sa politique, on condamnait donc Marie-Antoinette généralement pour son immoralité et sa sexualité, devenues ce que Lynn Hunt appelle des «réfractions de la littérature pornographique.» De plus, la reine était depuis longtemps la cible d’un grand nombre de libelles fondés sur les angoisses contemporaines à propos de son influence sur la politique française. Ces libelles, souvent pornographiques, avaient comme but de discréditer la reine en se moquant d’elle. Ils ont fluctué au fil du temps dans l’Ancien Régime, mais avec le début de la Révolution Française en 1789 est venue une pluie de pamphlets qui l’ont attaquée violemment et sans interruption. Ces pamphlets sont généralement définis par un accès intime à son corps, exposé aux yeux du public. C’est un phénomène que Chantal Thomas appelle une «prostitution généralisée» de son corps, rendu répugnant à cause de ses origines royales.

Les attaques pamphlétaires contre la reine ont couvert un spectre d’accusations allant des accusations les plus crédibles, comme des liaisons extraconjugales, aux accusations les plus scandaleuses, comme l’inceste avec ses propres enfants. Malgré cette variation dans les accusations, il était nécessaire qu’elles fussent fondées sur quelque part de vérité. C’est ce que Chantal Thomas, en citant Roland Barthes, appelle la création d’un mythe, défini comme ce qui «abolit la complexité des actes humains.» Les mythes sont donc simplifiés pour qu’on puisse mieux s’en souvenir: Jacques Revel appelle le même phénomène une «caricature», où les personnages comme Marie-Antoinette et Louis XVI sont réduits à des traits simples pour que l’identification soit facile. En fait, Revel avance l’argument que c’est cette qualité de la caricature qui a créé un genre littéraire dans lequel les écrits ont emprunté des thèmes les uns aux autres jusqu’à ce qu’ils fassent un lexique des références communément acceptées.» C’est donc cette répétition qui a aidé à consolider ce mythe. La reine, par exemple, était identifiable par son hypersexualité et par sa méchanceté; et le roi, par son alcoolisme et par son imbécilité. Ils se sont ainsi transformés en ces qualités aux yeux des lecteurs, des idées évidemment très simplifiées par rapport aux individus complexes qu’ils étaient.