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Soucieux de me documenter de manière exhaustive sur la franc-maçonnerie féminine, j’ai récemment fait l’acquisition d’un livre d’un M. Jacques Rolland précisément intitulé La Franc-maçonnerie féminine dans la Révolution française (Éditions Trajectoire, Escalquens, 2013, 171 p., 18 €).

L’ouvrage recoupe d’autant mieux le sujet de mon prochain ouvrage (sur les clubs de femmes pendant la Révolution) qu’il consacre plusieurs paragraphes à Claire Lacombe, militante de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, et – si j’ose dire – vieille connaissance.

Hélas ! le livre en question appartient à une catégorie que suscitent à profusion les sujets plus ou moins ésotériques: ni construits ni écrits, et surtout dépourvus de références. Au sens strict, on ignore de quoi parle l’auteur et sur quoi il se fonde pour le faire…

Peut-être eût-il été plus charitable de laisser l’opuscule à sa probable obscurité… mais puisque je l’ai moi-même rencontré, la mésaventure peut arriver à d’autres, qui risqueraient de prendre au sérieux certaines des «informations» fournies par «l’un des meilleurs spécialistes français de l’Ordre du Temple et de la Franc-maçonnerie» (indication fournie par la quatrième de couverture).

Je reproduis ci-dessous les passages concernant Claire Lacombe, qui figurent aux pages 50-51 et 151.

Originaire du Sud-Ouest du royaume – en fait, Pamiers -, comme Olympe de Gouges, elle monta à Paris, mais seulement en 1792, après un certain succès en tant qu’actrice. Beaucoup d’événements s’étaient ainsi passés sans elle, mais elle allait se rattraper et se faire rattraper par eux.
Immédiatement, elle participa à l’assaut des Tuileries et c’est sans surprise que nous la découvrons faisant partie du Club des Enragés. Le nom seul vaut référence et se passe de commentaire. D’autant qu’étant très belle femme, elle ne laissait aucun révolutionnaire indifférent. Si bien qu’elle figura maintes fois, comme déesse de la liberté, lors des fêtes publiques.
Elle était la voisine de Théroigne de Méricourt dans ce cas. Elle milita contre le chômage, qualité endémique du pays, mais n’avait pas de méthode à proposer. Elle rejoignit alors Pauline Léon pour créer la Société des Républicaines révolutionnaires, au programme particulièrement sanglant, en janvier 1793.
Lorsqu’éclata la guerre de Vendée, elle demanda le droit de porter les armes contre les Vendéennes dans le cadre des «Républicaines révolutionnaires», mais sa véhémence, son goût prononcé du sang des autres la fit surtout suspecter et mettre à l’écart. Au point qu’elle fut écartée de tout cercle ou club, car un jour elle s’emporta pour demander que tous les nobles de l’armée soient guillotinés.

Elle sera bientôt arrêtée, puis relâchée, mais, à la suite de la chute des Enragés et des hébertistes elle dut se cacher et fut de nouveau arrêtée. Dans la tourmente de cette abominable fin de révolution, on perd sa trace.
Ayant été prise à partie par des harengères des halles, il est fort possible qu’elle ait succombé sous leurs coups, sans que ses derniers amis, lassés de cette violence, lui eussent porté secours.
La misogynie ambiante était plus forte que jamais à partir de 1793. Les excès de certaines femmes, notamment Théroigne de Méricourt, déjà citée dans cet ouvrage, joints à ceux de Claire Lacombe, permirent enfin aux révolutionnaires d’interdire définitivement tous les rassemblements féminins.[…]


Claire Lacombe serait plus du genre de Théroigne de Méricourt car elle a participé à l’assaut des Tuileries en août 1792, un jour avant le transfert de la famille royale à la prison du Temple. De plus, elle aurait fait partie du Club des Enragés.
Il semble avéré qu’elle ait agi de bonne foi et en toute sincérité, et notamment pour avoir créé, avec Pauline Léon, les «Républicaines révolutionnaires». Le nom se passe effectivement de commentaire.
Plus grave sera sa participation aux guerres de Vendée, après avoir réclamé pour les femmes le droit de porter les armes. Mais son intransigeance, sa violence la fait écarter des alliés du pouvoir pourtant bien déterminés à extirper la gent royaliste.
Elle est arrêtée, ce qui était inévitable, et aurait pu être libérée, mais on perd sa trace.

La mention de Claire Lacombe parmi des «“sœurs”», même des «“sœurs” sans tablier» – catégorie mal définie par l’auteur, mais qui suppose au moins un  lien avec la franc-maçonnerie – a le mérite de l’originalité. Je ne l’ai jamais rencontrée jusqu’ici chez aucun(e) auteur(e).

Elle ne repose d’ailleurs sur rien dans les archives concernant Claire. En l’état des connaissances, il s’agit d’une affabulation.

Il me semble difficile d’admettre que le nom «Club des Enragés […] vaut référence et se passe de commentaire».

En effet, il  se passe certes de référence (et pour cause!), mais aussi d’existence : un tel club, portant ce nom (ou un autre), n’a jamais existé!

Nous ne savons pas si Claire Lacombe a vraiment joué le rôle d’une déesse la Liberté. Mais cela s’est écrit, surtout longtemps après la Révolution.

Dire que le programme des Républicaines révolutionnaires est «particulièrement sanglant» n’a aucun sens. Si l’on prend la peine de le lire, il est plutôt en retrait, sur la question de l’armement des femmes – qui n’a rien de «sanglant» en soi –, par rapport à la pétition antérieure de Pauline Léon. Il date de juillet 1793 et non de janvier (la première démarche des citoyennes remonte à fin février).

Répétons ici que Claire n’est pas cosignataire du Règlement de la Société.

Claire Lacombe n’a pas succombé aux coups des marchandes de la Halle envoyées provoquer les citoyennes républicaines dans leur local. On retrouve sa trace à Nantes, après la Révolution, où elle a repris son métier de comédienne et conservé son caractère entier.

La phrase suivante «Les excès de certaines femmes, notamment Théroigne de Méricourt, […] joints à ceux de Claire Lacombe, permirent enfin aux révolutionnaires d’interdire définitivement tous les rassemblements féminins» reflète l’opinion de M. Rolland. Je lui en laisse la responsabilité.

Quant à la participation de Claire aux «guerres de Vendée», elle est imaginaire.