Je n’ai pas lu le livre original de Gérard Noiriel et il est possible que l’indispensable scénarisation en vue de cette version en images ait suscité quelques distorsions. L’auteur demeure responsable d’un ouvrage qu’il cosigne.
Il est loisible à l’historien de considérer que l’objectif de la pétition de Pauline Léon a été «d’organiser une garde nationale féminine», mais cette expression – d’un sens précis – n’y figure nullement.
La Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, que Pauline va cofonder l’année suivante utilisera, en 1793, en réitérant la revendication de l’armement des femmes, l’expression «compagniesd’amazones».
Pauline Léon demande, au nom des trois cent et quelques signataires de sa pétition, le droit de s’exercer au maniement des armes (y compris à feu) avec l’aide technique de militaires. Elle ne propose pas (encore) une forme d’organisation des femmes en armes. Les Républicaines révolutionnaires le feront plus tard. Elle ne réclame pas non plus, ce que d’autres femmes font et feront, d’être intégrées à la Garde nationale.
Des militants du syndicat Force ouvrière ont profité du 14 juillet pour débaptiser le passage de la Légion d’honneur à Rennes et créer la rue Pauline Léon.
La résolution de la photo dont je dispose pour l’instant ne permet pas de lire le texte explicatif. J’ignore donc pourquoi ces militants s’intéressent à la militante Enragée.
PS. Si quelqu’un a des documents complémentaires (communiqué, tract, photos)…
Je trouve dans un numéro du Journal des hommes libres de tous les pays un compte rendu – qui m’était inconnu – d’une cérémonie qui se serait tenue le dimanche 4 août 1793, à la «Société fraternelle des deux sexes».
Cet intitulé peut désigner aussi bien la Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe que la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, l’une et l’autre étant régulièrement confondues par les libellistes. C’est le rôle joué par Pauline Léon qui m’intéresse, laquelle se trouve précisément être membre des deux sociétés, et cofondatrice de la seconde.
Le Vachard mentionné est probablement Jacques Louis Vachard, colporteur, membre du Conseil général de la Commune (qu’il doit représenter), élu administrateur du département en janvier 1793. Mittié fils est probablement le représentant des Cordeliers, dont il fait partie et où Marat l’a désigné parmi les «bons patriotes» en juin 1791 (De Cock, Le Club des Cordeliers, n° 401, p. 827. À noter que Mittié père est également un sans-culotte en vue, et que c’est peut-être lui que visait Marat). Pauline Léon a pu être gênée par la nécessaire coexistence pacifique avec Legendre, que l’Enragé ThéophileLeclerc (qu’elle a rencontré, dont elle est peut-être déjà l’amante, et dont elle sera l’épouse) a attaqué aux Jacobins quelques mois plus tôt.
Le libelliste donne à Pauline un rôle au moins égal à celui de Legendre dans la cérémonie – il est vrai qu’elle est certainement porte-parole de la société invitante – et la flatte outrageusement, dans des termes que je qualifierai de proféministes essentialistes: «Tous ces discours seront imprimés, et l’on trouvera dans celui de la citoyenne Léon cette finesse d’observations qui n’appartient qu’aux femmes, et ces nuances philosophiques et délicates, que peu d’hommes partagent avec elles.»
Je ne connais pas la brochure ainsi annoncée; j’ignore si elle a effectivement été imprimée, mais ce sera peut-être l’objet d’une découverte ultérieure…
Journal des hommes libres de tous les pays, ou le Républicain, n° 279, 7 août 1793, p. 1190.
« Dimanche s’est faite l’inauguration des bustes de Michel Lepelletier et de Jean-Paul Marat, à la société fraternelle des deux sexes, réunis aux ci-devant Jacobins Saint-Honoré.
Cette cérémonie a été accompagnée du recueillement qu’elle inspiroit. Des députations de la convention nationale, de toutes les autorités constituées et sociétés populaires de Paris y ont assisté, Vachard : la citoyenne Léon, Mittié fils, Legendre et quelques autres orateurs ont jetté quelques fleurs sur la tombe de ces deux martyrs de la liberté et de leurs opinions républicaines.
Ces discours ont été entremêlés de chants funèbres, du ton le plus touchant, le plus attendrissant, exécutés par les aveugles, dont les talens en ce genre étonnent toujours sans jamais fatiguer. Nous ignorons le nom du compositeur de la musique, mais nous pouvons assurer qu’elle fait honneur à sa sensibilité.
Plusieurs traits de la vie de Marat, inconnus même au plus grand nombre des citoyens de Paris, ont été publiés par Legendre, et n’ont servi qu’à faire regretter davantage la perte de cet infatigable ami des malheureux.
Marat n’est plus, s’est écrié Legendre : il ne sera jamais remplacé ; consolidons la république, a dit la citoyenne Léon, fondons, assurons pour toujours le bonheur de nos concitoyens ; c’est la seule manière de le venger digne de lui.
Tous ces discours seront imprimés, et l’on trouvera dans celui de la citoyenne Léon cette finesse d’observations qui n’appartient qu’aux femmes, et ces nuances philosophiques et délicates, que peu d’hommes partagent avec elles. »
Après avoir tenu le rôle que l’on sait (mais que l’on a du mal à distinguer à l’écran) dans le film Un peuple et son Roi (voir en bas de page une photo tirée du film) voilà que Pauline incarne les femmes révolutionnaires dans une série destinée aux enfants, baptiséeLes Odyssées, sur France Inter.
Destinée aux enfants, comme je l’ai dit, la courte émission (14 mn) est un peu infantilisante: exclamations et questionnements surjoués. On y entend à propos de la terreur (innommée, sauf inattention de ma part) cette perle: «Pendant les révolutions, les gens deviennent complètement paranos». Il aurait été plus exact et plus pertinent d’expliquer la guerre aux frontières et la guerre de classes!
On «découvrira» avec étonnement que Pauline aurait participé à la marche des femmes sur Versailles des 5 et 6 octobre 1789.
En réalité, si elle fait allusion à l’événement dans le «Précis de sa conduite révolutionnaire», c’est uniquement pour dire qu’il l’a confirmée dans la conviction que Lafayette était suspect. Mais de quoi?… Il est peu probable qu’elle le soupçonne d’avoir comploté pour ramener le roi à Paris (c’était pourtant bien en effet son désir) et c’est sans doute son attitude temporisatrice qu’elle critique. Mais il est difficile d’aller plus loin dans la compréhension de cette brève mention: «Mes soupçons se vérifièrent au 5 octobre 1789».
Une chose est sûre: si Pauline avait participé à la marche sur Versailles, elle l’aurait précisé, dans un texte où elle vient de se vanter d’avoir été très active le jour de la prise de la Bastille. Même si l’on retenait l’hypothèse (paradoxale, mais non pas délirante) qu’elle marque par là une réticence envers tel ou tel aspect de l’événement, elle aurait logiquement mentionné sa participation et mis son rôle en valeur, ne serait-ce que pour éviter qu’une dénonciation le révèle avant elle.
Comme la page de l’émission inclut la bande-annonce du film Un peuple et son roi et que Pierre Schoeller y fait marcher Pauline de Paris à Versailles, il est probable que la légende vient de là (au moins dans son histoire récente). Et comme les concepteurs de l’émission ont négligé d’indiquer sur la page Internet les sources qu’ils ont utilisées – comme toute indication bibliographique – ce qui est un comble dans une démarche qui se veut pédagogique! nous n’en saurons pas davantage.
Sans synergie avec une documentation scientifique (je dis scientifique et non faisant de la vulgarisation à partir d’une version romancée de l’histoire), je vois mal l’intérêt de ce genre de «mise en scène». Peut-être Pauline Léon aura-t-elle bientôt quelques rues à son nom; peut-être le donnera-t-on – comme celui de sa camarade Claire Lacombe – à quelques écoles… Je doute que l’histoire des femmes et la reconnaissance de leur rôle dans la Révolution progresse pour autant.
En voici une llustration – c’est le cas de le dire!
Pauline Léon, jouée par Julia Artamonov était bien à Versailles… puisqu’elle figure, photographiée à l’Assemblée, dans un document pédagogique élaboré à partir du film de Pierre Schoeller.
Jean-Luc Mélenchon[1]s’est pris d’une affection rétrospective pour Pauline Léon, la chocolatière enragée, qu’il considère comme « la figure la plus important de l’insurrection populaire féminine ».
La formule est sympathique mais n’a pas grand sens… Biographe de Pauline Léon, je me garderai de l’endosser, d’autant qu’elle repousse dans l’ombre d’autres militantes Républicaines révolutionnaires encore moins connues, que Dominique Godineau a recensées dans son magistral Citoyennes tricoteuses.
Je ne suis pas d’un caractère jaloux et tant pis si M. Mélenchon tient à évoquer régulièrement Pauline Léon pour afficher son « féminisme » historique ! Mais de grâce ! qu’il se contente d’une sobre évocation, au lieu d’ajouter une nouvelle ânerie à chaque intervention… C’est que j’en suis, on le comprendra aisément, lecteur et rectificateur captif.
Naguère, M. Mélenchon inventait à Pauline une fin bourgeoise etun mariage avec un négociant de Bordeaux(quant en réalité elle a épousé un autre militant Enragé : Théophile Leclerc). Cette fois, la bourde est de plus vaste envergure et concerne les Enragés en général. J’y soupçonne l’influence désastreuse du « vulgarisme » de Mathilde Larrère,déjà épinglée ici.
Représentation actuelle et imaginaire de Pauline Léon & Claire Lacombe devant la boutique de la famille Léon.
Dans la vidéo ci-dessous (voir à 14mn 51s), tournée et diffusée par les Amis d’Hérodote, Mélenchon revient une fois de plus sur Pauline Léon qui « porte la pancarte “Enragée”». Or qui sont donc les Enragés ?
Ils sont plutôt rattachés aux Cordeliers qu’aux Jacobins et à la fraction dite des Enragés c’est-à-dire Hébert, Chaumette [Attention : Larrèrisme !] , des personnages… enragés quoi, qui sont les plus sociaux de la Révolution ; considérés comme des gauchistes, ce qu’à mon avis ils sont ! Parce que c’est à cause d’eux que Robespierre va être arrêté – les gens croient que c’est l’extrême droite qui a fait arrêter Robespierre le 9 thermidor, non ! Le président de séance Collot d’Herbois est un enragé, Billaud-Varenne est dans la salle. C’est l’extrême gauche qui fait l’erreur terrible de faire arrêter Robespierre, et elle est manipulée par des corrompus.
Sacrée « relecture » des factions en présence !
On peut dire en effet que les Enragés et notamment les Enragées sont plus proches des Cordeliers que des Jacobins. Même si Varlet et Leclerc fréquentent les Jacobins, la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires agira souvent de concert avec le club des Cordeliers.
Hébert et Chaumette n’ont jamais fait partie du courant des Enragé·e·s n’en déplaise à Mathilde Larrère et à Jean-luc Mélenchon. On ne leur connaît même pas de contacts avec eux, alors que Jacques Roux et Marat, par exemple, entretiennent des relations – certes houleuses !
J’ai reproduit sur ce blogue une brève duJournal de Paris national, du 2 février 1793, qui avaient échappé à l’attention des historien·ne·s et qui montre que Jacques Roux attaque victorieusement à la Commune de Paris : Réal, Hébert et Chaumette.
Mathilde Larrère avaient amalgamé sans preuve Hébert, Chaumette et les Enragé·e·s. Mélenchon ajoute un glissement et une erreur supplémentaire. Voilà que Collot d’Herbois et Billaud-Varenne sont eux-mêmes des Enragés…
Il est vrai qu’il serait difficile – ce que Mélenchon ne précise pas – de mettre le 9 Thermidor sur le dos d’Hébert et de Chaumette. Le premier a été guillotiné quatre mois plus tôt, le 24 mars 1794, et le second le 13 avril 1794. Leurs fantômes ont peut-être de bonnes raisons d’attribuer à Robespierre une part de responsabilité dans leur assassinat légal… mais ils ne siègent pas à la Convention.
Quant à Collot et Billaud, ce sont des Montagnards, certes, mais pas « exagérés » comme l’on disait alors, et certainement pas Enragés. Je reprends ici des passages du Dictionnaire historique de la Révolution française (Albert Soboul dir.) sur ces deux personnages et sur le 9 Thermidor – tous trois rédigés par François Brunel.
Par ses écrits et son action politique, Billaud appartient à ce courant qui tenta de marier justice sociale (bonheur) et dignité humaine (droits de l’homme). L’entreprise n’était sans doute pas facile en révolution, mais le projet devrait durablement marquer la pensée progressiste. [F. B. cite Jaurès :] « C’est la plus curieuse synthèse que je connaisse de la tendance égalitaire et socialiste et d’un ordre individualiste et morcelé ». On peut critiquer la formulation jaurésienne, on ne put nier que Billaud (comme d’autres) ait tenté de concevoir les noces des droits de créance et des droits-libertés. [p. 123]
Robert Palmer a classé Collot parmi les « hébertistes ». Ici encore, à suivre cette analyse, la stratégie de Collot au 9 Thermidor serait transparente. Mais, s’il fut chargé de l’ultime tentative de conciliation avec les dirigeants Cordeliers en ventôse an II, il porta aussi avec Couthon, les coups les plus durs aux « sociétés sectionnaires » parisiennes, les accusant de tendre au « fédéralisme », c’est-à-dire à s’ériger en contre-pouvoirs. [pp. 248-249]
Sur le plan étroitement événementiel, il convient de poser la question : qui « a fait » le 9 Thermidor ? Dans la journée parlementaire, trente-cinq députés intervinrent contre les « Robespierristes » : deux seulement siégeaient à la Plaine (Féraud et Lozeau), trente-trois à la Montagne. En l’an III, seize d’entre eux seront « Montagnards réacteurs », quinze seront des « derniers Montagnards » – la plupart condamnés à la prison ou à la déportation comme « complices de Robespierre », deux se tiendront « à l’écart ». Barras, contrairement à la légende ne joua aucun rôle avant d’être désigné – en tant que militaire – pour commander les troupes de la Convention. C’est dire l’ambiguïté du 9 Thermidor qui ne révèle que l’extraordinaire hétérogénéité de la Montagne. [p. 1032]
La « révision » à laquelle procède Mélenchon l’amène à une autre énormité : attribuer « aux Enragés » la misogynie caricaturale de Chaumette ! Or ce dernier parle contre les Républicaines révolutionnaires gagnées au courant Enragé par Pauline Léon et Claire Lacombe et contre les clubs de femmes (bientôt interdits). Chez les – véritables – Enragés parisiens, le soutien affirmé aux Républicaines domine, chez Roux et Leclerc. Varlet étant plus mesuré et plus paternaliste.
Au fait, où sont-ils, où sont-elles donc, ces Enragé·e·s de Paris le 9 Thermidor (27 juillet 1794) ?
Jacques Roux, détenu, s’est poignardé à mort le 10 février pour éviter la guillotine.
Claire Lacombe est en prison depuis le 3 avril 1794. Elle n’en sortira que 13 mois et demi plus tard.
Pauline Léon et Théophile Leclerc, son époux, sont détenus (séparément) à la prison du Luxembourg depuis le 6 avril 1794. Ils en sortiront le 22 août.
Seul Jean-François Varlet est libre. Entre deux prisons, devrais-je dire ! Il a été élargi le 14 novembre 1793 ; il sera réincarcéré par les Thermidoriens le 4 septembre 1794.
Ni les « hébertistes[2]» – assassinés –, ni les Enragé·e·s – neutralisé·e·s – n’ont joué un rôle dans la chute de Robespierre.
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J’avais ici-même félicité M. Mélenchon d’avoir – semblait-il – renoncé à évoquer (sans source, évidemment) un prétendu point de vue de Robespierre en faveur du droit de vote des femmes… Il récidive malheureusement dans cette vidéo, en ajoutant à sa courte liste l’abbé Grégoire. Je sais que ce démocrate est connu pour des opinions « progressistes » (surtout pour un religieux) à propos des femmes, mais je connais trop mal son œuvre et sa biographie pour décider s’il a pris ou non position en faveur du droit de vote féminin. Un rapide sondage me fait craindre néanmoins que cette « bonne nouvelle » aille en rejoindre d’autres (concernant Sieyès par ex.) dans le livre d’or des légendes historiennes.
Jean-Luc Mélenchon a été le premier invité de l’émission «Et si c’était vous?», une espèce de «machine à remonter le temps», diffusée sur la chaîne Toute l’histoire (en partenariat avec Le Monde). Le thème en était, en toute simplicité: «Jean-Luc Mélenchon face à Robespierre».
C’est un Mélenchon apaisé qui répond aux questions de Gérard Miller (animateur) et de Nicolas Truong (journaliste), et réagit aux interventions rafraîchissantes de Cécile Obligi (auteur d’un livre sur Robespierre signalé ici-même).
Quand on connaît la propension du tribun à s’emporter, on est contraint d’apprécier la performance!
C’est Mélenchon le passionné d’histoire, pour ne pas dire Mélenchon le professeur qui parle ici.
Je laisse aux spectatrices et spectateurs évaluer, à l’aune de leurs propres positions, la condamnation de la violence révolutionnaire — hier comme aujourd’hui —, trop vite confondue avec la Terreur.
…En leur recommandant à ce propos la consultation du livre de Micah Alpaugh: Non-violence and the French Revolution. Political Demonstrations in Paris, 1787-1795, Cambridge, 2015, dont on peut lire des extraits ici.
Je ne suis pas certain qu’ait un sens la proposition suivante: «La bonne révolution, c’est celle où l’on va dans la rue avec ses enfants dans une poussette!» (Voyez le landau dans Le CuirasséPotemkine!).
Je relève encore rapidement, pour les amateurs d’inconscient politique, la remarque suivante, à propos de 1794, qui a sonné étrangement à mes oreilles: «Les Allemands nous avaient envahis, une fois de plus»!… ainsi que la mention d’un «Thomas Becket», que je soupçonne être venu prendre la place légitimement due à Timothy Tackett.
Mais voici qui m’intéresse plus particulièrement: Mélenchon évoque la question, insoluble, de savoir ce que serait devenu un Robespierre vieux… On ne sait pas, remarque-t-il à juste raison.
Mais il ajoute spontanément, alors qu’il n’est pas question des militantes révolutionnaires…
…mais j’ai vu d’autres éteints par la vie et ses pesanteurs. Pauline Léon, la grande femme révolutionnaire — c’est pas Olympe de Gouges la grande femme révolutionnaire ! — finit sa vie, fort bourgeoisement, mariée à un girondin de Bordeaux, gros négociant, après avoir réclamé dans sa jeunesse que les femmes fussent armées et qu’elles fussent obligatoirement toutes porteuses de la cocarde…
C’est vous dire !
C’est dire, en effet : n’importe quoi !
Passons sur la question, moralisatrice, de savoir si Pauline Léon a fini sa vie «bourgeoisement» ou non. Nous savons en tout cas qu’elle a épousé en 1793 un révolutionnaire, figure du courant des Enragés, le jeune Théophile Leclerc. Et non un gros négociant, de Bordeaux ou d’ailleurs («girondin de Bordeaux» relève davantage du vocabulaire footballistique).
Celles et ceux qui s’intéressent à ce que nous savons sur sa vie après la Révolution se reporteront à mon article publié dans les Annales historiques de la Révolution française en 2005 (et lisible sur ce blogue ici-même).
Par ailleurs, mon recueil de textes des Enragé(e)s intitulé Notre Patience est à bout reparaît ce mois d’octobre 2016 (chez IMHO) augmenté notamment d’un texte sur les activités de Théophile Leclerc après 1794.
Lorsque quelqu’un, historien ou commentateur, dit ou écrit n’importe quoi, il est très aléatoire, voire impossible de faire la généalogie de son erreur.
Il arrive, certes, que l’erroriste copie sur un voisin, qu’il est alors possible d’identifier. Mais ici?
Je suis bien placé pour suivre l’état des connaissances — bourdes comprises — sur Pauline Léon: j’ai publié sa biographie dans Deux Enragés de la Révolution, complétée dans l’article des AHRF ci-dessus évoqué.
Je n’ai jamais entendu parler de cette nouvelle légende historienne ; je note au passage que Mélenchon s’est abstenu de nous resservir celle concernant la prétendue position de Robespierre en faveur du vote des femmes… Élève en progrès!
On ne peut guère imaginer que Mélenchon fabule tout simplement, ou qu’il vienne raconter ses rêves à la télévision… Pourquoi Diable faire cette parenthèse, que personne ne lui demande, pour parler d’un personnage qu’il connaît mal et qu’il se permet, de surcroît, de juger? Quelque ignorant prétentieux, de l’un ou l’autre sexe comme l’on disait en 1793, aurait-il tenu à l’«informer», ou à l’«intoxiquer»?
Ou bien l’information concernerait-elle une autre «grande femme révolutionnaire»? Il ne peut s’agir de Théroigne de Méricourt, dont nous savons la fin solitaire et tragique.
Claire Lacombe, alors? L’autre figure de proue de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires? Voilà qui serait, pour le coup, une «révélation» — que je n’ai lue nulle part jusqu’ici — puisque nous perdons, en l’état actuel des connaissances, sa trace à Paris, et non à Bordeaux, en 1798.
Peut-être Alexis Corbière, mélenchoniste qui a récemment rejoint la Société des études robespierristes (SER), aura-t-il l’obligeance de nous faire connaître les détails d’une découverte dont je me ferais l’écho avec plaisir — ou de nous expliquer cette confusion?
Pour faire suite au chapitre de Mathiez, republié sur ce blog, intitulé « Les femmes aux armées », je donne ici l’introduction et la conclusion d’un article du même auteur, intitulé « Femmes soldats ».
Tout comme la La Victoire en l’an II, dont était tiré le chapitre, le présent article est publié en pleine guerre, le jeudi 6 mai 1915, dans Le Petit Comtois, « Journal républicain démocratique », imprimé à Besançon.
J’ai découvert cet article grâce au remarquable travail de numérisation entrepris par la ville de Besançon. Je remercie particulièrement Pierre Emmanuel Guilleray et Bérénice Hartwig qui ont eu l’amabilité de me transmettre le fichier numérique du numéro du Petit Comtois, qui avait précisément, par un malencontreux hasard, échappé à la numérisation. Cette lacune a été comblée depuis.
Comme on va le voir dès le second alinéa de son article, Albert Mathiez a choisi de republier intégralement la pétition du 6 mars 1792, rédigée et présentée à l’Assemblée nationale législative par Pauline Léon. Cette pétition étant déjà publiée sur ce blog, dans l’article intitulé « Aux armes citoyennes ! » (accès par le lien « Pauline Léon »), je ne la reproduis pas. Notons que c’est la deuxième occurrence (re)découverte par moi d’une diffusion « grand public » de ce texte, dans l’article de Mathiez (publié en « une » du Petit Comtois) et sous forme d’une carte postale (que je suis incapable de dater, pour l’instant).
FEMMES SOLDATS
À l’heure où les suffragettes anglaises s’enrôlent pour former un régiment et où Mme Arnaud[1], à Paris, brûle de suivre leur exemple, il ne sera pas inutile de replacer sous les yeux de nos lecteurs un document qui leur prouvera qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Le 6 mars 1792, une demoiselle Pauline Léon, très jolie[2] chocolatière parisienne, se présenta à la barre de l’Assemblée législative, et, au nom de 300 de ses émules en patriotisme, prononça le discours suivant, que je reproduis d’après le procès-verbal officiel :
[Ici se place la reproduction de la pétition lue par Pauline Léon.]
Un député, du nom de Dehaussy-Robecourt, attaqua le fond de la pétition. Les soldats étaient assez nombreux, dit-il, pour qu’on n’ait pas besoin des services de ces dames : « Gardons-nous d’intervertir l’ordre de la nature ; elle n’a pas point destiné les femmes à donner la mort ; leurs mains délicates ne furent point faites pour manier le fer ni pour agiter des piques homicides. »
Mais le capucin Chabot, qui menait joyeuse vie depuis qu’il avait quitté la clôture de son couvent et dont on n’était plus à compter les bonnes fortunes, se montra plus galant que ce député inconnu. Il insista pour que la pétition de la belle chocolatière fut prise en considération et il demanda qu’elle fut renvoyée au comité militaire.
Intervention inutile et plutôt malheureuse. Des voix diverses s’écrièrent : « Le renvoi au comité de l’ordinaire des finances ! Le renvoi au comité de liquidation ! » et ces cris humoristiques provoquèrent des « rires prolongés ». L’Assemblée passa à l’ordre du jour.
Les temps n’étaient pas encore mûrs. Les femmes jouèrent pendant la Révolution un rôle politique considérable. Elles eurent leurs clubs spéciaux. Celui de Besançon fut fréquenté par la meilleure bourgeoisie[3]. Mais l’entrée de l’armée leur resta interdite. Celles qui voulurent quand même faire le coup de feu se déguisèrent en hommes[4], comme ces demoiselles Fernig, qui servirent d’aides de camp à Dumouriez et qui combattirent à Jemmapes.
[1] Si une partie des militantes anglaises pour le droit de vote des femmes étaient sur des positions pacifistes, la Women’s Social and Political Union (WSPU) d’Emmeline Pankhurst défendait une ligne belliciste, germanophobe et quasi raciste. Je n’ai pas trouvé trace à l’époque d’une militante féministe nommée Arnaud (Angélique Arnaud, une saint-simonienne connue, est morte en 1884).
[2] Albert Mathiez laisse ici parler son imagination…
[3] Bibliographie : Perrin, Henriette, « Le club de femmes de Besançon », Annales historiques de la Révolution française, 1917, pp. 629-653 ; 1918, pp. 37-62, 505-672 (texte d’un mémoire dirigé par Mathiez) & Boillot, Yann, L’Engagement politique des femmes à Besançon sous la Révolution française, mémoire de maîtrise sous la direction de Danièle Pingué, Université de Franche-Comté, année universitaire 2000-2001. À Paris, ce mémoire est consultable à la Bibliothèque Marguerite Durand (voir lien dans la colonne de gauche).
[4] Cette affirmation mérite d’être nuancée. Certaines femmes semblent être connues — et acceptées — comme telles, sinon dès leur engagement, au moins à partir d’un certain moment de leur présence dans l’armée. Jean-Clément Martin a recensé, dans ses propres recherches et chez d’autres auteurs (Dominique Godineau, par ex.) environ 80 femmes soldats. J’en ai retrouvé à peu près autant, ce qui mène à un total assez modeste, même si sous-estimé. Cependant, certaines de ces soldates se font connaître et féliciter des sociétés populaires, au moment de leur démobilisation.
Fille d’un artisan chocolatier, âgée de 21 ans en 1789, Anne Pauline Léon participe, dès la prise de la Bastille, aux journées révolutionnaires et à l’activité des sociétés populaires. Elle est pétitionnaire pour l’armement des femmes puis cofondatrice de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires (juillet 1793), outil de la lutte autonome des femmes révolutionnaires, qui contribue à la rapprocher du courant des Enragés, dont elle épouse le plus jeune animateur, Théophile Leclerc. Institutrice à Paris, en 1804, elle réclame la libération de son frère, détenu pour des écrits hostiles à Bonaparte. Elle rejoindra à Bourbon-Vendée (La Roche-sur-Yon), sa sœur et son frère qui exercent la profession d’imprimeur. Elle y décède le 5 octobre 1838, à l’âge de 70 ans.
Abstract
Pauline Léon, a Revolutionary Republican. The daughter of a artisanal chocolate maker, Anne Pauline Leon, aged 21 in 1789, participated from the fall of the Bastille in the different revolutionary journees, and was active in the societes populaires. Petitionner for the arming of women, then co-founder of the Societe des citoyennes republicaines revolutionaires (July 1793), a tool in the autonomous struggle of revolutionary women, she contributed to bringing them closer to the thinking of the Enrages, the youngest of whom she married, Theophile Leclerc. School teacher in Paris in 1804, she demanded the release of her brother, imprisoned for his hostile writing of Bonaparte. She joined in Bourbon – Vendée (La Roche-sur-Yon), her sister and her brother who exercised the profession of printer. She died on October 5, 1838, aged 70.
Cet article a été publié dans les Annales historiques de la Révolution française, n° 344, avril-juin 2006, «La Prise de parole publique des femmes». C’est le texte de la communication que j’ai présentée lors de la journée d’étude sur «La prise de parole publique des femmes sous la Révolution», tenue le 11 décembre 2004 à Paris I-Sorbonne, sous la direction de Christine Fauré et Annie Geffroy, à l’initiative de la Société des études robespierristes et de l’Institut d’histoire de la Révolution française.
Pauline Léon a peu retenu l’attention des historiens, qu’ils lui préfèrent Claire Lacombe, actrice réputée pour sa beauté ou qu’ils jugent les Citoyennes républicaines révolutionnaires manipulées par des hommes comme Théophile Leclerc, que Pauline épousera. Ainsi Daniel Guérin considère les Citoyennes républicaines révolutionnaires « en quelque sorte [comme] la section féminine du mouvement des Enragés » (La Lutte de classes sous la Première République. Bourgeois et « bras nus » 1793-1797, Paris, Gallimard, 1946, t. I, p. 244). Albert Soboul écrit qu’en août 1793, « les Jacobins ignoraient encore que, derrière les citoyennes Léon et Lacombe, Leclerc agissait » (Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’an II, Paris, Flammarion, 1973, p. 99).
Il faut attendre les années 1960 pour que Robert Barrie Rose consacre à Pauline Léon une notice biographique dans The Enragés, Socialists of the French Revolution ? (1965) à égalité avec Jean-François Varlet ou Claire Lacombe, et que Marie Cerati publie son Club des citoyennes républicaines révolutionnaires (1966). Dominique Godineau contribue, avec Citoyennes tricoteuses (1988), à l’appréciation de leur action sans rien apporter de nouveau sur Pauline. Enfin, j’ai publié en 1993 une biographie de Théophile Leclerc et Pauline Léon, ici revue et complétée, notamment pour la période postérieure à 1804.
Jeune, célibataire sans enfant, fille d’artisans, Pauline Léon est représentative des femmes de la sans-culotterie parisienne qui s’identifient, dès ses premiers jours, à la Révolution : « J’éprouvais le plus vif enthousiasme et quoique femme je ne demeurai pas oisive ; l’on me vit du matin au soir animer les citoyens contre les artisans de la tyrannie […], barricader les rues et exciter les lâches à sortir de leurs maisons.» (Dans un texte rédigé ou plus probablement dicté par elle le 4 juillet 1794, à la maison d’arrêt du Luxembourg, adressé au Comité de Sûreté générale : Précis de la conduite révolutionnaire de dame Pauline Léon, femme Leclerc (Archives Nationales : F7 4774/9). Sauf indication contraire, les citations de Pauline sont tirées du Précis. Agissant partout où elle le peut, des émeutes aux sociétés populaires qui acceptent les femmes, elle est de celles qui vont tenter de faire reconnaître la place des militantes non seulement dans l’action révolutionnaire mais dans le nouvel ordre social.
Née à Paris le 28 septembre 1768, Pauline Léon a 21 ans en 1789. Son père, Pierre Paul Léon, fabricant de chocolat, est mort en 1784. Pauline écrit de lui qu’il était « philosophe » et ne lui a transmis aucun « préjugé ». Sans doute l’aînée de cinq enfants (l’âge de l’un[e] des enfants nous demeure inconnu. Nous connaissons deux frères et une sœur : Antoine Paul Louis, dont nous savons seulement qu’il est né en 1772 et qu’il meurt le 31 mars 1835, ouvrier, demeurant 219, faubourg Saint-Martin ; Marie Reine Antoinette, née le 17 janvier 1778 ; François Paul Mathurin, né le 23 octobre 1779), Pauline a dû aider sa mère, dès l’âge de 16 ans, à continuer son commerce, et à entretenir sa famille,au 356 de la rue de Grenelle, qui constituait la limite sud de la section Fontaine-de-Grenelle et la limite nord de la section de la Croix-Rouge, qui prit en 1793 le nom de Bonnet-Rouge ou de la Liberté. Il semble que le domicile des Léon ait été dans le ressort de la première, mais elle indique la section du Bonnet-Rouge lors de son mariage en 1793 et de son arrestation en 1794. Lire la suite →
Deuxième billet consacré à la version en images d’Une histoire populaire de la France(Delcourt/Encrages).
J’aimerais bien savoir sur quels documents s’appuie Gérard Noiriel pour produire la saynète en bas à droite de cette page…
J’ai beau me creuser la tête, il ne m’en revient aucun qui « colle » (mais je n’ai pas passé en revue les centaines de documents de mon corpus pour trouver la perle rare).
Certes, les sans-culottes étaient imprégnés d’une culture virile, voire masculiniste. Elle ne différait d’ailleurs de celle de personnes plus raffinées (tel Robespierre) que par sa rudesse physique.
Je ne vois pas à quel moment, quelles femmes ont pu renier ce discours viril des sans-culottes.
Certaines se sont inclinées devant : ils sont porteurs de la virilité ; pas nous ; donc nous sommes hors-jeu. D’autres l’ont, si j’ose dire « épousé » : nous aussi, nous pouvons, malgré nos faiblesses, incarner une part de virilité, ou au moins soutenir (matériellement) et exalter (aiguillonner) celle de nos compagnons, frères et pères. Les plus critiques se sont gaussées des hommes qui, à leur avis, ne se montraient pas à la hauteur de leur idéal viril. — Et alors, si c’est comme ça, nous les femmes pouvons faire au moins aussi bien, voire mieux !
Certes, on peut noter que dans un grand nombre de sociétés populaires qui accueillaient, dans le public ou comme membres, des femmes, on les a défendues soit contre le harcèlement de tel ou tel, soit contre des propos ou affiches diffamatoires. Et certes, des femmes se sont plaintes de ces mauvais traitements. Mais où est-il question d’une critique de la virilité ?
Je donne ci-après l’exemple d’un discours qui se rapproche au plus près de ce que nous qualifierions aujourd’hui (à juste titre) de « féministe ». Il est tenu le 27 mai 1793, devant le club des Jacobins par une oratrice de la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires, soit le club féminin parisien (et sans doute français) le plus radical :
La société des républicaines révolutionnaires nous députe vers vous, pour vous prier de nous faire connaître le lieu du rassemblement ; il est temps que vous ne voyez plus en nous des femmes serviles, des animaux domestiques ; il est temps que nous nous montrions dignes de la cause glorieuse que vous défendez. Si le but des aristocrates a été de nous égorger en détail en dépeuplant Paris, il est temps de nous montrer ; n’attendons pas les poignards dans notre lit ; formons-nous en phalange, et faisons rentrer l’aristocratie dans le néant. Les faubourgs où nous nous sommes portés [sic] sont dans les meilleures dispositions. Nous avons sonné dans tous les cœurs le tocsin de la liberté. Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire[1].
La critique de la domination masculine est claire, mais aussitôt suivie d’une demande d’égalité – sans critique de la virilité. Pour ne rien dire de la conclusion, très classique durant toute la Révolution (jusqu’en 1794 compris) : « Nous voulons seconder votre zèle et partager vos dangers ; indiquez-nous le lieu où notre présence est nécessaire. » On ne vient pas chatouiller, si j’ose dire, la virilité des hommes que l’on accepte d’avance comme leaders, et dont on espère qu’ils voudront bien vous faire une petite place.
Quant à cette dernière image, elle accumule tous les défauts possibles. Elle laisse supposer que de nombreuses militantes ont été guillotinées. Or, il n’en est rien, et – il faut bien le dire – c’est en grande partie grâce à la défaite de Robespierre que des militantes comme Claire Lacombe et Pauline Léon ont sauvé leur tête (on opposera l’exemple d’Olympe de Gouges [dont l’exécution est également représentée], mais c’est une femme isolée, sympathisante des Brissotins, c’est-à-dire de « la droite » de la Révolution).
Pour ce qui est du texte de « légende », jamais vocable n’a mieux convenu…
Ce qui est dit ici n’a rien à voir avec les raisons véritables de l’interdiction des Républicaines révolutionnaires, et du même coup, de tous les clubs de femmes. Certes, cette interdiction fut l’occasion d’envolées masculinistes (trop longtemps contenues ?) bien connues. Mais on n’a pas « reproché » aux Républicaines de n’être pas assez viriles pour être patriotes : on a choisi d’utiliser contre elles les Dames de la Halle, assez « viriles » il est vrai et fort peu républicaines… Je renvoie sur ce point au long développement qui lui est consacré dans Robespierre, les femmes et la Révolution (IMHO, 2021).
Gérard Noiriel a voulu, sans doute, susciter dans l’esprit de ses lectrices et de ses lecteurs une « correspondance des temps » entre l’actuel me-too et les militantes les plus radicales de la sans-culotterie. C’est sympathique, si l’on veut, mais c’est inexact. L’anachronisme est pavé de bonnes intentions !
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[1]Républicain français, n° 198, samedi 1er juin, p. 802 ; Buchez et Roux, t. 27, pp. 275-276.
J’avais d’abord feuilleté le livre en librairies, ce qui ne m’avait pas donné envie de l’acheter. Et puis j’ai lu des critiques enthousiastes et d’autres sur un registre dont j’ai souvent dit ici-même à quel point il m’agace : si-ce-livre-permet-ne-serait-ce-qu’à-une-lectrice-de-découvrir-l’histoire, etc.
L’Histoire, devrais-je écrire, puisque si l’on se propose de nous expliquer pourquoi elle a effacé les femmes, nous savons dès la première de couverture qu’elle a commis ce forfait à l’aide de sa grande « H » (plaisanterie connue).
Parce que je ne suis pas omniscient, je me reporte au chapitre 11 qui concerne mon domaine de recherches – « Révolutionnaires étouffées » – qui traite de la Révolution française.
Je vais y « apprendre » [pp. 179-180] ce que des dizaines de textes rédigés par des lecteurs et lectrices de Wikipédia m’ont déjà enseigné : Pauline Léon et Claire Lacombe « ensemble ont fondé la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires » (non).
Plus original, et non sourcé, comme de bien entendu, on m’explique que « ces femmes », expression qui englobe Pauline et Claire, Etta Palm d’Aelders, Louise de Kéralio, Olympe de Gouges et quelques autres « veulent des femmes dans la magistrature, dans l’armée et aux postes importants de l’Église. » Telle que formulée, et attribuée à un groupe aussi hétéroclite, cette prétendue revendication n’a tout simplement aucun sens.
Puisque j’en suis aux détails qui heurtent, voici la manière dont est évoquée la politique de Marat, à propos de sa meurtrière Charlotte Corday :
Devant les appels de Marat à tuer tout le monde. […] [p. 187]
Terrible petit bruit de la sottise qui heurte le zinc du comptoir du Café du commerce.
Le propos général de l’ouvrage est de mettre à portée du plus grand nombre ou au moins « d’un » plus grand nombre les travaux des historiens et historiennes, censés reposer dans des oubliettes éditoriales ou de poussiéreuses revues.
C’est mentir. De nombreux livres d’histoire, rédigés par des spécialistes atteignent des tirages très honorables.
Puisque Geneviève Fraisse est – à juste titre – citée et utilisée à plusieurs reprises par Lecoq, remarquons que l’on peut trouver en collection de poche Folio plusieurs de ses ouvrages, ce qui n’est pas précisément un signe de clandestinité.
Incompréhensible, et impardonnable, est l’absence de Christine Fauré, directrice d’une Nouvelle encyclopédie politique et historiquedes femmes (Les Belles Lettres, 2010).
Je vais m’attarder sur le problème des références. J’ai mentionné Fraisse ; on en rencontre d’autres, mais quant à savoir selon quels critères elles sont choisies pour figurer dans les notes, mystère et boule de gomme ! Disons que là où une référence est donnée, il en existe neuf qui sont tues.
De plus dans un livre qui se prétend outil de « passeuse » entre scientifiques et grand public, on s’attendrait à une bibliographie commentée, par exemple à la fin de chaque chapitre. Et avec les adresses ou au moins les noms de nombreux sites et blogues… Or, à part les notes de bas de page, il n’y a rien.
De temps à autre, l’autrice lance dans l’éther une incitation qui doit lui paraître suffisante. Ainsi à propos de Communardes, dont elle vient d’énumérer les patronymes.
Allez lire leurs vies [sic], elles sont toutes passionnantes. [p. 238]
D’ailleurs, quand on se plaint de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, comment ne pas signaler l’existence de deux associations (au moins) qui travaillent à conserver et mettre en valeur la mémoire des femmes:Mnémosyne, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre et lesArchives du féminisme…
Quant au style, après un coup de chapeau à l’écriture inclusive, l’autrice se dispense du moindre point médian (il ne faudrait pas dérouter le grand public !). Elle adopte ici et là un style relâché, censé, je suppose, réduire encore les méfiances de celles et ceux qu’inquiète le bon français. Doit-on croire que la formule « un décret les chasse de l’armée » aurait rebuté beaucoup de monde ? Nous lisons : « Un décret les vire de l’armée » [p. 189]. Dans le même registre, pour qualifier l’action de Napoléon : « Après le bordel de la Révolution… ».
Ou bien ce livre n’a pas eu d’éditeur, ou bien il s’agit d’un procédé démagogique.
À défaut de relecture, l’ouvrage a bénéficié d’une campagne d’affichage publicitaire, et d’une préface de Michelle Perrot qu’elle conclut sur une formule dont on a compris que je ne la partage pas : « À lire absolument ».
On m’objectera, comme d’habitude, que – même vendu comme une savonnette et écrit avec les pieds – le livre est « sympathique » puisqu’il défend la visibilité des femmes dans l’histoire, et qu’il est possible que des jeunes gens et jeunes filles s’y découvrent un intérêt pour l’histoire des femmes. Il est impossible de réfuter un tel argument, ce qui indique assez son caractère non-scientifique.
En l’état, cet ouvrage non seulement n’apporte rien sur le sujet qu’il prétend traiter, mais se trouve très en retard (au moins dans le domaine qui m’intéresse) sur l’état présent de la recherche. D’honnêtes lectrices et lecteurs croiront de bonne foi tenir entre leurs mains un état actualisé des connaissances, quand ils·elles n’auront en main que le énième produit surfant sur la vague #MeToo – ça n’est pas moi qui fait le rapprochement, mais Michelle Perrot dans sa préface.
Ma dernière pensée (de ce billet) ira aux arbres, certes issus d’une « forêt gérée durablement »… Combien d’arbres pour faire savoir que Marat voulait « tuer tout le monde » ?